Mémoire de fin d'étude / Ethique & Esthétique / Inthamoussou Camille

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La conception du musée comme objet Architectural contemporain répond-elle toujours à une éthique ? En quoi l’écriture du musée contemporain privilégie t-il l’esthétique à l’éthique architecturale. Présenté par

Camille INTHAMOUSSOU Suivie par Annabelle ISZATT Jury : Julie MOREL __ Pascal PERRIS __ Isabelle BERTHET BONDET

Semestre 9 _ JANVIER 2017 _ Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.


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La conception du musée comme objet Architectural contemporain répond-elle toujours à une éthique ? En quoi l’écriture du musée contemporain privilégie t-il l’esthétique à l’éthique architecturale. Présenté par

Camille INTHAMOUSSOU Suivie par Annabelle ISZATT Jury : Julie MOREL __ Pascal PERRIS __ Isabelle BERTHET BONDET

Semestre 9 _ JANVIER 2017 _ Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.


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« Il n'y a pas de beauté exquise sans une certaine étrangeté dans les proportions. » 1

Figure 1 Francis Bacon, Triptych - étude du corps humain, 1970. Peinture à l'huile, 198 x 147,5 cm, collection privée, Courtesy Ordoyas.

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Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, Éditions Michel Lévy frères, 1869, p. 401.

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Table des matières Introduction ........................................................................................................................ 7 Un contexte : l’architecture, un vocabulaire complexe et une longue histoire ........................ 7 C’est alors que la beauté devient fondatrice de l’architecture ................................................. 8 Ectoplasme architectural .......................................................................................................... 9

1 / L’esthetique dans la theorie architecturale contemporaine ................................ 13 1.1 / L’aspect : un résultat de la forme et de la fonction. ....................................................... 14 1.2 / Quand l’aspect et la forme génèrent la fonction de l’architecture. ............................... 17 1.3 / la beauté au delà de la forme et de la fonction. ............................................................. 23 1.4 / l’esthétique dans la vision de la conception architecturale contemporaine, plus qu’une théorie : un parti pris. ............................................................................................................. 28

2 / le musee comme oeuvre architecturale ................................................................. 35 2.1 / La genèse du musée. ....................................................................................................... 35 2.1.1 L’ANTIQUITE ET LE MOYEN AGE : des muses aux musées. ....................................................... 35 2.1.2 LA RENAISSANCE : collectionner, étudier et se cultiver. ........................................................... 38 2.1.3 LE GRAND SIECLE ET LES LUMIERES : diffuser. ......................................................................... 39 2.1.4 L’AGE D’OR DES MUSEES : entre art et industrie, vers une modernité. .................................... 40 2.2 / Une nouvelle ère muséale. ............................................................................................. 42 2.3 / Les déboires de la conception architecturale contemporaine. ....................................... 47

3 / Frank O. Gehry, l’architecte aux chefs d’oeuvres .................................................... 53 3.1 / L’histoire d’un architecte précurseur et de sa conception architecturale. ..................... 53 3.2 / Les musées de Frank Gehry et son inspiration. .............................................................. 59 3.2.1 ANALYSES : 3 projets et un architecte. ..................................................................................... 60 3.2.2 UNE SIGNATURE ESTHETIQUE ARCHITECTURALE. ................................................................... 69 3.3 / Vers une architecture intemporelle et/ou obsolescente. ............................................... 71

Conclusion ......................................................................................................................... 75 Bibliographie ..................................................................................................................... 78 Figures ............................................................................................................................... 82 Sources .............................................................................................................................. 85 Annexes .............................................................................................................................. 88

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Introduction « Le monde de l’architecte est un monde de l’image. », L’esthétisation de l’architecture, Neil Leach2.

Un contexte : l’architecture, un vocabulaire complexe et une longue histoire L’architecture est une discipline où l’on ne parle plus d’une simple déontologie professionnelle, mais où l’on cherche à fonder une éthique avec comme principes généraux : l’honnêteté, la convenance et l’esthétique, pour proposer une justesse dans la pratique de l’architecture. Les savoirs comme la littérature, le dessin, la géométrie, l’optique, l’arithmétique, l’histoire, la philosophie, la musique, la médecine, le droit, l’astronomie, … sont pour Vitruve (architecte et théoricien de l’Antiquité) nécessaires à la réalisation architecturale, car l’architecture à une responsabilité totale dans le processus de création.

Les premiers pas de l’architecture étaient simples et essentiels, mais l’évolution de l’homme, des sciences et l’esthétisation du monde provoquent des artifices dans cet art qui peuvent alors tromper les sens. Le jugement du public où une fois l’œuvre intégré dans le cadre, le contexte, c’est alors le peuple tout entier qui subit les conséquences de cette tromperie. Le De architectura3 envisage l’architecture non plus sous un aspect technique mais dans sa forme éthique : c’est la signification de l’installation du bâti dans l’espace social qui doit être essentiel et rechercher une approbation sociale, pour une acceptation présente et une convenance future. L’intervention architecturale doit alors être capable de comprendre le passé, d’accepter le présent et de penser et prévoir le futur. Vitruve dit que « la convenance est l’apparence sans défaut d’un ouvrage composé d’éléments justifiés et qui s’accompagne d’autorité », il parle alors de l’ASPECTUSOPERIS, qui est l’effet visuel produit par un édifice, la perception que l’œil humain a de sa masse et des rapports qu’entretiennent entre elles toutes ses composantes. Cet aspect doit exprimer l’image que veut donner l’architecte. La perception visuelle est donc la première relation que l’on entretient avec l’architecture et par l’intermédiaire de la vue, le bâtiment frappe ou non l’imagination de ceux qui le regardent. L’architecture est alors source de représentation et d’interprétation qui cherche à délivrer un message politique, social, moral ou encore éthique.

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In Qu’est ce qu’une œuvre architecturale ?, Hervé Gaff. Théorie écrite par Vitruve Ier av. JC.

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C’est alors que la beauté devient fondatrice de l’architecture « La beauté d’un édifice est l’expression de sa vérité : il ne peut y avoir d’esthétique sans éthique. » 4 Les relations entre l’architecture, l’esthétique et l’éthique sont donc l’essence même de cet art, ce sont des notions à la fois complexes, polysémiques et sensibles. L’esthétique est par définition quelque chose qui se rapporte directement à une forme d’art quelconque avec comme notion l’harmonie et la beauté. Les principes esthétiques sont à la base une expression artistique, littéraire ou encore une théorie philosophique qui se fixe pour objectif de déterminer ce qui provoque chez l’homme le sentiment que quelque chose est beau. Dans le langage courant, l’adjectif « esthétique » se rapproche de « beau » et comme nom, "esthétique" est une notion désignant l’ensemble des caractéristiques qui déterminent l’apparence d’une chose, souvent synonyme de design ou d’aspect physique. On peut comprendre que l’esthétique est alors de l’ordre du subjectif et est donc propre à chaque individu, la notion de "beau" est alors critiquable et fragile. En Occident, l'espace de l'œuvre d'art a longtemps tendu à se confondre avec sa représentation, telle qu'elle a pu être pensée à travers la perspective. Ce que celle-ci inventait, en effet, était un sujet théorique capable de maîtriser l'espace et, en l'inscrivant dans un cadre, donc en le calculant, de le proposer au spectateur comme pure visibilité. L’architecture est une discipline qui fait parti des arts, c’est aussi une discipline en perpétuelle évolution et à la recherche de l’exploit qui peut être technique, formel ... etc. L’architecture n’a alors pas pour seul et unique but de construire pour l’homme mais elle cherche à l’émouvoir, ce n’est alors pas seulement un espace concret habitable mais aussi un espace abstrait avec une dimension psychique, générateur de sentiment, de ressenti, l’ek-sistence spatio-temporelle de l’architecture. L’appréciation des œuvres, quelles soient artistiques ou architecturales sont alors différentes selon les publics touchés. La perception ou l’expérience esthétique est alors subjective, l’art étant avant tout visuel. Il se perçoit pour ensuite se recréer dans notre esprit, on observe pour ensuite décrypter. Le premier rôle de l’architecture est d’abriter les corps à travers son espace construit. Mais il est certain que celle ci ne s’arrête pas là, car la véritable architecture est riche et en appelle au corps. Elle est porteuse d’émotions sensorielles.

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Tenuitas cum bona fama : éthique et architecture dans le De architectura de Vitruve, Mireille Courrént.

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Ectoplasme architectural Pour essayer de comprendre ce phénomène, nous pourrions nous détacher de la construction, se libérer de ses influences et prendre du recul, afin de mieux analyser cette éloquence. Je trouve que la nature est un bon exemple pour montrer l’importance des sens dans la perception de notre environnement. En tant qu’étudiants en architecture nous sommes amenés à penser à des espaces bâtis, mais c’est dans la nature que je l’ai compris. Les bâtiments évoluent peu au cours du temps, alors que la vicissitude d’un paysage naturel peut être flagrante, en une après midi ou en un mois. L’hiver, l’horizon disparaît dans le froid de la brume humide et tout peut sembler désolant et lugubre. Tandis qu’en été le vent chaud anime les herbes sèches et dessine des vagues blondes qui font onduler la plaine en un bruissement joyeux. La nature prend alors toutes sortes de visages : morne, triste ou gaie, folle et vivante. En évoquant des sentiments de puissance ou bien de plénitude. Ce n’est pas seulement les plantes et les nuages qui changent, mais également l’impression que l’on en a. De nombreux éléments impalpables peuvent modeler l’espace, créer des sensations d’intériorité, d’extériorité ou donner son caractère à un lieu.

Figure 2 Philharmonie Berlin, architecte Hans Scharoun, 1963.

Par exemple la philharmonie de Hans Scharoun à Berlin est une architecture multi sensorielle. La forme du bâtiment, les déplacements intérieurs et la richesse de ses textures fait appel à une plasticité tangible. Tandis que la lumière et bien sûr le son transfigurent le caractère du lieu. Filtrée par des pastilles de verres teintés, la lumière colore l’espace en donnant au hall cette ambiance variable de cathédrale chaleureuse et la moindre note de musique transforme absolument la salle de concert déserte en une expérience auditive unique et exaltante. Le sentiment de l’instant vécu dans l’espace lui donne son caractère spécifique. C’est pourquoi une atmosphère n’est pas immuable en un lieu, mais résulte plutôt de la rencontre de nombreux facteurs variables liés à l’architecture comme le son, la lumière, la température mais dépend aussi du vécu ou de la culture de la personne qui pratique l’espace. 9


Je me questionne aujourd’hui sur ce qui fait l’éloquence de l’architecture, comment des matériaux inertes qui ne sont intrinsèquement pas poétiques parviennent à susciter en nous des émotions, seulement par ce qu’ils renvoient. La recherche de ces émotions place l’architecture entre l’art et la technique. John Ruskin a émis l’idée que nous exigeons deux choses de nos bâtiments : nous voulons qu’ils nous abritent et nous voulons qu’ils nous parlent 5. Or l’atmosphère de l’architecture n’existe qu’entre soi et l’espace. L’architecture parle au corps qui l’écoute. L’atmosphère est alors la relation entre les deux, ce dialogue entre les sens du corps, on pourrait même parler du psychique, et les éléments du monde qui l’entoure. Ils se nourrissent et s’informent sans cesse l’un l’autre. Le corps n’existe pas sans relation avec son environnement. De même, l’atmosphère d’un lieu n’existe pas non plus sans un corps pour l’investir. Dans son livre Atmosphères6, Peter Zumthor parle d’une interaction entre les êtres humains et les choses, qui est en réalité à la base du métier d’architecte et qui selon lui, serait à l’origine de ce qu’il appelle "la magie du réel". L’architecture, qu’on la considère comme réussie ou non, ne peux donc, en aucun cas être neutre. Car un espace ne pourra pas être perçu avec une totale objectivité. Juhani Pallasmaa évoque quant à lui dans son livre Le regard des sens7, ce pouvoir de l’architecture et la capacité des bâtiments à émouvoir, à jouer avec les sens du spectateur. Cette démarche peut être mise en parallèle avec ceux pour quoi construit l’architecte chinois Wang Shu, c’est à dire remémorer des souvenirs d’antan aux habitants à travers la valorisation de la tradition chinoise.

Figure 3 Musée historique de Ningbo, Chine, architecte Wang Shu, 2008.

On observe au croisement de ces différents ouvrages que chaque architecte a une façon personnelle d’aborder l’expérience dans l’architecture. Par exemple pour Pallasmaa, l’expérience fait référence à

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de Botton Alain (2007). L’architecture du bonheur. Livre de Poche, p.78. Zumthor Peter (2008) Atmosphères, Birkhauser. 7 Pallasmaa J. (2010). Le regard des sens, éditions du linteau.

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l’objet architecturé fini, l’expérience qu’il propose dans sa découverte, de quelle manière il peut altérer nos sens, c’est une approche figurée de l’expérience. Alors que Wang Shu évoque la notion d’expérience avec un certain pragmatisme, elle se veut constructive avec l’usage des matériaux, les techniques de mise en œuvre ancienne. Leurs pratiques de l’architecture sont en quelque sorte pionnières dans un système qui a ses habitudes plus ou moins discutables. On le remarque clairement à travers les propos de Wang Shu qui tente de démontrer qu’il existe des possibles, d’autres manières de penser et de faire, qu’il faut juste prendre le risque de les révéler. Il a également détaillé sa théorie du "slow-build", qui revendique une urbanisation plus attentive aux populations, il explique « J'étais écrivain avant de devenir architecte et l'architecture n'est qu'une part de mon travail. Pour ma part, l'humanité est plus importante que l'architecture, et l'art de construire plus important que la technologie. » Les deux architectes affichent une réelle réticence à la pensée majoritaire architecturale contemporaine en proposant leurs alternatives, théoriques ou pragmatiques. Dans ce mémoire, je vais donc essayer de comprendre qu’elles ont été les facteurs qui ont fait l’architecture contemporaine telle que nous la connaissons aujourd’hui, sur le plan visuel et esthétique. Les limites de l’architecture et de l’art sont coexistantes et me questionnent sur l’aspect formel propre de l’architecture. C’est grâce à l’histoire des théories de l’architecture, mais aussi du musée, programme à double logique : architecturale et artistique, que je pourrais affiner l’évolution de l’architecture dans son aspect esthétique et comprendre quelles sont les logiques éthiques et sociétales voulues. Décortiquer et analyser les étapes et les changements, m’amèneront à la problématique contemporaine afin de comprendre l’intervention de l’architecte par l’esthétique même du projet.

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1 / L’esthétique dans la théorie architecturale contemporaine 8

« Il n’y a pas d’esthétique sans éthique », Chris Younès.

Les écrits accompagnent l’architecture depuis les civilisations de l’antiquité, ils permettent de

définir, comprendre, expliquer l’architecture au plus grand nombre, on les appelle les traités d’architecture. Moins d’une vingtaine d’architectes s’y sont essayés, celui-ci est un ouvrage théorique qui présente les règles savantes de l’architecture. Mais ces traités sont vecteurs de transmission, d’enseignement et d’évolution, et témoignent surtout d’une pensée architecturale. C’est pour cela qu’il m’a paru important de partir de la théorie pour comprendre la position de l’esthétique dans la conception architecturale grâce à une triade redondante dans le temps, une triade à la fois complémentaire qui

Figure 4 schéma triptyque de principe pour la conception architecturale

génère l’architecture, que je nommerai : Forme / Fonction / Aspect.

On se rendra compte qu’avec l’évolution de l’homme, l’architecture évolue et rend prédominant ou coexistant les éléments de cette triade initiale, qui elle aussi évolue. Les traités d’architectures sont alors codicillaires. L’esthétique est un des trois points de cette triade qui est annoncé dans chacun d’eux. Mais les architectes, selon leurs époques, leurs histoires et bien d’autres facteurs, changent cette triade non pas par sa définition même mais par des tangentes étymologiques et sémantiques, dû à l’évolution de leur manière de penser et de concevoir l’architecture avec les sociétés.

Figure 5 démarche de l'architecture à partir des théories.

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Ethique, architecture, urbain, sous la direction de Chris Younès et Thierry Paquot, Armillaire La découverte, 4ème couv.

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1.1 / L’aspect : un résultat de la forme et de la fonction. L'écrit le plus ancien encore existant sur l'architecture et qu’on considère comme étant le premier traité d’architecture est le De architectura, écrit par l'architecte romain Vitruve au Ier siècle av. J.-C., il existait cependant déjà avant celui-ci le De officiis de Cicéron, lui aussi romain. La question de l’éthique et de l’esthétique en architecture est donc très ancienne, puisque déjà à cette époque la question du rôle de l’éthique dans la pratique de l’architecture générait de nombreux débats politiques, techniques ou encore sociaux. La place de l’architecture dans le processus de la mise en forme de l’espace urbain et sa complexification constante vient questionner 3 notions fondamentales qui sont liées : la déontologie, la responsabilité et l’esthétique. Le traité de Vitruve permet de comprendre qu’à l’architecture s’associe une éthique à la fois morale et professionnelle, qui concerne un ensemble et une individualité. Les différents traités écrits au début de notre ère ont permis d’exposer des règles de l’architecture afin de codifier la pratique mais aussi de théoriser cette science. L’architecture est donc une discipline en relation avec "l’autre", l’espace, la société, elle en est l’image, la représentation, l’expression. Les traités développent les principes d’une morale dans laquelle le bâti, est considéré comme une projection de l’image sociale de l’individu, mais aussi va des explications techniques à une théorie de l’art.

Cicéron identifie 3 qualités à l’architecture : l’utilité, la commodité et la dignité, alors que Vitruve propose : la solidité, l’utilité et la beauté ; tout deux présentent ces qualités comme des impératifs à respecter dans la pratique de l’architecture. La différence que l’on peut trouver dans les deux textes est le point de vue. Cicéron identifie le résultat à atteindre alors que Vitruve propose les moyens pour y parvenir. Vitruve explique que « Dans tous ces différents travaux, on doit avoir égard à la solidité, à l’utilité, à l’agrément : à la solidité, en creusant les fondements jusqu’aux parties les plus fermes du terrain, et en choisissant avec soin et sans rien épargner, les meilleurs matériaux ; à l’utilité, en disposant les lieux de manière qu’on puisse s’en servir aisément, sans embarras, et en distribuant chaque chose d’une manière convenable et commode ; à l’agrément, en donnant à l’ouvrage une forme agréable et élégante qui flatte l’œil par la justesse et la beauté des proportions. » 9, tel est sa triade. Mais en plus de constater cette différence de point de vue, on constate aussi l’utilisation de deux triades différentes. Pour l’aspect l’un utilise la dignité, qu’on peut définir comme le respect que mérite quelque chose ou encore « une attitude empreinte de réserve, de gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité donc de valeur »10, honorable.

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De l’architecture, Livre I, Vitruve. Dictionnaire Larousse.

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Figure 6 Collage sur le Panthéon de Rome (-27 av. J.-C)

Figure 7 Schéma triptyque pour Cicéron et Vitruve. La solidité et l'utilité créent la beauté.

L’autre la beauté, en son nom le beau, possède plusieurs définitions actuelles. Il apparaît impossible d’en avoir une définition universelle. Mais d’après le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) , le beau « cause une vive impression capable de susciter l’admiration en raison de ses qualités supérieures dépassant la norme ou la moyenne » ou encore « est beau ce que nous serions heureux de posséder, mais qui reste tel même s’il appartient à autrui » dans Histoire de la beauté de Umberto Eco11. La beauté serait quelque chose « qui suscite un plaisir esthétique d’ordre visuel ou auditif (…) qui suscite un sentiment admiratif par la supériorité intellectuelle, morale ou physique, qui est agréable, qui cause du bien-être, qui convient bien, qui est satisfaisant, qui en est remarquable par sa grandeur, son importance. »12. Elle reste donc relativement floue donc imprécise mais ce qu’on peut dire c’est que malgré toute ces tentatives de définitions plus ou moins approximatives, la beauté reste une notion subjective variant selon de nombreux facteurs, « Est beau ce qui plaît universellement sans concept » 13 . On comprend donc qu’à cette époque la beauté ou encore la dignité se rapporte à l’aspect final du bâtiment, son élégance. Vitruve introduit l'idée de la bienséance, l'un des six principes de l'architecture14, en déclarant que chaque monument en a une, ce qui signifie en ce sens, ce qui devrait résulter de son apparence et de son emplacement. Bien que l'étendue de l'application des recommandations de Vitruve ait ouvert au débat, l'idée de aspectus operis, littéralement "l’impact visuel" transmis par un monument, reste manifestement pratiqué tout au long de l’Antiquité.

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Umberto Eco, Philosophe et romancier italien du 20ème siècle, il écrit Histoire de la beauté (2004) mais aussi Histoire de la laideur (2007), la notion d’esthétique aux travers des siècles a été un vaste sujet pour lui. 12 Dictionnaire Larousse. 13 Critique de la Faculté de juger, 1790, E. Kant, philosophe allemand. 14 L’ordonnance, la disposition, la proposition, la symétrie, la bienséance et la distribution. Livre I chap. II, De l’architecture, Vitruve.

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La plupart du temps, il nous manque l'arrière-plan culturel et sociétal nécessaire pour traiter cette trame dense qu’est l’antiquité et cette armure du symbolisme visuel. Mais la tentation de dérive vers une culture d’interprétation biaisée, sur la base de nos propres schémas de pensée actuelle qui peuvent ne pas être pertinents pour les populations anciennes, est grande. Il est bien étudié comment les gens se livrent à ces lieux comme une nécessité absolue de chercher de nouvelles approches qui peuvent aider à nous contourner de nos propres mœurs culturelles profondément enracinées. Les études sur l’architecture, sur la recherche en neuroscience et sciences cognitives peuvent ouvrir de nouvelles façons d'aborder ces sujets.

Figure 8 Illustration pour l'exposition "Re-constructivist architecture" Lerimonti Gallery à New-York, dessin et collage, False Mirror Office, 2016.

Nota : Le titre de l'exposition est un jeu de mots, se référant à l'exposition De-Constructiviste de 1988 au Musée d'Art Moderne qui a déstabilisé un certain type de relation avec la théorie du design. Elle a impliqué 13 entreprises d’architecture pour présenter des idées pour un projet résidentiel dans la campagne romaine, un exercice de conception destiné à une enquête typologique mais surtout plus généralement pour une médiation sur l’autonomie de la discipline architecturale. C’est un bon exemple pour montrer l’importance de l’aspect esthétique d’un projet, de l’idée que l’on en a et de la retranscription qui peut être faite : passer de l’utilité et de la solidité à la beauté, une interprétation personnelle et tangible.

