Prise de position : Financement climatique - la Suisse doit en faire plus

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« Le réchauffement climatique provoque une nouvelle pauvreté. On ne peut donc pas financer le changement clima­ tique en ponctionnant les projets de ­développement. En plus de la lutte contre la pauvreté, il faut établir des approches basées sur le principe du pollueur-payeur, et mobiliser de nouveaux fonds addition­ nels pour les projets climatiques dans les pays en développement. »

Prise de position de Caritas sur le changement climatique

Financement climatique : la Suisse doit en faire plus


Les graves conséquences du changement ­climatique global En bref : l’année 2016 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis que l’on prend des mesures. La température de la Terre a déjà augmenté de 1,2 degré par rapport à l’ère préindustrielle. Les prochaines années seront déterminantes : pour maîtriser le changement cli­ matique, la communauté internationale doit opérer un virage radical aussi rapidement que possible en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. La recrudescence des inondations, des tempêtes, des vagues de canicule et des sécheresses est inexorable et elle frappe de plein fouet les plus pauvres de la pla­ nète et les pays en développement. Pourtant, les pre­ miers responsables du changement climatique sont les pays industrialisés, et parmi eux, la Suisse. Ce sont donc eux qui devraient endosser cette responsabilité partout dans le monde et promouvoir le virage vers un développement durable. Pourtant, la Suisse se montre timide, aussi bien sur le plan intérieur qu’international. Elle rechigne à financer ses ambitions nationales en matière de protection cli­ matique, mais aussi à contribuer au financement du climat au plan international. Et lorsqu’elle participe financièrement aux conséquences du changement ­ ­climatique, c’est en ponctionnant les fonds de la coopé­ ration au développement, au lieu de mobiliser des fonds additionnels. Elle puise donc dans les fonds destinés à d’autres programmes de développement et de lutte contre la pauvreté. Caritas demande que le Conseil fédéral et le Parlement honorent les engagements signés par la Suisse dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat et qu’ils mobi­ lisent de nouveaux fonds pour la protection du climat et l’adaptation au changement climatique dans les pays en développement — des fonds additionnels à ceux qui existent aujourd’hui pour la coopération au dévelop­ pement. Pour ce faire, il faut créer de nouveaux méca­ nismes de financement, et lever des taxes climatiques basées sur le principe du pollueur-payeur.

Les riches pays de l’OCDE ont signé un accord international par lequel ils s’engagent à soutenir financièrement les pays en développement dans leurs efforts pour maîtriser le changement climatique. Dès 2020, ils devraient mobiliser pour ce faire 100 milliards de dollars par année. Ce fonds doit financer des projets permettant aux pays pauvres et particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique de se développer durablement et de s’adapter à ses conséquences désastreuses. La Suisse fait partie des pays riches qui sont les premiers responsables du changement climatique, et elle a signé l’accord : elle doit donc honorer ses engagements.

La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques parle de fonds nouveaux et additionnels. Mais le Message sur la coopération internationale 2017–2020, adopté en 2016, et un rapport publié en été 2017 sur la participation de la Suisse au financement international du climat montrent que le Conseil fédéral et la majorité du Parlement veulent continuer de ponctionner dans le budget de la coopération au développement les fonds publics nécessaires à la protection du climat et aux mesures d’adaptation au changement climatique. Cela se fait au détriment de programmes existants, pourtant efficaces, de lutte contre la pauvreté. La présente prise de position de Caritas pointe du doigt les faiblesses de la politique climatique de la Suisse dans la perspective de la politique du développement : d’une part, au plan national, la Suisse a posé des objectifs de protection climatique trop modestes, qui ne permettent pas de respecter la limite d’augmentation de 2 degrés décidée par l’ONU. D’autre part, la contribution de la Suisse au financement climatique décidé dans le cadre de l’Accord de Paris est totalement insuffisante et montre que la Suisse ne remplit pas ses engagements et ne prend pas ses responsabilités.

