Le droit à la dignité humaine dans la migration du travail

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La migration contribue au développement. Et c’est aussi vrai de la migration du travail due à la pauvreté ou aux conflits dans les pays du Sud, dans la mesure où elle satisfait aux standards imposés par les droits de l’homme.

Prise de position de Caritas

Le droit à la dignité humaine dans la migration du travail


Migration du travail due à la pauvreté dans les pays du Sud En bref : Aujourd’hui dans le monde, près d’un quart de milliard de personnes vivent en dehors de leur pays d’origine. Dans les régions en développement, cent millions de personnes ont migré d’un pays à l’autre ou dans leur pays même, espérant échapper à la pauvreté, l’absence de perspectives et la violence. Près de 25 millions de personnes migrantes vivent dans les seuls Pays du Golfe, main-d’œuvre provenant des pays en développement, surtout d’Asie du Sud et du Sud-Est. Elles sont très souvent victimes de différentes formes d’exploitation et de discrimination — au moment du recrutement, lors de leur voyage ou sur leur nouvelle place de travail. Ces gens sont souvent victimes d’intermédiaires sans scrupules, ils sont exploités comme domestiques, victimes du trafic d’êtres humains et de la prostitution ou sont privés de toute protection juridique parce qu’ils sont en situation irrégulière. Cette situation concerne des millions de jeunes et d’enfants. La migration peut offrir des perspectives aux gens dans la mesure où elle leur permet de vivre et de travailler dans des conditions dignes. La revendication d’un « Decent Work », un travail décent, est donc la pierre d’angle d’une migration équitable et fait partie des objectifs de l’Agenda 2030 du développement durable. Les éléments centraux du travail décent sont une réglementation contractuelle des conditions de travail, un revenu décent, la sécurité sur la place de travail, la protection sociale des familles, des possibilités de développement personnel et d’intégration sociale, et l’égalité des chances et de traitement entre femmes et hommes. Dans cette prise de position, Caritas Suisse montre les abus commis dans le cadre de la migration du travail Sud-Sud qui découle de la pauvreté, et énumère les approches que la Suisse peut adopter dans sa politique extérieure et dans le cadre de sa coopération internationale pour imposer le respect des droits de l’homme dans le travail décent.

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Toute personne a le droit de migrer pour échapper à la pauvreté, la misère ou la violence dans son pays d’origine. Mais pour avoir une perspective d’avenir, les conditions de vie et de travail que cette personne trouve dans son nou­ veau lieu de vie doivent satisfaire à certains standards en matière de droits de l’homme et de dignité. Souvent, la réa­ lité est tout autre : ces personnes sont victimes de toutes sortes de formes d’exploitation et de discriminations qui commencent déjà lors de leur recrutement, et se pour­ suivent durant leur voyage et dans la manière dont elles sont traitées sur leur place de travail et dans leur nouveau lieu de vie. Les personnes qui doivent partir pour fuir les conflits et la violence se retrouvent dans une situation particulièrement précaire, car elles se trouvent livrées sans protection à toutes sortes d’exploitations et d’abus dans des camps d’accueil rudimentaires. Le travail a une grande importance : il a une influence sur les standards de vie, la reconnaissance sociale et l’intégra­ tion. Il forme la base d’une existence autodéterminée et digne, il ouvre des perspectives personnelles, favorise la cohésion familiale et l’indépendance économique de cha­ cun et chacune. D’un point de vue social, le travail contribue considérablement à la croissance et au développement et il forme le fondement de la lutte contre la pauvreté, le bienêtre, la justice sociale, la paix et le développement durable. Lorsqu’on parle de « travail décent », on ne parle pas seule­ ment de l’existence d’un travail. Il faut aussi que ce travail soit digne. Le travail décent est la condition centrale d’une migration équitable et il fait donc partie des objectifs de l’Agenda 2030. La Suisse peut — et doit — contribuer à améliorer les conditions-cadres de la migration du travail. Son accord du 30 mai 2016 avec l’Organisation internatio­ nale du Travail (OIT) pour le renforcement de leur engage­ ment commun dans la lutte contre la pauvreté et l’encoura­ gement du travail décent au service de la paix et du partenariat social est un pas important dans cette direction.


L’importance de la migration dans les pays du Sud Pratiquement, les différentes causes de la migration, telles que les conflits et la violence, la misère, l’extrême pauvreté ou les chan­ gements climatiques s’entremêlent. Dès lors, il est difficile de dif­ férencier clairement les mouvements migratoires qui en découlent. De plus, et indépendamment de cela, toutes les personnes mi­ grantes ont besoin d’un travail. En ce qui concerne la promotion du travail décent, les différentes causes de la migration jouent donc un rôle secondaire, à part peut-être en ce qui concerne le degré d’exploitation des personnes, et le fait que les personnes déplacées pour cause de violence ou de changement climatique n’ont pas d’option de retour à court terme. De facto, toutes les personnes déplacées se trouvent donc largement sans protection face à l’exploitation et aux conditions de travail indignes. Pour mieux comprendre l’importance de ces mouvements, voici un aperçu de la situation de la migration internationale : selon l’ONU, en 2015, près de 244 millions de personnes vivent en dehors de leur pays d’origine, et environ 48 % d’entre elles sont des femmes. Une catégorisation grossière entre les pays du Sud (pays en développement et pays émergents) et du Nord (pays industrialisés) permet de voir que la migration Sud-Sud (migra­ tions internationales restant dans les limites des pays en déve­ loppement et émergents) englobe environ 93 millions de per­ sonnes ; 84 millions de personnes de pays du Sud vivent dans des pays du Nord ; 14 millions de personnes du Nord vivent dans des pays du Sud et la migration Nord-Nord concerne quelque 56 millions de personnes. Il existe peu de chiffres fiables sur la migration à l’intérieur des frontières des pays, et cette migration intérieure n’est pas prise en compte dans les statistiques. Certaines estimations font état d’au moins 750 millions de personnes dans le monde qui sont déplacées au sein de leur pays ; la moitié d’entre elles a migré de la campagne vers les agglomérations urbaines. Les raisons de la migration interne sont pour l’essentiel les mêmes que celles de la migration internationale : la pauvreté, le chômage, les conflits, les catastrophes environnementales et le changement clima­ tique. La migration interne est également causée par des raisons sociales, par exemple le mariage. Il n’est pas étonnant, au vu de l’immensité de l’Inde, que plus de la moitié des personnes dépla­ cées internes vivent dans ce pays. Le ministère indien de la Statistique « Ministery of Statistics & Programme Implementa­ tion » évalue à quelque 400 millions de personnes (un tiers de la population indienne) les migrants internes. Le total de leurs transferts d’argent est estimé à plus de 18 milliards de dollars. Près de 80 % de ces personnes déplacées sont des femmes et 90 % d’entre elles ont migré à la suite de leur mariage. Intéressons-nous maintenant à la migration Sud-Sud qui se produit essentiellement en Asie. Les pays d’accueil les plus im­ portants sont les six États du Golfe (graphique 1), dans lesquels vivent un bon quart des migrants Sud-Sud (25,4 millions). La plupart (70 %) proviennent d’Asie du Sud et du Sud-Est, avec d’abord une main-d’œuvre indienne (32 %), du Bangladesh et du Pakistan (11 % pour chacun de ces pays). Le taux de migration

dans l’ensemble de la population s’élève à 50 % dans les pays du Golfe, avec des sommets dans les Émirats arabes unis (98 %) et le Qatar (80 %). En dépit des conditions de travail souvent très précaires, la région du Golfe représente depuis des années pour les migrants du travail un espoir de gagner un revenu plus assuré qui, grâce aux transferts, permettra aussi aux membres de la famille restés au pays de vivre mieux.

Destination les États du Golfe

Pays divers 7,1 mio. (28 %)

Inde 8,2 mio. (32 %)

Népal 0,6 mio. (2 %) Sri Lanka 0,7 mio. (3 %) Philippines 1,5 mio. (6 %)

Bangladesh 2,8 mio. (11 %)

Indonésie 1,8 mio. (7 %)

Pakistan 2,8 mio. (11 %)

Graphique 1 : origine des populations étrangères dans les États du Golfe (25,4 millions) (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman) (sources : ONU / DESA 2015 ; représentation propre)

La région d’Asie du Sud-Est est une autre destination importante de migration (graphique 2). Près de 3,9 millions de migrants vivent en Thaïlande, la plupart d’entre eux sont des forces de travail bon marché. 96 % d’entre eux viennent des pays pauvres voisins que sont le Myanmar (51 %), le Laos (25 %) et le Cambodge (21 %).

Destination Thaïlande (3,9 millions) en Thaïlande dans d’autres pays

0,7 0,1 2,0

du Myanmar

1,0 du Laos

0,1 0,8 du Cambodge

migration du Myanmar, du Laos, du Cambodge (en millions) (sources: ONU/DESA 2015; représentation propre)

De plus, de grands groupes de migrants se trouvent dans les États d’Asie du Sud ; notamment 3,2 millions de Bangladais,

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La migration entre et au sein des régions du monde (2010 – 2015) du point de vue des régions d’origine, en couleurs

OC

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Afrique Amérique du Nord

Asie Océanie

Europe autres pays du Nord (AN)

Amérique latine et Caraïbes (ALC) autres pays du Sud (AS)

Source : http://www.un.org/en/development/desa/population/migration/ data/estimates2/estimatesgraphs.shtml?0g0

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1 million de Pakistanais et un demi-million de Népalais vivent en Inde. A contrario, 2 millions d’Indiens vivent au Pakistan. Quelque 4 millions d’Afghans vivent aujourd’hui en Iran ou au Pakistan. Sur le continent africain, quelque 21 millions de personnes vivent en dehors de leur pays d’origine, et cette migration se fait en majorité entre pays voisins et dans certaines régions données. C’est particulièrement vrai en Afrique de l’Ouest où 95 % des 6,6 millions d’étrangers sont originaires de la région.

Pauvreté et exploitation Le plus souvent, les mouvements migratoires Sud-Sud sont l’expression de l’espoir pour les personnes migrantes de s’assurer une existence plus digne, pour eux et leur famille, et de gagner un revenu dans des conditions acceptables. Même si la migration rime souvent avec des conditions de travail précaires et d’autres risques inhérents, elle reste mal­ gré tout la seule option possible, au vu de la pauvreté, de l’impossibilité de trouver un travail sur place, de la perte des fondements de l’existence, des problèmes d’endettement, de la succession des crises économiques, de l’exploitation, des catastrophes climatiques, des discriminations, des conflits ou de l’instabilité politique. L’importance de la migration se mesure notamment à celle des transferts d’argent (graphique 3) : grâce à ces transferts (qu’on appelle parfois les « migradollars »), le travail à l’étran­ ger d’un seul membre de la famille peut représenter la survie de toute la famille restée au pays. Ce sont presque 210 mil­ liards de dollars qui sont envoyés chaque année aux familles restées au pays dans le cadre de la migration Sud-Sud. En outre, beaucoup de migrants du travail voient dans cette migration une chance d’augmenter leurs qualifications pro­ fessionnelles, leur statut social et, par là, leur standard de vie. La migration leur permet de participer directement au développement local lorsqu’ils rentrent au pays.

Migration (en millions) transferts d’argent (en milliards de dollars)

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La pauvreté extrême reste encore le sort de près de 850 mil­ lions de personnes de par le monde qui doivent vivre avec moins de 1,25 dollar par jour. En Asie du Sud seulement, cette extrême pauvreté concerne près de 17 % de la population. Les gens qui travaillent ne sont pas forcément à l’abri de l’extrême pauvreté : dans le monde, selon l’OIT, 320 millions de per­ sonnes qui ont un emploi gagnent moins de 1,25 dollar par jour, et parmi eux, 124 millions se trouvent en Asie du Sud et 130 millions en Afrique subsaharienne. La pauvreté, les condi­ tions de travail précaires et l’exploitation trouvent un terreau favorable dans une économie informelle qui ignore les régle­ mentations de protection des travailleurs. En Asie du Sud, 80 % des migrants et en Afrique subsaharienne, 60 à 80 % des migrants travaillent dans des conditions informelles, sans compter l’agriculture. En principe, ces travailleurs ne travaillent pas volontairement dans l’économie informelle, mais pour accéder — souvent dans des conditions précaires — à des possibilités de gagner un peu plus d’argent, comme ouvriers agricoles, ouvriers d’usine, mineurs, conducteurs de poids lourds ou employés de maison. Les personnes livrées au trafic d’êtres humains ou à la servi­ tude pour dettes, censée permettre aux gens de rembourser des crédits soumis à des intérêts énormes, sont victimes d’une exploitation particulièrement sordide. Beaucoup tombent dans une forme d’esclavage : ils sont obligés de rembourser à leur employeur, à qui ils doivent de l’argent pour leur héber­ gement, leur nourriture et leurs outils de travail, l’équivalent de leur salaire, et même parfois plus, ce qui rend le rembourse­ ment impossible et engendre des situations d’endettement et de travail forcé qui se transmettent même d’une génération à l’autre. Même si depuis longtemps, la servitude pour dettes est interdite partout dans le monde, la pratique en reste très répandue. Elle concerne essentiellement des familles pauvres et sans terre qui, pour survivre, empruntent de l’argent aux prêteurs locaux ou s’endettent auprès des bureaux de recru­ tement. La migration du travail se transforme ainsi en migration de travail forcé et même en trafic d’êtres humains. L’OIT estime que dans la seule zone de l’Asie du Sud, au moins 12 millions de femmes, d’hommes et d’enfants travaillent comme « bonded labourers » dans des carrières, des briqueteries, des fabriques ou dans l’agriculture. Les femmes et les jeunes filles doivent également se prostituer.

207 Un travail décent (Decent Work)

143 93

84 56 14

Migration Sud-Sud

Migration Sud-Nord

Migration Nord-Nord

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Migration Nord-Sud

« Le travail décent » comprend une réglementation contrac­ tuelle des conditions de travail en ce qui concerne le revenu, la sécurité et la protection sociale ainsi que le droit des personnes à s’organiser, et à prendre part aux décisi­ ons qui ont un impact sur leur existence. Le travail décent promeut l’intégrité, l’égalité des chances et de traitement entre hommes et femmes (définition de Caritas sur le modèle de l’Organisation internationale du Travail OIT).

Graphique 3 : migration et transferts d’argent (migradollars) 2015 (sources : ONU et Banque mondiale ; représentation propre)

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La demande en migrantes et ­migrants du travail L’OIT estime que 150 millions de migrants, ce qui représente quasiment les deux tiers de l’ensemble des migrants, sont des migrants du travail (graphique 4). Les processus régio­ naux de globalisation ont engendré ces dernières décennies une augmentation rapide de la demande en main-d’œuvre étrangère. D’abord, cette dernière travaillait essentiellement dans les pays industrialisés, mais depuis quelques années, les besoins des régions en développement, et particulière­ ment des pays émergents, ont massivement augmenté.

Migrantes et migrants (244 millions)

Migrants du travail (150 millions)

Employés de maison (12 millions)

Le système de la kafala Le système de la kafala, (sponsorship en anglais), régit le droit du travail et de séjour de la main-d’œuvre migrante et les relations avec les employeurs dans plusieurs pays du MoyenOrient. L’employeur, le kafil (sponsor) est tenu d’organiser les formalités d’entrée dans le pays, le permis de travail et le visa. Les employés sont juridiquement liés à leur employeur pen­ dant la durée de leur contrat de travail et ils ne peuvent ni partir ni rester sans sa permission. Les employeurs gardent en général leurs papiers et documents de voyage pour éviter que l’employé ne s’en aille prématurément et ils leur rendent ces documents après la fin de leur contrat de travail et juste avant leur départ. Le système de la kafala reflète une politique migratoire res­ trictive qui favorise une migration du travail limitée dans le temps et la subordonne aux nécessités économiques du moment. Lorsque l’économie n’a plus besoin des migrants, on peut les faire partir tout de suite. Les migrants sont livrés à leur kafil pour la durée de leur contrat et ils travaillent sou­ vent dans des conditions précaires, voire quasi esclavagistes. Le Qatar, organisateur du Mondial de football 2022, est un exemple type de pays utilisant le système de la kafala. Selon les observateurs des droits de l’homme, les salaires des migrants employés à la construction des infrastructures nécessaires sont bien plus bas, et les conditions de travail nettement moins bonnes que ce qui avait été promis. Même si la législation du Qatar l’interdit, beaucoup de travailleurs migrants se sont vus confisquer leur passeport. Un grand nombre n’ont pas été payés pendant des mois, ils travaillent dans des conditions de forçats et sont logés dans des loge­ ments misérables. état juin 2016

Graphique 4 : migration internationale 2015 (sources : ONU et OIT ; représentation propre)

On peut citer dans ce contexte les pays du Golfe qui n’au­ raient pas pu atteindre leur niveau de vie ni construire leurs infrastructures sans l’aide de la main-d’œuvre migrante. Chaque année, plus de 3 millions de migrants arrivent d’Asie du Sud et du Sud-Est dans la région du Golfe où ils travaillent dans le secteur privé, sans aucune sécurité et dans des conditions précaires, dans la construction, les champs pé­ trolifères ou comme employés de maison. Si, après quelques mois ou quelques années, leur contrat de travail expire, ils perdent leur permis de séjour et doivent quitter le pays im­ médiatement. Lorsqu’une prolongation du contrat de travail est possible, c’est au prix le plus souvent d’une aggravation nette des conditions de travail.

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Risques particuliers de la migration du travail Sud-Sud Les dangers auxquels sont confrontés les migrants du travail Sud-Sud (qui, comme on l’a dit, est souvent due à la pauvreté et / ou aux conflits), se caractérisent par différents facteurs qui se renforcent les uns les autres. Pour lutter contre l’exploitation et les abus, il faut s’attaquer particulièrement au recrutement par les agences, aux problèmes liés au travail domestique ainsi qu’au travail des mineurs et des personnes au statut irrégulier, tous domaines où les femmes et les jeunes filles sont particu­ lièrement touchées.

Recrutement par les agences Les agences de recrutement et d’emploi pour la main-d’œuvre migrante jouent un rôle important dans le processus de migra­ tion. Les agences sérieuses facilitent l’accès à l’offre d’emploi et contribuent ainsi à une mobilité du travail constructive ainsi qu’aux processus de développement des pays d’origine et de destination. Elles jettent un pont entre les employeurs et les employés, facilitent l’accès aux informations concernant les conditions de travail et de vie dans le pays d’accueil, guident les travailleurs à travers les pratiques complexes de l’immigration et endossent parfois la responsabilité des demandes de passe­ ports, du logement des migrants et d’autres formalités de ce genre. En Asie du Sud, une majorité de migrants du travail béné­ ficie des services d’agences de ce genre. Mais si les migrants tombent entre les griffes d’agences de recrutement sans scru­ pules uniquement intéressées à gagner de l’argent et qui ex­ ploitent sans pitié l’absence de perspectives des migrants et de leur famille, ils se retrouvent livrés sans protection à leurs méca­ nismes d’exploitation. Ils doivent faire face à des salaires très bas ou même inexistants, des horaires de travail non réglementés et toutes sortes de limitations des libertés humaines. Beaucoup sont également victimes de violences physiques et sexuelles. Plusieurs acteurs différents sont engagés dans les processus complexes de recrutement, qui par ailleurs varient d’un pays, d’une région, d’une entreprise et d’un secteur d’emploi à l’autre. Les agences d’intermédiaires collaborent avec d’innombrables sousagences recrutant de la main-d’œuvre surtout dans les régions rurales, souvent en faisant appel aux connaissances et membres de la famille. Il n’est pas rare qu’elles établissent de faux documents de voyage — ce qui, de facto, place la personne migrante en situation irrégulière dans le pays d’ac­ cueil — ou qu’elles s’occupent des contrats de travail dans le pays de destination et de la confiscation des passeports, ce qui empêche les gens de rentrer chez eux. Il faut également compter avec les taxes que ces agences encaissent pour leur travail d’intermédiaire. Dans plusieurs pays, le montant de ces taxes est réglementé, mais il n’est pas rare que ces réglemen­ tations ne soient pas respectées. Selon l’OIT, au Népal, les

migrants du travail paient en moyenne 1200 dollars pour migrer vers le Qatar, alors même que selon la législation du Qatar, c’est l’employeur qui doit s’acquitter des coûts de voyage et des autres charges liés à la migration. Mais beaucoup de migrants sont prêts à prendre un crédit (et à payer des intérêts qui peuvent s’élever à 80 %) pour faire face aux coûts élevés de recrutement. Ou bien, ils acceptent que ces coûts soient dé­ duits de leur salaire, sans se rendre compte du fait que cela peut les faire tomber dans le travail forcé et la servitude. Les irrégularités répétées dans la phase « recrutement » de la migration ont conduit l’OIT à décider en 1997 de la « Convention (n° 181) sur les agences d’emploi privées », pour lutter contre ces violations des droits humains. Mais aucun des pays d’ac­ cueil dans la région du Golfe, ni d’ailleurs aucun des pays d’origine importants n’a ratifié cette convention. La Suisse non plus ne l’a pas ratifiée.

Recrutement au Népal Déjà avant le tremblement de terre qui a dévasté le Népal en avril 2015, plus de 1,4 million de Népalais travaillaient à l’étran­ ger, notamment en Inde (38 %), en Arabie Saoudite (27 %), en Malaisie (15 %) et au Qatar (10 %). Depuis le séisme, la situation des Népalais au pays ne s’est pas améliorée et trafic d’êtres humains: dans les régions rurales : dans les régions rurales notamment, des proches, membres de la famille ou des sous-agences de la même condition sociale que les migrants potentiels persuadent les gens de migrer en leur faisant miroi­ ter des emplois en ville. On propose aux jeunes femmes des emplois de danseuse, danseuse ou serveuse en ville, mais quand elles arrivent, elles sont forcées de se prostituer ou de travailler pour rien. Souvent aussi elles sont vendues comme esclaves en Inde ou au Proche-Orient. Les promesses d’emplois directement à l’étranger ont égale­ ment beaucoup augmenté ces dernières années. Pour les agences d’emploi, le recrutement ciblé de femmes et d’hommes comme main-d’œuvre, notamment pour les pays du Golfe et la Malaisie, est de plus en plus attractif. Les coûts élevés de ces agences obligent les migrants du travail à s’en­ detter et les conditions de travail quasi esclavagistes les empêchent de rembourser leur dette. Pour mieux protéger les migrants, le gouvernement, le gouver­ nement a adopté en 2007 deux lois qui les agences à donner aux futurs employés une copie de leur contrat de travail avant leur départ. Les agences qui ne respectent pas les conditions contractuelles peuvent être pénalisées. Mais l’application de ces lois n’est toujours pas systématique, et de facto, pratique­ ment aucune agence n’a jamais été pénalisée pour ses pra­ tiques frauduleuses. état juin 2016

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Travail domestique Selon l’OIT, en 2013, près de 67 millions de personnes tra­ vaillaient comme domestiques de par le monde, dont 17 mil­ lions d’enfants. Les femmes et les jeunes filles représentent 80 % de ce total. La plupart des travailleurs domestiques ne franchissent pas la frontière (82 %) de leur pays, et migrent de la campagne vers la ville où elles et ils travaillent pour des familles aisées. Près de 80 % des 12 millions de migrants qui franchissent une frontière travaillent dans des pays riches. Leurs conditions de travail varient beaucoup, et même si on a des exemples de conditions correctes de travail et d’expériences positives, on sait bien que le non-respect de la dignité des gens, leur avilissement et leur asservissement sont également monnaie courante. Il n’est pas rare que s’installent une forme moderne d’esclavage, des abus de toutes sortes, une exploitation sexuelle et même des violences pouvant mener à la mort. Les em­ ployés de maison travaillent dans un secteur informel et sont donc pratiquement invisibles. Ils doivent souvent travailler jusqu’à 18 heures par jour sans compensation d’aucune sorte. Des millions d’entre eux vivent sur leur place de tra­ vail, ce qui les isole du monde extérieur et les laisse sans défense dans les familles qui les emploient.

Travailleurs domestiques (en mio) Employés domestiques Proportion de migrants du travail

53,8

45,3

13,4 10,3 8,5 femmes

3,1 hommes

Graphique 5 : employés de maison dans le monde en 2013 (en millions) (sources : OIT ; représentation propre)

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Dans plusieurs pays, le travail des domestiques de maison n’est même pas reconnu comme un emploi régulier et il n’est régi par aucune législation. Il est par conséquent difficile d’imposer un salaire minimum, des horaires de travail cor­ rects ou des vacances. Quelques rares employés de maison disposent du savoir nécessaire et du soutien de groupes de défense de leurs intérêts leur permettant d’améliorer leur situation. Au vu de cette situation, l’OIT a adopté en 2011 la « Convention sur les travailleuses et travailleurs domes­ tiques » (n° 189), ratifiée jusqu’ici par 22 pays, dont ne font hélas pas partie les pays pour lesquels il aurait été urgent de légiférer sur la question, en l’occurrence les pays du Golfe et l’Inde.

Les travailleurs domestiques en Inde Les statistiques officielles font état de quelque cinq millions de femmes travailleuses domestiques en Inde, en général dans des conditions très précaires puisqu’il n’existe pas de cadre juridique. Plusieurs organisations des droits de l’homme font état d’un nombre beaucoup plus élevé. La demande importante de travailleuses domestiques est l’une des conséquences de l’urbanisation très rapide du pays. Parallèlement, la paupérisation des régions rurales et de la situation économique et sociale désastreuse de certaines minorités ethniques force d’innombrables personnes à mig­ rer vers les villes. Les jeunes filles et les femmes qui ne bénéficient d’aucune formation n’ont pas d’autre option que de trouver un emploi comme employée de maison. La discri­ mination de ces travailleuses domestiques est quotidienne, elle est souvent le fait de différences ethniques ou religieuses ou d’appartenance à une caste. Les abus sont rarement médiatisés, et les quelque 3500 cas répertoriés chaque année par le ministère compétent ne sont que la pointe de l’iceberg. Certains États indiens tentent d’améliorer les conditions de travail des travailleuses domestiques, de leur garantir un accès à la sécurité sociale et d’introduire un salaire minimum. Certains ont même institué des bureaux des droits des tra­ vailleurs domestiques, où ces derniers peuvent s’enregistrer et revendiquer l’aide sociale. Malgré ces efforts pour améli­ orer la condition sociale et juridique des travailleurs domes­ tiques, l’immense majorité de ceux-ci sont encore exclus des réglementations relatives au droit du travail en Inde. L’Inde n’a toujours pas ratifié la Convention n° 189. état juin 2016


Travail des mineurs

La production de crevettes en Thaïlande

Des millions d’enfants migrent pour fuir les conflits, les ca­ tastrophes naturelles ou la pauvreté, ou encore pour échap­ per à des expériences traumatisantes, des abus sexuels par des membres de leur famille ou des mariages forcés. La Banque mondiale estime qu’environ 85 millions de jeunes gens et jeunes filles âgés de 12 à 24 ans sont migrants, la plupart sont des mineurs non accompagnés. Selon l’OIT, ce nombre ne va cesser d’augmenter ces prochaines années.

Le trafic d’êtres humains entre la Thaïlande et les pays pauvres voisins fait florès. Les enfants sont souvent concer­ nés ; ils doivent travailler dans l’agriculture, la construction, la prostitution ou la très lucrative industrie du poisson et des fruits de mer (dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs milliards de dollars). 80 % des quelque 700 000 personnes travaillant dans ce secteur sont des migrants ; beaucoup viennent du Myanmar d’où ils fuient la misère.

Pour ces jeunes, la migration peut s’avérer positive et repré­ senter une amélioration de leur existence, mais ils s’exposent à de nombreux dangers, surtout lorsqu’ils voyagent avec des documents irréguliers ou lorsqu’ils sont non accompagnés. Sans la protection d’adultes et sans accès aux informations, ils ne connaissent pas leurs droits et se retrouvent fréquem­ ment victimes d’abus sexuels et de travail forcé. On estime que plus de 2 millions de jeunes filles mineures placées dans des ménages privés sont en fait sexuellement exploitées, à des fins commerciales. Très souvent, l’accès à la formation ou aux soins médicaux leur est refusé et la plupart du temps, ils sont socialement isolés.

Environ 40 000 enfants venant surtout du Myanmar travaillent dans l’industrie de la crevette. Ils commencent à travailler vers 14 ou 15 ans, mais certains n’ont que 9 ans. Les enfants prétendent être plus âgés qu’ils ne sont pour avoir plus de chances sur le marché du travail. Les conditions de travail sur les bateaux dont la pêche sert de farine de nourriture pour les élevages de crevettes sont particulièrement mauvaises, et plus proches de l’esclavage moderne que d’un travail ré­ munéré. Les enfants travaillent durant de très longues heures sans la moindre pause, ils sont frappés et violentés, voire torturés. Ils ne connaissent pas leurs droits, et moins de 3 % d’entre eux ont un vrai contrat de travail. Ceux qui ont travaillé sur l’un de ces bateaux n’ont pratiquement aucune chance de s’échapper, car les bateaux restent en mer pendant des mois, voire des années.

Selon l’OIT, le travail des enfants comme conséquence de la pauvreté concerne 215 millions de mineurs dans le monde, notamment en Afrique et en Asie du Sud, et beaucoup d’entre eux sont migrants. Ils sont employés comme travail­ leurs domestiques, dans l’agriculture, des fabriques et des carrières ou sont exploités par des réseaux de prostitution. Les enfants migrants sont nettement moins bien traités dans leur travail que les enfants travailleurs venant de la région. Ils touchent des salaires moindres, sont employés sans salaire, ont des horaires de travail sensiblement plus longs et vivent avec la peur d’être livrés aux autorités. Ils ont des problèmes de santé physique et psychique et ils sont marqués à vie par l’expérience du travail des enfants : plus tard dans leur vie, lorsqu’ils seront sur le marché du travail en tant qu’adultes, ils obtiendront des conditions moins bonnes que les autres et auront moins de chance de décrocher un emploi digne et bien rémunéré. Dans beaucoup de pays, les adultes qui ont été forcés de travailler dans leur enfance et qui ne sont pas allés à l’école sont employés dans des travaux dangereux.

Même si la loi thaïlandaise garantit la scolarisation de tous les enfants du pays et étrangers, plus d’un quart des enfants étrangers de plus de 12 ans ne fréquentent plus l’école, car leurs parents les en retirent pour qu’ils contribuent au revenu familial. Le gouvernement thaïlandais a commencé ces dernières années à appliquer la Convention 182 « sur les pires formes de travail des enfants » que la Thaïlande a ratifiée en 2001 déjà. Par exemple, l’âge minimum des enfants travaillant dans l’agriculture a été élevé de 13 à 15 ans et l’âge des enfants travaillant sur les bateaux a été élevé de 16 à 18 ans. Un comité doit aussi élaborer des approches de solutions. Pourtant, malgré ces efforts, la situation des enfants pauvres et étrangers reste très précaire. En effet, les enfants ne trouvent pas de travail dans le secteur régulier, à cause de l’interdiction du travail des enfants. La plupart d’entre eux travaillent donc dans des exploitations de crevettes de petite taille et non répertoriées. état juin 2016

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Statut irrégulier Une majorité de migrantes et de migrants ne sont tombés dans l’irrégularité qu’au moment de leur arrivée dans le pays d’accueil. Les raisons en sont multiples. Par exemple, les agences de recrutement corrompues, les trafiquants d’êtres humains ou des escrocs ont entretenu la confusion entre un permis de séjour et un contrat de travail. Ou bien les migrants ont voyagé régulièrement, mais ils tombent dans l’irrégularité parce que l’employeur leur retire leur contrat de travail. Ou, par manque d’alternative, ils restent dans le pays d’accueil après l’expiration de leur statut de séjour ou de leur visa. Ou encore, leur demande d’asile ou le statut de réfugié leur a été refusé. Les migrants au statut irrégulier ne vivent dans cette irrégularité depuis le début que s’ils ont été victimes de re­ cruteurs véreux ou lorsqu’ils sont partis illégalement sans l’aide de personne. Dans tous les cas, les migrants du travail au statut irrégulier sont particulièrement vulnérables à l’exploitation, l’abus, le chantage, les violences de leur employeur et des agences de recrutement. Par peur de l’exclusion, ils n’osent pas faire valoir leurs droits. Et donc, un grand nombre de ces per­ sonnes travaillent dans le secteur informel et dans des condi­ tions indignes.

Le contexte du conflit syrien Depuis le début de la guerre, l’exploitation des travailleurs sur le marché du travail syrien et des pays voisins — la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak — s’est nettement aggravée. L’extrême pauvreté force beaucoup de personnes déplacées internes et de réfugiés à accepter des conditions de travail très précaires dans l’agriculture, en usine ou dans la construc­ tion. Les enfants sont aussi plus nombreux à se retrouver sur le marché du travail à cause de la guerre, car ils doivent contribuer aux revenus de leur famille et à sa survie. Ils sont donc souvent livrés à l’exploitation, envoyés dans la rue pour mendier, abusés sexuellement ou exploités comme des es­ claves domestiques. Le statut de séjour précaire les rend vulnérables aux abus des trafiquants d’êtres humains, des fraudeurs et des employeurs. Les mariages forcés et la pros­ titution d’enfants par des parents désespérés sont également en augmentation. Près de trois millions de réfugiés syriens ont trouvé refuge rien qu’en Turquie. 90 % d’entre eux vivent en dehors de camps de réfugiés, souvent dans des logements misérables, sans électricité et sans eau. Ils dépendent de l’aide de leurs voisins ou se débrouillent vaille que vaille grâce à un emploi mal payé dans le secteur informel qui leur permet de gagner à peine la moitié du salaire de la main-d’œuvre locale. En Turquie, peu de réfugiés ont une autorisation de travail. Cette autorisation nécessite que le futur employeur propose à l’avance un contrat de travail au réfugié, contrat qui lui per­ mettra de demander une autorisation. La procédure n’est pratiquement pas applicable, surtout parce que les réfugiés ont peur de perdre leur emploi s’ils demandent à l’employeur un engagement régulier. Les employeurs ne respectent donc pas la loi qui institue un salaire minimum. Depuis le début de la guerre, le marché du travail informel en Turquie est de plus en plus influencé par les travailleurs sy­ riens, avec pour conséquences une augmentation du dum­ ping salarial et le remplacement de la main-d’œuvre turque peu qualifiée, ou sans qualifications. Parallèlement, la Banque mondiale constate que la main-d’œuvre turque est plus souvent employée dans l’économie formelle, puisque l’emploi de réfugiés dans le secteur informel permet de faire baisser les coûts de production, ce qui engendre de nouveaux em­ plois dans le marché formel. état juin 2016

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Travail décent : droits, réglementations, initiatives Comme l’OIT, Caritas Suisse définit le travail décent ainsi : « Le travail décent regroupe l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspec­ tives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes. » Le travail décent n’est pas une évidence, comme on l’a vu en ce qui concerne la migration du travail Sud-Sud découlant de la pauvreté et des conflits dans les pays d’émigration, au niveau du recrutement, des voies d’émigration et de l’exploi­ tation sur le lieu de travail. Différentes normes internationales et initiatives politiques soutiennent le droit des personnes à travailler dans des conditions décentes indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur âge ou de leur statut. Depuis une bonne dizaine d’années, la revendication du travail décent est également inscrite dans l’agenda d’un dialogue de l’ONU qui se penche sur l’importance de la mi­ gration dans le développement. Ce « Dialogue de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement » a engendré un « Forum global pour la migration et le développement » annuel dans lequel les gouvernements mènent une réflexion entre et avec le secteur privé et la société civile sur les conditions néces­ saires pour des effets positifs de la migration sur le dévelop­ pement. Les conditions de la migration du travail, dont le forum souligne le potentiel s’agissant du développement durable pour les pays en développement — dans la mesure toutefois où cette migration répond aux exigences en matière de dignité et de droits de l’homme — sont l’un des axes principaux de la réflexion.

Droit au travail et dignité Dès 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamait que chaque être humain a « droit au travail […] à des conditions équitables et satisfaisantes de travail […] à un salaire égal pour un travail égal […] et à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale » (Art. 23). 70 ans après sa proclamation, ce droit reste pour beau­ coup un vœu pieux. La dignité humaine est l’un des pivots des droits de l’homme :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (Art. 1) et ont la même valeur indépendamment de leur origine, de leur sexe ou de leur appartenance cultu­ relle. La dignité humaine englobe l’intégrité physique (impli­ quant notamment le droit à la sûreté de la personne, l’inter­ diction de la torture et de l’exploitation des enfants), la liberté (impliquant notamment le droit à l’autodétermination, l’inter­ diction du travail forcé) et à l’égalité (impliquant notamment l’interdiction de discrimination, l’égalité de traitement devant la loi). En réalité, la dignité est systématiquement foulée aux pieds lorsqu’il s’agit de migration due à la pauvreté et aux conflits. Pour renforcer les droits des migrantes et migrants, l’ONU a voté en 1990 la « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille », signée ou ratifiée à ce jour par 66 pays dont pas un n’est un pays industrialisé ou un pays d’immigration.

Les conventions de l’OIT C’est la tâche de l’OIT que de mettre en œuvre les droits du travail. Depuis sa création en 1919, l’OIT s’attache à dévelop­ per les droits des travailleurs, promouvoir la dignité au travail, améliorer la protection sociale et renforcer les relations de travail (voir tableau en annexe). Elle a édicté jusqu’ici 189 conventions qui enjoignent les pays membres à créer et mettre en œuvre les conditions légales nécessaires à ces buts. Mais les pays membres restent libres de ratifier ou non telle ou telle convention, et de la mettre en œuvre. L’OIT n’a pas la possi­ bilité d’appliquer des sanctions. Trois groupes de conventions sont importants s’agissant de la migration du travail : • Les huit conventions fondamentales réglementant le travail décent (travail forcé, travail des enfants, discrimination, droit d’association), sont mises en œuvre par la majorité des 187 pays membres de l’OIT (à l’exclusion de certains pays d’Asie cités plus haut). Si ces conventions étaient réellement mises en œuvre partout dans le monde, les violations les plus graves contre les droits et la dignité au travail seraient résolues. • L’OIT a adopté cinq conventions s’attachant directement à la question de la migration du travail, cherchant notam­ ment à lutter contre les abus et à promouvoir l’égalité de chances et de traitement des travailleurs migrants, abor­ dant les questions de sécurité sociale, celles concernant la situation des travailleurs domestiques ainsi que celles qui concernent les agences privées de placement. • Différentes autres conventions de l’OIT abordent les ques­ tions de l’emploi dans les branches plus spécifiquement concernées par la migration du travail, même si elles ne

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se focalisent pas sur cette question en particulier. C’est le cas notamment des conventions fixant l’âge minimum, le salaire minimum, la durée du temps de travail, la protection au travail, le travail domestique ou le travail agricole en plantations. La plupart de ces conventions ne sont mises en œuvre que par une petite minorité d’États.

Le programme pour le travail décent et la migration équitable L’OIT a édicté en 1999 un Agenda du travail décent qui, à partir de l’observation des conventions fondamentales, in­ siste sur le respect des principes de travail décent en s’ap­ puyant sur quatre piliers : garantir et promouvoir les droits fondamentaux du travail, créer des possibilités d’emplois durables, étendre la sécurité sociale et renforcer le dialogue social entre les différents acteurs. Les efforts et les coopé­ rations au niveau international doivent promouvoir ces quatre objectifs qu’il s’agit de mettre en œuvre par le biais de régle­ mentations concrètes en dialogue avec les employeurs et les agences de placement. Au vu des inégalités criantes en ce qui concerne la migration internationale du travail, le directeur général de l’OIT a pro­ posé en 2014 d’édicter un agenda spécial pour garantir les droits fondamentaux des migrants du travail et promouvoir les possibilités de travail décent. Ce programme pour la migration équitable englobe des objectifs ambitieux : • Faire de la migration un choix et non une nécessité, en créant des possibilités de travail décent dans les pays d’origine ; • Respecter les droits de l’homme, y compris les droits au travail, de tous les migrants ; • Garantir le recrutement équitable et l’égalité de traitement des travailleurs migrants pour prévenir leur exploitation et les mettre sur un pied d’égalité avec les nationaux ; • Formuler des schémas de migration équitable dans des pro­ cessus d’intégration régionale ; • Promouvoir des accords bilatéraux pour des migrations équi­ tables et bien régulées entre États membres ; • Lutter contre les situations inacceptables grâce à la promo­ tion de l’exercice universel des principes et droits fondamen­ taux au travail ; • Promouvoir le dialogue social en impliquant les ministres du Travail, les syndicats et les organisations d’employeurs dans l’élaboration des politiques migratoires ; • Contribuer à un programme multilatéral renforcé sur les mi­ grations fondé sur les droits.

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Migration du travail dans l’Agenda 2030 Le travail décent figure donc parmi les priorités de l’agenda politique international comme l’a souligné l’ONU lors de l’élaboration de l’Agenda 2030 et de ses 17 Objectifs de développement durable (ODD), notamment l’objectif 8 : « Pro­ mouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». Le sous-objectif 8.8 cite expressément la migration du travail : « défendre les droits des travailleurs, promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont un emploi précaire ». Le sous-ob­ jectif 8.7 préconise de « prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, mettre fin à l’escla­ vage moderne et à la traite d’êtres humains, interdire et éli­ miner les pires formes de travail des enfants, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et, d’ici à 2025, mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes ». Quant au sous-objectif 10.7, il préconise de « faciliter la mi­ gration et la mobilité de façon ordonnée, sans danger, régu­ lière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées et bien gérées » (voir ta­ bleau en annexe). L’Agenda 2030 relie les différents ODD entre eux, et par conséquent, les éléments d’un travail décent sont directe­ ment liés à d’autres objectifs : éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde (ODD 1), donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous à tous les âges (ODD 3), veiller à ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d’équité et promouvoir les opportunités d’appren­ tissage tout au long de la vie (ODD 4), réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles (ODD 5). Les parallèles avec les programmes de l’OIT sont évidents. Ce dernier insiste à raison sur le fait que son approche en matière de travail décent peut faire avancer de manière dé­ terminante l’Agenda 2030, puisque le travail décent permet de réduire les inégalités dans la société et d’augmenter sa résistance. Des règles développées dans un dialogue social aident les personnes et les sociétés à surmonter les effets du changement climatique et à faciliter la transition vers une économie durable. La dignité, l’espoir et le sentiment de justice sociale dû à un travail décent contribuent donc forte­ ment à l’irruption et la consolidation de la paix sociale.


Revendications Les personnes ayant fui leur pays à cause d’un conflit ou pour échapper à la pauvreté travaillent souvent dans des condi­ tions précaires et indignes. La Constitution suisse inscrit dans son article 7 que « la dignité humaine doit être protégée et respectée. » Cette inscription est valable pour le monde entier et le gouvernement suisse doit s’engager en consé­ quence pour l’inviolabilité de la dignité humaine partout dans le monde, également en ce qui concerne la migration du travail. Les objectifs de la migration équitable tels qu’ils sont inscrits dans le programme de l’OIT proposent à cet effet un cadre d’action convainquant. En outre, l’engagement de la Suisse pour agir découle de son approbation à l’application de l’Agenda 2030 de développement durable. Caritas Suisse salue le « Protocole d’Accord entre la Con­ fédération suisse et l’Organisation internationale du Travail » du 30 mai 2016. Elle invite les politiques et l’administration à faire suivre ces mots d’actes et à renforcer leur engagement dans les domaines suivants.

1. Ratifier les conventions de l’OIT les plus importantes Les principes des droits de l’homme et différentes conven­ tions de l’OIT sont des leviers déterminants pour l’applica­ tion de conditions de travail dignes et de la migration équi­ table. Les conventions fondamentales ont été ratifiées par plusieurs États, mais leur mise en œuvre laisse à désirer presque partout. De plus, certains pays d’origine et de destination de la migration Sud-Sud présentent des lacunes dans la ratification, notamment pour ce qui concerne le travail des enfants ou le travail forcé. Le protocole de 2014 relatif à la Convention n° 29 sur le travail forcé, établie par l’OIT, marque un tournant. Il combat les formes modernes du travail forcé, y compris la traite des êtres humains. Le Conseil fédéral veut apporter sa contri­ bution dans la lutte de ce phénomène. En août 2016, il a adopté le message relatif à l’approbation du protocole. À ce jour, seuls sept pays l’ont ratifié.

œuvre ; et un renforcement des collaborations entre États d’origine et de destination pour installer un régime de migra­ tion du travail digne, avec le soutien du secteur privé et des organisations de la société civile. La Suisse doit ratifier et appliquer les Conventions de l’OIT relatives aux migrations, notamment celle qui traite de l’égalité des chances et de traitement des travailleurs migrants (C143). Parallèlement, dans le cadre de leurs engagements bilatéraux de politique étrangère et des négociations économiques, les autorités compétentes doivent soutenir fermement la mise en œuvre de conditions de travail dignes dans les domaines de la migration du travail ainsi que la migration due aux conflits. Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ainsi que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) sont particulièrement concernés sur ce point.

2. Favoriser l’accès à la justice pour les personnes concernées Les migrantes et migrants doivent savoir comment se dé­ fendre contre les abus et les conditions de travail précaires. Cela veut dire, d’une part, qu’ils doivent être informés de leurs droits et d’autre part, qu’ils doivent savoir comment ils peu­ vent les faire valoir ; c’est là que l’accès à la justice est im­ portant. Cela vaut particulièrement pour les travailleurs do­ mestiques, les migrantes et migrants en situation irrégulière et les enfants qui sont rarement en mesure de faire valoir leurs droits et qui ont donc particulièrement besoin de l’aide d’or­ ganisations de défense. Dans le cadre de son dialogue politique de promotion de la paix et des droits de l’homme, la Division Sécurité humaine du DFAE contribue au renforcement de la situation juridique des migrantes et migrants et soutient substantiellement les organisations actives dans ce domaine.

Les Conventions relatives à la migration sont ratifiées par une petite minorité des États membres de l’OIT. Les pays d’origine et de destination d’Asie par exemple ne sont pas signataires. Il faut deux choses pour garantir les droits du travail : une pression politique internationale sur les pays en défaut pour qu’ils ratifient les Conventions de l’OIT et les mettent en

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3. G arantir la protection des travailleurs domestiques contre l’exploitation et les abus Les travailleuses et travailleurs domestiques vivent la plupart du temps dans la maison de leurs employeurs et dépendent énormément de leur bon vouloir. Ils sont donc particulière­ ment vulnérables, et il faut les protéger en conséquence. La Suisse a mis en œuvre en novembre 2015 la Convention C189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques. Elle s’est donc engagée à s’attaquer aux abus existants en Suisse même par le biais de moyens juridiques et politiques et à demander des comptes à ce sujet aux employeurs qui ne respectent pas la Convention. Au plan international, dans le cadre des négociations bilatérales, la Suisse doit aussi s’engager pour que les pays dans lesquels les abus dans ce domaine sont de notoriété publique ratifient à leur tour la Convention.

4. Créer un cadre sûr et régulier Les processus de migration ont très souvent lieu dans un espace irrégulier et ils se caractérisent par de grandes dis­ parités de pouvoir entre les différents acteurs. Les travail­ leuses et travailleurs non qualifiés sont les premières victimes des agences de placement, organisations de passeurs et employeurs peu scrupuleux. Beaucoup de gouvernements se soucient peu du destin de ces personnes, ou même tirent profit de ces irrégularités. Il faut édicter des règles interna­ tionales et instituer des organisations de la société civile pour garantir qu’elles soient respectées. Pour contrer ces abus, la Suisse doit s’engager pour l’institution d’un cadre sûr et régulier dans les forums internationaux et dans les négociations, notamment pour l’institution de canaux de migration réguliers et transparents. Des espaces sûrs et réguliers bénéficieront en fin de compte à tous les acteurs concernés.

5. E xiger des procédures de recrutement et de placement équitables Les agences privées de placement recrutent de la main-d’œu­ vre, organisent son transfert dans les pays de destination et les placent dans les entreprises. Souvent, ces agences échappent au contrôle de l’État et abusent de la situation de détresse de leur clientèle. Les abus peuvent être d’ordre fi­ nancier, avec des taxes exagérées, ou se présenter sous forme de rétention d’informations volontaire et de menson­ ges sur la nature de l’emploi, ses conditions et son salaire.

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La Suisse doit donner un signal clair de son engagement pour le travail décent tel que le préconise l’OIT, en ratifiant et appliquant immédiatement la Convention C181 de 1997 sur les agences d’emploi privées. Cette ratification lui donnerait légitimité d’ouvrir un dialogue politique avec les pays d’origine et les pays de destination des migrants du travail pour la régulation des agences de placement privées, afin d’obtenir l’accréditation de ces agences, la fixation d’un seuil maximum des taxes et une exigence de transparence en matière de contrats et de conditions de travail.

6. P romouvoir des conditions de travail dignes dans les pays d’origine des migrants Créer des emplois dignes dans les pays d’origine de la migra­ tion contribuerait énormément à faire de la migration une option plutôt qu’une obligation (à l’exclusion de la migration pour cause de conflit violent). Cela exige des investissements dans un développement national durable, et ce, notamment dans la formation professionnelle non formelle. En effet, la qualification professionnelle est le fondement d’un emploi digne et prévient l’exploitation. Les transferts d’argent vers les pays d’origine peuvent également contribuer à cela pour autant qu’ils soient sécurisés, d’un prix abordable et qu’ils puissent être utilisés de manière productive. Les investissements de la Direction du développement et de la coopération (DDC) en matière de formation professionnelle doivent servir à maîtriser la pauvreté et le chômage. Il faut mettre l’accent sur l’encouragement des formations professionnelles non formelles en combinaison avec des incitations à la création de petites entreprises. La Convention de la Suisse avec l’OIT ouvre la voie. Au plan international, la Suisse doit soutenir fermement les conditions-cadres des transferts d’argent et créer les possibilités d’investissement pour la diaspora en faveur d’un développement durable. Parallèlement, la Suisse doit veiller, par le biais de dispositions législatives, à ce que les entreprises actives internationalement et domiciliées en Suisse garantissent à leurs employés dans les pays en développement des conditions décentes de travail.

Septembre 2016 Auteurs : Geert van Dok, Francesca Albanello, Politique du développement Cette prise de position peut être téléchargée sur www.caritas.ch/prises-de-position


Annexe Conventions fondamentales de l’OIT N°

Convention

De

pas en vigueur dans les pays suivants

Droit d’association C087

sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical

1948

Afghanistan, Bahreïn, Chine, Inde, Iran, Irak, Qatar, Laos, Liban, Malaisie, Népal, Oman, Thaïlande, Arabie Saoudite, Somalie, Soudan du Sud, Émirats arabes unis, Vietnam

C098

sur le droit d’organisation et de négociation collective

1949

Afghanistan, Bahreïn, Chine, Inde, Iran, Laos, Myanmar, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Thaïlande, Émirats arabes unis, Vietnam

Travail forcé C029

sur le travail forcé

1930

Afghanistan, Chine

C105

sur l’abolition du travail forcé

1957

Chine, Laos, Koweït, Malaisie*, Myanmar, Vietnam (*ratifiée, mais pas en vigueur)

Discrimination C100

sur l’égalité de rémunération

1951

Bahreïn, Liberia, Myanmar, Oman, Qatar, Somalie, Vietnam

C111

concernant la discrimination (emploi et profession)

1958

Malaisie, Myanmar, Oman, Thaïlande

Travail des enfants C138

sur l’âge minimum

1973

Bangladesh, Inde, Iran, Liberia, Myanmar, Somalie

C182

sur les pires formes de travail des enfants

1999

Érythrée, Inde

Conventions de l’OIT directement relatives à la migration du travail N°

Convention

De

En vigueur dans

Suisse

C097

sur les travailleurs migrants

1949

49 pays : Europe, Afrique, Amérique latine, en partie avec des réserves importantes ; aucun pays d’Asie important à part les Philip­ pines et la Malaisie

Non

C118

sur l’égalité de traitement (sécurité sociale)

1962

38 pays : de toutes les régions du monde, en grande partie avec des réserves importantes quant aux prestations

Non

C143

sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires)

1975

23 pays pays européens, Philippines, Kenya, Ouganda, Cameroun, Burkina Faso

Non

C181

sur les agences d’emploi privées

1997

31 pays pays européens, Algérie, Éthiopie, Maroc, Niger ; aucun pays important en Asie

Non

C189

sur les travailleuses et travailleurs domestiques

2011

22 pays d’Europe et d’Amérique latine ; ­Philippines, Afrique du Sud

Oui

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Das Richtige tun Agir, tout simplement Fare la cosa giusta

Caritas Suisse Adligenswilerstrasse 15 Case postale CH-6002 Lucerne

Téléphone : +41 41 419 22 22 Téléfax : +41 41 419 24 24 Courriel : info@caritas.ch

Internet : www.caritas.ch Compte postal : 60-7000-4 IBAN : CH69 0900 0000 6000 7000 4

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