Carnet d'Art n°07 - La Liberté

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~ édito ~

Vivant parce que debout/ « Comment pleurer dans une langue qui n’est plus la nôtre ? » – Vénus Khoury-Ghata

J’écoute ce vieux poste de radio qui fonctionne encore avec des piles aussi grosses que mon pouce. J’entends ces voix, ces paroles, ces discours, ce qui est censé être le reflet d’une pensée. Non ça c’est sûr, « on ne peut pas aller contre le cours de l’histoire. » Oui je suis d’accord, « si une chose est plus violente que la mort, c’est le temps qui passe, la vie que nous sommes obligés d’assumer... » Depuis ce jour j’ai compris... j’ai compris que l’artiste montre la voix quand le tâcheron cherche l’approbation. Ça y est, j’ai compris... j’ai compris qu’il n’y a qu’une chose d’intéressante au théâtre... du vivant, se sentir vivant. Je devais sans doute faire cette vie mienne, j’espère qu’il n’est pas trop tard. Il est évident qu’une nouvelle ère s’ouvre sur une cicatrice béante, que le monde renaîtra des cendres de cette génération que tout le monde fait semblant d’aimer. Alors merde ! Merde à toi, minable qui parle pour ne rien dire. Merde à toi, France que j’ai tant aimée... Tu me fais peur et je ne supporte pas ce que tu deviens. Merde à toi, province ou capitale engluée. Voici venu le temps de l’émancipation, de sourire à la liberté que nous nous arrachons à nous-mêmes. Parce que la véritable liberté c'est l'émancipation que l'on trouve dans les contraintes que l'on s'est imposées. Suffisons-nous à nous-mêmes, le temps s’occupera du reste. Peut être vous attendiez-vous à du romantisme ? Vous en avez eu, même si vous ne vouliez pas de celui-là. Antoine Guillot. Auteur, metteur en scène – Directeur de publication. 5


S O M M A I R E

Réfléchir 8

De l’engagement du radical

12 Suis-moi, je te fuis… 16

Regards d’ailleurs, rêveurs

20

Tuer le Père-Bescherelle

24

Au détour des mots

Dossier

Rencontrer 41

Claire Diterzi

45

Ibrahim Maalouf

49

Constance Larrieu

53

Pippo Delbono

30

Lettre à toi

32

L’amour dure trois siècles

34

À la croisée du cercle


Raconter 58

Raisonnement au bar du poète

qui va (très) mal

60 L’auditoire 62

Depuis l’exil

64 Au-delà, le monde 66 Steppe 71

Rune Guneriussen

Galeries 85 SylC 87 Marie-Noëlle Leppens

Art de vivre 93

Les dix commandements

97

Le luxe de prendre le temps

100

Bonlieu Scène nationale Annecy

103 Déambule

L i b e r t é


Réfléchir


Hakuna Matata Š Thomas Subtil.


Primera carta de San Pablo a los Corintios, Angelica Liddell © Alain Walther.

De l’engagement du radical/ Envers et contre tout, nécessaire parce que vital ; les artistes posent des jalons pour ceux qui acceptent d’ouvrir les yeux sur le monde. Dominique Oriol – Spectatrice avertie 10


~ théâtre ~

I

ls étaient là, plantés parmi nous, les badauds, ou nous- obligation d’une distance d’au moins une génération, sans parmi eux. Le regard fixé sur nous qui les regardions. parler des risques du politiquement incorrect. Règle très gêMais chacun d’entre eux avait la bouche baillonnée. nante pour les artistes dont la sensibilité créatrice est fonImage forte. Tout était dit dans cette impossibilité à cièrement ancrée dans la réalité de leur temps. Règle que les parler. L’artiste réduit au silence. La liberté dans les fers. Et le dramaturges ont su contourner par la fable, la métaphore, la théâtre continue à payer son tribut très lourd à cette violence. distance géographique ou historique, tels Shakespeare, Hugo, Nombre de ceux qui œuvrent pour cet art sont condamnés à se Musset dans leur drames historiques où ils peuvent se ménataire, se terrer ou succomber à la terreur dans tous les endroits ger un espace d’expression libre. Et nul aujourd’hui n’est dupe où règne la pensée unique, ouvertement ou insidieusement. de ces artifices. Nous savons lire entre les lignes. D’autant Rares sont aujourd’hui les plus que le théâtre s’est espaces de dialogues vrais, sensiblement affranchi de de vrais débats, de libre Confrontés à une alternative : ces reculades et que nous parole, débarrassés de sommes pleinement imtoute entrave extérieure céder ou refuser de renier sa liberté au prégnés d’une mouvance ou intérieure, mus simplede l’art de la scène, comme ment par le projet de faire risque d’être réduit au silence. de toute forme d’expresavancer l’homme, la pension artistique, qui nous sée, le vivant. plonge au cœur d’une activité brûlante. Bien plus, nous ne pouvons qu’être reconnaisLa confrontation à la censure. sants envers ceux qui font le choix risqué de représenter, en dépit des pressions politiques, économiques ou autres, une Le théâtre se doit d’être le lieu de la parole contradictoire, sub- pièce comme 11 septembre 2001 de Michel Vinaver. versive, qui aborde justement, soit frontalement, soit de biais, tout ce qui met à mal la liberté de l’homme. Pour un artiste, Au moment même où se produit l’accablant spectacle de être libre c’est oser, oser se confronter à tout ce que nous im- l’image médiatique, réducteur et appauvrissant, Michel Vinaposent la société, la morale et l’ordre établis. Oser ouvrir des ver nous livre un contrepoint poétique sous forme d’oratorio. espaces d’étonnements, de questionnements toujours aux Loin d’instrumentaliser le public, il le replonge dans une déaguets. Ce que ne supporte pas, ou mal, une autorité pres- marche de libre-pensée nécessaire pour pouvoir évaluer le criptive ou frileuse. Dans les cas extrêmes, la réponse est ra- monde qui est le nôtre. Cet évènement, considéré comme le dicale et mène à l’élimination pure et simple de toute velléité traumatisme primitif de notre siècle a d’ailleurs donné lieu à d’émancipation. La censure sait encore s’armer du couperet. des réactions très divergentes, au théâtre comme au cinéma : Bien sûr, rien de tel dans nos sociétés dites démocratiques, autocensure chez certains artistes ; maintien de leur projet et éclairées. Mais si nous savons que sous la forme oppressive, refus d’en rabattre chez d’autres au risque de réactions de rel’institution de la censure a fait long feu, nous savons aussi que jet agressif. Car les artistes ont parfois bien du mal à défendre l’artiste de théâtre n’en a pas fini avec cette entrave à la créa- leurs choix et préserver leur liberté de création face à une tion. Sa liberté est soumise à diverses mesures d’approbations censure de ceux à qui ils destinent leurs œuvres : le public. avant même l’épreuve du public. Combien de projets avortés Censure d’autant plus rude qu’elle pourra être relayée par ou tronqués, au profit d’œuvres plus consensuelles, l’histoire l’institution ou par des organisations plus ou moins obscures du théâtre recèle-t-elle ? ou intégristes. Cette censure, ou « sensure » selon le mot d’un critique, peut prendre des formes plus brutales que la violence La censure officielle, bien qu’ayant sensiblement évolué de- ou l’obscénité incriminées par le public. Les exemples ne sont puis le XVIIème siècle, maintient encore des approches désuètes, pas rares dans le théâtre contemporain, de ces occasions où voire rétrogrades dans un rôle de garant des bonnes mœurs, une partie du public, de la presse, se mobilisent pour crier au exécuteur de l’« ob-scène » (ce qui doit rester en dehors de la scandale et demander la tête de l’artiste. scène). Le théâtre se retrouve alors art sous contrôle, soit par interdiction totale, soit par imposition de coupes à l’intérieur Ainsi, les spectacles de Rodrigo Garcia, Angélica Liddell, du texte à représenter. Les artistes sont confrontés à une Anéantis de Sarah Kane, Sur le concept du visage du fils de Dieu alternative : céder ou refuser de renier sa liberté au risque de Roméo Castellucci sont dans les mémoires. Chacun à sa fad’être réduit au silence. De célèbres cas d’interdiction ont çon transgresse les cadres reconnus du visible et du transmismarqué l’histoire récente du théâtre – Les paravents de Jean sible. Chacun représente un geste de liberté qui outrepasse les Genêt, quatre ans après la guerre d’Algérie, ou Roberto Zucco conventions d’un théâtre ordinaire et rassurant. Il s’agit bien de Bernard-Marie Koltès, là où le traumatisme lié au fait divers de scandale ; « celui qui cherche à produire un effet de transétait encore vivace. gression d’une norme politique, morale et / ou esthétique. »

La transgression des règles.

La création émancipée.

Le théâtre subit encore la contrainte prégnante d’une ancienne règle instaurée par les Grecs : interdiction de traiter d’évènements de l’actualité immédiate ou trop récente, pour ne pas réactiver chez les spectateurs les souffrances réellement vécues ;

Le théâtre est un endroit où la sensibilité du créateur et de ceux qui l’accompagnent, s’exprime dans une pleine adéquation entre liberté de pensée et liberté d’expression artistique. Et l’on peut suggérer que les réactions excessives à leur encontre 11


sont souvent la résultante d’un malentendu, voire d’une ignorance ou d’une confusion. Ces spectacles qui poussent le geste jusqu’à exposer dans sa nudité l’immontrable : violence ordinaire, violence de la guerre, de la torture, de la consommation, de la morale, de la religion… sont une réponse imaginaire à la violence réelle qu’elle stigmatise et qui est souvent plus violente encore et scandaleuse que celle représentée. Et Sarah Kane avait raison de s’offusquer de ce que la représentation d’un viol provoque plus de fureur que le viol réel ou que la presse choisisse « de se mettre en colère, non pas face à l’existence d’un cadavre, mais face à l’évènement culturel qui avait attiré l’attention sur lui ». Nous touchons là à un point essentiel : celui de la responsabilité de l’artiste qui se doit de défendre son intégrité et sa liberté. « Je ne veux pas être la représentante d’un groupe biologique ou social auquel je me trouve appartenir. Je suis ce que je suis. Quand on se perd soi-même, qu’est-ce qu’il reste encore à quelqu’un ? » Ces propos existentiels énoncés par la dramaturge anglaise posent clairement la question de la liberté, particulièrement sensible au théâtre, domaine où l’artiste s’expose dans tous ses états. Aussi n’est-il pas prêt à se laisser enfermer dans des règles de formes et d’organisations rassurantes et calibrées. Même s’il dépend d’une structure, un metteur en scène comme Rodrigo García revendique sa pleine et entière liberté d’action. S’il sentait la moindre tentative de brimer son travail de création, ou de le formater, il irait faire du théâtre ailleurs, dans la rue, dans un autre pays.

Sarah Kane © Jane Bown.

nous mette en jeu. La représentation aujourd’hui non seulement manifeste la volonté des dramaturges et des metteurs en scène de transgresser les tabous, mais fait aussi état d’un art en rupture qui s’est peu à peu affranchi des règles et normes ancestrales. L’histoire du théâtre du XXème siècle, prolongée aujourd’hui, se présente comme un immense chantier, marqué par des temps forts, quasi révolutionnaires pour extirper l’art scénique de ses chaînes, pour l’ouvrir à une représentation émancipée en phase avec le monde et la réalité qui le suscitent. Et pour que cette représentation accède au plus haut degré de la réalisation souhaité, il faut que tous les acteurs, toutes les composantes du spectacle sachent mettre en commun leurs énergies pour ouvrir tous les champs libres à la création. L’art de la scène n’est plus ce voyage organisé circonscrit par les conventions et normes qui le contraignent dans une simple fonction d’illustration ou d’imitation. Il est au contraire l’occasion pour les metteurs en scène, les acteurs, les scénographes, d’activer des endroits parfois même insoupçonnés, ces « divagations » chères à Claude Régy. Créer, c’est inventer, écrire ou réécrire en osant l’impertinence, voire l’irrespect. Et ce faisant, les artistes d’aujourd’hui ouvrent ces espaces souvent troublants de nouvelles libertés où peuvent coexister des modalités d’expression sans stigmatisation. Au-delà de leurs choix et partis pris différents, ce qui peut les réunir, c’est leurs refus de tout immobilisme, leur démarche qui tend à s’affranchir des normes socioculturelles paralysantes.

Sur le concept du visage du fils de Dieu, Romeo Castellucci © Klaus Lefebvre.

Autant d’exemples qui nous amènent à prendre conscience qu’aller au théâtre n’est plus l’occasion d’assister de l’extérieur à un événement, mais de partager une expérience qui 12



Music © Jenny Sturm.

Suis-moi, je te fuis…/ Une industrie du disque en crise, des artistes qui créent, des artistes qui crèvent. La tempête passe et des fleurs poussent sur les ruines. Karine Daviet – Musicienne et musicologue 14


~ musique ~

L

a musique n’a pas toujours été un art industrialisé. Ce sont les techniques d’enregistrement phonographique puis de duplication des disques qui font basculer cet art dans une nouvelle ère au XXème siècle.

Si le succès de certains artistes a fait leur fortune, beaucoup de maisons de disques ont tenté de le provoquer en recrutant des musiciens formatés pour vendre des disques. La pratique prend une ampleur sans précédent à partir des années 1990 avec la mode des girls band et des boys band, mais les maisons de disques fabriquaient déjà des vedettes au temps des yéyés pour attirer un nouveau public : les adolescents. L’opération ne réussit pas toujours et dès qu’ils ont cessé d’être rentables, ces artistes-produits ont souvent été jetés aux oubliettes de l’industrie. Il va sans dire que leur proposition artistique est faible, le seul but de l’opération consistant à surfer sur une mode pour faire le maximum de profit. À ce jeu, les artistes sont manipulés, entièrement soumis au bon vouloir de leur maison de disques. Rares sont ceux qui réussissent à mener une carrière après ça.

Des techniques au service de la création musicale. Après avoir été source de contraintes, le studio devient le lieu d’une créativité nouvelle, son importance dans la vie des musiciens supplantant même celle des concerts. Les micros gagnant en sensibilité et en précision dans la transmission du signal, les musiciens peuvent exprimer en studio toutes les nuances de leur instrument, allant jusqu’à créer de nouvelles esthétiques. Le micro permet par exemple aux chanteurs de faire passer des émotions, notamment par la mise en avant des bruits (respiration, salive, lèvres). On a ainsi vu apparaître des voix jusqu’alors illégitimes car peu puissantes, comme celles de João Gilberto au Brésil ou Françoise Hardy en France. Le studio a également changé la façon de composer la musique en permettant de superposer les différentes prises sur un enregistreur multipistes. Pour les musiciens de rock (les Beatles en tête) mais aussi une frange des musiques contemporaines, c’est un laboratoire qui permet de trouver de nouveaux sons, de bidouiller. Cette liberté nouvelle s’est accrue à mesure que de nouvelles technologies ont fait leur apparition. Avec celle des synthétiseurs grand public et du protocole midi dans les années 1980, les musiciens ont pu se passer des instruments traditionnels. Aujourd’hui, grâce aux ordinateurs et à la démocratisation du matériel de studio, il est possible d’enregistrer un album dans sa chambre. Les musiciens ne sont donc plus dépendants des grands studios d’enregistrement, dont le fonctionnement est très coûteux.