Développement respectueux du climat Le Conseil mondial du climat de l’ONU établit l’influence de l’activité humaine sur le système climatique. Les émissions de gaz à effet de serre découlant de la combustion et de l’exploitation d’énergies fossiles ont massivement augmenté ces dernières décennies. La moitié des émissions de CO2 entre 1750 et 2011 ont été émises ces 40 dernières années. La concentration de CO2 dans l’atmosphère est la plus haute jamais enregistrée dans l’histoire de l’humanité. L’augmentation constante des émissions de gaz à effet de serre a engendré un réchauffement de la planète. En 2016, on a enregistré la plus haute température sur la surface de la Terre depuis qu’on prend des mesures en 1880. Ce nouveau record de chaleur se produit pour la troisième année consécutive. Les calottes polaires fondent rapidement et les océans se réchauffent, ce qui provoque une augmentation des événements climatiques extrêmes. On le voit par l’augmentation des vagues de chaleur et des tempêtes. Les catastrophes naturelles laissent derrière elles d’énormes dégâts et engendrent des coûts économiques, sociaux, sociétaux et culturels faramineux.

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Les pays en développement sont particulièrement affectés par les conséquences des catastrophes naturelles, et par leur augmentation. En effet, beaucoup de ces pays vivent presque exclusivement de leur agriculture. Les populations pauvres sont particulièrement vulnérables, puisque leurs seules ressources sont l’agriculture, l’élevage, la pêche ou l’économie forestière. Ces populations dépendent des ressources naturelles, ellesmêmes soumises aux caprices du climat. En 2007 déjà, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) constatait que le changement climatique global qui se faisait jour ces dernières décennies menaçait les progrès faits dans la lutte contre la pauvreté. L’essor économique et les progrès sociaux de plusieurs pays en développement étaient freinés, voire stoppés, par les conséquences de ce changement. Or, les responsables du changement climatique sont les pays riches qui, depuis le début de l’ère industrielle, ont bâti leur prospérité sur l’exploitation des énergies fossiles. Jusqu’en 1990, ces pays industrialisés, qui comptent 15 % de la population mondiale, ont été responsables de plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Désormais, des pays émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, contribuent eux aussi considérablement au réchauffement climatique. Un développement respectueux du climat nécessite que les pays qui ont émis le plus de gaz à effet de serre par personne prennent maintenant leurs responsabilités. Ces pays ont bâti leurs capacités économiques, technologiques et financières sur cette exploitation, et ils doivent maintenant prendre les mesures de protection climatiques et environnementales nécessaires, aussi bien au plan national qu’international.

Engagement contractuel de la Suisse Le changement climatique représente un défi qui n’a pas de frontières. Il faut donc y faire face au plan international. La première réponse commune de la communauté internationale à la menace du réchauffement climatique a été apportée en 1992 par la signature d’une Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Cette convention sur le climat exige des parties contractantes des mesures politiques et climatiques correspondant à leur « responsabilité commune, mais différenciée ». Selon ce principe, les pays en développement s’engagent pour un développement durable en matière climatique et les pays industrialisés les soutiennent en fournissant les moyens financiers, les technologies respectueuses du climat et leur savoir-faire. Le principe veut également que les moyens mis à disposition soient nouveaux et additionnels. Lors de la Conférence de Cancún sur le climat en 2010, les pays riches sont tombés d’accord pour verser, à partir de

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2020, chaque année 100 milliards de dollars de sources publiques et privées pour les mesures de protection du climat dans les pays en développement. La Suisse, pays prospère, s’est engagée pour sa part à y participer également. Fin 2015, lors du Sommet de Paris sur le climat, la communauté internationale s’est entendue sur le fait de limiter le réchauffement climatique « dans une limite maîtrisable » à moins de deux degrés Celsius, et même, dans toute la mesure du possible, au-dessous de 1,5 degré. Elle a également affirmé son soutien financier aux pays pauvres pour endosser les coûts additionnels engendrés par la nécessité de protéger le climat et d’installer des mesures d’adaptation pour faire face au changement climatique. Cet accord sur le climat de portée mondiale invite tous les pays à adopter au plan national des stratégies sur le long terme et des mesures concrètes de protection du climat mondial. En outre, les pays riches doivent aussi participer de manière équitable au financement international de la protection du climat. Le montant versé par chaque pays est calculé en fonction de sa puissance économique et de son empreinte climatique. Voyons de plus près ces deux aspects : les ambitions de la Suisse en matière de protection du climat et sa participation au financement international. ­­