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1.2 / Quand l’aspect et la forme génèrent la fonction de l’architecture. « Les idées qui bouleversent le monde marchent à pas de colombes », Phénoménologie de l’esprit, Friedrich Hegel15. L’évolution au cours des siècles est grandiose : découvertes, mutations, sciences, voyages, arts, philosophies, ingénierie, mathématiques … ont marqué le cours de l’histoire et évoluent aux quatre coins du monde. L’Homme change et donc son environnement aussi, l’architecture et l’urbanisme en sont les premiers touchés et sont donc en perpétuels questionnement et mutations. L’architecture est l’art de la conception et de la mise en forme d’espaces de vie : ceux d’un habitat, d’un établissement public ou industriel, comme ceux d’espaces urbains. L’histoire de l’architecture est avant tout le reflet de l’histoire des hommes. Chaque mouvement architectural rencontre une époque, un environnement physique et philosophique, politique ou spirituel bien particulier. La préoccupation de construire est née il y a bien longtemps : dès la préhistoire, l’homme construit pour habiter, se protéger. Mais avec le temps la construction évolue, la conception de la ville devient un sujet, un paramètre. La coprésence des éléments les uns avec les autres mais aussi l’interaction des Hommes, permettent l’émergence de nouveaux projets pour de nouveaux Hommes et de nouvelles notions comme la distance, les relations, les commodités … tout les facteurs minimes ou cyclopéens impactent la conception architecturale et urbaine. Les notions de la triade vitruvienne sont alors remisent en question et les enseignements de l’architecture évoluent avec les savants. L’architecture prend un autre sens : à l’antiquité Vitruve faisait de la vérité le critère rationnel de la convenance et de la convenance le critère éthique de sa technique. Il moralisait l’image que la société cherchait à pérenniser d’elle-même en la monumentalisant mais il participait aussi au développement harmonieux de la cité et à la stabilité sociale, économique et politique. Il y voyait un contexte idéologique dans une société qui était monarchique et égocentrique. Au cours du 15ème siècle, les écrits antiques de Vitruve et les ruines romaines redécouvertes, amènent les savants de cette période à s’engager dans une interprétation rationnelle des éléments classiques : c’est le début de la renaissance. C’est aussi à cette période que Léonard de Vinci étudie les théories de Vitruve et qu’il dessine l’Homme de Vitruve. Réalisé en 1490, ce génie humaniste représente les proportions idéales parfaites du corps humain, inscrit dans un cercle et un carré. L’Homme de Vitruve est un symbole allégorique et emblématique de l’Humanisme, de la Renaissance, du rationalisme de

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G. W. Friedrich Hegel, Phénoménologie de l’esprit, 1807.

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"L’Homme au centre de tout", de la mesure et de la représentation du monde. C’est une période qui est un tournant, qui transcende et re-questionne l’architecture. La renaissance est une période de l'époque moderne associée à la redécouverte de la littérature, de la philosophie et des sciences de l'Antiquité, qui a pour point de départ la Renaissance italienne grâce aux artistes qui pouvaient y exprimer librement leur art. Le Quattrocento que l’on appelle aussi la première Renaissance est la période où ce mouvement se propage en Europe pour s’y installer totalement pendant le Cinquecento. On parle de Renaissance artistique au sens où les œuvres de cette époque ne s'inspirent plus du Moyen Âge mais de l'art gréco-romain. Selon l'historien René Rémond, une "Renaissance" se caractérise par : - l'apparition de nouveaux modes de diffusion de l'information, - la lecture scientifique des textes fondamentaux, - la remise à l'honneur de la culture antique (littérature, arts, techniques), -

le

renouveau

des

échanges

commerciaux, - les changements de représentation du monde. 16

Figure 9 Collage, la naissance d'une Renaissance

On peut alors parler en cette première Renaissance de Leon Battista Alberti, qui est l'un des grands humanistes polymathes du Quattrocento, il a écrit L’art d’édifier 17 (en latin De re aedificatoria). En 1440 l’historien Krautheimer 18 a exprimé 19 l'hypothèse selon laquelle, sollicité par Lionello d'Este20, Alberti aurait entrepris une traduction de Vitruve et abandonné rapidement. Ce qui pourrait avoir eu une influence sur sa décision d'écrire un traité sur l'architecture et donc d’y proposer d’autres principes. La version d’Alberti constitue donc à une réécriture du De architectura qui vise à romaniser l’architecture, la confrontation entre les deux écrits est inévitable. La traduction romaine de

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http://www.les-instants-essentiels.fr/la-renaissance-et-lemail-15ieme-et-16ieme-siecle/ L. B. Alberti, L’art d’édifier, traduit du latin, présenté et annoté par P. Caye et F. Choay, Paris, Seuil, 2004. 18 ème Historien d’art et d’architecture du 20 siècle 19 R. Krautheimer, « alberti and vitruvius » dans Studies in western art II, Princeton, 1963, p49. 20 Lionello d’Este, Condottiere et homme politique italien du 15ème siècle. 17

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l’architecture par Alberti ne vise pas simplement à "naturaliser" l’architecture, ou à l’adapter au paysage, à la culture et aux mœurs de l’Italie du Quattrocento, mais, de proposer des modifications profondes dans la terminologie architecturale vitruvienne. C’est la première tentative moderne de systématisation de l’architecture : Alberti critique tout d’abord le langage et la terminologie de Vitruve, où il y trouve une certaine illisibilité. À travers son traité sur l’architecture, De re aedificatoria, Alberti est le premier de son époque à décrire exclusivement par écrit un projet architectural. D’ailleurs, pour la première fois, l’architecture est pensée en tant que projet, la notion de conception est enfin introduite à travers ce qu’il appelle l’édification dont le but est l’harmonie des divers critères à tout les niveaux de l’édification. Contrairement à Vitruve qui, dans son traité, présente l’architecture comme une discipline complexe s’appuyant sur la description du patrimoine bâti déjà existant et des systèmes cognitifs, Alberti considère lui l’architecture comme ce qui n’existe pas encore et doit être conçu au moyen d’une série de règles et de normes. Il utilise des notions étrangères à Vitruve comme l’harmonie, qui selon lui est « la beauté est une sorte d’accord, une consonance des parties en un tout, réalisé d’après un nombre précis, une certaine relation et disposition, ainsi que l’exige l’harmonie, qui est la plus parfaite et la plus élevée des lois de la nature »21 .

Figure 10 John Stezaker, Underworld XVI, collage, 23 x 25,3 cm, 2009

Alberti écrit dans l'entre-deux du monde médiéval et du monde moderne dont il est un des fondateurs. Il écrit au seuil de la révolution culturelle qui entraîne le premier "décollement" de l'Europe, à travers l'affranchissement partiel du théocentrisme médiéval, l'exaltation de l'homme créateur et une volonté d'appropriation du monde ; il était le type même de "l’uomo universale" (l’homme universel).

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De re aedificatoria, Livre IX, chap. 5.

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La réflexion n’est plus simplement architecturale, elle devient aussi une réflexion d’urbaniste, sur la fonction des villes et leurs conceptions mais aussi politique en dissociant républiques et monarchies et même sociale. Alberti définit donc l’architecture comme une « chose mentale » dont l’objet est l’art de la vie sociale, les critères de cet art étant la triade vitruvienne reprise à sa façon : nécessité, commodité et volupté. Il faut entendre ici "nécessité" comme la dépendance de la construction aux lois physiques et mécaniques ainsi qu’à la logique imposée par l’esprit humain. "Commodité" est exprimé par la demande sociale et formalisable à l’aide de catégories arbitraires. Et "volupté" est énoncé par Alberti comme la capacité de l’architecture à signifier par ses propres moyens, une poétique énoncée par un "langage" architectural procurant un plaisir issu du sentiment de beauté. Alberti définit la beauté comme une adaptation de l’image à la finalité non mathématique de l’édifice. Léon de Coster dit : « Il apparaît que pour L. B Alberti, matière et forme ne sauraient coexister en un même organisme sans la notion de physionomie, objet même de nos délectations esthétiques [voluptas]. Comme on le pressant, le visage des édifices, relevant du domaine de l’esprit est pour Alberti ce caractère ornemental jaillissant d’une nécessité essentielle sans laquelle l’œuvre n’existerait pas en tant que création artistique » 22, l’embellissement de la vie et l’embellissement architectural étaient à ses yeux synonymes. La volupté est alors le plaisir du corps mais aussi le plaisir de l’esprit 23. Il parle de l’ornement comme étant la façon abstraite de l’édifice à rendre l’idée "intelligible", comme les traits du visage seraient censés révéler la personnalité d’un individu.

Figure 11 Schéma triptyque d'Alberti. La nécessité (construction) et la volupté (beauté) fabrique la commodité.

La dégradation progressive du concept peut être néanmoins suivie dans les monuments de la fin de l’Antiquité, où l’horreur du vide entretient à tous les niveaux de l’édifice, public ou privé, profane ou sacré, une surabondance, peu signifiante dans son détail comme dans son ensemble, de motifs variés. 22

23

Léon de Coster, « Le palazzo Rucellai, une rhétorique de l’ornement », Questions 8, L’architecture comme langage ?, p. 23. Dictionnaire françois-italien extrait de celui de Mr. l'abbé François Alberti de Villeneuve.

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La théorisation de cette acception réductrice de la notion d’esthétique apparaît clairement dans le traité d’Alberti. L’architecte-philosophe du 15ème siècle, bien qu’encore tributaire dans une large mesure de la notion vitruvienne de l’esthétique, en donne souvent, d’une façon plus ou moins explicite, une idée dépréciative. Malgré tout, et quelle que soit l’apparente radicalité de ses positions théoriques, on constate plus d’une fois, à la lecture de son livre, que dans la sensibilité esthétique d’Alberti, l’ornement qu’on traduira plus tard par la décoration, peut exercer un rôle de correction ou d’amélioration qui suppose en amont une imperfection ou du moins une insuffisance structurelle. Et en même temps, il est bien convaincu du fait que l’ornement, en tant qu’intervention a posteriori sur l’image architecturale d’ensemble peut rendre celle-ci plus séduisante sans en altérer la valeur intrinsèque.

Plus tard entre le 17 et 18ème siècle, d’autres architectes utiliseront d’autres étymologies pour définir la triade. Pour l’aspect dans l’architecture, Augustin-Charles D’Aviler24 et François Blondel25 utilisent la décoration, Jacques-François Blondel26 l’agrément. Pour D’Aviler la décoration n’est plus le foisonnement d’ornements comme sur les bâtiments royaux, la présentation se fait ici purement technique et la décoration est laissé à l’intérieur. Dans le Cours d’Architecture de François Blondel il est écrit : « Il y a un peu plus de difficulté de comprendre de quelle manière nous ressentons ce qui se trouve dans la bienséance et dans la décoration des bâtiments ; et de savoir, si ce qui nous plait procède de quelque chose de réel et de nécessaire qui ait son fondement dans notre nature, plutôt que dans notre prévention et notre accoutumance. […] Pour s’en éclaircir, il serait bon avant toutes choses de convenir d’un fait, qui est de savoir si les productions des Arts peuvent faire naitre en nous quelque plaisir qui nous soit naturel, ou si toutes les choses qui nous plaisent dans les Ouvrages faits par l’Art, ne sont que de notre imagination ; si certains mets accommodez de certaine manière par un bon cuisinier, ne nous paraissent savoureux et agréables au goût que par habitude ; si la violence des passions différentes que la poésie et la rhétorique font quelques fois naitre dans notre âme, n’y est produite que par la compagnie et par accoutumance. »27 Il se réfère aussi à la musique et apporte donc une approche sur la décoration comme étant un élément proche à l’humain et à la nature humaine, celle de juger le plaisir qui se dégage de l’ouvrage. Enfin pour expliquer la notion d’agrément de Jacques-François Blondel on pourrait utiliser la définition qu’en fait Vitruve : « à l’agrément, en donnant à l’ouvrage une forme agréable et élégante qui flatte l’œil par la justesse et la beauté des proportions. »28

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In Cours d'architecture qui comprend les ordres de Vignole, 1710 In Cours d’architecture enseigné à l’Académie royale d’architecture, 1675 26 In Cours d'architecture ou traité de la décoration, distribution &construction des bâtiments, 1771 27 In Cours d’architecture enseigné à l’Académie royale d’architecture, Livre V, chap. XVp.765, 1675 28 Vitruve, De l’Architecture, Livre I, 3. Des parties dont se compose l’architecture, texte en latin et traduit en français de Ch. L. Maufras, 1847, p. 53 25

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construction

distribution

Figure 12 Schéma triptyque pour D'Aviler et F. Blondel. De la construction émane la décoration de l'ouvrage (ext.) et la décoration sert à la distribution (int.)

decoration

Je m’arrêterai sur la notion décoration, du verbe décorer qui par sa définition actuelle s’éloigne de l’architecture car c’est : « Pourvoir un lieu d'éléments qui l'embellissent ou placer dans un lieu des accessoires qui lui donneront un décor ou encore orner un objet de motifs, de dessins, de couleurs, etc. Orner quelque chose, un lieu, le rendre agréable à l'œil »29, on pourrait alors dire que la décoration agrémente l’architecture et n’est donc plus architecture. L’architecte Charles François Viel (1745-1819), a écrit Décadence de l’architecture à la fin du 18ème siècle, une brochure à l’intitulé provocateur. Cette formule alarmiste et percutante, est contre la dissociation de la triade, solidité, convenance, beauté, qui fondait la théorie de l’architecture depuis la Renaissance. En effet, la construction ne se fonde plus sur une maîtrise exemplaire du vocabulaire classique et du système des ordres, mais sur les techniques et les sciences de l’ingénieur. C’est la fin d’une époque et le début d’une autre, où la question de la solidité se veut autonome grâce à l’émergence de nouvelles sciences et de nouveaux matériaux contemporains. La théorie de l’ordonnance est abandonnée, c’est la « fin du Vitruvisme » comme le disait Georg Germann30, une théorie renaissante fondée sur le modèle gréco-romain.

Figure 13 Estelle Deschamp, Collage, photomontages, impressions contrecollées sur aluminium, Galerie Tin Box Bordeaux, 2010 29 30

Dictionnaire Larousse. Georg Germann, Vitruve et le vitruvianisme, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1991.

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1.3 / la beauté au delà de la forme et de la fonction. « Toute beauté est fondée sur les lois des formes naturelles. L'architecture d'une ville est d'émouvoir et non d'offrir un simple service au corps de l'homme. », John Ruskin31.

Au cours des siècles suivants, 19ème et 20ème siècle, la triade reste présente mais subit de nombreuses (ré)interprétations pour exprimer les exigences fondamentales de la construction. Entre ces deux siècles Hector Guimard est à l’essor de sa carrière d’architecte. Il énonce sa triade avec trois nouveaux principes qui régissent l’Art nouveau : l’harmonie, la logique et le sentiment, lors d’une conférence pendant les salons du Figaro qu’il intitule : La renaissance de l’art dans l’architecture moderne, car pour lui l’art nouveau est moderne et moderne est l’art nouveau32. La logique, qui consiste à prendre en compte toutes les circonstances de la situation à laquelle l’architecte est confronté, circonstances qui sont infinies dans leur variété et leur nombre. L’harmonie, ce qui veut dire mettre en accord toutes les constructions, non seulement avec les demandes auxquelles il faut répondre et les ressources financières disponibles, mais aussi avec leur environnement. Le sentiment qui, participant à la fois de la logique et de l’harmonie, est leur complément à toutes deux, et qui mène, par l’émotion, à l’expression la plus élevée de l’art. Certains facteurs comme l’électricité, les transports, la mécanisation, mais surtout la première exposition universelle de Londres en 1851 et la mise au point du béton armé en 1867, influent sur les connaissances et les problématiques du monde de l’architecture. Dans la temporalité de chacun des architectes, ces facteurs les aident, voir même les influencent dans le choix de cette triade et dans la façon de concevoir l’architecture, « Ce sont les architectes qui tombent ... le devoir de déterminer, par notre art, non seulement l'évolution artistique, mais aussi la civilisation et la science de notre temps »33.

L'intérêt de Guimard pour une conception quasi déterministe de l'évolution culturelle est évident. Il affirme que « en déduisant trois principes [harmonie, logique, sentiment] qui devraient avoir une influence prédominante dans toutes les productions architecturales ». Sherban Cantacuzino34 fait remarquer que ces principes peuvent être lus en termes de transposition de la triade de Vitruve, lecture renforcée par le fait que Guimard présente ses principes comme une déduction nécessaire plutôt que subjective. Il ne s'intéresse manifestement pas à l'iconoclasme, mais plutôt à l'adaptation. C'est ce que montrent les remarques de Guimard sur l'influence reconnue de Viollet-le-Duc. 31

John Ruskin, écrivain, poète, peintre et critique d’art du 20ème siècle. In Conférences sur l’architecture et la peinture, 1909. In Le moniteur des arts, p1465-1475, 7 Juillet 1899. 33 Guimard, Hector, L’opinion d'un architecte de L'Art Nouveau, 1902, In Les origines de l'architecture moderne: Essais choisis de «Architectural Record», 1998, p. 41. 34 Sherban Cantacuzino Ecrivain, architecte 20ème siècle. "Hector Guimard", In Les antirationalistes : Art Nouveau, Architecture and Design, 1973, p. 30. 32

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Dans les Entretiens sur l'Architecture, Viollet plaidait pour « des formes architecturales adaptées à notre époque » au lieu de les déguiser « par une architecture empruntée à d'autres époques » 35. Cette citation est très intéressante dans le contexte où Guimard dit : « Je n'ai fait qu'appliquer la théorie de Viollet-le-Duc, mais sans me laisser séduire par les formes médiévales »36. On retrouve ainsi les arguments de Guimard pour un nationalisme et une contemporanéité qui sont les résultats de son argumentation pour l'adaptation continue du contemporain, les formes et les méthodes artistiques d'une époque ou d'une culture à l'autre. Cette idée d'adaptation paramétrique contextuelle est étonnamment en accord avec la discussion d'Henri Bergson sur l'élan vital cinq ans plus tard dans Creative Evolution (publié en 1907). Bergson écrit : « La vie ne procède pas par l'association et l'addition d'éléments, mais par la dissociation et la division »37. Si, pour Guimard, la société engendre et produit la culture (au sens étroit des arts), alors les multiplicités de divers nationalismes devraient produire un éventail varié de formations culturelles. Dans l'article Architectural Record, il suggère ceci : « Voyant que l'Art Nouveau traverse maintenant l'Atlantique depuis nos rives, j'espère que mes confrères américains ne se contenteront pas d'être de simples copistes, mais seront des créateurs ... Les principes par lesquels je suis guidé dans la production de l'architecture française leur permettraient aisément de créer un art américain. »38, la compétition est lancée. Cependant au détriment de l’esthétique et donc de la recherche du sentiment positif dans ses projets qu’ils soient artistiques, architecturaux ou encore de design, il en lésine voir même oublie des éléments qui sont essentiels, il se dit « architecte d’art », mais en oublie l’architecture. Le fond ne change pas mais la forme change en suivant la modernité, l’expressivité du projet devient formelle et donc esthétique.

harmonie

Figure 15 La structure est l'harmonie, la fonction est la logique et la forme est le sentiment.

logique

sentiment

Figure 14 Schéma triptyque selon Guimard. Le sentiment définie l’harmonie et on y trouve la logique.

35

Viollet-le-Duc, cité dans Helen Clifford et Eric Turner, « Modern Metal », dans Art Nouveau, 1890-1914, 2000, p. 223. Guimard, Lettre à L.C. Boileau, cité dans "Hector Guimard" de Cantacuzino, p. 13. 37 Bergson, Henri, Creative Evolution, trans. Arthur Mitchell. Lanham, Maryland: University Press of America, 1983, p. 89. 38 Guimard, Hector, L’opinion d'un architecte de L'Art Nouveau, 1902, In Les origines de l'architecture moderne: Essais choisis de «Architectural Record», 1998, p. 49. 36

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Dans cette époque, les expositions universelles servent de vitrine technologique et industrielle

et l’architecture s’exhibe aux yeux de tous pour montrer à la fois son éloquence, ses découvertes, ses mutations. L’urbanisme est en plein essor grâce à l’illustre ingénieur catalan en 1867, avec la théorie générale de l’urbanisation de Ildefons Cerdà. La construction de l’espace prend une nouvelle dimension, une nouvelle échelle. Figure 16 Adam Simpson, Boundary Hotel Elevator Vs. OMA, EXPO 89, France, Paris, 1989.

Pour l’architecte Pier Luigi Nervi la technique et l’économie prennent le dessus sur la beauté, elle vient après. Sa triade est la structure, la fonction et la forme. Deux autres architectes du 20ème siècle peuvent être cité pour l’annonce d’une nouvelle triade à cette époque. Henri E. Ciriani propose la permanence, pertinence et présence, alors que Christian de Portzamparc propose la production (technique, construction), la perception (corps, vécu, phénoménologie), et la représentation (discours esthétiques et idéologiques, modèles, styles). Encore une fois les significations associées à chacune des parties de la triade varient, mais restent constantes. Philippe Boudon explique : « La difficulté de cerner la question de la théorie [...]s’estompe déjà par la reconnaissance d’une distinction entre "théorie" en tant que support réflexif de la pratique et "théorie" en tant que visée de connaissance d’un objet, dans quelque champ que ce soit. Le terme de "doctrine" pour désigner la première, permettrait de réserver celui de "théorie" à la seconde interprétation. ». La définition d’un mot nécessite souvent de l’expliquer en utilisant d’autres mots du même lexique. Cette démarche n’est donc plus tout à fait lexicale, mais devient aussi syntaxique. On peut ainsi dire que les traités proposent une grammaire de l’architecture. Cette grammaire n’est

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néanmoins pas formelle et ne saurait être transformée directement et complètement en règles, l’interprétation des choses étant du ressort de l’être humain. On pourrait alors dire que l’architecte devient et doit être aussi plasticien, technicien, philosophe et humaniste pour construire la bonne architecture, il doit y combiner les arts graphiques, les sciences naturelles et techniques, et les sciences humaines39.