Pourtant, pour les vrais artistes – ceux ayant une proposition artistique – bénéficier du soutien d’une maison de disques est précieux. Cela leur permet souvent d’enregistrer dans de meilleures conditions et d’être mieux diffusés, notamment auprès des radios, ce qui leur assure une plus grande notoriété et de meilleurs revenus. Mais il est difficile pour un artiste d’échapper aux logiques de rentabilité et de conserver sa liberté. Les litiges autour de contrats parfois abusifs sont nombreux dans l’histoire de l’industrie, et la crise du disque depuis le début des années 2000 a amené les maisons de disques à remercier leurs artistes les moins rentables du moment, parfois en dépit de leurs succès précédents.

Autoproduction et labels indépendants : la voie alternative.

Face aux logiques imposées par les majors, beaucoup d’artistes revendiquent un retour à un environnement de travail Maisons de disques et qualité artistique : sain et plus respectueux de leur fonctionnement. Ils rejoignent la difficile équation. alors des labels indépendants, qui privilégient le travail de découverte et la diversité des styles musicaux, ou choisissent la La raison d’être des maisons de disques est, premièrement, voie de l’autoproduction. En France, un des premiers labels d’organiser les conditions matérielles liées à la musique en- indépendants, Saravah, a été créé en 1965 par Pierre Barouh. registrée, du studio au pressage des disques en passant par Il privilégie les projets expérimentaux, le métissage, préfigula vente d’équipement d’écoute au grand public (TSF, pho- rant la vague de la world music. Grâce à lui, beaucoup d’arnographes, platines de lecture pour les vinyles et CD, en- tistes pourront faire leur musique en marge des yéyés. Les ceintes). Elles vont rapidement se constituer un catalogue labels indépendants sont aujourd’hui très nombreux. Beaucoup jouent le rôle de d’artistes afin de vendre découvreur d’artistes ou les disques et le matériel œuvrent dans des niches audio qu’elles proposent. Un monde pluriel, métissé, musicales, comme cerAvec les années, chaque tains styles de métal. maison de disques, au traoù les initiatives de chacun trouvent vers de différents labels, se spécialise dans difféMême s’il était difficile un terrain d’expression. rents courants musicaux. pour les musiciens de Certaines deviennent très s’autoproduire avant la célèbres, leur nom étant indissociable des musiques ou des démocratisation de l’informatique musicale, ce modèle était artistes qu’elles ont portés, comme Blue Note pour le jazz ou déjà prisé au sein du mouvement punk, dont la philosophie la Motown pour la soul. Ces maisons de disques, au fonction- DIY (Do It Yourself) s’accordait mal avec l’emprise des maisons nement familial voire artisanal aux origines, se transforment de disques sur les artistes. En s’affranchissant de tout interpeu à peu en grands conglomérats. Celles qu’on appelle au- médiaire, ces artistes veulent retrouver un rapport plus dijourd’hui les majors ne sont plus que trois dans le monde rect à leur public mais aussi maîtriser toutes les étapes de la – Universal Music, Warner Music, Sony-BMG, ceci étant le ré- fabrication de leur musique, de la création à la diffusion. Ils sultat de rachats et fusions successives. échappent ainsi aux velléités de formatage de l’industrie du 15


Gramophone © Africa Studio.

disque mais doivent assumer le risque financier lié à un échec commercial. Cet affranchissement est facilité à partir des années 2000 grâce au développement de l’Internet. Cela permet au groupe de brit-pop Radiohead de proposer en téléchargement gratuit leur septième album, In Rainbows, directement sur leur site internet, prenant le contre-pied de l’industrie du disque qui n’avait pas compris l’importance de ce nouveau média pour la diffusion de la musique. Les plate-formes de financement participatif (MyMajorCompany, KissKissBankBank, Ulule) ou de téléchargement légal (Bandcamp, Qobuz, Musicme, Soundcloud) permettent aux artistes de reprendre le contrôle sur la diffusion de leur musique et impliquent le mélomane dans la production par le biais du don.

Bien sûr, il existe encore des succès mondiaux et des artistes formatés, mais Internet a aussi libéré le public du diktat de l’industrie. Alors qu’il devait, il y a vingt ans, acheter un disque pour pouvoir l’écouter et découvrait de nouveaux artistes par le biais des radios, les possibilités d’écoute gratuite (téléchargement illégal, streaming) renversent la dynamique, faisant de l’achat d’un disque un acte militant. Autre conséquence de la crise du disque, la vente seule ne permet pas de gagner de l’argent. La scène a donc pris une importance nouvelle, devenant la véritable source de revenus des artistes au détriment des maisons de disques, qui ne touchent aucun pourcentage sur les cachets. Si le rapport de force semble donc être à nouveau en faveur des artistes, un équilibre reste à trouver car il est en réalité difficile pour eux de se passer entièrement des professionnels de la filière. En effet, même si tout artiste doit aujourd’hui, et ce même s’il est entouré d’une équipe, avoir des compétences en marketing, en communication et en management, la force de frappe des maisons de disques n’est pas à négliger. Les intérêts des artistes et des maisons de disques ne sont donc pas opposés mais convergent plutôt dans une relation d’interdépendance. À ce titre, le label Nø Format ! fait un travail atypique. Ce label indépendant a choisi une ligne éditoriale marquée, celle de la diversité et du métissage. Un système d’abonnement a été mis en place pour produire les albums de ses artistes. Il permet à l’auditeur de recevoir chez lui les disques parus au cours de l’année. Nø Format ! promeut ainsi la création et la juste rémunération des artistes tout en fidélisant un public de mélomanes curieux. Ce partage du goût du risque entre les artistes, leur public et le label est un bel exemple de ce que l’avenir nous réserve : un monde pluriel, métissé, où les initiatives de chacun trouvent un terrain d’expression, ringardisant la pratique du formatage des artistes.

L’autoproduction implique parfois une volonté de la part de l’artiste de trouver des alternatives aux logiques néo-libérales. C’est le cas pour Batlik, auteur, compositeur et interprète français qui a fondé son propre label et se vante de son nonsuccès commercial. Il aurait, selon sa biographie, refusé par deux fois de signer avec un label. Cependant, quand l’autoproduction n’est pas transformée en choix éthique, il est courant que les artistes commencent ainsi leur carrière avant de rejoindre un label.

L’ère du choix. Même si le nombre d’artistes en autoproduction augmente, l’existence des labels indépendants et des majors n’a pas été remise en cause. En revanche, la possibilité pour les artistes de faire le choix de rejoindre ou non un label contraint l’industrie du disque à revoir son mode de fonctionnement et permet l’émergence de modes de production et de diffusion pluriels. Petit à petit, la diversité reprend sa place, démontrant la vitalité d’un secteur sorti fragilisé de la crise du disque. 16



Le déluge de la Cathédrale © David LaChapelle.

Regards d’ailleurs, rêveurs/ C’est une force incroyable, que de laisser toute liberté à son regard de s’évader. Un pouvoir permettant de témoigner ou de rêver. Célia Di Girolamo – Journaliste 18


~ photographie ~

L

’Histoire de la photographie est riche, vaste, évolutive. Au fil des siècles, les façons de faire ont évolué. Complètement bouleversée par la technologie, la liberté dans la prise de position s’est encore davantage affirmée.

les logiciels permettent dès lors une plus grande liberté de création allant de la simple correction d’exposition au montage le plus poussé. Le photographe a alors toute la liberté et facilité de modifier une réalité pas toujours gaie et de tromper l’œil du grand public qui, lui, en a tout aussi besoin. Sa liberté dans l’aspect créatif est d’autant plus large que les moyens se révèlent désormais multiples, objets de tous les possibles.

Un monde mis en scène.

Premier des quatre Droits de l’Homme dans la Déclaration de 1789, la liberté s’est donc très vite, après la Révolution, impo- La libre pensée du regard. sée comme fondamentale. Et notamment à travers ce que l’on appela la « libre communication des pensées et des opinions ». « Photographier, c’est une attitude, une façon d’être, une C’est bel et bien pour cette liberté-là que les artistes semblent manière de vivre » dit Henri Cartier-Bresson. Une façon de vivre, se battre avec le quotidien, cherchant à le fuir, mieux photographier en toute liberté. Chacun la sienne. Le phol’affronter, le rendre meilleur ou inventer un monde paral- tographe est libre d’imposer son regard, de s’exprimer, de lèle – leur propre monde – et pouvoir ainsi mieux s’y réfugier. révolutionner ou d’inventer un univers. Comme le fit, par Avec une grande liberté de ton, l’un de nos contemporains, le exemple, Helmut Newton avec la mode. En photographe photographe et plasticien David LaChapelle – qui a fait poser provocateur, il a rempli les magazines de femmes sculptules plus grandes célébrités – va droit au but en plaçant les ob- rales, faisant de son univers un monde rêvé révélant le pousessions de la société contemporaine au cœur de son travail. voir de séduction des femmes tel qu’il l’éprouvait lui-même. Dans des mises en scène Comme le fait, au quotitrès travaillées, comme ont dien, chaque photographe Les moyens se révèlent déjà pu le faire par le passé selon sa propre sensibilité Brassaï ou Bill Brandt, égaen se promenant, s’évadésormais multiples, lement codifiées, retradant, parfois même en se vaillées avec des couleurs perdant dans ses pensées, objets de tous les possibles. liées de façon morbide à dans des allées, le temps d’un instant. La liberté la recherche du plaisir et photographique ne se du superflu, l’artiste – qui oscille entre le kitsch et le pop baroque – va bien au-delà de retrouve finalement que dans ce que l’on s’autorise à faire ce que l’on définirait comme de la photographie de mode. Té- avec. Ainsi, chacun définit, en quelques clics, consciemment moin de son temps, il met en scène le monde, le détourne, ou non, ce qu’il souhaite révéler, capturer de l’instant préavec toujours une grande émotion dans ses photos. Sa très sent. C’est bien là la liberté du regard. Des regards façonnés grande liberté – entre religion détournée et critique sociale – par sa propre expérience, vie, éducation, qui se dévoilent et lui permet de bousculer les frontières, lui qui « revendique s’expriment telle une pensée. une liberté totale : passer d’une planète à ses antipodes ». Son parti pris peut désorienter, sembler provocateur, lorsqu’il pastiche ce qui est de l’ordre du sensible – la peinture religieuse, la peinture d’histoire, la richesse – et met en scène des allégories, notamment en parcourant sa série Heaven to hell, pour mieux exalter le pouvoir de l’image aujourd’hui. Détourner l’image pour mieux interroger, voilà une liberté qui s’est davantage accentuée ces dernières années avec les avancées technologiques, optiques et chimiques. L’image est devenue complètement malléable. Nous sommes aujourd’hui bien loin des célèbres Distorsions de Kertész, sans en être toutefois si éloignés, si on laisse de côté le procédé. En 1930, cet artiste de l’avant-garde photographique s’intéressa aux déformations optiques. Sa série de nus féminins aux corps complètement étirés, voire entièrement désagrégés, marque déjà une volonté de l’artiste de créer pour « donner à penser » la réalité. Cette liberté du photographe de modeler et de déformer à souhait est un véritable pouvoir. Pouvoir intensifié avec l’apparition, vers 1990, de l’image numérique, faisant connaître aux professionnels un véritable bouleversement de l’industrie photographique, modifiant, au passage, leurs méthodes de travail et décuplant les possibilités. Plus besoin de mises en scène imaginatives, de travail en amont bien préparé et rodé :

Distorsion n°141 © André Kertész.

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Figer pour témoigner de « l’après »…

s’inscrit comme témoin des instants qu’il cherche à capturer pour mieux éveiller les consciences. Cette liberté du regard passe donc aussi par l’engagement.

Capturer la liberté, certains grands photographes s’y sont, à un moment donné, intéressés. En 1962, aux premières loges de l’indépendance algérienne, Marc Riboud, qui, avec sa soif d’ailleurs, n’a su garder que la photographie comme seul point d’ancrage de sa vie, réussit à saisir, au vol, ce qui fut considéré comme un instant décisif. Riboud réussit ainsi à faire ressortir des photos criantes de vérité. L’Américain John Godefrey Morris, lui, a travaillé pour Life au moment de la Seconde Guerre mondiale et a suivi les troupes alliées après le Débarquement en Normandie. Ses photos ne sont pas des images de combat comme ont pu en ramener bon nombre de photographes engagés – à l’instar de Capa sur la guerre civile en Espagne – dans les années 1920 et 1930, période à laquelle le reportage de guerre semble avoir véritablement marqué les esprits. Portraits ou scènes de vie, elles traduisent les premiers moments de liberté retrouvée. Cette liberté immortalisée est synonyme de moment fort pour les familles touchées ; de témoignage et de prise de conscience pour la jeunesse d’aujourd’hui et celle de demain. Pour se souvenir, ne pas oublier. Des images prises sur le vif, bien figées, qui s’inscrivent parfois comme les derniers témoins de moments forts du passé. En témoigne également la très belle photographie du révolutionnaire qu’était Ernesto Guevara, prise par Alberto Korda le 5 mars 1960 à La Havane, dont l’image devient, à la mort du Che, une véritable icône pour le mouvement de 1968 et un symbole de révolte contre l’ordre établi, de liberté du peuple, et d’espoir pour toute une population d’Amérique latine.

Le photoreportage de guerre a particulièrement marqué les esprits. C’est d’ailleurs en ce sens que Capa, Seymour, Cartier-Bresson ou encore Rodger ont créé Magnum : pour permettre aux photographes de garder un contrôle total sur les droits de leurs photos face à des patrons de journaux omnipotents, détériorant ou faisant disparaître les négatifs, se permettant de recadrer les images… Leur crédo : capturer les événements forts des soixante-dix dernières années et dévoiler des images symboles visant à façonner la mémoire collective. On se souvient de Capa revenant des plages normandes, ramenant avec lui des clichés d’une telle intensité dramatique qu’ils vont bouleverser le monde occidental. Dès lors, les photographes de l’agence Magnum – qui posent alors les bases de l’indépendance des photographes et de leur statut d’auteur – appréhenderont la photographie comme ils appréhenderont le monde. Ce collectif est donc lié par son désir de photographier en toute indépendance. Des photographes libres de leurs mouvements, de leurs sujets, de leurs reportages, de leur durée ; une liberté comme condition indispensable à leur engagement. La liberté du photographe est alors synonyme de droit d’auteur qui maîtrise ainsi son copyright et le contrôle de la diffusion des tirages.