Mesures de protection du climat et d’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud Le financement climatique est l’affaire de la Convention des Nations Unies et de l’Accord de Paris sur le climat. Les pays en développement doivent être soutenus financièrement (a) pour la protection du climat (atténuation) et (b) pour les mesures d’adaptation aux conséquences du changement climatique (adaptation). Les mesures de protection du climat visent à stopper les changements climatiques, les freiner ou les amoindrir. Par exemple, des systèmes d’énergies renouvelables et durables peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les mesures d’adaptation au changement climatique visent à circonvenir les changements climatiques déjà là et ceux que l’on prévoit. Il s’agit de maîtriser leurs conséquences négatives et les risques qu’ils engendrent, et de les minimiser, selon différentes approches, par exemple une agriculture adaptée, des méthodes d’irrigation économiques, la construction de digues fluviales et côtières, des plans de relogement, des protections contre les inondations et des systèmes de prévention précoce contre les tempêtes et les inondations.


Mesures de la Suisse en matière de protection du climat L’Accord de Paris engage tous les États signataires à mettre en place des stratégies politiques de protection du climat. Actuellement, s’appuyant sur leurs « contributions prévues ­ déterminées au niveau national (INDC) », 165 pays ont déjà indiqué comment ils pensaient protéger le climat. Le respect de ces plans de réduction sera évalué chaque cinq ans dans le cadre de l’ONU. Parallèlement, on attend de ces pays qu’ils augmentent par étapes leurs objectifs en matière de climat. Fin 2016, le Conseil mondial du climat a signalé que les objectifs fixés par l’Accord de Paris ne seraient pas atteints à partir des plans d’action nationaux déjà enregistrés. La limite d’augmentation de la température à 1,5 degré serait atteinte en 2025 déjà. En réalité, il faudrait que les émissions de gaz à effet de serre atteignent leur pic avant 2020 avant de décroître. Faute de quoi, selon les plans de réduction, la pollution va continuer d’augmenter après 2030. La Suisse non plus ne respecte pas son plan climatique, pourtant autodéterminé. À première vue, les efforts nationaux en matière de protection climatique peuvent sembler ambitieux. La Confédération a annoncé vouloir réduire les émissions de moitié à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Mais en réalité, l’image est trompeuse, puisque seulement trois cinquièmes de ces réductions sont effectivement obtenues à l’intérieur du pays grâce à des mesures de réduction. Le Conseil fédéral en effet prévoit de compenser 40 % de cet objectif par le biais du commerce d’émissions. La Suisse peut acheter des « permis de pollution » à des pays en développement qui n’atteignent pas leur quota de droit de pollution. Au lieu d’adopter une attitude cohérente au plan national en matière de protection du climat, la Suisse leur rachète leur obligation de réduire leurs émissions de CO2 , ce qui retarde d’autant à l’intérieur du pays la prise de conscience qu’il faut donner une nouvelle impulsion à la politique climatique.

La stratégie énergétique 2050 de la Suisse La stratégie énergétique 2050 de la Suisse vise à assurer l’approvisionnement énergétique du pays de manière durable et respectueuse de l’environnement. Sa mise en œuvre comporte deux étapes : Le 1er paquet de mesures court jusqu’en 2020. Ce premier paquet a été accepté par le peuple le 21 mai 2017. Il comprend des mesures visant à accroître l’efficacité énergétique et à développer les énergies renouvelables et prévoit des instruments qui permettront de faire baisser la consommation d’énergie, d’augmenter l’efficacité énergétique et d’encourager le développement des énergies renouvelables comme l’eau, le soleil, le vent, la géothermie et la biomasse. En outre, il préconise de soutenir temporairement les grandes centrales hydrauliques existantes. La construction de nouvelles centrales atomiques est interdite. Même si ce paquet de mesures représente une avancée en matière de politique énergétique, cette dernière ne suffit pas à assurer les objectifs politiques visant à réduire d’ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990. En 2015, cette réduction atteignait péniblement 10 %. À partir de 2020, la stratégie prévoit de mettre en œuvre un second paquet de mesures qui sont débattues actuellement au Parlement. Les politiciens ne sont pas tous d’accord sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris, et le Parlement n’a par exemple pas encore décidé comment la Suisse doit contribuer à ce que le réchauffement climatique de la planète reste au-dessous de deux degrés Celsius. On peut regretter que, dans le cadre de sa politique climatique à partir de 2020 (révision de la loi fédérale sur le CO2 jusqu’en 2030), le Conseil fédéral ait persévéré dans son intention de compenser une grande partie de ses réductions d’émissions à l’étranger.

