Canet d'Art n°04 - Le Rire

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NUMÉRO O4 - LE RIRE 1


la culture vous

r e g a r d e 2


~ édito ~

l’œil qui rit/ Antoine Guillot - Metteur en scène, Directeur de publication rrête de me regarder comme ça, je vais jouir. Il est mort celui qui

A

voulait changer le monde. Il est mort parce qu’il a trop vécu et n’avait plus les armes nécessaires à son combat. Plus de sens. Plus d’espoir. Plus de force. Rien qu’un œil ouvert, celui de l’envie. Celui

qui me regarde. Une larme qui coule sur son visage en me regardant. Il va partir. Se fermer et ne plus jamais s’ouvrir. Ce dernier œil de vie me dévisage.

Il scrute les moindres traits de mon visage. Je sens sa rétine s’ouvrir, percée par la projection de son âme qui s’immisce dans les pores de ma peau. Il pénètre dans mon intimité. Je sens cette chaude présence glisser sous mes larmes de sang. Je ne peux pas m’en empêcher. J’ai les yeux qui saignent. Il faut que je disparaisse. Il faut que je parte avec lui. Que je sois prêt lorsque cet œil me quittera. Lorsque son âme sera froide et que mes larmes n’auront plus de sens. Plus d’espoir. Plus de force. Il me regarde comme pour me dire qu’il m’aime, qu’il est fier, qu’il m’offre tout ce qu’il a bâti avant de n’être plus que cet œil. Cet œil comme dernière excroissance de sa vie. Pénibles palpitations. Ça y est. Il me dit adieu. Son âme m’embrasse une dernière fois. Il sourit. Non… il rit. Il rit parce qu’il trouve ça drôle. Partir et me laisser seul ici. C’est à mon tour maintenant. Le sien est passé et c’est exactement ça qui le fait rire. Je lui dis une dernière fois que j’aimerais ne plus avoir envie de lui. Qu’il faut que je reste dans mes souvenirs. Que oui, évidemment je me souviens. Que je ne veux plus rien attendre de personne. Lui, il rit. C’est bien ça le sens de sa vie. C’est bien ça son héritage aujourd’hui. Je dois vivre sans lui et je sais qu’il me regarde, parce que comme lui, la vie, la mort, l’envie, le sens, l’espoir, la force… tout ça me fait rire. À lui. 3


Sommaire #04 - le rire

réfléchir 10

le rire dans tous ses états

14

certains l’aiment drôle

18

le rire universel

20

mysticisme et bourgeoisie

25

sell me a sheep

8

dossier

28 30

un rire du néant

32

ernest & salinger

36

franz xaver messerschmidt

38

à monde faux, faux rires

43

be bold, brave and beautiful


rencontrer

46

49

serge labégorre

53

dominique pitoiset

57

boywd

61

annie berthet

65

je suis né entre les mains de cet homme

raconter

68

galeries 101

au-delà des apparences - patricia debuchy

103

ruffieux-bril - william laperrière

105

chantal mélanson

107

josseline chappaz

70

brumes

72

il n’y a que du vent derrière moi

74

tartempions et chacals

76

l’errante à éleusis

79

olivier roller

95

songe d’une nuit

98


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MAR.18 | MER.19 | JEU.20 NOV.

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IL N’EST PAS ENCORE MINUIT... C OMPAGNIE XY

UNE SAISON D’EXCEPTION!


réfléchir


9

Julien Dumas


le rire dans tous ses états/ "Le rire est le chemin le plus direct entre deux personnes" Charlie Chaplin Christelle Saillet - Rédactrice de presse Illustré par Gwenaël Bollinger

10


~ histoire ~ Point de vue médical.

D

’après Rabelais qui s’inspira d’Aristote, lui-même utilisant les remarques de Platon dans son Philèbe, le rire proviendrait d’une intelligence qui apprécie une situation sous forme d’une distance prise par rapport aux évènements. En somme, une conscience qui distinguerait l’homme de l’animal. François Rabelais avance la thèse du célèbre texte de l’Antiquité romaine, le Traité des Parties des animaux d’Aristote où ce dernier défend l’idée que "L’homme est le seul animal qui ait la faculté de rire.". Selon Aristote, le rire fait partie d’une des qualités humaines. Au il du temps, cette conception a été mise en avant par l’homme, accordant ainsi au rire une importance toute particulière.

Le rire apparaît vers l’âge de quatre mois chez le nourrisson. Il peut être provoqué de diférentes manières : une situation comique inattendue, un spectacle d’humour ou encore un gag. Et c’est tout notre corps qui réagit et se métamorphose. Le rire entraîne alors des contractions courtes, des spasmes du diaphragme, une saccade des épaules et une détente des zones musculaires au niveau des membres et du visage ainsi stimulés. Ce sont ces derniers qui donnent l’expression rieuse à notre visage : ils attirent les coins de la bouche et des paupières vers le haut. Le rire détend les muscles du larynx, provoquant toutes sortes de vocalisations inarticulées plus ou Bergson lui voit dans le rire "de la mécanique plaquée sur moins bruyantes ou de cris, spéciiques à chacun. Le système de l’humain". C’est le comique de répétition, l’Homo sapiens limbique d’une partie du cerveau détermine l’intensité avec transformé en marionnette et qui perd sa dignité d’homme. laquelle une personne ira du rire discret au fou rire. L’hypothaDans Gargantua en 1534, Rabelais airme : "Le rire est le lamus libère dans l’ensemble du corps des endorphines, aux propre de l’homme.". Cette propriétés anti-douleurs et expression a été utilisée pour calmantes. Le cœur bat plus titrer plusieurs œuvres, dont La passion du rire n’est rien fort, dilatant les artères et Le propre de l’homme, livre de provoquant une baisse de Robert Merle paru en 1989 d’autre qu’une gloire soudaine. la tension artérielle. Tout le et Le propre de l’homme, ilm corps est envahi alors par de Claude Lelouch sorti en une sensation de bien-être 1960. Toutefois, le contraire a été scientiiquement prouvé : le et de détente. Rire est essentiel pour la santé, aussi bien phyrire existerait aussi chez les animaux. Le rire serait commun à sique que psychique. Il dope et réduit les risques de maladies tous les humains, indépendamment de leur culture ou de leur cardiovasculaires, diminue le stress, stimule les organes viethnie, mais se retrouverait également chez les primates. Les taux, renforce le système immunitaire. L’organisme est plus réétudes de Charles Darwin avaient contribué à faire remarquer sistant aux infections, aux allergies mais aussi à de nombreux que les singes et d’autres mammifères émettaient des bruits cancers. Les bienfaits du rire sont nombreux et les médecins rythmés évoquant le rire durant leurs jeux. Mais personne préconisent de rire au moins dix minutes par jour pour ressenjusqu’ici, n’avait pris la peine de comparer ces rires à celui des tir ses bienfaits sur notre organisme. Le rire est une maladie êtres humains. Des zoologistes et psychologues anglais se contagieuse : une personne qui rit amène le rire, c’est le rire sont penchés sur la question pendant des mois en compa- social ; est-ce sans danger ? rant grâce à des enregistrements sonores précis, les rires de jeunes primates et ceux de bébés humains. L’étude a démon- Lien social. tré très clairement que les rires enregistrés dans les mêmes conditions, provoqués par des stimuli identiques, donnaient Le rire agit comme un véritable lien social, comme l’a si bien les mêmes résultats. Les chercheurs ont ainsi pu conclure que dit Charlie Chaplin : "Le rire est le chemin le plus direct entre le rire n’était pas une caractéristique nouvelle, ni seulement deux personnes.". Rire en groupe crée un sentiment d’apparpropre à l’Homme. tenance à une communauté et facilite les liens entre individus. De même, savoir rire de ses maladresses et utiliser l’autodériAvec cet adage, Rabelais a-t-il souhaité identiier dans son sion permettent d’être plus à l’aise et d’avoir moins d’inhibiobservation sous forme d’ironie ce qui distingue l’homme de tions. Rire est inné chez l’espèce humaine. L’homme rit douze l’animal ? Peut-être est-ce l’humour qui diférencie l’homme fois moins seul qu’en présence d’autres de ses semblables, ce de l’animal et qui est le propre de l’homme et non le rire en qui tend à prouver que le rire a un rôle social. lui-même ? Paradoxalement, le rire est étroitement lié à son contraire, les Pendant des années, on se contentait du 1er avril et de ses pleurs. Le rire est un rélexe exprimant la gaieté, la joie, le bonheur, poissons avant qu’une journée mondiale du rire ne soit instau- l’amusement ou la surprise. Mais on peut pleurer de rire ! Conférée grâce à un médecin indien, Madan Kataria. Le rire est ainsi rant une dimension de partage irrésistible, rire est un phéfêté chaque premier dimanche du mois de mai dans trois mille nomène d’empathie faisant intervenir un système de miroir cinq cents clubs du rire à travers le monde qui célèbrent cette du cerveau en situation communautaire ou sociale que l’on journée avec des spectacles et des activités comme l’humour, retrouve chez les inconditionnels de certaines comédies : Les le yoga du rire ou les ateliers de chatouilles. En France, cette tontons lingueurs en 1963, Rabbi Jacob en 1973, Le père Noël journée est célébrée chaque année depuis 2003 et donne l’oc- est une ordure en 1982 ou encore Coup de foudre à Notting Hill casion aussi de réaliser le plus grand éclat de rire dans notre en 1999. On observe plusieurs formes de rires bien distinctes. pays. Chaque année le Rire d’or récompense une personnali- On reconnaît aisément le rire nerveux dû à une tension qui se té militant pour la reconnaissance du rire, de l’humour et des relâche d’un coup pour éviter la panique lorsqu’une personne sentiments positifs rejaillissant comme bienfaits pour la santé. s’aperçoit après une forte anxiété qu’il n’existe aucun danger. 11


On peut se rappeler alors de la panique de Woody Allen dans le ilm Meurtres mystérieux à Manhattan où l’ambiance électrique camoulée sous des airs de jazz trépidants et délicieux donne un rythme palpitant au ilm. Proche de lui, le fou rire est un rire incontrôlé où l’hilarité peut s’interposer, voire à en mourir de rire : des cas de mort causée par hilarité ont en efet été relatés dès l’Antiquité. L’une des mentions les plus anciennes est la mort de Chrysippe de Soles bien que la véracité de l’épisode soit incertaine. Des cas plus récents ne font quant à eux que peu de doutes sur leurs origines. L’expression "mourir de rire" n’est donc pas totalement dénuée de fondement. Le rire jaune est un rire forcé ou faux, utilisé lorsqu’un individu veut se faire percevoir positivement, alors que celui-ci n’a pas vraiment envie de rire. Le rire réactionnel qui relève d’un état intra-humain est une décharge émotionnelle qui peut paraître stupide ou pitoyable pour un témoin extérieur. Celui qui rit en présence d’un danger réel sera vu comme un fou. Le cinéma hollywoodien en fait référence et utilise le rire machiavélique qui déclenche chez le spectateur la méiance, le rejet et le danger. La scolastique en a fait un attribut de Lucifer. Le Nom de la rose d’Umberto Eco reprend ce thème : le rire cruel, ricanant, démoniaque du moine dans le ilm.

Hobbes écrit dans The Elements of Law : "La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se gloriier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise.". Telles furent à la cour des Rois de France et comme il en existe encore, les humiliations entre bourgeois de salons qui, pour plaire à des notables en vue, rivalisaient à coup d’humour couvert de mépris insidieux pour augmenter leur estime auprès des plus puissants et rester dans le cercle malsain des gens trop orgueilleux et vaniteux par peur d’en être chassés.

Les conséquences. Complétons le sujet par la caricature. Celle-ci consiste à pousser un trait de caractère tellement loin qu’il devient irréaliste et donc faux. Au Japon, les gens se forcent à rire lorsqu’ils sont soumis à une peur qu’ils savent irrationnelle ou qu’ils viennent d’avoir justement peur de quelque chose. En Occident, le rire est souvent associé à la moquerie : une forme d’humour qui consiste à signiier qu’une personne veut se donner des grands airs sans en avoir l’envergure. La moquerie se raccroche donc au principe du danger qui se révèle faux lui aussi. Paradoxalement, la joie exprimée par le rire est toujours associée à des sentiments de haine et de mépris. Chez les humanistes, Castiglione argumente et écrit : "À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices.".

Mais Hobbes dit aussi qu’il faut établir une diférence totale entre le rire et le sourire. Efectivement, le rire est synonyme de dérision mais le sourire, lui, est une expression naturelle de plaisir et d’encouragements. L’image chrétienne du paradis comme une source de joie éternelle que nous admirons dans les tableaux de la Renaissance, au travers des sourires des personnages nous invitant par leurs gestes de la main et leurs regards levés au ciel, coniants et heureux, montre une joie céleste. Le sourire relie au sublime. Le caractère éternellement énigmatique du tableau de La Joconde de Léonard de Vinci provient du sourire de Mona Lisa dont la source de la joie intérieure demeure un mystère. 12


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certains l’aiment drôle/ Un genre pas assez noble, la comédie ? Il n’en est rien, car chaque comédie entend changer le monde. Pourtant, et ce depuis quelques années, le rire tend à s’évanouir dans le vide. Tanguy de Bodard - Étudiant en cinéma Illustré par Alison McCauley

14


~ cinéma ~

À

l’époque de sa création, le cinématographe servait à capter le réel, en restituant idèlement le temps et l’espace. Ce n’est qu’après que des cinéastes s’en sont servi comme moyen pour raconter leurs fabuleuses histoires et fonder leur propre imaginaire. Ce fut peutêtre la période la plus créative et innovante de l’histoire du cinéma car tout était devant les artistes, il fallait tout inventer. Ils étaient des milliers mais seulement les meilleurs sont restés car ils ont été les plus grands inventeurs de forme.

tera Tati, qui interviendra plus tard, mais pour mieux digérer le cinéma de ses aînés.

Dans Le Mécano de la "Général", Buster Keaton est un cheminot à la poursuite de son train volé et de sa iancée. Le ilm est ancré en pleine Guerre de Sécession et face à cet entre-déchirement, Buster Keaton va user de son seul corps dont l’élasticité va moduler le monde et l’objet extérieur ; ainsi, le gag le plus fameux du ilm sera une partie de mikados géante pour tenter d’arrêter le train lancé à toute vitesse. Le ilm est en Le cinéma s’est créé sur deux fondements distincts mais in- mouvement perpétuel à l’image du mouvement du monde dissociables : l’un intellectuel, expérimental donc élitiste et et de la guerre. Face à quoi, Keaton court, s’essoule mais ne l’autre populaire. C’est ne pas connaître le cinéma que d’ou- s’arrête pas : il réussira à retrouver ses deux amours, son train blier que le cœur de celui-ci, et sa iancée. Quand on lui c’est la blonde séductrice, demandait comment il avait le pistolet qui détonne et le Le mouvement des corps laisse fait, avec ce qui est pourtant clown qui fait rire. Sur le moune comédie et pas un ilm dèle du théâtre, le cinéma place au mouvement de la parole. historique, pour montrer une s’est donc construit sur cette guerre civile qui fasse plus veine populaire en se divivraie que Naissance d’une sant en deux voies distinctes, le drame incarné par les ilms de Nation, ilm pourtant très sérieux, Keaton répondait : "Ils se Griiths et la comédie burlesque. Cette division a donc été le sont référés à un roman pour leur scénario. Moi, je me suis réfondement des normes, des fondations sur lesquelles les deux féré à l’Histoire.". C’est la réponse géniale d’un artiste génial genres vont peu à peu s’émanciper jusqu’à des sous-genres, qui avait compris que l’Histoire est source nourricière de l’hisvoire des ilms expérimentaux. Si l’on imagine le cinéma toire du cinéma, et que rien ne peut être plus ontologique ou comme art du temps et de l’espace, l’ère comique a été riche historique qu’un ilm et donc, qu’une comédie. d’une certaine liberté ilmique en la matière, le burlesque étant basé sur une construction minutieuse du gag et de l’im- Comme Buster Keaton, Charlie Chaplin se retrouve face au pact de ce dernier sur la forme du ilm. Il faut rappeler que monde qu’il va changer grâce à sa seule volonté physique et les cinéastes du muet ont tout inventé ; mais pas le cinéma morale. Il a quelque chose de beaucoup moins physique mais parlant, puisqu’ils savaient qu’ils n’en avaient pas besoin, que plus volontaire que Keaton. Dans Les Lumières de la Ville, il detoute pensée et tout langage se trouvaient dans la forme de vient boxeur, ramasseur de crottin avec peu de succès avant leur ilm. Keaton, par exemple, savait à peine écrire et parler ! de inalement trouver l’argent pour soigner l’aveugle dont il Parler le décevait, alors il a dû trouver un moyen de communi- est amoureux. Le rire tient au ralentissement de l’action dans quer avec le monde. Serge Daney était venu le voir à la in de le ilm, savant mélange entre le gag et le pathos. Le ilm est sa vie, et il raconte que Malec était capable de se souvenir de donc en deux temps, car Charlot est un vagabond dont perchaque gag et du contexte de sa création, tel un amoureux qui sonne ne veut, il va essayer de prouver pendant tout le ilm se souvient de son premier "je t’aime". que lui aussi a sa place. C’est "je me cogne" et "je m’excuse même si j’ai raison". Ce n’est jamais un rire aux dépens de lui Selon André Bazin, les premiers ilms burlesques sont basés mais avec lui ; car Chaplin a raison, Chaplin est bon et quoiqu’il sur un "comique de l’espace, de la relation de l’homme aux puisse lui arriver, il fera triompher son idée du bien. objets et au monde extérieur" où, en plan large, les divers éléments du gag se trouvent en présence les uns des autres. Les Tati commence à faire des ilms bien plus tard que ses prédémetteurs en scène arrivaient à organiser leur ilm de façon à cesseurs mais aura une inluence déterminante sur le cinéma ce que le mime recrée le langage entre les individus et le rap- de son époque. Lui aussi crée un personnage mais surtout il ne port de ces derniers avec l’objet. C’est l’incompréhension du parle pas, chose étonnante dans les années 1950 où le cinéma personnage face à ce qui lui arrive, cette appréhension pro- est devenu entièrement parlant ! Comme ses prédécesseurs, il gressive de l’environnement qui crée le rire chez le spectateur balade son personnage dans le monde, non pas en critiquant car le ilm se débarrasse de tout superlu du langage qui ne son industrialisation et sa déshumanisation progressive, mais ferait que rajouter de la confusion au gag construit. Le ilm se plutôt en tentant de voir comment l’homme s’inscrit dans les retrouve ainsi épuré jusqu’à sa matière première qu’est la mise nouvelles perspectives architecturales de la ville et des choses en scène. modernes et comment celles-ci peuvent devenir une nouvelle esthétique. À l’époque du parlant où certains se vautrent dans Et puis le parlant est arrivé, et le cinéma a peu à peu perdu la harangue contre le monde, réactionnaires de bas étage, de sa capacité comique et d’émerveillement. Le mouvement usant de la parole comme ceux qu’ils prétendent combattre, des corps laisse place au mouvement de la parole, le langage Tati, lui, montre le monde, le ilme et se tait. Il l’appréhende s’essoule, tournicote et les personnages deviennent des fan- avec le spectateur et se trompe, gafe, trimballe sa carcasse tômes. L’âge d’or du burlesque repose sur trois metteurs en enveloppée de son grand imperméable gris et on rit parce scène indispensables. Il est évident et presque décevant de qu’emmitoulé comme ça, il nous fait penser à nous. L’esthédevoir citer le duo phare Chaplin et Keaton, auquel on rajou- tique des ilms de Tati trouve une résonance particulière avec 15