Censure versus limites. La notion de liberté d’expression a parfois ses limites, comme ce peut être le cas avec la censure, souvent politique ou religieuse, qui existe non seulement dans la presse, mais aussi dans le théâtre, la musique, la littérature. Dans le monde de l’art. Une censure encore bien présente, même à l’ère démocratique. L’artiste chinois Ai Weiwei connaît bien le sujet, censuré à maintes fois par Pékin depuis ses premières œuvres des années 1990. En été 2015, un grand photographe italien du nom de Gianni Berengo Gardin faisait l’objet de censure pour avoir voulu dénoncer le tourisme de masse à travers la photographie de paquebots géants étouffant Venise. Ses photos, regroupées sous le nom de Mostri a Venezia (Monstres à Venise) n’avaient alors pas pu être exposées au grand public comme ce devait être le cas au Palazzo Ducale, suite aux protestations du maire de la ville. Quelques mois plus tôt, c’était une œuvre de la photographe Diane Ducruet, qui travaille depuis quinze ans sur le concept de la famille, qui fit l’objet de censure : sa photo Mère et fille, quadriptyque d’une mère allongée sur sa fille, a agité maints esprits anonymes et fit parler dans le milieu, en plein Mois de la photo à Paris. Un cliché qui fut retiré de l’exposition avant même d’avoir été vu, considéré comme fortement dérangeant. Autant de censures qui font une nouvelle fois s’interroger sur le pouvoir des politiques et des institutions sur la liberté d’expression, et reposent encore la question des limites, de la réelle place de la liberté chez les artistes, eux qui ne cherchent qu’à rendre compte, à proposer des mondes meilleurs dans lesquels se plonger, à interroger, à faire voyager… Et réveillent notamment la frontière entre la limite à ne pas franchir et celle que l’on peut encore s’autoriser à dépasser.

Été 1944 © John G. Morris.

Le photographe engagé. De la fin du XIXème siècle aux années 1930, la photo s’implante progressivement et massivement dans la presse. Naît alors le photoreportage. Le photographe, et notamment le photoreporter qui exerce très souvent son métier en indépendant, 20


éditions L'aventure des mots est sans cesse à renouveler.

Prix Spécial Amélie Murat 2016

Ouvrages disponibles sur la librairie en ligne www.carnetdart.com


Legal gavel © Sebastian Duda.

Tuer le Père-Bescherelle/ Bien plus qu'un moyen d’expression de la pensée, la langue est avant tout un lieu d’interactions sociales, de liens et de conflits. Vénérée et archaïque, la française aime l’autorité et les privations de libertés. Timothée Premat – Étudiant en lettres et linguistique 22


~ littérature ~

S

Une langue bâtarde.

eule langue d’Europe a être à ce point persuadée de sa supériorité qu’elle se doit de rejeter tout ce qui la dénaturerait, la langue française dispose d’une histoire particulière et fantasmée. De cette histoire vient que le français n’est pas toujours un outil, mais parfois une prison de mots – un congélateur à paroles, comme l’eût dit Rabelais. Si les écoliers espagnols ne font que des errores et les petits anglais des mistakes, seules les têtes blondes françaises font des fautes qui les conduiront tout droit en enfer. Si derrière le mot faute – évocation directe du vocabulaire judéo-chrétien de la culpabilité – se cache l’enfer, c’est bien celui d’une grammaire figée et réactionnaire, un tantinet nationaliste.

L’explication réelle de cet attachement à la grammaire, plutôt que de se trouver dans le pseudo-patriotisme d’une supériorité culturelle française, est peut-être à rechercher dans l’histoire de la langue, et dans la dimension sociale de cette histoire. Habituellement, une langue, après la période de grand flou qui préside à sa naissance, se choisit un étalon cohérent et le fait adopter par l’ensemble de la communauté linguistique : c’est la naissance d’un idiome homogène. C’est ainsi que l’italien standard est fondé sur le dialecte italo-toscan de Dante, que l’allemand se réfère à la langue de Martin Luther et que l’Hébreux tire ses codes de la langue talmudique. Ensuite, cette forme codifiée évolue avec le temps en fonction des besoins : c’est le principe fondamental qui veut qu’une langue soit en mouvement perpétuel pour s’ajuster aux besoins des locuteurs. Mais dans le cas du français, les choses ne sont pas aussi nettes : l’identité de la variété dialectale qui s’est imposée aux autres est contestée, et entourée d’une mythologie scientifique. Les linguistes, au tournant du xixème et du xxème, ont voulu identifier ce glorieux ancêtre lointain au Moyen Âge – le Moyen Âge était à la mode chez les Romantiques. En plein conflit contre les Prussiens, il fallait prouver que le français ne venait pas des « barbares » germaniques, mais qu’il descendait directement du latin. Comme ils n’ont pas trouvé ce dialecte originel, ils l’ont inventé : le francien, langue fantôme dont on n’a pas de trace, définie cependant par sa pureté généalogique, parlée à la fin du Moyen Âge autour de Paris.

Se leurrer sur celle qu’on aime. Il y a, en France, rareté de l’histoire des idéologies, un lien affectif à la grammaire : plus elle nous entrave et plus on l’aime. Oublieux de tuer le Père-Bescherelle, nous vénérons son pouvoir de contrainte, persuadés que nous sommes de l’avoir dépassé – c’est loin d’être le cas. Qui maîtrise encore la règle d’accord du participe passé passif des verbes pronominaux en construction indirecte (les jours se sont succédé_) ? Rien que la dénomination de la règle justifierait une révolution libertaire. Mais plutôt que de faire la révolution, nous relisons nos textes pour ne pas laisser passer la moindre faute, et traquons celles des autres. Nous avons peur de nous faire castrer la langue. Peur qu’on nous dise, en infra-texte : Tu ne sais même pas parler ! Corollaire de cette peur : nous l’infligeons aux autres, pour nous venger. D’où vient ce rapport d’agressivité sous-jacente et permanente, cette vénération pour une grammaire violente ?

Langue complexe – langue du complexe.

Au fond, l’ancêtre du français, l’origine de notre grammaire autoritaire, devrait plutôt être identifié dans la langue de l’arisIl y a l’explication habituelle que la complexité du système tocratie parisienne de l’âge classique : elle commence à se en fait sa beauté et sa finesse, mais l’idée que la justification former au xvième siècle, et se fige aux xviième et xviiième siècles. de la difficulté de la langue française se trouve dans sa su- Et c’est là l’origine du sentiment de supériorité du français : la périorité est inepte : la supériorité reste à prouver. Il ne faut langue française naît par la sublimation d’un complexe d’infépas confondre rayonnement culturel déclinant et argument riorité. Le xvième siècle, culturellement, c’est le règne de l’Italie : d’autorité grammaticale. Ensuite, les faits démontrent bien sa Renaissance, commencée un siècle en avance, se répand dans toute l’Europe. Face que la langue réelle, celle à cela, l’élite intellectuelle que l’on parle sans se surfrançaise se sent minable veiller, est bien loin du Ne pas confondre rayonnement et tente de prouver sa vacode des grammaires : leur (Moi, mon papa, il est combien de fois avezculturel déclinant et argument mieux que le tien). Avec La vous utilisé à l’oral un vériDeffense et Illustration de table nous ? On l’emporte d’autorité grammaticale. la Langue Françoyse de Du systématiquement, sauf à Bellay, les grands esprits l’école. Pleine de passés simples et d’après que + indicatif, la langue dont parlent les du temps font du français un objet de révérence et de désir. Ils manuels n’est pas la langue française : elle est un fantasme. inventent le culte d’une langue qui ne sert pas mais qu’il faut Un fantasme du bien dire et du bien penser, qui s’appuie sur servir. Et qui ne supporte pas la remise en question : pour masl’idée qu’il y aurait une conduite à tenir, en d’autres termes quer l’état encore informe de la langue française, rien de plus efficace que la création d’un tabou. Le respect de la langue deune morale. Aucun argument rationnel ne vient appuyer l’assertion de vient une question morale, et l’absence de fondement mène Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement », si au fondamentalisme : puisque la langue est injustifiée, on va ce n’est cette idée magistrale qu’un texte fautif est un texte nier la possibilité du doute. inintéressant et que l’orthographe est un marqueur d’intelligence. Or l’orthographe est avant tout un marqueur de mi- Ainsi, il n’est plus possible de s’écarter de la norme et déjà, les lieu socio-culturel, de niveau d’éducation : un merveilleux considérations des grammairiens se font porteuses de jugeoutil de discrimination ! ments : Tory, grammairien du xvième, dit à propos de ceux qui 23


La Convivialité, Arnaud Hoedt - Jérôme Piron - Arnaud Pirault © Kevin Matagne.

parlent le jargon parisien : « Me semble qu’ils ne se montrent pas seulement dédiés au gibet, mais qu’il seroit bon qu’ils ne fussent onques nés. » Lui et ses collègues proposent une liste de différences dans la prononciation pour deviner l’extraction sociale, et en même temps qu’ils lancent la standardisation de la langue, ils sanctuarisent la glottophobie : la discrimination linguistique.

capacité de discrimination qu’a la française. Elle réunit une complexité profonde, un système éducatif dépassé et une fascination. De là, toutes les discriminations deviennent possibles, et cette langue-outil est devenue une langue-tyran, un outil de reproduction de l’élite et de jugement pseudo-intellectuel. Il n’y a plus de liberté face à la langue, mais l’impératif de faire correspondre sa langue avec celle, fantasmée et obscure, des grammaires. Même plus de liberté de réformer, l’académie contemporaine reniant le travail qu’elle avait accompli en 1990, face au tollé général… Il est révélateur de voir comme ceux dont on simplifie la vie en rabotant les formes devenues nécrosées préfèrent garder leur cancer et perpétuer les générations de dyslexiques.

Dans certains pays, ainsi que dans un certain nombre d’instances internationales, la glottophobie est réprimée, classée entre le racisme et le sexisme. En France plus qu’ailleurs, la glottophobie n’est pas perçue comme une injustice mais comme une exigence intellectuelle – c’est le monde à l’envers. Signe d’une défaillance généralisée du système, la prégnance de ce système d’exclusion et d’aliénation dans le « pays des libertés » montre bien qu’on est loin du compte : vous n’êtes pas libres de parler votre français, mais celui des autres. On est ici bien loin de protéger le système linguistique d’un effondrement généralisé : ce n’est que du social. Tandis que les journalistes à l’accent du Sud sont cantonnés à la presse écrite et que les francophones africains sont sous-titrés plus que de raison, les enfants d’immigrés ou de quartiers défavorisés se voient à jamais fermer les portes de l’ascension sociale, de cette « méritocratie » fictive – dont le nom-même est incorrectement formé, alliant racine latine et grecque. Un mot bâtard et métissé qui promeut l’assimilation et le rejet de la différence.

Vous n'êtes pas libres de parler votre français Sommés de parler la plus belle des langues, n’ayant pas abandonné l’idée issue du mythe de Babel que leur langue s’élève au-dessus des autres langues, les Français portent sur leurs épaules le poids d’une grammaire inepte et intolérante, pétrie de fierté nationale. Les patois ont disparu sous le rouleau compresseur de l’unification linguistique opérée par les instituteurs de la Troisième République, les langues régionales fondent comme neige au soleil en plein dérèglement climatique, les accents sont devenus sujets de moqueries, la novlangue des politiques et du capitalisme se sature d’éléments de langage et d’anglicismes pour masquer son incompétence : le monde change, et pendant ce temps les enseignants continuent de professer la bipolarité névrotique de l’auxiliaire avoir.

Servitude volontaire – La Convivialité. Il faudrait alors oser le geste d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, enseignants et théâtreux belges, et appliquer à la langue le concept de seuil de convivialité du philosophe Ivan Illich : la limite entre l’outil qui sert l’usager et l’usager qui sert l’outil, qui en est dépendant. Peu de langues au monde ont cette 24



Projection de Jenny Hozler sur le Guggenheim Museum, New York.

Au détour des mots/ Les quelques artistes rassemblés ici s’inscrivent tous dans une démarche de réappropriation des langages de corps, de sexe, de genre, de soi. Marion Lemoult – Historienne de l’art 26


~ société ~

N

Les artistes préfèrent s’emparer d’objets déjà existants pour revendiquer leur statut singulier et artistique à travers leur déplacement ou leur mise en scène. Ces attitudes soulignent le besoin de réaffirmer la singularité et l’identité oubliée dans la masse, et pointent le pouvoir de standardisation des outils de transmission que sont les mass-médias. Ces artistes s’approprient ces outils afin d’en détourner le message au profit d’une critique introspective.

ew York – 1970-80’s. La ville est espace d’exposition. Les espaces publicitaires urbains restent vitrines. Mais il ne s’agit plus de consommation. Les passants deviennent acteurs-activateurs. La rue est réécrite par les habitants. Abuse of power comes as no surprise Private property created crime Myths make reality more intelligible Protect me from what I want You are a victim of the rules you live by Decadence can be an end on itself Freedom is a luxury not a necessity Your oldest fears are your worst ones A little knowledge goes a long way Money creates taste

L'artiste tansforme l’individu en activateur du truisme. Face à la saturation des images, des icônes et à la multiplicité des objets, l’empreinte des truismes sur le vêtement neutre et quotidien interroge l’influence de l’individu – actes ou non-actes – sur la situation collective. Les frontières entre le public et l’intime s’effacent. Une photographie de ces truismes imprimés est devenue symbolique de cette action : il s’agit du portrait d’une jeune femme portant un débardeur avec l’inscription « Abuse of power comes as no surprise ». Sa posture illustre la frontalité des propos à l’écho universel, dans un instant hors-temps matérialisé par le flou pictural de l’arrière-plan. L’artiste affirme son inscription dans les lieux publics lorsque, dès 1982, certains de ses textes apparaissent sur le gigantesque panneau lumineux qui surplombe Times Square. Le message « Abuse of power comes as no surprise » est largement diffusé sur la place sans sommeil de New York. En détournant ces outils publicitaires, l’artiste propage largement son engagement social subversif en pointant les formes de pouvoir et de contrôle socialement intégrées. Alors que le message sur le t-shirt sous-tend une interaction entre deux individus, le panneau lumineux domine la foule.

Ces fragments de textes sont tirés d’une série que Jenny Holzer entame en 1977. L’artiste rédige des Truisms, à la banalité évidente et qui pourtant interrogent individuellement la condition humaine dans le New York de la fin des années 1970. Imprimés sur des t-shirts, ces textes accrochent le regard du passant le temps d’une rencontre éphémère. L’artiste diffuse ainsi ses truismes (d’ailleurs libres de droits) dans l’espace public. Le caractère aphoristique de ces courtes phrases laisse un goût de lecture inachevée, invitant à la méditation. L’artiste transforme l’individu en activateur du truisme sans qui les mots ne pourraient envahir l’espace collectif. Le vêtement, déjà produit, devient un vecteur de sens.

Portrait d'une jeune femme.

L’abus de pouvoir est sans surprise. Projection de Jenny Hozler à Times Square, New York.

« The world is full of objects, more or less interesting : I do not wish to add any. » « Le monde est rempli d’objets plus ou moins intéressants : je ne souhaite pas en ajouter un seul. »

Les textes d’Holzer seront par la suite projetés de nuit, sur de nombreux bâtiments à travers le monde, tels que le Guggenheim de New York en 2008. Le défilement du texte projeté engendre une lecture hypnotique qui inclut le spectateur entre immersion et interaction. Les artistes infiltrent ainsi les espaces publics du quotidien afin de véhiculer une contre-information au travers des médias dominants (spots publicitaires, panneaux électroniques, magazines, affichage, etc.).

Ces propos tenus par Douglas Huebler illustrent le contexte dans lequel Holzer expérimente sa pratique. Puisque le monde est déjà à cette époque saturé d’objets, Huebler exprime une position tenue par de nombreux artistes, faisant écho au processus de dématérialisation de l’art de la fin des années 1960. 27


Ton corps est ton champ de bataille.