L’Accord de Paris exige que tous les pays atteignent la neutralité en matière d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, avec le but d’un développement durable libéré des énergies fossiles. Il n’est donc pas raisonnable de continuer de négocier le rachat de certificats de permis de polluer. De plus, la Suisse, avec ses 30 % de réduction réels, se situe loin derrière les ambitions de l’Union européenne. Cette dernière a annoncé que d’ici 2030, sur l’ensemble de son territoire, elle réduirait ses émissions de 40 % par rapport au niveau de 1990.

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Participation au financement climatique international Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les besoins financiers pour la protection du climat s’élèveront à 375 milliards de dollars en 2020, dans le scénario du maintien du réchauffement climatique à 2 degrés Celsius. Ces fonds couvrent uniquement les investissements des secteurs électriques, du bâtiment, des transports et des industries des pays en développement et des pays émergents. Ces besoins pourraient être multipliés par trois jusqu’en 2035.

De plus, le Conseil fédéral ne prévoit pas d’engager des fonds nouveaux et additionnels pour les projets climatiques. Le rapport dit clairement que les fonds publics du financement du climat doivent être ponctionnés sur ceux mis à disposition de la coopération au développement. C’est clairement en violation de la Convention de l’ONU relative au climat qui dit explicitement que les fonds destinés aux projets climatiques des pays en développement doivent être nouveaux et additionnels.

À cela s’ajoutent les besoins financiers pour les mesures d’adaptation dans les pays pauvres et les pays particulièrement exposés aux effets du changement climatique. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) estime que ces coûts seront de 300 milliards de dollars en 2030 et pourraient être de 500 milliards de dollars en 2050.

La Suisse prévoit dans sa coopération internationale 2017– 2020 de contribuer par quelque 300 millions de francs par année à des programmes de protection contre le changement climatique. En 2014 déjà, la Suisse a engagé 299 millions de dollars de fonds publics à la réalisation de mesures de protection du climat dans des pays en développement. Deux tiers de cette somme ont été engagés dans des programmes spécifiques de protection du climat (fonds bilatéraux). Le reste a été engagé sous forme de contributions de soutien au fonds international pour le climat et aux banques multilatérales de développement (fonds multilatéraux).

Il y a un consensus international sur le fait que les pays riches doivent participer à ces coûts. L’Accord de Paris engage tous les pays de l’OCDE à constituer, en fonction de leur empreinte climatique et de leur puissance économique, un fonds de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour financer des projets climatiques dans les pays en développement. Depuis des années, Alliance Sud, la communauté de travail suisse des organisations de développement, préconise que la Suisse devrait contribuer à hauteur de 1 % à ce fonds, d’une part, parce que le pourcentage de la performance économique de la Suisse dans le club des pays de l’OCDE s’élève à 1 %, d’autre part parce que la responsabilité effective de la Suisse au changement climatique global est au minimum de cet ordre de grandeur. Si la Suisse veut honorer ses engagements internationaux, la Confédération doit générer en moins de trois ans environ 1 milliard de francs de fonds additionnels chaque année.

Si l’on en croit le Conseil fédéral, les centaines de millions de francs de contributions annuelles pour la protection du climat continueront d’être puisés dans les crédits-cadres pour la coopération internationale et ne proviendront pas de sources financières additionnelles. Une conséquence directe de cette position est que les projets climatiques bilatéraux, tout comme les multilatéraux, se substitueront de plus en plus aux programmes de lutte contre la pauvreté partout dans le monde. Par exemple, des fonds employés jusqu’ici pour la sécurité alimentaire ou pour l’approvisionnement sanitaire de pays très pauvres peuvent désormais être détournés de cet usage et engagés dans des projets de protection du climat dans des pays émergents.

Dans un rapport officiel du 10 mai 2017 sur le financement international du climat, le Conseil fédéral estime la participation de la Suisse à 450 à 600 millions de dollars par année. Cette estimation bien faible s’explique par le fait que la Confédération calcule la part financière de la Suisse uniquement en fonction des émissions directes à l’intérieur des frontières suisses. C’est légal et légitime, mais c’est une pirouette comptable.

De plus, le Conseil fédéral souhaite mobiliser une part importante du financement climatique dans le secteur privé. Le rapport omet cependant de préciser comment ce souhait pourrait se concrétiser. Il mentionne seulement que le Conseil fédéral entend étudier les instruments et modèles de partenariat pouvant être utilisés dans la coopération internationale afin d’amener le secteur privé à réaliser davantage d’investissements en faveur du climat dans les pays en développement.

On néglige volontairement de prendre en compte les « émissions grises », produites par l’importation de produits de l’étranger ou par les transports aériens internationaux. C’est une manière de minimiser la responsabilité de la Suisse en matière de changement climatique. Même l’Office fédéral de l’environnement estime que l’empreinte de la population suisse sur le climat représente plus du double de la production intérieure d’émissions.

L’Accord de Paris reconnaît l’importance cruciale du secteur privé pour atteindre les objectifs climatiques fixés. En revanche, il n’y a pas de consensus sur la manière dont il s’agit de prendre en compte les fonds privés pour atteindre les 100 milliards de dollars prévus. Le risque est que les pays industrialisés enjolivent leur contribution au financement de protection du climat par des pirouettes comptables : les pays riches pourraient faire passer des investissements privés qui

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auraient été engagés de toute façon pour un financement international de protection climatique. On peut imaginer que des fonds privés sont dits mobilisés par l’État si les pouvoirs publics investissent avec une entreprise dans un même projet climatique. Mais comment prouver que ces investissements privés, par exemple pour des énergies renouvelables, ont été garantis uniquement par des prêts étatiques et des garanties publiques ? En investissant dans des programmes d’atténuation dans les énergies renouvelables dans les pays en développement, les entreprises privées espèrent un gain économique et d’image. En revanche, les investissements dans les mesures d’adaptation, comme la protection contre les inondations ou la construction de digues côtières, ne sont pas lucratifs pour les entreprises ou les investisseurs. Ces projets d’adaptation sont pourtant les plus nécessaires dans les pays les plus pauvres. C’est pourquoi l’Accord sur le climat insiste tant sur la notion de fonds publics de financement climatique international. Enfin, le Conseil fédéral affirme dans son rapport qu’il renonce à chercher des sources de financement innovantes, « au vu des obstacles constitutionnels et des désavantages financiers ». Pourtant, il aurait été possible depuis longtemps de suivre des propositions concrètes et faciles à mettre en place et de lever des taxes innovantes payées directement par les responsables du changement climatique. Manifestement, le Conseil fédéral n’a pas la volonté de prendre le virage de la politique climatique en Suisse. Un rapport interdépartemental datant de 2011 déjà formulait des pistes de financement et recommandait de les évaluer. Mais rien n’a été fait dans ce sens. Le Conseil fédéral au contraire a décidé de puiser dans les crédits de la coopération au développement pour financer les coûts de plus en plus importants du changement climatique, au détriment des programmes de lutte contre la pauvreté.

Comment fonctionne le ­financement climatique  ? Les flux du financement international pour la protection du climat des pays prospères vers les pays en développement peuvent se faire dans le cadre de la coopération bilatérale ou de la coopération multilatérale. Certains projets climatiques sont directement financés et mis en œuvre par les pays industrialisés. D’autres sont gérés par des fonds internationaux pour le climat et par des banques de développement multilatérales et régionales. Les contributions de soutien des pays industrialisés à ces institutions sont de plus en plus importantes. Les fonds multilatéraux pour des projets climatiques dans les pays en développement sont canalisés par des agences de l’ONU (p. ex. le Programme des Nations Unies pour l’environnement), des banques de développement (p. ex. Banque mondiale, Banque asiatique de développement) et des fonds (p. ex. l’Adaptation Fund

ou le Fonds vert pour le climat). En outre, de plus en plus de pays bénéficiaires ont créé leur propre fonds climatique national ou régional, par exemple le Amazon Fund ou l’African Risk Capacity. L’ensemble du financement de l’atténuation approuvé par le fonds pour le climat a augmenté sans cesse depuis 2003 pour atteindre plus de 9 milliards de dollars en 2016. Les projets de protection du climat sont soutenus essentiellement en Asie de l’Est et dans le Pacifique, ainsi qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, et la répartition du financement est relativement équilibrée entre les différentes régions de la planète (voir ci-dessous le graphique de la répartition régionale du financement de l’atténuation). Répartition régionale du financement des mesures de protection du climat (atténuation) 15 %

18 %

13 % 17 % 2 %

14 %

10 % 12 %

Asie de l’Est et Pacifique

Global

Amérique latine et Caraïbes

Régional

Moyen Orient et Afrique du Nord

Asie du Sud

Afrique subsaharienne

Europe et Asie centrale

Si l’on observe plus attentivement la coopération des projets d’atténuation, on voit que 20 pays touchent environ 70 % du financement pour la protection du climat. On trouve parmi ces pays notamment l’Inde, le Maroc, le Mexique, l’Afrique du Sud et l’Indonésie. Le total cumulé des moyens d’adaptation approuvés par le fonds pour le climat a augmenté à 3,3 milliards de dollars. Le quart seulement du financement climatique international libéré depuis 2003 est mobilisé pour des mesures d’adaptation au changement climatique. Les fonds d’adaptation sont essentiellement mobilisés en Afrique subsaharienne, Asie de l’Est et Pacifique, et Asie du Sud. La répartition du financement aux différents pays est plus homogène que dans le cas du financement de l’atténuation (voir ci-après le graphique de la répartition régionale du financement d’adaptation approuvé).

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Répartition régionale du financement des mesures d’adaptation

contre la pauvreté, il est important d’aider les populations les plus exposées au changement climatique à se protéger contre les effets dévastateurs de ce changement. C’est à partir de ce constat que la communauté internationale s’est mis d’accord lors de l’Accord de Paris pour mobiliser la moitié du financement climatique dans des mesures d’adaptation.

16 %

36 %

6 %

12 %

12 % 14 %

4 %

Asie de l’Est et Pacifique

Proche Orient et Afrique du Nord

Europe et Asie centrale

Asie du Sud

Global

Afrique subsaharienne

Amérique latine et Caraïbes

Les bénéficiaires les plus importants sont les pays les plus ­vulnérables et les plus touchés par le changement climatique, comme le Bangladesh, le Niger, le Népal, le Mozambique, le Cambodge et la Bolivie. Certains des pays particulièrement pauvres et fragiles, comme la Somalie ou la République de Centrafrique, n’ont pratiquement pas accès aux fonds de projets, ce qui pose problème. L’architecture et la construction du financement climatique multilatéral peuvent contribuer de manière déterminante à la gestion du changement climatique global. Grâce aux différents fonds climatiques, on peut soutenir des systèmes d’énergies renouvelables dans les pays en développement, aider les petits paysans lors de sécheresses, améliorer les systèmes d’eau potable, et améliorer la reforestation de régions déboisées. Les nombreux exemples encourageants des projets climatiques ne doivent cependant pas faire oublier que le financement climatique multilatéral présente quelques faiblesses. Par exemple, il sera important à l’avenir de mieux soutenir dans plusieurs pays en développement de plus petits projets décentralisés d’approvisionnement en énergies renouvelables en plus des solutions d’atténuation chères et nécessitant beaucoup d’entretien qui existent dans quelques pays émergents. Des panneaux solaires efficaces, de petites centrales hydroélectriques ou l’exploitation de la biomasse font partie de ces petits projets. L’objectif est de garantir l’accès à une énergie bon marché et renouvelable à toutes les populations pauvres des pays du Sud. Il est également important de mieux financer les projets d’adaptation au changement climatique en faveur des populations les plus pauvres et vulnérables. En effet, du point de vue de la lutte

