« Les intérêts de la Suisse en matière de politique d’asile ne doivent pas guider sa coopération au développement. Le but de son engagement envers le développement est en effet la lutte contre la pauvreté et la promotion d’un développement local durable. »
Prise de position de Caritas
Non à l’instrumentalisation de la coopération au développement
Le défi de la crise mondiale des réfugiés En bref :
dans le contexte de la situation actuelle des réfugiés, un nombre croissant d’acteurs politiques exigent que la Suisse lie sa coopération au développement avec les intérêts de sa politique migratoire. Divers parlementaires souhaiteraient ainsi faire dépendre la coopération au développement d’une volonté de collaboration des pays partenaires de la Suisse en matière d’asile. Et la demande d’orienter les programmes par pays vers les « défis géopolitiques actuels » a été récemment formulée. L’idée d’établir un lien entre la politique d’asile et l’aide au développement est fondée sur une compréhension erronée de la coopération au développement. L’engagement de la politique de développement vise à lutter contre la pauvreté et à encourager un développement durable. La coopération au développement ne peut donc pas dépendre des intérêts de la politique migratoire. Les réels défis de la politique migratoire se situent dans des pays comme la Somalie, la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak. On ne peut poser des conditions relevant de la politique d’asile à la coopération au développement. Au lieu d’instrumentaliser la coopération au développement, il vaudrait mieux s’engager de manière plus résolue dans l’intérêt d’un développement pacifique, équitable et durable. En plus de fournir une généreuse aide humanitaire à des régions en crise, la Suisse peut s’attaquer aux causes structurelles de l’exil en mettant en place des mesures à long terme, efficaces en termes de développement et de droits de l’homme, et elle peut ouvrir des perspectives. Elle doit de surcroît s’engager pour la création de couloirs de migration sûrs et légaux, et mettre l’accent sur les droits humains des réfugiés et des migrants.
En 2016, le débat sur l’orientation de la coopération suisse au développement a été marqué par la « crise des réfugiés ». La discussion sur la coopération internationale de la Suisse ne s’est donc pas uniquement centrée sur des propositions d’économies. La tentative d’instrumentaliser la coopération au développement moyennant des revendications en termes d’asile a occupé l’avant-scène. L’idée de coupler la coopération suisse au développement à la réadmission des requérants d’asile déboutés n’est pas nouvelle. Elle est périodiquement lancée dans le débat sur la coopération internationale par le biais de diverses interventions parlementaires. À la mi-2016, l’alliance bourgeoise au sein du Conseil national a échoué de très peu dans son exigence de ne fournir une « aide au développement » que si le pays bénéficiaire coopère avec la Suisse sur les questions d’asile et de migration. Un lien stratégique entre la politique migratoire et la coopération internationale a néanmoins réuni une majorité du Parlement. Notre prise de position souligne qu’orienter la coopération au développement en fonction des intérêts de la politique d’asile est peu réaliste et politiquement contestable. Il convient donc de s’opposer à un détournement rampant de l’engagement de la Suisse en matière de développement. Le principal objectif de la coopération au développement reste la lutte contre la pauvreté, l’ouverture de perspectives et l’encouragement d’un développement durable.
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L’ampleur mondiale des déplacements forcés Selon des indications de l’ONU, 65 millions de personnes ont fui la guerre, la violence et la persécution politique à l’échelle planétaire en 2016. Ce nombre record de réfugiés équivaut à la population de la France. Plus de 40 millions de réfugiés sont des personnes déplacées dans leur propre pays. Ces déplacés internes représentent un énorme défi social et économique pour les régions hors conflits dans lesquelles ils se réfugient pour se protéger. Plus de 20 millions de réfugiés ont quitté leur pays. Une petite minorité d’entre eux séjourne dans les pays les plus prospères. La grande majorité, 86 pour cent, des réfugiés de la planète sous mandat de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ont gagné d’autres pays du Sud et un quart d’entre eux se trouvent dans des pays comptant parmi les plus démunis de la planète.
L’augmentation du nombre de réfugiés depuis 2013 s’explique essentiellement par les émeutes, la violence ou les guerres en Syrie, en Afghanistan et en Somalie. Plus de la moitié des réfugiés de la planète provient de ces trois pays. Environ trois quarts d’entre eux viennent de dix États fragiles en proie à des conflits. Figurent parmi eux la Syrie, l’Afghanistan, la Somalie, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Ce sont les pays limitrophes des zones de conflit qui accueillent le plus de réfugiés. On pense ici à l’Éthiopie, au Kenya, à la Jordanie, au Liban, au Pakistan, à l’Iran et à la Turquie. Les pays européens ne supportent pas le plus lourd fardeau des flux migratoires dus aux déplacements forcés, ce sont des pays pauvres de l’hémisphère sud qui le font.
Les principaux pays d’origine et de destination des réfugiés
Pays principaux d’asile Pays principaux d’origine
4,9
2,7
1,1
0,8
0,6
Turquie
2,5
Pakistan
1,6
Liban
1,1
Iran
1,0
Jordanie
0,6
Éthiopie
0,5
Kenya
0,5
Syrie
Afghanistan
Somalie
Soudan du Sud
Tchad
0,3
Yémen
0,3
Soudan du Sud
0,2
Ouganda
0,2
Soudan
0,2
autres
1,1
Soudan
en millions en millions Pays où des réfugiés des cinq pays d’origine majeurs ont obtenu l’asile en 2015. Source : UNHCR
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En quête de protection et dans l’espoir d’un avenir meilleur, plus d’un million de personnes ont risqué leur vie en traversant la Méditerranée pour gagner l’Europe en 2015. Quelque 84 % de ces réfugiés proviennent de dix pays d’origine parmi lesquels figurent la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak. Environ 4000 personnes ont perdu la vie en route. La grande majorité des réfugiés ayant pris le chemin de l’Europe en 2015 — au moins 850 000 personnes — ont transité par la Grèce. Et les mouvements migratoires n’ont pas cessé en 2016. Près de 200 000 réfugiés sont ainsi arrivés en Italie l’an dernier, un nombre jamais atteint auparavant.
La difficile distinction entre réfugiés et migrants Le droit international public fait la distinction entre les réfugiés, poussés à l’exil par des facteurs extérieurs comme la guerre ou la persécution, et les migrants, cherchant de leur plein gré de meilleures conditions de vie à l’étranger. Mais une délimitation nette entre ces deux groupes s’avère impossible. Les migrants espèrent une vie meilleure dans un autre pays et quittent leur patrie en prenant souvent de gros risques personnels. Les causes de cette migration forcée sont, outre une grande détresse, des crises politiques et des conflits armés. Les migrants sont donc aussi des réfugiés de guerre, en plus de réfugiés économiques et climatiques. Les raisons poussant des personnes à quitter leur pays sont donc multiples et se superposent souvent. Cela conduit à des « mouvements migratoires mixtes » comptant notamment des personnes en quête d’asile, des victimes de la traite des êtres humains, des mineurs non accompagnés, des migrants bloqués dans un pays et d’autres en quête de meilleures perspectives économiques.
D’où proviennent les requérants d’asile en Suisse ? Le nombre de requérants d’asile en Suisse est soumis à des fluctuations annuelles. Alors qu’on dénombrait près de 24 000 demandes en 2014, leur nombre a grimpé à 40 000 environ en 2015. Tandis que le nombre total de demandes est resté stable, 1,3 million à l’échelle européenne en 2016, il a de nouveau reculé en Suisse pour se fixer un peu au-delà de 27 000. On explique ce recul, d’une part par la fermeture de la route des Balkans et l’accord UE-Turquie sur les migrants et par le durcissement de la politique d’asile de la Suisse, et d’autre part, par le fait que la Suisse bénéficie des accords de Dublin comme presque aucun autre pays d’Europe ne le fait : cet accord spécifie que si un réfugié a déjà présenté une demande d’asile dans un autre pays, la Suisse n’est plus responsable de la procédure d’asile. En 2015, quatre requérants d’asile sur cinq en Suisse provenaient de dix nations seulement. Deux tiers des demandes d’asile émanaient de quatre pays : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak et l’Érythrée (cf. tableau). Les demandes d’asile en provenance de ces quatre pays justement ont reculé de moitié en 2016 par rapport à l’année antérieure. Et ce, même si la guerre meurtrière perdure en Syrie et que la situation reste tout aussi menaçante pour la population civile en Afghanistan, en Irak et en Érythrée. Les principaux pays d’origine des requérants d’asile en Suisse se caractérisent par leur fragilité, des affrontements armés et un bas niveau de développement. Leur développement politique et économique est imprévisible et instable. Ces pays sont particulièrement sujets aux crises et à la violence. Les gouvernements y ont fréquemment perdu leur légitimité et le monopole de l’usage de la force dans des parties de leur territoire (cf. Fragile States Index). Par ailleurs, la population ou des pans de celle-ci y sont privés de leurs droits et de leurs libertés civiles (cf. Freedom House Index).
Les principaux pays d’origine des requérants d’asile en Suisse Demandes d’asile en Suisse, par nation
Part du nombre total, 2015
Part du nombre total, 2016
Fragile States Index 2016
Freedom House Index 2016
Pays moins avancé (LDC)
Érythrée
25,2 %
19 %
100
3
X
Afghanistan
19,8 %
11,9 %
110
24
X
Syrie
12,0 %
7,9 %
110
0
Irak
6,0 %
4,8 %
100
27
Sri Lanka
4,8 %
5 %
90
55
Somalie
3,2 %
5,8 %
110
2
Nigeria
2,5 %
4,1 %
100
48
Gambie
2,4 %
3,9 %
90
18
X
Éthiopie
1,5 %
3,8 %
100
15
X
Guinée
0,7 %
3,3 %
100
40
X
X
Sources : statistiques en matière d’asile de la Suisse 2015, 2016, Fragile States Index (de 0–30 « durable » à 90–120 « alarmant »), Freedom House Index (de 0 « pas libre » à 100 « libre »), DAES ONU.
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Il est irréaliste d’axer l’aide au développement sur les intérêts en matière d’asile La coopération au développement doit être conçue à long terme L’exigence d’une focalisation plus nette des programmes par pays de la Suisse en fonction des « enjeux géopolitiques actuels » a ses limites, car contrairement à l’aide humanitaire, la coopération au développement doit être pensée et planifiée à long terme. Cette réalité nécessite une stratégie de plus longue haleine. Si un nouveau pays prioritaire était créé à chaque crise, la Confédération devrait se retirer d’une autre région, notamment du fait des restrictions budgétaires actuelles. Cela compliquerait la prédictibilité des projets dans la durée. Les réseaux établis et les ressources investies dans ces derniers seraient anéantis. Des critères importants président par ailleurs au choix des « pays prioritaires » de la coopération suisse au développement. L’esprit d’ouverture d’un pays partenaire pour la coopération et le dialogue avec la Suisse en font partie. Une adhésion de principe à des changements et la présence de partenaires locaux au bénéfice d’une expérience de la coopération au développement sont en outre requises. Ces conditions ne sont pour l’heure pas remplies dans le cas de l’Érythrée, par exemple (cf. encadré).
Une coopération au développement n’est pas une réalité avec tous les pays d’origine, tant s’en faut Et l’exigence de ne fournir une « aide au développement » que si le pays bénéficiaire coopère avec la Suisse en matière d’asile et de migration est quelque peu hâtive. En effet, deux tiers des requérants d’asile en Suisse proviennent de pays avec lesquels une coopération au développement n’existe pas, ou de pays qui ne reçoivent qu’une aide humanitaire. Il n’est pas possible de menacer ces pays d’une suppression des fonds que la Suisse affecte à son aide au développement. L’aide suisse au développement ne peut donc pas servir de « levier de négociation » pour la réadmission de réfugiés déboutés dans le cas de nombreux pays d’origine majeurs, tels que l’Érythrée, la Syrie, l’Irak, l’Iran, le Sri Lanka, le Nigeria, la Gambie, la Turquie, le Sénégal et l’Algérie.
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Une coopération au développement avec l’Érythrée reste impossible Vu la situation politique tendue, la Suisse a interrompu sa coopération avec l’Érythrée voilà une décennie. Quelques parlementaires réclament aujourd’hui la reprise de cette coopération au développement et exigent en contrepartie du régime érythréen qu’il se montre largement disposé à réadmettre ses requérants d’asile déboutés. Mais comme le fondement d’une coopération au développement avec l’Érythrée fait toujours défaut, la Suisse ne pourra pas brandir la menace d’une « suppression de ses fonds d’aide » si le régime érythréen devait s’opposer à des réadmissions. La coopération avec le régime érythréen n’a débouché sur aucun résultat tangible ces dernières années, ni dans le cadre de l’ONU ni dans celui des efforts de politique extérieure de la Suisse. Dans un rapport du mois d’octobre 2016, le Conseil fédéral note que la situation politique, économique et sur le plan des droits de l’homme reste très problématique en Érythrée. En 2016 également, les arrestations arbitraires, la violence sexuelle et les assassinats y étaient monnaie courante selon le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La plupart des réfugiés partis d’Érythrée séjournent dans un des camps de réfugiés établis au Soudan ou en Éthiopie. La poursuite de leur déplacement est impossible. Des sanctions extrajudiciaires sans possibilité de recours sont imposées aux réfugiés fuyant « illégalement » l’Érythrée. Les rapatriés volontaires ne bénéficient pas non plus de la sécurité du droit et doivent signer une reconnaissance de culpabilité. Peu d’informations sûres concernant les rapatriés de force sont disponibles. Il est réaliste d’admettre qu’ils sont exposés à des peines sévères. Sur cette toile de fond, la Suisse peut poursuivre son dialogue bilatéral limité avec le régime érythréen, coordonner ses activités avec des pays européens et s’impliquer dans le cadre de l’ONU. En revanche, la réouverture d’un bureau de coordination de la DDC en Érythrée n’est pour l’heure pas une option, même pour le Conseil fédéral.
La coopération au développement ouvre des perspectives
Compréhension erronée de la coopération au développement
En regardant les pays avec lesquels la Suisse entretient une aide bilatérale au développement, on s’aperçoit que quatre personnes sur cinq proviennent de pays situés dans des régions prioritaires suisses que sont l’Afrique du Nord, l’Hindou Kusch et la Corne de l’Afrique. Si, comme l’exigent divers acteurs politiques, un pays partenaire ne répondait pas aux conditions en matière d’asile, la Suisse devrait stopper sa coopération au développement. Des efforts conjoints et durables visant à réduire la pauvreté et des investissements à long terme dans le développement humain seraient réduits à néant. Du même coup, des contributions majeures à la maîtrise de crises régionales seraient perdues.
Contrairement à ce qu’admettent ceux qui veulent lier la coopération au développement à certaines conditions, des exigences en matière d’asile posées à des États partenaires s’avéreraient en principe inefficaces. Car les gouvernements de ces pays ne peuvent pas librement disposer des « fonds d’aide au développement » de la Suisse. Menacer un gouvernement de la suppression de fonds dont il ne dispose pas lui-même n’est pas une approche prometteuse.
Dans un souci de solidarité internationale et pour des intérêts propres bien compris, la Suisse s’engage en Afrique du Nord, dans l’Hindou Kusch et la Corne de l’Afrique. D’une part, elle y encourage, à divers niveaux, la qualité et l’efficacité du système politique et l’amélioration de la situation sur le plan des droits humains. D’autre part, les projets soutenus par la Suisse visent à améliorer les conditions de vie de la société civile. Dans une perspective à long terme, des efforts dans ces domaines stabilisent et développent les sociétés respectives ; ils améliorent les perspectives d’existence sur place et réduisent une migration forcée. Dans la Corne de l’Afrique, à savoir en Somalie, en Éthiopie et au Kenya, au Yémen ainsi qu’au Soudan et au Soudan du Sud, la Suisse soutient les efforts visant à la sécurité alimentaire et à la gestion des sécheresses liées au climat. Elle intervient aussi dans le traitement des conflits, la promotion de la paix et le développement de compétences étatiques en matière d’administration. En Afrique du Nord, soit en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Maroc, la Suisse accompagne des processus démocratiques et en matière de droits de l’homme, ainsi que le dialogue politique avec des acteurs de la société civile. Et elle encourage le développement économique de manière ciblée, ce qui permet de créer des emplois sur place. Finalement, la Suisse s’engage dans l’Hindou Kusch — en Afghanistan et au Pakistan — dans la lutte contre la pauvreté et la misère. Pour contrer la corruption et l’arbitraire étatique, elle promeut une gouvernance efficace et l’état de droit. En contraste avec l’aide humanitaire, les mesures de politique de développement durables, liées à des moyens de politique des droits humains et de paix, contrent les incidences négatives des crises et des catastrophes et s’attaquent aux causes sociales, économiques et politiques fondamentales provoquant l’exil. Il serait politiquement irréfléchi et inapproprié de mettre en jeu l’engagement helvétique à long terme en se fondant sur une conditionnalité mal pensée. Les plus pauvres sur place en feraient les frais.
L’idée d’émettre des conditions se fonde sur la compréhension erronée selon laquelle la Suisse fournit à ces gouvernements une coopération au développement uniquement sous forme de soutien budgétaire et de paiements directs. Or, en réalité, elle collabore plutôt avec des partenaires et des institutions multiples sur place, par exemple avec des organisations non gouvernementales suisses, internationales et locales, avec des ministères et des administrations à divers niveaux étatiques, avec des acteurs du secteur privé local, ainsi qu’avec d’autres pays donateurs et des organisations multilatérales dans le cadre des Nations Unies (cf. encadré).
L’engagement bilatéral : un pan seulement de la coopération au développement En 2015, l’aide publique au développement (APD) de la Suisse totalisait 3,4 milliards CHF — un peu plus d’un demi-pour cent du revenu national brut (RNB). Elle comprend les dépenses consenties dans la coopération internationale de la Suisse (DDC, SECO et Division Sécurité humaine, DSH). Les dépenses d’autres offices fédéraux sont aussi considérées comme APD selon la définition du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Sont ici prises en considération notamment les dépenses pour les requérants d’asile en première année. En 2015, elles représentaient 14 pour cent de toute l’APD de la Suisse, faisant de celle-ci, en quelque sorte, le plus important pays bénéficiaire de ses propres fonds de développement. L’engagement de 2,3 milliards CHF de la DDC (2015) englobe l’aide humanitaire, la coopération au développement avec des pays de l’hémisphère sud ainsi que la collaboration avec l’Europe de l’Est et la Communauté des États indépendants (CEI). La coopération au développement inclut des coopérations bilatérales avec des pays et l’engagement multilatéral dans le cadre d’institutions internationales de développement comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’UNICEF, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’engagement bilatéral dans des pays du Sud se chiffre à 1 milliard de francs suisses environ.
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Dans les pays de la Corne de l’Afrique, la Suisse coopère par exemple avec des organisations multilatérales comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Agence des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et des œuvres d’entraide comme Swisscontact et Caritas ; elle coopère aussi avec la Société allemande de coopération (GiZ) et des administrations provinciales et locales. Menacer les gouvernements de la Somalie, de l’Éthiopie, du Kenya ou du Soudan de supprimer les fonds de l’aide au développement n’apporterait donc pas le résultat escompté.
La coopération au développement renforce une société civile critique Croire que les fonds de l’aide suisse sont directement versés aux gouvernements est une erreur. Et dans les démocraties encore fragiles, les mesures de politique de développement sont utilisées de manière ciblée pour soutenir les acteurs et les institutions de la société civile ce qui permet à ces derniers et ces dernières d’exiger de leurs gouvernements une politique responsable et propice au développement. La coopération au développement promeut ainsi une participation plus large et intégrative à la conception de l’avenir d’un pays. Dans de nombreux cas, la coopération au développement ne sert pas du tout les intérêts de l’élite politique d’un État. Céder ce levier représenterait donc une opportunité manquée et nuirait surtout aux acteurs de la société civile locale.
Les réels défis de la politique migratoire Selon les autorités fédérales, la collaboration concernant le retour de requérants d’asile déboutés dans leur pays a été difficile avec un très petit nombre de pays au cours de l’année 2015. Il s’agit de l’Algérie, de l’Éthiopie, de l’Iran et du Maroc. Ni l’Algérie ni l’Iran ne sont des pays partenaires de la coopération suisse au développement. L’Éthiopie est toujours en butte aux retombées de la pire sécheresse depuis des décennies, une sécheresse qui a frappé la Corne de l’Afrique en 2015. Durant cette année-là, le nombre total des réfugiés dans le pays est passé à près de 740 000, avec l’enregistrement de 75 000 nouveaux réfugiés. L’Éthiopie héberge le plus grand nombre de réfugiés de l’Afrique subsaharienne. Par rapport à la performance économique par habitant, c’est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés à l’échelle de la planète, juste derrière la République démocratique du Congo.
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Les problèmes du Maroc sont similaires à ceux d’autres pays où le « printemps arabe » n’a pas connu l’essor escompté. La population y souffre de l’injustice sociale, du chômage, de la corruption et de la répression. À l’instar de l’Éthiopie, le Maroc subit l’énorme poids des mouvements migratoires régionaux. Menacer ces deux pays d’un arrêt de la coopération au développement serait contestable politiquement, et contre-productif, car tous deux font partie des États les plus touchés par les conséquences du drame mondial des réfugiés. Un soutien renforcé, et non pas amoindri, serait souhaitable pour relever le défi lancé par les populations réfugiées et déplacées. Finalement, relativement peu de requérants d’asile d’Éthiopie et du Maroc sont arrivés en Suisse en 2015. En revanche, on en a dénombré des milliers venant de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. C’est là que se situent les véritables défis de politique migratoire pour la communauté internationale, et pour la Suisse. Et il est impossible d’y faire face en faisant dépendre la coopération au développement de la bonne volonté de ces pays en matière de réadmission et d’asile.
Faire preuve de solidarité et de responsabilité Ces arguments montrent bien que cette revendication de conditionner la coopération au développement à la politique d’asile génère un débat fictif. D’abord, la discussion ne tient pas compte des rapports complexes entre exil et migration. Ensuite, agir ainsi équivaut à injustement attaquer la coopération au développement. C’est irresponsable au vu des défis mondiaux à relever : pauvreté et injustice, changements climatiques et catastrophes naturelles, conflits et déplacements de populations. La Suisse politique doit s’engager plus résolument dans l’intérêt d’un développement mondial pacifique, juste et durable. Elle a contracté cet engagement en paraphant l’Agenda 2030. En plus d’une généreuse aide humanitaire en zones de crise, la Suisse peut traiter les motifs structurels de fuite par le biais de mesures de politique de développement efficaces et à long terme, et ouvrir des perspectives. De plus, elle doit soutenir des couloirs de migration sûrs et légaux et donner la priorité à la protection et aux droits humains des réfugiés et des migrants.
Nous pouvons et devons en faire plus À la fin 2016, le Parlement suisse a décidé de rogner la coopération internationale de 587 millions CHF pour les trois années à venir. Même si l’aide humanitaire et la coopération au développement ne représentent que 4 % du budget fédéral, la coopération internationale contribue à hauteur de 25 % environ aux actuels efforts d’économies de la Confédération. Alors que le montant de la coopération publique au développement correspondait encore à 0,52 % du RNB en 2015, cette part de l’APD va chuter sous les 0,5 % ces prochaines années. Les 0,7 % préconisés par l’ONU depuis 1970 sont renvoyés sine die. Depuis longtemps, à l’inverse de ce qui se passe, Caritas exige une augmentation à hauteur de 1 pour cent. La question n’est pas de savoir si ce pourcentage est financièrement supportable — cela ne fait aucun doute vu que le produit intérieur brut de la Suisse équivaut à celui des 35 pays les plus pauvres cumulés (630 millions de personnes au total). Non, la question est de savoir si la Suisse a la volonté politique d’investir davantage dans la coopération au développement.
S’attaquer aux motifs structurels d’exil La Suisse devrait intensifier son engagement humanitaire en faveur des personnes déplacées et réfugiées dans des régions pauvres et fragiles. En parallèle, elle peut s’employer davantage encore à vaincre les obstacles fondamentaux au développement. Une aide humanitaire et une coopération au développement visant à l’amélioration durable des bases d’existence sur place vont souvent de pair. Une coopération au développement efficace et durable, jointe à des mesures de politique des droits de l’homme et de paix dans des contextes conflictuels, a des vertus préventives et aide à gérer les motifs économiques et politiques d’exil. De meilleures conditions de vie et des perspectives locales restreignent les raisons de migration forcée.
Créer des couloirs de migration sûrs et légaux La Suisse doit s’engager pour la création de couloirs de migration sûrs et légaux. On pense ici à la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants, à une délivrance moins restrictive de visas humanitaires pour des personnes menacées dans leur intégrité corporelle, à une participation plus franche aux programmes de réinstallation de l’ONU (resettlement) et au « programme européen de distribution » des réfugiés (relocation). Enfin, la Suisse devrait pousser à la réintroduction d’une demande d’asile à l’échelon des ambassades et prendre fait et cause pour cette approche au niveau européen. Elle permet d’empêcher que des personnes se lancent dans le périlleux voyage vers l’Europe avec le soutien de passeurs, soient rejetées à leur arrivée, et doivent passer à la clandestinité. Moins de personnes se noieraient en Méditerranée et il serait aussi possible de lutter efficacement contre les réseaux de passeurs.
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Renforcer l’aide aux personnes retournant volontairement dans leur pays d’origine On exige des requérants d’asile dont la demande a été rejetée de quitter à nouveau la Suisse. Un retour forcé doit être évité dans la mesure du possible. Il est en revanche aisé d’encourager des programmes dans le cadre d’une politique de retour volontaire, pour autant que la situation dans le pays d’origine le permette. Les tâches relevant de la politique d’asile ne doivent toutefois pas grever le budget de l’aide au développement, mais être menées à titre complémentaire. Un soutien proportionné, financièrement suffisant, organisationnel et médical au retour volontaire, ainsi que l’aide à l’instauration de nouvelles bases d’existence dans le pays d’origine, sont partie intégrante de la politique de retour. Cette aide au retour ne doit pas servir d’instrument de négociation pour la conclusion d’accords de migration avec des États tiers, mais doit mettre vraiment l’accent sur des opportunités fournies aux personnes dans leurs pays d’origine.
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« Travail sur place » pour les réfugiés : quelques exemples Une violente guerre civile dévaste la Syrie depuis le début 2011. Près de 6,3 millions de personnes ont fui à l’intérieur du pays. Et plus de 4,8 millions cherchent protection dans les pays voisins, au Liban, en Jordanie et en Irak. Deux tiers de la population totale de la Syrie, soit près de 13,5 millions de personnes, dépendent d’une aide humanitaire. Depuis 2012, Caritas Suisse apporte une aide humanitaire à la Syrie et aux pays voisins, ainsi qu’un soutien de longue haleine d’environ 34 millions de francs suisses. Elle fournit une aide alimentaire en Syrie. En Jordanie et en Irak, des réfugiés reçoivent des denrées alimentaires, des articles d’hygiène, des aliments pour enfants en bas âge et des médicaments. Depuis le durcissement de la politique d’asile et la fermeture de nombreuses frontières intraeuropéennes, la Grèce héberge une grande partie des réfugiés en route vers l’Europe. Ce pays qui souffre des effets de la crise financière depuis 2010 n’est guère en mesure de gérer la situation des réfugiés. Plus de 60 000 personnes en fuite y sont actuellement bloquées, sans opportunité aucune de poursuivre leur voyage. En Grèce, Caritas Suisse fournit une aide d’urgence de cinq millions de francs suisses. En plus d’un logement sûr, des familles avec des enfants en bas âge, des femmes enceintes, des femmes voyageant seules, des personnes âgées ou avec un handicap reçoivent des repas, des vêtements et une assistance médicale. Des conseils sur la procédure d’asile ou, au besoin, une aide psychologique sont en outre prodigués.
Annexe Demandes d’asile en Suisse par groupe de pays DDC/SECO Groupe de pays
Part du total des demandes d’asile en Suisse, 2015
Part du total des demandes d’asile en Suisse, 2016
Pays prioritaires DDC, Sud (Bénin, Burkina Faso, Mali, Mozambique, Niger, Tanzanie, Tchad, Bangladesh, Mongolie, Népal, Bolivie, Cuba, Haïti)
1,2 %
1,5 %
Pays prioritaires SECO, Sud (Pérou, Vietnam, Ghana, Indonésie, Tunisie, Afrique du Sud, Colombie, Égypte) 1
0,3 %
0,4 %
29,1 %
29 %
5,8 %
5,8 %
Engagement total DDC/SECO (sans les pays ne recevant qu’une aide humanitaire)
36,4 %
36,7 %
Autres pays 2
63,6 %
63,3 %
Total général
100 %
100 %
Régions prioritaires DDC, Sud (Grands-Lacs, Corne de l’Afrique, Afrique australe, Afrique du Nord, Hindou Kusch, Mékong, Amérique centrale) DDC/SECO, Est (Asie centrale, Caucase du Sud, Kosovo, Bosnie-et-Herzégovine, République de Moldavie, Serbie, Albanie, Macédoine, Ukraine)
Sources : Administration fédérale SEM, DDC, SECO (calculs de l’auteur)
1
es chiffres de l’asile de l’Égypte, de la Tunisie et du Vietnam sont déjà L inclus dans les régions prioritaires respectives.
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a catégorie « Autres pays » comprend des États avec lesquels il n’y a pas L de coopération bilatérale au développement ou dans lesquels seule une aide humanitaire est fournie. Même si l’Érythrée fait partie du programme régional « Corne de l’Afrique » de la DDC, et qu’elle est comprise dans les analyses de politique régionale, humanitaires et de politique de développement, elle figure dans cette catégorie. En effet, les conditions d’une coopération au développement bilatérale ne sont pas réunies ici. Une aide humanitaire de la Suisse n’est pas souhaitée non plus par le gouvernement érythréen.
Février 2017 Auteur : Patrik Berlinger, service Politique de développement Courriel : pberlinger@caritas.ch, téléphone : 041 419 23 95 Cette prise de position peut être téléchargée sur le site de Caritas Suisse, www.caritas.ch/prises-de-position
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