Les mots « Ton corps / est ton / champ de bataille » imprimés en blanc sur des cartouches rouges encadrent tout en barrant le visage relégué à l’arrière-plan. Ils cadrent l’espace de l’image, devenant sujet de l’affiche. Le visage plastique est destitué de son statut hégémonique. Ce texte apparaît comme une mise en abîme, permettant de restituer aux femmes leurs propres mots dans l’espace de la manifestation, à l’instar de ceux qui leur sont assignés dans les magazines de mode ou culinaires. L’image est simultanément art et protestation, média et contre-information. Le visage positif et négatif raconte la dualité quotidienne à laquelle la femme est confrontée, ainsi que l’influence réciproque de l’intime et du collectif.

Les truismes rappellent l’efficacité recherchée par les slogans : incorporant directement les stratégies de communication publicitaire, Barbara Kruger détourne l’affiche qui devient un support de revendication. Engagée vers la réappropriation du corps féminin, l’artiste réalise en avril 1989 l’affiche Untitled (Your Body is a battleground), à l’occasion de la manifestation « pro-choice » qui s’est tenue à Washington pour la défense des droits des femmes et l’accès à l’avortement. Bien que ce dernier soit dépénalisé depuis 1973, les décisions politiques fragilisent progressivement cette décision en interférant avec toujours plus de restriction sur le libre choix des femmes.

Your body is a battleground © Barbara Kruger.

Lorsqu’en 1989 le nouveau gouvernement Bush accepte l’arrêt Webster vs. Reproductive Health Services, autorisant les États à refuser le financement des services pratiquant l’IVG, les manifestations se démultiplient. Dans ce contexte où deux positions s’affrontent radicalement, l’affiche de Kruger explicite le terrain sur lequel se livre la bataille : le corps de la femme. Cette affiche présente un visage féminin standardisé, lisse et neutre. Cette photographie frontale est composée de son positif et son négatif venant couper le visage en son centre. Ces opposés forment pourtant une unité, accentuée par la gamme chromatique noire et blanche de la photographie. De gauche à droite, l’image s’inverse sans que le sujet ne change.

Déplacée dans l’espace urbain de la manifestation, l’affiche devient un support de revendication, effaçant les frontières entre personnel et politique. L’artiste récupère des images standardisées dans les médias de masse tels que la télévision ou les journaux. Elle réalise des collages à partir de ces images prélevées, souvent agrandies, et emprunte au langage publicitaire en superposant du texte : les messages sont concis et catégoriques. Sorti de son contexte publicitaire originel, le visage utilisé pour Untitled (Your Body is a battleground) n’est plus un corps dénaturé, utilisé comme marchandise ou comme caution. Si l’image laisse la possibilité d’interprétation, le texte ne pose aucune ambiguïté. La conjugaison du texte et de l’image prélevée sont des 28


~ société ~ ressources accessibles par tous : si la confrontation peut En 1989, ils créent l’affiche Kissing Doesn’t Kill pour les engendrer le malaise, elle impose frontalement une prise encarts publicitaires de bus : six personnes de différentes de position. Barbara Kruger a démultiplié ses affiches : dès couleurs de peau constituent trois couples : hétérosexuel, le début des années 1980, elle s’empare de ce médium pour gay et lesbien. Chaque couple s’embrasse, photographié de attaquer directement la profil sur un fond neutre. société de consommaCe visuel provoque le tion. En 1981, Ronald Si la confrontation peut engendrer scandale dans une sociéReagan – symbole du té où l’homosexualité mauvais acteur hollywoole malaise, elle impose frontalement est reléguée aux marges dien - est élu président et assimilée au virus du des États-Unis, poussant une prise de position. SIDA. Ces trois couples à l’excès une économie mixtes placés sur un libérale. Cette élection même plan réhabilitent interroge sur le contexte social permettant un tel évène- une liberté inaliénable. Usant de supports médiatiques, le ment et souligne la question de la représentation. Kruger collectif cherche l’attention des médias dans la perspective produit l’affiche qui sera réactualisée jusqu’à nos jours : de déclencher un débat. L’affiche titre : « Kissing Doesn’t Kill : « If you are so successful, why do you feel like a fake ? » À greed and Indifference Do ». Par le scandale, Gran Fury crée nouveau, la construction graphique souligne la situation une visibilité pour les communautés atteintes de la malaparadoxale. Président jusqu’en 1985, sa politique conserva- die, individus isolés et ignorés. trice fera éclore de nombreuses manifestations notamment étudiantes contre les discriminations de sexe, de genre, de Ces quelques exemples d’activisme explicitent le lien constant entre l’art et la vie politique et sociale au tournant race mais aussi la guerre du Viêt Nam. des années 1970. Tous provoquent la nécessité d’un choix, d’une position face aux réalités vécues : réaction ou ignorance. Ces artistes infiltrent les médias de masse pour mieux s’en saisir au profit des différentes causes qui remettent en question l’idéal de la société américaine. Cette inscription audacieuse dans leur actualité dénote un engagement profond, où les œuvres produites sont violentes et éphémères. Elles s’inscrivent aussi à contre-courant d’artistes tel que Jeff Koons, qui exploite pleinement les codes de Kissing doesn't kill : greed and indifference do © Gran Fury. représentation de la société de consommation de masse et Embrasser ne tue pas. profite de l’essor que connaît le marché de l’art, grâce à la politique enclenchée avec Reagan. En 1988, le collectif Gran Fury, intimement lié à l’associa- Ces pratiques qui usent du langage inscrit sur des supports tion Act Up, placarde l’affiche Civil War sur les panneaux détournés dans l’espace public interrogent sur la propenpublicitaires des rues new-yorkaises. Cette campagne s’at- sion des mots à imprimer une vision dans la conscience taque à l’ignorance publique face à l’une des plus grandes individuelle et collective. Certains exemples cités renvoient épidémies du SIDA. Elle énonce les quarante-deux mille étrangement à des situations toujours actuelles. Ils personnes mortes du virus sous la présidentielle de Reagan, soulignent la nécessité d’occupations subjectives de dénonçant ainsi la politique de santé. Civil War envahit l’espace public, à l’instar de la colonisation visuelle des les médiums de diffusion des espaces commerciaux : une pouvoirs politiques et économiques. photographie saisit en plan rapproché la ferme poignée de mains qui lie deux hommes en costume. En arrière plan se distingue un gigantesque immeuble évoquant le profit capitaliste, préféré à un engagement social. Au-dessus de la poignée de main apparaît en lettres capitales : « When a government / turns its back on its people, / Is it Civil War ? » À cette question semble répondre le texte inscrit en bas de l’image, telle une légende : « The U.S. Government considers the 47,524 dead from AIDS expendable. Aren’t the « righ » people dying ? Is this medical apartheid ? » Le collectif se compose de onze artistes activistes, tous membres de l’association AIDS. Créant leur logo « silence = death », ils sont les premiers à lutter explicitement contre le SIDA. À l’inverse de Barbara Kruger qui s’approprie des images préexistantes, Gran Fury produit spécifiquement ses visuels.

Œuvre de Guerrilla Girls.

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Dossier


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Hakuna Matata Š Thomas Subtil.


Lettre à toi/

Une envie soudaine de t'écrire pour t’encourager à te retrouver. Souhir Saadaoui – Chargée de communication Photographie de Loïc Mazalrey

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C

hère toi, Si aujourd’hui j’ai décidé de t’écrire, c’est que je ne sais plus comment te joindre. J’ai l’impression que nous avons perdu le contact, j’ai un mal fou à te recevoir, j’ai dû passer sous un tunnel, après ce boulevard, cette statue, cette place, ce rond-point qui portent tous ton nom. Liberté tu es partout et nulle part, indicible et tonitruante, bavarde et spectaculaire, foisonnante et clairsemée, intransigeante et ambivalente, vaporeuse et palpable. Tu surgis quand on ne t’attend plus, tu repars aussitôt, alors même que tu viens d’arriver. Tu es là, mais pas vraiment, en léger différé. Tu es chez toi mais jamais vraiment à ta place. Le laptop sur mes cuisses en tension, j’essaye de te trouver à travers les flux, partout et nulle part, derrière tout, et n’importe quoi. Tu es le postulat de départ et la fin inachevée, scandée, vociférée, parachutée, immolée, transcendée, brûlée. Dans l’hors et l’intérieur, à la périphérie, au centre des débats, dans l’arène et l’hémicycle, en mode antique et en version numérique. Partout on t’écrit, on te scande, tu t’es glissée entre les lignes, emmurée sur les frontons, infiltrée dans les non-dits, poinçonnée, gravée, sculptée, frappée, pixélisée, taguée. Liberté, je t’achète, je te perds, je te chéris, j’écris ton nom, je meurs pour toi, sur scène et dans la vie, sur les plages de Normandie, les tranchées, les prisons, les internats de jeunes filles, tu fais le mur, sur les places des grandes capitales tu te déploies. Je te peins du romantisme au symbolisme, liberté tu work in progress, le long de la Seine, tu déambules en fanfare militaire, ton souffle surgit des océans, des amphithéâtres, des champs de coton, des déserts, des sous-sols ; tu coules dans les veines, jusqu’aux bouches de métro où tu t’engouffres, dans les cœurs où tu palpites. Partout et nulle part, tu t’es incarnée, après que les têtes ont été tombées, te voilà érigée en statut à l’aube du nouveau monde. Liberté, on t’a emprisonnée, d’autorité on t’a dressée ; en murs te protéger, ne pas t’atteindre. Liberté infranchissable.

Que peut-on faire de plus, quand on te sent menacée, quand on porte atteinte à ta raison d’être ? Liberté tout et n’importe quoi, portée comme un enfant, allégorie, parabole, je t’accouche et tu me nourris. Liberté devise, tracts, capitales, way of life, absence de soutien-gorge, liberté french touch, liberté DJ, liberté fond sonore, yaourts, cigarettes, hymne, t-shirt, chanson des Enfoirés. Liberté, je tue pour toi, je défile dans ces rues, ces boulevards, ces avenues qui portent ton nom, ici et là-bas. Liberté, tes enfants des terrasses défilent eux aussi, ils ne savent faire que cela, défiler dans ces rues qui portent ton nom. Que peut-on faire de plus, quand on te sent menacée, quand on porte atteinte à ta raison d’être ? Liberté, tu le sais, on traverse des mers, on fuit les guerres avec l’espoir de vivre sous ta bannière, liberté salvatrice, au compte-goutte, figure de proue des radeaux de fortune, au cas par cas, par milliers, en souffrance, sur les grèves, tu t’échoues. Liberté, tu n’inspires plus, tu n’es plus un modèle, tes enfants te défient, ils ne se reconnaissent pas en toi. Ils te trouvent trop légère, pas assez vêtue, pas assez pudique, dévergondée, effrontée, émancipée. Trop courtes, ou trop longues, tes jupes s’emmêlent, sous nos « je suis », tu perds le Nord quand les dictatures défilent en ton nom. Liberté tu inspires trop de désir, tu deviens hors de prix, inaccessible. Liberté violée, punie, sacrifiée. Liberté te cacher, te voiler, te bâillonner, tu en as trop fait, tu en as trop dit. Liberté surmédiatisée, trop exposée, banalisée, galvaudée, réprimée, priée de circuler, liberté en délit de faciès, liberté en état d’urgence. Liberté universelle et en quête d’identité. Liberté, tu t’essouffles, tu vieillis, tu tournes en rond, tu radotes. Faudrait-il te lifter, te réformer, te repenser, te remonter un peu ce sein ? Liberté tu te caches, tu as honte, tu désespères, tu déprimes, de ta grotte tu nous contemples, tels des Playmobils avec du sang, nos ombres s’agitent dans tous les sens en ton nom. Alors voilà, je t’écris, je me donne cette liberté. 33


L’amour dure trois siècles/

Liberté et Démocratie, un si joli couple se déchirant aujourd’hui en morceaux. Benjamin Lecouturier – Journaliste Photographie de Loïc Mazalrey

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E

lle est là. Seule dans l’ombre du balcon, elle s’accoude à la balustrade en soupirant. Du haut de son perchoir, elle contemple à nouveau le désespérant vide des lieux. D’un pas léger, presque fantôme, elle s’éclipse discrètement, jetant derrière son épaule un dernier regard empli d’une infinie tristesse.

Elle, c’est la Liberté. Et là voilà quittant l’Assemblée nationale, au soir d’un vote impactant la Constitution, et n’ayant réuni qu’une poignée de représentants du peuple. Une colère sourde monte en elle. Il semble qu’elle n’occupe plus une place aussi grande dans le cœur de la Démocratie. Donner la possibilité au peuple d’être représenté par des semblables, quelle que soit leur classe sociale, c’était pourtant alléchant. Terminée, l’omniprésence des puissants issus de la noblesse et du clergé qui prévalait jusque là dans les instances décisionnaires. On était alors au XVIIIème siècle et la Démocratie poussait ses premiers cris en France. Balbutiante, elle était porteuse d’idées nouvelles pleines d’espoirs, qui ont beaucoup plu à la Liberté. Le peuple allait enfin pouvoir s’exprimer, créer, entreprendre, bref, vivre plus librement qu’avant. Quelle révolution ! Cependant, la jeunesse est une période de la vie où l’on commet inévitablement un certain nombre d’erreurs. C’est à ce moment là que la Liberté a perdu ses premières illusions. Patiente, elle a supporté les premières dérives de la Démocratie. Impuissante, elle a vu s’éloigner les grands idéaux des débuts. Car peu à peu, la politique s’est pervertie. Certains ont commencé à s’accrocher à leur siège et aux privilèges qu’il accorde, s’éloignant progressivement de ceux qu’ils étaient censés représenter.

Prostrée là, quelque part, elle doit pleurer à chaudes larmes la déraison grandissante qui s’est emparée de sa vieille compagne. Cette profonde mais fragile histoire d’amour entre la Liberté et la Démocratie a duré près de trois siècles et semble arrivée à un moment charnière. Triste constat, au vu des belles victoires accomplies ensemble. Le suffrage universel, la liberté d’expression, le vote des femmes, la sécurité sociale, l’abolition de la peine de mort, ou plus récemment, l’égalité de tous les citoyens face au mariage civil. Mais pour combien de déceptions ? Les manipulations, les errances, les absences, les mensonges et les fautes morales, n’ont cessé d’émailler leur histoire et semblent avoir eu durablement raison de leur amour. Le pouvoir, l’argent, sont des facteurs qui à haute dose deviennent gravement toxiques et ils ont pris une place trop importante dans cette relation. Ils se sont introduits insidieusement dans les rouages de la Démocratie et ont déréglé au fil du temps cette belle mécanique, s’attaquant aux éléments humains, trop facilement influençables. Les débats s’éloignent de plus en plus du registre idéologique pour servir d’autres intérêts que ceux du peuple. De cette situation naît l’incompréhension qui engendre elle-même du ressentiment et de la déception. Le travail des petits élus ou de députés ayant gardé leur rapport à la réalité est mis à mal et l’on ne se souvient que trop rarement qu’il reste des gens intègres. Alors, bon gré, mal gré, le système continue de fonctionner grâce à cette alchimie bancale, mais il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Si nous citoyens, sommes légitimement déçus par les errances de notre système, on n’ose imaginer la peine immense que ressent la Liberté. Prostrée là, quelque part, elle doit pleurer à chaudes larmes la déraison grandissante qui s’est emparée de sa vieille compagne. Cachée dans les bribes de lucidité d’une Démocratie vieillissante, fatiguée, dépassée, elle restera présente au sein des bases qui assurent encore certaines permissions et droits fondamentaux auxquels il est difficile de toucher. Plantés là, au milieu des milliers de débris issus de leur histoire brisée, nous ne pouvons qu’espérer qu’elles pourront les recoller. Dans l’attente de ce moment, nous devons les aider à se débarrasser de ce qui parasite leur amour, de ce qui freine leur réconciliation. Serons-nous seulement à la hauteur de cette tâche ? Aurons-nous la capacité, par nos réflexions, nos actions, nos votes, de laisser sur le bord de la route les mauvais ressorts et les piètres rouages qui dérèglent la Démocratie ? Cela semble tellement insurmontable... Mais nous leur devons bien ça, nous qui sommes depuis notre naissance nourris de leurs idéaux. Pouvons-nous seulement imaginer vivre autrement ?