Mon Oncle, sorti un an avant la Nouvelle Vague, et Playtime, sorti un an avant mai 68. C’est le propre des géants, ceux qui ne vont pas démontrer le monde en usant de leur toute puissante stature d'artiste pour nous imposer leur vérité, mais ceux qui vont user de leur talent, comique ici, puisque Hulot fait rire grâce à sa pantomime pour construire des variations esthétiques, des blocs d’espace et de temps qui vont contenir le sens de l’œuvre. En ce sens, Tati est bien plus dans son époque que l'on ne pourrait le penser et pourrait se voir comme le

car dans la logique, ce qui est drôle divertit forcément. Elle ne va plus répondre à des codes artistiques comme pouvaient le faire le burlesque ou la comédie de mœurs mais à des critères commerciaux. Cette comédie de caniveau est facilement identiiable. On pourrait l’analyser de façon schématique, en prenant en compte deux grands pays producteurs de ilms comiques, la France et les États-Unis. La comédie américaine cheap va se calquer sur des modèles de vulgarité, de misogynie et de machisme sous couvert de l’argument générationnel sans lendemain. Il y a une foison de petites starlettes qui vont trouver ici l’incarnation de leur débilité. On trouve cependant une chose commune aux deux : le cinéma comique sert de tremplin aux humoristes à succès. Que ce soit le Saturday Night Live ou bien Canal+, Jamel Debbouze ou bien Kristen Wiig, une chose est sûre : le cinéma n’est jamais loin. Ce qui donne lieu à des choses extrêmement curieuses, l’immondice et l’innommable Les garçons et Guillaume, à table ! était vendu comme le succès de l’année 2013 plusieurs mois avant sa sortie en salle ! Chose qui n’étonnait plus au visionnage du ilm et qui au moins a le mérite de représenter tout ce qui cloche aujourd’hui en France dans la comédie et in fine dans le cinéma : le ilm n’est qu’une succession de vignettes illustrées de leurs gags les plus populaires. Il faut imaginer Gallienne à la rédaction du scénario, se voyant déjà aux Césars "Ah merde, j’ai oublié le gag du lavement anal, les gens étaient morts de rire hier à l’Olympia !". Aucune mise en scène, même pas la moindre pauvre idée, rien n’est pensé, si ce n’est raconter sa pauvre vie d’homophobe petit bourgeois. Il est de bon goût de faire des ilms pour exorciser ses propres démons ; le problème étant que ceux de Gallienne sont tout sauf angoissants ou terrassants et relèvent du déballage privé. Et cela calqué au fait qu’ils doivent faire rire à tout prix en usant de clichés tellement grossiers qu’ils en deviennent honteux et criminels, telle la scène dans la boîte de nuit gay. Dans le monde de Guillaume Gallienne, les homosexuels sont arabes, vivent dans des caves et couchent avec n’importe qui, mais Gallienne trouve l’amour devant le coucher de soleil avec une amie de sa meilleure amie rencontrée au spa, elle avait pris les massages avec l’allemande qui fait peur elle aussi, quelle étourdie ! Que l’on se rassure, cet homme ne refera jamais de ilm. Mais d’autres, si. En efet, si le cinéma est un loisir, autant qu’il serve à quelque chose, qu’il condamne ce qui ne va pas aujourd’hui. Et qu’estce qui ne va pas ? L’intolérance et le racisme, les léaux du pays des Lumières, ces comédies à la française se proposant d’être la réponse républicaine avec en prime Monsieur le Ministre qui a adoré. Le rire permet d'appuyer là où ça fait mal, l’intolé-

Le duo phare Chaplin et Keaton. pendant comique de Michelangelo Antonioni. D’autres très grands comédiens ou metteurs en scène vont prolonger le cinéma de ces trois grands, on pourra ainsi citer Lloyd et Linder dans les années 1920. Les Marx Brothers représentent une transition avec le deuxième âge de l’ère comique entre burlesque et nouveau langage entre individus. À noter que Peter Sellers, héritier de cette transition, jouera dans le dernier grand chef d’œuvre burlesque The Party sorti en 1968 qui raconte la destruction d’une soirée hollywoodienne par un acteur indien gafeur. In ine, la satire est détournée car la maison où se déroule la soirée est un microcosme d’Hollywood, où au détour d’un couloir se trouve l’acteur neuneu, le producteur véreux et la igurante maltraitée. Apparaît ensuite la comédie de boulevard, fortement inspirée des codes du théâtre et marquée par l’évolution des mœurs de l’époque. La relation objet / individu évolue vers la relation individu / individu et l’incompréhension de la langue d’autrui. Cela donne lieu à un cinéma très écrit où l’impression de quelque chose qui se perd devient peu à peu perceptible ; déjà des poncifs apparaissent et seuls les plus esthètes survivent, ceux qui doivent ilmer sous peine de mourir, en vrac : Edwards, Tashlin, Mc Carey, Hawks, Capra, Wilder ou Cukor. L’histoire du cinéma est jonchée de cadavres d’acteurs comiques talentueux qui n’auront jamais été réellement ilmés, les metteurs en scène se reposant sur leur potentiel comique pour faire le ilm, ce qui fait qu’aucune mise en scène ne vient incarner la gestuelle et la parole du pauvre clown. Cela a permis la conquête du cinéma, ce qui creusera lentement sa propre tombe. La comédie de mœurs laisse bientôt place à une troisième période : la comédie culturelle. Dans les années 1990, le cinéma amorce sa lente transition d’un art superbe vers un loisir de luxe. La comédie est le premier genre à en pâtir 16


rance ne passera pas, non, non, quelle infamie celle-là ! Et Clavier te le ressortira en conférence de presse : "Je suis un sarkozyste repenti, non au racisme !". Ce rire est le pire, c’est celui du diablotin qui agit de façon détournée : le rire promet de combattre le racisme mais s’y vautre lui-même en usant du fameux cliché renversé ce qui revient à dire que le cliché est peut-être exact à la base. Ou bien alors, le rire qui naît de la confrontation schématique et balourde de deux personnes que tout oppose. Au choix : l’arabe avocat de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? ou Omar Sy et François Cluzet dans Intouchables. Il y a de maigres exceptions. Le regard échangé entre Cera et Hill à la in de Supergrave contient toute la mélancolie d’un âge révolu : l’adolescence, cet intermède glorieux de rires et de larmes, est maintenant terminé. Betbeder, Triet ou Peretjatko sont eux animés par un désir de liberté ilmique et leur honnêteté est contagieuse. Mais à l’heure du succès des Youtubeurs Norman and co qui s’arrogent le droit de faire du cinéma, la comédie n’est pas prête d’aller dans ce sens espéré. La déiance envers le cinéma et envers tout ce qui pourrait être emmerdant, fait que les producteurs vont continuer à prendre les spectateurs pour des cons et pire, vont édicter de nouvelles normes "artistiques". Le pauvre clown au nez rouge devra repartir avec son cirque itinérant vers des

lieux plus cléments. Alors du coup, on repense à Chaplin, Keaton, Linder, LLoyd ou Tati. Incompris ou honnis, ils auront eu de leur vivant peu ou prou de succès. Peut-être parce qu’avec eux, la chape d’ombre se retirait un peu du monde. Tous ces artistes étaient à l’heure. Ils étaient dans le monde, suisamment modernes pour faire la critique de ce qu’ils voyaient en riant. Ils étaient les plus beaux et les plus forts, imposaient leurs corps en première ligne et se prenaient la misère, les trains, les destructions en pleine face, les regardaient et riaient de façon si tonitruante que cela se transformait en un puissant chant d’espoir et de liberté.

L’histoire du cinéma est jonchée de cadavres d’acteurs comiques talentueux qui n’auront jamais été réellement filmés.

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le rire universel/ Carte postale délavée de nos imaginaires. Arnaud Idelon - Étudiant en histoire de l’art Illustré par Jacques Pion

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~ voyage ~

L

’Airbus quitte le tarmac et lance sa masse métallique à l’assaut des hautes sphères. Dans quelques heures, nous atterrirons sur le sol européen. Arrivée aéroport de Paris Orly, 09h56. Nous disposerons alors d’une bonne demi-journée pour accuser le décalage horaire, recharger les batteries après ce périple de quinze jours en terres sauvages, ranger notre barda – qui attendra les prochains congés pour être ressorti de la cave – et préparer, à reculons, la rentrée de septembre. On prévoit une météo capricieuse à notre arrivée, et les rues trop grises de la capitale ploieront sous la chape sinistre et menaçante des cumulus.

Et il y eut ce rire. Soudainement, la igure de la vénérable vieille se fendit en un sourire plein qui se changea bien vite en un formidable éclat de rire. Ses traits n’exprimaient rien d’autre qu’une joie irrépressible, profonde, sincère. Sa voix étranglée et ce rire qui se prolongeaient en à-coups répétés étaient teintés de tant de simplicité, d’authenticité que je me prenais moi-même à poufer. Ce rire était communicatif, contagieux, et mes éclats de rire rejoignirent bientôt ceux de cette diablesse. La gorge déployée, nous communiions tous deux dans cet intermède hors du temps, elle, la bouche laissant deviner quelques dents isolées, moi, les yeux baignés de larmes. Le rire se prolongeait, il puisait au plus profond de nous-mêmes et je commençais à me demander si ces larmes provenaient de mon seul rire, ou si elles étaient le produit d’une émotion encore plus fondamentale. Et lorsque la vieille se cambra à nouveau pour repartir dans une convulsive salve d’hilarité, soudain je compris. Ce rire était universel. Ce rire était profond. Ce rire était vrai. Malgré l’absence de langage commun, malgré la misère, les guerres, les famines, les sévices que cette femme avait connus, ce rire transcendait nos diférences, se moquait de l’altérité et clamait notre appartenance à la même et seule Humanité. Loin de nos supericielles préoccupations, le rire de cette femme que le destin n’avait pas épargné me ramenait à l’essentiel. J’avais trouvé ici ma voie.

Ses traits n’exprimaient rien d’autre qu’une joie irrépressible, profonde, sincère. Dire qu'hier encore, nous, citadins adeptes du métro-boulot-dodo, nous foulions le sol africain de nos pieds nus, nous défiions les éléments en ofrant nos torses dénudés à l’astre brûlant, nous partagions un moment authentique, des instants de vérité. Sous ces cieux ancestraux et vierges, gardiens de nos origines et de la mémoire de nos civilisations, nous courions, nous respirions, nous étions… Oui, le sacro-saint Avoir avait enin laissé la place à l’Être. Pour la première fois de notre existence, nous existions pleinement et nous jouissions de ce bonheur simple d’Être au monde. Nous avions trouvé en Tanzanie une vérité que nous fuyions au quotidien, une simplicité fondamentale qui allait désormais changer notre vision du monde, notre philosophie, nos principes. Révélation ou simple prise de conscience ? Peu importe, la vie avait trouvé sa raison d’être. C’était comme si, à des kilomètres de la patrie qui m’a vu naître, confronté à la rudesse des éléments et la puissance sauvage de ces paysages immaculés, j’avais enin trouvé qui j’étais.

Nous faisons mentir un continent entier en le conformant à nos fantaisies de touristes spirituels. Je n’ai jamais mis les pieds en Afrique. Je ne suis jamais sorti des frontières rassurantes du vieux continent. Je n’aime pas voyager. Je n’ai jamais connu cette femme.

Et que dire de cette vieille femme qui avait joué à son insu le rôle d’initiatrice dans cette découverte de ma véritable identité ? Oui, avant que le guide beuglant nous fasse rentrer dans le bus afrété par le tour operator, j’avais eu la chance de vivre l’un de ces rares instants que l’on peut qualiier de vrais. Et si seulement ce guide mal éduqué m’en avait laissé le temps, c’est la vérité d’une photographie qui se serait substituée à mon modeste récit. Tentons quand même de sauver de l’oubli cette apparition. Ces mains d’abord : longues et noires. Longues comme si elles avaient été conçues pour la dextérité du tissage de panier, pénible labeur auquel se pliaient les femmes de la région selon notre guide. Noires comme ce continent brûlé et dévasté par les guerres et qui gardait pourtant, sous le fardeau sans nom de la misère, sa sincérité impénétrable. Mais c’est surtout ce visage qui m’interpellait. Sous l’étofe grossière qui recouvrait son front, je distinguais une peau crevassée par des rides qui témoignait du passage du temps. Autour d’une bouche malicieuse, la peau ondulait par endroits, et les plis autour de ses yeux masquaient à peine un regard espiègle malgré l’âge avancé de cette femme aux allures de mage. Sa posture, son regard, tout en elle indiquait la sagesse.

Pourtant je n’ai eu aucune peine à écrire cet épisode fantasmé. Parce qu’il m’a semblé l’entendre, le voir, le lire, le rêver des centaines de fois, dans le discours de nos politiques, dans le verbiage de nos magazines, dans l’écho de nos émissions, sous la plume de nos écrivains. L’imaginaire d’une Afrique vierge et sauvage, rude mais essentielle, malmenée mais authentique, n’émane que de nous et de ce que nous voulons y voir, entendre, rêver. Nous faisons mentir un continent entier en le conformant à nos fantaisies de touristes spirituels. En bons pères, nous coninons les hommes qui le peuplent à des fantasmes dont la grossièreté et le caractère stéréotypé est indigne de notre temps. Je n’ai pas écrit ce texte, nous l’avons écrit ensemble. C’est vous-mêmes, en le lisant, qui l’avez écrit. Cette vieille diablesse, comme vous le dites, a raison de partir de cet irrépressible éclat de rire face à notre sournoise et souveraine bêtise. Qu’elle éructe et jubile, qu’elle crache et roucoule, qu’elle poufe et s’esclafe, qu’elle se moque de notre ethnocentrisme. Et si le rire est universel, ce qui reste encore à prouver, alors vous qui m’avez lu, riez de moi, riez de vous.

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mysticisme et bourgeoisie/ Où l’on réfléchira avec ses tripes et ses sphincters sur ce qui fait rire dans le geste théâtral, et sur ce que fait ce rire. Où l’on postulera que le rire physiologique est aussi un acte magique et ancestral, perdu pour partie. Timothée Premat - Étudiant en lettres modernes Illustré par Sylvain Demange & Loïc Mazalrey

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~ théâtre ~

V

un peu trop haut. S’apaiser de la in d’un plaisir devenu trop intense et, dans le même temps, le regretter déjà. Le théâtre peut être - ou doit être, Artaud étant passé par là - un espace de corporéité. C’est ton corps d’acteur qui joue et c’est mon corps de spectateur qui jouit. La faille insupportable que tu mets à jour dans mon monde, ton humour, ce sont tes coups de reins et tes dents dans la chair de mon cou.

iolente contraction abdominale puis pectorale. Corps qui ne tient plus en place de te voir, de te sentir, de t’entendre dans pareil état. C’est ta sueur d’acteur qui me cause ces douleurs. Je ne ris pas de ta pitrerie, de ton amant dans ton placard, de tes cabrioles sans sens. Ces rires-là, pour me faire oublier le marasme de ma vie et libérer quelque endorphine, ne sont pas beaux, n’ont pas droit de cité - droit de théâtre. Le rire bourgeois est un rire pascalien, il est d’un ennui assommant. Nous n’y noyons que nos néants.

Alors que je préférerais ne pas le reconnaître, notons que cela fonctionne aussi du rire bourgeois. Le théâtre est, même dans ses extrémités les plus futiles, une cérémonie qui ne dit pas son nom et qui parvient à déborder le social : quand je ris de ta performance, quand je me convulse grâce à ton corps ta voix, c’est ton corps - c’est cette vieille union de l’oiciant et de son assistant face au sang chaud du bouc égorgé qui ruissèle à terre au centre de l’orchestra, c’est cette fusion spirituelle qui reprend ses droits. Alors, ce théâtre qui fait du rire une violence, associons-le au sacriice premier, qui est mise à mort violente d’une créature vivante, humaine dans bien des passés mythiques, et, en face, associons le sacriice allégorisé ou socialisé à Aristophane et à Molière : avec le temps, le sacriice devient sémantique - Dieu me dit de ne plus sacriier d’hommes, alors je sacriie des agneaux - puis capitalisé : je donne du pain et, encore plus tard, je donne une poignée de monnaie à l’oice le dimanche. Le geste s’est perdu : "ciel mon mari", c’est de la petite monnaie, c’est de l’épicerie ;

Pourtant, il est des rires de spectateurs qui ont droit de théâtre. Il est des rires intelligents : qui comprennent le monde plutôt que de le fuir. À côté, et même plutôt en face, du rire d’Aristophane, de Molière, de Feydeau et de Florence Foresti, qui est : "Je ris de ce personnage qui ressemble trop à mon voisin détesté - qui me ressemble aussi, mais de cela, je ne m’en rends pas compte", on trouve des rires apocalyptiques, des rires qui enseignent, des rires terribles, métaphysiques. Il est à ce propos pénible de noter comme la tendance actuelle de la mise en scène semble s’oublier dans le premier rire, que nous appelons bourgeois car il est rire de consommation, plutôt que de se risquer dans le second ; ainsi Françon donna-t-il une Fin de Partie plus drôle qu’émouvante, qui ne mit personne véritablement mal à l’aise et qui ravit le public par la virtuosité verbale de l’auteur. Contre-sens total. Françon a emporté le texte dans sa vision du théâtre, une vision heureuse, naïve, consumériste, désacralisée, conventionnelle et banale. Il est comme ces prélats qui s’endorment pendant une lecture lors de la messe de la convention nationale des évêques de France, alors que les caméras sont braquées sur eux. Il passe à côté du peu de choses qui compte encore dans le théâtre du XXIème siècle. Ne nous leurrons pas sur le rire de ces textes, ne pêchons pas par excès d’humanisme ou d’optimisme : ces textes sont cruels. Antihumanistes, ils nous attachent solidement avant de nous chatouiller là où ça fait mal : tu es faible, tu es petit, tes eforts pour rationaliser le monde sont vains. Je ris de ce que Hamm se préoccupe de la position du fanal dans le canal, et l’instant d’après je soufre : a) de ne pas savoir si mon fanal est dans mon canal et b) de m’être moqué de moi-même. Conclusion : je suis perdu et je suis cruel. Nous n’y voyons que nos néants. Et la chose est douloureuse comme une jouissance.

- Cette nuit j’ai vu dans ma poitrine. Il y avait un gros bobo. - Tu as vu ton cœur. - Non, c’était vivant. C’est le geste anormal, extraordinaire d’où jaillit le sublime le mystique imperceptible qui remplace la parole sanctiiée, ritualisée, performative par force de projection. Hors de cette rupture du confort des spectateurs - du confort de la grammaire et de la sémantique - le geste s’est perdu mais le sens demeure, appauvri, privé de toute performance : il n’ouvre plus vers un ailleurs. Alors, il devient un outil : je ris pour faire une satire sociale. Je fais rire pour dénoncer. Je fais rire pour réveiller les consciences. Je fais rire pour gagner de l’argent. Cela n’est pas nouveau : les grecs déjà perdaient le sens de leur action. Leur théâtre était devenu politique, au sens de "lié à la vie de la polis", le rituel perdurait comme un décorum, les drames satyriques qui accompagnaient les trilogies tragiques servaient déjà de respirations physiques entre des cérémonies et des récits de rapports mortels-divins, sujet premier de la tragédie ; servaient aussi à remporter l’adhésion du spectateur par leur aspect orgiaque. Déjà, l’orgie purement religieuse était rejetée hors du lieu théâtral, tous les liens n’étaient pas encore coupés, mais l’orgie théâtrale était devenue esthétisée, et utilisée. La forme des concours de tragédie de l’Athènes classique montre bien que déjà ce n’est plus la vérité intime de l’acte qui compte, mais l’adhésion populaire. Les choses n’ont pas beaucoup changé, entre les critiques de Télérama et les statistiques du nombre d’entrées, du nombre de standing ovations. De même, il est des formes bâtardes de ce point de vue, comme le théâtre Nô, qui conine encore à la

C’est ton corps d’acteur qui joue et c’est mon corps de spectateur qui jouit. Car il y a cependant autre chose. Le rire n’est pas qu’un objet de l’intellection intelligente. On en a perdu le tome de la Poétique dédié à la comédie : grand bien nous fasse. Si le rire est jouissance - ce que montrent tout à fait les symptômes - alors le rire est physique. Revenir d’un immense fou-rire, naturel ou adjoint de protoxyde d’azote - ce qui ne fait que démontrer encore mieux la corporéité du rire : l’efet est plus grand et plus révélateur aidé par la substance - c’est redescendre d’un ciel 21


cérémonie dans ses formes graves mais qui pourtant utilise le kyogen, sa forme comique, pour relâcher la tension dramatique et esthétique en la faisant alterner avec les diférentes formes sérieuses du temps de représentation. Le comique sert d’excuse à la cérémonie grave et chargée d’enjeux civiques, métaphysiques, parfois encore religieux mais déjà plus spontanés, comme si notre temps ne supportait plus les œuvres sérieuses. Un temps qui s’ouvre au Vème siècle avant notre ère. La chose n’est pas nouvelle. Les romains ont vite remplacé leur théâtre d’origine étrusque et fortement rituel par un théâtre au rire plus gras, plus drôle, igeant à sa périphérie la notion moderne de spectacle autour des jeux du cirque et de l’hippodrome, qui, eux aussi, de rituels devinrent émotionnels et, inalement, pascaliens : panem et circenses suisent à faire oublier au peuple romain sa misère. Outil de cohésion sociale pour le pouvoir, outil de survie aveugle pour le peuple. La recréation du théâtre occidental dans les églises médiévales et dans les foires n’y a pas échappé : très vite la farce perd la conscience de son aspect ritualiste, et ses survivances se font pittoresques, on a peine à imaginer que des cérémonies comme le carnaval ou le charivari - qui est un temps rituel bruyant et plus ou moins orgiaque servant au peuple local à critiquer une mésalliance, un remariage rapide après décès, un écart d’âge trop avancé… Rituel expiatoire, le charivari se termine par des gestes qui permettent aux conspués de retrouver leur place dans la communauté et, notamment, par une distribution d’argent ou de boisson : on voit comme le social, le capitalisé, se mêle déjà au rituel mystique - fussent comprises par leurs pratiquants dans leur dimension transcendante, mais encore cette performance populaire conservait-t-elle un je-ne-sais-quoi de dionysiaque, et trop vite le théâtre noble, celui qui vient des églises, revint artiiciellement au sources latines d’abord, puis au sources grecques, et en premier lieu à Aristote, dont la compréhension du phénomène théâtral se limite pourtant strictement à un aspect linguistique et littéraire, vaguement psychologisant parfois. Aristote passe magistralement à côté du sens du théâtre, et, avec lui, tous les temps modernes se perdent en conjectures cathartiques - sujet au propos duquel nous devons noter que la partie Du texte où Aristote déinit la catharsis est perdue et que nous en sommes réduits à des pauvres conjectures quasi-théologiques : reconstituer la parole Du Philosophe.

riste, latteur - les autres sont plus laids que moi ; intellectuel ou non, il est pris dans ce grand mouvement de sécularisation des formes artistiques, et, par là, perd une partie de sa valeur : il perd son intuitivité, sa dimension dionysiaque, sa puissance mystique. Lui reste un peu de sa puissance quand il sert au choc, chez Beckett, au politique, chez Brecht, au sociologique, chez Jarry, au beau, chez Shakespeare. Mais déjà il est outil, déjà il se voile la face. L’essence du rire théâtral est partie. Bien avant que les traces textuelles de notre théâtre ne commencent.

Comme si notre temps ne supportait plus les œuvres sérieuses. De plus en plus rares, diiciles à repérer à la lecture d’une programmation, aussi imprévisibles qu’un orgasme, il est des formes où le rire, encore, ne sert à rien et surtout pas à nous plaire, où sa valeur est intrinsèque : geste de théâtre, geste performatif d’une union corporelle de ta sueur d’acteur à mon soule de spectateur, où il sert à tisser de magique l’espace théâtral, où il relie l’orchestre à la scène. Reconnaissons que cela est bon.

Perdant le sens du geste dans cet espace si particulier qu’est le théâtre, on perd le sens des gestes, parmi lesquels le rire, qui lors de chose puissante et belle devient social, consumé22


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~ design ~

sell me a sheep/ Les tendances design de l’automne / hiver 2014 - 2015. Techatorn Sopathanundorn - Spécialiste Tendances

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ous voyons depuis quelques temps l’hégémonie scandinave prendre du recul dans nos maisons et laisser place à une matière originale à laquelle nous ne penserions pas forcément : la laine. Synonyme de chaleur, de douceur, de protection, nous avons communément l’habitude d’utiliser la laine pour nos vêtements d’hiver mais le milieu du textile se permet d’expérimenter une nouvelle approche de la matière. La laine devient ainsi en vogue dans sa composition la plus pure, ou alliée avec le polyester ou la soie. Pour la décoration intérieure, le style est important mais il existe de nombreuses autres contraintes, hygiéniques, techniques ou écologiques. Aussi, la ibre naturelle de la laine ofre une isolation thermique et phonique parfaite pour ne plus se limiter qu’aux vêtements ; une matière première idéale pour les tapis, sols et rideaux. De plus, la structure de son maillage la rend naturellement résistante au feu et à l’usure, elle absorbe les polluants de l’air intérieur, est naturellement antibactérienne, réduit donc les allergies, et est facile d’entretien. Parfaite pour l’habillage du linge de chambre, la laine a l’avantage d’être un régulateur thermique naturel qui tempère la chaleur grâce à son toucher durant nos étés indiens - sentons cette sensa-

Rami Riccardo Studio tion de fraîcheur lorsque la température ambiante est plutôt chaude - et assure une température chaude qui apaise les sens durant les mois d’hiver. La tendance est de se concentrer sur les détournements de la laine comme matière première… Nous trouverons ainsi des imprimés, des dérivés du style berbère ou des ombres plus abstraites. La laine n’est pas seulement le fer de lance de cette tendance allant vers de nouveaux matériaux pour l’intérieur de nos maisons, elle est également la matière parfaite pour créer un environnement chaleureux, pratique, sain et évidemment… avec des possibilités stylistiques presque ininies.

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dossier


Nicolas Evariste 29


un rire du néant/

On rit du pouvoir mais c’est une chose entendue, personne ne s’en offusque. On rit d’un rire sauvage, un rire de bête blessée quand on se moque d’autrui, ce rire qui nous abaisse quand par lui on cherche à se grandir. Loïc Folleat - Professeur de philosophie et de littérature Illustré par Lucas Dulac

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~ littérature ~

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ous les rires ne se valent pas. Certains sont de qualité, d’autres des crimes contre l’humanité. Des rires totalitaires, des rires de la pensée unique qui dicte le bon goût. Le rire peut être une machine puissante d’exclusion du faible, ou plus exactement du diférent. Qui n’accepte pas le rire imposé par les autres se voit relégué au ban de la société. Méions-nous de ceux qui rient des autres sans humour, qui rient des autres sans pouvoir rire d’eux-mêmes. Mais il existe d’autres rires : le rire gêné du timide, le rire fou d’un Dali toutes les fois où il est en présence, avant qu’elle ne soit sa femme, de Gala, le fou rire qui fait communier des masses humaines sans déclencheur justiiable, et l’essentiel rire existentiel. C’est ce rire qui sauva parfois l’âme des Juifs déportés. C’est le rire de l’homme misérable – et l’homme est toujours d’abord misérable, fragile, absurde, mortel. L’important n’est pas le sujet qui provoque le rire mais le sujet qui rit. Je ris parce que j’ai conscience de ma in. Je ris parce que face à l’implacabilité de la mort plus rien n’est sérieux, pas même la mort. J’exprime la vie dans son immanence, sa présence immédiate. Je déploie ma gorge tendue, je choque entre elles mes cordes vocales, instruments primitifs, j’ouvre une bouche large, je laisse monter une colonne d’un air tonitruant et lance au monde la chair graineuse de la vie. Le vrai rire ne rit pas de quelque chose, il rit de tout parce qu’il rit du rien. Le vrai rire vient du fond du bide. Il n’est pas pincé, il n’est pas gouailleur, il n’est pas social. Il est précisément existentiel. Je ris donc je suis. Je ris donc j’ai conscience du risible de l’existence, ce temps court allant du néant au néant, ce temps absurde.

Je ris parce que j’ai conscience d’être unique, parce que j’ai conscience de ne pas tout à fait appartenir au monde. Et là est la véritable subversion. On pense que tout devrait être sensé et le sens est une afaire très sérieuse. On construit des cathédrales et des arrière-mondes de sens. On tisse des toiles d’abstractions si grandioses qu’elles attrapent et igent dans leur soie gluante les illuminations du non-sens. Le pur rire de la vie vient éclater les pensées gelées d’un monde qui cherche à rouler comme une machine bien huilée, comme une usine tayloriste. Le rieur existentiel, celui qui rit d’abord de lui, de l’absurdité du monde et de la mort, celui-là s’expose au danger d’être vivant dans un monde de cadavres endimanchés. Il risque d’être vrai, d’être lui, là où seuls les jeux factices des images sont acceptables et acceptés par les loups. Le rieur est révolutionnaire. Riez de la cravate d’un ministre, riez du noir en boubou frigoriié sous nos climats, riez de tous les rires de connivence, riez depuis vos peurs les plus dégueulasses, et vous gagnerez votre carte au club. Mais riez au soleil, riez à la vie, riez seul, riez de vous, riez pour rien et vous devenez un arraché, un météore, un déglingué. Et vous devenez un Homme. Bergson nous a appris que le rire survenait quand on observait un décalage entre un mécanisme ancien, une habitude, une raideur et une situation nouvelle à laquelle l’adaptation ne s’est pas faite. On a posé des punaises sur ma chaise pour me faire une mauvaise blague, je ne m’en rends pas compte, je m’assois, les autres rient. Moi pas. Moi j’ai manqué de souplesse dans mon rapport au monde. Et Bergson de poursuivre : le rire permet donc d’assouplir chacun, et d’élever la société vers une plus grande adaptation. Le rire a une fonction sociale. Mais je ne veux pas m’adapter et comme le rire est une afaire de décalage, je lui préfère un rire décalé. Que le rire me rende inapte, que le rire me décale. Que mon cœur rie de son son propre, le sien, et non celui de l’uniformité. Je veux rire à côté, rire diférent. Je ris parce que j’ai conscience d’être unique, parce que j’ai conscience de ne pas tout à fait appartenir au monde. Et je rêve d’un grandissime orchestre de rires discordants, d’une foule joyeuse qui se tord, qui s’esclafe, qui se tire-bouchonne dans une ivresse dionysiaque qui ne soit pas à l’unisson. Chacun sa marge. Une formidable cacophonie venue de nulle part, des rires jaillissants – il est à l’intérieur de chacun de nous, il est notre part de vie intacte, il est notre destin, il est notre personne, notre liberté – du néant. Des rires jaillissants du néant.

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ernest & salinger/

L’Horreur ? Ce n’est rien. Une bête invention de notre petite et cruelle nature humaine. La Guerre ? Ce n’est rien. De l’horreur et de la stupéfaction à grande échelle. Et si rien de tout cela n’est réel, cette discussion et ces personnages n’ont jamais existé. Killian Salomon - Auteur Illustré par Julien Chevallier & Éric Forey

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~ littérature ~

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aris, 25 août 1945. De la fumée, des éclats de voix, des bombes qui explosent au loin, là-bas, derrière le vol paresseux de ces drapeaux étoilés et tricolores qui lottent au-dessus du pavé. Des enfants courent un peu partout, les bras levés ; ils dansent, crient, zigzaguent entre les corps abandonnés des collaborateurs et soldats allemands. Les rues sont pleines et animées, elles s’allongent en un cortège de chairs agitées ; une liesse humaine et cruelle que surplombe sans ciller l’imposante façade du Ritz. Elle aussi semble briller d’une lueur nouvelle. À l'intérieur, deux hommes discutent sur le zinc élimé du comptoir. Il règne ici un silence ouateux, embué par les vapeurs d’alcool que sert avec aplomb le barman à ces deux uniques clients. Pas un cri ne vient iltrer entre les murs, juste le bourdonnement d’inaudibles délagrations qui vient rompre la monotonie de leur conversation. Paris est libérée. C’est un jeu de contraste, l’ombre et la lumière de deux écrivains, morts et survivants.

Ernest Hemingway […] Je connais vos nouvelles, Jerry. Je suis parvenu à me faire livrer le New Yorker jusqu’ici. Vous avez quelque chose qui s’apparente à du talent. C’est encore jeune mais ça tient la route. Jerome David Salinger Merci Monsieur Hemingway. Rien ne me fait plus plaisir que d’entendre cela de votre bouche. À vrai dire, je crois que je n’avais pas éprouvé la sensation physique du sourire depuis bien longtemps. EH Vous avez le sourire mélancolique. Une sale époque pour les sentiments. Avec tous ces meurtres, ces trahisons, ces complots brillants et ces héros sordides, on ne peut décemment plus s’en remettre à la mélancolie. Paris est pourtant l’une des villes qui se prête le mieux à ce genre d’exercice, croyez-moi. Je vais vous dire une chose ; vos nouvelles ont fait renaître en moi la mélancolie, et j’en ai éprouvé un malin plaisir. JDS Je ne sais pas si c’est ce que je recherchais en écrivant cela… EH Votre message n’a aucune foutue importance. C’est la sensation réelle qui prévaut sur tout le reste. Comme je disais, j’aimerais écrire comme Céz… JDS La réalité, je ne sais plus ce que c’est. J’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, quelque chose que je pensais pouvoir trouver dans l’armée, dans la fraternité… Mais ce n’est pas venu. EH Mmmh… Il n’y a rien à trouver ici, si ce n’est des cendres. Mais la guerre a cet avantage : vous inissez toujours par trouver ce que vous avez perdu. JDS J’ai perdu beaucoup de choses. Des camarades, des cousins, des amis - les

vrais. Ces inconnus qui boivent avec vous le soir et qui disparaissent le lendemain.

la 4ème division d’infanterie qui est entrée là-dedans. Je n’ai fait que suivre. EH Appelez-moi Ernest.

EH Jérôme, ne jouez pas au soldat patriotique avec moi ! Nous sommes sur un territoire défait, sur le sol d’une nation humiliée. Vous n’êtes pas leur sauveur, vous êtes un envahisseur qui a mis in à leur calvaire. Ils ont perdu beaucoup plus que des frères d’armes ici. Je vous parle de ce que vous avez perdu avant, car c’est bien de ça qu’il s’agit dans vos textes, pas vrai ? JDS Oui, sans doute. EH Comment s’appelle-t-elle ? JDS Oona. EH Un joli prénom. Vous allez la retrouver. JDS Je ne pense pas. Mais je prends plaisir à le croire. EH Et bien moi, rien ne me fait plus plaisir que de retrouver un compatriote, et un écrivain qui plus est ! Mais dîtes-moi, comment une plume comme vous a atterri ici ? JDS La 4ème division d’infanterie et moi sommes arrivés hier. Les combats avaient déjà presque tous cessé. EH La division et vous… Vous parlez comme si cela ne vous concernait pas directement. JDS Vous savez, Monsieur Hemingway, j’ai vu beaucoup de choses là-bas, dans ces centres de réfugiés, comme ils les appellent. Je n’arrive toujours pas à y croire et essaie de m’en détacher, en vain. C’est la folie qui a inventé ces camps, c’est la guerre qui a construit tout cela. Et c’est l’armée américaine qui a débarqué, c’est 33

JDS Je ne comprends pas, Ernest. J’ai pourtant lu vos récits, la description que vous faites de la soufrance, de la douleur, de la perte et de la mort. J’ai vécu la guerre moi aussi… Je dois vous avouer quelque chose : je crois que j’ai vécu cette guerre parce que c’est vous qui l’avez décrite. EH Venant de vous, je prends cela comme un compliment. Ces descriptions étaient ma façon à moi de me détacher de l’horreur. JDS Comme lorsque vous décrivez, dans L’Adieu aux armes, ce soldat mutilé agonisant dans la boue ? EH Oui. Même si tout cela est derrière vous, même si vous pensez que c’est un mauvais rêve, il faut apprendre à vivre avec, apprendre à revoir ces images la nuit. Pour les écrivains comme nous, il est essentiel de transformer ces projections en objets, ces lashs aigus en lumières du crépuscule. Sans ça, on ne dort plus. JDS Vous avez connu la Première Guerre Mondiale, celle d’Espagne, et maintenant, vous voilà de nouveau ici. Pourquoi ? EH Ce sont les images qui importent… Et puis j’aime bien cette ville, je n’allais pas les laisser détruire mes bars préférés ! Regardez ce qu’ils ont fait à cet hôtel ! Une chance que je sois venu libérer la place avant que vous n’arriviez, sinon nous serions en train de boire du mauvais schnaps sur des gravats à l’heure où je vous parle.


JDS Ou bien nous ne nous serions jamais rencontrés. Vous seriez mort, comme ce soldat dont vous parlez. EH Vous êtes un jeune homme surprenant Monsieur Salinger. Un brin agaçant, je dois dire. Que représente ce soldat pour vous ? JDS Il est ce que je n’arrive pas à faire ; il est l’oubli. Vous décrivez son agonie de manière déshumanisée. Sa tête purulente, éventrée, vous en parlez comme d’un pot de leur cassé, c’est bien ça ? EH Ravi de voir qu’un jeune homme se souvienne de ça. Moi, je ne m’en souviens déjà plus. JDS C’est ce que j’aimerais faire, même si je ne suis pas d’accord avec vous. EH Comment ça ? JDS En entrant dans Paris ce matin, juste avant de pénétrer dans cet hôtel pour venir à votre rencontre, j’ai assisté au lynchage d’un homme que l’on accusait d’avoir appartenu à la milice allemande durant la bataille de Paris. Les gens chantaient autour de nous, des femmes et des hommes venaient nous féliciter, des mères me tendaient leurs nouveau-nés pour que je les embrasse… Au milieu de cette foule enthousiaste, un groupe de résistants s’est formé autour de cet homme. Ils l’ont mis à terre, ils l’ont roué de coups. L’homme n’a rien dit, il ne s’est même pas défendu, n’a pas émis un seul son, et l’on n'entendait que le bruit sourd et mat des bottes sur son crâne. Personne n’est intervenu et quand le groupe s’est dispersé, l’homme était mort, baignant dans une marre de sang. EH On ne peut pas tout contrôler. Ne vous sentez pas coupable pour ce qui est arrivé à ce malheureux. JDS Je ne me suis pas senti coupable, pas un instant. La seule chose qui m’ait traversé l’esprit en assistant à cela, c’est le passage de votre livre. Sa tête ne ressemblait pas du tout à un pot de leur brisé, elle m’apparaissait davantage comme un fruit tombé au sol. Un fruit trop mûr, éclaté, qui rendait son jus. Je voyais plutôt cela comme quelque chose de vivant, pas un objet inerte

mais de la matière organique, palpitante mais déjà morte. Comme vous, je ne voyais pas un crâne explosé, pas une mâchoire disloquée ou des globes oculaires évidés. Je voyais une cosse rouge, de la chair de mangue brune, de la terre visqueuse et des petits cailloux blancs. Comme vous, je me suis échappé de la réalité mais il me fallait un réceptacle vivant, l’abstrait ne me convenait pas. EH Je vois. Dans mon cas, l’objet inanimé était préférable. Aussi, je n’aurais pas pensé à un fruit. Les projections inconscientes n’obéissent qu’à une seule règle - celle de la fuite. Transposer le réel dans une autre substance, toujours empreinte de réalité mais diférente. Ce qu’il faut, c’est écrire une seule phrase vraie. Écrivez la phrase la plus vraie que vous connaissiez. JDS J’ai vu des choses horribles, mais leur souvenir se transforme dans mon esprit. Elles restent vraies sans doute, mais la vérité qu’elles acquièrent n’a rien à voir avec le réel. EH C’est là que vous vous trompez. Votre mémoire peut être défaillante, elle peut parfois vous envoyer des signaux codés, vous épargnant ainsi la douleur, les remords aussi, mais elle reste ancrée dans votre réalité. C’est votre réalité à l’objet et au vivant qui est importante. Regardez, pas plus tard qu’hier matin, alors que l’insurrection faisait rage dans les boulevards, que les poches défensives allemandes crevaient les unes après les autres, il m’est venu une pensée étrange. Ce n’était pas seulement une sensation personnelle, mais quelque chose de plus grand, une vibration qui s’était emparée également de la foule qui encerclait les tireurs isolés. J’étais à la tête d’une petite troupe et nous étions parvenus à acculer une garnison de SS dans le quartier latin. Ils n’étaient plus qu’une dizaine, leurs camarades tombaient par grappes entières, recouvrant le sol d’un tapis d’uniformes tâchés de sang. Et là, alors que leur défaite était évidente, un jeune soldat allemand s’est réfugié dans un char, a actionné l’engin et pointé le canon sur nous. C’était une vieille prise de guerre qui datait de 1940, un char Renault F-17, une machine croulante et démodée. En le voyant se fatiguer si bravement sur les leviers rouillés, tentant en vain de sauver sa peau, un rire glorieux, moqueur et violent est venu 34

emplir les poumons de l’assistance ; moi le premier. Il y eu un bruit d’engrenages, quelques tressautements mais la lance n’a rien craché. Pas d’explosion, pas de fumée, pas de métal en fusion venant brûler nos chairs ; rien que nos rires hilares éclatant dans la rue. Les autres allemands étaient tous morts et, chose étrange, quand ce jeune soldat est sorti de sa trappe, nous voyant si gaillards, il s’est lui aussi mis à rire. Un rire sincère, spasmodique, qui a vibré longtemps dans mes oreilles, bien plus longtemps que le coup de feu qui a suivi, plus réel que cette balle qu’un français venait de lui loger dans la nuque.


scène. Nous avons fait descendre un marchepied dans la glaise et pendant deux heures il nous a donné un spectacle d’une inesse et d’une sincérité que je n’ai jamais revues jusqu'ici. Nous l’avons fusillé le lendemain. JDS Le matin du débarquement, un soldat a marché sur une mine. Il est resté une journée et une nuit sur place, sans bouger, au milieu des cris, du feu et du sang. Il n’avait pas dormi, pas mangé depuis des jours. Ce n’est qu’après qu’il soit mort de faim que nous l’avons trouvé. Ce n’était pas une mine mais une boîte de conserve. Un dramaturge de l’Arkansas en a fait une pièce comique qu’il joua le soir même dans le village libéré. Le succès fut total.

Ce qu’il faut, c’est écrire une seule phrase vraie.

EH Dans une tranchée, un soldat antillais s’est fait griller la cervelle par un tireur d’élite allemand parce son sourire se voyait même dans la nuit la plus noire. Un violoniste anglais fut détaché dans ce bataillon pour leur jouer les sonates les plus tristes qu’il connaissait. Deux jours après, ils ont été gazés. On les avait repérés à cause de la musique.

JDS Il y avait cette femme juive à Dachau… Je lui ai donné à manger. Son corps était tellement amaigri, son ventre gonlé par la dysenterie et sa tête tellement disproportionnée du reste, que je n’ai pu m’empêcher de la comparer à une quille de bowling. Ils étaient des centaines comme elle, rassemblés devant les baraquements. Des centaines et des centaines de quilles livides. Un soldat de la division lui a lancé une pomme, une simple pomme, et la femme s’est écroulée sous l’impact, entraînant une demi-douzaine de personnes dans sa chute. Le soldat a crié strike ! Nous nous sommes tous mis à rire, sans pouvoir nous arrêter.

EH À Verdun, juste avant le massacre, nous avions capturé un allemand et l’avions balancé dans un trou de glaise. Il avait égorgé huit de mes compagnons durant la nuit avec sa simple baïonnette. Il prétendait être clown dans le civil. Afaibli et maltraité, il continuait cependant de faire le pitre. Il était très bon à vrai dire ; il nous contait des histoires drôles en allemand que nous ne compreniions pas mais auxquelles nous riions de bon cœur. Il était en représentation disait-il ; là, dans la boue, l’eau et le froid. Nous nous rassemblions chaque soir autour de sa fosse pour l’applaudir. Sa dernière volonté fut de monter sur 35

JDS Mon amour m’a abandonné. Oona s’est mariée avec Charlie Chaplin, le plus grand acteur comique et narcissique de l’histoire du cinéma… EH La vie est une grande farce, mon cher Salinger. Buvons à la santé de ces morts grotesques, de ces âmes qui sont parties dans l’hilarité générale. Transformons leurs remords en sourires magniiques ! JDS Nous n’écrirons pas la guerre, Ernest, nous la sublimerons. EH Buvons à cette rencontre. JDS Buvons à la France.


franz xaver messerschmidt/

Fidèle miroir de nos sales gueules. Arnaud Idelon - Étudiant en histoire de l’art

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~ sculpture ~

Cher Tristan, Une fortunée balade dans le musée imaginaire qu’ofre la toile m’a ofert une impromptue découverte, de celles qui interpellent les sens et l’intellect par la virtuosité du style et la modernité du procédé. En me plongeant dans la destinée accidentée de l’artiste, ses splendeurs et ses misères, ses déboires et l’absolue perfection d’une œuvre unique, ma raison jubile et mes sens frémissent. Le néophyte que je suis a été subjugué par la force plastique de cette œuvre d’une soixantaine de sculptures. J’ai ainsi entamé de minces recherches ain de cerner le génie de celui qui fait igure d’accident dans le cours tranquille de l’histoire de l’art pour t’intimer à découvrir sans plus tarder la vie de Franz Xaver Messerschmidt. Les premières années de la vie de Franz Xaver ne comportent que peu d’éléments à même d’éveiller un surplus de curiosité. Il naît en 1736 dans la provinciale Wiesensteig puis part à Munich ain d'apprendre la sculpture sous la tutelle de son oncle. Il s'installe ensuite à Graz où il connaîtra les prémisses d’une renommée nationale et l'intérêt croissant de la cour pour son style académique. La statue de la reine de Hongrie en 1765 sera sa dernière réalisation avant son départ pour Rome. Trajectoire des plus classiques qu’un certain talent auréole de succès. Mais c’est après 1769 que sa carrière se pare d’un attrait nouveau. La courbe ascensionnelle que prenait sa renommée est stoppée nette lorsque Franz Xaver prend ses quartiers à Vienne. Commence alors une longue décadence. À court de commandes, le sculpteur se voit refuser un poste à l’Académie Royale de Vienne en raison de troubles comportementaux qui le coninent bien vite à la marginalité. Atteint d’une forme de paranoïa, il connaît une tourmente aigüe et se croit persécuté par des esprits malins qui lui rongent peu à peu le corps. L’artiste, de longues heures durant, tente d’exorciser ses démons en s’adonnant à toutes sortes de grimaces face à un miroir. En poussant jusqu’à leurs limites les expressions faciales, il tente de maîtriser les forces qui le tourmentent. La suite n’est qu’une longue déchéance. Exil dans sa ville natale, puis retour à Munich et enin à Presbourg où il sombre dans l’oubli avant d'être emporté par une pneumonie le 19 août 1783. Ce n’est donc pas sa biographie étriquée qui m’interpelle plus que cela chez Franz Xaver – même si tu connais ma fascination sophistiquée pour la décadence du génie – mais bien une production intense aux allures d’anomalie. Dans le siècle glorieux du néoclassicisme prôné par les académies et guidé par l’absolu que recherche son docte Winckelmann dans la "noble simplicité et calme grandeur", les heures les plus sombres de Franz Xaver accouchent d’une série de sculptures que la postérité baptisera Têtes de caractères. À l’instar d’un autre tourmenté hollandais du siècle précédent, Franz Xaver se prend pour modèle pour réaliser, tantôt en bronze, tantôt en métal, des efigies secouées de rictus désarticulés, de faciès déformés par des grimaces à l’expressivité cruelle, servis par une virtuosité hors pair. Contre un néoclassicisme igé dans la célébration réitérée du Beau et du Digne, il livre dans cette série de têtes une vision naturaliste attentive, sans crainte du trivial, à l’incommensurable diversité des expressions humaines et renoue en quelque sorte avec l’attitude des kouroi de l’époque archaïque de la statuaire antique, où s’aichaient sourires et mimiques, baignée de l’inluence orientale. Là une tête sourit de toutes ses dents, là une autre éclate d’un rire grossier, ici, une langue tirée fait afront à toute pondération, une autre fronce les sourcils jusqu’à l’éclatement, une autre crie jusqu’à la caricature. Là se trouve le génie d’un artiste tourmenté qui bouscule les codes établis et se livre à l’inventaire décomplexé des facettes de la laideur de la nature humaine. Alors, n’hésite plus, fonce et délecte-toi de ces échantillons, de ce qu'il y a en nous de plus laid, de plus vrai, de plus humain, hors des canons et des normes auxquels une certaine frange de l’histoire de l’art nous a accoutumés.

Amitié. 37


à monde faux, faux rires/

Nietzsche prétendait pouvoir "classer les philosophes selon le rang de leur rire". En va-t-il de même de tous les hommes et, mieux, des sociétés ? Guillaume Coissard - Étudiant en philosophie Illustré par Isabelle Serro

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~ philosophie ~

L

’objet de notre rire, ses modalités, peuvent-ils fonctionner comme les pierres de touche des diférents siècles ? Si la réponse est positive, notre époque devra répondre du rire gras et grossier qu’elle lance avec ierté… depuis son canapé. Si nous voulons parler sérieusement du rire, et non pas répéter quelques poncifs bien servis, il nous faut noter d’emblée qu’il n’existe rien de tel que le rire. Admettra-t-on en efet que la même chose se joue dans le rire qui éclate à la in d’une soirée alcoolisée entre amis, dans celui qu’appelle l’humour noir, dans celui que produit le comique ou encore dans le rire jaune défensif ? Rit-on toujours de la même façon, des mêmes objets, avec la même intention ? La pensée authentique s’ouvre sur la diversité et il n’en va pas autrement quand il s’agit d’appréhender le rire. Il se pourrait même qu’en distinguant ainsi parmi les diférents types de rire, nous découvrions, par-delà les apparences, un rire dont la fonction efraie bien plus qu’elle n’amuse. Voilà précisément ce sur quoi repose l’interrogation : que certaines formes du rire expriment, non pas l’allégresse joyeuse du fou rire, mais la lourdeur sévère de la méchanceté, de la moquerie et de la correction. S’il en allait ainsi, ne serions-nous pas bien loin de l’idée que nous nous faisons du rire en général, et ne devrions-nous pas, dans certains cas, substituer l’expression de faux rires à celle de fou rire ?

Le rire de divertissement est l’apanage du média de masse. Il est vrai que cette dualité consubstantielle à tout rire est remarquée de longue date, et Descartes en faisait d’ailleurs le pivot de l’analyse qu’il donne du "ris" dans Les passions de l’âme. Pour Descartes, en efet, le rire est "un des principaux signes de la joie", mais il est en même temps le résultat de "quelque haine mêlée avec elle". Dans la théorie humorale, héritée de la médecine antique et reprise par Descartes, le rire est donc l’expression physiologique d’un double alux de liquide corporel : le sang, par où s’explique la joie contenue dans le rire et la bile noire, "qui vient de la rate", organe de la mélancolie et, globalement, de tous les caractères déviants et maladifs. Dès lors, se pourrait-il que la corde précaire sur laquelle tient en équilibre le rire se rompe et que, derrière "la voix inarticulée et éclatante" que décrit Descartes, se découvre un rire sans joie, et même dangereux ? Nous posons qu’un tel rire, faux en ce que celui qui rit ne fait pas ce qu’il prétend faire - c’est-à-dire simplement rire - est exactement le principe du plus répandu des rires de notre temps : le rire de divertissement. Le rire de divertissement est l’apanage du média de masse, et sa prégnance est si forte qu’on aurait aujourd’hui parfois du mal à ne pas le considérer comme l'unique forme du rire. Le monde anglo-saxon l’incorpore dans le domaine général qu’il nomme l’Entertainment, domaine qui difuse ses valeurs dans l’ensemble de notre conduite quotidienne. L’idée générale est d’incorporer des éléments de spectacle, de show, dans tous les produits médiatiques proposés au public, avec pour intention la conservation de son attention volatile. Le rire occupe une place centrale dans ce dispositif : on alterne par exemple les séquences consacrées à la guerre en Syrie et les bulles comiques du dernier programme à la mode, ou 39


l’on place à la in du JT une rubrique plus légère sensée redonner le sourire. Nous n’y gagnons en réalité qu’un sous-rire, non pas spontané, mais qui doit au contraire être compris comme la réponse passive de celui qui rit au besoin d’une réalité sociale dont l’intérêt inconscient est de liquider toute forme de pertinence intellectuelle et de profondeur dans le rythme implacable du spectacle. Car tout propos un tant soit peu sérieux, ainsi intégré comme moment du divertissement, perd nécessairement sa substance. On explique par là comment tout contenu réellement intellectuel traîne de nos jours avec lui l’idée d’une sériosité poussiéreuse qui entraîne sa relégation au rang de simple spécialisation, afaire de spécialistes réglant leurs débats dans l’intimité de discussions universitaires détachées du monde concret. Pour constater cet échec de tous les discours savants qui n’appartiennent pas aux sciences qui jouissent, elles, d’une bien meilleure fortune dans le monde courant du fait que leur productivité s’y montre avec exubérance - il suit d’allumer sa télévision et de constater à quel point la igure de l’intellectuel, chère au XXème siècle, est absente ; à quel point les mêmes mots s’y répètent dans les mêmes émissions, facilitant le matraquage des mêmes pensées par le refus de la richesse sémantique de la langue, pourtant véhicule de toute réelle intelligence ; à quel point le rare chroniqueur littéraire, cau-

Rire, c’est sanctionner : sanctionner l’écart de conduite, la légère déviance. tion non pas intellectuelle mais classieuse de programmes qui recherchent la catégorie de population (cadres, ménagères, adolescents…) plutôt que la substance, perd toute pertinence du simple fait qu’il incorpore son propos au moule du rythme percutant imposé et des deux minutes et demie imparties avant la coupure pub. S’il en va ainsi, c’est d’abord parce qu’on oppose le sérieux qu’exigent les discours intellectuels à la prétendue légèreté qui déinirait l’aspiration du "public", parce qu’on oppose donc le propos et le rire. Comme si l’esprit de sérieux devait nécessairement ennuyer et le divertissement nécessairement satisfaire. C’est par cet amalgame qu’on discrédite les seuls discours qui portent encore aujourd’hui du sens, et par là qu’on établit en retour la supériorité du non-sens : c’est ce genre de construction psycho-sociale qui fait qu’un chat qui pète sur Youtube est mieux connu qu’un discours de Descartes. Or, précisément le rire, du moins la réaction physique d’hilarité qui se présente comme tel, participe pleinement de cette construction. C’est qu’en efet, lorsque je ris, j’accepte implicitement un certain nombre de règles dont l’incompréhension ou la transgression ont provoqué mon rire. Si la règle était de tomber dans la rue, je ne rirais pas de cette vieille dame qui vient de se casser le col du fémur mais de ce jeune homme qui, 40


lui, marche d’un pas assuré. En même temps, donc, rire, c’est sanctionner : sanctionner l’écart de conduite, la légère déviance. Le rire est la première forme de la correction sociale que s’imposent entre eux les individus. On ne s’étonne donc plus que Descartes fasse de la haine un des deux moteurs du rire : c’est qu’une poufade blesse parfois bien mieux qu’aucune autre attaque, en quoi consiste la moquerie. Le rire de divertissement, lui, porte cette logique jusqu’au point paroxystique de son autodissolution : en riant, je dresse les autres autant que je me dresse ; j’apprends les règles de l’ordre social auquel je prétends m’intégrer et mon rire ne révèle inalement rien d’autre que la pleine acceptation de cet ordre-là. Pensons simplement à l’idée d’un American way of life distillée quasi-explicitement par l’immense notoriété de sitcoms comme Friends qui ne cessent de présenter sous le miel de la comédie débilisante un mode de vie "new-yorkais" impossible pour la très grande majorité de l’humanité : le rire qui y est proposé est forcé parce que déjà imposé par la forme-même du produit, qui indique au spectateur-larve le moment précis de sa joie simulée. Sans cette signalétique barbare et infantilisante, rirait-on ? Nous touchons là, nous croyons, le point principal : le rire de divertissement correspond à la réponse caractérisée du consommateur au stimulus d’un monde dont l’intention est la perpétuation de la consommation. Le rire comme produit est donc à la fois l’objet d’une satisfaction et le moyen de la reproduction du même monde. On aurait alors bien du mal à accepter l’idée selon laquelle la légèreté de tels produits serait un palliatif à la lourdeur de l’efort de rélexion : une chose à première vue aussi innocente qu’un stand-up charrie en réalité avec lui la pesanteur d’un système social, économique et culturel entier. Ce n’est pas un hasard si les tenants de cette sorte d’humour font rire en répétant le quotidien et que le spectateur se retrouve dans chacun des sketchs : c’est parce que ni l’humoriste ni le rieur ne sont capables d’appréhender une autre réalité que celle qu’on leur impose de répéter. La lourdeur est bien plutôt la caractéristique de ce qui passe pour léger, et qui est en fait gros d’un monde à toujours ré-accoucher. En cela le rire de divertissement est un rire faux, parce qu’il ne répond à aucun contenu et qu’il est seulement l’écho dans l’individu d’un appel du système social ; je ne ris en réalité de rien, je m’adapte simplement en donnant la réponse appropriée à un ordre reconnu, comme le cabot cherchant sa caresse. L’idée que le divertissement, donc le rire qu’il déinit, fonctionne comme l’alternative aux véritables questionnements, miroite ses nuances pascaliennes. Il est vrai cependant que le faux rire que nous avons décrit ici, mieux que de nous empêcher la pensée de "notre condition faible et mortelle", fonction du divertissement chez Pascal, semble bien plutôt nous précipiter dans la mort. Car qu’est-ce qu’un corps dont même le rire n’est pas spontané, sinon une marionnette à qui l’on ouvre la bouche ? Mais quoi ! Le mot rire n’est-il pas, déjà, la moitié du mourir ?

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~ mode ~

be bold, brave and beautiful/ Tendances mode automne / hiver 2014 - 2015. Techatorn Sopathanundorn - Spécialiste tendances Illustré par Prada

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rents, tout comme les leurs monochromes, le léopard ou le serpent, qui ofrent une touche rétro glamour à l’ensemble. Si l’androgynie n’est pas un terme reconnu dans le vocabulaire de la mode, il en devient cette année le mot d’ordre principal. Un style strict et in, agrémenté d’une touche très féminine et d’une autre totalement rétro. Si l’androgynie ne vous parle pas, adoptez le style new bohemia pour exprimer votre féminité. Vous pourrez alors porter un regard émerveillé sur les contes de fées inspirés du règne animal, les pures traditions artisanales de diférentes cultures ainsi que les mouvements artistiques du début du XXème siècle. L’ambiance est éclectique et créative avec énormément de références historiques et culturelles - de l’artisanal à l’Art Nouveau, nordique ou folklorique. Les années Seventies sont aussi présentes avec une touche bohème, éclectique à la sauce vintage. Nous chercherons une silhouette désinvolte et déconstruite avec des manteaux ceinturés protégeant une robe simple dans les formes, vintage dans les couleurs, et romantique dans le choix du tissu. La palette est riche et décorative, inluencée par une gamme de bleus sombres contrastés par des tons de violet royal, orange Krishna, safran, fuchsia et chartreuse qui créent la nouvelle tendance bohème. Trouez vos jeans évasés et ressortez vos bottes à talons compensés des années soixante-dix. La clé est de rendre visible la texture des vêtements, ce qui apportera une touche luxueuse.

ette saison tourne autour de l’attitude, l’individu et sa personnalité révèlent la pure joie de la mode à travers des couleurs audacieuses, des volumes originaux, tout en gardant de parfaites proportions de silhouettes. Le sportswear reste une inspiration constante mais la tendance s’attache à une véritable authenticité, street sports et outdoor pursuits. Le style est pensé en parfaite harmonie avec le côté pratique de son utilisation. Vous pouvez vous surprendre à passer du look femme motard à celui d’une femme de pouvoir vêtue de superbes couleurs désarmantes proposées par Luella et Katie, nouvelles Art Directors chez Marc by Marc Jacobs. Prada semble également être courageux et avoir plaisir à jouer avec les couleurs et la texture. La maison explore les méandres de l’état d’être d’une femme moderne : un manteau en peau de mouton coloré porté sur une robe de soie moulante. Lorsqu’on parle d’un style très personnel, Dries Van Noten est le maître en la matière. Il l’a brillamment démontré avec son blouson orange assorti avec une luide jupe noire et des talons. Un formidable point de vue sur le sportswear de luxe. Le côté urbain est amené par des graphiques percutants, on retrouve aussi les uniformes militaires ainsi que l’attitude skate-girl. La saison s’annonce avec des mélanges osés de tons clairs de verts, cyans, rouges, jaunes et oranges compensés par le noir et blanc de base, et quelques touches d’or ou d’argent très présentes. Cependant, chaque nouvelle tendance est ouverte à votre propre interprétation. Nous le voyons clairement depuis un certain temps, en assistant à l’émergence de la nouvelle version des années soixante, rock et chic, garçon manqué, où le masculin rencontre le féminin. Jeunes mais élégants, les motifs pieds de poule, damiers et pois sont récur-

Il n’y a pas de loi en matière de mode, ne vous laissez pas classer dans une catégorie, vous êtes un individu original et avez le pouvoir de casser les règles. Prenez votre personnalité en main, laissez briller ce que vous êtes, soyez audacieux, courageux et beau par vous-même. 43


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rencontrer


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Julie de Waroquier


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serge labégorre/ l’ humaniste

De l’articulation de l’esprit et du corps jaillit un geste pictural sublime. Sous le pinceau du plus grand expressionniste vivant, l’âme est extraite des tréfonds de la chair ; l’indicible et l’inexprimable se retrouvent figurés dans un cri empli d’humanité.

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Stéphane Klein


Nous sommes témoins du monde que nous habitons. Pour moi le monde a une figure.

L’enfance. La naissance de l’imaginaire.

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e suis né en 1932, j'ai passé mon enfance au-dessus d’une quincaillerie absolument gigantesque dans une petite ville vers Bordeaux qui s’appelle Libourne. Le jeudi, je passais du temps dans les diférents étages de cette quincaillerie, et notamment dans le grenier dit Rossignol, avec des centaines d’invendus. C’était magique, une multitude de trésors à portée de main, qui ont contribué très certainement à développer mon imaginaire. À cette époque où j’étais gamin, il y avait une sorte d’ennui et de solitude qui ont été déterminants. Dans le primaire, je me trouvais bien lorsqu’il s’agissait de dessiner d’après ce que je voyais dans la revue Illustration, mais j'étais maladroit. J’ai d’abord été élevé par les Bons pères, mais je n’ai pas pu rester car ils nous ont mis à la porte mon frère et moi… Je me suis retrouvé au lycée, ce qui a été très dur, mais j’ai découvert des pédagogues de grande qualité. Et surtout, je suis tombé sur un professeur de dessin, peintre lui-même, qui avait une façon d’enseigner hors du commun, tout à fait atypique et très eicace. Si on pouvait aujourd’hui reprendre l’enseignement de cet homme, ce serait extraordinaire. Avec sa pédagogie, nous étions acteurs, c’est-à-dire que l’on dessinait, mais nous étions aussi initiés à l’esthétique. C’est le tout premier qui en classe faisait des projections de peintures anciennes, mais aussi contemporaines avec une explication du contexte, de la symbolique, des directions… C’était passionnant ! Il nous autorisait aussi à choisir parmi les peintres contemporains ceux que nous trouvions à notre goût. C’est comme ça que j’ai connu de très grands peintres…

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~ peinture ~ L’adolescence. La maladie comme bénédiction.

L’âge d’or. La peinture comme nécessité vitale.

Nous sommes en 1944-1945, il m’est arrivé un grand malheur et à la fois un grand bonheur, celui de tomber malade. Je suis un enfant de la guerre et durant cette période, les français souffraient de la faim. J'ai été victime du bacille de Koch, la grande mode de l’époque, sans remède… Or, je n’avais pas de craintes, je n’ai jamais eu peur de la mort. Ce fut une bénédiction. La grande chance que j’ai eue, c’est d’avoir dans ma famille un homme riche, mon grand-oncle que je considérais comme mon grand-père. Lui et sa femme m’ont invité à venir chez eux, à Langon, la patrie de François Mauriac, qui a été d’une très grande importance pour moi. Arrivé dans cette maison, ma grandtante, qui était quelqu'un de très religieux, m'a dit : "Il y a quelque chose de divin dans toute grande maladie, que vas-tu faire de tout ce temps libre ?". C’est à ce moment-là que je me suis mis à peindre quotidiennement. Et comme nous vivions dans une grande maison, avec une brigade de domestiques, j’avais tous les modèles que je voulais.

En tant que jeune adulte, j’ai compris que la province - et Dieu sait si je l’aime ! était exclue pour les artistes. À l’époque, il fallait un passage par Paris, et j’ai dû trouver une galerie qui voulait bien exposer mes œuvres. Heureusement, il y avait un salon qui s'appelait La jeune peinture, une institution qui n’existe plus aujourd’hui, mais qui prenait alors des peintres jusqu’à trente-cinq ans. C’est là que j’ai fait toutes les rencontres qui, pour moi, ont été vitales. J’ai eu beaucoup de chance pour construire ma carrière, même si je n’aime pas ce terme, et ce grâce au hasard. J’ai quitté l’Éducation nationale ainsi que mon métier de professeur quand j’ai signé un contrat avec une galerie en Angleterre.

Un visage, c’est à la fois du passé figé et de l’avenir deviné.

J’ai donc commencé à travailler sur ce qui m’a toujours obsédé, le visage. Il faut des moyens pour appréhender le visage… C’est là que je rends hommage à mon professeur de dessin, car il nous avait enseigné le dessin d’observation. En apprenant à regarder d’une manière très simple, on appréhende le réel. Il suit pour cela d’analyser simplement des ouvertures d’angles. Au début, on dessine un peu comme un cubiste, puis on aboutit à autre chose… Ce que j’ignorais à l'époque, c’est qu’à partir du moment où l’on prend la peinture, elle ne vous lâche plus…

L’adulte. Le visage comme obsession. Je n’ai jamais eu de mal à appréhender les visages et à les dessiner, j’ai cet amour de l’humain ancré très profondément. Pour moi, la peinture doit être compréhensible et avoir du sens, et je pense qu’il faut maitriser l’humain. Je ne peux pas voir les visages sans une certaine déformation. Un visage, c’est à la fois du passé igé et de l’avenir deviné. C’est en cela que c’est intéressant et universel. Chaque visage possède un caractère d’unicité absolue, comme les empreintes. Il n’y a pas deux visages qui soient pareils ; même s’il y a des faciès qui peuvent se ressembler, il n’y a pas de sosie. Il y a donc un rapport au temps très intéressant dans chaque visage car on peut lire en eux une sorte de géographie sur le déroulé de la vie et des choses inaccomplies. J’ai assez vite compris qu’une vie est unique. Il faut tout faire pour la sauver, car si on la perd, c’est quelque chose d’afreux. Cette défaite se marque en vous pour l’éternité. Je suis dans une quête très personnelle parce que je pense qu’elle est universelle. Nous sommes témoins du monde que nous habitons. Pour moi le monde a une igure.

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Quelques faits marquants ont jalonné mon parcours. De 1977 à 1982, j'ai travaillé avec Suillerot, un des fondateurs de la FIAC. Entre 1989 et 1990, mon exposition, préfacée par Jacques Chalban Delmas, a traversé les États-Unis dans les grandes villes américaines comme New York et Los Angeles. En 2002, j’ai eu une rétrospective nationale à Paris, initiée par le Ministère, car il faut un décret pour cela ! La peinture est quelque chose d’essentiel, elle naît d’un bouleversement. Une image peut être mortelle, tout comme les idées, mais la peinture, elle, survit elle a ce côté immortel, éternel. C'est pour cela que igurer est une nécessité vitale pour moi. Je suis malheureux quand je ne peins pas, c’est une drogue, et plus ça va, plus je peins, avec moins d’énergie certes, mais il m’est impossible de m’en passer, tous les jours. Le corps est un médium inouï, il sublime la réalité.


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dominique pitoiset/ le bâtisseur

Maître de la scène contemporaine francophone, il est - avec Nadia Fabrizio et la compagnie qui porte son nom - artiste associé de Bonlieu scène nationale à Annecy. Entrons dans les coulisses de leur première création Un été à Osage county, de Tracy Letts.

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Mort d'un commis voyageur - 2010 - Maitetxu Etcheverria


Si l'on doit parler de moi, l'on ne parlerait pas de rire, mais de dissolution. Une vision du théâtre.

S

i c’était un art, ce serait certainement l’art de l’incarnation du sens, on peut dire ça un peu pompeusement… Il faut mettre en chair du sens immédiat, et que ce sens puisse être repérable aussitôt, voire émotivement par la communauté qui s’y trouve confrontée. Après toutes ces années de mise en scène, j’ai réalisé que je cherchais une forme de calme et de sérénité en étudiant les pathologies humaines. Au début, je voulais être esthète, et puis je me suis rendu compte que ce qui est passionnant, c’est l’étude du fait humain dans un bocal qui est celui du cadre de la scène. La vraie question est comment on met tout ça en jeu dans des efets miroirs avec ceux qui le regardent et l’écoutent, l’observent et l’étudient. Pour moi, la dérision est très proche de la mélancolie, dans la mesure où les systèmes de contrôle qui sont établis sur nous et ce qui nous semble être le préalable à la liberté est souvent un leurre. Nous jouons à comprendre ce qui génère une situation qui nous permet de survivre à la contrainte. C’est comme ça que je fais le choix de mes pièces. Un été à Osage county se déroule au in fond

Qui a peur de Virginia Woolf ? - 2009 - Frank Perrogon de l’Oklahoma, dans les grandes plaines à bisons du Middle-Ouest, c’est-à-dire largué au cœur du désert de la faillite du grand rêve américain, au moment où on se rend compte qu’il est temps de retourner sur les côtes. Là, c’est le troisième volet d’un cycle. J’ai mis en scène Qui a peur de Virginia Woolf ?, d’Edward Albee, puis Mort d’un commis voyageur,

Cyrano de Bergerac - 2013 - Cosimo Mirco Magliocca 54

d’Arthur Miller. C’est un cycle sur la dissolution, la dissolution d’un système, d’une pensée, d’une certaine valeur et la dissolution des individus dans ce système de pensée, la dissolution de l’économie qui a prévalu à tout ça. J’espère que ce sont des œuvres qui collent à nos réalités et qui nous permettent de les envisager autrement. Je ne suis pas persuadé que le théâtre et l’art puissent changer le monde, je pense même le contraire, mais je me dis que certaines rélexions peuvent nous amener à changer nos modes de faire et la relation que nous avons au monde. Le théâtre manifeste du politique, il l’est de fait au sens grec, mais je crois qu'il apporte une alternative au sein même du spectacle. C’est l’esthétique et la façon de vivre la représentation qui peut, d’un point de vue presque poétique ou émotif, être une alternative à la violence du monde ou à l’impuissance que nous avons à transformer ce qui nous étoufe fatalement. Peut-être qu’il y a là une énergie vitale, vivante, extrêmement jubilatoire et très communautaire qui peut se partager.


~ théâtre ~

Sauterelles - 2006 - Frédéric Desmesure

Un été à Osage county. Si je devais choisir une littérature se rapprochant de celle de l’auteur de Un été…, ce serait sans aucun doute les poésies de T.S Eliot. Le poème, Les hommes creux, celui que lit Marlon Brandon dans Apocalypse Now, est un des plus grands textes qui ait été écrit. La pièce débute et se termine comme ça, "C’est ainsi que init le monde, c’est ainsi que init le monde, c’est ainsi que init le monde, pas sur un bang, sur un murmure.". Je commence toujours mes créations en faisant une enquête et quelle que soit la pièce, même si c’est une pièce classique de répertoire, je pars toujours du principe que ce qui est écrit a été dit par des êtres qui ont vécu. Comme disait Vitez, "Le théâtre c’est raconter aujourd’hui des histoires d’hier qui vont peut-être pouvoir changer demain.". C’est l’idée que Shakespeare n’est pas un auteur, mais plus de trois cent soixante personnes qui parlaient et dont les propos ont été retranscrits. Donc, j’enquête sur des faits divers, mais j’essaye d’en recomposer les éléments. Osage county, c’est l’histoire d’une famille irlandaise émigrée en terre Cheyenne. Un type alcoolique atteint de mélancolie va se suicider et laisser sa femme et ses illes seules au monde. Son enterrement est l’objet d’un règlement de compte qui est à l’image, inalement, de ce que nous sommes. Ils vont essayer de jouer au jeu de la vérité au début de la pièce. Lui est alcoolique et les illes sont en dépression. Cela reste drôle car il y a quelque chose de très cynique. La mélancolie est liée au fait qu’on n’a pas trouvé la solution et que nos rêves sont devenus des cauchemars. Ceux qui ont été entrainés dans l’utopie des autres ont pris la tangente et ont fait leurs valises. On se retrouve tout seul, en in de vie, dans des endroits qui sont devenus hostiles parce qu’on n’en a ni l’économie,

ni l’énergie et que le rêve s’est éteint. Je suis allé là-bas, invité par ces indiens d’Oklahoma, j’ai fait plein de photos et j’en suis reparti avec de belles anecdotes. Dans un village, j’ai appris qu’Oklahoma veut dire "homme rouge" en langue Cheyenne, et Patouchka, le village dans lequel se passe la pièce veut dire "cheveux blancs". Patouchka est un bled comme dans les westerns, il y a une rue, le saloon, la banque, la poste… Je suis allé me balader au bord du lac de Patouchka pour voir où ce mec était mort. J’étais donc au bord du lac, il n’y avait personne, juste un vieux type qui sort d’un bungalow et qui s’approche de moi. Il me demande qui je suis, pourquoi je suis là, et il me dit en rigolant :

Ce sont les processus de réalisation qui sont compliqués. Finalement, ce sont les autres qui sont emmerdants. "C’est un long voyage pour venir regarder de l’eau". Quand je lui raconte pourquoi je suis là, il me dit : "Ah ! Osage county, la pièce qui a été jouée à Broadway, le bungalow c’est celui-là, et les illes étaient là, c’est ici qu’elles faisaient leur barbecue, il est rouillé, maintenant qu’il est mort.". Entre iction et réalité, la pièce de Tracy Letts est en grande partie autobiographique, c’est son grandpère qui s’est suicidé en se jetant dans le lac. Dans ma machine à remonter le temps je suis allé à l’endroit où l’auteur a mis en route l’imaginaire à partir des réalités qu’il connait, et la maison 55

dans la pièce est en fait la maison de retraite des grands-parents de Tracy Letts. Quand il était gamin, c’était son lieu de vacances. Quand on entre dans l’intimité des secrets de fabrication, on n’entend plus du tout de la même manière ce que disent les personnages de la pièce. Ce sont des gens qui ont vraiment dit ça à un moment de l’histoire du monde et nous allons reconstituer la crédibilité de ce que ça a pu être. Grâce à cette enquête j’ai compris des choses toutes bêtes. Quand je commence à établir des connections, je me dis que mon histoire est une sonate de spectres. Quand le mâle dominant disparaît, que devient la tribu, surtout en territoire hostile ? Eux l’ont toujours vécu inconsciemment comme un territoire hostile.

Le processus de création. Je m’interdis d’avoir des images scénographiques au début de la création. À un moment, il y a des pièces du puzzle qui sont incontournables, déjà ce qui est nécessaire, après ce que je veux raconter et ensuite comment les choses s’organisent entre elles. J’ai des carnets de notes, mais ce n’est pas très bon d’avoir trop d’idées avant. Je suis un peu dans les starting-blocks, je sais que lorsque l’on prépare bien le match, après il faut s’adapter à la réalité des autres. Guider une mise en scène, c’est inventer dans l’instant avec les autres, en étant persuadé que lorsqu’ils inventent quelque chose que l’on a rêvé depuis très longtemps, on a atteint le but. C’est le problème du metteur en scène, il ne doit pas seulement imposer ses idées aux autres mais doit faire en sorte que les autres aient les bonnes idées qu’on a souhaité qu’ils aient. Ce sont les processus de réalisation qui sont compliqués. Finalement, ce sont les autres qui sont emmerdants. Mais le jour où ils ne seront plus là, que l’on ne fera des spectacles qu’avec des hologrammes, on sera vite sec. C’est une belle aventure humaine, elle est compliquée et quelque fois affectivement douloureuse, mais elle est riche de confrontations aux désirs et aux peurs. Ce sont des métiers qui sont traversés par la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être connu, de ne pas être estimé. Il y a beaucoup d’angoisses et d’inquiétudes, c’est ce qu’il faut réussir à accompagner.


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boywd/ le vrai

Paysages devinés, tout juste rêvés, les carnets de voyage se couchent sur la toile. L’occidental part à la rencontre de cet oriental enfoui comme besoin vital.

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J’ai commencé à manger de la peinture, au sens propre, comme au sens figuré !

E

lle s’est c r é é e Quelle est votre au fur histoire avec la et à peinture ? mesure. Je suis un autodidacte, je me suis laissé porter dans diférents domaines, et les choses ont évolué naturellement. Je ne pense pas qu’il faille forcément de grandes connaissances pour peindre. Il y a bien un diplôme de peintre Vous n’avez donc avec les Beaux- pas de diplôme ? Arts, mais est-ce qu’il y a un diplôme pour les gens qui ont fait de la peinture en tout temps ou pour les écrivains ou les cinéastes ? Non… Je pense que le diplôme est là pour rassurer les gens. Quand on est autodidacte, on se booste pour avancer. On se dit qu’il faut travailler plus, et être plus attentif à ce que l’on fait. Je peins depuis t r e n t e - c i n q Depuis quand ans. Vers dix- peignez-vous ? sept ans, je me suis essayé à une carrière musicale, je nous voyais déjà en haut de l’affiche avec mon groupe, mais très vite, nous avons compris que nous n’étions pas si bons que ça. J’ai fait un choix personnel, et je me suis mis aux pinceaux. J’ai commencé à manger de la peinture, au sens propre, comme au sens figuré ! Je n’ai pas de base classique Comment décriparticulière, je riez-vous votre ne pense pas peinture ? non plus être un bon dessinateur, car le dessin m’embête très vite. Ce que je fais est plus une esquisse qu’autre chose. Ce n’est pas abouti, le trait me chifonne. Il me faut de la couleur très rapidement. Avec un pinceau tout va nettement mieux, mais c’est du travail. Contrairement à ce que les gens croient, rien n’est jamais acquis.

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~ peinture ~ J’ai des images qui me viennent, mais en cours de réalisation, l’image peut très bien changer car ce que l’on a dans la tête à la base, ne correspond jamais au travail abouti. La décision de ce que va être la toile est prise par la palette, la couleur, et le premier coup de pinceau. Par exemple, si je démarre sur un bleu très clair, cela va inluer plein de choses. Il n’était pas forcément prévu, mais je dois faire avec. Ensuite, j’essaie de me rapprocher de ce que j’imaginais au départ, mais je n’y arrive jamais… Je recommence le lendemain, en essayant d’arriver à ce que je veux, non pas par orgueil, mais par volonté.

Avez-vous la toile en tête avant de la commencer ?

Oui, des amis Avez-vous des que j’ai renamis dans la contré tout au profession ? long de mon parcours. C’est un vrai bonheur, car j’ai un boulot où l’isolement est quelque fois pesant. Dans le village, certaines personnes me connaissent depuis longtemps, mais je me sens isolé par rapport à ce que je fais, car j’ai du mal à parler de mon travail, et ils ne me comprennent pas bien, donc c’est un peu diicile. Le fait de rencontrer d’autres artistes est une grande chance, car c’est ce qui alimente un peu mon travail. Inluencé non, car je pars dans des directions diférentes. L’art ne sort pas d’un tiroir, j’ai toujours des références quelque part, des fois inconscientes, c’est ce qui taille un chemin, et même s’il y a des inluences, j’ai ma propre transformation des choses.

place. Me replonger dans ces carnets me donne envie de repartir. J’aime aller là-bas, ça me fait une pause, et même si je ne comprends pas la langue, ce n’est pas grave.

choses. Mais quand on les sent, à mon avis, c'est plus fort, même si on ne comprend pas toujours tout. D'un certain côté, décrire les toiles, c'est se rassurer.

C’est vraiment diférent. Nous avons en commun des yeux, des oreilles, un nez, mais humainement parlant, nous avons des pensées diférentes par rapport à la culture tout en ayant les mêmes niveaux de sentiments ou de perception des choses. J’aime les gens en général, mais je me barre en courant des quartiers touristiques. Je me sens à l’aise avec la population locale. Au départ, il y a une sorte de timidité, voire de réticence, mais le fait d’aller làbas régulièrement brise les préjugés. Je retrouve les gens, les petites habitudes, les familles, les gamins qui grandissent...

Non. On regarde une peinture avec une liberté, sans se poser de questions. Si on veut un registre plus descriptif, c’est une autre façon d’aborder les choses, un autre domaine. Il faut être écrivain pour utiliser les mots. Moi j’utilise les couleurs pour dire des choses qui sont perçues ou pas.

Vous touchez une sorte d’universalité en allant en Asie ?

Est-ce réducteur de décrire vos toiles ?

Je n’en ai aucune idée parce que je ne sais même pas pour demain. J’ai un agenda qui est rempli de tout et de rien. J’aime bien noter les

Dans dix ans, où serez-vous ?

Êtes-vous influencé par ces personnes ?

Pour mes cinquante ans, je suis parti au Viêt Nam, et ce fut un choc. Depuis, je retourne dans ce pays tous les ans, au moins quatre mois. Je fais des carnets de voyage qui deviennent, ou non, des sources d’inspiration. Ce ne sont pas des choses abouties, mais des photos faites à la main qui me servent d’outils de mémoire, et qui me permettent de me remettre dans l’ambiance de ce que j’ai vécu sur

Où puisez-vous votre inspiration ?

Ça ne sert à rien et c'est pour cela que c'est bien. Je ne suis que le révélateur de quelque chose chez une personne. Quand on dit qu'un peintre a voulu faire passer telle ou telle chose, cela ne veut plus rien dire. Je propose des images, après je ne suis pas maitre de la résonnance qui va être provoquée chez les gens. Quand j'expose des toiles asiatiques, pour certains, cela va avoir un côté exotique, et pour d'autres, cela va révéler une mémoire enfouie quelque part dont ils n'ont pas idée. On peut faire des analyses, des études, des descriptions, cela ige les

En quoi est-il utile de regarder, acheter et connaitre vos peintures ?

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petits diners ou sorties avec des amis, plus que les choses importantes ou professionnelles ! Dans dix ans, je serai surement au Viêt Nam sur le bord d’une plage en train de peindre, la peinture est virale pour moi. Quand tu gouttes du bleu de cobalt, c’est ini, tu ne peux plus t’en passer, il en faut quelque part. Les états d’âme sont comme des sacoches derrière les mobylettes. C’est quand on commence à se poser des questions, à se mettre la tête entre les mains. Mais, là, en ce moment, j’ai pas d’état d’âme, je suis dans la vie, je suis vivant.

Avez-vous des états d’âme ?


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annie berthet/ la sincère

À l’état brut, représentations figuratives, corps nus ironiquement grotesques, impression glaciale, presque létale… Contraste avec cette artiste peintre sculpteur qui invite le public à regarder sans complaisance ce que nous sommes.

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Yann Leguilcher


Je voudrais gravir les marches de l'escalier de ma vie, pour un jour arriver au sommet.

J

e suis artiste peintre Quel est votre sculpteur et métier ? aussi artiste peintre en décor, trompe-l'oeil, peintures murales. Quand j’étais plus jeune, je réfutais un peu la terminologie du mot artiste car je trouvais ça pompeux. J’avais l’impression qu’avec ce mot je me cachais derrière ce que je faisais, et je trouvais ça en décalage, par trop de modestie peut être. Maintenant j’assume ma vie d’artiste entièrement.

Être artiste me colle à la peau, Est-ce un métier fait partie inté- d’être artiste ? grante de ma vie et j’essaie de tout faire pour en vivre, donc, oui, c’est un métier à part entière. C’est une sorte de mélange car c’est une façon de vivre en marginalité du reste. C’est également une philosophie de vie car je suis amenée à faire des introspections sur moi et sur ce que je représente.

Je ne sais pas si on le devient, Devient-on ou peut-être est-ce le naît-on artiste ? cas pour certains, mais pour ma part c’est ancré en moi. J’ai un passé qui m’a amenée à prendre cette direction et à exprimer des choses. J’ai du mal à en parler car c’est justement très attaché à ma personnalité ainsi qu’à ma vie. Toute petite, je dessinais, je gri- Avez-vous un bouillais, je pei- moment de vie à gnais. À la mater- partager avec nelle, un premier nous ? regard a été posé sur ce que je faisais… On nous avait demandé de dessiner un arbre. Tous les enfants ont fait un arbre droit avec un cercle qui symbolisait les feuilles. Et moi, j’ai dessiné un vieux chêne tout tortueux avec des branches tout aussi tortueuses, sans feuilles. J’avais envie de montrer une réalité et ma vision des choses. 62


~ peinture . sculpture ~ Quand j’ai vu que j’interpellais des adultes, j’ai donc continué à prendre des cours privés sans trop savoir où cela allait me mener.

Étaient-ce là les prémices d’une artiste naissante ?

À vingt ans, je me suis demandée ce qui me plaisait dans ma vie et ce que j’avais envie de faire. La réponse a été claire pour moi : j’avais envie de peindre et de devenir peintre sculpteur… À ce moment-là, je me suis présentée aux Beaux-Arts, j’ai été reçue et tout s’est enchaîné. J’ai passé trois ans à Annecy et trois ans à Saint-Étienne.

Quel a été votre parcours ?

Oui très bien. Elles m’ont permis d’assumer ce que j’étais et ce que je voulais faire, même si je me confrontais à des regards et des discernements qui ne me correspondaient pas forcément, car j’étais plus dans l’intuitif que dans le théorique. Mais je suis allée jusqu’au bout avec ma iguration, et j’ai eu mon diplôme.

Ces années de formation ontelles été bien vécues ?

On compte les Avez-vous beau- vrais amis sur coup d’amis dans les doigts de le milieu la main. J’aime artistique ? voir le travail de chacun, discuter, s’enrichir les uns des autres… Je pense qu’il est important d’avoir un autre regard sur ce que l’on fait, un regard d’artiste avec d’autres problématiques, avec une véracité de critiques qui nous fait avancer. Je suis incapable de faire une critique sur mon travail, ce sont seulement des constats, alors que je critique facilement le travail des autres, sans être forcément dans le négatif, mais pour aider l’autre. Oui, sauf si elle est infondée et bête. Ce que je fais est peut-être perturbant, mais mon discours n’est pas dans la Shoah, ni dans les camps de concentration, ni dans la maladie comme j'ai pu l'entendre.

Acceptez-vous facilement la critique ?

Il y a vingt ans, je faisais du modelage avec de la terre mais qui s’écroulait, ce n’était pas assez énergique pour moi. Donc je ne faisais pratiquement que de la peinture. Mais, il y a quatre ans, je n’arrivais plus à peindre, j’avais l’impression de tourner en rond, il n’y avait rien qui sortait. Je me suis donc remise à la sculpture. J’ai commencé avec le plâtre et ça a été magique, cela m’a apporté quelque chose de nouveau en me renvoyant à la peinture. Depuis, ces deux disciplines se nourrissent mutuellement. C’est une autre approche de la matière. L’impact sur le public est diférent.

La double discipline peinture-sculpture est-elle importante pour vous ?

On m’a imposé une sorte de fragilité. Oui, car il est important pour moi de fabriquer avec mes mains, de toucher la matière. Dans la sculpture, on tourne autour de quelque chose, on bâtit une sorte d’édiice. La peinture est diférente, ce sont mes touches de pinceaux qui vont monter le personnage.

Le rapport à la matière est-il important ?

C’est un bruit de lâcher prise. Il y a plein de choses en moi qui s’accumulent, le stress entre autres, car c'est diicle d'être face au regard de soi-même sans se cacher derrière ses créations.

Pourriez-vous décrire le bruit de votre état d’âme ?

Beaucoup de personnes voudraient savoir qui est Annie Berthet… J’ai le sourire, j’ai la patate, je vais vers les gens, j’aime les gens. Un jour j’écrirai un livre pour me raconter. Je me rends compte que mes peintures et mes sculptures sont nées d’une faille et je l’exprime au travers de mes créations.

Au fond, qui est Annie Berthet ?

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Je pense être née avec une grande force intérieure. On m’a imposé une sorte de fragilité… Je l’ai prise car je n’avais pas le choix. Je vis dans l’excès. J’arrive à tourner le négatif en positif. Je ne suis pas quelqu’un de fragile, sinon je ne serais plus là.

Quels sont vos traits de caractère principaux ?

Je ne sais pas, car je vis au jour le jour, même demain est trop loin pour moi ! Je prends la vie comme elle arrive, mais peut-être que dans dix ans, j’aurais trouvé un marchand de rêves où les rêves ne sont pas seulement illusoires, et je serais alors bien dans ma vie. Quoique… Aujourd’hui je suis bien, car je suis en cohérence avec ce que je pense et ce que je suis. Je suis entière.

Où sera Annie Berthet dans dix ans ?

J’ai toujours été très indépendante, suite à ce que m’a apporté la vie, je ne veux rien devoir à personne, ce qui fait que je suis obligée de m’assumer toute seule. Mais maintenant, j’aimerais avoir un mécène qui assure mes arrières pour que je puisse me consacrer intégralement à mes créations (sourire). Je voudrais gravir les marches de l'escalier de ma vie pour un jour arriver au sommet.

Quel serait votre souhait ?


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~ gastronomie ~

je suis né entre les mains de cet homme/ Kristina D'Agostin - Gourmande avertie

Quête culinaire.

J

e suis apatride. Bien des rumeurs circulent sur mes racines, le Proche-Orient, le Maghreb, l’Europe, l’Italie, la France, mais je n’ai pas besoin de les connaître, je n’en ai pas besoin pour exister, ce n’est pas ça qui importe. J’ai l’impression que tous veulent revendiquer ma paternité, comme si j’avais plus d’importance à leurs yeux que je n’ai de considération pour moi-même. Je sais seulement que j’ai voyagé, de Florence à Paris, et dans diférentes provinces. Certains semblent se souvenir de moi dans un couvent près de Cormery, d’autres m’auraient vu à Joyeuse ou dans le Pays basque. C’est la controversée Catherine de Médicis qui m’aurait fait connaître à ce monde où seul le sang bleu est toléré. J’ai même failli ne jamais voir le jour sous la plume de Rabelais, voyant l’ouvrage censuré et la publication suspendue durant deux semaines.

Ce qui me compose n’a jamais vraiment changé, c’est dans ces éléments que je puise peut-être ma raison d’être. Je me sentais faible, petit, ridicule, mais j’ai grandi, changé, évolué avec mon temps, au travers des époques. Tout a changé quand j’ai rencontré ma moitié. Depuis nous ne formons plus qu’un, étant seulement séparés par notre bien commun. Aujourd’hui, j’ai compris qui je suis, et c’est grâce à lui, grâce à ce maître qui me permet de vivre et d’exister. Je suis né par amour, avec passion, délicatesse et précision. Je suis né entre les mains de cet homme, et je l’en remercie car c’est lui qui m’ofre au monde. Maintenant, je peux voir cette petite ille aux taches de rousseur derrière la vitrine de cette rue pavée et je l’entends crier : "je le veux, je le veux, je le veux.". J’ofre du plaisir ou du réconfort aux gens, une simple petite note de gourmandise dans une journée, donnée par une bouchée de macaron.

Lettre à Sébastien Fautrelle.

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raconter


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SĂŠbastien Duijndam


brumes/ Arnaud Idelon IllustrĂŠ par Nicolas Evariste

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~ poésie ~

Le train fend le gris, Le noir et le bleu, Le cobalt et le brun, De l’indiférencié. C’est un Turner ouaté, Pastel, efacé, Vaporeux sans vapeur, Et lointain d’une fêlure. Le fusain a laissé Ça et là, Des traits charbonneux, Seules traces tangibles D’un réel qui me fuit. Dans le coton nauséeux, Le métal vrombit, Sans direction aucune, Si ce n’est le non sens. Quelques gouttes égarées D’une bruine maussade Suggèrent la vitesse, Et peut-être, Là-bas, Une autre cité noirâtre, Déroulant, Avec semblable obstination, Ses foyers noircis, De civilisation. Nous quittons Manchester, Et ses voutes vantardes, Sa brume obstinée, Ses répétitives rues, Sa face quadrillée Et son efervescence. Le smog s’éclaircit, Peu à peu,

À Warrington, Mais le trouble, Inlassablement, Signera son retour, Sur la sombre Liverpool, Et sous ces cieux bornés, Au soir s’apaisera le Nord. La buée embaume, Notre cercueil d’acier, Et son désespoir lancé, À l’assaut du brouillard. Le métal étoufe, Toussote et ronronne, Le néant nous enserre, Et je ne vois plus rien. Les frondaisons fumigènes, Métronomes visuels, Ont fondu sous l’ombre, D’une nuit exclusive. Et je ixe alors, Ce hublot qui condense, Et d’où s’exhale, Une chimérique présence. En toi s’immiscent mes sens. Et, pour qu’ils ne tremblent plus, J’encre les contours Troubles que tu m’ofres En vain, les formes m’échappent, Courent, roulent, et se brisent, Sur la digue de ma raison. Je cligne des yeux pour qu’une fois Revienne l’exquis mirage, Qu’il m’habite une seconde. Que je jouisse pleinement, De cette réapparition.

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il n’y a que du vent derri ère moi/ Killian Salomon Illustré par Sébastien Duijndam

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~ nouvelle ~

N

os cigarettes se consument seules dans le silence un immense miroir sur le relet duquel je glisse. L’orgueil sod’une soirée chaude. Elles livrent au vide un par- litaire pour unique adversaire, pour unique ami, conident fum musqué, comme la brûlure d’une promesse, symétrique singeant mes mouvements sans bruit. Dans ce dont les premiers rayons viennent éclore à l’aube miroir, ce miroir d’égo que je gravis, se dessine une sortie, une de tes caresses. Cette chaleur est une friction saccadée puis issure dans laquelle je me jette. Mon corps est trop long, trop souple, profonde puis leste, produite par nos peaux, nos gestes. dur pour la brèche, et les arrêtes aigües cisaillent ma peau, Et ces serments de joie mutuelle que l’on projette au matin des raclent la chair sur mes os. Que restera-t-il après ? Où iniront philtres de tendresse, ces élixirs sulfureux que l’on s’injecte, nos songes après ce précipice ? Et que deviendra la fuite de hantent mes songes de spectres. Vapeur corrosive qui ronge, nos existences face au vertige de l’ennui ? creuse la glace céleste - à peine virtuelle - du cristal de ton règne. Viennent les drogues et l’abandon. Poisons, stupéiantes com- Je suis un lâche, un enfant trouillard. Certitude piquante de la bustions, inhalations ou perfusions rituelles ; nos nuits restent lucidité, inexplicable instinct du mort-né. Le doute n’est donc les mêmes. Point gris perdu dans le noir, contours lous dans pas ici en cause. Je ne doute pas de mes peurs. Peur de moi cette plaine sans relief, je puis peur de l’autre, entre suis à la recherche d’une l’efarement d’une comombre, d’une trace épuisée. Et demeurer ainsi dans pagnie et l’efondrement Peut-être le dessin incertain d’une solitude. Et demeurer d’un sentier, un dessein que la tension, n’être qu’une paroi ainsi dans la tension, n’être le doute aura épargné. Dans qu’une paroi de verre qui cet espace creux, mes yeux de verre qui tremble. tremble. Peur de l’engageluisent encore, et présagent ment, peur du choix, peur les mirages que consomme du devenir, de mes pulsions l’envie. Pour ce râle abattu où meurent les idées, pour ce râle et désirs ; trop beaux, trop sombres, innocents dans le sordide. qui balaye sans cesse ; nous bâtissons nos habitudes, nous Craindre l’échec pour mieux répudier l’accomplissement. Les consolidons nos chaînes. Froide sera alors l’amnésie de nos frissons phobiques du bonheur parcourent encore ma peau, peines. Insectes nocturnes aveuglés, mouches engluées dans remontent le long de mon échine. Ils tremblent eux aussi. cette toile tissée de rêves trop grands - pas encore morts et L’épouvantable danse de la mort se meut soudainement en plus réellement vivants - c’est dans la nuit de ce cocon moite berceuse, me grise et m’endort sur les cendres encore chaudes que les jours prennent forme. Fables du désir, contes de ri- de l’insomnie. Et ce soule qui gronde autour de nous, ce bruit chesse, nous devenons peu à peu, geste après geste, les men- rond et sourd à travers les parois de nos cloisonnements. Il songes même du devenir. Tu me parles alors de changement, n’est autre que la musique incertaine de l’espoir, de l’inattend’une vision qui se perd dans le lointain. Mon cœur - cette par- du, du non-voulu ; faibles murmures. Derrière ces vibrations tie froide de mon être - se retourne alors sur nos pas ; le sillage incessantes, cet oscillement éternel entre les oppositions du est plus réel que l’endroit. Je le sais maintenant, il n’y a que du monde, couve la rumeur d’une idée, d’un absolu. Aux heures vent, que du vent derrière moi. des aventures, ces instants où je divague, où je dérive sur une mer inconnue, efrayé par les noyades aux brûlures des alIl y avait aussi ta silhouette inaccessible, tes paroles indicibles, cools, je te regarde disparaître. Perché sur la cime d’une lettre, et toutes ces formes qui se tordent et s’estompent au gré des panorama d’une écriture, je distingue la frontière, mince il est hurlements. Plongés dans la tourmente du changement, éga- vrai, des vérités. L’odeur terreuse du cobalt sous mes pieds, la rés loin des rivages du beau, échoués sur les vestiges du temps, force du néant pour gravité. Faire et défaire, l’angoisse de nos nous essayons d’être les grands architectes, les manipulateurs dualités. aveugles de notre propre sang. Nos plaies s’infectent, nos existences sont concrètes. Et au milieu de cette tempête, entre deux éclairs d’infamie, persiste parfois le mystère d’un espace, Nos plaies s’infectent, une inime parcelle verrouillée. Je parle de cette petite pièce au fond de nos crânes, cette caverne d’inconscience ; à nos nos existences sont étreintes reste inviolée. Traverser les jours, survivre à l’oubli, et devenir des funambules ivres qui évoluent chancelants, sur concrètes. le il distendu de nos vies. Constructions éphémères sur lesquelles s’appuient nos amours, ponts de lumière sous lesquels coulent mes discours. Ces ponts qui semblaient, qui devaient Il n’y aura qu’un soule, au mieux quelques données binaires nous relier. Dans la pesanteur des projets, dans la lourdeur de ; je ne crois pas en l’enfer. Il ne restera rien, ou si peu. Quelques nos souhaits, des mains s’épuisent à réanimer mon cœur ; stu- souvenirs, des remords dans la poussière. Non, le paradis pide artère obstruée. Borné par ma conscience, pollué par ton n’existe pas, seul le sang suinte entre mes doigts. Ce salut que essence, mon territoire est limité - et sans barrière. Si l’homme je ne te promets pas, cette volonté de mémoire, cet avenir, ce a toujours bâti plus de murs que de passerelles, si nos âmes choix. Les possibilités s’efacent, balayées comme l’empreinte sont factuelles, je suis tout comme toi un obstacle au réel. Le fatiguée d’une proie. Pleure et saigne, je t’en supplie, il existe béton est friable, la brique est trop vieille, et l’opacité des murs encore un rêve ici-bas. Oublie les limites, maudis les prophètes. n’est plus la même. Auparavant montagnes infranchissables, Tu ne mourras pas. nous gravissons désormais une pente raide, une surface lisse, 73


tartempions et chacals/ Art poétique. Jean Belmontet Illustré par Hélène Veilleux

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~ poésie ~ Ah ! Silence, silence, abject esprit chrétien ! Tais-toi, et éteins-toi, âme poétaillonne, J’aspire dès l’aurore à devenir un chien Qu’aucune muselière amère ne bâillonne ! Je ne veux plus d’extase et je veux des monceaux De corps entrebâillés allongés sous ma porte, Encore ensaladés et mouillés des ruisseaux De l’amour transpirant la jouissance morte ! Je sors de mon taudis infesté, et, bonheur !, Je me jette dans l’afre immonde de la ville ; Je sors mes crocs d’acier aux légions d’honneur, Aux installés, aux piafs, aux écrivains sans bile : Gavalda, rabâcheuse interlope et sans mots, Raconte à l’inini ses histoires restreintes Aux engloutisseurs de laxatifs en grumeaux Qui disent : "Gavalda, j’aime quand tu m’esquintes !" Werber, idole molle et pâle des péteux, Geigne sa prose en toc sur des arbres sans vie Qui n’ont pas mérité (les victimes, c’est eux !) Le tatouage en caca de sa plume assouvie. Yann Moix, péquenaud fade et jongleur d’excréments, N’a jamais lu un livre ; il parvient, par miracle À en plagier cinquante en moins de dix romans Et à retartiner chaque graisse qu’il racle ! Bernard Henri Lévy, gigolo d’Israël, N’est tellement rien que, si j’en souille mes strophes, C’est pour célébrer les Talibans du Sahel Qui sont, ils l’ont prouvé, bien meilleurs philosophes ! Sollers ! Petit soldat autrefois engageant, Lui, depuis que Mao est en paralysie, Veut se faire passer pour un digne régent, Alors qu’il est le roi de sa France moisie. Zemmour, l’éternel nul, rêve en se masturbant : Il est Clovis ! Martel ! Napoléon ! De Gaulle ! Le soir, à la mosquée, il s’iniltre en turban Et grave sur le mur : "Aux Gaulois la Gau-gaule !" Nothomb, chat demi-mort, animal mutilé, Qu’on oublie avec joie au bord de l’autoroute, Et qu’on entend de loin, en ricanant, vêler, A le style ahuri de la vache qui broute. Soral ! Heutre sorti des fesses d’un marmot Après qu’il a mangé ses propres relâchures, Avorton dynastique, atavique grumeau, Passe pour Dieu auprès de quelques épluchures… Beigbeder, mamelon d’arrivisme avachi, Bibard acarêmé par la force des choses, N’a pas plus de cerveau qu’un mort qui réléchit, Et bien moins de talent et d’esprit que de poses. Grangé, violeur d’enfants, dévoreur de putains, N’est pas un romancier, mais un autobiographe Content de ses méfaits, aimé des puritains Défoulant leur surmoi dans ce planteur d’agrafe ! Pennac, pour qui j’espère un arrêt du Censeur, Nicodème morose, alcôviste fébrile, Sent le fraîchin passé comme tout professeur Et d’un seul mouvement, est puéril et sénile. Schmitt, parmi les idiots, est le plus attachant : Convaincu qu’il est lu par quelqu’un dans ce monde, Il s’obstine à "faire œuvre", et ce n’est pas méchant ; Lui-même ne lit pas sa prose moribonde Nicolas Rey… que dire… autant se taire ou, mieux,

Demander qu’il se taise et le forcer s’il miaule ; L’emmener dans un parc, et lui bander les yeux ; Lui crever l’estomac et lui casser l’épaule. Modiano, parangon intégral des nigauds, Des enculeurs de mouche et des scribouillards maigres, Mais aussi des crottins, des croûtons, des gigots, (Tout ce qui est moderne) a quand même des nègres ! Djian, ah ça ! J’irais bien lui cracher dessus ! Mais je préfère errer au Café de l’Olive, Manger des zakouskis, boire aux espoirs déçus, Que de souiller ainsi ma précieuse salive ! Angot… Monstre diforme… Aspiole de l’Enfer… Gadoue en mouvement… Guano qui colle aux pompes… Morve sur étalage… Ivraie au goût de fer… Détritus refusé des oiseaux psychopompes…! Gallo, gratteux, survit parce qu’il est sommé De défêndre vindieu son âmour de la Frânce ! Et qu’en Frânce, mônsieur, on est iêr de s’âimer ! (Disent quelques cerveaux remplis par la carence) Despentes, plus joyeuse, a aussi le talent De n’en avoir jamais, et d’être toujours nulle, Mais nulle, tellement, que c’en est afolant Et qu’on serait tenté de la mettre en cellule. Millet n’est pas Pétain, mais presque, et pas Franco, Mais presque, et pas Duce, et pas Hitler, mais presque – Et en moins historique. Et, comme un asticot, Il s’agite en meuglant son charabia grotesque ! Renaud Camus sait bien dindonner les Gaulois ! Il aime raconter qu’on n’est plus en Europe, Que le Blanc éburné a perdu tous ses droits ! Mais pourquoi écouter une telle salope ? D’Ormesson, résineux à moitié déplanté, Spectre pulvérulent sous la lune mourante, Céladon délavé des souillons de caté, Écrit mais ne sait pas compter jusqu’à Quarante !

Voilà donc le tableau qui décore, ô pays ! Le salon délabré de ta littérature ? Si mes yeux n’étaient pas ouverts et ébahis, Je pleurerais des seaux à remplir la Nature ! Alors, entendez bien, tartempions et chacals : Je vous pisse vingt fois sur le dessus du crâne ! Je vous pose chacun sur vingt ou trente pals ! Belzébuth, face à vous, mérite la soutane ! Assez du racolage amical aux bourgeois Qui n’aiment pas mes vers, sauf pour la dédicace ; Fi des ploucs de salon qui comptent sur leurs doigts Les syllabes ; je suis Isidore Ducasse ! 75


l’errante à éleusis/ Arthur Yasmine 76


~ poésie ~ Que l'on m'aide à rappeler l'errante dans la nuit grecque, Que l'on m'aide à rappeler l'errante et ses neuf jours, Oh ! son lambeau de mendiante, misère des champs secs… Oh ! son chemin de colère, poussière mourrante au sang d'amour… Au loin, le sol ne rencontrait l’azur que pour décomposer l’horizon. Ses effluves acides flottaient si bien qu’en tout lieux le soleil s’arrachait par lambeaux grisâtres. Dèmèter les portait comme autant de voiles livides, le dos vouté par l’angoisse d’avoir perdu sa fille à jamais. Sous ses piétinements inlassables, les sentiers, sillonnés de long en large, s’élevaient en d’épaisses nuées infectes. Les cultures s'épuisaient en une cendre qui flottait par fumées lourdes, à la manière d'une haleine nauséabonde. C'était la male mort. La Déesse avait plongé le reste du monde dans un deuil dédaigneux et sans rémission : « Rien à vous dire, espèce de lâches !… Vous m’avez trompée !… Vous m’avez trahie !… Vous m’avez couverte de boue !… Oser m’enlever l’enfant de mes entrailles ?… À moi ? votre sœur de sang et de sueur ?… Vous vous croyez si supérieurs sur vos trônes d’hypocrites !… Oh ! ils se croient si divins !… Mais ils se ruent comme des bêtes sur une proie sans défense ! Misérables mâles !… Regardez-moi ! Oui ! Moi, la femme crédule ! la femme sotte ! la femme docile ! Moi, je vous priverai de tout ! Moi, je vous afamerai comme des chiens ! Et vous crèverez ! Vous crèverez comme moi je crève ! » Cosmos disloqué, cosmos écroulé, – Œil de crève sur les décombres – Deuil d'ombre et peste à perpétuité. Comment faire dans la révolte pour que s’élève un consentement ? Lorsque Dèmèter trouva l’hospitalité auprès des Mortels d’Éleusis, elle n’était plus qu’un être de ténèbres et de rage. Bien que le roi Célée l’accueillit charitablement dans son palais, Déméter restait impassible ; elle détournait avec raideur les gages de politesse que lui tendaient ses serviteurs ; elle voulait écarter la foule afin de ne s'accabler plus qu'au miroir d'elle-même. Il fallait que la Déesse disparaisse en solitude, comme derrière un nuage fuligineux qui repousserait le reste du monde. Son regret, immense et désespéré, la poussait irrémédiablement vers une confrontation ; un face-à-face mortifère où il fallait affronter les yeux déserts de cette image qui faisait d’elle une mauvaise mère. On dit qu’elle ne parla pas. On dit qu’elle ne silla point. On dit que Dèmèter lança en elle des paroles comme des coups de poing. « Ô ma ille ! ma leur du ciel ! Sur les voies de sel, j'ai tant saigné ! J'ai criblé la terre… J'ai tant cherché… – Mais par quelles vrilles ? – Par quels crachats ? – Par quelles prières te ramener ? Ô ma ille, tu reviendras ? Ton cœur de soie – non ! – comment l'oublier ? » Dans la grand-salle, c’est à peine si l’on osait regarder cette femme à la igure défaite ; de son siège d’ombre, elle oscillait maladivement ; elle ne tenait plus droit tant ses privations l'avaient anéanties. Personne ne parvenait à l’arracher de son mutisme obstiné ; personne si ce n’est cette servante aux élans énergiques, l’habile Iambè qui semblait la seule à pouvoir délester Dèmèter du voile bourbeux qui l’écrasait. Par la légèreté de ses paroles et la souplesse de ses acrobaties, Iambè conjurait la lourdeur des hommes. On croyait ses amusements sans valeur ; personne ne comprenait que sa légèreté recelait un abîme ; l’abîme au fond duquel enraciner les plus errants ; l’abîme d’où les plus désespérés se relevaient naturellement, comme ravivés par la percée d’une lumière intérieure. Iambè poussa la sainte Déesse à sourire, À rire et ranimer son cœur de joie ; À faire enin surgir la foudre aux pleurs d’éclat. Du ciel, une ampleur tournoie par zéphyrs, Par parfums de couleurs, par chants de beauté. Les champs blondissent d’odeurs à chérir ; Leurs clartés nous bénissent d’un vin de santé. PRIÈRE D'ÉCLAT Ô mère, à ton rire de tonnerre, À ton rire averse de soufre… À toi, déesse, ô Dèmèter qui cherche et soufre… À toi, chair de la Grèce, À ton rire stellaire… Par toi des racines traversent les airs, Par toi, un éclair renverse les goufres… 77


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~ photographie ~

ol ivier roller/ l’insolent

Non, il ne veut pas sourire. Recherche effrénée, presque animale, de l’intime trait de ces figures de pouvoir. Déceler la nature profonde, provoquer, mettre en lumière cet œil avide, cynique, cette bouche impassible, ces rides creusées d’histoires. L’excellence par la justesse de la lumière et de la seconde volée.

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~ gastronomie ~

songe d’une nuit/ Antoine Guillot - Explorateur des sens

Une nuit aux Trésoms. 20h00. Devant cet imposant bâtiment ocre, l’imaginaire se met en branle. Je pense à ces immenses hôtels américains, perdus au milieu des plaines et forêts du pays de l’oncle Sam. La porte s’ouvre, je suis accueilli par un "Bonjour Monsieur, soyez le bienvenu, je vous laisse me suivre et me permets de vous précéder". Nous traversons le hall, lustre imposant, puis le salon, fauteuils clubs comme j’ai toujours rêvé d'en avoir, puis le couloir, miroirs gigantesques… Nous arrivons dans la salle du restaurant, la Rotonde comme ils la nomment. Panorama impressionnant sur la belle ville d’Annecy qui commence à s’illuminer. J’ai l’impression de pouvoir plonger dans le lac depuis la table qui m’a été réservée. Je fais coniance au chef, Éric Prowalski, je choisis le menu découverte. Arrive alors une succession d’assiettes accompagnées de leurs vins. Envahi par un frisson physique, mes papilles se dilatent. À chaque présentation de plat je rencontre l’éleveur, le chasseur, le pêcheur, l’agriculteur, le cueilleur… Je sens la lamme du piano de cuisson du chef, la chaleur de son four, je goûte l’amour et la passion de toutes ces heures, ces années passées à prendre soin du produit, le sélectionner, le travailler, le présenter. Le chef arrive avant le dernier dessert, "Merci pour ce moment chef, je n’ai pas découvert… J’ai voyagé". Je ne veux pas sortir de ce monde sensoriel et baroque, par la beauté du lieu, la inesse des relations humaines et l’audace de la cuisine, je demande alors une chambre. Arrivé devant la porte, je savoure chaque seconde, les couleurs sont chaudes, je me sens chez moi, plongé dans les années trente confrontées à l’excellence du monde contemporain. Nostalgie heureuse d’une époque que je n’ai pas vécue. De la fenêtre je peux voir le monde sans que le monde ne me voie. Cette soirée a réussi à me plonger dans une profonde intimité. Je n’avais même pas imaginé cela possible. Mon corps se détend, je m’endors paisiblement. Non, ce n’était pas un rêve, je crois que je suis tombé amoureux.

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galeries


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Thierry Clech


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patrici a debuchy/ Le bonheur transparait dans la nostalgie bienveillante des albums d’enfance offerts à nos propres souvenirs. Quel est votre parcours ? Depuis l’âge de dix ans, je voulais faire les BeauxArts. J’ai été élevée dans un milieu plein d’interdits qui s’opposait fortement à ce à quoi j’aspirais. Je suis inalement entrée dans cette école dans les années 1980 et j’ai obtenu mon diplôme cinq ans plus tard, avec les félicitations du jury. J'ai fondé ensuite mon propre studio de création et travaillé comme graphiste indépendante dans la publicité institutionnelle, le packaging et l'illustration. Puis, curieuse et créative, avec un sens particulier des couleurs, j’ai entrepris des études dans le textile qui m’ont permis de travailler comme styliste dans une iliale d’Hermès, spécialisée dans le tissage de tissus d’ameublement et les étofes d’inspiration XVIIIème siècle, et de réaliser alors plusieurs collections annuelles. La peinture a toujours été en gestation. Je peignais à cette époque des corridas, avec une certaine fièvre ! Enin, j’ai laissé courir mes envies sur la toile en révélant la Côte d’Opale, si chère à mon coeur.

Quel regard portez-vous sur votre peinture ? Comme la révélation profonde d’une aspiration au bonheur, celui de créer mais aussi celui de transmettre. Donner sens et créer un lien. C’est une peinture en mouvement qui s’inscrit dans la vibration des couleurs, des matières et de la lumière. Mes peintures donnent à voir une nostalgie heureuse. Je peins souvent l’enfance au bord de l’eau : la mer, le marais, la rivière… Je ravive les souvenirs d’enfance comme un album de famille qui se transmet au il des générations. Mais je travaille aussi en permanence à d’autres thèmes comme la igure christique ou des portraits d’inspiration XIXème. Depuis quelques années, je fais des recherches sur la mémoire, en ayant toujours ce lien avec les voies du souvenir, de nos racines et de la société…

Quels sont vos moteurs ? J’ai voulu entrer pleinement en peinture car c’est un art qui demande un investissement total et viscéral. J’aime me confronter à la solitude de l’atelier, car il s’y trouve la quête et la découverte. Rien n’est acquis. Toujours revenir. Ma rencontre avec le galeriste Christian Guex en 2008 a été importante. Il m’a guidé, son oeil a été décisif et sa critique primordiale dans mon épanouissement pictural. Quand on sort des Beaux-Arts, on dessine très bien, mais ce n’est pas une in en soi. J’ai dû apprendre à désapprendre, déconstruire ce que je savais faire pour amener de l’émotion à ma peinture, de l’intime. Artiste à plein temps, j’aimerais trouver la part d’égoïsme qui me permettra d’aller encore plus loin.

Un artiste fait don de soi, il donne à s’émouvoir. Libre à chacun de se réapproprier l’image.

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Patricia Debuchy est représentée par la galerie Au-delà des Apparences - Annecy


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william laperrière/ Les différentes essences de bois se transforment sous ses doigts, modelées par la recherche de l’incarnation d'une quête infinie.

J

réel, il y a une sorte de quête de sagesse. Quand je sculpte, je passe par tous les types de relation que l’on peut avoir avec les humains. Au début c’est très violent, avec la tronçonneuse, la masse, le coin, c’est un défoulement complet. Après, cela se transforme, la relation s'aine pour parvenir à ce qu'il y a de plus tendre et de plus sensuel.

J’ai tout un stock de bois que je récupère ou que l’on me donne. Mon intention est toujours la même, je sais où je mets les pieds, et ce que j’ai envie de dire. Je n’ai pas forcément l’image de la pièce avant de commencer car la forme peut évoluer ; on peut dire la même chose avec une forme diférente. Mais je sais où j’en suis et je sais ce que je fais. Je me sers d’un morceau de bois comme d’un prétexte, c’est lui qui m’emmène. Je vais essayer d’appliquer ma touche à moi, sans le dénaturer, sans lui imposer quelque chose.

J’ai essayé de tailler la pierre ou le métal, mais je n’en ai pas ini avec le bois. Je trouve la pierre belle mais je ne sais pas comment la prendre, elle me correspond moins, c’est une matière morte, inerte. Le bois bouge avec le temps, il reste vivant, la matière discute avec l’hygrométrie et moi je l’observe. Le bois décuple tous les sens, bien sûr, on peut le toucher, mais il a également une odeur qui vous emporte ailleurs.

e sculpte depuis une trentaine d’années. Mon rapport avec le bois remonte assez loin. Gamin, je prenais l’opinel de ma grand-mère, j’allais dans les bois et je taillais ce matériau ibreux et élastique. Avec le temps, je me suis aperçu que j'avais un lien avec lui.

J’aime le rapport intérieur extérieur. Je dématérialise les pièces pour essayer de les rapprocher d’une surface plane ou en volume. Le morceau de bois a toujours sa forme propre. J’ouvre le volume, je donne accès à l’intérieur, et je donne accès à autre chose qu'aux simples apparences… C’est une démarche, car au inal, c'est l'oeuvre qui est métaphore de l'humain. On peut avoir des rapports de sympathie ou d’antipathie avec les œuvres, comme avec les hommes. Plus on creuse, plus on découvre et approfondit la relation.

J’ai encore des choses en gestation. J’aimerais faire une tenue complète en bois, un peu comme Iron Man qui rentre dans une armure. Recréer une apparence de bois, que je pourrais habiter et incarner. J’aimerais également faire une exposition itinérante, avec l’idée de mettre en valeur le matériau et explorer la surface, le volume et l'espace à de multiples échelles. Mettre en relation le bois et l'humain, commencer avec le doigt, la main, le bras, puis le corps entier et inir par rentrer à l’intérieur, comme pour inverser l’espace.

Les sculptures terminées sont brutes, d’autres sont polies, avec un état de surface soyeux, un aspect de peau. Je peux passer des semaines à caresser une sculpture, il y a un rapport charnel, j’ai besoin de ce côté sensuel. J’ai aussi besoin du savoir-faire, je me confronte à une matière, comme Brancusi, je ne peux pas purement intellectualiser. Humaniser un morceau de bois revient à le travailler, le tailler, le caresser. J’imprègne mes sculptures d’une partie de moi, je ne force pas. Je passe au-delà des apparences, je vais vers le symbole plutôt que le

La sculpture ne m’appartient plus quand quelqu’un la regarde. On ne possède pas les gens, on laisse la liberté aux œuvres, elles inspirent ce qu’elles inspirent, je ne suis plus maître de cela. Les gens qui s’entourent de mon travail me disent qu’ils l’aiment, ils le touchent, comme lorsque l’on aime une personne, on ne fait pas que la regarder, on la touche, par amour. Plus tu l’aimes, plus elle te le rend, une relation s’instaure avec l’objet. Souvent, quand je pose la main sur le bois, j’ai cette sensation d’inini, d’une sorte de quête à cheval entre la vie et la mort. 103

William laperrière est représenté par la galerie Ruffieux-Bril - Chambéry


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chantal mélanson/ Le dynamisme et la vision du monde de Chantal Mélanson, solitaire amoureuse d’une ligne artistique éclectique, témoignent de l’art vivant. Sa galerie fête ses vingt ans.

I

l y a vingt ans, en septembre 1994, sur une de ces petites places qui font le charme du vieil Annecy, s’ouvrait la galerie Chantal Mélanson. Dès l’enfance, Chantal Mélanson a baigné dans l’univers des arts. Son projet de galerie a mûri au gré de ses expériences. Curieuse, passionnée et persévérante, Chantal Mélanson sait ce qu’elle veut. Elle est à l’écoute de l’autre, disponible, attentive à engager des dialogues autour de l’art, de la littérature, à explorer les possibles. Avec un acharnement et une intuition qui lui sont propres, Chantal Mélanson sait trouver et soutenir les artistes qu’elle considère comme les meilleurs, qu’ils soient reconnus ou non. Jamais une exposition n’a été mise sur pied sans un choix exigeant, qu’elle défendra parfois envers et contre tout. Aujourd’hui, la reconnaissance est au rendez-vous, celle du milieu de l’art, celle des collectionneurs, jusqu’à l’international. Loin des centres parisiens, Chantal Mélanson a su créer un lieu où l’art palpite, où l’accrochage est pensé comme une architecture et où les grands se donnent rendez vous : Jean Rustin, Tapiès, Pierre Alechinsky ou Ernest Pignon Ernest en sont la preuve. Les collectionneurs, les artistes, les amateurs d’art connaissent l’adresse. Sa idélité est sans faille, son enthousiasme et sa passion sincère ne se démentent pas. Roland Devolder, Patrick Loste, Guy Ferrer, Xavier Huchez, Gérard Jan, Francisco Sepulveda et bien d’autres peuvent en témoigner. Avec l’exposition de Yo, la galerie fête ses vingts ans en compagnie d’une artiste que Chantal Mélanson soutient et accompagne depuis dix-huit ans. Dans ses œuvres récentes, Yo retrouve ses sources et ses maîtres anciens, les apprivoise et les transforme pour réinventer des scènes d’apocalypse, traduire ou revisiter les mythes, comme dans cet arche de Noé et ces barques omniprésentes, intemporelles, symboliques et si tragiquement actuelles. La lumière surgit de fonds noirs, les corps se mêlent, l’animal et l’humain se confondent. Les papillons de la dernière exposition rencontrent des chimères, étranges et familières. On pense à Jérôme Bosch, à la Renaissance italienne - on est pourtant bien dans un art contemporain qui nous parle de nos secrets d’aujourd’hui. La technique de Yo, basée sur l’amour de la matière et des pigments à l’huile, est une cuisine d’atelier un peu secrète, longuement éprouvée. La palette est plus restreinte, la matière moins dominante qu’autrefois mais le contraste plus intense, les formes démultipliées jusqu’au vertige.

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josseline chappaz/ Dédiée à l’art contemporain, la galerie Chappaz invite à ouvrir le champ des possibles. Comment appréhendez-vous le métier de galeriste ? On ne nait pas galeriste, c’est un travail qui nécessite une forte implication personnelle, ce n’est pas un métier de tout repos. Il n’existe pas d’école en la matière, chaque marchand d’art doit inventer sa propre ligne. Personnellement j’attache beaucoup d’importance à la technique, je sais si elle est bonne ou pas, je me préoccupe peu de l’émotion transmise par une œuvre. Ni l’artiste ni moi ne sommes maîtres de ce qui va émerger chez un acheteur. Le problème du galeriste c’est le marché, parfois trop bouché ou fonctionnant en circuit fermé.

Quel lien avez-vous avec les artistes que vous exposez ? Je veux ofrir aux artistes éloignés des circuits oiciels un espace d’expression qui leur fait cruellement défaut. Qu’ils soient déjà reconnus, ou simplement conirmés, les artistes de la galerie trouvent leur place. Les artistes ne sont pas toujours faciles à vivre, mais la relation se noue au travers d’une coniance réciproque. Je suis là pour être leur soutien dans les moments de doute ou de confusion qui peuvent surgir dans leur parcours. Mais l’encouragement seul ne suit pas, ils ont surtout besoin d’un regard extérieur critique et professionnel sur leur travail. 107


erreur ou provocation/

Madame, Monsieur, Un message fort de notre dernier numéro sur l’Utopie, indignez-vous ! Oui, indignez-vous de la consommation de lecture à laquelle vous êtes confrontés au quotidien, de la médiocre qualité de l’information que vous recevez. Indignez-vous pour vous respecter, parce que vous êtes femmes ou hommes qui méritez le nectar de ce qui fait le monde dans lequel nous vivons. Einstein était dyslexique, avait un quotient intellectuel de plus de 160 et a changé la face du monde. Nous ne sommes pas dyslexiques, n’avons pas un quotient intellectuel de plus de 160 mais pouvons changer le monde. Parce que ce sont des petits espaces que naissent les grandes idées, parce que c’est de l’acte individuel que naissent les grands mouvements de l’histoire… Ainsi, la véritable phrase d’Albert Einstein est "Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.". Notre cher Albert appelait-il à la guerre ? Si tel est le cas cela devrait être un scandale, mais on lui pardonne tout parce qu’il était un génie - dyslexique. Est-ce si "mal" que ça après tout ? Quand il n’y a plus d’autre moyen de préserver la paix… Si vis pacem para bellum… La paix, qui est aussi faire la guerre par d’autres moyens ! En revanche, si Albert Einstein n’appelait pas à la guerre mais à la vigilance, ce qui n’est pas le paciisme béat - tout, sauf la guerre… même l’esclavage ? Assurément non - alors la quatrième de couverture de Carnet d’Art numéro 03, et votre réaction face à cela prennent tout leur sens !

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on ne peut pas rire de tout/

Pourquoi nous n'avons pas édité cette couverture… Nous voulions détourner ce symbole du totalitarisme mais prenions le risque de propager l’image de cet homme, porteur d’une des plus noires périodes de l’histoire de l’humanité. Nous prenions le risque de l’ambiguïté. Peut-on rire de la Shoah ? Peut-on provoquer l’histoire individuelle de millions de personnes liés à la grande Histoire ? Nous prenions le risque de voir le discours que véhicule cette image être récupéré par des mouvements extrémistes bien trop présents aujourd’hui. C’est une autocensure. Forme de censure contemporaine. Preuve que notre société est malade, puisque non, nous ne pouvions assurément pas publier cette première de couverture. 110


vous ne lisez pas un magazine vous regardez l'universel

www.carnetdart.com www.carnetdart.com 111


l'équipe

Edmond Guillot / Techatorn Sopathanundorn / Sylvie Guillot / Julien Dumas Eric Forey / Thierry Clech / Guillaume Coissard / Jacques Pion / Tanguy de Bodard / Yvette Carton Julie de Waroquier / Loïc Folleat / Gwenaël Bollinger / Kristina D'Agostin / Sébastien Duijndam / Arnaud Idelon / Christelle Saillet

DIRECTEUR DE PUBLICATION Antoine Guillot

ÉDITEUR Amistad Prod info@amistadprod.com www.amistadprod.com

DIRECTRICE DE PRODUCTION Kristina D’Agostin

MÉDIA Carnet d’Art

DIRECTEUR DE CRÉATION Killian Salomon

contact@carnetdart.com www.carnetdart.com 31, chemin de Saint-Pol - BP 415 73104 Aix-les-Bains - France +33(0)7 81 05 98 20

CONSEILLER ÉDITORIAL Arnaud Idelon

LES PORTRAITS PUBLIÉS DANS CE MAGAZINE SONT LE FRUIT DE BELLES RENCONTRES ET D'UN TRAVAIL COLLABORATIF DE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION DE CARNET D'ART : INTERVIEW ANTOINE GUILLOT / RETRANSCIRPTION SYLVIE GUILLOT / RÉÉCRITURE KRISTINA D'AGOSTIN Ce magazine est imprimé en Union européenne en octobre 2014. Il est distribué gratuitement et ne peut être vendu. ISSN : 2265-2124. Carnet d’Art est une marque déposée à l’INPI par la société Amistad Prod. La rédaction ne se tient pas pour responsable des propos tenus par les invités faisant l’objet de portraits ou d’articles. La reproduction partielle ou totale des publications est fortement conseillée tant que Carnet d’Art est mentionné. 112


Loïc Mazalrey / Sylvain Demange / Isabelle Serro / Karine Daviet Nicolas Evariste / Julie Pecorino / Hélène Veilleux / Arthur Yasmine / Olivier Roller / Lucas Dulac Antoine Guillot / Alison McCauley / Julien Chevallier / Jean Belmontet / Timothée Premat / Léa Vezin / Killian Salomon

Merci à ceux qui font ce magazine : nos annonceurs, nos distributeurs, nos partenaires, nos rédacteurs, nos photographes, nos correcteurs, nos lecteurs, notre conseiller, nous.

notre sélection Carambar

Comment appelle-t-on un chien sans pattes ?

C'est un gars, il rentre dans un café, et plouf.

On ne l'appelle pas, on va le chercher.

- Je vais acheter cette toile, dit le client au peintre. - C'est une affaire, Monsieur. J'y ai passé dix ans de ma vie. - Dix ans ?! Quel travail ! - Eh Oui ! Deux jours pour la peindre et le reste pour réussir à la vendre !

Au restaurant, Monsieur Dupont s'écrit : - Garçon, il y a une mouche qui nage dans mon assiette ! - Oh ! C'est le chef qui a encore mis trop de potage, d'habitude elles ont pieds.

Que se disent deux grains de sable dans le désert ?

Qui du marin ou de l'aviateur écrit le moins ? Le marin, parce qu'il a jeté l'encre.

Je crois qu'on est suivis.

- Bonjour ! Avez-vous amené au zoo le pingouin que vous avez trouvé dans la rue ? - Oui, il a bien aimé mais aujourd'hui on va au cinéma.

Que fait Bernadette Chirac avec ses vieilles robes ? Elle les met.

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abonnement/ + commande des anciens numéros

bulletin d’adhésion BULLETIN À RETOURNER ACCOMPAGNÉ DE VOTRE RÉGLEMENT À :

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Association de loi 1901 ayant pour objet de soutenir par contributions diverses la marque Carnet d’Art.

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INDEX

A

F

Abonnement (114) Adrien Cauchetier (54) Alison McCauley (14-16-17)

Franz Xaver Messerschmidt (36) Frank Perrogon (54) Frédéric Desmesure (55)

www.amccauley.ch

Antoine Guillot (03-95) Arnaud Idelon (18-36-70) Arthur Yasmine (76) Au-delà des Apparences (100)

www.galerie-audeladesapparences.com

Q

www.lestresoms.com

R

L'errante à Éleusis (76) Le Passé (13) L’équipe (112) Le rire dans tous ses états (10) Le rire universel (18) Les Trésoms (44-94-95)

À monde faux, faux rires (38) Annie Berthet (60) www.annie-berthet-peintre.odexpo.com

L

G

Littérature (30-32) Little Jones (42) Loïc Folleat (30) Loïc Mazalrey (22)

Gastronomie (65-95) Gilles Fisseau (54) Guillaume Coissard (38) Gwenaël Bollinger (10-12)

L’oeil qui rit (03) Lucas Dulac (30)

www.cargocollective.com/lucasdulac

Be bold, brave and beautiful (43) Bonlieu scène nationale (06) www.bonlieu-annecy.com

Boywd (56) Brumes (70) Bruno Ouzeau (54)

C Carnetdart.com (111) Certains l’aiment drôle (14) Chantal Mélanson (104-105) www.galeriechappaz.com

Christelle Saillet (10) Cinéma (14) Cosimo Mirco Magliocca (54) Cyrano de Bergerac (54)

D

H

M

Hélène Veilleux (74) www.ladentdeloeil.net

Histoire (10)

Martin Vandeville (54) Maitetxu Etcheverria (52) Mode (43) Mort d’un commis voyageur (52) Musée Faure (109)

I

www.aixlesbains.fr/culture/musee_faure

Sell me a sheep (25) Serge Labégorre (48) www.sergelabegorre.com

Sommaire (04) Songe d’une nuit (95) Stéphane Klein (48) Sylvain Demange (20) www.sylvaindemange.com

Mysticisme et bourgeoisie (20)

N

J

Nadia Fabrizio (52) Nicolas Chupin (54) Nicolas Evariste (28-70)

Jacques Pion (18)

www.nicolas-evariste.fr

www.jacquespion.com

Nouvelle (72)

Jean Belmontet (74) Jean-François Lapalus (54) Jean-Michel Balthazar (54) Jean-Pierre Malo (55) Je suis né entre les mains (65) de cet homme Julien Chevallier (32) www.juliedewaroquier.com

Design (25) Dominique Pitoiset (52)

Julien Dumas (08)

T

Tanguy de Bodard (14) Tartempions et chacals (74) Techatorn Sopathanundorn (25-43) Théâtre (20-52) Thierry Clech (98) www.thierryclech.com

Timothée Premat (20)

O

Olivier Roller (78)

www.jchevallier.com

www.dalamimages.com

www.kalaphoto.fr

www.sebastienduijndam.com

www.isabelleserro.com

Julie de Waroquier (46)

Édito (03) Erreur ou provocation (108) Éric Forey (34)

S

Il n'y a que du vent derrière moi (72) Isabelle Serro (38-39-40)

Dalam (96)

E

(25)

(102)

Ruffieux-Bril www.galerieruffieuxbril.com

Sauterelles (55) Sculpture (36 -60) Sébastien Fautrelle (26-64-65) Sébastien Duijndam (68-72)

www.art-chantal-melanson.com

Chappaz (106-107)

Rami Riccardo Studio

www.loicmazalrey.com

www.gwenaelbollinger.4ormat.com

B

Qui a peur de Virginia Woolf ? (54)

www.olivierroller.com

On ne peut pas rire de tout (110)

U

Umberto Sino (24) Un rire du néant (30)

www.juliendumas.fr

P

Patricia Debuchy (101)

K

www.patricia-debuchy.e-monsite.com

Peinture (48-56-60) Peugeot (66)

Killian Salomon (32-72) Kristina D'Agostin (65-96)

V

Voyage (18)

www.peugeot-marlioz.com

Philippe Torreton (54) Philosophie (38) Photographie (78) Poésie (70-74-76) Prada (43)

Éric Mignona (23)

www.eric-mignogna.com

Ernest & Salinger (32)

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W

William Laperrière (103) wla.free.fr

Y Yann Leguilcher (60)


« Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer » Beaumarchais

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