L’esthétique en architecture est en perpétuelle questionnement et mutation, mais ce qui est important c’est que celle-ci est étroitement liée à la question de l’éthique dès l’origine, l’une ne pouvant exister sans l’autre, « comment ne pas lier éthique et architecture, alors que les interrogations concernant un contexte environnemental et social en mutation dont on ne peut nier une présence blessée, posent avec acuité la question du bien commun et de l’être ensemble au monde »40. L’architecture balance alors entre ouvrage (facteur économique) et œuvre (esthétisation), il y a bien autre chose que la satisfaction matérielle des besoins, c’est cela qui rend légitime le projet. Cela dépend essentiellement du créateur, de sa compétence, de son talent, de sa capacité à traduire le temps, le lieu, à trouver les accords, les assonances, à faire régner l’harmonie, à inscrire de façon la plus juste possible le bâtiment dans son environnement, et créer un site nouveau. Le bâtiment ne doit pas être seulement fonctionnel, économique, réglementaire, il faut qu’il soit simplement beau, que l’on soit bien dedans, que l’on ait plaisir à y être mais aussi à le contempler. Qu’il suscite une émotion, qu’il est un sens, mais seul l’auteur peut mettre tout cela dans son projet, sinon il n’existe que des images vides, des maquettes sans épaisseur, souvent inhabitables, on pourrait alors reprendre le terme de Ciriani : "la présence de l’architecture" est essentiel. En parlant d’architecture on peut parler aussi donc d’art, qui établie le point de rencontre entre l’esthétique et l’éthique, c’est l’œuvre qui en est le commencement de l’histoire, car l’œuvre d’art est le témoin, d’un lieu, d’une histoire, d’une personne, d’une société … Mais il ne s’agit pas de faire miroiter une image, le projet doit être pensé, réfléchi, l’architecture est d’abord un travail de la pensée. Avant d’être art, d’être esthétique ou encore éthique, elle doit "être", avoir une forme. Ce n’est qu’après que vient la conscience de cette manifestation. On pourrait utiliser la phénoménologie de l’esprit pour l’expliquer, qui étudie la manifestation phénoménale d’un sujet qui se rapporte à un objet, c'est-à-dire en tant que "conscience". Il ne faut pas confondre avec la psychologie qui a un rapport interne alors que la phénoménologie renvoie à la conscience de l'objet en tant qu'ex-timité, intériorité et extériorité sont liées sans pour autant être annulées. Hegel décrit l’évolution dialectique de la conscience par le jeu des négations successives. Depuis la première opposition immédiate entre elle

39 40

Damien Claeys, Architecture et complexité : Un modèle systémique du processus de (co)conception qui vise l'architecture,2013. Chris Younès et Thierry Paquot, Ethique, architecture, urbain, Armillaire La découverte p.7.

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et l’objet, puis la conscience de soi, la raison, l’esprit, la religion, jusqu’au savoir absolu dans lequel « le concept correspond à l’objet et l’objet au concept », est selon Hegel le savoir de l’être dans sa totalité, intériorisation de l’objet, ou identité de l’objet de la pensée et de l’activité de connaissance dont le résultat est l’objet lui-même. L’esthétique est l’antonyme de la vérité, la logique et même de l’éthique mais se rapproche de l’infinité et donc de la subjectivité en général, ce n’est pas un spectacle mais l’existence même d’une chose, puisque « la mise en présence de quelqu’un dans une architecture à quelque chose de plus sensiblement requérant que dans n’importe quel art, parce qu’il s’y trouve accordé à la tonalité d’un espace qui l’enveloppe et l’investit, étant donné qu’une architecture se définit comme un lieu habité »41. C’est un enjeu qui se veut transversal, un comportement esthétique est le moment où le sujet et l’objet sont ensemble, présent et donc co-présent. C’est à dire la notion du moi et de l’œuvre, tout deux uniques mais qui génère une unité, « pour la première fois peut-être, un moi s’éprouve exister, parce que participant à l’existence d’une œuvre, c’est là que se trouve le point de rencontre entre esthétique et éthique.»42, l’architecte n’est plus l’auteur mais le révélateur et le sujet de l’œuvre. L'architecture se distingue par la simple façon de construire, une volonté de dépasser les seuls objectifs fonctionnels pour "faire œuvre". C'est-à-dire proposer un objet digne d'appréciation esthétique. Si l'on ajoute à ces exigences le souci de durabilité de l'édifice, on retrouve la trilogie énoncée de Vitruve. Pour le grand public, l'architecte est l'auteur naturel des œuvres d'architecture. De plus, l'architecte se considère en général lui-même comme le "concepteur". Pour justifier ce statut d'auteur, les architectes mettent en avant trois traits de leur intervention, qui la rendraient par essence différente de toute autre43.

Figure 17 Cristiana Couceiro, photo, Marché municipal, Santa Maria da Feira, Portugal, Fernando Tàvora, architecte. 41

Chris Younès et Thierry Paquot, Ethique, architecture, urbain, Armillaire La découverte p.15. Chris Younès et Thierry Paquot, Ethique, architecture, urbain, Armillaire La découverte p.14. 43 Florent Champy, Sociologie de l’architecture, Repères, 2001. 42

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1.4 / l’esthétique dans la vision de la conception architecturale contemporaine, plus qu’une théorie : un parti pris. « Le sujet n’est pas l’objet, mais l’homme. », Charlotte Perriand44. « L’esthétique ouvre l’homme à l’homme »45, l’homme est devenu un objet, il est étudié et l’architecture et l’urbanisme travaillent avec lui comme une composante à par entière dans la conception, tout deux agissant directement sur la façon de se porter et de se comporter face au monde. « L’épreuve esthétique est révélatrice en chacun de ce que réellement il est, de qui il est. Telle est la condition éthique au sens propre, qui implique un éthos, c’est à dire à la fois un comportement et un séjour, ce qui éclate dans l’art. »46, c’est l’injonction de l‘altérité et du soi. L’architecture est l’art de régler et de moduler d’infinies convenances dans une dimension qui finit par échapper aussi bien à la sociologie qu’à l’histoire. Le regard des sens, est un essai théorique exposant la vision personnelle mais influencée de Pallasmaa, sur l’évolution de l’architecture. Il expose sa critique de l’hégémonie de la vue dans la conception architecturale, une critique à la vitesse de notre société et donc impactant directement sur la notion de l’aspect du projet. Une notion que l’on retrouve dans les propos de Wang Shu qui voit aussi une menace dans la vitesse de la conception architecturale en remettant en cause la destruction massive des habitats chinois dans le but de construire des bâtiments sans qualité, calqués sur ce que la société́ occidentale a fait de moins bien afin de répondre à une compétitivité. L’architecture ne se donne plus de limite. Il parle de l’architecture chinoise, à une époque où le pays cherche à s’accroître sans véritablement se préoccuper de la qualité architecturale ni celle de la vie des habitants. Avec la culture de ces traditions, on note que Wang Shu cultive un goût pour les choses simples, l’importance de partager des moments de la vie quotidienne et la volonté de ne pas se laisser abuser par des divertissements superflus, ceux de l’esthétisation et de la capitalisation de l’architecture. Deux critiques de la pensée majoritaire en architecture contemporaine influencée par une société en perpétuelle recherche de vitesse et d’attraits économiques, exposées de différentes manières. On remarque que deux théories se dessinent à la confrontation de ces textes, d’une part Pallasmaa qui reste malgré tout assez distant du caractère constructif de l’architecture s’arrêtant à une théorisation des émotions que peut procurer cette dernière, tandis que Wang Shu a une approche plus

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Charlotte Perriand, architecte et designer du 20ème siècle, Créatrice engagée, militante du Front populaire, elle effectue en 1936 un immense photomontage baptisé La Grande Misère de Paris, qui dénonce les conditions de vie dans la capitale. "Le sujet n'est pas l'objet mais l'homme", n'a-t-elle eu de cesse de répéter. Une leçon pour les nouvelles générations. 45 Chris Younès et Thierry Paquot, Ethique, architecture, urbain, Armillaire La découverte p.16. 46 Chris Younès et Thierry Paquot, Ethique, architecture, urbain, Armillaire La découverte p.18.

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prosaïque, plus concrète en parlant des différentes actions qu’il mène pour démontrer ses convictions architecturales. À travers une conférence47, il se montre plus impliqué dans la création, l’architecte est alors davantage un acteur du projet. Un projet qui va d’ailleurs évoluer en cours de réalisation parce que le concepteur peut se rendre compte que certains principes ne fonctionnent plus dans la réalité, contrairement à Pallasmaa qui semble avoir une pratique plus anticipée de l’architecture, chaque effet qu’elle doit procurer doit être méticuleusement pensé, sa pratique intellectuelle ne semble pas laisser de place à l’imprévu et donc théorisent à leur manière la façon de concevoir l’architecture.

Ces architectes ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’élever contre le système changeant et la perte de la convenance architecturale tant convoiter depuis Vitruve. Rudy Ricciotti, dans son entretien manifeste, analyse l’architecture française dans ses aspects techniques, règlementaires, politiques, commerciaux mais aussi artistiques. Il s’annonce comme étant "orchidoclaste" de l’architecture. Une profession dont il défend les savoir-faire tout en interrogeant de manière iconoclaste et provocatrice ses enjeux et perspectives, face à une mondialisation englobante qui diffuse sa volonté d’un minimalisme utilitaire étouffant. Il va même jusqu’à dire « mégalomanie et psychopathie, voilà les deux pôles auxquels sont confrontés les architectes »48, il y a une réel difficulté d’être et du passage à l’acte pour l’architecte. Ou encore l’architecte français, Patrick Bouchain qui revendique une nouvelle façon de pratiquer le projet architectural en s’intéressant à l’utilisateur des lieux pour adapter sa réponse. Pour ce faire il a imaginé une permanence, où une architecte de son agence s’est installée pendant un an sur les lieux du projet et grâce au temps passé avec les personnes du quartier pouvait considérer chaque individu aux aspirations différentes, les comprendre et les mettre à contribution pour la réhabilitation de leur propre maison. Pour Patrick Bouchain, l’architecte a davantage une fonction d’ethnologue. Sans formation en architecture, il souhaite être "l’assistant" de quelqu’un ou de quelque chose, être à l’écoute, il commence alors avec le domaine du théâtre et se rend compte qu’il transforme déjà l’espace ; il est considéré comme anticonformiste. Il croit au provisoire, à la mobilité des choses et à l’échange et dit : « je travaille à créer en architecture une situation dans laquelle la construction pourra se réaliser d’une autre façon et produire l’inattendu donc de l’enchantement. Construire autrement reprend les idées que j’ai expérimenté avec bonheur puis obtenu d’un chantier à l’autre pour atteindre ce but : s’inscrire dans le contexte, connaître la règle, ne pas agir mais transformer, faire le moins possible pour donner le plus possible, entrainer tout le monde, interpréter, donner du temps, transmettre, ne jamais faire pareil. Dans ce livre comme sur tout mes chantiers, je fais appel à d’autres 47

Wang Shu, Construire un monde diffèrent conforme aux principes de la nature, leçon inaugurale prononcée à l’école de Chaillot, éditions cité de l’architecture et du patrimoine, 2012. 48 In Emission TV L’invité, TV5MONDE, présenté par Patrick Simonin, 10 avril 2013.

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pour enrichir l’œuvre commune de leur point de vue et de leur savoir faire. Parce que écrire seul comme construire seul me paraît impossible et que l’architecture n’est pas qu’affaire de spécialistes et techniciens. Ici ce sont des artistes, des architectes, des paysagistes, des chercheurs, des philosophes, des cinéastes, avec lesquels j’ai travaillé ou qui m’ont influencé, qui viennent interroger nos habitudes et porter un regard différent sur l’architecture. » 49, l’homme est d’après lui un nomade d’où son refus de figer la construction qui doit demeurer selon lui « impersonnel non-fini ». Mais qu’elle soit pratique ou théorique, la critique de la conception architecturale contemporaine semble pointer du doigt un système à bout de souffle. Aujourd’hui les décideurs ne prennent pas le temps de comprendre pour qui ou pour quoi ils construisent. La plupart des architectes ne font que survoler les projets. Il faut essayer de conjuguer la construction avec une prise de conscience qui passe par un temps nécessaire. La position de l’architecte est elle aussi à revoir. Il est moins bâtisseur qu’avant, il faut qu’il s’adapte et travaille en groupe, son hégémonie est désuète. Il est clair qu’il doit requérir des qualités de sociologue, de médiateur, ce n’est pas dit explicitement mais il doit être aussi un peu politique car c’est aujourd’hui ce qui gouverne l’architecture. Dans une démarche prospective, l’architecte serait un coordinateur proche de ses projets, avec de grandes qualités d’observation et encore plus pluridisciplinaires. Si la posture de ces architectes est remarquable, méritant l’écriture d’un essai théorique ou encore suscite un tel intérêt que les institutions, les médias liés à l’architecture se tournent vers elles c’est qu’ils présentent une vision à contre courant de ce qu’il se fait dans le milieu architectural. Leurs convictions personnelles, en faveur d’une architecture de meilleure qualité au service du corps, de l’humain ou de la tradition et du contexte, sont en réalité tournées vers la base même de l’architecture, ses fondements et sa fonction première, protéger du monde extérieur, de ses agressions, tout en lui procurant des émotions, un confort. En effet ces architectes veulent re-concentrer la conception architecturale sur l’individu, l’habitant tant dans l’habitat que dans l’espace habité public.

Après avoir dénoncé l’hégémonie de la vision dans notre société et dans l’architecture, Pallasmaa tente de démontrer, dans une seconde partie de son livre, l’importance des autres sens dans la perception de l’expérience architecturale, s’appuyant sur de nombreux exemples. Ne pas privilégier un seul mais se concentrer sur tous les sens lors de la conception semble être la réponse de l’architecte aux problèmes contemporains qu’il déplore. Pourtant, le lien entre les sens et la pratique du projet n’est pas très explicite dans cet ouvrage, il faut parfois interpréter et essayer de projeter ce qui est dit dans sa propre expérience de l’espace. Le fait d’utiliser l’ensemble de ses cinq sens dans la conception architecturale n’est clairement évoqué que dans quelques pages à la fin du livre. Après avoir décrit et 49

Présentation de son livre construire autrement, pour la Cité Internationale Universitaire de Paris, 2007.

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approfondi chacun des sens, l’auteur nous éclaire sur la façon dont l’architecte pratique le projet en intériorisant les différentes composantes du projet telles que « le paysage, tout le contexte et les nécessités fonctionnelles ainsi que le mouvement, l’équilibre et l’échelle du bâtiment ». L’architecte pratique le projet en s’imaginant dans l’espace, il tente d’éprouver mentalement les sensations qu’il aimerait que le visiteur ressente, en ce sens, durant la conception d’un projet il en résulte une communion entre l’usager et le créateur. Il présente avant de clôturer son ouvrage quelques architectes qui travaillent en favorisant des sens en particulier ; pour lui Le Corbusier et Richard Meier sont des architectes de la vue tandis que Hans Scharoun et Eric Mendelsohn sont des architectes cherchant une plasticité qui doit se ressentir avec le corps. Dans cette volonté de faire références aux architectes utilisant la totalité des sens pour imaginer et créer, Pallasmaa expose à la fin de son ouvrage les devoirs de l’architecture, énoncés comme des règles à suivre. On peut suggérer qu’il suit lui-même ses règles dans la pratique de ses projets même si à aucun moment il ne parle de sa pratique mais plutôt de celle d’architectes comme Alvar Aalto, comme pour prendre de la distance, rester humble et signifier qu’ils sont les exemples à suivre pour une "bonne architecture".

L’idéologie de Wang Shu se caractérise elle par son optimisme dans le devenir de l’architecture. Outre le fait qu’il déplore une évolution urbaine subie, accompagnée de nombreuses démolitions du patrimoine, il est convaincu que ces mutations peuvent faire prendre conscience à la Chine des vrais enjeux de la tradition dans la construction. Il tente de prouver que l’on peut faire des projets conscientisés. Il veut redonner confiance à toute une population qui comme lui n’est pas guidé par la puissance économique mais par des valeurs plus humaines. Une détermination qui relève parfois de l’acharnement avec par exemple le cas de la construction d’un toit de musée qui a nécessité de faire appel à 7 équipes d’artisans avant de trouver celle qui avait le savoir-faire. Ce sont ses convictions qui l’ont poussé à ne pas abandonner, à ne pas faire de compromis. Cette détermination et cette attitude critique, Wang Shu la puise dans la nature et la tradition chinoise qu’il juge nécessaire de valoriser. Afin d’éclairer l’auditeur sur le rapport qu’entretiennent les chinois avec la nature, dans une dimension poétique qui semble avoir disparu avec le temps, Wang Shu s’appuie sur de nombreuses peintures d’époque représentant de grands paysages montagneux en comparant la philosophie de ses architectures avec celle qui émane des représentations picturales. Le parallèle peut se faire avec la nature et l’architecture, on en a une vision d’ensemble qui peut dégager une certaine philosophie, en avoir une certaine symbolique mais le détail lui, parle du travail technique et concret de l’artisan, il faut réussir à considérer dans la conception à la fois la grande

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échelle et la petite échelle pour faire d’une architecture une œuvre réussie, comme la nature est faite de petites choses pour créer de grandes choses. Bien que la parole soit nécessaire, le passage à l’action est primordial pour lui. Mais dans le fond, ce que la tradition a le plus apporté va bien au delà de l’utilisation d’un matériau vernaculaire ou le rappel de la nature à l’architecture : c’est ce lien entre les générations qu’elle offre, la transmission de savoirs, ces moments de partage et d’échanges. C’est cette même tradition qui a inculqué à l’architecte les notions de temps et de mémoire dans le projet ; la nécessité de ne pas aller trop vite et de ne pas concevoir une architecture complètement nouvelle mais plutôt de créer quelque chose de nouveau dans laquelle on reconnait des éléments, une architecture qui nous parle. Ces deux architectes, à leur manière tentent de nous diriger vers une architecture plus attentive, à l’écoute. D’avoir foi en des architectures qui créent du lien, de l’attachement avec l’individu et la communauté. Il est évident que l’architecte doit garder le goût de la discussion, se nourrir de rencontres, d’échanges avec les personnes qui font le projet, aussi bien les petits artisans comme les habitants. Utiliser la parole pour mieux se comprendre, mieux comprendre le monde. L’étude de la vision de ces architectes à contre courant, a pu m’amener à m’interroger sur ma propre capacité à développer un retour critique. Sur ma propre expérience notamment et sur l’enseignement très théorique que l’on reçoit à l’école. Pour analyser un projet, sa construction, ses matériaux nous n’avons plus besoin de nous déplacer. Nous pouvons faire des recherches poussées, décortiquer tous les plans, les détails techniques, nous passerions quand même à côté de quelque chose. Nous ne verrions la lumière qu’en photo, ne pourrions pas toucher le béton ou sentir le sol sous nos pieds, ni l’odeur de ce fauteuil en cuir ou le son de la poignée de porte. La première fonction de l’architecture est d’être faite pour l’Homme, elle n’est pas uniquement faite pour les magazines. Le voyage permet de vivre les bâtiments, les villes et leurs atmosphères avec tout nos sens, de réaliser la diversité et la richesse des cultures, de l’histoire et des lieux. D’ailleurs l’intérêt que nous portons à la qualité des espaces éveille notre curiosité et ces années d’enseignement nous ont permis de développer une certaine expérience de l’exploration et un regard plus avisé. Nous ne devons pas perdre de vue l’idée première qui nous a poussé à suivre ces études passionnantes, ne surtout pas perdre le lien social, ne pas se laisser submerger par l’aspect parfois trop commercial ou politique de ce métier, qui peut vite nous dépasser. Il faut être capable, dès à présent, de développer son sens critique, ne pas hésiter à remettre en question l’ordre établi. L’objectif est d’ouvrir la réflexion sur une tendance architecturale actuelle qui tend vers une "architecture esthétique". La mouvance actuelle est pourtant axée sur des problématiques de durabilité, de pérennité, de recyclage, de respect de l’environnement et aussi du confort de

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l’utilisateur. C’est là le grand poncif de l’architecture contemporaine, l’idée qu’un bâtiment doit être "durable". La durabilité est l’excuse des architectes pour continuer à construire, mais tout cela est essentiellement cosmétique, dans une tourmente de l’esthétisation de l’architecture. L’architecture contemporaine est, par définition "non-durable", la cathédrale gothique, taillée à la main, dans la pierre et dont la construction a nécessité des siècles, est durable. Elle est encore debout, remplissant les fonctions auxquelles elle était initialement destinée, et peut-être est-ce même l’essentiel : toujours belle. La conception des bâtiments de nos jours, ne convient même pas à l’époque actuelle, ils sont les vestiges de méthodes de travail héritées de la première moitié du 20ème siècle, avant l’avènement de l’informatique. Nous continuons cependant à les construire, comme s’ils incarnaient l’unique façon de travailler et le seul avenir que nous soyons capable d’imaginer. La durabilité est à trouver dans la pérennité qui réside dans la valeur, l’aspect et la flexibilité d’emploi. Au lieu de cela nous construisons des architectures à usage unique, instantanément obsolètes et tellement esthétique que nous ne voyons que l’image et le reflet de l’architecte et plus l’espace. Nous pouvons donc constater que certains projets sont pensés comme de véritable œuvre d’art, sculptures, dont l’esthétique et clairement affichée, on peut alors parler d’idéalité formelle. Il y a donc dans certaines interventions architecturales une volonté d’esthétiser l’architecture. Comment définir la beauté ou encore l’esthétique en architecture aujourd’hui ? Cette question anodine laisse la plupart des praticiens sans voix, comme si elle générait une angoisse indéfinissable. Il semble pourtant que si le beau en architecture fait problème aujourd’hui c’est à cause d’une inadéquation manifeste entre les critères utilisés pour le reconnaître et ceux qui lui permettent de se manifester.

structure

fonction

forme

Figure 19 Schéma triptyque de l'architecture contemporaine. Figure 18 Guy Catling, 29, collage.

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2 / le musée comme œuvre architecturale Le musée contemporain est lié à des archétypes antiques, l’anthropologie de la muséalité se réfère initialement aux tombes et aux temples qui étaient des lieux de thésaurisation et de sacralisation, comme le musée va le devenir pour divers objets d’art ou non. L’évolution dans la temporalité aux travers des époques, mais aussi aux travers des territoires et des cultures impacte sur la conception du musée au fil du temps ; c’est pourquoi le musée a une histoire complexe. Cette invention est une manière de renouer avec le passé et donc les théories qui ont fondé l’architecture telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le mot "musée" a reçu depuis un sens plus étendu et on l’applique aujourd’hui à tout endroit où sont renfermées les choses qui ont un rapport immédiat ou non avec les arts, les muses et l’histoire. C’est un lieu polysémique. Cet espace est étroitement lié à de nombreux sujets : l’art, la mémoire, le patrimoine, la culture, l’économie, la politique, ils font de lui un lieu interroger et réinterroger par les multiples acteurs qui décryptent nos sociétés. Le musée accueille l’art et devient lui même un art avec le temps, c’est pourquoi j’ai choisi ce programme afin de développer mon sujet. Car comme on le comprendra cette intention à la base institutionnelle deviendra par la suite contemporaine en se voulant être elle aussi une œuvre. Le musée par sa transmission culturelle primaire en son contenu deviendra une transmission architecturale par son contenant. Comment l’architecture du lieu a t-elle donc changé avec l’évolution et les attentes des sociétés ?

2.1 / La genèse du musée. 2.1.1 L’ANTIQUITE ET LE MOYEN AGE : des muses aux musées. Au sens étymologique et classique du terme, le musée se réfère à une petite colline, le temple des muses, divinités des arts. Il avait deux volontés, conserver le patrimoine de la civilisation et l’école des sciences et des humanités. La généalogie du musée évoque le témoignage de Pausanias, géographe et voyageur de l’antiquité qui exprime dans un de ces livres sur la Description de la Grèce, le musée grâce au portique sur l’Agora d’Athènes. C’est un musée en plein air ainsi que la pinacothèque des Propylées sur l’Acropole. Pausanias est d’après l’historien Paul Veyne, « l'égal d'un philologue ou d'un archéologue allemand de la grande époque ; pour décrire les monuments et raconter l'histoire des différentes contrées de la Grèce, il a fouillé les bibliothèques, a beaucoup voyagé, a tout vu de ses

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yeux. (...) La précision des indications et l'ampleur de l'information surprennent, ainsi que la sûreté du coup d'œil. 50». Le terme « musée » vient donc du grec museion, qui désigne le premier musée construit à Alexandrie, « capitale de la mémoire », vers 280 av. J.-C. par Ptolémée Ier Sôter, fondateur de la Dynastie grecque des Lagides en Égypte. C’est une institution regroupant bibliothèque, collection et centre académique, qui hébergeait les érudits se consacrant uniquement à l’étude. Philosophes péripatéticiens51, philologues, mathématiciens, astronomes, géographes, poètes peuvent utiliser ce lieu ainsi que les jardins botaniques et zoologiques, l'observatoire astronomique ou le laboratoire d'anatomie. Lieu de recherche et d'étude, le museion reprend les préceptes du Lycée d'Aristote en Grèce et fera d'Alexandrie le principal foyer intellectuel de l'Époque hellénistique. Mais avec l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, le monument museion disparaît et avec lui, les pratiques qu'il abrite. Architecturalement parlant, il est difficile d’en trouver une image véritable, puisqu’il n’en reste que les vestiges. Mais certains plus tard, se sont essayés à l’imaginer avec les ruines restantes et illustrent un lieu à la fois sombre et condensé à l’intérieur mais digne d’une architecture antique monumentale et prestigieuse à l’extérieur, c’était un temple du savoir et de la culture.

Figure 21 Dessin de la bibliothèque d'Alexandrie, Egypte.

Figure 20 O. Von Corven, La magnifique bibliothèque d'Alexandrie, 19ème siècle, basé sur des évidences archéologiques.

Au Moyen-Age on voit apparaître le collectionnisme, un engouement pour la collection de divers objets de toute provenance sous forme de trouvailles, découvertes, offrandes, hommages ou butins. Il y a un réel intérêt pour les vestiges de l’antiquité romaine. Cette chasse à l’antique, génère

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In Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983. L’école péripatéticienne, est l'école philosophique fondée par Aristote en -335 au Lycée d'Athènes. Elle tire son nom du grec ancien peripatetikós « qui aime se promener ». Aristote enseignait au Lycée d'Athènes en marchant avec ses élèves.

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une compétition entre les riches familles, et elles disposent leurs acquisitions dans leurs palais ou leurs jardins. A cette époque seul les privilégiés bénéficiaient de cette collection. Les plus belles sculptures, qui incarnent la supériorité artistique de la civilisation antique, sont appelées à devenir, les modèles du Beau. La valeur d’une pièce de collection tient désormais à sa qualité esthétique et non plus à son ancienneté.

Entre 1537 et 1543, Paolo Giovio historien humaniste, qui pendant toute sa vie rassemblaient pour créer une collection, construit près de Côme une maison spécialement destinée à abriter l’ensemble de ses collections. Il y consacre des pièces selon les divinités romaines, l’une étant spécialement dédiée aux Muses et à Apollon qu’il appellera "musée". C’est un moment significatif dans l’histoire du musée, bien que les humanistes utilisaient déjà le mot pour désigner le lieu consacré à l’étude et aux discussions savantes en souvenir d’Alexandrie. Elle pourrait être qualifié comme l’ancêtre du musée tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Figure 22 Ambito Lombardo, Veduta della villa "Il Museo" di Paolo Giovio a Como, 147 x 104 cm, huile sur toile, 1619.

Le musée fut ensuite démoli en 1615 pour être remplacé par un nouveau bâtiment, l’actuelle Villa Gallia. La peinture datant de 1619, donc après sa démolition, montre le désir évident de garder en mémoire ce monument extraordinaire et projet culturel, inaugurant un nouveau lieu. 37


2.1.2 LA RENAISSANCE : collectionner, étudier et se cultiver.

Pendant la renaissance période où l’on redécouvre donc l’antiquité, on remarque l’apparition

de deux lieux significatifs à l’émergence du musée : le cabinet de curiosités pour l’Europe du Nord-Est et la galerie pour l’Europe du Sud-Ouest. Leurs formes architecturales sont différentes.

Figure 23 Robert Nanteuil, Jules Mazarin et la bibliothèque Mazarine, gravure, v.1659. Cette gravure permet de voir les collections du cardinal dans la "Galerie Mazarine" : bustes en porthyre, cabinets en bois précieux, tableaux donc le David avec la tête de Goliath de Guido Reni (1605).

Figure 24 Cabinet de curiosité du danois Ole Worm, gravure, 1655.

Comme on peut le voir sur l’image, le cabinet de curiosité est une pièce qui rassemble de nouveaux types d’objets : curiosités naturelles ou artificielles, raretés exotiques, fossiles, coraux, fleurs ou fruits venus des mondes lointains, animaux monstrueux ou fabuleux, objets virtuoses d’orfèvrerie ou de joaillerie, pièces ethnographiques ramenées par les voyageurs, toutes les bizarreries de la création y sont réunies. On voit aussi apparaitre la notion d’antiquaire. Le cabinet de curiosité est une chambre d’art et de merveilles et les collectionneurs à y créer un microcosme, un lieu d’émerveillement, de contemplation, de méditation. L’organisation et le référencement deviennent nécessaires à l’agencement de l’espace qui est souvent de petite taille, il y a même l’apparition de catalogues. Les cabinets de curiosités étaient soit dépendant aux grandes demeures, châteaux, en occupant une pièce comme dans le château des Gonzague courant 1490 où un studiolo était spécialement utilisé pour les trouvailles. A Munich et à Prague, ce sont des bâtiments autonomes qui sont construits pour accueillir les curiosités. Albert V fait élever à partir de 1563 une construction carrée, formée de quatre galeries à arcades, organisées autour d’un cloitre central, formule qui deviendra typique d’un musée d’art. De plus le bâtiment prend place dans un ensemble grandiose, qui comprend également les salles du "trésor", une bibliothèque et le fameux Antiquarium, qui abrite la collection de statues romaines. Les collections deviennent encyclopédiques et ne sont plus seulement constituées d’œuvre d’art. 38


Le mot "musée" conserve l'idée de lieux habités par les Muses, mais sa signification renait et se précise dans la seconde moitié du 16ème siècle, particulièrement en Italie. Les princes italiens sont les premiers à envisager l'idée d'une collection de tableaux et de sculptures, rassemblés, offerts aux regards des voyageurs et des artistes à l'intérieur des cours et des jardins, puis dans les galeries. C’est un phénomène social qui se diffuse largement en Europe. Ils associent les notions d'œuvre d'art, de collection et de public, préfigurant ainsi le concept de "musée des arts", à savoir que malheureusement ces lieux ne seront accessibles au grand public qu’à partir de la fin du 17ème siècle. Les types de collectionneurs se multiplient, il n’y a plus seulement des figures de noblesses mais aussi des amateurs. L’architecture du lieu change incontestablement aussi. Le prestige des raretés fait de la collection un moyen de reconnaissance sociale, on publie des guides et des itinéraires, qui rendent les villes attractives, le musée apporte donc une nouvelle dimension tant en architecture que pour l’urbanisme.

2.1.3 LE GRAND SIECLE ET LES LUMIERES : diffuser. Au moment où commencent à s’ouvrir des musées publics, la tradition de la curiosité est de plus en plus vivement critiquée : d’abord au nom de la vanité de l’accumulation de choses terrestres, plus tard au nom de la science expérimentale et de son utilité sociale. C’est le 21 mai 1683 que le roi d’Angleterre Jacques II inaugure un nouveau bâtiment construit à proximité du Sheldonian Theater, le "Musée ashmoléen52, école d’histoire naturelle et laboratoire de chimie", c’est l’aboutissement d’un long processus. Le vice-chancelier de l’université d’Oxford écrit « Le musée est une nouvelle bibliothèque, qui peut contenir les parties les plus remarquables du grand livre de la Nature, et rivaliser ainsi avec la collection Bodléienne de manuscrits et d’imprimés. ». Ce nouvel établissement consacre l’expérience sensible comme source essentielle de connaissance et d’instruction, et le musée est la forme organisée de l’expérience, d’où la présence d’une école et d’un laboratoire. Si une institution comme l’Université prend le relais d’un collectionneur, ce n’est pas seulement pour assurer la conservation des collections, c’est aussi pour les rendre accessibles au public. Dès sa naissance, l’Ashmolean Museum est assez largement fréquenté et les visiteurs ne sont pas que des savants. La diffusion du savoir apparaît donc à cette époque comme une responsabilité publique et les établissements prennent une toute nouvelle échelle et importance dans le tissu urbain afin de répondre à l’afflux des visiteurs. Des souverains se joignent au mouvement, persuadés que la communication des connaissances est la condition du progrès, "le peuple doit voir et s’instruire" d’après Pierre Le Grand 53. 52

Elias Ashmole, 1617-1692, antiquaire, homme politique, astrologue, homme politique et d’argent avait décidé de faire don de sa collection à son ancienne université, celle d’Oxford. 53 Pierre Le grand, 1682-1725, tsar russe, fait cette annonce lors de l’ouverture à Saint-Pétersbourg d’un cabinet public à sa demande.

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Le musée et la collection publique, tels que nous les connaissons aujourd'hui, sont donc du 18ème siècle, et peut être considérés comme le fruit de la philosophie des Lumières. C’est le 7 juin 1753 qu’est officiellement signé l’acte de fondation du British Museum « considérant que tous les arts et les sciences ont entre eux des liens », il est défini comme un dépôt général, pour l’usage public et pour la postérité. À Paris, le palais du Louvre est choisi pour devenir un musée en 1793, à la suite d'une première présentation des tableaux du roi au palais du Luxembourg de 1750 à 1779. Si les choses se sont accélérées en France aux cours des années 1770, c’est que les musées publics formés à partir de collections princières se multiplient en Europe au même moment. En France, c'est la Révolution qui met véritablement en place les premiers musées modernes, pour mettre à la disposition des citoyens les œuvres d'art mais surtout permettre la sauvegarde des richesses, en créant un espace neutre, qui fasse oublier leur signification religieuse, monarchique ou féodale. Lieu officiel d'exposition de l'art, qui occupe dès lors une place centrale dans la vie de la cité. Le musée fait aussi son apparition dans les concours d’architecture, il devient un réel enjeu politique, stratégique et urbanistique. La composition architecturale reste cependant axiale et symétrique. Cette Institution publique, vise à rendre accessible à tous le patrimoine collectif de la Nation, l'idée du beau et du savoir à travers une sélection d'objets. Le musée montre l'art, mais aussi la science, la technique, l'histoire, toutes les nouvelles disciplines porteuses de progrès et de modernité. Avec le temps et les acquisitions, le musée se spécialise : musées d'archéologie, d'art, des beaux-arts, des arts décoratifs, d'histoire, de sciences ou d'histoire naturelle, des techniques et enfin d'ethnologie.

2.1.4 L’AGE D’OR DES MUSEES : entre art et industrie, vers une modernité.

L’exposition de "modèles" n’était pas seulement destinée à la formation des artistes. Face aux

progrès de l’industrialisation qui ruine les métiers traditionnels, les productions qui en sont issus sont vu comme la perfection. L’élan vient d’Angleterre, au lendemain de la première exposition universelle de Londres en 1851. A sa suite on voit apparaître les bâtiments qu’on appelle "les bouilloires", structure de fonte et de verre, ouvertement utilitaire, aux antipodes des "temples de l’art". A travers d’innombrables initiatives, les musées prennent part aux efforts d’instruction et de vulgarisation qui sont des tournants à la fois pour l’art et pour le musée, pour la fin du 19ème siècle. Passéisme, académisme, confusion muséographique : c’est ensuite entre les deux guerres, que le musée fait l’objet de critiques virulentes et de remises en cause radicales.

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Figure 25 Intérieur du South Kensington Museum : Ouvert au public mercredi dernier, gravure sur bois, illustration dans le Times, 27 juin 1857.

Au cours de cette période, les pratiques muséographiques héritées du 19ème siècle sont profondément remises en cause. On admet de plus en plus difficilement l’entassement d’objet répétitif dans le musée, l’accumulation d’œuvres sur le mur, les décors surchargés des salles. Sous l’influence d’une esthétique épurée en matière d’aménagement intérieur, on cherche à mettre en valeur l’objet lui même. Les musées restent cependant sous l’image du « musée-temple » avec ces déclinaisons stylistiques, typologies encré dans le 19ème siècle.

Sans refaire toute l’histoire des musées dans le monde, on comprend que celui-ci a évolué en suivant des étapes et les époques. On comprendra dès le départ que cette nouvelle institution se veut hégémonique et que la mondialisation impacte aussi le monde des musées. Pourtant il y a bien d’autres lieux qui prétendent à la volonté de restituer la mémoire comme la ville, la rue, le théâtre, la bibliothèque, ce sont des dispositifs classiques de la mémoire. Mais l’art florissant, devient un réel intérêt commun, mais aussi un investissement. Le musée prend une toute autre direction, avec une série impressionnante de constructions, extensions, rénovations, réhabilitations, des musées dans les grandes métropoles florissants et mobilisant les architectes les plus réputés. Le musée est voué à devenir un lieu d’exposition du monde dans sa contemporanéité. Il expose des œuvres d’arts et des artefacts mais il ne se contente plus seulement de cela. Il est désormais voué à s’exposer lui même, la prise en compte du musée en tant qu’œuvre exposée technique ou encore esthétique, dans une société qui est bouleversé et qui cherche à s’uniformiser.

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2.2 / Une nouvelle ère muséale. « Le Musée transforme l'œuvre en objet. », André Malraux54.

En Europe, après les deux guerres, les musées sont dans une période de reconstruction et donc d’amélioration. C’est une période de rupture avec le 19ème siècle, le musée semble pouvoir alors contribuer à l’émergence d’un intérêt commun au sein de l’espace public. C’est une institution qui devient centrale et incontestée de la culture occidentale et qui subit une forte croissance depuis 1950 environ avec la fascination pour le musée moderne, que l’investissement soit public ou privée. C’est alors la fin de l’historicisme, la physionomie des musées est alors profondément modifiée. Cependant, au cours des années 30 quelques architectes avaient déjà entamé une réflexion pionnière, projet resté au stade théorique mais qui remettait radicalement en cause les principes du musée traditionnel. Le Corbusier développa entre 1930 et 1939, le musée à croissance illimitée qui était un projet à la fois radical et le réduisant à sa seule fonction d’exposition. Le Corbusier propose donc une forme spirale carré, une structure modulaire, pouvant s’étendre de manière infini et pouvant s’additionner à d’autres pour former un espace continu, une nouvelle spatialité intérieure et une nouvelle forme extérieure. Le musée devenait ainsi une "machine à exposer". En 1960, l’architecte et théoricien du modernisme Philip C. Johnson55 a écrit « Lettre au directeur du Musée », exposant les paradoxes de la modernité architecturale. La tâche du musée n’est plus seulement de conserver mais de satisfaire le visiteur. C’est pourquoi il identifie deux problématiques essentielles pour lui, celle de l’éclairage et de la flexibilité de l’espace, mais aussi la question du hall qui pour lui doit redevenir monumental.

Figure 27 Le Corbusier, Le musée à croissance illimitée, 1934.

Figure 26 Mies van der Rohe, Plan du Musée pour une petite ville. Perspective intérieure, 1941-1943 (102,9 cm x 77,5 cm), collage de photographies et de reproductions photographiques de tableaux sur carton. Archive Mies van der Rohe.

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In La métamorphose des Dieux, André Malraux, 1957. Philip Cortelyou Johnson (1906-2005), architecte américain, du style international au déconstructivisme, en passant par le postmodernisme, sa longue carrière illustre les mutations et les contradictions de l'histoire de l'architecture aux États-Unis depuis les années 1930. 55

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On pourrait parler aussi du projet de Mies van der Rohe le Musée pour une petite ville, en 1943 qui proposait lui aussi une solution encore plus fluide. Une grande boite de verre, où les murs ne seraient porteurs que des œuvres et dans l’espace flotterait les sculptures, l’espace devenant abstrait pour rendre concret l’art, caractérisé par la transparence et donc une ouverture sur l’extérieur et le paysage, dialoguant directement entre art et nature, et art et Homme. Les projets de Le Corbusier et de Mies, par leur esthétique nue, pure et géométrique mais aussi leur physionomie extérieure, rompaient totalement avec la forme de monumentalité classique, ce qui ne manqua pas de créer des discordes comme l’exprime Paul Cret : « le musée, dans la ville, est l’un des rares édifices où les gens vont chercher une émotion artistique, et il manquerait son but s’il ne contribuait pas à la susciter : ce qui ne peut s’obtenir qu’à travers l’harmonie de l’architecture, de la peinture, de la sculpture et des décorations. En un mot, l’architecture, dans le musée, ne peut pas jouer le rôle de parent pauvre. »56. Ces nouveaux principes de conception moderne apparurent majoritairement aux Etats-Unis. La construction du Museum of Modern Art (MoMA) de New York réalisé par Goodwin et Durell en 1929, dont l’aspect rappelé un immeuble de bureaux est sans doute la première icône de l’architecture muséale du 20ème siècle et l’exemple parfait du musée moderne. C’est ensuite le Guggenheim de New York réalisé par Frank Lloyd Wright ouvert en 1959 qui confirme ce tournant. Il se fait remarquer en tant qu’œuvre d’art, indépendamment des œuvres exposées, en raison de sa structure hélicoïdale et de sa rampe en colimaçon sur cinq niveaux autour d’un spectaculaire vide central, comme un chemin vers une société nouvelle, spirituellement éclairée par l’art et la culture. Mais le principal reproche que l’on porta sur ce musée est sur la trop grande "présence" de l’architecture, qui était à elle-même son propre spectacle et éclipsait les œuvres de la collection. L’œuvre de Wright, magnifique mais trop forte, trop singulière et, qui plus est, partiellement inadaptée à sa fonction, n’eut donc pas une totale acceptation57.

Figure 28 Guggenheim Museum, F. L. Wright, 1959, photo de Harry Harris. 56 57

Paul Philippe Cret, L’architecture des musées en tant que plastique, Mouseion, Paris, 1934, Vol 25-26, P. 9-10. Critique faite par Johnson.

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Il y a alors de nouvelles conceptions muséales, qui sont emblématiques de la postmodernité mais aussi à cause ou grâce à la consommation touristique, l’économie du divertissement et la culture de masse. L’époque où le contenu du musée l’emportait sur le contenant, prend fin lors de ces décennies où le musée avec son architecture elle-même, devient l’objet d’une attention esthétique particulière, un but en soi. C’est donc Le Corbusier et Mies qui ouvrent cette tendance où le musée devient une simple architecture dont la finalité résulte dans le face-à-face du public et du bâtiment. Comme l’explique Joan Ockman dans le livre Starchitectures(s), au début du 20ème siècle, la profession d’architecte était déjà décrite comme "mégalomane" par Frank Lloyd Wright. Pourtant après 1970, où les projets utopiques des architectes modernes échouent et dans le nouveau paradigme des post-modernistes, la notion de démesure passe de mode. Aldo Rossi s’interrogeait alors en 1981 dans son autobiographie58, « A quoi aurais-je pu aspirer dans mon métier, vu que la possibilité de réaliser de grandes choses était forclose ? ». Les nouveaux projets devaient être des interventions à la fois modestes où les ambitions étaient revues à la baisse. Pourtant dans les année 1990 l’audace architecturale est acclamée par l’ouvrage de Rem Koolhaas S,M,L,XL, où sa vision était destinée à donner un contenu nouveau à l’architecture, lui permettant de colmater le vide idéologique ouvert par la crise de l’appareil stalinien, d’une part, et de l’autre, de répondre en Europe à l’expansion de nouveaux rapports entre des classes sociales aux contours flous et mobiles, à toute les échelles. On ne veut pas retourner dans le visionnaire et le modernisme, même si dans la 1ère moitié du 20ème siècle avec des architectes comme Wright, Le Corbusier, Gropius ou encore Mies van der Rohe, proposaient une toute nouvelle vision de l’architecture, avec des configurations voir même des reconfigurations radicales de l’environnement construit à partir de positions à la fois esthétiques et philosophiques. Ces volontés ont permis à ces architectes une renommée manifeste mais surtout une notoriété, considérés comme des "maitres modernes" et non comme des célébrités. Reyner Banham59 en 1975, décrit ces architectes comme « les pères fondateurs ». Leurs constructions, qui créaient débats à l’époque et même encore maintenant, étaient cependant acceptées comme des chefs d’œuvre ou encore comme des monuments d’une nouvelle architecture et non comme des spectacles. Le centre Pompidou de Renzo Piano et de Richard Roger, construit en 1977, affirme ce processus d’esthétisation du musée : son allure déconstruite de raffinerie mettant en évidence les viscères de cet édifice a fait beaucoup parlé de lui. Ockman poursuit et déplore malheureusement que les bâtiments dont parlent les médias de nos jours appartiennent à la catégorie du spectacle voir même y ont été projeté dedans. Le musée Guggenheim

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Aldo Rossi, Autobiographie scientifique, Parenthèses, 2010. In Age of the masters,1975, Reyner Banham, 1922-1988, Historien de l’art et de l’architecture.

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de Frank Lloyd Wright est considéré comme étant l’ancêtre du Guggenheim de Frank Gehry à Bilbao. Mais malgré une certaine ressemblance, les postures architecturales entreprises sont radicalement différentes. Pour ce qui est de Wright il dessina son Gesamtkunstwerk, œuvre d’art totale, pour incarner sa volonté métaphysique dans la possibilité de « Construire pour la démocratie »60. La structure virtuose de Gehry ne propose pas un tel récit englobant. Celle-ci éblouit avec son enveloppe en titane et séduit le public, tel un accessoire de mode dans le tissu urbain le musée répond accessoirement aux exigences programmatiques d’un musée d’art. Wright était un individualiste égocentrique et un capitaliste romantique, mais on pourrait penser qu’il aurait trouvé fantaisistes et superficielles les acrobaties formelles de Gehry et aurait vu dans le mercantilisme décomplexé de ce dernier une profanation de la mission éthique de l’architecte. Gehry assume cependant clairement dans son projet les prérogatives de l’artiste-architecte et se moque bien des postures

Figure 29 Photographie

souveraines ou encore du purisme idéologique dans la conception de Guggenheim Bilbao, Espagne, Marta Eva LLamera l’architecture. En 1997 ouvrait donc son musée Guggenheim de Bilbao, provocant une tempête dans le monde de la culture. Installé sur un ancien centre de construction navale, il révolutionne la ville et la fait connaître du monde entier en proposant une plateforme internationale du monde des arts. C’est avec un essor de l’informatique et du "Computer-aided design" (CAD, conception assistée par ordinateur – CAO) que le bâtiment est construit et ne fait pas l’unanimité chez tous. Mais l’architecture se porte bien et les architectes interviennent sur le milieu urbain, même grâce à un seul et unique bâtiment. De toute évidence, l’architecture et le bâtiment de Frank Gehry étaient une bonne nouvelle pour les architectes, c’était l’heure du nouveau.

Le public non avisé à la sensibilité et l’impact de l’architecture sur la société ne verront pas ces différences essentielles, ils ne verront que le reflet égocentrique d’un architecte ou encore une curiosité posée, là. En 1998, un an après l’ouverture du musée de Bilbao, Thomas Krens, à l’époque directeur du Guggenheim de Wright, a réalisé une exposition qui fit exploser les records de fréquentation du musée, c’est à la suite de ça que bon nombre d’autres monuments iconiques de l’architecture moderne ont été transformés en destinations touristiques voir même commerciales. Malgré une architecture qui veuille rester élitiste et technocratique pendant une bonne partie du 20ème siècle, peu soucieuse de faire les premières pages, l’architecture prend une place au devant de la scène, événement nommé à partir des années 1940 comme « l’industrie de la culture » par les théoriciens de l’école de Francfort. 60

Titre du livre de Bruce Brooks Pfeiffer, Frank Lloyd Wright 1867-1959 - Construire pour la démocratie, Taschen, 2004.

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Bien que le succès de Gehry à Bilbao soit sans équivoque, il révèle un phénomène de starification de l’architecture au grand public, transformant le maitre en célébrité et le monument en spectacle. Ce changement important de statut et de perception est le résultat d’une transformation que les théoriciens de Francfort émigrants aux Etats-Unis, décrivent comme une transition d’une société de production vers une société de consommation. On peut justifier ce changement avec l’essai de Leo Lowenthal, The triumph of Mass Idols, qui propose une étude empirique sur les magazines populaires parus en 1944, et constate qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale les anciens héros culturels de la société américaine – hommes d’affaires, industriel, scientifiques de renom – avaient été remplacés dans l’imaginaire collectif par les "idoles de la consommation", athlètes, artistes, star de cinéma. L’architecte allait lui aussi faire parti de cette nouvelle catégorie mais balançant être les deux systèmes, production-consommation, avec leur rôle de créateur de tendances et d’images et créateur d’espaces. Les architectes Peter et Alison Smithson, connu dans les années 50 pour leur courant "nouveau brutalisme", défendent le critère éthique et non plus seulement esthétique dans la conception architecturale. Mais étonnamment ils publient un manifeste, intitulé But Today We Collect Ads (Mais aujourd’hui, on collectionne les pubs) qui explique que la vie ordinaire reçoit des impulsions puissantes d'une nouvelle source. Là où il y a trente ans les architectes trouvés leurs inspirations dans le domaine des techniques d'arts et industriels, aujourd'hui nous nous sommes éloignés de notre rôle traditionnel par le nouveau phénomène des arts populaires : la production de publicité, c’est l'établissement de notre model entier, la morale, les objectifs et les aspirations, et le niveau de vie qui en sont touchés. Nous désirons d'une manière ou d'une autre obtenir la mesure de cette intervention si nous voulons faire face à ses impulsions puissantes et exister par la nôtre. Les questions de fonctionnalité du musée sont mises de côté pour une ambition sociale, leur parti pris architectural, se voulait pensé comme un catalyseur et un outil de médiation qui donne un idéal à l’accès démocratique de la culture et une intégration dans la vie de la ville, finalement le plus souvent justifié par un parvis ou une place devant. Francis Rambert, précise le qualificatif de chef-d'œuvre appliqué aux édifices d’architecture dans une interview61, en disant : « Notre époque se cherche des repères et se donne des icones. Le World Trade Center était ainsi une icône du capitalisme. Etait-ce pour autant un chef-d’œuvre ? Pour la ville de New York, probablement oui. Pour l'architecture, peut-être pas. De même, à Dubaï, la tour Burj Khalifa, qui détient le record du bâtiment le plus haut du monde, s'inscrit dans une course à la performance. Si c'est un chef-d'œuvre, il est technologique, pas architectural. S'il existe ainsi des bâtiments cultes comme il y a des livres ou des films cultes, ils ne sont pas pour autant des chefs-d'œuvre. ».

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Francis Rambert, directeur de l’Institut française d’architecture, interview pour lefigaro.fr, 02 Mai 2010.

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2.3 / Les déboires de la conception architecturale contemporaine. « Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme. », André Malraux62.

Le débat « éthique versus esthétique » ne serait plus d’actualité pour les Smithson, puisque l’architecte ne se contente plus seulement de concevoir de l’architecture mais devient une image de marque et de consommation avec des produits dérivés à son effigie. Une nouvelle ère muséale est alors marquée, celle du logo et du "branding", puisque désormais le message passe par le "packaging" et non par l’art exposé en lui même. Les musées se veulent attractifs et plus seulement institutionnels, ils possèdent donc une nouvelle dimension : médiatique. Le terme de "starchitecture" est fréquemment utilisé dans la presse depuis la fin des années 2000 : il se réfère aux créations architecturales des architectes très médiatiques à l’échelle du monde. Les Prix Pritzker, bien entendu, mais aussi, les agences à forte capacité médiatique, souvent lauréates des grands concours internationaux. Ainsi les nouveaux musées, comme les extensions des vieux musées, les musées d’art classique, d’art contemporain, les musées de sociétés ou encore les transformations de friches industrielles, sont l’œuvre d’un petit groupe de "grands couturiers" ou de "grands joailliers" de l’architecture : Ieoh Ming Pei, Frank Gehry, Norman Foster, Renzo Piano, Jean Nouvel, Herzog et de Meuron, Zaha Hadid, Richard Meier, Rudy Ricciotti, Coop Himmelb(l)au et le cabinet de SANAA entre autres. Ces "starchitectes" mondialement connus ont tendance à édifier des musées qui peuvent apparaître comme des icones de multinationales de la culture, pour une industrie culturel globalisée. Cependant certains architectes rentrent dans cette tendance contre leurs volontés alors que d’autres ont consciences d’être des signatures. La dérive vers une trop rapide appréhension de leurs œuvres comme une émanation de leur égo alimente parfois des critiques triviales, comme l’explique Odile Decq « Je n’aime pas tous les débats sur le star-système et la starchitecture parce que poser la question de la star architecture c’est poser la question de l’architecte, de son égo qui devient dominant par rapport au bâtiment »63. Sklair 64 définit l’architecture iconique comme la combinaison de symbolisme/esthétique opérant sur trois échelles différentes : la localité (la ville), le national et le global. Ces édifices emblématiques sont conçus tout autant pour servir la gloire de leurs concepteurs et/ou de leurs commanditaires que pour abriter une collection, mais surtout dans l’espoir de trouver une originalité singulière. Cette autonomie esthétique de la "forme-musée", engendre un certain nombre de malentendus qui « réussi dans la

62

In Le musée imaginaire, André Malraux, 1947. In « La nouvelle architecture muséale, vecteur d’iconicité », Conférence Architecture iconique. Sens, impact, images, à la cité internationale universitaire de Paris, 19 Mai 2010. 64 Leslie Sklair, professeur de sociologie, écrit de nombreux ouvrages sur l’architecture iconique et la globalisation capitaliste. 63

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marchandisation subtile de toutes positions critiques et sceptiques possibles envers l’environnement construit […]. Ils ont converti "la théorie" elle-même en un dispositif de vente et de branding, superposé sur la demande insistante de favoriser "une classe créative" comme partie prenante d’une stratégie de renouvellement urbain, liée en fin de compte à la progression du développement immobilier »65.

Figure 30 Klaus, Caricature de Rem Koolhaas, 2009.

C’est avec et dans ces "musées-écrins" que se fabriquent de nouvelles formes de la marchandise. Le nouveau modèle du musée, dans sa généralité, ne se contente plus en effet de patrimonialiser l’héritage artistique qu’ont légué les siècles passés. Il élabore le monde de la marchandise post-moderne, envisagé comme temple du fétichisme. Théorisé par le Président de Brosses66, le fétichisme a servi à caractériser des systèmes de croyance distincts et antérieurs aux grandes religions universalistes et, à ce titre, il peut être rapproché de l’ "objet partiel" de Freud. Le terme de "fétichisme" a été utilisé pour caractériser la nature de la marchandise dans le système capitaliste, en tant que substance, dissimulant ce qui y est contenu, à savoir la force de travail nécessaire à sa confection. La marchandise capitaliste est donc pour Marx détentrice d’un pouvoir magico-religieux et c’est ce qui donne à la science économique son allure technique de divinisation. Le musée contemporain envisagé à la fois comme contenant et comme contenu donne donc naissance à un objet matériel et conceptuel hybride : le temple de la marchandise et la marchandise comme idole. La fusion de l’architecture, de l’industrie du luxe et de l’art contemporain engendre un nouvel "avatar" de la marchandise, considérée non pas comme une production de masse mais comme un 65

Miles Glendinning, 2005. Charles de Brosses, 1709-1777, historien, linguiste écrivain français. Du culte des dieux Fétiches,1760, dans cet ouvrage, de Brosses crée le mot fétichisme.

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objet rare. Désormais ce n’est plus la force de travail sous son aspect quantitatif qui est montrée mais son caractère d’exceptionnalité.

Produire de la marchandise rare, indépendante de son cout de production ou de la force de travail qui a été investie en elle, devient le but ultime de l’érection de ces "musées-écrins". Tout d’abord, la promotion de la diversité culturelle ou plutôt du "dialogue des cultures" puisque tous ces "muséesécrins" sont également des musées de société, ou plutôt aucun musée ne saurait désormais échapper à cette étiquette. En second lieu, la promotion de la ville au sein de laquelle est édifiée ce "muséeécrin", puisque ces constructions n’ont de sens que dans le cadre de la compétition que se livrent, dans un cadre national, européen ou mondial, un certain nombre de villes sur le marché du tourisme. La ville muséifiée devient à son tour une sorte d’écrin qui vise notamment à obtenir la distinction recherchée de capitale culturelle afin de maximiser son avantage en termes de destination touristique. Chaque ville muséifiée devient ainsi une sorte de plate-forme muséal artifié, destinée à accueillir une masse de touristes-consommateurs et produits de luxe. Figure 32 "Souriez, vous êtes en Espagne" Le musée Guggenheim Bilbao est l'icone mobilisée par la campagne de la presse pour représenter le pays.

Figure 31 "Le Louvre. Une marque comme les autres ?" Télérama assimile Le Louvre à une marque de polo. Elle est représentative des débats qui ont lieu en 2007, au moment de l'annonce du Louvre Abou Dhabi.

A travers les musées et les multiples plateformes muséales qui sont en voie de réalisation à travers le monde, c’est donc le capitalisme qui se magnifie et se met en scène. Le musée devient lui-même l’écrin de ce système économique, et en même temps l’écran qui masque l’aliénation dont sont victimes ses visiteurs. Musée de la marchandise ou marchandise muséifiée, le rôle de ces musées entraine un réel changement de l’œuvre architecturale. Loin du principe moderne « la forme suit la fonction »67, l’architecture du début du 21ème siècle considère les aspects formels inédits, les matériaux étonnants et la taille audacieuse comme des enjeux importants qui transcendent largement les enjeux

67

Louis Sullivan, 1856-1924, architecte américain, période du fonctionnalisme.

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fonctionnalistes. L’association entre un grand musée et un architecte de renommé internationale étant une stratégie urbaine, économique et l’utilisation du capital symbolique.

Le "musée-écrin" s’inscrit donc dans le cadre de la compétition à laquelle se livrent les grandes villes d’Europe et d’Amérique du Nord majoritairement, pour capter la nouvelle manne que constitue le tourisme planétaire. On assiste ainsi à la formation d’un maillage territorial de sanctuaires muséaux dont on espère qu’ils vont représenter autant de lieux de pèlerinage. Les nouveaux musées et les grandes expositions sont ainsi désormais soumis à une politique du chiffre, public ou privés et sont tous soumis à une obligation de résultat. Ce n’est plus l’intérêt proprement artistique et instructif de ce qui y est exposé qui prime mais le nombre de visiteurs et d’acheteurs fréquentant ces vastes centres commerciaux culturels que sont devenus les musées.

Figure 33 Cartographie des projets de Musée des "starchitectes".

Faire un sacrifice à la marchandise fétiche que constitue le "musée-écrin" devient ainsi un des actes de dévotion les plus significatifs du 21ème siècle, en même temps que l’un des actes des plus démobilisateurs. Coincés entre standardisation et starification, les architectes réaffirment difficilement leur vocation. L’intérêt commun devient une question difficile car « la vie était vécue par la plupart des gens comme un destin collectif, elle est aujourd’hui une histoire personnelle »68. Ce n’est pas une mince affaire que de donner forme à un programme et de l’inscrire dans un site, sachant qu’un bâtiment engage la vie, les pratiques, les sentiments … la question se pose alors sur la légitimité des formes architecturales et donc l’esthétique du projet, puisque c’est bien le plan que l’on habite, l’espace et non les façades. La détermination de l’esthétique est un processus cognitif subjectif dans lequel on attribue le prédicat "beau" ou "laid" à un objet, c’est instinctivement ce qui est dit pour une

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Alain Ehrenberg, L’individu incertain, 1995.

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architecture en tout premier 69. Ces jugements de goût doivent être indépendants de l’intérêt de celui qui l’émet. De plus ils doivent être subjectifs et donc ne pas être soumis à un concept. En outre ce jugement doit prétendre être universel et être nécessaire, c’est ce qu’ont essayé de faire les "archistars" pour le musée. Tout comme dans le domaine éthique ou théorique, Kant s’intéresse aux conditions de possibilités du jugement et met de côté la détermination matérielle du "Beau". Contrairement au "Beau", le "sublime" n’est pas lié à un objet ou à sa forme. Aussi bien le "Beau" que le "Sublime" plaisent par eux-mêmes. Mais le "sublime" ne produit pas de sentiment de plaisir mais d’admiration et de respect. Le "sublime" n’est pas possible dans les arts selon Kant, celui-ci étant tout au plus une mauvaise imitation du sublime de la nature.

Figure 34 Illustration de Niklos N. Bascop pour le magazine L'Architecture d'Aujourd'hui, n°415, Octobre 2016, p. 55. Dossier Musées, « Les nouveau temples de la culture. » Niklos est illustrateur et directeur artistique. Son travail questionne la place de l'individu au sein du groupe et s'attache à mettre en scène l'urbanisme des mégalopoles comme reflet des aspirations et contradictions du genre humain.

69

Questionnaire réalisé sur 45 personnes lambda dans la rue, du 22 au 29 décembre 2016, voir en annexe p.95.

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3 / Frank O. Gehry, l’architecte aux chefs d’oeuvres « J'étais un libéral engagé et j'aimais l'art, et ces deux faits réunis ont fait de moi un architecte. », Frank Gehry.

3.1 / L’histoire d’un architecte précurseur et de sa conception architecturale. Frank Gehry est un architecte internationalement connu, il est une référence dans la profession de l’architecture. Né en 1929 à Toronto et initialement formé dans l’ingénierie, il étudiera l’architecture et y sera diplômé à l’université de Californie du Sud en 1954. Il s’essayera ensuite à l’urbanisme à Harvard pendant un an et commença un grand voyage d’études à travers le monde. Il fut notamment de passage à Paris en 1961 chez André Remondet70. Pendant ce voyage il découvre la culture européenne en rencontrant peintres, sculpteurs, architectes et tout types d’artistes. Il opposera cette culture à l’architecture californienne qui est selon lui sans respect pour l’environnement.

A son retour en 1962, il fonde sa propre agence Frank O. Gehry & Associates Inc. à Santa Monica, c’est ensuite à la fin des années 60 qu’il commence à être connu. Le postmodernisme n’est plus d’actualité, il a perdu son intérêt car étant trop européen il était donc trop obsolète pour les Etats-Unis. Le groupe New York Five composé de cinq architectes new-yorkais : Peter Eisenman, Michael Graves, Charles Gwathmey, John Hejduk et Richard Meier, s’opposait clairement à cette tendance postmoderne mais était cependant considéré comme « un groupe d’intellectuels sophistiqués qui, préoccupés par la recherche d’une architecture abstraite et n’ayant d’autre souci que de trouver un sens à l’expression de leur propre langage, avait oublié la profonde sagesse de l’architecture attachée à la réalité qui caractérisait l’architecture américaine, et qui avait pour emblèmes le bon sens et le pragmatisme. »71 Gehry a ouvert la voie la plus large et la plus nette dans la culture architectonique des années 70, pour ensuite devenir très influent dans les années 80. Il rompt totalement avec l’historicisme et le postmodernisme architectural. On le considère alors comme un pionnier, un homme libre, proposant une nouvelle architecture, où la population américaine se reconnaît dans son pragmatisme et son immédiateté.

Sa ville, Los Angeles qui n’est certes pas sa ville natale, a un rapport aux flux, à la circulation, à l’automobile et donc à la mobilité, « si dans les villes traditionnelles, la continuité réside dans ce qui

70 71

André Remondet, 1908-1998, architecte français remportant le premier grand Prix de Rome en 1936. Rafael Moneo, Intranquilité théorique et stratégie du projet dans l’œuvre de huit architectes contemporains, parenthèses, 2013, p. 162.

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est construit, à Los Angeles, elle est fondée sur le mouvement »72. Los Angeles est en perpétuel mouvement même ce qui y est construit, où la diversité des habitants est affichée par le foisonnement de maisons unifamiliales toutes différentes les unes des autres et les autoroutes dominent le paysage. On peut alors parler de pluralisme architectural. Cette pluralité est confirmée par une volonté individuelle, qui à travers leur domicile exprime « l’esthétique personnelle et privée des citoyens ainsi que le refus des restrictions formelles qui conduisent à un style unique, aspiration ultime des cultures œcuméniques. »73. Malgré cette volonté on peut aussi parler de l’importance de l’éphémère voir même du périssable, du volatile dans cette ville, car en effet la notion d’obsolescence n’est pas étrangère à l’architecture, qui incite la consommation plus qu’à une vision téléologique du monde. On peut alors parler de la « nonconvention », qui insiste sur le changement, la transformation, le perpétuelle re-questionnement, où le terme de référence n’existe pas. Il n’y a pas de contexte, il n’y a donc pas d’architecture le consolidant, il n’y a rien à consolider à Los Angeles. Car consolider reviendrait à admettre une valeur à la permanence en contradiction avec le changement, la mobilité et l’instable de cette ville.

L’intervention de Frank Gehry à Los Angeles s’est d’abord faite par son acceptation, en

respectant et maintenant sa structure mais n’a rien à voir avec du camouflage ou avec des procédés contextualistes. « Etre contextuel à Los Angeles c’est ignorer le contexte »74, car on construit "comme" et non "dans" Los Angeles. C’est alors que l’architecte ne se sent pas contraint par les circonstances, pour lui les préexistences environnementales n’existent pas. Il travaillera sa façon de faire, une procédure architecturale, mais jamais un environnement ou un contexte précis. Il construit pour un futur sans contrôle et sans préjugés, d’où l’absence d’intérêt pour la composition. Pour lui la forme n’est pas quelque chose de fermé ou encore de parfait. Frank Gehry se détache de l’idéal platonicien, chose que très peu d’architectes arrivent à faire, « un bâtiment se comprend comme une évolution dans le temps à partir de la première rencontre c’est un dialogue entre les formes élémentaires »75. En un mot, l’architecture de Gehry est l’expression de l’individualisme que l’on trouvait à Los Angeles, où sa préoccupation première est de nous montrer "comment on fait les choses". Il est intéressé par la matérialité du "faire" et veut nous montrer le "comment". Le tabula rasa, est le mettre mot de l’intervention de cette architecte, partir de zéro, « Gehry ne trouve pas dans la ville où s’élève son architecture le soutien qui justifie et renseigne sur ce qui va s’y construire. C’est pourquoi il ne prend

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Moneo Rafael « Permanencia de lo efìmero. La construcciòn como arte transcente », in A&V, Monografìas de Arquitectura y Vivienda (Madrid), n°25 : Frank O. Gehry 1985-1990, p. 9-12. 73 Ibid. 74 Ibid. 75 Ibid.

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pas en compte les circonstances environnantes et qu’il travaille sans types, sans images, sans idées préconçues du bâtiment à construire. »76. L’unité n’est pas sa volonté dans la conception architecturale mais plutôt la rupture de cette unité de l’œuvre, qui selon lui donne une liberté au programme. Ces premiers projets affirment bien cette volonté. En effet, les maisons qu‘il a construite ne sont pas une pure satisfaction esthétique malgré leur apparence mais correspondraient au désir du client et en respecteraient le programme qui est toute l’importance du projet pour Gehry. C’est pourquoi à partir du programme, qu’il met en miette, parfaitement illustré dans son langage architectural, est à l’origine d’un concept qui va au-delà de la fragmentation et de la rupture. Fragmentation et rupture viennent de l’unité alors que lui pense à l’inverse, c’est à dire qu’on parle d’éléments indépendants et éloignés qui vivent ensemble. Ce processus est l’origine de sa construction, le morcellement du programme. Il est à la fois abstrait et assimilé à la forme, à la figure géométrique. L’interaction des formes se fait ensuite par « l’action du champ de force de l’environnement où elles vont vivre. »77, c’est là que la construction se consolide. Cette démarche se fait donc par la manipulation de la forme, par la réalisation de la maquette, le processus des formes accompli. Il opère ensuite une manipulation des formes établies pour détecter la place qu’elles auront dans une globalité, la maquette n’est donc pas pour lui un mode de représentation d’une réalité future mais un instrument de fabrication pour l’architecture.

« Selon Gehry, l’architecte doit être présent dans l’œuvre, il s’appliquera donc à éliminer toute médiation afin que son travail se manifeste pleinement dans l’œuvre. »78, la notion d’œuvre d’art est intrinsèque à l’architecture, il considère que ce qui a lieu de perdurer est ce qui est reconnu comme une œuvre d’art. La permanence d’un bâtiment ne mérite en effet d’être conservé que s’il est considéré comme une œuvre d’art d’après lui. Cette permanence étant moins dû à divers points qu’à sa valeur esthétique. Car l’esprit dure plus que la matière, grâce à l’aura unique et individuelle qui accompagne toute œuvre d’art. On pourrait alors comparer le travail de Gehry à celui d’un sculpteur, en particulier le travail de l’artiste plasticien John Angus Chamberlain79, malgré que sa philosophie architecturale soit bien plus difficile à expliquer. La valeur du matériau est indispensable pour lui, il aime sa manipulation, comme un plasticien, il transcende les matériaux qui deviennent une source d’inspiration pour une nouvelle architecture. Il fuit la représentation traditionnelle, le plan, la coupe ou encore l’axonométrie, pour l’abstraction entre

76

Rafael Moneo, Intranquilité théorique et stratégie du projet dans l’œuvre de huit architectes contemporains, parenthèses, 2013, p. 163. Ibid. 78 Ibid. 79 John Angus Chamberlain, 1927-2011, artiste plasticien américain, mouvement expressionisme abstrait et célèbre dans les années 60. 77

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représentation et architecture. Le pressentiment de l’espace et des volumes est le maitre mot, ses esquisses sont alors volontairement approximatives, pour laisser la maquette faire l’architecture.

Figure 35 John Chamberlain, Dolores James, 1962.

Figure 36 F. Gehry, maquette du Biomuseo, 2014.

Ses incroyables connaissances acquises pendant presque 20 ans lorsqu’il était dans l’ombre sur les techniques de construction, l’industrie du bâtiment des Etats-Unis, l’architecture commerciale, et le business de l’architecture, lui on permit de s’affirmer et de confirmer sa propre architecture qu’il n’a en aucun cas du mal à construire. Il fait de la fiction une réalité. « Il y a toute une logique de la construction qui se manifeste dans la vision de l’œuvre inachevée et qui se perd complètement quand on est devant une œuvre terminée, une œuvre qui a atteint une stabilité définitive. »80, son but est donc de ne pas atteindre le point final définitif. Pour revenir à la matérialité, il aimerait que ses bâtiments maintiennent leur matérialité la plus essentielle, ce qui implique qu’ils ne se terminent pas. L’esthétique de l’inachevée est donc son objectif avec la présence des matériaux dans ses œuvres à l’état pur afin qu’ils soient visibles et perçus dans toute leur plénitude.

L’esprit de standard, de série, de répétition à l’identique, d’uniformité, de précision absolue a influencé, au-delà des véritables nécessités industrielles, tout les niveaux de notre culture. Il a mené à un formalisme uniformisateur qui appelle inévitablement son contraire, un formalisme de l’arbitraire. L’uniformité est voulue par les uns comme l’expression d’une société de masse et de besoins normalisés, l’arbitraire est avancé par les autres comme une réaction justifiée contre le même phénomène. Gehry, n’abusera pas de l’arbitraire dans la première étape de sa carrière lorsque, à partir d’une liste de figures élémentaires, il donnait forme à des architectures concrètes. Mais plus tard, alors que sa méthode se développe et se consolide, il découvrira la possibilité de transformer n’importe quelle forme en architecture et sera stupéfait par la présence inéluctable de l’arbitraire. Il a alors envie de rendre l’immédiateté de la maquette en architecture, comme par magie, l’arbitraire l’aidant à croire 80

Rafael Moneo, Intranquilité théorique et stratégie du projet dans l’œuvre de huit architectes contemporains, parenthèses, 2013, p. 165.

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que cela est possible. Mais il a peur qu’avec cette démarche la forme se vide de son contenu et l’emporte dans un territoire inconnu où tout est possible. Ces volontés architecturales montrent donc que Frank Gehry n’est pas dans le monde conventionnel de l’architecture, il ne construit pas des bâtiments mais bien des œuvres, autre chose que de la simple construction. Son succès devient alors spectaculaire et peut être même spéculatif, dont son architecture est difficilement abordable par la critique conventionnelle. Il reste fidèle à son processus mais on remarque cependant une évolution dans ces œuvres. Marqué à partir du projet de Vitra, où il s’intéresse à une vision particulière de ce que l’architecture unitaire et continue signifie après un épuisement du morcellement. Bien entendu Gehry ne conçoit pas l’unité comme une architecture totalitaire mais plutôt une combinaison de concepts de continuité, d’unité et toujours celui du mouvement, « Gehry a parlé, à un certain moment, du mouvement en architecture comme une alternative à l’ornement. »81, qui s’est perdu voir même totalement dans l’architecture du 20ème siècle. Son architecture abstraite et particulièrement unique, est une nouvelle image de l’architecture propre à son architecte et non à son temps ou encore son contexte et même son programme.

Figure 38 Croquis, Frank Gehry, Tract house, 1982. Principe conceptuel du "morcellement" pour faire un ensemble.

Figure 37 Croquis, Frank Gehry, Vitra Museum, 1987. La continuité et le mouvement font l’unité.

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Rafael Moneo, Intranquilité théorique et stratégie du projet dans l’œuvre de huit architectes contemporains, parenthèses, 2013, p. 166.

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L’articulation est à l’origine de l’art donc l’architecture est l’articulation de l’espace, ce que fait très bien Gehry en un sens mais d’un autre c’est aussi se confronter à « la vulnérabilité critique de la nature par l’intervention technique de l’homme. »82 chose à laquelle il y trouve une certaine difficulté. Il est cependant connu pour ses conceptions sculpturales et organiques, c’est l'un des architectes les plus convoités du déconstructivisme. Son premier projet date de 1959, jusqu’en 1976 il réalisera donc majoritairement des maisons, mais c’est à cette date qu’il réalisera son premier projet public pour ensuite continuer dans cette direction, répondant à des programmes et des échelles différents : parc ou immeuble de bureaux, supermarché, concours, design, facultés, extensions, parc d’attraction, théâtre, bâtiment administratif etc. Mais dans toutes ces réalisations, il s’est essayé au programme de musée et on en compte 14 à ce jour : -

Musée maritime Cabrillo, San Pedro, Californie, Etats-Unis (1977-1979)

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California Aerospace Museum, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (1983-1984)

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Vitra Design Museum, Weil am Rhein, Allemagne (1989)

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Weisman Art Museum, Minneapolis, Minnesota, Etats-Unis (1993)

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Musée Guggenheim, Bilbao, Espagne (1997)

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Réaménagement du Norton Simon Museum, Pasadena, Californie, Etats-Unis (1999)

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EMP Museum, Seattle, Washington, Etats-Unis (2000)

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MARTa museum, Herford, Allemagne (2005)

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Rénovation de Art Gallery of Ontario, Toronto, Canada (2008)

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Fondation Guggenheim, musée d'art contemporain, Abou Dhabi, île de Saadiyat, Emirats arabes unis (2011)

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Fondation Louis-Vuitton, Paris, France (2014)

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Biomuseo « bridge of life », quartier Amador, Panama, Panama (2014)

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Extension et réaménagement du Ohr-O'Keefe Museum Of Art, Biloxi, Mississippi, Etats-Unis (2014)

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Réaménagment du Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, Pennsylvanie, Etats-Unis (2014)

Et prochainement, le centre dédié à l'art contemporain de la fondation artistique LUMA dirigée par Maja Hoffmann, à Arles est prévu pour 2018 ainsi que le Quanzhou Museum of Contemporary Art en Chine en cours de conception et bien d’autre proposition pour divers concours à travers le monde pour de nouveaux musées.

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Hans Jonas, Le principe de la responsabilité, Lecerf, Paris, 1990, p. 24.

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3.2 / Les musées de Frank Gehry et son inspiration. « Si je savais où j'allais, je ne le ferais pas. Quand je peux le prévoir ou le planifier, je ne le fais pas. »83, Frank Gehry. Quand on évoque Frank Gehry, on y voit tout de suite des formes qui envahissent notre esprit. En effet il se questionne sur la forme et l’image du projet. Cependant les architectes n’aiment pas parler de forme, car le formalisme est connoté de manière péjorative. Cependant tout bâtiment est d’abord perceptible parce qu’il a une forme et il peut avoir des formes qui en rappellent d’autres. Construire une forme c’est construire un objet, qui peut répondre à une fonction, une histoire ou peutêtre même déterminer quelque chose d’autre, être le reflet de quelqu’un. Son premier projet de musée date de 1977, le Musée maritime Cabrillo à San Pedro en Californie. Frank Gehry est déjà passé à cette heure de la conception architecturale fragmentée à la conception de l’unité. On y trouve toujours le principe de l’accumulation et de l’assemblage organisé à sa manière, mais le plein provenant du mur béton, oriente sa composition et sa conception. Ce musée est un petit bâtiment dont la toiture démontre que Gehry recherche une architecture qui lui permette d’aller audelà de l’accomplissement strict du programme. On voit donc comment des éléments conventionnels, commerciaux et modestes, la fenêtre par exemple, sont dynamisés par le rajout d’écrans ou de diaphragmes qui les recouvrent et les transforment. Sa soudaine renommée dans les années 80, incite les institutions à s’intéresser à son travail. C’est ainsi qu’en 1984, Gehry se voit confier une œuvre de grande envergure, le Musée aérospatial de Los Angeles. C’est un changement d’échelle, mais il réussira à garder sa signature à la fois par la forme mais aussi l’avion perché sur la façade principale, intervention anecdotique souvent présente dans les projets de Gehry. C’est donc à travers l’analyse de trois de ses projets, le Musée Vitra, le Musée Guggenheim et la Fondation Louis Vuitton, que j’essayerais de montrer quelle a été la conception et le parti-pris architectural de Frank Gehry mais surtout quelle place il a été donné à l’esthétique dans chaque projet. Je présenterai ces analyses non pas par projet, mais par point d’analyse afin d’en faire la confrontation, mais aussi de pouvoir constater l’évolution, les similitudes et les différences. 83

TED Ideas worth spreading, dans une discussion avec Richard Saul Wurman, l'architecte Frank Gehry donne son point de vue sur le pouvoir de l'échec, ses bâtiments récents, et le concept si important de "Alors quoi ?", Monterey, Californie, Etats-Unis, Février 2002.

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3.2.1 ANALYSES : 3 projets et un architecte.

Contexte historique / VITRA : 1987-1989. À la suite d’un incendie qui détruisit la majeure partie de ses usines, l’éditeur de meubles Vitra décide de reconstruire son site industriel à la manières d’un parc d’architecture. Il confit à Gehry la création d’un musée pour présenter sa collection. Première réalisation en Europe de l’architecte, on pourrait se demander s’il ne cherchait pas à fuir l’utilitarisme qui l’emporte sur l’esthétique aux Etats-Unis. C’est un projet clé dans la carrière de Frank Gehry, il n’aurait pas été possible sans sa profonde connaissance de l’architecture. GUGGENHEIM : 1991-1997. Confrontée à une crise industrielle, suite à l’abandon de la construction navale et des activités minières, la capitale du pays basque espagnol, Bilbao, décide de se redynamiser par la création d’une nouvelle institution culturelle avec un concours international en 1991. Gehry convainc la municipalité et la fondation Guggenheim d’implanter un musée sur un autre terrain que celui initialement choisi, « Mon conseil a été de déplacer le musée ailleurs […] J'ai vu le musée près de la rivière … Parce qu'ils m’ont dit toute la journée que la rivière est en cours de réaménagement … »84. La liberté dans sa conception dont il se vante, va devenir pour ce projet la forme symbolique du futur de la ville. Bilbao était fière d’une architecture où la raison prédominait dans les constructions industrielles de son estuaire et où la tradition urbaine du Siècle des lumières était encore présente dans son tracé. La ville s’étouffait, il a donc fallu créer du nouveau : l’œuvre de Gehry devient alors la représentation de ce nouvel esprit auquel aspire une ville en mutation. VUITTON : 2001-2014. Bernard Arnault85 rencontre Frank Gehry en 2001 et lui confie le projet d’un édifice pour la Fondation Louis Vuitton. Gehry visite le jardin et découvre un site exceptionnel et chargé d’histoire. Le projet a mis beaucoup de temps à arriver à ces fins, puisqu’il a rencontré de nombreux obstacles administratifs, juridiques et techniques. En 2007, Bertrand Delanoë86 délivre le permis de construire mais des associations de riverains et la volonté de sauvegarder le bois de Boulogne ainsi que le Jardin d’Acclimatation qui est un site classé, interdisant normalement de construire autour de lui. La ville de Paris modifie son PLU87 pour rendre le site constructible, mais la Coordination le fait annuler, le Conseil d’Etat rentre dans l’histoire et le fait valider. C’est ensuite le Tribunal Administratif qui l’annule en 2011, la Coordination se plaignant toujours et dénonçant « l’urbanisation 84

Van Bruggen, Coosje, 1999, Frank Gehry : Guggenheim Museum Bilbao, New York : Guggenheim publications, p. 21. Bernard Arnault, homme d’affaires français, il est le propriétaire du groupe de luxe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton) ainsi que du Groupe familial Arnault, et du holding Cristian Dior. 86 Maire de Paris de 2001 à 2008. 87 Plan Local d’Urbanisme. 85

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rampante » de l’espace vert et compare l’architecture du bâtiment à un « enchâssement de boîtes de conserve », la construction continue sans permis. L’Assemblée Nationale soutient quant à elle « l’intérêt public » de ce bâtiment qualifié « d’œuvre d’art majeure pour le monde entier », comme Delanoë le décrit. La fondation Vuitton est un feuilleton politico-juridique où Arnault a réussi à parvenir à son but : celui d’acquérir ce qui lui manqué, la dimension symbolique de son empire. Un engament de pérennité avec la volonté de s’enraciner dans un lieu et faire vivre une institution dans la durée. Un acte philanthropique majeur vis-à-vis de Paris avec la construction d’un bâtiment exceptionnel sur le domaine public municipal et la signature avec la ville d’une convention d’occupation de 55 ans.88

Contexte géographique / VITRA : Allemagne, Weil-am-Rhein. Le bâtiment est situé en dehors de la ville et près de la frontière Suisse et de la ville de Bâle. Dans le périmètre de l’usine Vitra, qui s’élève sur une plaine au caractère agricole, où l’agriculture est cependant en régression puisque l’invasion de l’industrie a fait perdre son caractère au paysage, à tel point qu’il en devient neutre. GUGGENHEIM : Espagne, Bilbao. Le choix du terrain a été décisif : Gehry a compris dès le départ l’importance du pont comme élément à incorporer dans son architecture, expression du flux mais aussi la première possibilité de voir le musée par l’autoroute qui termine sur ce pont pour rentrer dans Bilbao. Le projet se situe donc sur les berges du fleuve Nervion, en contrebas du pont, unissant les deux bords de l’estuaire à son bâtiment. Il entre en force dans le territoire et dialogue avec l’eau. En arrière plan du centre de la ville défilent les montagnes. Le terrain au bord du fleuve était plus grand que celui initialement proposé au cœur de la ville, permettrait de proposer une promenade urbaine avec les trois grands bâtiments culturels déjà existants. VUITTON : France, Paris. C’est dans le Bois de Boulogne89 (846 hectares), au sud du Jardin d’Acclimatation90, que s’implante la Fondation Louis Vuitton dédiée à l’art contemporain. Une initiative culturelle privée, qui veut s’insérer dans le territoire du Grand Paris, à la frontière des villes de Paris et de Neuilly-sur-Seine. Elle souhaite s’inscrire dans le paysage du bois mais aussi culturel de la France et redynamiser l’Ouest de Paris. Une parcelle d’un hectare pour implanter le bâtiment est donc délimitée.

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http://www.fondationlouisvuitton.fr/la-fondation/la-fondation-d-entreprise-louis-vuitton.html Conçu par l’ingénieur Alphand sous l’impulsion de Haussmann et de Napoléon III au 19ème siècle. 90 Parc de loisirs et scientifique, sur 19 hectares, à la lisière du bois de Boulogne.

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Forme et Volume : Espace / VITRA : Le bâtiment se présente comme l’imbrication de différents volumes et produit une géométrie contorsionnée. A l’inverse, les espaces d’exposition sont conçus comme de simples espaces rectangulaires, pour créer un environnement neutre favorable à la présentation du mobilier Vitra. Son principe précédant du morcellement expliqué avec la composition dans la nature morte en peinture où prédominait les valeurs plastiques et visuelles du projet est soudainement abandonné à Vitra. Les volumes compacts et leurs enveloppes immaculées inscrivent en partie cette construction dans la tradition moderne : l'unité formelle qui découle de son aspect est en rupture avec le caractère composite des productions californiennes. Le bâtiment inaugure une nouvelle cohésion au sein de laquelle les blocs sont imbriqués les uns dans les autres. C’est une architecture qui se veut unitaire, continue et mobile. Il est ici plus difficile de séparer, d’isoler et d’identifier quelles ont été les formes premières, ces éléments qui apparaissaient clairement dans ses autres projets. Cette réalisation marque une transition importante dans le travail de Gehry qui s’éloigne des formes angulaires et géométriques pour aller vers une architecture toute en courbes et en fluidité. GUGGENHEIM : La fluidité que l’on remarquait dans son travail, atteint son apogée avec le Guggenheim. C’est grâce à l’utilisation de l’informatique qu’il pourra transcender n’importe quelles formes, sans appréhender de ne pouvoir les représenter. La géométrie complexe des volumes incurvés et orthogonaux sert de signature au projet et intègre l’environnement adjacent à sa composition. On pourrait supprimer la géométrie conventionnelle de sa conception architecturale tant les formes deviennent informelles, abstraites et déconstruites. Il a voulu donner de la puissance à la forme pour donner de la puissance au territoire, tant par l’échelle du bâtiment que par les courbes. La hauteur du bâtiment peut atteindre 50 mètre de hauteur, mais 27 ne sont que du vide. Chaque façade est différente, ce qui contribue à augmenter les perceptions du bâtiment mais surtout l’effet sculptural et spectaculaire du musée. Les façades face à la ville sont rectilignes et en bloc alors que les façades sur le fleuve sont fluides et imitent les mouvements des vagues. A l’intérieur, les salles d’expositions sont différentes selon les collections : collections permanentes dans des galeries carrées, collections temporaires dans des pièces rectangulaires, allongées et dramatiques et les galeries pour les artistes sélectionnés sont curvilignes. Aucun espace d’exposition n’est identique : toutes les pièces ont des dimensions et des hauteurs différentes.

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VUITTON : « Le bâtiment respecte le geste de Frank Gehry »91, avec encore une fois ses courbes et ses lignes dynamiques, il voulait construire un bâtiment en verre et donner l’illusion du mouvement. Le bâtiment est encastré dans le sol (7m en dessous du niveau zéro), il n’est pas enterré puisqu’on peut en faire le tour et qu’il est entouré d’un coté d’un bassin et de l’autre une cascade à pente douce. Le projet est asymétrique et est composé de deux éléments majeurs : de grandes verrières translucides et des volumes blancs aux formes organiques qui se succèdent d’un bout à l’autre du bâtiment. Gehry décompose les différents éléments du programme en blocs à la base parallélépipédique, l’iceberg. Cependant, il confirme l’utilisation de forme déconstruite avec le jeu de courbes sur les blocs. Une juxtaposition de 19 volumes chacun avec leur composition abstraite, à plusieurs facettes, des surfaces courbes, bisotés ou anguleuses. Le bâtiment alterne volumes pleins et espaces interstitiels avec des failles ou des superpositions, dans une enveloppe légère et lumineuse qui s’intègre au paysage. Toujours dans un mouvement déconstructiviste, le travail du mouvement est prédominant, refusant la linéarité et proposant un chaos ordonné. Chaos qui est clairement lisible à l’extérieur et qui pourrait être retrouvé à l’intérieur mais ce n’est pas réciproque. En effet, les espaces sont très différents et organisés. Il sépare l’enveloppe de la structure pour ouvrir l’espace et créer des espaces que l’on peut considérer d’entre deux, ni extérieur, ni intérieur. Le bâtiment dépasse les 40 mètres de haut avec ses voiles qui sont chacunes singulières tout comme les volumes. Il est difficile de parler de façade ou de toiture.

Fonction et Programme / VITRA : Le musée n’était rien à l’origine, seulement un espace pour exposer les meubles. Frank Gehry a lui même défini un programme : une salle avec un grand volume pour exposer avec une mezzanine. Donc pour accéder à cette mezzanine, une circulation avec une rampe et un escalier hélicoïdal pour créer un parcours. Il faut aussi que les œuvres soient montées, il rajoute un monte charge. Une réserve mais aussi une entrée et donc pour signifier cette entrée un auvent. GUGGENHEIM : Le projet du Musée Guggenheim permet à Gehry de constater que le programme établi à Vitra est utile dans la conception d’une œuvre qui va prendre 6 ans. Cependant pour lui la forme doit rester indépendante de la fonction. Le musée devait donc avoir une fonction d’incubateur urbain mais aussi de musée contemporain pour la Fondation Guggenheim qui allait fournir les œuvres. Le musée fait 24 000 m2, il est composé de 20 salles d’expositions avec trois typologies différentes qui dépendent des collections : permanentes, temporaires et artistes sélectionnés ; et l’atrium qui est

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M. Claverie, lors de l’inauguration du Musée Guggenheim le 20 octobre 2014.

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aussi un grand espace d’exposition. Un bâtiment annexe est réservé à l’administration du musée, il contient également une salle d’orientation, un auditorium, une boutique et 3 restaurants. VUITTON : La Fondation se veut être un nouveau lieu d’art contemporain dans la capitale de l’art qu’est Paris. Cependant l’effort entreprit à l’extérieur n’est pas son égal à l’intérieur. Les espaces d’expositions, ne sont que le reflet égocentrique des deux auteurs, le mécène et l’architecte, par des espaces grandioses mais vides d’art et engloutie d’architecture. A partir du cahier des charges, 11 galeries d’expositions ont donc été réalisé pour ce musée ainsi que 2 espaces de restaurations, un auditorium, des terrasses qui servent de circulations et bien sur un hall d’entrée et une réserve. 7 000 m2 de surface utile, la moitié en espaces muséographiques. Les escaliers sont remplacés par des escalators et un nombre considérable d’ascenseurs sont présents, preuve d’une société technologique ou fainéante.

Usage : pratique de l’espace / VITRA : À l'intérieur, les galeries sont traitées comme des volumes interconnectés s'interpénétrant spatialement, de manière à ce que les œuvres exposées puissent être vues d'un espace à l'autre. Chacune a un caractère singulier, lié au volume, au traitement de la lumière, à sa surface à son échelle et bien que visuellement reliée aux autres, peut être utilisée séparément. À l'extérieur, l'édifice rompt avec la stricte orthogonalité du modernisme. « La distorsion des volumes de stuc blanc, l'escalier qui s'enroule comme un escargot, le skydôme, le toit de l'entrée comme les boîtes obliques créent un collage qui renverse le paradigme la forme suit la fonction "inside out" sans le nier. »92. GUGGENHEIM : Lorsque le visiteur pénètre dans le musée par l’entrée principale située face à l’axe reliant le musée et le centre ville, il se retrouve dans un hall où convergent toutes les galeries d’exposition. L’atrium, qui est le cœur du musée, est un élément distinctif du projet. Ce vaste espace aux volumes courbes reflète l’extérieur du bâtiment et crée un lien entre l’extérieur et l’intérieur du musée grâce à de grands murs rideaux et une verrière zénithale. La liaison entre les trois niveaux du musée et les galeries d’exposition se fait dans l’atrium, grâce à des tours d’escaliers, des ascenseurs vitrés et des coursives curvilignes. Les espaces extérieurs sont l’extension du musée et servent d’espaces d’expositions mais aussi de contemplation de la ville, un jardin d’eau a aussi été conçu pour compléter la liaison avec le fleuve et ainsi créer une promenade architecturale.

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Alain Guiheux, Projets européens, Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 1992, page 20.