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À la croisée du cercle/

Il faut d'abord prendre conscience de ses prisons intérieures avant toute tentative de pseudo-évasion. Pierre Bovet – Libraire Photographie de Loïc Mazalrey

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L

iberté ! Liberté ! Liberté ! Soit. Liberté ! Liberté ! Liberté ! Mais encore ? Au palmarès des mots fourretout, liberté arrive en tête, si bien que le mot en personne demande souvent aux poètes de transmettre aux hommes sa volonté de claquer la porte du langage, de disparaître des bouches et des éditoriaux. Oui, Mesdames et Messieurs, la liberté est malade de l ‘utilisation maladroite que nous faisons d’elle à longueur de journée, alors, je vous l’annonce, la liberté se retire dans un long silence.

Du corps et des entrailles soulagés du narrateur naissent des phrases peintes d’abord par ce nouveaux flux organique et ensuite écrites sur des coins de table, en morceaux, débris crus nés simultanément de son nouveau regard sur le monde et de son rapport sensuel avec celui-ci, c’est en vrai poète que Jean Deichel goûte (et nous avec lui) à la nouveauté jusque-là cachée sous le voile des automatismes et des habitudes du paraître et des clichés. Il ne vit pas, il naît et nous entraîne dans ce mouvement gigantesque de ses entrailles qui saignent parce qu’il accouche de son être tout en assumant les traces que l’enfantement laisse, traces d’enfant du soleil, d’enfant de l’humanité dont nous avons oublié la beauté. Amoureux d’une danseuse de la troupe de Pina Bausch, Jean Deichel touche la vraie vie, celle qu’une liberté mythique et fossilisée nous empêche de toucher : « Chaque geste d’Anna ouvre une brèche, chacun de ses gestes s’aventurent dans le vide ; et vivre c’est ça, me disais-je, c’est exactement ça : un corps qui connaît le vide et s’aventure enfin dans l’existence, il se met enfin à vivre, il s’envole et flotte, loin au-dessus de l’action car il n’y a pas de geste ancien, il n’y a que des gestes nouveaux, d’un geste nouveau s’invente un geste nouveau, d’une pensée nouvelle s’invente une pensée nouvelle vierge de tout préjugé, vers un nouvel espace ».

Soit. C’est mieux non, un monde sans liberté, c’est aussitôt plus familier, n’est-ce pas ? Plus aucune marge d’initiative personnelle, plus aucun acte ne sort de la grande et bruyante gestuelle mondiale, welcome dans le monde binaire, c’est cela ou cela et c’est tout ! Et si vous n’êtes pas d’accord, vous n’êtes pas moderne, vous ne vivez pas avec votre époque. Après cela, étonnons-nous que le verbe se fâche de nos indignités très dociles. La liberté exigerait-elle de nous des rebelles ? non ; des vivants, juste des vivants. Dans la longue liste de romans qui illustrent la liberté, je reviens souvent à celui de Yannick Haenel, Cercle, et la raison de mon choix se fonde sur un principe simple, celui d’une liberté qui commence d’abord par prendre conscience de ses prisons intérieures avant toute tentative de pseudo-évasion. Arthur Rimbaud, en bon mystique contrarié, écrivait : « Nous ne sommes pas au monde, la vraie vie est absente, il ne s’agit pas de fuir, mais de trouver le lien et la formule. » D’emblée, Yannick Haenel trace d’une main fragile et honnête le périmètre d’un cercle qu’il ne dépassera pas : créer un personnage qui opére dans son intimité un changement de vie sans se dissoudre ni se meurtrir dans d’ennuyeuses enjambées de pseudo-aventurier via des horizons lointains ou paradis artificiels.

Liberté ! Liberté ! c’est naître sans cesse. Le narrateur en son for intérieur se rénove, il est capable de voir au fur et à mesure sans filtres mensongers : « Je regardais distraitement Notre-Dame, avec son air de monstre royal. Je me disais : un trône. Notre-Dame est un trône à ciel ouvert, un trône de pierre. Et qui s’assied dessus ? La Vierge Marie ? Après tout, c’est à elle qu’est dédiée la cathédrale. Elle est partout là-dedans, elle y vient en souffle : c’est ce corps féminin que j’aime

Libre, ce n'est pas fuir, c’est éprouver sa naissance dans l’amour les uns avec les autres. dans Notre-Dame, ce corps lourd qui s’élance au ciel, troué de lumières rouges et bleues. Une dame ouverte en l’air qui se laisse traverser par le temps. »

Non, rien de cela. Il opére un changement radical mais il reste et c’est justement parce qu’il reste, lucide et conscient, qu’il ne fuit pas en victime dépressive de la société, que Jean Deichel, c‘est son nom, devient corps et âme, le lien et la formule – odyssée de sa quête, en sous-main la nôtre : vivre une existence absolue. Un jour, à 8h07, son désir de liberté se manifeste par une phrase qui le sollicite et qui l’engagera tout entier à désobéir enfin… C’est maintenant qu’il faut reprendre vie. Il y avait une lumière nouvelle dans les arbres, du vert partout, du bleu, et ce vent léger où flottaient les désirs. J’ignore d’où venait cette phrase mais elle glissait dans ma tête. Aussitôt, il y eut une série d’étincelles autour de ma tête, puis la phrase s’est enroulée autour de mes épaules en y traçant des lignes rouges, oranges, jaunes ; elle a cheminé le long de mon bras, lentement, jusqu’à ma main et s’est gorgée d’un sang bleu-noir c’est ainsi que le livre a commencé à s’écrire. Dès lors, la vie si longtemps flouée par la tromperie intime propre à nous tous soudain gicle, par alternance telle une source à travers les mottes de terre qui l’obstruaient.

Le texte, les fibres, les mots de Yannick Haenel deviennent notre écho, une reconnaissance secrète s’opére, le livre sait de nous ce que nous ne savons pas encore. Verbe-chair. L’odyssée devient contagieuse, et soudain la liberté semble moins honteuse de transiter par nos voix, par nos corps parce qu’un spasme d’honnête motivation la rend viable, incarnée. Un semblant de liberté, c’est sans doute l’usage de soi ailleurs que dans les distractions étourdissantes qui nous occupe, ailleurs que la célèbre origine qui nous rend frères humains ; le lien et la formule. Libre, ce n’est pas fuir, c’est éprouver sa naissance dans l’amour les uns avec les autres, c’est admettre nos si nombreuses similitudes. Liberté ! Liberté ! Vous entendez le bruissement musculaire du mot qui soudain revient ? 37




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Hakuna Matata Š Thomas Subtil.


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Claire Diterzi/ La viscérale

Elle prend la contre-allée, à rebours des évidences. Entre la danse et le rock, les arts visuels et la chanson, elle construit des ponts, s’ingéniant à nous emmener là où on ne l’attend pas. Cette enfant du punk plonge toujours en avant, appuie là où ça lui fait mal pour mieux nous livrer son cœur à vif, vivant.

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Claire Diterzi © Micky Clément.


Les chansons sont des formats courts et précieux, des mathématiques, une équation sublime.

Quel est votre parcours ? J’ai commencé par faire du rock alternatif dans un groupe, à l’adolescence. Ça a duré neuf ans. Comme beaucoup d’auteurs-compositeurs, je me sentais à l’étroit, j’avais le désir d’être le seul commandant à bord. Ça a été perçu par les autres comme un problème d’ego mais pour moi, il s’agissait plutôt d’une prise de risque. J’avais envie de repousser mes limites. Ce n’était pas faisable dans un groupe où tout le monde compose et chante. Il n’y avait pas de leader, c’était tabou. Mais être confrontée à moi-même, comme artiste, était un besoin viscéral. Ma vie est faite d’émotions extrêmes, de rencontres, de ruptures. Quand on a une grande gueule, il y a des portes qui se ferment. Ce n’est pas parce qu’on a un groupe que ça doit durer toute la vie, c’est un fantasme d’adolescent.

Est-ce votre façon d’être libre ? La liberté, ça ne veut pas dire grandchose. Devenir libre, ça m’a rendue complètement seule, ça m’a enterrée vivante. Aujourd’hui, j’ai monté ma propre structure pour l’enregistrement, l’édition, le fonctionnement administratif. Le milieu de la chanson est une organisation marchande qui prône la rentabilité, mais ce modèle de production et de diffusion des artistes est périmé. Il y a une espèce de congestion, un étiquetage des choses et des valeurs qui bride tout le monde. Et puis, comme le contexte économique est épouvantable, les gens ont peur.

De quoi les gens auraient-ils peur ? Il faut entretenir la curiosité du public mais les diffuseurs prennent de moins en moins de risques. Je ne comprends pas qu’un chanteur doive être connu pour remplir une salle. Il faut que

Claire Diterzi © Micky Clément.

le public soit aussi prêt à se laisser surprendre par des musiciens, comme c’est le cas pour le théâtre ou la danse. Mes propositions artistiques vont toujours dans le sens du risque et de la liberté, d’où cette phrase de Cocteau qui est dans mon Journal d’une création : « La délicatesse dans l’audace, c’est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin. »

Est-ce que vous faites de la chanson contemporaine ? Absolument. J’ai la folie d’oser. On est dans une période de bouleversements, beaucoup d’artistes prennent des risques, mais la chanson est mal vue, elle 44

est considérée comme de la sous-poésie, du sous-théâtre. Pourquoi un clip, ce serait du sous-cinéma ? Pourquoi le système marketing entretient-il l’idée que la chanson est vulgaire, uniquement bonne à remplir des salles ? Ces question, je les pose avec mes spectacles : ils sont littéraires, théâtraux et en même temps divertissants. La France est un pays qui a de l’argent pour cautionner ce genre d’audace. Un bon artiste est fait pour déranger, il doit faire chier. Finalement, il y a très peu de vrais artistes, des gens pour qui tout est question de vie ou de mort. Si je reçois une mauvaise nouvelle, pendant deux jours, j’ai sincèrement envie de mourir. Un artiste est toujours au bord d’un gouffre.


~ musique ~ prendre le temps de se connaître. C’est le contraire du show-biz qui méprise les artistes. Tout le monde espérait que ça allait marcher pour moi, que j’allais vendre. Ça ne se passe pas comme ça : ça marche, mais là où on ne m’attend pas. C’est ce qui fait ma force.

N'y a-t-il plus de goût pour l’art au sein de l’industrie du disque ? Il y en a mais c’est rare car les labels manquent de moyens, c’est antinomique avec un système qui préfère des artistes manipulables.

Êtes-vous restée punk ?

Claire Diterzi © Micky Clément.

Que faites-vous pour ne pas tomber dans le gouffre ? Ce pour quoi je me tape la tête contre les murs, ce qui me donne envie de me battre, c’est ce clivage entre les disciplines. Je ne vois pas la différence entre la danse, le théâtre, le cinéma, la littérature, entre les styles musicaux. J’essaie juste de faire des chansons de qualité qui posent question, ça n’a rien à voir avec le fait de vendre des disques. Tout ça me met la rage, on a cinquante ans de retard sur la culture. Les gens qui disent : « C’est pas mon truc, moi je suis plutôt jazz. »… Qu’ils aillent se faire enculer ! Moi, je bosse avec tout : viole de gambe et guitare électrique. Pourquoi devraisje me cantonner à une discipline parce qu’on m’a étiquetée chanteuse ? La chanson est mon outil. Tout le monde fait des chansons, ça a l’air facile, mais ce format court est précieux. Ce sont des mathématiques, une équation sublime. Une bonne chanson, c’est l’équivalent d’au moins trente jours de travail.

rencontrant des œuvres d’art que je me prends des tartes dans la gueule, comme avec Rodrigo García. C’est comme ça que je fais mes disques, en réaction à quelque chose qui m’a marquée. Pour Tableau de chasse, je me suis ruinée en reproductions, en allant au musée. Je m’en suis procurée une de mauvaise qualité de La Danaïde de Rodin sur Internet mais je pouvais la toucher. Au musée, elle était sous verre, j’étais folle. Je me vois comme une éponge. Je me gonfle de partout et après, j’essore. J’ai appelé mon disque 69 battements par minute parce que j’ai enfin compris ça. Tu sèmes, tu récoltes… C’est sensuel, organique. C’est ça, une carrière : chercher,

Oui ! Mais je ne suis pas dans l’autodestruction. Pour durer, il faut être pragmatique, d’autant plus que je suis une femme. La chanteuse est un objet de fantasmes, surtout quand elle cumule beauté et talent. Par contre, après quarante ans, on sent dans le regard des hommes qu’elle est un peu tapée. Pourtant, ce qui est intéressant, c’est la durée. Je ne sais pas où je vais mais j’ai l’impression d’avoir la vie devant moi. Ce n’est pas le cas des gens dans le milieu du disque.

N’avez-vous plus rien à prouver ? Si, mais plus à moi-même. C’est toujours un challenge de faire ce métier mais je connais ma valeur. Le problème des gens célèbres, c’est qu’on attend d’eux qu’ils refassent la même chose. Il n’y a rien d’authentique, ils sont en face de gens qui vivent par procuration. La vraie liberté, c’est de pouvoir rester créatif.

Au bout de trente ans de carrière, pouvez-vous dire ce qui fait l’unité de votre œuvre ? Mon fil conducteur, c’est cette question de vie ou de mort. Comme disait Deleuze, on rencontre des choses avant de rencontrer des gens. C’est en

Claire Diterzi © Micky Clément.

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Propos recueillis par Karine Daviet.


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Ibrahim Maalouf/ Le renouveau

Inventeur de son, il a su ne pas oublier son héritage, le prendre à bras le corps pour se l’approprier et livrer aujourd’hui une musique empreinte de l’histoire du monde et résolument tournée vers l’avenir. Improviser avec la vie, c’est toute la générosité virtuose de ce musicien qui est en train de marquer son temps.

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Ibrahim Maalouf © Denis Rouvre.


Improviser en groupe, c’est l’art de se mettre d’accord malgré toutes les différences culturelles.

que l’improvisation est une énorme leçon de vie. La situation géopolitique de cette région est très complexe, les enjeux sont trop énormes et nous dépassent complètement.

Vous avez un rôle bien au-delà de l’instrument, de la musique, c’est un rôle dans la société auquel vous tenez. Fait-il partie de l’ADN de ce que vous êtes ?

Ibrahim Maalouf © Denis Rouvre.

Comment expliquer la popularité de votre musique qui est un mélange de jazz et de musique arabe ? Dans mon travail il y a certaines choses qui sont très populaires, et d’autres choses qui sont plus spécifiques. Je ne me cantonne pas à un style, à une couleur ou à un public. Lorsqu'on aime l’art, on aime tous les arts. Quand les spectateurs viennent voir mes concerts, ils ne savent pas ce qu’ils vont entendre, ils me font confiance parce qu’il y a un rapport humain qui s’est créé entre nous. Au début du spectacle je fais un travail pédagogique, j’explique la trame du concert, j’aime donner du sens. Je pense que l’enthousiasme et la résonance de mon travail se situent plus dans le rapport que j’ai avec le public que dans le rapport musical. J’adore la musique populaire comme toutes les musiques. Comme pour les êtres humains, il faut mettre tout le monde au même niveau de respect,

c’est cela la société. Dans l’art, il ne faut pas avoir des jugements de valeur.

Votre famille a dû s’exiler du Liban, c’est sans doute quelque chose qui a forgé votre identité, comment le portez-vous dans votre vie ? C’est un sujet qui est très compliqué. Je me sens autant Libanais que Français. Artistiquement, je m’inspire de mon côté arabe comme de mon côté occidental. J’ai beaucoup de tendresse pour le Liban et en même temps je ressens une grande frustration de ne pas pouvoir faire quelque chose. Même si la population libanaise a prouvé qu’elle est capable de survivre au milieu du chaos. Depuis deux ans, je vais régulièrement donner des cours dans un collège au Liban, j’enseigne l’improvisation, c’est ma contribution à la vie sociale libanaise... si cela peut aider des jeunes à se sentir libre. Je pense 48

Pour moi, c’est un engagement au long terme. J’adore la trompette, je suis fou de musique, mais j’ai découvert que ma passion est l’enseignement de l’improvisation. Enseigner est une manière de continuer d’apprendre. Nos parents nous apprennent les rudiments de la vie, notre apprentissage se poursuit dans le milieu scolaire. On a vécu toute cette vie en étant nourri de ce que les autres nous donnent, à un moment on est lâché dans notre vie et on devrait garder toutes nos connaissances pour nous ? Non. Pour moi, la manière la plus saine de poursuivre cet enseignement est de faire passer aux jeunes les choses que l’on maîtrise et que l’on aime. Je tiens à la liberté de création ; ma passion est de transmettre cet amour de la liberté.

Que serait votre définition de l’improvisation ? Improviser, c’est réussir à trouver un dénominateur commun. La liberté de créer quelque chose artistiquement en étant entouré de gens, c’est l’art de trouver les choses qui vont nous faire dialoguer ensemble. La liberté existe parce qu’il y a un dialogue. Improviser en groupe, c’est l’art de se mettre d’accord malgré toutes les différences culturelles, de langage, de niveau, d’âge et de génération. Il faut réussir à créer ensemble. C’est exactement la même alchimie lors des concerts.


~ musique ~ Pourrait-on vous prêter l’invention d’un nouveau son avec la trompette ? Je rebondis sur l’invention de mon père et j’en fais quelque chose de personnel. Il a inventé une manière de jouer de la trompette de la même manière que l’on chante le chant arabe. C’est l’écart de ton possible sur une trompette, mais en réalité, c’est plutôt la manière de jouer. Il joue comme il chante. J’ai pris des cours avec lui pendant longtemps, il m’a appris tout ce qu’il savait faire, et il m’a poussé à aller plus loin que lui en termes de technique et de performance. Toute mon enfance, j’ai composé et créé puis j’ai rencontré des gens qui m’ont encouragé et m’ont donné confiance. Je suis en perpétuelle recherche de quelque chose.

Ce n’est pas commun de jouer d’un instrument comme la trompette et d’avoir une notoriété qui peut se comparer à un chanteur de variété ou de pop rock. Qu’en pensez-vous ? Cela fait des années que je me bats pour la reconnaissance de la musique instrumentale. Quand j’ai eu les Victoires de la Musique en 2014, c’était la première fois en trente ans que ce prix récompensait un projet instrumental. J’espère que nous serons nombreux à imposer la musique instrumentale comme une musique intelligible et compréhensible par les gens. À nous de faire de la musique qui ait une facilité d’écoute.

Cette reconnaissance est-elle importante pour vous ? Ce qui me fait plaisir, c’est de sentir l’énergie des gens qui viennent à mes concerts. Pendant très longtemps j’ai fait des concerts devant trente personnes, j’aurais pu me décourager, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont énormément encouragé, soutenu et donné confiance dans ce que je faisais. J’étais prêt à gravir toutes les montagnes pour que les gens comprennent ma musique. Maintenant, voir que l’on comprend ce que je fais me donne des ailes. J’ai envie d’aller plus loin, j’ai envie de surprendre, j’ai envie de faire des surprises, de faire des albums complétement fous. Je ne pense pas au côté

Ibrahim Maalouf © Denis Rouvre.

postérité, car cela donne l’impression d’être arrivé et empêche de continuer à avancer. Je suis en perpétuelle recherche de nouvelles idées et c’est un vrai moteur.

Vous pouvez imaginer où vous serez et ce que vous serez dans dix ans ? Absolument pas. J’ai envie de faire tellement de chose. Je travaille sur plusieurs musiques de films, je vais collaborer avec plusieurs artistes pour réaliser des albums, je fais des créations avec des compagnies de danse... On fait plusieurs concerts assez forts pour fêter les dix ans de live notamment un à Bercy ; le dernier instrumentiste qui a fait Bercy c’était Miles Davis en 1984. Il y a énormément de projets qui sont en cours. Au début, personne ne vou49

lait de mon album, la création du label s’est donc imposée. Aujourd’hui nous sommes indépendants et cela fonctionne très bien.

Quelle est la question idéale que l’on pourrait vous poser ? « Que représente la liberté pour moi ? ». Ma réponse idéale est « la vie ». J’aime l’idée que l’art soit un carnet et pas juste incarné. Avec un carnet, on fait passer les pages les unes après les autres, et elles ne sont pas obligatoirement en lien les unes avec les autres. Pour moi, l’art c’est remettre en question en permanence la structure des choses, des idées, des certitudes, c’est savoir mettre les choses en relief parfois avec un élément en plus, qui d’un seul coup révèle l’entièreté d’une idée.


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Constance Larrieu/ La persévérante

Elle est la femme combattante qui construit des ponts, ceux qui lient le théâtre et la musique, le corps de l'acteur et le souffle du musicien, le texte et le rythme, le fond et la forme... Elle travaille sans cesse avec rigueur mais fantaisie. Elle est une lumière résolument féminine de la scène francophone.

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Constance Larrieu © Éric Girauldon.


C’est par la distance que l’on peut toucher les gens, le son peut être un vecteur d’émotion.

Comment êtes-vous arrivée au théâtre ? J’ai grandi dans une famille de musiciens. Très jeune, je voulais faire du violon mais mes parents sont reconnus dans ce milieu alors j’avais envie de m’en démarquer. J’ai toujours eu envie de réunir le rythme, la musicalité, tout en pouvant raconter quelque chose d’une manière qui soit la plus expressive possible. C’est cette envie de raconter des choses qui m’a amenée au théâtre. J’ai fait partie d’une équipe d’improvisation au centre de pratique musicale d’Annecy. Puis j’ai fait l’option théâtre au lycée Charles Baudelaire avec Dominique Oriol. C’est une rencontre qui m’a ouverte au théâtre contemporain et qui m'a fait découvrir des auteurs sur lesquels j’ai eu envie de travailler comme Sarah Kane, Heiner Muller ou Bernard-Marie Koltès. En parallèle, j’ai continué ma formation musicale et après le bac, j’ai décidé de faire une école d’acteur. J’étais déjà intéressée par la mise en scène mais je voulais avoir une formation de comédienne, éprouver moi-même les choses pour être apte à diriger les gens et comprendre ce qu’être sur un plateau veut dire. Je suis donc entrée à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes, puis j’ai été, à ma sortie d’école, engagée auprès de Ludovic Lagarde, Olivier Cadiot et Laurent Poitreneaux comme comédienne dans l’équipe permanente de la Comédie de Reims. Par la suite, j’ai rencontré Didier Girauldon qui est, comme moi, metteur en scène et comédien et avec qui j'ai décidé de collaborer sur plusieurs projets. C’est une belle rencontre artistique, nous sommes très différents mais nous nous complétons. Aujourd’hui, je pense faire des spectacles très féminins, et il est sans doute l’œil masculin dont j’ai besoin

La fonction de l'orgasme, Constance Larrieu © Éric Girauldon.

et vice-versa. Je m’interroge beaucoup sur la question du féminisme ; les femmes qui sont moins représentées dans la culture, par exemple. Comment peut-on continuer à résister, tout en faisant des spectacles sensibles qui ne soient pas juste un coup de poing politique mais une recherche du politique dans le poétique ? 52

La musique reste-t-elle indissociable de votre travail au théâtre ? Petite, je voulais être chanteuse d’opéra, car c’est l’art qui allie au mieux le théâtre et la musique ; aujourd’hui, je mets en scène des opéras. Je travaille énormément avec des musiciens, ma démarche de comédienne et de metteure en


~ théâtre ~ scène est toujours liée à la musique : soit par le choix des auteurs que j’ai envie de monter, soit par des écritures sur lesquelles j’ai envie de travailler. Je collabore avec des ensembles en tant que metteure en scène, comédienne ou violoniste sur des concerts, essentiellement de musique baroque, de musique contemporaine ou de la poésie sonore. Mon approche se rejoint sur un point, je travaille la musicalité du texte et la manière de le rythmer. Cela exige un travail toujours très précis sur la conscience du corps. Comment s’inscrit la précision d’un rythme, à la fois dans le débit de parole, dans les changements, dans les modulations de la voix ou encore dans l’utilisation de l’amplitude vocale ? Ce n’est pas quelque chose que l’on utilise beaucoup en France ; de par la musicalité de la langue, c’est plus facile avec l’anglais ou avec l’italien. J’essaie de chercher une diction qui ne soit pas une diction réaliste, ce qui ne veut pas dire que je vais me mettre à parler d’une manière bizarre ou théâtrale. J’ai lu beaucoup d'ouvrages sur le théâtre baroque. Au XVIIIème siècle, on utilisait une amplitude vocale qui était très différente de celle que l’on utilise à présent. Les femmes allaient du suraiguë au grave dans une même phrase. Je pense que c’est par la distance que l’on peut toucher les gens ; le son peut être un vecteur d’émotion chez le spectateur. Comme le disait Sarah Kane, « le fond c’est la forme. » Donc, quand on va au plus près de la forme, on sera au plus près du fond.

Quel rôle joue la transmission dans votre parcours ? Je suis très curieuse de découvrir de nouvelles manières de travailler. On me demande souvent quel rôle je voudrais jouer dans ma vie, mais je n’ai pas envie de jouer tel ou tel rôle. Par contre, j’ai envie de travailler sur certaines écritures, avec certains metteurs en scène pour des raisons de forme et de poétique, que ce soit la poétique d’écriture ou la poétique d’une écriture de plateau. J’aime les metteurs en scène qui s’intéressent à la musique et qui sont près du travail de l’acteur. Par ailleurs, je pense que la transmission est essentielle. Depuis des années, j’anime des ateliers dans plusieurs théâtres (Les Amandiers, La Comédie de

La fonction de l'orgasme, Constance Larrieu © Éric Girauldon.

Reims...) ou dans des lycées, et je donne aussi des masterclass pour l'interprétation théâtrale des chanteurs dans des conservatoires ou opéras. Le théâtre a encore une mission sociale, d’épanouissement personnel et d’épanouissement collectif. Il permet aux gens d’aller au-delà de leur timidité et de s’exprimer en public, ce qui est important dans tous les métiers. En tant que metteure en scène, j’essaie de ne pas être pédagogue, car je ne veux pas me placer dans un rapport de supériorité. J’effectue énormément de recherches, je m’inspire des plasticiens, des expositions que je vais voir, des concerts, des partitions. Je ne demande pas aux acteurs d’improviser. Je me place plutôt en compositeur qu’en pédagogue.

Être metteur en scène au théâtre est-il similaire au fait d’être metteur en scène à l’opéra ? Non, car les modes de production sont très différents. Pour un opéra, il faut être dans l’efficacité. Les chanteurs d’opéra ne sont pas tous des acteurs, mais j’essaie de les considérer comme tels. Au théâtre il y a plus la possibilité d'improviser, d'inventer en direct ou de laisser les acteurs proposer avant de fixer les choses.

Quel type de jeu cherchez-vous ? Avec le public j’essaie d’être simple, directe, sincère et sensible. J’aime parler au public. Je cherche un jeu sincère, 53

j’essaie de ne pas fabriquer, de sentir ce qui se passe dans mon corps. Si je dois pleurer dans une scène, je ne serai pas du tout dans un travail psychologique ; je vais chercher de quelle manière lâcher mon diaphragme, comprendre comment fonctionne mon corps et par quels moyens je vais pouvoir reproduire cette chose-là. Ce sera forcément sincère puisqu’il s’agira de mon corps au moment présent. Dans mon spectacle La Fonction de l’orgasme, ce qui m'intéresse c'est de pouvoir m'adresser frontalement aux spectateurs, sans quatrième mur. Je veux être au plus proche des gens.

Quels sont les limites de la liberté de votre métier ? Les sujets qu’on aborde au théâtre doivent avoir une valeur sociale. Je ne suis pas dans la narration, je ne raconte pas une belle histoire, j’ai besoin de transmettre quelque chose : pas une morale, mais une matière à réflexion. Sur scène, c’est un devoir de parler des sujets auxquels on n'accorderait pas forcément assez d'attention parce que parfois tabous ou anodins, alors qu'en réalité, ils sont fondamentaux. Le théâtre, c'est aussi apprendre à regarder mieux ou autrement le réel, c'est donner à voir l'invisible. Foucault dit « Pourquoi la sexualité fait peur ? Car c’est la seule chose qui fait qu’on est au plus près de notre vérité. » La liberté que l’on a dans ce métier est indissociable d’un devoir d’apporter des choses importantes à la scène.


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Pippo Delbono/ L’instinctif

Une des figures les plus importantes de la scène théâtrale contemporaine, il est un démiurge, un génie, un maître mais surtout un humaniste qui s’offre au monde dans ses créations.

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Pippo Delbono © Luca Del Pia.


Il faut être attentif pour comprendre qu’il existe d’autres façons de regarder la beauté.

Quelles sont vos principales influences artistiques ? Pina Bausch m’a énormément encouragé, nous étions très amis. C’est une artiste qui a tracé sa voie en suivant son intuition, elle a complètement déstructuré la narration. D’autres ont suivi le même chemin ; elle a beaucoup inspiré. En littérature, je suis marqué par des poètes comme Antonin Artaud ou Arthur Rimbaud – des visionnaires qui mêlaient une extrême lucidité et une douce folie.

La folie vous inspire-t-elle ? La folie peut amener la souffrance. Ce qui est intéressant c’est qu’il y a en elle de la contradiction, des détails, il est possible de voir mille couleurs pour une chose. On ne peut pas voir l’espoir avec des couleurs simplifiées comme on ne peut pas faire de théâtre sans texte. Les paroles prononcées par des personnes vont parler à tous, à des analphabètes, à des gitans, à des africains qui vont mourir en mer, à des gens qui parlent arabe, à des êtres humains, sans qu’il n’y ait d’ancrage sur un territoire. C’est en cela que la parole est universelle.

Vangelo, Pippo Delbono © Luca Del Pia.

Le théâtre est-il un acte politique et social ? Tout ce que l’on fait est évidemment politique et social mais aussi spirituel. Il faut être dans le présent et savoir écouter les maux de son temps. Mon théâtre et mon cinéma sont là, ici et maintenant. Ils peuvent dire des vérités qui font peur, mais la parole caractéristique de mon art est la vérité, c’est la conscience.

Êtes-vous quelqu’un de polémique ? Je ne suis pas polémique pour être polémique, mais pour être lucide. En France, il y a évidemment des problèmes, mais ce pays a la capacité de créer des zones de culture ouvertes. Par exemple, mon cinéma a reçu des prix remis par des auteurs, des personnes suivent mon parcours de liberté. En Italie, c’est beaucoup plus complexe. Les théâtres sont de plus en plus fermés, l’art est enfermé dans des zones de médiocrité.

Cette période de troubles ne serait-elle pas bénéfique pour les créateurs ? En Italie, il y a beaucoup de personnes qui font des choses. Le problème vient des producteurs et des diffuseurs car peu prennent le risque de programmer des créations sans avoir de garanties. Ils veulent savoir par avance combien il y aura de spectateurs ou combien d’argent ils pourront gagner. C’est une maladie totale. Vangelo, Pippo Delbono © Luca Del Pia. 56


~ théâtre ~

Vangelo, Pippo Delbono © Luca Del Pia.

Êtes-vous contre les idées ? L’idée est un concept plutôt important, elle ouvre la sensibilité mais nous ne pouvons pas la diriger. Dès que l’on nomme une idée, elle commence déjà à mourir. Il faut rester totalement ouvert à la vie pour avoir des possibilités que l’on n’imagine même pas. L’art se rapproche de l’univers, du mystère. C’est pouvoir se mettre dans un lieu dont on ne sait rien, c’est aussi pouvoir se reconnecter avec l’histoire du monde. Il faut lancer le désir le plus loin possible de façon à ce que le jeu nous accompagne jusqu’à la mort pour qu’il puisse dépasser notre culture, notre profession, nos références. Je n’appelle plus cela l’idée mais l’illumination, l’intuition de quelque chose de plus grand.

Quel est votre rapport au corps ? Le corps porte en lui une vérité différente, importante et profonde. J’ai besoin de lui dans mon travail. Quand je vois Bobo, acteur sourd et muet, qui ne peut parler qu’au travers de gestes, de détails, je trouve cela extraordinaire. Sa façon de communiquer est la seule possibilité pour lui donc chaque petit détail

devient fondamental. Le geste est nécessaire, il devient poétique mais ne suit pas forcément une logique. Il faut être attentif pour comprendre qu’il existe d’autres façons de regarder la beauté.

vérité de construction. La musique est une partie vitale de mes créations.

Votre travail suit-il un rythme ?

Je ne vois pas la morale du corps dans la religion, elle a trop divisé l’esprit et le corps. La religion est une projection de l’esprit, pas du corps. Même si parfois je m’arrête un peu, je pratique le bouddhisme depuis des années. Il me permet de me mettre à l’écoute de l’univers, de l’inconnu. C’est en soi que l’on trouve la chose que les hommes, les femmes et les enfants possèdent : l’art. C’est un bien fragile qui peut nous apporter des réponses.

Le rythme est fondamental, tout est question de rythme. L’univers, le soleil sont autant de rythmes. Après tout, qu’est-ce que l’art ? Quelle est sa musique ? Quand je crée un spectacle, je dois trouver son rythme, sinon je suis perdu. Le rythme n’est pas seulement musical, il est aussi lié aux images, aux couleurs, aux mouvements des corps, aux paroles et au public. Tout est dans la composition, comme un orchestre, pour arriver à un équilibre. Quand tu es dans un rythme, tu te perds, tu t’abandonnes, tu es aussi avec les autres. J’ai besoin des autres pour voir un film, pour vivre le théâtre.

Comment définiriez-vous votre relation avec la musique ?

Quel serait le bruit correspondant à votre processus de création ?

J’ai une relation charnelle avec la musique, elle me parle. J’ai fait toutes sortes de concerts, chantant de la pop, de la musique traditionnelle ou jouant de la guitare. Quand je chante, je suis dans un rythme, un tempo, dans une

Pour moi le bruit c’est le silence ; le silence est comme une page vide. J’aimerais faire un spectacle ou un film tout en silence comme une mélodie qui plongerait le spectateur dans un silence musical.

Existe-t-il une morale du corps dans la religion ?

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Raconter


Ndoto © Thomas Subtil.


Raisonnement au bar du poète qui va (très) mal/ Najet Youssef-Aïssa Photographie de Julien Chevallier

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~ nouvelle ~

J

’ai fait de mon mieux. Faire de son mieux, c’est se débattre dans des limites conceptuelles arbitrairement fixées sur le terrain fangeux de sa psyché par le vieillard en soi, mais je vous assure que j’ai fait de mon mieux. Il n’a pas été question de me comporter comme si rien n’avait eu lieu. Au contraire, j’ai embrassé chaque composante de ce pan de vie, lui ai attribué un nom, quelques adjectifs pour rendre hommage à ses nuances de gris et de bleu et, bien entendu, une fonction. « Écouter cette tristesse pour qu’elle parte gentiment en laissant quelque chose », j’ai entendu, une fois. Je suppose que ce quelque chose était censé avoir une certaine valeur. Restait à l’identifier. Alors j’ai écouté tout ce qui se présentait à moi. La fange, oui, mais aussi les bourrasques, les avalanches, les inévitables traversées d’abîmes, les coquetteries désespérantes des astres qui se cachent encore au commencement de l’été ; le vacarme continu des marteaux-piqueurs qui remodèlent la ville chaque jour ; le rire gras des meutes de touristes sur des places qui sont sublimes, vides ; et même quand on a tenté de me distraire, pour mon bien, parce que c’étaient des compagnons de route qui parlaient, j’ai osé pleurer. Parfois intérieurement, certes, mais ce n’était pas moins courageux. Ils me racontaient que le corps avait lui aussi ses raisons ; que toute émotion était l’une de ses confidences, et qu’une confidence du moins s’écoute. Alors oui, j’ai écouté.

Mais assez rapidement, je me consolai au contact de la Beauté, puis de la beauté de la Beauté, due à sa fascinante insolence d’être malgré tout. Le vertige en devint vertueux, prometteur, productif. Je me remis en selle, enfin ; multipliai les nouvelles conquêtes, les destinations inédites ; prévins la levée des vents ; emménageai dans un nouvel appartement que je meublai à mon goût ; orchestrai des repas familiaux ; et me forgeai une armure à la mesure de mes ambitions : guérir et réussir. J’étais fier, résistant, avide, drôle, doux, ma séduction scintillait, mon magnétisme se prolongeait en nuées chauffantes ; je fus promu, au travail comme au bar. Cela donna quelques bonnes années de galopades, durant lesquelles j’avais suivi le cours du long fleuve, éradiquant toute contradiction, évitant bravement de me cloîtrer dans le trou comme je vous l’ai dit, découvrant des reflets insoupçonnables de ma vie qui, jusque-là, il faut bien le reconnaître, avait été affreusement limitée. Et me voilà pourtant à la même station. Celle de « la fin qui n’en finit pas d’en finir ». L’Orient en moi ne comprend pas. Le fleuve n’aurait-il été qu’une mare ? Les joyeusetés dans l’enceinte de ma chambre, une illusion ? Mes succès, les grâces cessibles, les désordres fort souhaitables lorsqu’il faut rompre avec l’inertie… En ai-je trop fait ou pas assez ? Je ne crois pas avoir menti, à qui que ce fût, lorsque je disais que j’escortais volontiers tout ce qui m’escortait. Maintenant, mon armure est posée sur la table, et je demande : est-elle trop petite ? Trop grande ? Obsolète ? Et personne n’est foutu de répondre, les joyeusetés s’en sont allées, attirées par des charismes plus stables. Les deux cornes d’abondance qui ornaient mon heaume se sont rabattues. Mon lieu de vie n’attend plus rien de moi, ses murs dressés me contemplent gentiment. Oui, voilà, tout est profondément gentil. Nous y sommes, c’était peut-être à cela que je devais en venir, cela que la tristesse tentait désespérément de me laisser. Moi-même. Le formidable moi-même ! Moi-même qui vais, dans ce cas, dessiner les plans d’un néovillage, prendre des cours de langue morte, exhorter la rébellion politique des mous, tous quartiers confondus de la capitale, et sans doute déménager dans un autre pays, pour refuser une dernière fois le dépouillement. Maintenant, veuillez tourner cette putain de page, s’il vous plaît. J’ai habituellement de l’humour, je crée des jeux de mots plus idiots les uns que les autres et cela fonctionne plutôt bien, je manie finement l’ironie, mais nous verrons cela plus tard.

Sur le trajet jusqu’ici, j’ai même identifié qu’en réalité on ne subit rien. Ça ne vous plaira pas, mais le coup porté n’est violent que par le souvenir tenace d’avoir été frappé, voilà la vérité. J’ai entendu aussi : « Mais qu’est-ce que tu racontes ? Perdre un enfant, un proche, voir ta famille mourir, par exemple… C’est pas subir, ça ? Comment peux-tu dire une chose pareille ?! ». Je disais une chose pareille parce que je connaissais, moi, le pouvoir de la conscience qui se rend si disponible à se cloîtrer dans un trou. Ne pas subir la chose ne signifiait pas y résister, mais la laisser être, l’accompagner comme on accompagne un camarade – trouvez-moi une tâche plus ardue que celle-là et je ferme ma gueule sur-le-champ. Je pensais y être parvenu. Lorsqu’elle quitta la maison, je ne cherchai pas à la rattraper. Ni elle, ni les inverses ravissants de la solitude qu’elle m’avait offerts. J’avais compris. Nous étions arrivés à une fin. Les jours suivants, il est vrai, j’en oubliai que la fin est une invention occidentale, tant elle était dure à traverser.

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L’auditoire/ Yannick Bouquard Œuvre, Erwann Merzekane - Photographie, Oriane Plateau

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~ nouvelle ~

I

ls étaient venus à deux. Il leur avait proposé le pain que l’on rompt, le sel que l’on partage avec l’esprit qui anime les retrouvailles de vieux compagnons. Ils avaient accepté, ils étaient affamés ; leurs côtes saillaient comme des barreaux de cage.

parlait pas de la liberté et de l’égalité qui sont frappées sur les monnaies ou burinées aux frontispices des soues. Ni de celles qui enluminent les écussons des forces de l’ordre, cette brutale carlingue de sadiques dressée à servir et protéger les affameurs, non ! il parlait des vraies, vivantes, de la liberté et de l’égalité à vivre. Il leur dit tout cela en fulminant, emporté par la puissance de sa voix rauque ; et ses convives, mangeaient toujours ; l’appétit leur manqua moins que la quiétude. Ils étaient fascinés par la soupe de ce zélote ombrageux. Puis il leur raconta comment tout est déjà perdu et comment toutefois il faut le tenter parce que nous avons cela que la lie n’a pas, nous avons le romantisme et l’espoir en dépit de tout. Il leur dit tout cela et bien d’autres mots encore, des mots d’insurrection, des mots d’émancipation, des mots de colère, de poésie, d’amour qui sont tous les mêmes mots. Il cracha tout ce fiel, grisé, à demi fou de solitude, loqueteux, vieillard hirsute et maronné. Mais aussi, il les tançait durement. Il soulignait leurs contradictions – d’être si peu engagés alors qu’ils menaient vraisemblablement une existence de forçat ; il les questionna longuement et avant qu’ils ne répondissent, il reprenait la parole. C’est ainsi qu’il avait soulevé les foules naguère. N’avait-il pas fomenté des révoltes ? Des jacqueries ? Combien de chaînes avait-il contribué à briser ? Il invoqua toute sa mélancolie pour leur offrir de revivre toute la gloriole passée, l’éradication des oppresseurs, cette médecine qui n’a jamais vraiment réussie mais qui est belle comme un parlement en ruines. Toute cette nostalgie romantique, murmura-t-il, est le privilège de nous autres, les enragés, à jamais perdants, que ne connaîtront jamais les foules d’imbéciles dressées par le fouet de la canaille ou achetées avec des rogatons. Il martela, ne vous soumettez jamais.

Lui, n’avait qu’une espérance, parler, philosopher. L’auditoire lui manquait à présent qu’il vivait comme un anachorète, blotti là où les forces de la réaction l’avaient contraint à s’enfouir. La passion de la tribune, ajuster les mots pour que les idées impactent les cœurs, cette passion-là était plus forte que le ridicule d’un public réduit à deux auditeurs ; le souvenir de la clameur d’une foule conquise, subjuguée, qui se lève, s’arme, et ne ploiera plus sous quelques jougs, surpassait le grotesque de la situation. Il avait attendu longtemps que quelqu’un vint, ruminant jusqu’à ce que l’amertume empâte sa bouche. Personne n’était venu depuis des années. Alors, lorsqu’il les vit, il entendait les convaincre. Il ne leur laissa pas vraiment le choix ; peut-être que ce pain rassis, ce sel dessus et cette soupe diluée furent ses retors appâts. Il leur expliqua que le fumier qui nous dirige est une essentielle vermine. Il dit que ces chiens, ces enfants de putain, ces sénateurs, ces députés, ces ministres et ces jean-foutre ne méritent rien que notre pure haine. Il parla de toutes les drosophiles qui volettent autour de ces excréments empaquetés de Neil Barret ou d’Armani ; il en parla longuement de ces larbins qui gravitent autour des étrons qui, lorsqu’ils s’accrètent, se griment en hommes. Il haïssait aussi bien le maître que le valet et faisait peu de cas de leurs différences de classe dès lors que le soumis méconnaissait la révolte. Il comprenait ces phénomènes et ces syndromes de Stockholm, les leur expliquait, mais ne formulait pas d’excuse à l’égard des serviteurs. Il argumentait qu’un individu a besoin d’autres individus pour négocier et qu’eux n’en sont plus ; il faut les éliminer, dit-il, éliminer ces travailleuses de boulevard du capital. Ses invités mangeaient. Et lui déblatérait avec une inébranlable conviction. Il insista sur le temps que les parasites nous volent, de l’espace qu’ils nous resquillent, des ressources qu’ils brigandent, de leur velléité d’oppresser, de génocider, d’exploiter, d’enlaidir ; il parla de leur histoire, elle le passionnait car elle était aussi la nôtre, dit-il, celle des vaincus. Il parla des ténias, de ceux qui ne produisent pas et profitent du labeur d’autrui, des techniciens du rien, assureurs, banquiers, publicitaires ; oui, s’exclama-t-il, furieux, volcanique, c’est cette fange-là qui enserre notre liberté et notre égalité. Il ne

Il girait dans sa poisseuse ergastule, ratiocinant, fourbu, voûté, terrassé de frustration. Parfois, il levait le visage vers le minuscule soupirail pour recevoir la clarté de la lune ou le feu d’un mirador ; la découpe des barreaux quadrillait son visage exsangue et pâle. Il répéta aux quatre yeux rouges qui était son public, ne vous soumettez jamais, oui, ne vous soumettez jamais, mais lui-même n’y croyait plus. Indifférents, les deux rats finirent de ronger le pain et de sucer la soupe de l’écuelle crasseuse. Bons convives, ils ne gaspillèrent pas la nourriture. Ils se retirèrent au bruit de pas et de clefs d’un geôlier anonyme.

