6 minute read

CONCLUSION

Comment les projets contemporains en pisé porteur se développent-t-ils malgré les freins et les obstacles ? L’exemple de l’Orangerie à Lyon Confluence

Cette question pose plus globalement celle de la situation actuelle de la filière terre crue dans son ensemble en France. L’étude de la technique du pisé apporte en effet des éléments concernant l’ensemble des techniques constructives en terre crue. Pour aborder le fonctionnement de la filière terre crue en France et comprendre les freins et les obstacles auxquels elle est confrontée, la réflexion se concentre sur la réalisation de projets en pisé, de la conception à la construction. Cette démarche permet d’identifier de manière concrète les freins et les leviers de la filière terre crue plutôt que de lister ces derniers de manière trop générale. Dans ce travail de recherche nous avons abordé la question selon les axes d’analyses suivants : dans un premier temps, la présentation de la technique du pisé et de son utilisation dans les réalisations neuves, dans un second temps l’identification des freins à la réalisation des arches en pisé de l’Orangerie et pour terminer les perspectives de développement de la filière terre crue malgré les freins actuels.

Advertisement

Dans un premier temps, les recherches permettent de définir la construction en pisé, le processus de mise en œuvre du matériau et ses caractéristiques. L’enjeu est de mettre en lumière aussi bien l’évolution des techniques de mise en œuvre que la création de nouveaux savoir-faire. Les projets en pisé ne sont plus obligatoirement réalisés avec une mise en œuvre traditionnelle et font appel désormais à des procédés innovants voire mécanisés. Les innovations des techniques de mise en œuvre comme la préfabrication de blocs de pisé ouvrent de nouvelles portes dans la conception avec des utilisations et des esthétiques de forme renouvelée. Cette question est illustrée dans l’étude par un échantillon de projets en pisé récemment construits choisis à partir des travaux de valorisation de la construction en terre crue.

La suite du travail s’attache à l’étude de cas et à identifier les caractéristiques du projet de l’Orangerie à partir des articles, des écrits des architectes et d’entretiens menés avec deux acteurs du projet. Il s’agit de retranscrire les composantes du projet. Le contexte du projet urbain Lyon Confluence est un cadre propice aux innovations architecturales. Il ressort des entretiens avec l’architecte et le maçon piseur que les principales difficultés rencontrées pour la réalisation du projet sont liées au système réglementaire et à la difficulté de certifier un ouvrage en pisé porteur pour qu’il soit couvert par les sociétés d’assurance. Il s’agit donc d’identifier les possibilités de surmonter ce frein à court terme à l’échelle du projet et à long terme pour l’ensemble de la filière terre crue. Si la procédure d’avis technique expérimental (ATEX) de type B peut permettre de faire valider une construction en pisé pour un projet donné elle demeure néanmoins incertaine car en plus de se révéler plus coûteuse elle n’aboutit pas forcément à un avis favorable. Il est donc important pour le développement de la filière terre crue qu’un système normatif puisse couvrir ce type de construction. En dernier lieu, le projet de l’Orangerie met en évidence les autres freins à la construction en pisé. L’image péjorative (en grande partie due à la méconnaissance des techniques constructives et de leurs qualités) de la construction en terre crue et la perception commune de la terre comme un matériau non

noble rend le développement de nouveaux projets en terre compliqué. Pour y remédier de nombreuses actions de communication et de sensibilisation des citoyens sont organisées par le réseau des acteurs de la construction en terre crue. L’un des objectifs de l’Orangerie est d’être un projet exemple, une preuve construite des performances comme du côté esthétique du pisé pouvant servir à la fois de référence à d’autres équipes voulant réaliser des projets en pisé et également d’outil pédagogique pour contrecarrer la méconnaissance de la terre crue et résister aux idées reçues à son égard. Ce projet permet également d’illustrer certaines problématiques cruciales comme le manque de formation des acteurs de la construction aux techniques constructives en terre crue. La réalisation de l’Orangerie aurait été bien plus simple avec un bureau de contrôle formé à la construction en pisé et reconnaissant les performances du pisé. Le projet est aussi plus généralement démonstrateur de la rareté des acteurs compétents dans le domaine de la construction en pisé. Le développement à grande échelle de la formation des différents corps de métiers à la construction en terre crue et en pisé permettrait de renforcer le réseau professionnel et de faciliter la réalisation de projets en terre crue. Le choix de construire en pisé représente aujourd’hui un surcoût par rapport à un choix de technique conventionnelle lié essentiellement aux coûts de la main d’œuvre et des processus pour répondre à la réglementation.

Si certains freins à la filière terre crue transparaissent directement dans la réalisation d’un projet architectural comme l’Orangerie, d’autres appartiennent à une échelle plus globale du développement de la filière. Progresser et combler les manques dans les domaines de la formation, de la réglementation et de la communication permettra aux futurs projets de se développer plus facilement et en plus grand nombre. Les perspectives de réponses aux freins existants sont nombreuses, le travail est en cours avec le Plan National terre crue pour relever un certain nombre de problèmes et proposer un cadre propice au développement de la construction en terre crue. A terme l’ambition du Plan National est de permettre l’utilisation de la terre crue comme un matériau commun. Mener à bien le projet de l’Orangerie était « une vraie bataille »75 comme le décrit Stefan Jeske. L’équipe portant le projet a déployé beaucoup d’énergie pour surmonter les difficultés. Dans tout projet de construction les bonnes relations entre les acteurs sont très importantes mais elles deviennent primordiales pour la réussite d’un projet de construction utilisant des techniques non conventionnelles.

Le travail pourrait être enrichi et poursuit de plusieurs façons. D’une part, pour compléter la méthode d’analyse de projets construits en pisé, il faudrait diversifier les acteurs interrogés. Un entretien avec la maitrise d’ouvrage permettrait de comprendre ses motivations, d’approfondir la question économique de la construction en pisé et l’influence des surcoûts dans les choix ainsi que d’étudier le poids de la décision politique pour le développement de cette filière. Le bureau de contrôle est également un acteur qui apporterait une vision différente du projet et des détails sur les enjeux de la validation des ouvrages en pisé.

D’autre part, pour élargir la vision du développement de la filière terre crue, il est nécessaire de s ’intéresser aux autres techniques constructives en terre crue. La recherche pourrait être poursuit sur des études de cas de projets construit en bauge, adobe, terre coulée ou brique de terre comprimé.

Les projets en terre crue contribuent à développer une économie locale et s’inscrivent dans une logique de développement durable. L’élimination des obstacles actuels dépend d’ une volonté commune de tous

75 JESKE (Stefan), entretien personnel, 14 décembre 2020, retranscrit en annexe

les acteurs de la construction et des décisions des pouvoirs publics. La prise de conscience de la crise écologique va-t-elle mener à des décisions politiques permettant le développement de la filière terre crue ?

D’ores et déjà et pour encore quelques années, les travaux d’aménagement du Grand Paris express produiront une grande quantité de terre excavée. Quid de l’utilisation possible de ces ressources pour les constructions à venir ? La situation en Ile-de-France permettra-t-elle de proposer un nouvel espace de développement significatif de la filière terre crue ou restera-t-elle seulement l’occasion de réaliser quelques projets de manière épisodique ?

La recherche gagnerait également à être poursuivie par la comparaison des situations de réalisation de projets en pisé dans d’autres pays. Cela pourrait mettre en évidence les similitudes et les différences ainsi que de repérer les leviers effectifs dans d’autres contextes pour développer des solutions efficaces.

This article is from: