Meilleures chances d’intégration pour les jeunes réfugiés

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« Les jeunes réfugiés et les personnes admises à titre provisoire qui ont plus de 16 ans ne peuvent plus intégrer notre système scolaire. Des structures d’intégration lacunaires ne leur permettent pas de terminer leur éducation et une formation professionnelle. Pour que les conditions nécessaires à une formation et une autonomie financière de ces jeunes soient possibles plus tard, il faut largement améliorer les efforts visant à leur intégration. »

Prise de position de Caritas

Meilleures chances d’intégration pour les jeunes réfugiés


On n’a pas exploré tous les potentiels En bref : Les jeunes réfugiés et personnes admises à titre provisoire qui ont plus de 16 ans ne peuvent plus intégrer notre système scolaire. Des structures d’intégration lacunaires ne leur permettent pas de terminer leur éducation ni de suivre une formation professionnelle. Pour que les conditions nécessaires à la poursuite d’une formation et à une autonomie financière de ces jeunes soient possibles plus tard, il faut largement améliorer leurs possibilités d’intégration : la Confédération et les cantons doivent développer des stratégies permettant à tous les jeunes et jeunes adultes dans le domaine de l’asile et des réfugiés d’atteindre le niveau scolaire de l’école obligatoire, et ce jusqu’à leurs 30 ans au minimum. Les premiers mois en Suisse sont déterminants en ce qui concerne l’intégration dès le début, il faut donc clarifier les expériences et les potentiels de ces jeunes et leur proposer des formations correspondant à ces potentiels. Avec l’Agenda Intégration, la Confédération et les cantons ont fait un grand pas en avant. Les cantons devraient utiliser cette offre de manière contraignante et axée sur les besoins et ne pas utiliser les fonds fédéraux pour leurs propres mesures d’économie. Enfin, il est indispensable de remplacer le statut de personne admise à titre provisoire par un statut offrant une plus large palette de droits. L’admission à titre provisoire met des barrières à l’intégration.

Avec les mouvements migratoires qui se sont accélérés depuis 2015, le nombre de jeunes réfugiés et de personnes admises à titre provisoire âgées de 16 à 30 ans a fortement augmenté. Ces jeunes gens et jeunes filles apportent une expérience scolaire et des qualifications professionnelles très diverses. S’ils ne peuvent pas bénéficier d’une éducation de base et d’une formation en Suisse, leurs chances de mener une existence financièrement et professionnellement autonome sont pratiquement inexistantes. À partir de 16 ans, les jeunes ne peuvent plus entrer dans le système scolaire et ils n’ont qu’un accès lacunaire aux structures d’intégration, ce qui ne leur permet pas d’acquérir des qualifications d’éducation et professionnelles. La Confédération et les cantons ont reconnu le problème et lancent un agenda commun de l’intégration pouvant contribuer à une meilleure intégration professionnelle des réfugiés et personnes admises à titre provisoire. Par cette prise de position, Caritas insiste sur les lacunes de cet agenda d’intégration, et sur l’urgence de le mettre en œuvre. Fin décembre 2017, on comptait en Suisse 12 982 réfugiés et 15 938 personnes admises à titre provisoire âgées de 16 à 30 ans. Au total, un peu moins de 30 000 mineurs ou jeunes adultes vivent en Suisse avec ces statuts. Il faut y ajouter

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quelque 12 000 jeunes gens et jeunes filles de cette tranche d’âge qui ont le statut N de requérants d’asile. Pratiquement, si on regarde les décisions prises ces dernières années, cela signifie qu’au moins la moitié d’entre eux obtiendront le statut de réfugiés ou de personnes admises à titre provisoire, et pourront rester en Suisse. Ces personnes proviennent essentiellement de pays où règnent la guerre civile, la violence ou la dictature, comme l’Érythrée, l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie ou l’Irak. Total des jeunes de 16 à 30 ans du domaine de l’asile vivant en Suisse à fin décembre 2017 Admis à titre provisoire (AP)

Réfugiés (R)

Total

Proportion de ces jeunes parmi l’ensemble des R et AP

15 938

12 982

28 920

31 %

Non reconnaissance du passé De manière générale, on tient peu compte des expériences, formations, scolarité et qualifications professionnelles des réfugiés. Un sondage effectué en 2013 auprès de 420 personnes réfugiées ou admises à titre provisoire montre que 20 % avaient terminé une scolarité secondaire II, ou tertiaire, 50 % avaient plusieurs années d’expérience professionnelle, mais pas de qualifications professionnelles formelles et 30 % ne pouvaient pas faire valoir d’expérience professionnelle et ne possédaient pas de diplôme professionnel. Les spécialistes de Caritas pour les enfants et jeunes mineurs non accompagnés requérants d’asile estiment qu’actuellement, un quart à peu près des jeunes non accompagnés en Suisse ont un niveau de formation compatible avec le système d’éducation et de formation professionnelle de Suisse. Mais ce qu’apportent les mineurs et jeunes adultes, ce sont des expériences de vie qui dépassent de loin celles des jeunes Suisses de leur âge. De plus, ils sont très motivés à apprendre et à avancer en Suisse. Mais les capacités et le potentiel des jeunes réfugiés sont loin d’être exploités à leur juste mesure par la pratique d’intégration actuelle. Le faible taux d’activité rémunérée dans le domaine de l’asile le montre : dix ans après avoir obtenu le statut, seulement 48 % des réfugiés exercent une activité professionnelle ; quant aux personnes admises à titre provisoire, elles ne sont que 25 % dans ce cas. En Suisse, les réfugiés, et bien plus encore les personnes admises à titre provisoire, ont peu de chance de vivre une intégration professionnelle leur permettant l’indépendance. Lorsqu’ils ont un emploi, c’est le plus souvent dans le segment des salaires les plus bas. Et ils deviennent des working poor. Une étude menée en 2014 pour le compte de l’UNHCR observait, pour une fois à partir du point de vue des per-


sonnes concernées, le manque d’intégration sur le marché du travail. Elle montrait que les personnes dans cette situation, après des années de statut d’exception, ne souhaitaient rien tant que de pouvoir se construire en Suisse une vie sûre et autonome pour elles et leur famille proche. Une vie normale, c’est une vie financièrement autonome et indépendante. Et le désir de participer à la société était également présent. Mais les processus et procédures d’asile mises en place empêchaient cette indépendance. Les personnes avaient souvent attendu des années, dans l’incertitude et avec un sentiment de désenchantement croissant, l’octroi du permis N. La première station en Suisse, le centre fédéral d’enregistrement, ne propose aucune possibilité d’intégration. Les centres cantonaux d’hébergement et de transit n’offrent pas non plus de possibilités d’emploi et de formation : au lieu de pouvoir travailler, les requérants doivent participer à des mesures occupationnelles n’offrant aucune perspective et souvent dénuées de sens. Les cours de langue sont hétérogènes et insuffisamment structurés pour permettre d’atteindre réellement le niveau linguistique exigé. Dans cette étude, les personnes concernées parlaient d’une « non reconnaissance du passé », et d’un manque de reconnaissance flagrant de leurs expériences et compétences. Et ces personnes souffraient de l’absence de contacts avec la population suisse.1

Les enfants réfugiés non accompagnés sont exclus de toutes les structures La situation des mineurs non accompagnés, arrivés en Suisse sans leurs parents, parfois après des années de voyage, est particulièrement difficile. Depuis 2015, leur nombre a beaucoup augmenté, même si très récemment, il a baissé de nouveau. Fin 2017, 5235 réfugiés mineurs vivaient en Suisse. Caritas a publié une prise de position « Sécurité et formation pour les enfants réfugiés » qui pointe d’importantes lacunes dans l’accueil des enfants réfugiés, relève de grandes différences entre cantons s’agissant de leur hébergement, et montre aussi des possibilités insuffisantes et inappropriées de scolarisation et de formation. Les mineurs qui ont plus de 16 ans n’ont plus accès à l’école publique et suivent en lieu et place des cours de langue, ou ils vont à l’école du centre d’hébergement. Ces jeunes n’ont pas les compétences de base leur permettant de passer dans une formation professionnelle, par exemple en suivant une des offres passerelles, et même s’ils les ont, leur statut d’asile ou de personnes provisoirement admises, ainsi que l’absence de financement les empêchent d’accéder à ces places si désirées. Lorsqu’ils atteignent 18 ans, ces jeunes rejoignent immédiatement les structures des adultes : ils n’ont plus droit à l’accompagnement d’une personne de confiance et doivent quitter leur hébergement encadré, perdant ainsi une part importante de leur environnement social.

1 Intégration des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés reconnus au marché du travail suisse : le point de vue des intéressés, Haute école de Lucerne, juillet 2014.

Lacunes d’intégration Ces dernières années, de nombreuses études ont démontré les importantes lacunes et les manquements en matière d’intégration professionnelle des réfugiés et personnes admises à titre provisoire. Même la Conférence tripartite (CT), la plateforme politique de la Confédération, des cantons, des villes et des communes, l’a reconnu dans ses recommandations de novembre 2017. En bref, les points suivants sont particulièrement significatifs : Les requérants d’asile sont administrés au lieu d’être accueillis Lorsqu’elles déposent une demande d’asile, les personnes sont certes traitées dans le respect du droit en vigueur en matière de procédure d’asile, mais on ne tient pas compte de leurs expériences et leur formation. On manque ainsi une chance d’envisager l’évolution de la société suisse en utilisant à bon escient leurs compétences et leur potentiel. Le dogme de la non-participation des requérants d’asile est une pierre d’achoppement incontournable Jusqu’à très récemment, la décision d’entrée en matière des autorités sur les demandes d’asile se faisait attendre jusqu’à 400 jours en moyenne, et bien plus longtemps dans certains cas. Ces délais interminables ont un effet secondaire : les demandes qui avaient peu de chance d’aboutir ont été traitées en priorité et les personnes qui pouvaient espérer rester en Suisse ont dû attendre une décision encore plus longtemps que les autres. C’était d’autant plus difficile que le dogme selon lequel il faut empêcher dans toute la mesure du possible les requérants d’asile de prendre part à la société est mieux implanté que jamais. C’est pourquoi il existe si peu d’offres de formation pour les personnes au bénéfice d’un permis N, sans même parler des emplois. Les enfants de moins de 16 ans ne sont pas concernés, puisque, dans la mesure du possible, ils fréquentent l’école publique. Mais après leurs 16 ans, ils tombent eux aussi à travers les mailles et les structures. La Confédération ne payait rien pour les offres destinées aux requérants d’asile, laissait aux cantons et aux communes le soin de proposer des offres aux personnes sur place, et de les financer. En ce qui concerne les mineurs de plus de 16 ans et les jeunes adultes, cette attitude influence leur vie dans son ensemble. On sait que la première phase après l’arrivée détermine grandement la bonne marche du processus d’intégration puisque c’est à ce moment-là qu’on peut soutenir leur motivation. Des études montrent que pour chaque année gagnée dans le processus d’intégration, la probabilité de trouver un emploi augmente de quatre ou cinq points de pourcentage. La Conférence tripartite signale que même avec l’accélération des procédures d’asile qui doit entrer en vigueur au début de 2019, les procédures dureront encore plusieurs mois ; elle recommande en conséquence que ce temps ne reste pas inutilisé. Elle préconise que les requérants d’asile puissent suivre des cours de langue le plus tôt possible, en perspective d’une décision positive, et prendre un emploi.

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On tient peu compte des conditions de formation qui favoriseraient l’intégration professionnelle On admet désormais qu’il faut mettre en place des conditions, pour les jeunes en particulier, qui leur permettront plus tard de prendre pied dans la vie professionnelle, et qu’ils ont besoin du temps nécessaire et d’un soutien individuel. La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) elle aussi, dans sa Déclaration sur les principes d’une intégration durable dans le marché du travail et dans la société des adolescents et jeunes adultes arrivés tardivement en Suisse, rend attentif au principe de la primauté de la formation sur le travail, notamment pour les jeunes adultes issus du contexte de l’asile et des réfugiés. C’est d’autant plus nécessaire que les offres passerelles existantes sont souvent inaccessibles aux jeunes. Les exigences de compétences linguistiques et d’éducation de base sont trop élevées pour les jeunes, en particulier dans le domaine de l’asile ; il y a souvent des limites d’âge et, au total, il y a beaucoup trop peu d’offres. Les femmes sont défavorisées Les hommes requérants d’asile sont deux fois plus nombreux que les femmes. Depuis 2014, 7187 jeunes femmes de 16 à 30 ans ont obtenu une décision positive leur permettant de rester en Suisse. Il y a eu dans le même laps de temps 15 267 hommes de la même tranche d’âge. La Conférence tripartite constate qu’il faut mettre davantage l’accent sur les femmes. Les offres existantes de préparation professionnelle ne tiennent pas suffisamment compte des jeunes femmes. Notamment celles qui ont des enfants n’ont pratiquement aucune possibilité de se former, à cause de la stricte répartition des rôles entre hommes et femmes. L’encadrement des enfants n’est pas non plus garanti. Les offres d’intégration sont un véritable patchwork, il est facile de passer entre les mailles Même s’il existe une multitude d’offres d’intégration en Suisse, c’est un véritable patchwork. L’encouragement de l’intégration des réfugiés et personnes admises à titre provisoire est moins axé sur le besoin que sur les moyens mis à disposition. C’est la raison pour laquelle de nombreux cantons connaissent de longs délais d’attente en matière d’offres d’intégration et de cours de langues. Un certain nombre n’ont plus accès à l’encouragement après avoir attendu longtemps, et ils perdent leurs acquis. Les cantons s’appuient sur leurs moyens limités pour pénaliser consciemment certains groupes de personnes ; ils octroient par exemple des mesures d’intégration au travail seulement jusqu’à un certain âge ou ne l’offrent qu’à une seule personne de la famille, la plupart du temps, le père.

Mise en route d’un agenda de l’intégration Au vu de ce constat de lacunes, la Confédération et les cantons en partenariat avec les organisations du monde du travail (partenaires sociaux, associations, exploitations, fournisseurs publics et privés d’apprentissage et autres offres de forma-

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tion) ont élaboré un agenda commun en matière d’intégration (Agenda Intégration). Ce dernier doit permettre de mieux intégrer les réfugiés et les personnes admises à titre provisoire au marché du travail. Il est évident que des solutions tenant compte de l’éducation de base et de la formation professionnelle sont particulièrement importantes pour les mineurs et les jeunes adultes qui se trouvent encore au début de leur vie professionnelle. D’autant plus que la Confédération et les cantons ont confirmé leur objectif en matière de politique éducative, qui est d’amener 95 % des jeunes à terminer leur scolarité secondaire II (voir encadré). Cet objectif doit aussi valoir pour les jeunes et jeunes adultes du domaine de l’asile. Dans le cadre de l’augmentation du nombre de réfugiés et de la mise en œuvre de l’initiative d’immigration de masse, des pressions ont également été exercées par les politiques. Des initiatives parlementaires revendiquent une meilleure intégration professionnelle des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire, ce qui permettrait, selon les arguments, de mieux exploiter le potentiel national de la main-d’œuvre et de réduire la dépendance à l’égard de l’aide sociale. L’agenda de l’intégration devrait concevoir l’intégration professionnelle comme un processus, avec une gestion systématique et cohérente des situations, depuis l’arrivée des personnes en Suisse jusqu’à leur entrée sur le marché du travail, avec explications individuelles, conseil et soutien. Les jeunes arrivés tardivement et les jeunes adultes doivent avoir accès au système de formation conduisant à un diplôme reconnu de niveau secondaire II ou tertiaire. De plus, il s’agit d’intensifier les mesures d’intégration pour les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire. Avec les programmes cantonaux d’intégration PIC, les cantons disposent déjà d’un cadre. Ils demandent toutefois que la Confédération multiplie son forfait (actuellement de 6000 francs par personne réfugiée) au moins par trois pour pouvoir financer les mesures adéquates. Parallèlement à l’agenda de l’intégration, la Confédération a lancé deux projets-pilotes qui courent sur quatre ans (2018– 2021) : un préapprentissage d’intégration d’un an, orienté vers la pratique, permettant à quelque 1000 réfugiés et personnes provisoirement admises de suivre une année de transition dans un domaine professionnel, ainsi que des stages, à condition qu’ils possèdent les compétences scolaires correspondantes. Ce préapprentissage s’adresse à des personnes possédant une expérience professionnelle ou ayant suivi une formation dans leur pays d’origine. Un second projet-pilote « encouragement précoce de la langue » doit permettre à quelque 800 requérants d’asile qui ont des chances réelles de rester en Suisse de suivre des cours de langue intensifs.

L’enseignement obligatoire comprend l’enseignement primaire et secondaire I. Il est gratuit pour tous les enfants. Les communes veillent à ce que chaque enfant puisse fréquenter l’école publique depuis son domicile. Le cycle secondaire II comprend l’enseignement professionnel de base et les écoles générales telles que les lycées et les écoles secondaires spécialisées.


Point de vue de Caritas : ce qui manque Caritas salue les efforts de la Confédération et des cantons, notamment l’idée de concevoir l’intégration professionnelle comme un processus à entamer de façon précoce, mettant en lumière les compétences, offrant un accompagnement, une coopération interinstitutionnelle renforcée, une hausse des offres et une plus grande participation financière de la Confédération. Il faut maintenant absolument mettre en œuvre cet agenda de l’intégration aussi rapidement et de manière aussi globale que possible. Caritas appelle à tenir compte des lacunes et des points particulièrement urgents qui suivent.

On ne mentionne pas l’éducation scolaire jusqu’au niveau de l’école obligatoire Tout enfant vivant en Suisse peut et doit fréquenter l’école obligatoire (voir encadré). Ce n’est qu’ensuite que l’on suit différentes possibilités. La fréquentation de l’école est gratuite et toutes les communes s’engagent à faire en sorte que chaque enfant puisse fréquenter l’école obligatoire. S’agissant de l’intégration professionnelle des jeunes réfugiés et personnes admises à titre provisoire, on s’aperçoit qu’il n’existe pas de plan ni de stratégie garantissant au plus grand nombre possible de jeunes adultes une éducation de base correspondant au niveau de l’école obligatoire. En Suisse alémanique, le programme d’étude 21 prévoit désormais la manière dont les compétences individuelles sont structurées tout au long de la scolarité primaire et définit les exigences de base de ce que tous les élèves doivent savoir et être capables de faire. Il précise également que les enfants de langue étrangère ont droit à un encouragement spécial. Sans éducation scolaire du niveau de l’école obligatoire, il est pratiquement impossible pour une personne d’assurer plus tard son existence et son autonomie. C’est pourquoi ces offres scolaires doivent être à disposition des personnes au moins jusqu’à 30 ans. Si l’on examine les concepts du préapprentissage et du programme pilote de la Confédération et des cantons, on peut supposer que ceux qui ont déjà la formation préalable nécessaire auront la possibilité d’obtenir l’une des places, dont le nombre reste limité, de ce préapprentissage, des offres de ponts et des stages. L’écart entre ces personnes et celles qui n’ont pas beaucoup suivi une scolarité sera donc encore plus important, et les chances de ces derniers d’apprendre une profession seront d’autant plus réduites.

L’intégration n’emprunte pas toujours le même chemin Travailler avec des personnes n’est jamais une routine. Combien de jeunes en Suisse prennent une voie professionnelle qu’ils interrompent ensuite parce qu’elle ne correspond pas à leurs attentes ou parce qu’ils n’ont pas la motivation nécessaire pour la suivre ? Il leur faut souvent prendre plusieurs chemins de traverse. Les jeunes gens et jeunes filles de la migration amènent avec eux toute une palette d’expériences, de connaissances et de compétences. Souvent, ils parlent plusieurs langues et même parfois certaines de nos langues nationales. Leurs expériences sont cependant parfois aussi traumatisantes. En Suisse, c’est la première fois depuis longtemps qu’ils sont à nouveau en sécurité et ils ont besoin de temps, d’un accompagnement serré, de patience pour comprendre et se sentir à l’aise dans un système complètement nouveau, pour surmonter les expériences difficiles de leur exil, retrouver la confiance envers les personnes et les institutions et aller de l’avant avec un projet de vie. Ils doivent commencer par remettre à zéro leurs fausses idées, leurs espoirs trop élevés et leurs premières déceptions. L’avenir incertain engendre du stress, et souvent, les personnes ont encore la pression de devoir envoyer de l’argent aussi vite que possible à leurs proches restés au pays. Beaucoup n’ont pas de réseau social, et sont seuls. Dans leur situation, un accompagnement étroit fiable de personnes compétentes est souvent de première importance. Il faut des mentors connaissant l’environnement de la formation et de l’emploi, ainsi que des personnes de confiance qui accompagnent les réfugiés dans leur vie quotidienne. Pour faciliter la compréhension, il faut également prévoir des interprètes interculturels connaissant bien les différences culturelles. Une évaluation des potentiels qui ne ferait pas appel à un tel panel d’accompagnants spécialisés, personnels et interculturels ne ferait pas beaucoup de sens. Dans son étude « Évaluation du potentiel des personnes réfugiées et admises à titre provisoire », le Secrétariat d’État aux migrations SEM évoque également le fait que l’évaluation du potentiel n’a pas beaucoup influencé le choix des solutions de passerelles. Coupler l’évaluation du potentiel et une intégration professionnelle rapide pourrait engendrer une pression conduisant à des solutions hâtives. La motivation et le potentiel des réfugiés risqueraient de n’être pas suffisamment pris en compte. Pour éviter cette difficulté, il faut accorder le temps et les ressources nécessaires.

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Augmenter l’offre d’intégration au lieu d’économiser de l’argent

L’admission à titre provisoire bloque toute perspective de vie

Alors que l’agenda de l’intégration a été annoncé depuis bientôt une année par la cheffe du département de justice et police, sa concrétisation se fait attendre. Bien que d’aucuns affirment que la formation professionnelle et l’intégration des réfugiés et des personnes admises provisoirement sur le premier marché du travail ne peuvent réussir qu’en multi­ pliant les investissements, la tendance inverse se fait jour également, et certains veulent des mesures d’austérité. La Confédération par exemple, dans le cadre de son dernier programme de stabilisation, a déjà coupé dans les fonds de l’intégration en faisant valoir que les cantons n’utilisaient pas l’entier des fonds de la Confédération qu’ils doivent de leur côté égaliser par le même montant. Pour avancer, la Confédération a lancé des projets pilotes (voir page 4). Elle y investit de l’argent jusqu’en 2021. Ensuite, même ces 800 à 1000 places par année et par projet ne sont plus assurées. On ne peut pas espérer que les cantons seront prêts à endosser l’entier des dépenses. Au plan cantonal également, ces dernières années, des mesures d’austérité pénalisent les fonds des projets d’intégration et touchent aussi bien les offres linguistiques que le nombre et la durée des offres passerelles. Avec l’Agenda Intégration, la Confédération veut relever le montant du forfait unique d’intégration. C’est urgent de le faire, les 6000 francs par personne versés avec la décision d’asile suffisent à peine à financer les cours de langue pour atteindre un certain niveau. Les conséquences de la parcimonie des contributions de la Confédération ont été que les cantons ont développé et maintenu des offres d’intégration très différentes. Les cantons qui ont pris des mesures d’intégration ambitieuses considèrent l’augmentation du forfait d’intégration comme une compensation de leurs efforts, et donc, ils ne vont pas étendre leur offre d’intégration avec ces fonds supplémentaires. Ainsi, on court le risque de voir de très bonnes idées disparaître lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre. Il faut bien comprendre ce que cela signifie : des jeunes gens âgés de 16 à 30 ont potentiellement devant eux quelque quarante années d’activité professionnelle. Si l’on ne fait rien, ou pas assez, ces jeunes sont obligés de recourir à l’aide sociale et se retrouvent à vivre dans des conditions précaires, sans aucune perspective d’amélioration. En termes économiques, chacune de ces personnes va coûter au moins 800 000 francs, presque un million de francs. Et en termes sociétaux, le coût d’une non-intégration professionnelle est énorme lorsque la riche Suisse se permet de tuer dans l’œuf toutes les chances pour ces personnes de mener une existence autonome.

Un projet de vie, pour réussir, nécessite que certaines conditions-cadres soient mises en place. C’est justement ce que l’on ne fait pas avec ces jeunes gens. Près de 16 000 jeunes âgés de 16 à 30 ans vivent en Suisse avec le statut de personnes admises à titre provisoire. Au total, quelque 42 000 personnes vivent en Suisse avec ce statut, défini comme une « mesure alternative à l’expulsion ». Ce statut ne respecte pas les droits fondamentaux des réfugiés et ne répond pas à leur besoin de protection. Théoriquement, le problème est connu. Ces dernières années, les politiques ont mené de nombreux débats, parfois très tendus, sur ce statut précaire. Mais la majorité du Parlement fédéral n’a toujours pas réussi à comprendre qu’il faut remplacer le statut de personne admise à titre provisoire par le statut de protection revendiqué notamment par Caritas et qu’il faut l’aligner sur le statut de réfugié. Le statut de personne admise à titre provisoire en effet limite fortement toutes les opportunités : le regroupement familial, même pour les membres les plus proches, est interdit durant les trois premières années, et lié ensuite à des conditions impossibles à remplir, comme l’indépendance financière. Cela produit l’effet que les personnes admises à titre provisoire essaient de gagner de l’argent le plus rapidement possible pour pouvoir faire venir leur famille auprès d’eux. À moyen terme, comme le montre le faible taux d’activité rémunérée, cela ne marche pas. Ces personnes renoncent aussi à se former, pressées qu’elles sont de trouver rapidement un emploi qui sera presque toujours mal rémunéré. Ce statut empêche aussi les personnes de trouver un logement, une place d’apprentissage ou un emploi stable. Ni les employeurs ni les propriétaires de logement ne sont prêts à proposer quelque chose à long terme à des personnes dont le statut est dit « provisoire ». C’est d’autant plus tragique que ces personnes proviennent de pays où elles ne pourront presque certainement pas retourner à cause de la guerre et des violences qui y règnent. Enfin, la mobilité de ces personnes est très limitée : les personnes admises à titre provisoire n’ont pas le droit d’aller voir leur famille si celle-ci se trouve dans un autre pays d’Europe, ou même dans les pays voisins de leur pays en guerre – par exemple, pour les Syriens, au Liban ou en Jordanie. Loger dans son propre appartement, avoir un refuge, c’est un besoin central pour les personnes qui ont vécu l’exil et la fuite, et c’est une condition nécessaire à la poursuite d’un objectif de formation.

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Améliorer l’intégration professionnelle – revendications de Caritas Les jeunes réfugiés et personnes admises à titre provisoire qui ont plus de 16 ans perdent le plus souvent l’accès à notre système scolaire et n’ont droit qu’à des structures d’intégration lacunaires ne permettant pratiquement aucune formation professionnelle. Caritas salue donc l’Agenda Intégration lancé par la Confédération et les cantons qui veut faire de l’intégration professionnelle un processus et améliorer ainsi les conditions de cette intégration. Il s’agit maintenant de mettre en œuvre cet agenda de façon cohérente et claire. Caritas invite la Confédération et les cantons à tenir particulièrement compte des points suivants. Garantir le niveau scolaire de l’école obligatoire Le niveau scolaire exigé pour tous les enfants en Suisse est une condition sine qua non d’une formation professionnelle et d’une intégration durable au premier marché du travail. La Confédération et les cantons doivent donc développer des stratégies permettant de garantir que tous les jeunes et jeunes adultes du domaine de l’asile âgés de 16 à 30 ans puissent atteindre ce niveau. Les modules correspondants doivent être adaptés aux adultes. Ils doivent notamment être accessibles aux jeunes femmes qui ont des enfants. C’est pourquoi il s’agit de garantir à la fois un encadrement des enfants et des offres d’encouragement précoce de bonne qualité. La formation de base doit être couplée avec des possibilités d’emploi et, au moins pour certaines branches, il faut favoriser le mélange des participants afin de permettre aux personnes du domaine des réfugiés de sortir de leur isolement. Il s’agit de favoriser les contacts sociaux. Mieux tenir compte des potentiels et situations individuelles Les premiers mois en Suisse sont déterminants. Si l’on cultive la motivation dès le début et que l’on propose – et finance – les offres de formation nécessaires en fonction du contexte, on augmente d’autant les chances des jeunes réfugiés de se créer un avenir professionnel heureux. Les centres fédéraux d’enregistrement doivent donc mettre à disposition des cours d’enseignement des langues et d’autres compétences de base et les coupler à des possibilités d’emploi pertinent et utile. L’accompagnement constant d’un mentor, d’une personne de confiance et d’interprètes interculturels permettra de mieux évaluer le potentiel de chacun et ainsi de mieux planifier les nécessités de formation et de préparation professionnelles. Il faut garantir cet accompagnement à tous, dès l’arrivée en Suisse et au plus tard au moment d’entrer dans la suite du processus.

Les fonds fédéraux ne sont pas une simple compensation pour ce qui est déjà mis en place Le faible taux d’activité des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire montre que l’on n’a pas fait suffisamment d’efforts par le passé et que de grands investissements sont désormais nécessaires pour permettre à ces personnes de trouver leur autonomie économique et de se créer des perspectives de vie. L’Agenda Intégration élaboré par la Confédération et les cantons, ainsi que ­l’augmentation du forfait d’intégration à 18 000 francs vont permettre aux cantons de mettre en place des offres d’intégration correspondant encore mieux – aussi bien qualitativement que quantitativement – aux besoins des personnes concernées. Les cantons doivent utiliser ces fonds plus élevés pour concevoir leurs offres d’intégration de qualité en fonction de la demande et des nécessités. Les cantons ne doivent pas employer ces fonds supplémentaires seulement pour diminuer leurs propres contributions à l’intégration ni pour adopter une politique d’austérité. Créer les conditions-cadres favorisant l’intégration L’intégration professionnelle nécessite des conditions-cadres adéquates. Le statut de personne admise à titre provisoire est source d’un certain nombre de freins pour la personne qui en bénéficie. Trop souvent, au lieu d’obtenir un statut de réfugié, la personne obtient seulement ce statut d’admission provisoire, alors qu’il est clair d’entrée de cause que la personne ne pourra pas retourner dans son pays dans un délai raisonnable. Il faut donc remplacer ce statut par un statut de protection qui offre les mêmes droits que celui de réfugié. L’intégration sociale des jeunes dont il est question ici appartient aux conditions-cadres, mais on devrait plutôt parler de conditions de base. Une intégration professionnelle et l’intégration dans une formation ne sont pas possibles sans contacts sociaux. En matière d’intégration sociale, les bénévoles jouent un rôle central. Les cantons doivent soutenir activement cette intégration sociale en finançant des services de coordination permettant de garantir la continuité et la qualité de ces engagements bénévoles. Les cantons doivent aussi veiller à ce que ces jeunes et jeunes adultes puissent participer à des activités de loisirs.

Auteure : Marianne Hochuli, responsable du Secteur Études et des questions de politique migratoire, Caritas Suisse, courriel : mhochuli@caritas.ch, téléphone +41 41 419 23 20 Cette prise de position peut être téléchargée sur le site de Caritas Suisse, www.caritas.ch/prises-de-position

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