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Un autre défi consiste à ce que davantage de moyens des fonds climatiques internationaux, régionaux et nationaux arrivent à des projets climatiques locaux. Plusieurs fonds climatiques sont mobilisés par le biais d’agences multilatérales, de banques de développement régionales et de grandes banques privées qui cherchent une coopération avec l’économie privée. Or, on l’a dit, les acteurs du secteur privé investissent surtout dans des projets énergétiques à grande échelle susceptibles de rapporter beaucoup d’argent. Lors de la distribution des fonds pour le climat, il va falloir mieux tenir compte des plus pauvres et des plus vulnérables. Il est également important que les acteurs locaux soient intégrés dès le début aux projets climatiques. Cela nécessite que des projets de moindre importance soient gérés par des intermédiaires qui cherchent la coopération avec les communautés locales, les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales établies sur place (voir encadré « Fonds global pour le climat »).

Fonds global pour le climat Le Fonds vert pour le climat (FVC) de l’Accord sur le climat est le plus récent des fonds multilatéraux. C’est par le biais du FVC qu’une grande partie des transferts financiers multilatéraux de 100 milliards de dollars doivent être mobilisés dans les pays industrialisés pour les pays en développement. Le FVC cherche à équilibrer le rapport entre la protection du climat (atténuation) et l’adaptation au changement climatique (adaptation). Au moins 50 % des fonds destinés à l’adaptation doivent être mobilisés pour les pays les moins développés et les petits États insulaires. En 2016, le FVC a par exemple soutenu des projets climatiques dans quatre pays africains très pauvres : la Gambie, le Mali, le Sénégal et le Bénin. En mai 2017, les pays prospères avaient garanti (seulement) dix milliards de dollars. Les premiers projets ont été approuvés fin 2015. En novembre 2016, 54 projets, pour un montant total de 1174 millions de dollars, avaient été approuvés. Il est encore trop tôt pour procéder à l’évaluation des projets lancés. Il est heureux de constater que depuis peu, le FVC porte plus d’attention à des projets d’adaptation plus modestes au niveau subnational. De plus, on prévoit de faciliter aux acteurs nationaux et locaux l’accès aux fonds climatiques, de rendre les procédures plus rapides, et de leur accorder un plus grand pouvoir décisionnel dans les projets climatiques. Cette évolution positive s’oppose cependant à une récente décision du FVC qui veut pouvoir intensifier leurs relations financières avec les banques privées. Les entreprises à but lucratif privilégient en principe plutôt les projets de grande envergure que les projets d’adaptation décentralisés.


Concrétiser une justice climatique Le temps qui reste jusqu’en 2020 est déterminant pour le climat global. Ces prochaines années, il faut changer de cap de manière cohérente et systématique, et adopter, partout dans le monde, un comportement permettant de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et de prendre les mesures d’adaptation qui s’imposent face au changement climatique. Pour atteindre une forme de justice climatique, Caritas invite le Conseil fédéral à mettre en place une stratégie climatique cohérente et ambitieuse, prenant mieux en compte la protection du climat dans le pays et mobilisant des moyens additionnels pour les projets climatiques dans les pays en développement.

Nouveaux risques, nouveaux financements La progression du réchauffement climatique et la pauvreté qui sévit partout dans le monde sont étroitement liées. Un changement climatique débridé rend la lutte contre la pauvreté plus difficile, menace la sécurité alimentaire et l’approvisionnement d’eau et engendre de nouvelles pauvretés. Le changement climatique renforce le sentiment de désespoir et crée une nouvelle misère. C’est pourquoi les projets climatiques ne peuvent pas être financés au détriment de programmes déjà en place, et efficaces, de lutte contre la pauvreté. Les nouveaux risques globaux comme le changement climatique nécessitent de nouveaux moyens. Pour être en conformité avec sa puissance économique et sa responsabilité effective dans le réchauffement climatique global, la Suisse doit payer au moins un milliard de francs au financement du climat. Le Conseil fédéral et le Parlement doivent mobiliser les moyens de trouver des fonds additionnels, et non pas des fonds puisés dans le budget du développement.