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VUITTON : Le vaste hall d’entrée mène d’un coté vers les galeries et de l’autre à l’auditorium. La grande salle est face à la cascade. Le reste du bâtiment est majoritairement occupé par les galeries d’expositions qui sont réparties sur trois niveaux, 6 de grandes tailles rectangulaires, d’autres plus particulières, plus petites, elles ont de haut puit de lumière pour amplifier la hauteur des volumes. Les différents niveaux communiquent grâce à des espaces extérieurs, eux mêmes reliés par des escaliers, l’ensemble donnant l’impression d’une grande liberté dans la circulation mais finalement une perte hiérarchique de la visite et du parcours artistique. Il a voulu travailler la séquence spatiale dans la circulation et non dans les salles d’expositions, privilégiant donc le cadre plutôt que les œuvres. Le rez-de-chaussée fait 9 mètres de haut, une zone technique le sépare du 1er étage de 6 mètres de haut surmonté de volumes : les puits de lumières.

Matérialité et Construction / VITRA : Malgré la complexité apparente du bâtiment avec ses obliques et ses excroissances, une symbiose formelle apparaît : l'explosion de formes est unifiée par la réduction du nombre de matériaux utilisés à l'extérieur : du stuc pour la maçonnerie, des feuilles de zinc pour la toiture, qui diffère de la diversité des matériaux que nous trouvions dans ses précédentes réalisations. Ces deux matériaux sont manipulés de façon à ce qu’il soit difficile de distinguer intérieur et extérieur, vertical et horizontal. GUGGENHEIM : Le bâtiment a été construit grâce au logiciel CATIA qui a permis ces formes. La façade côté fleuve est traitée en fine plaques de titane, un matériau qui reflète parfaitement la lumière et qui répond à la forme courbe. Côté sud, pour créer un effet de contraste, il utilise la pierre calcaire d’Espagne en dialogue avec la ville. Du verre se retrouve également en façade mais aussi en toiture pour maximiser l’apport de lumière naturelle et ce matériau est lui aussi spécifiquement conçu pour suivre les lignes directrices du projet. La relation intérieur/extérieur est renforcée grâce à la réutilisation des mêmes matériaux. C’est le mélange de matérialité qui fait du musée un objet à la fois brillant et fonctionnel, considéré comme une sculpture à l’échelle de la ville. VUITTON : La réalisation du projet a encore nécessité des développements technologiques extrêmement innovants. Il n’y a pas d’alignement régulier structurel. La structure porteuse est faite avec de grands poteaux d’acier inclinés et différents les uns des autres. Le corps du bâtiment est fait de bloc de béton blanc, le ductal étant utilisé en panneaux de tailles réduites, tous différents afin de s’adapter aux volumes (19 000). Pour amplifier la courbure des volumes, la trame des panneaux utilise un motif « en tremblement de terre » comme l’explique Gehry. La canopée est composée de 3600 panneaux de verre matérialisant douze grandes voiles de verre. Chaque panneau est courbé de façon

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différenciée pour donner vie au projet. L’architecte reprend les principes du Guggenheim mais cependant en assumant clairement l’aspect technique et structurelle de son projet en exposant directement, une structure faite de bois et d’acier. Il voulait que la lecture de cette structure soit impossible, c’est pourquoi Gehry a refusé toute répétition structurelle. Il a même surdimensionné cette structure pour que l’on ne puisse comprendre comment ça tient.

Sémantique : de l’architecte et du public / VITRA : Gehry s’exprime avec une liberté absolue, on pourrait trouver certains parallèles avec des sculpteurs, comme Pevsner qui essayent de nous montrer les possibilités de façonner l’espace. Vitra est calme à l’intérieur et fou à l’extérieur. Dans le documentaire de Sidney Pollack sur Frank Gehry93, on voit Bob Geldof, le musicien, perdu dans ses pensées, le regard embrumé par la fatigue et par les vitres troubles de son bus, évoquer le Vitra Design Museum et ses formes floues et dansantes qui l’ont touché comme un éclair de conscience subite. Depuis l’achèvement en 1989 de cette œuvre de Gehry à valeur de symbole, les visiteurs du site connaissent régulièrement cette sensation. Mais cette sensation exaltante à l’extérieure ressentie par le public, laisse une sensation de déception à l’intérieur dénué de toute attraction particulière. GUGGENHEIM : La liberté de Gehry devient extrême, c’est pourquoi, à partir de ce musée, apparaît le concept d’arbitraire dans son architecture, utilisant un monde formel qu’on peut clairement qualifier de personnel. Il cherche la monumentalité à sa manière et s’est inspiré des images du film expressionniste Metropolis 94, inspiré par New-York. Cependant Gehry ne souhaite pas s’inspirer de cette ville puisqu’il pense que ces bâtiments ne permettent pas de jouer et d’interagir avec l’espace95. Gehry s’est souvent inspiré du cheval et du poisson dans sa conception architecturale, on pourrait trouver là l’intention de représenter une peau d’écailles ondulant sous le vent, le titane faisant miroiter le soleil et le fleuve, donnant l’impression que le bâtiment vit et qu’il est en constant mouvement. On pourrait aussi y voir la métaphore des collines par ces formes et une architecture industrielle par ses matériaux, tout est source d’interprétation. « Quand Bilbao a été fini et que je l’ai regardé, j’ai vu toutes les erreurs. Ce n’étaient pas des erreurs. J’ai vu tout ce que j’aurais voulu modifier. Et ça m’a gêné. J’ai senti une gêne - comment pouvais-je avoir fait ça ? Comment pouvais-je avoir fait des formes pareilles, ou fait des trucs pareils ? Ça m’a pris

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Film Esquisses de Frank Gehry, Sidney Pollack, 2006. Film de Fritz Lang, Metropolis, 1927, inspiré de son premier voyage à New-York en 1924, il dit que « Les immeubles semblaient être comme un voile vertical, scintillant et très léger, comme un décor luxueux, suspendu dans un ciel sombre pour éblouir, distraire et hypnotiser ». 95 Charles Jencks, 1995, Frank O. Gehry : Individual imagination and cultural conservatism, Academy Editions : Londres, p. 49. 94

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plusieurs années pour que je puisse, maintenant, le voir avec recul et dire, quand on tourne au coin de la rue et qu’un morceau du bâtiment va avec la route et la rue, et qu’il apparaît qu’ils sont en relation, pour dire que j’ai commencé à l’aimer. »96. VUITTON : Il souhaitait s’inspirer du Grand Palais mais aussi du Palmarium97 avec leurs structures de verre. C’était un nouveau défi pour Gehry, avec un nouveau concept celui de la légèreté en l’architecture avec le verre. « Le bâtiment n’est pas figé comme le Grand Palais, c’est une autre façon d’exprimer le verre, l’ouverture, la sensation du mouvement, et de pousser le visiteur vers de nouvelles expériences »98. Son travail en maquette a été très important encore pour ce projet, afin de pouvoir jouer avec les lignes et les formes, pour créer le mouvement qui se fait dans des matériaux initialement inertes. Posé sur un bassin, l’édifice a été pensé comme un voilier ou un vaisseau s’insérant dans l’environnement naturel, entre bois et jardin, jouant de la lumière et des effets de miroir. Jeu visuel entre le paysage vu directement et le paysage vu à travers les voiles, qui évoquent celles d’un vaisseau gonflées par le vent. Le plaisir n’est ici pas artistique mais bien celle de la promenade et particulièrement la promenade architecturale. Une architecture pour l’industrie du luxe, qui pourrait même être considéré comme une architecture de luxe. « Le bâtiment est tellement imposant que les œuvres en pâtissent. Qui peut résister au gigantisme de Frank Gehry ? Pas grand monde, pas même un géant de la peinture comme Gerhard Richter, ou un artiste conceptuel comme Bertrand Lavier. »99.

Esthétique / VITRA : Simplification et répétition ne sont pas dans le registre de Gehry, il est à l’inverse du Cubisme. L’esthétique du projet se fait donc par la forme unitaire totalement éloigné du conventionnel. Il ne veut pas de distinction entre l’espace intérieur et extérieur, et on ne sait donc pas ce qui prévaut dans son processus de création. En essayant d’effacer la différence entre dedans et dehors, Gehry cherche à faire disparaître ce binôme de son architecture et à nous montrer comment l’extérieur devient l’espace du mouvement et l’intérieur se caractérise par la continuité et l’unité spatiales, mais en même temps sont le reflet d’une seule chose : une architecture fluide et indéfini, qui explore la mise en tension et la fusion des volumes. Cette esthétique qui privilégie les brisures et les cassures voudrait exprimer les incertitudes du monde contemporain et le sentiment de chaos qu'il engendre.

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TED Ideas worth spreading, dans une discussion avec Richard Saul Wurman, l'architecte Frank Gehry donne son point de vue sur le pouvoir de l'échec, ses bâtiments récents, et le concept si important de "Alors quoi ?", Monterey, Californie, Etats-Unis, Février 2002. 97 Dans le Jardin d’Acclimatation en 1893. 98 Interview pour le Film de Richard Copans, Le vaisseau de verre, la Fondation Louis Vuitton, Arte Film, 2014. 99 Pierre Haski, article pour L’observateur, 03 Novembre 2014.

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GUGGENHEIM : Ce projet remarquable est une réussite à la fois urbaine et architecturale. Mais le changements d’échelles continus, les ruptures, les cassures, les interruptions, les lumières, etc. accaparant nos sens et transformant la visite en une surprise continue, ne laisse pas de place à la réflexion et encore moins à l’art : c’est une architecture du sensationnel. L’architecture du Musée Guggenheim se veut sculpturale, c’est un élément majeur de la ville qui se présente de façon violente et chaotique par la brutalité des formes. Son aspect constructif est complètement dissimulé afin de donner toute l’importance à son architecture et aux jeux de formes et de lumière créé par le travail de la matérialité. C’est donc l’esthétique de la matérialité du projet qui fait du musée un emblème pour la ville, pour l’architecture et même l’architecte.

VUITTON : Toujours dans cette volonté du mouvement, Gehry transcende ce processus en proposant un projet encore plus spectaculaire, fait de verre. Il utilise deux processus techniques afin d’arriver à retranscrire ce concept à travers deux matérialités différentes. La question de la lumière est encore prédominante dans l’écriture de ces volumes intérieurs, mais l’esthétique se fait encore par l’aspect extérieur du projet. Sa volonté était de travailler un projet qui se voulait léger, mais son échelle monumentale controverse son discours. A l’inverse du Guggenheim, Gehry présente et assume l’aspect technique et structurelle de ses formes et c’est en cela que ce trouve l’esthétique du projet. Une architecture qui se veut encore et toujours sculpturale créant en permanence son propre spectacle, l’effet étant multiplié par le jeu d’ombres de la charpente sur les volumes et aussi les voiles altérant la vue du paysage.

Figure 41 Musée Vitra et sa forme.

Figure 40 Musée Guggenheim et sa matérialité.

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Figure 39 Fondation Louis Vuitton et sa structure.


3.2.2 UNE SIGNATURE ESTHETIQUE ARCHITECTURALE. Dans un climat artistique trop souvent tourné vers l'arrière plutôt que vers l'avenir, où les rétrospectives sont plus répandues que la prise de risque, il est important d'honorer l'architecture de Frank Gehry. Le processus de Gehry est une esthétique raffinée, sophistiquée et aventureuse qui met l'accent sur l'art de l'architecture. Son travail souvent controversé, mais toujours spectaculaire, a été décrit de diverses manières comme iconoclaste, irrégulier et impermanent, mais le jury, en lui offrant le Prix Pritzker, salue cet esprit agité qui a fait de ses bâtiments une expression unique de la société contemporaine et ses valeurs ambivalentes. Toujours ouvert à l'expérimentation, il a aussi la certitude et la maturité qui résiste, comme Picasso, étant lié soit par l'acceptation critique, soit par ses succès. Lors de la cérémonie du Prix Pritzker en 1989, Frank Gehry dit : « L'architecture est un petit morceau de cette équation humaine, mais pour ceux d'entre nous qui la pratiquent, nous croyons en son potentiel de faire une différence, d'éclairer et d'enrichir l'expérience humaine, de pénétrer les barrières de l'incompréhension et de fournir un beau contexte pour le drame de la vie. ». On peut voir que c’est ce qu’il a toujours tenté de faire dans ces projets. Mais force de constater qu’il en oublie certains fondamentaux du programme, voir même de l’architecture. En effet grâce à l’analyse des trois musées, on peut assumer le postulat qu’avant de faire un musée, il a fait du "Gehry". Puisque pour Vitra l’esthétique du projet se fait par l’unité donc le volume, pour le Guggenheim par la matérialité et pour Vuitton par la structure, mais la lecture de chaque projet est toujours la même. Celle du mouvement et de l’architecture signature de Frank Gehry. On a donc trois principes esthétiques différents, trois temporalités, trois contextes, trois musées et une seule lecture, celle de l’architecte. Les descriptions iconoclastes et les critiques sont donc justifiés par cette volonté, mettant en danger le geste architectural vers la caricature. On peut alors parler de « l’effet Bilbao », qui a réussi à émettre l’idée que cet architecte avec son architecture pouvait révolutionner le monde. « Promoteurs et maires pouvaient voir la logique économique du geste sculptural, avec ses nombreux signifiants énigmatiques, et la même méthode a été appliquée à tous les types de bâtiments. Ceci a présenté un problème sémantique, inversant les notions de pertinence et de décorum ; actuellement un musée outrageusement expressif pourrait prendre le rôle urbain d’une cathédrale ou d’un bâtiment public, tel qu’un hôtel de ville »100. Les nouveaux projets de ville dans une société hypermoderne où le rapport aux loisirs et au temps libre s’ajoute à la globalisation, cherche un dynamisme culturel du territoire, en espérant que les musées deviennent des incubateurs.

100

Charles Jencks, The iconic Building is here to stay, City, 2006, vol. 10, n°1, p. 3-20. 2006

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Mais ils deviennent des monuments de la globalisation, l’icône de la consommation culturelle et même de la consommation architecturale. L’expressivité de l’architecture devant le seul et unique but « les musées n’exposent plus : ils s’exposent ! »101 . Dans la volonté de reproduire la réussite Bilbao, les acteurs locaux tendent ainsi à associer deux aspects : une institution culturelle prestigieuse et une architecture à fort pouvoir de communication, produite par un architecte médiatique. Médiatisé à tel point qu’il s’insère dans la culture populaire, en étant le seul architecte à apparaître dans la série culte télévisée The Simpsons102. En effet la famille Simpson se rend à Shelbyville pour y faire des achats et visiter un peu la ville. Ils en profitent pour assister à une comédie musicale. Manque de chance, le spectacle s'en prend au manque de culture des habitants de Springfield. Cette réaction fait vivement réagir Marge et propose de créer une salle de concert à Springfield. Marge demande alors au célèbre architecte Frank Gehry par le biais d’une lettre de construire un bâtiment iconique à la ville de Springfield, la ville imaginaire dans laquelle se déroule la série, afin de contribuer à son expansion. Lors de la première, le concert de musique classique qui est donné connaît un échec retentissant. À peine inaugurée, la salle de concert est désertée et fini par être fermée. Montgomery Burns en profite pour la racheter afin de la transformer en prison. Le dessin animé consacre en ce sens dans la culture populaire non seulement le personnage de l’architecte, Gehry en tant que concepteur, mais aussi le rôle que celui-ci est désormais censé jouer internationalement, Gehry en tant que marque. Cependant, Gehry avait un discours tout autre auparavant « Je n’ai jamais proclamé que j’en étais un [artiste] et je me considérais comme un architecte. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Daniel Buren, qui venait souvent à Los Angeles dans les années 1970. Il était très ouvert d’esprit et considérait l’architecture comme de l’art. Il m’a demandé comment je m’y prendrais si je devais concevoir un musée. Je l’ai imaginé tout simple pour qu’il ne fasse pas d’ombre aux œuvres exposées. Il m’a engueulé : "Non ! Il faut faire un bâtiment qui nous mette en colère, qui nous excite. " »103, c’est peu être là l’élément déclencheur et la concrétisation d’une architecture iconique.

Figure 42 The Simpson, The seven-Beer Snitch, Saison 16 épisode 14, diffusé le 3 Avril 2005. 101

Le musée en tant qu’œuvre d’art, La presse, Vacances/voyage du 19 Avril 2008. The Simpson, The seven-Beer Snitch, Saison 16 épisode 14, diffusé le 3 Avril 2005. 103 Paul Goldberger, Building Art : The Life and Work of Frank Gehry, Knopf, 2015. 102

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3.3 / Vers une architecture intemporelle et/ou obsolescente.

L’écriture de l’architecture chez certains architectes du 21ème siècle est donc esthétique voir

même artistique, Gehry l’assume et le montre, « Ton œil commence à créer des images que tu enregistres et tu trouves là de la beauté. Nous sommes les commentateurs de cette beauté qui nous entoure. C’est tout ce qu’on peut faire. »104. Mais qu’est ce que le but ultime de l’architecture finalement ? la création, la forme, la correction des maux de la société ? Selon Lance Hosey105, la réponse la plus inutile à la question est que l’architecture est "art", car faire valoir que le concept de l’architecture comme forme d’art est non seulement trompeuse pour le public mais aussi potentiellement dommageable pour la société. L’inspiration peut être personnelle mais la résultante doit être à la fois publique et social. La notion de beauté supérieure ne peut pas apparaitre à l’état pur dans les œuvres anciennes puisque la valeur d’usage, symbolique ou iconographique, devient périmée et n’interfère plus sur une valeur émotionnelle désormais absolus, universelle et impérissable. C’est là la différence entre une architecture historique et une architecture contemporaine. L’éthique entre en compte, un domaine très vaste entre la théorie et la pratique, elle suit l’évolution des sociétés et son discours est pour la société. L’éthique architecturale est liée à un auteur et son époque, elle est faite de larges propositions tenant compte des sciences sociales, elle cherche à indiquer le positif. L’éthique comme l’esthétique sont des sujets subjectifs tant les interprétations sont possibles, le beau ou le bien de l’un n’est pas forcement celui de l’autre. L’éthique comme l’esthétique cherchent donc à répondre à la question du plaisir, visant à la satisfaction, c’est à dire l’abaissement des tensions. Il faut comprendre, ménager et pas seulement maîtriser une architecture toujours plus artistique. "Ménager" de Heidegger106 préférable à "aménager", car il dit mieux à quel point il faut prendre soin des gens, des lieux et des choses. Le ménagement est ce qu’il faut, qu’il soit la juste mesure, n’oubliant ni le corps, ni la diversité, ni les rapports entre les différentes échelles, ni le contexte historique, géographique, pour réunir et rendre commun. L’approche éthique de l’architecture est cependant différente du fonctionnalisme, puisque c’est là qu’intervient le travail, le talent, et l’originalité de l’architecte, une capacité à mêler l’esthétique, l’économique, le pratique et l’hospitalité. Les débats éthiques pourraient s’apparenter aux enjeux autour du patrimoine, des rapports du présent au passé, du local au global, de la distinction

104

Frank Gehry interviewé par C. Souker King en 1985, getting touch with economics, Designer West 6/12, p. 150-151, cité par Germano Celant dans Reflections on Frank Gehry, Frank Gehry, Buildings and Projects, New York, Rizzoli, 1985, p. 5. 105 Lance Hosey, architecte américain, connu pour être un leader dans la conception durable. 106 Martin Heidegger, conférence de 1951, Batir Habiter Penser.

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œuvre/produit/marchandise, ou encore les directions à prendre pour la transformation de la ville. Il est important d’explorer la dimension éthique qui peut orienter l’action et faire l’architecture. Mais l’architecture se développe en ne se concentrant que sur des dimensions physiques, esthétiques, techniques et économiques en oubliant complètement tout un domaine du savoir qui ne touche pas à l’objet ou à l’œuvre architectural mais aux rapports que l’architecture entretient avec la société et l’individu : l’éthique architecturale. Le mouvement contemporain en architecture est souvent présenté comme la manifestation d’une rationalité hors contexte et hors histoire, une architecture qui se voudrait intemporelle, abstraite et sans lien avec le monde vécu. Les "élites" de la société cherchent à rompre avec le passé, à faire table rase, dans le but d’accéder à un monde nouveau, un bonheur nouveau voir même universel. Une ouverture mais aussi une fermeture d’esprit, dans une société qui évolue dans le présent avec le passé pour faire le futur. Si l’architecture rejoint le quotidien, c’est pour y interroger et y stimuler ainsi les singularités de l’individu mais il en va de la responsabilité de l’architecte. La responsabilité étant à la fois la condition et la conséquence du pouvoir, se révélant utile pour avoir une réflexion générale sur l’évolution des sociétés. L’architecture contemporaine est donc actuelle, proposant une certaine généralisation dans le projet architectural et dans le projet d’aménagement en général, dissociant les dispositifs techniques et spatiaux, les services qu’ils rendent et les pratiques qu’ils provoquent. Pensant que la beauté et donc l’esthétique du projet pourrait le rendre intemporelle, la contemporanéité est cependant fugitive et changeante. Le contemporain d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier ni celui de demain. L’architecte ne peut donc pas avoir de système de valeurs esthétique étayant son œuvre du point de vue éthique. On peut certes imaginer qu’un architecte construise un bâtiment par pur souci esthétique sans se préoccuper de quelque conséquence éthique que ce soit et que l’œuvre ainsi produite soit acclamée pour ses qualités sculpturales ou autres, mais on ne peut guère imaginer qu’un théoricien de l’architecture soutienne par principe que les architectes, dont la fonction est de créer des espaces susceptibles d’optimiser la vie en société, n’aient pas à se préoccuper euxmêmes des conséquences éthiques que leur architecture pourrait engendrer. Un mouvement qui prônerait l’art pour l’architecture peut difficilement se concevoir, tant elle a un rôle sociétal. L’architecture est mise à l’épreuve dans sa capacité à exister par l’esthétique, alors qu’être architecture est produite par l’éthique. Le magazine architectural Review a déclaré que les projets de Gehry et de Hadid « affichent avec arrogance leurs refus de se rapporter au contexte local … annonçant à la place que le droit à l’égo-expression supposé d’un starchitecte écrases toutes les bienséances ».

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L’architecture contemporaine cherche donc à se rapprocher de la perfection intemporelle plutôt que de la poésie éphémère, alors que la valeur d’usage doit être immédiate et la valeur émotionnelle se révéler dans le temps. Ainsi contemporanéité et intemporalité n’apparaissent pas dans L’esprit nouveau107 comme des injonctions paradoxales mais bien comme des exigences imposées, à différents degrés, aux œuvres du présent cherchant à créer un système théorique global. Cette revue interroge les compatibilités entre actuel et futur dans le tissu urbain, où la pratique architecturale est de plus en plus réceptive à la variabilité des données, aux questions de contextualité, de durabilité ou encore d’évolutivité, posant la question de pérennité et d’obsolescence en architecture. Finalement on pourrait parler de l’architecture contemporaine comme un art obsolescent, dû aux changements sociétaux mais aussi à l’universalisation de l’architecture. Aujourd’hui on pourrait dire qu’il y a une forme d’obsolescence de l’architecture non seulement comme discipline et pratique mais aussi comme récit mythologique bâti et habité. Comme l’écrivait déjà Wright en 1932 : « La mobilité a déjà tellement changé les valeurs humaines, modifié le caractère et les besoins de l’homme et altéré les conditions, que la plupart de nos édifices et de nos villes, à la fois par leur plan et leur style, sont obsolètes à peine construits. »108, l’architecture et l’urbanisme peut devenir obsolète mais aussi son programme. Comme on peut le remarquer pour les musées contemporains, l’obsolescence n’est finalement pas la matière qui compose la spatialisation architecturale, ce sont les programmes qu’il faut retravailler à toute les échelles. L’architecture est mise en obsolescence par le cadre contemporain, ces performances nouvelles et spectaculaires, où l’art de l’espace n’est plus qu’un ensemble esthétique ou fonctionnel, un squelette incontournable. Car l’éthique est aussi du domaine de la pratique, celle de la manière d’être, la science des actions, Aristote dit que « la fin ne consiste pas dans l’étude et la connaissance purement théoriques des actions, mais plutôt dans leur exécution. »109.

107

L'Esprit nouveau est une revue consacrée à l'esthétisme contemporain dans architecture, peinture, littérature, fondée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant en 1920. La revue est dirigée par Paul Dermée. Elle paraît jusqu'à la démission d'Ozenfant en 1925. 108 Frank Lolyd Wright, La ville évanescente, trad. De Claude Massu, Gollion, 2013, Infolio, p. 165. 109 Aristote, Ethique à Nicomaque, Virin, Paris, 1972, p.52-523.

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Conclusion La conception du musée comme objet architectural contemporain répond t-elle toujours à une éthique ?

Les notions d’esthétique et d’éthique ont depuis l’antiquité été des sujets qui ont questionné et requestionné l’architecture mais surtout l’écriture architecturale. Comme on peut le comprendre l’esthétique, en suivant les époques, a pris une place prédominante devenant un point incontournable dans la conception de l’architecture, laissant les autres problématiques en suspens. La tradition classique trouvait la beauté dans la vérité du geste architectural et donc le résultat de la forme et de la fonction. Cependant le processus s’inverse et c’est la beauté qui tente de produire la vérité, la réalité afin de « réaliser, dans l’immédiateté de la communication universelle, la complète libération de l’humanité »110. Une tentative d’ouverture vers l’œuvre d’art absolue et un tournant architectural. Mais a-t-on finalement besoin d’une œuvre architecturale pour valoriser l’art. Comme on peut le voir dans les projets analysés de Gehry, l’architecture devient omniprésente et efface l’Art par son art architectural. L’architecte du 21ème siècle devient alors créateur de forme et d’esthétique se voyant attribué le nom de "starchitecte", pensant que la justification d’une œuvre architecturale se fait d’abord et surtout par l’écriture plastique du projet. Les architectes conçoivent une architecture de signature, pouvant être reconnu dans le monde entier grâce à l’image qu’elle dégage. Une recherche de reconnaissance à la fois professionnelle, globale et publique. Les formes extravagantes qui ont vu le jour à la fin du 20ème siècle et qui régissent l’architecture contemporaine, s’imposent au paysage où la ville devient le terrain d’expérimentation. L’éthique est une discipline somatique et sociologique donc par conclusion l’architecture est un travail éthique. On peut donc partir du postulat que toute intervention architecturale doit être éthique. On peut alors répondre à la question qui instaure mon mémoire, comme quoi la conception du musée comme objet architectural contemporain ne répond plus à une éthique mais à une volonté à la fois médiatique et économique. Puisque les grands projets cherchent à jouer le rôle d’emblèmes d’un territoire et voulant se rendre indispensables en tant que repères, effacent les spécificités locales. Les territoires sont à la recherche d’une singularité qui devient « plus relative à l’effet de l’édifice qu’à son objet ou sa destination »111.

110 111

Umberto Eco, Histoire de la beauté, p. 317. Françoise Choay, L’allégorie du patrimoine, 1999.

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La relation de l’architecture à la culture et à la société s’en trouve alors bouleversée. La production architecturale devient celle de produits et non d’espaces, questionnant les rapports au patrimoine, à la métropolisation mais aussi au tourisme. Cette démarche donne une pâle image de l’architecture contemporaine comme un lieu qui se consomme et qui ne répond plus à des problématiques sociétales mais égocentriques d’architectes, de commanditaires ou encore de territoires qui cherchent une visibilité globale. Cependant la contemporanéité du projet va devenir passé et rendre cette écriture architecturale obsolète par son manque d’investissement éthique. L’architecture n’étant pas seulement une question de technologie et d’esthétique mais plutôt un cadre de vie et avec un peu de chance un mode de vie intelligent, où l’inspiration n’est pas le seul motivateur mais une procédure rationnelle pour faire à la fois des choses sensées et sensibles. A controverse de ce mouvement, on pourrait parler d’un projet qui a réussi à créer un lieu unique célébrant l’art mais aussi l’architecture, le paysage et redynamiser une région isolée. Un projet à la fois éthique, esthétique et économique le rendant médiatique : le Benesse Art site Naoshima. Situé dans l’archipel de la mer intérieure de Seto, au Japon et en développement depuis 1989, ce projet contemporain est une poésie éphémère le rendant à la fois rationnel, sensoriel et humain. Il est composé de 14 structures dédiées à l’art moderne et contemporain et réparties sur trois îles. Elles ont été réalisé par des architectes tels que Kazuhiro Ishii, Tadao Ando, SANAA, Hiroshi Sambuichi et Sou Fujimoto, actifs au Japon comme à l'étranger. Ils viennent concevoir en harmonie avec les paysages de l'île et attirent l'attention du monde entier. Soichiro Fukutake, collectionneur et entrepreneur, avait donc un projet à la fois ambitieux et novateur, celui de donner corps à une utopie aux problématiques contemporaines. Au moment où les musées connaissent une explosion esthétique, lui souhaite une architecture in situ et ouverte à la nature, un dépouillement allant jusqu’à rendre l’espace devenir art. Le terrain devient alors celui de l’expérimentation architecturale mais pourtant aucun "ovni" n’y est produit : puisque l’architecture s’insère voir même cherche à disparaître pour faire profiter le dialogue entre les œuvres, la nature et l’humain. Son ambition est culturelle mais aussi sociale, puisqu’il pense le projet avec le tourisme comme le montre le premier projet : la Benesse House. Conçue par Tadao Ando en 1992, elle fonctionne à la fois comme un musée et un hôtel, une mixité programmatique qui confirme la durabilité de l’architecture mais aussi sa valeur. Cette écriture architecturale permet aussi d’avoir des résultats sociétaux et économiques. L’afflux du tourisme ne cesse d’augmenter et supprime l’isolement que connaissait ce lieu mais aussi de redynamiser l’économie.

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On peut donc voir qu’il n’est pas impossible de proposer un projet à la fois éthique et

esthétique répondant aux problématiques contemporaines et cherchant à prévoir la postérité. La théorie de l’éthique comme de l’esthétique reste cependant une expérimentation avec une interprétation sans fin, puisqu’en réalité la beauté qu’elle soit de l’architecture, de l’homme, de l’art, de l’intention … ne touche jamais tout le monde. Néanmoins il ne faut « jamais céder à la tentation de prendre au sérieux les problèmes concernant les mots et leurs significations. Ce qui doit être pris au sérieux, ce sont les questions qui concernent les faits : les théories et les hypothèses ; les problèmes qu’elles résolvent et les problèmes qu’elles soulèvent. 112 ». Mais il est nécessaire de voir dans le futur de l’écriture architecturale, une nouvelle période qui nous permettra de faire la rétroaction de notre architecture contemporaine, celle de l’architecture iconique.

112

Karl Popper, (1976) La quête inachevée, Paris, Calmann-Lévy, 1981.

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Figures FIGURE 1 FRANCIS BACON, TRIPTYCH - ETUDE DU CORPS HUMAIN, 1970. PEINTURE A L'HUILE, 198 X 147,5 CM, COLLECTION PRIVEE, COURTESY ORDOYAS. .......................................................................................................................................................................... 3 FIGURE 2 PHILHARMONIE BERLIN, ARCHITECTE HANS SCHAROUN, 1963. .................................................................................................. 9 FIGURE 3 MUSEE HISTORIQUE DE NINGBO, CHINE, ARCHITECTE WANG SHU, 2008. ............................................................................. 10 FIGURE 4 SCHEMA TRIPTYQUE DE PRINCIPE POUR LA CONCEPTION ARCHITECTURALE ............................................................................... 13 FIGURE 5 DEMARCHE DE L'ARCHITECTURE A PARTIR DES THEORIES. ........................................................................................................... 13 FIGURE 6 COLLAGE SUR LE PANTHEON DE ROME (-27 AV. J.-C ................................................................................................................ 15 FIGURE 7 SCHEMA TRIPTYQUE POUR CICERON ET VITRUVE. LA SOLIDITE (CONSTRUCTION) ET L'UTILITE (DIEUX) CREENT LA BEAUTE. .. 15 FIGURE 8 ILLUSTRATION POUR L'EXPOSITION "RE-CONSTRUCTIVIST ARCHITECTURE" LERIMONTI GALLERY A NEW-YORK, DESSIN ET COLLAGE, FALSE MIRROR OFFICE, 2016. ....................................................................................................................................... 16 FIGURE 9 COLLAGE, LA NAISSANCE D'UNE RENAISSANCE ........................................................................................................................... 18 FIGURE 10 JOHN STEZAKER, UNDERWORLD XVI, COLLAGE, 23 X 25,3 CM, 2009 ................................................................................. 19 FIGURE 11 SCHEMA TRIPTYQUE D'ALBERTI. LA NECESSITE (CONSTRUCTION) ET LA VOLUPTE (BEAUTE) FABRIQUE LA COMMODITE. ..... 20 FIGURE 12 SCHEMA TRIPTYQUE POUR D'AVILER ET F. BLONDEL. DE LA CONSTRUCTION EMANE LA DECORATION DE L'OUVRAGE (EXT.) ET LA DECORATION SERT A LA DISTRIBUTION (INT.) ......................................................................................................................... 22 FIGURE 13 ESTELLE DESCHAMP, COLLAGE, PHOTOMONTAGES, IMPRESSIONS CONTRECOLLEES SUR ALUMINIUM, GALERIE TIN BOX BORDEAUX, 2010 ............................................................................................................................................................................ 22 FIGURE 14 SCHEMA TRIPTYQUE SELON GUIMARD. LE SENTIMENT DEFINIE L’HARMONIE ET ON Y TROUVE LA LOGIQUE. ........................ 24 FIGURE 15 LA STRUCTURE EST L'HARMONIE, LA FONCTION EST LA LOGIQUE ET LA FORME EST LE SENTIMENT. ....................................... 24 FIGURE 16 ADAM SIMPSON, BOUNDARY HOTEL ELEVATOR VS. OMA, EXPO 89, FRANCE, PARIS, 1989. ......................................... 25 FIGURE 17 CRISTIANA COUCEIRO, PHOTO, MARCHE MUNICIPAL, SANTA MARIA DA FEIRA, PORTUGAL, FERNANDO TAVORA, ARCHITECTE. ...................................................................................................................................................................................... 27 FIGURE 18 GUY CATLING, 29, COLLAGE. .................................................................................................................................................... 33 FIGURE 19 SCHEMA TRIPTYQUE DE L'ARCHITECTURE CONTEMPORAINE. ................................................................................................... 33 FIGURE 20 O. VON CORVEN, LA MAGNIFIQUE BIBLIOTHEQUE D'ALEXANDRIE, 19EME SIECLE, BASE SUR DES EVIDENCES ARCHEOLOGIQUES. ............................................................................................................................................................................ 36 FIGURE 21 DESSIN DE LA BIBLIOTHEQUE D'ALEXANDRIE, EGYPTE. ............................................................................................................ 36 FIGURE 22 AMBITO LOMBARDO, VEDUTA DELLA VILLA "IL MUSEO" DI PAOLO GIOVIO A COMO, 147 X 104 CM, HUILE SUR TOILE, 1619. ................................................................................................................................................................................................ 37 FIGURE 23 ROBERT NANTEUIL, JULES MAZARIN ET LA BIBLIOTHEQUE MAZARINE, GRAVURE, V.1659. CETTE GRAVURE PERMET DE VOIR LES COLLECTIONS DU CARDINAL DANS LA "GALERIE MAZARINE" : BUSTES EN PORTHYRE, CABINETS EN BOIS PRECIEUX, TABLEAUX DONC LE DAVID AVEC LA TETE DE GOLIATH DE GUIDO RENI (1605). ........................................................................... 38 FIGURE 24 CABINET DE CURIOSITE DU DANOIS OLE WORM, GRAVURE, 1655. ....................................................................................... 38 FIGURE 25 INTERIEUR DU SOUTH KENSINGTON MUSEUM : OUVERT AU PUBLIC MERCREDI DERNIER, GRAVURE SUR BOIS, ILLUSTRATION DANS LE TIMES, 27 JUIN 1857. ....................................................................................................................................................... 41 FIGURE 26 MIES VAN DER ROHE, PLAN DU MUSEE POUR UNE PETITE VILLE. PERSPECTIVE INTERIEURE, 1941-1943 (102,9 CM X 77,5 CM), COLLAGE DE PHOTOGRAPHIES ET DE REPRODUCTIONS PHOTOGRAPHIQUES DE TABLEAUX SUR CARTON. ARCHIVE MIES VAN DER ROHE. ......................................................................................................................................................................................... 42 FIGURE 27 LE CORBUSIER, LE MUSEE A CROISSANCE ILLIMITEE, 1934. .................................................................................................... 42 FIGURE 28 GUGGENHEIM MUSEUM, F. L. WRIGHT, 1959, PHOTO DE HARRY HARRIS. ......................................................................... 43 FIGURE 29 PHOTOGRAPHIE GUGGENHEIM BILBAO, ESPAGNE, MARTA EVA LLAMERA ........................................................................... 45 FIGURE 30 KLAUS, CARICATURE DE REM KOOLHAAS, 2009. .................................................................................................................... 48 FIGURE 31 "LE LOUVRE. UNE MARQUE COMME LES AUTRES ?" TELERAMA ASSIMILE LE LOUVRE A UNE MARQUE DE POLO. ELLE EST REPRESENTATIVE DES DEBATS QUI ONT LIEU EN 2007, AU MOMENT DE L'ANNONCE DU LOUVRE ABOU DHABI. ........................ 49 FIGURE 32 "SOURIEZ, VOUS ETES EN ESPAGNE" LE MUSEE GUGGENHEIM BILBAO EST L'ICONE MOBILISEE PAR LA CAMPAGNE DE LA PRESSE POUR REPRESENTER LE PAYS. ................................................................................................................................................ 49 FIGURE 33 CARTOGRAPHIE DES PROJETS DE MUSEE DES "STARCHITECTES". ............................................................................................ 50 FIGURE 34 ILLUSTRATION DE NIKLOS N. BASCOP POUR LE MAGAZINE L'ARCHITECTURE D'AUJOURD'HUI, N°415, OCTOBRE 2016, P. 55. DOSSIER MUSEES, « LES NOUVEAU TEMPLES DE LA CULTURE. » ............................................................................................ 51 FIGURE 35 JOHN CHAMBERLAIN, DOLORES JAMES, 1962. FIGURE 36 F. GEHRY, MAQUETTE DU BIOMUSEO, 2014. ..................... 56 FIGURE 37 CROQUIS, FRANK GEHRY, VITRA MUSEUM, 1987. LA CONTINUITE ET LE MOUVEMENT FONT L’UNITE. .............................. 57 FIGURE 38 CROQUIS, FRANK GEHRY, TRACT HOUSE, 1982. PRINCIPE CONCEPTUEL DU "MORCELLEMENT" POUR FAIRE UN ENSEMBLE. ........................................................................................................................................................................................................... 57 FIGURE 39 FONDATION LOUIS VUITTON ET SA STRUCTURE. ...................................................................................................................... 68 FIGURE 40 MUSEE GUGGENHEIM ET SA MATERIALITE. .............................................................................................................................. 68

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FIGURE 41 MUSEE VITRA ET SA FORME. ..................................................................................................................................................... 68 FIGURE 42 THE SIMPSON, THE SEVEN-BEER SNITCH, SAISON 16 EPISODE 14, DIFFUSE LE 3 AVRIL 2005. ........................................... 70

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Sources page 03 –

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l https://www.cairn.info/histoire-des-bibliotheques--9782200274405-page-169.htm l https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Musei_Wormiani_Historia.jpg

page 41 –

l http://www.vam.ac.uk/content/articles/a/architectural-history-of-the-v-and-a-18561861-brompton-boilers-the-museums-temporary-buildings-fail-to-impress/

page 42 –

l https://relationalthought.wordpress.com/2012/11/18/1331/ l https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques-2011-1-page-43.htm#s2n5

page 43 –

l http://www.ilpost.it/2011/11/16/il-guggenheim-quando-nacque/

page 45 –

l http://fineartamerica.com/featured/guggenheim-bilbao-spain-ii-marta-evallamera.html

page 48 –

l https://klaustoon.wordpress.com/tag/hope/

page 49 –

l http://fr.slideshare.net/GraceFX/tourisme-espagne l Télérama n°2982, 10-16 Mars 2007 (scan de la couverture du magazine)

page 51 –

l L'Architecture d'Aujourd'hui, n°415, Octobre 2016, p. 55 (scan)

page 56 –

l http://artandphotography-uog.blogspot.fr/2011/12/john-chamberlain-1927-2011.html l http://www.nycaviation.com/2012/10/copa-has-a-new-frank-gehry-inspired-boeing737-800/ Photo de Michael Sean Gallagher via Flickr, CC-BY-SA 85


page 57 –

l https://theurbanearth.files.wordpress.com/2008/04/sketch_nate_03_450.jpg l Rafael Moneo, Intranquilité théorique et stratégie du projet dans l’œuvre de huit architectes contemporains, parenthèses, 2013, p. 178. (scan)

page 68 –

l https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitra_Design_Museum l http://www.e-architect.co.uk/bilbao/guggenheim-museum-bilbao l http://aasarchitecture.com/2014/01/fondation-louis-vuitton-pour-la-creation-by-frankgehry.html

page 70 –

l https://www.youtube.com/watch?v=9MyT-wk0DuI (capture écran vidéo)

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Annexes Tableau des différentes triades.

ARCHITECTE / PERIODE

FORME

FONCTION

ASPECT

CHRISTIAN DE

production : technique,

perception : corps vécu,

représentation : discours esthétiques

PORTZAMPARC / XXI

construction

phénoménologie

et idéologiques, modèles, styles

LUCAN / XX

composition

disposition

unité

PL. NERVI / XX

structure

fonction

forme

CIRIANI / XX

Permanence

Pertinence

présence

GUIMARD / XIX

harmonie

logique

sentiment

DURAND / XVIII

économie

convenance

utilité

JF. BLONDEL / XVIII

solidité

commodité

agrément

D’AVILER / F. BLONDEL / XVII

construction

distribution

décoration

ALBERTI / XV

nécessité

commodité

volupté

CICERON / Ier av. JC

utilité

commodité

dignité

VITRUVE / Ier av. JC

solidité

utilité

beauté

Musée Vitra, Weil-am-Rhein, Frank Gehry.

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MusĂŠe Guggenheim, Bilbao, Frank Gehry.

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Fondation Louis Vuitton, Paris, Frank Gehry.

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Les recherches de Frank Gehry.

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Jeu des 7 familles ICONIC est une invitation à découvrir l’architecture contemporaine à travers un jeu connu de tous. Les projets présentés ont été réalisés dans le monde entier par de grandes figures de l’architecture proposant une vision éclectique de cette discipline. Classés en 7 familles de programmes spectacles & évènements, maison, tour, culture, religion, habitat collectif, musée, ces réalisations ont été sélectionnées pour leur diversité, leur intérêt architectural, technique et culturel ainsi que pour leur propension à être aisément identifiables.

Musées : New museum, SANAA – Pyramide du Louvre, Pei – Fundacao ibere camargo, Siza – Guggenheim Bilbao, Gehry – centre georges Pompidou Paris, Piano – Centre Pompidou Metz, Shigueru Ban.

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QUESTION > Quels adjectifs utilisez-vous pour décrire une architecture contemporaine ? Exemples : Pour Montpellier > La mairie, les archives - Pour Paris > centre Pompidou, Fondation Louis Vuitton PRENOM Jean Emile Thomas Julie Marion Edouard Martin Ilies Jules Amandine Marie Yanis Soufyane Emeline Mohammed Robert Martine Yvon André Géraldine Marine Thomas Philippe Chantal Thierry Martin Alain Marie-Paule Armand Ines Elodie Emmanuel Albert Marie Rémi Jean-Baptiste Etienne Camille Paul Juliette Hamid Louis Margaux Benjamin

AGE 48 24 17 26 21 41 32 17 35 18 25 22 27 31 29 53 61 73 54 46 17 23 48 47 57 51 44 62 35 17 21 29 27 25 32 37 42 31 27 24 27 20 28 30

MOTS CLES Beau, moderne, laid Contemporain, beau, original Beau, moche, laid, design Beau, laid, chouette Beau, art, génial Elégant, bien, troublant Sublime, médiocre Beau, moche, laid Beau, moche Joli, magnifique, hideux Gai, triste, beau, moche Moche, beau, louche Morbide, déplacé, audacieux, innovateur, précurseur Artistique, bizarre Canon, dégueulasse, beau, affreux Beau, moche, nouveau, farfelu Moderne, art, bizarre Laid, médiocre, triste Beau, moche, plaisant Nouveau, original, extravagant, beau, spectaculaire Beau, art, génial Nette, épuré, sophistiqué, grand Triste, intéressant, bouleversant, interrogatif Beau, moche Original, bizarre, moche, étrange Contemporain, sublime, beau, léger, lourd Beau, laid, gai Beau, moche moderne, art, bizarre Beau, moche, bizarre Trop laid, louche, dingue Bizarre, drôle, coloré, beau Hideux, stressant, grand Beau, moche Etonnant, moche, insipide Raffiné, épuré, sensible, magnifique Beau, laid, moderne Beau, art, génial Détonnant, hors échelle, subjectif Beau, moche Innovateur, sans intérêt Beau, splendide, extraordinaire Spécial, sans avis Original, beau, ostentatoire

Choix de 45 les plus probants sur environ 70 personnes.

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DATE/LIEU Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Montpellier 22/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Vauvert 24/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16 Paris 29/12/16


Projet de la fondation Guggenheim Ă travers le monde ( source : livre Starchitecture(s) )

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Le langage moderne de l’architecture. Bruno Zevi.

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La complexité et la particularité de l’œuvre architecturale.

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Architecture iconique – Les leçons de Toronto, Guillaume Ethier. Principe d’analyse de projet iconique.

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