Le Conseil fédéral et le Parlement doivent étendre la taxe sur le CO2 aux carburants et évaluer en détail une taxe sur les énergies non renouvelables. Depuis longtemps, il aurait fallu introduire une taxe sur les billets d’avion, un impôt sur le kérosène ou une obligation de compensation pour l’achat d’un billet d’avion. Grâce aux vols « subventionnés », les usagers des avions ne paient qu’une partie des coûts réels d’un vol en avion, au détriment de l’environnement. Enfin, il faut que le Conseil fédéral s’engage avec fermeté en faveur d’instruments de financement du climat coordonnés au plan international et conformes au principe du pollueur-payeur. Un prix CO2 global et un impôt international sur le CO2 sur les avions et navires en font partie.

L’engagement international de Caritas dans le domaine du changement climatique Dans ce domaine, Caritas poursuit trois objectifs dans sa coopération au développement : • Caritas soutient la protection du climat (atténuation). Les projets de ce type cherchent à améliorer ­l’efficacité ­énergétique et permettent aux populations locales d’avoir accès aux énergies renouvelables, ce qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. • Caritas soutient l’adaptation aux conséquences négatives du changement climatique (adaptation). Par exemple, l’œuvre d’entraide travaille à améliorer la production alimentaire ou la gestion de l’eau. • Caritas soutient le travail permettant de minimiser les risques de catastrophes. Elle œuvre à réduire les effets dévastateurs des événements naturels, par exemple en construisant des bâtiments résistant aux catastrophes, en préparant la population à faire face aux catastrophes et en mettant en place des systèmes de prévention précoce.

Quand on péjore le climat, on doit payer

Renforcer les acteurs locaux

Pour pouvoir contribuer équitablement au financement climatique, la Suisse doit trouver des instruments de financements nouveaux, innovants et répondant au principe du pollueur-payeur. C’est ainsi que l’on trouvera les fonds publics nécessaires au financement des projets climatiques dans les pays en développement sans augmenter la charge fiscale générale.

Le Fonds vert pour le climat prend de plus en plus d’importance en matière de financement du changement climatique. La Suisse est membre de son comité ; elle peut donc adopter une position de leader pour mettre en place des processus décisionnels d’attribution des fonds transparents et vérifiables et un contrôle étroit de l’utilisation des fonds climatiques dans les pays en développement.

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Contrairement aux grands projets énergétiques, il existe un retard considérable et un besoin avéré en mesures d’adaptation décentralisées. La Suisse doit s’engager pour que plus de fonds soient mobilisés pour l’adaptation des méthodes d’agriculture, le reboisement, la protection des côtes et contre les inondations ou des systèmes de prévention précoce. Car ce sont les populations les plus pauvres et vulnérables qui bénéficient immédiatement et en masse de ce genre de projets. De plus, la Suisse doit s’engager pour que les acteurs locaux aient un accès simplifié et rapide au financement climatique et qu’ils soient mieux pris en compte. Lorsque les organisations de la société civile travaillent de concert et endossent leurs responsabilités, les projets sont mieux ancrés dans le tissu social et ils sont plus durables.

Augmenter la protection du climat à l’intérieur du pays La politique climatique pratiquée aujourd’hui ne permettra pas à la Suisse d’atteindre ses objectifs climatiques pour 2020. La Suisse émet encore beaucoup trop de gaz à effet de serre. Les ambitions pour 2030 sont également insuffisantes. Le Parlement doit développer la stratégie énergétique 2050 avec des mesures résolues, fermes et ambitieuses. La Suisse est un pays prospère et fortement internationalisé. Elle doit donc prendre sa responsabilité et tenir les engagements qu’elle a signés au plan international. Le Conseil fédéral et le Parlement peuvent agir pour que la Suisse réduise ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2020 et de 100 % en 2050. Au vu de sa responsabilité globale dans le changement climatique, ce serait raisonnable, au vu de l’objectif de ne pas dépasser 2 degrés de réchauffement, ce serait satisfaisant.

Septembre 2017 Auteur : Patrik Berlinger, Secteur Études, Politique du développement Courriel : pberlinger@caritas.ch, téléphone : 041 419 23 95. Cette prise de position est téléchargeable sur www.caritas.ch/prises-de-position.

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