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Depuis l’exil/ Loïc Folleat Photographie de Livio Mosca

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~ poésie ~

J

e désire inextinguiblement la vie. Ça bout sous mes jours merdeux et mes nuits ternes, l’œil ahuri, grand ouvert, jaune et rougi, au milieu d’un front besogneux ; par peur qu’elle m’échappe. Elle n’est pas ce qu’on nous donne en naissant. On nous transmet les maux ancestraux, on nous plonge dans la merde mondaine. On commence par la mort. La vie est à conquérir. Trouble et idéalisme. Chaque désastre, une usure ; chaque usure, une leçon.

Briser la gangue noirâtre qui nous enserre. Les mots ne suffisent pas. Ils sont le signe d’une impuissance à vivre, vivre le corps et le présent. Des refuges, des prothèses. Peut-être des lâchetés. Le monde aboie autour de moi : je m’enferme et j’écris. J’écris en dehors de la vie, elle me résiste, me rejette ; je tente de la séduire. L’écriture ne séduit pas. La biologie, la psychologie, la sociologie reprennent vite leurs droits. Je veux me dédire, je veux penser que l’écriture me changera, et le monde. Jusqu’à se sacrifier. Sa fin est de mourir, de nous céder la place. Vendre des armes, courir l’Afrique et le soleil. D’où parlez-vous ? Jusqu’où votre voix doit-elle porter ? C’est l’exil. Il n’est pas géographique, il est existentiel. Dérouté quelque part en un certain temps pour que l’écriture devienne patrie, pour que l’écriture devienne ces fils qui espèrent recoudre. Recoudre quoi ? Mystère par lequel nous nous connaîtrons. Fantomatiquement vécue, mon existence se dissout ; sa consistance est douteuse. Je veux un peu de réalité, l’assurance de ne pas disparaître. Je suis corrompu, j’espère autrui pour me guérir de cette maladie d’être pâle. Mais le soleil ne peut se lever qu’en nous-mêmes, puis irradier. Irradier pour rien, gratuitement, irradier pour vivre. Pour être. Je regarde de loin les gens repus de sommeil, les joues roses et les yeux sains. Je ne les comprends pas. Je me sens une grande sympathie avec les noctambules aux joues creuses, aux corps fébriles, aux yeux sagaces malgré les fatigues. Quelque chose les transperce, ils ont quelque chose à traverser, et j’arrive à reconnaître leur destinée. Il faudrait pouvoir se dire sans s’écrire.

Extrait de Des débris, des éclats paru chez Carnet d’Art Éditions. 65


Au-delĂ , le monde/ Antoine Guillot Photographie de Alison McCauley

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~ théâtre ~

L

utter pour ne pas sombrer. Sombrer et devenir de ceux… Appartenir à ceux… Ceux qui se disent désespérés. Qui ne croient plus en lui. Ceux qui ne te connaissent pas. Que tu connais tant pourtant. À la recherche de la liberté. Ils trouvent le drapeau de l’espoir trop sombre pour leurs corps. S’écorchent pour ne pas sentir les blessures infligées. Mais bien pour sentir celles qu’ils choisissent eux-mêmes de s’imposer.

Pas comme les autres. Non. Unique que tu es. Je voulais que tu veuilles de moi tout entier. Je ne savais pas tout entier qui j’étais. Pas possible de délimiter la barrière de moi. Un seul être qui transpire la volonté d’amour. S’engouffrer dans cet amour reposé sur rien. Dans cet amour démesuré. Qui me dépasse autant qu’il te dépasse. Que cet amour nous emporte. Qu’il nous envole bien au-delà de toutes ces montagnes. De tous ces océans. Toutes ces frontières qui tentent de nous éloigner. Je n’ai jamais aimé avant toi. Jamais aimé que toi. Pu le dire à personne. Parce que jamais vécu avant toi. Est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi je ne t’ai rien dit ? Pourquoi j’ai voulu te prendre dans mes bras pour te condamner aussi ? Disposé de ta vie comme ça ?

Le monde. Cette terre d’exil de nos corps sur laquelle nous faisons semblant de pouvoir vivre ensemble. Tu veux le façonner meilleur qu’il ne le peut. Tu crois en lui et il s’immisce dans les draps de notre amour. Frappe l’enclume de ton avenir. Celui que tu veux sauver. Sauver pour pisser sur l’injustice. Tu pisses sur l’existence de Dieu. Tu pisses sur l’existence de Dieu. Sauve-toi. Regarde ce qu’il fait. Ne pleure pas. Ne ris pas. Rien n’est drôle. Sois fort et avance. Lève-toi et pisse. Lève-toi et n’oublie pas qu’il prend corps dans un fleuve de larmes et d’esprits. Le monde… Sois esprit avant d’être corps. Esprit avant d’être corps. S’il te plaît. N’oublie pas. Tu peux le faire parce que tu le mérites. Tu es assez fort et beau pour ça.

J’aurais voulu mourir plus tôt. J’aurais voulu mourir assez tôt. Ne jamais t’avoir connu. Regarde ma bouche. Está infestada de todas estas pollas lamidas. Lamió sabiendo que supuraba la muerte. Y ahora es mi sangre que supura la muerte. Et maintenant c’est mon sang qui suppure la mort. Et toi ? Tu meurs avec moi… Je ne t’ai pas laissé le choix. Tu vois quelle personne je suis. Je suis l’expression toute entière de la fatalité. De ce monde dans lequel je n’ai pas su survivre. Toi non plus. Tu espérais peut-être encore ? Tu espérais peut-être encore. Cette chose. Là. Me rend capable d’aimer. Tu m’as simplement aidé à vivre. Now you have to live for you. Do it A. Do it. Ce que j’aime dans ta nudité c’est ta vulnérabilité. J’aimerais pouvoir m’enlever certaines images de la tête. C’est vrai que tu as aimé pour tous les hommes. Mais qu’est-ce que tu as de si spécial ? Tu n’es quand même pas le premier à me faire jouir ! Do it A. Do it.

Peux-tu encore le regarder et le trouver assez beau pour vouloir sauver des vies ? Regarde ce qu’il a fait de moi. Regarde A. Ne ferme pas les yeux. Je ne te l’ai pas demandé. Regarde. C’est le plus juste résultat du monde que tu aimes tant que tu as devant les yeux. Je suis là. Tout entier à toi. Tu veux encore de moi maintenant ? Oses encore me toucher maintenant ? Veux encore de moi maintenant ? C’est peut-être pour ça que je ne t’ai rien dit. Parce que je t’ai aimé trop. T’ai aimé trop tôt. Je voulais que tu veuilles de moi.

Extrait de Il vit paru chez Carnet d’Art Éditions. 67


Steppe/ Grégoire Domenach Photographie de Loïc Mazalrey

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~ nouvelle ~

L

a route traversait le village dans toute sa longueur. Les chiens nous regardaient passer, haletants, couchés à l’ombre des maisons basses et bâties dans un amalgame de métaux, de crépi, de bois, couvertes de tôle ondulée qui ressemblait à des lames de soleil. Un troupeau de vaches maigres arrivait en face, encerclant l’automobile, avec leurs yeux énormes et des meuglements rauques. En suspension, la poussière ocre soulevée par les bovins enveloppait un bâtiment soviétique, tout de parpaings, tombé en désuétude, tandis que la mosquée pointait son étroit minaret d’argent vers le ciel. La voix éraillée du muezzin courait au-dessus des toitures. Dans l’air flottait une odeur de feu de bois. Les femmes au visage drapé dans des châles semblaient veiller sur le village. On vit quelques enfants. Aucun homme. On laissa derrière nous la dernière habitation pour s’enfoncer dans le silence désertique de la steppe, progressant à allure réduite sur une route criblée d’ornières avec, de part et d’autre, des touffes de buissons secs, des fougères et des peupliers esseulés. Les dégradés de vert pâle et de gris s’assombrissaient à mesure que l’étendue rejoignait l’horizon, dérivant ensuite vers un bleu nuit mêlé à des teintes violacées, et de grandes plaques mauves délimitant comme une frontière tragique la terre du firmament. On eût dit que la steppe voulait imiter le ciel, se faire plus immense que lui. S’y fondre. Rien ne s’écrasait ici. Hormis quelques faibles reliefs, quelques vallons pathétiques, tout n’était que prolongements et sensations d’infinis. Une platitude en épousait une autre. Le vent n’avait aucun obstacle, de même que le regard. Des corbeaux à terre ressemblaient à de petits cailloux noirs, tandis que d’autres volaient en cercle, plus loin, dans le ciel métallique. Les déchets plastique clairsemaient le bord de la route. Bouteilles, bidons, tuyaux, sacs déjà en voie de décomposition, la civilisation humaine — la civilisation du plastique — dégurgitait ce qu’elle ne parvenait à éliminer. On roulait sur la route ligneuse et difficile, qui s’effaçait dans la lumière trouble d’une fin d’hiver. Le printemps, c’est le bon moment pour mourir, avait-il dit, au téléphone, pour me demander si je voulais venir le voir, une dernière fois… Pas chez moi, pas dans les montagnes, ailleurs. Je te dirai où on se retrouvera. Bifurquant à droite sur une piste en terre, Vassili accéléra en s’énervant. « — Y a rien ici ! s’écria-t-il. Rien ! Il t’a raconté des conneries, le vieux… Tu vois bien qu’il y a rien ! — Da, da… il n’y a rien, répondis-je. Il n’y a rien… — Et on va rouler comme ça, dans le rien, pendant encore longtemps ? — On va rouler jusqu’à ce qu’on le trouve. — Jusqu’à ce qu’on le trouve ? On va manquer d’essence si on continue, oui ! Oh, Gaspadi… Tout ça pour un vieux fou qui raconte des conneries… — Da, Vassia, da… et qui en plus est bientôt mort… — Da ! et qui en plus est bientôt mort ! Oh, Gaspadi… » Et Vassili pestait, décrivant plutôt bien l’homme qu’on allait voir : un vieux fou qui racontait des conneries. Au bout d’un long moment, assommé par les cahots de la route, je vis au loin les tâches blanches qui formaient comme des éclats d’écume dans la steppe. Les cerisiers en fleurs.

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Je fis signe à Vassili de s’arrêter sur le bord de la route, puis de m’attendre ; je me dirigeai seul vers les arbres. À plusieurs centaines de mètres, sur un léger relief, se dressaient les mausolées de briques et de terres d’un cimetière kirghiz. Et assis dans l’herbe, le vieux fumait. Son visage paraissait petit sous son kalpak ; il chantait en faisant semblant de ne pas m’avoir vu. Près de lui, deux chevaux broutaient l’herbe rêche au sortir de l’hiver. En revoyant ce visage osseux et buriné, cette barbe blanche, ces mains calleuses et marbrées de plaques noires, une violente tendresse m’a serré le cœur… Beaucoup de choses ressurgissaient, du ciel descendait l’oiseau Karakouch aux ailes si vastes qu’il ombrageait des pays entiers, des hommes se transformaient en bouquetins ou en mouflons ; et des arbres, dont les racines allaient si loin qu’elles s’accrochaient de l’autre côté de la Terre, accueillaient sur leurs branches des yourtes, des chevaux ailés, des aigles à tête de loup, tandis qu’à leur pied des djiguites en tenue blanche — cavaliers qui vont si vite qu’ils essoufflent les tempêtes — affrontaient les djinn ou les armées d’un khan tyrannique, chassant les argalis qui bondissaient de cimes en cimes dans le dédale des Monts Célestes, leurs cornes torsadées déchirant les nuages ; et je les revois, s’abreuvant dans des rivières d’azur, là où des jeunes filles aux cheveux couleur de charbon, des yeux noirs en amande, se baignent nues, avec leurs tresses coiffées de fleurs aux corolles ensorcelées pour lesquelles des rois meurent ; et, sur les berges, des bergers vendent leurs rêves à des sultans en capes rouges, alors que des poissons aux écailles d’or servent de voiliers… toutes ces images hypertrophiées que le vieil homme avait soigneusement semées dans ma mémoire, lorsqu’il m’avait accueilli chez lui, dans les montagnes au-dessus de Gorno-Serafimovka… On se salua chaleureusement, main sur le cœur, le regard perçant. Le vieux conteur m’annonça que la mort serait clairsemée d’histoires, c’était sûr, ce serait des histoires incroyables… Et quand j’ai demandé ce qu’il ferait s’il n’y avait pas de récits, dans l’au-delà, il a répondu : « J’en connais assez pour ne pas m’ennuyer. » Nous avons parlé à voix basse, comme si nous ne voulions pas troubler le chant du vent sur la steppe. Derrière nous, loin au sud, se dressaient les sommets enneigés des Tien-Shan. J’étais étonné que le vieil homme me donne rendez-vous ici, dans la steppe, près de la frontière avec le Kazakhstan… Peut-être était-ce parce qu’il n’était plus très loin d’une autre frontière, ai-je pensé… ou parce que c’est la steppe qui donne sa valeur aux montagnes. Il me désigna deux sacoches au cuir craquelé, posées dans l’herbe. De vieilles sacoches soviétiques dont les lanières s’enroulaient au sol comme des serpents. « Tout ce que j’ai écrit, c’est là, a-t-il dit, là-dedans, il y a toutes mes histoires, tous mes contes, toutes mes lettres, des poèmes aussi, des récits jamais terminés… tout ce qui est né de ma main, et de mon âme, c’est là-dedans… On m’a donné ces sacoches quand je travaillais au kolkhoze. Tu sais, je devais me cacher pour écrire, parce qu’ils n’aimaient pas trop ça. Mais j’ai compris qu’on écrivait mieux en cachette, à l’abri des regards. »

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~ nouvelle ~

On décida de marcher un peu, vers un orme aux ramures encore à nu, qui bientôt brandirait ses feuilles dans le printemps. J’ai dit que je me souvenais d’une histoire que j’avais profondément aimée — qui m’accompagnait encore aujourd’hui ; celle d’un homme appelé Tchinarbaï, amoureux d’une jeune femme qui avait le pouvoir de se dérober à lui en s’envolant grâce à sa robe. Je ne me souvenais plus des détails, seulement du fait que Tchinarbaï avait attendu longtemps, très longtemps, fou de désir. Puis, un jour que la jeune femme dormait dans un champ, il enroula ses longues nattes autour de sa taille — il en fit même cinq fois le tour — et lorsque la femme se réveilla, puis décida de s’envoler, elle entraina Tchinarbaï attaché à ses cheveux. Ils montèrent haut dans le ciel, où finalement ils se déclarèrent leur amour. Le vieux conteur eut un sourire. « Heureusement que les cheveux des femmes sont résistants ! dit-il. Surtout chez nous. Tu as vu ici, ils sont comme du crin au toucher. » À mesure qu’il claudiquait vers les cerisiers, la démarche du vieil homme se faisait pénible. La présence des deux chevaux m’interpellait. « Celui au poil clair, il est très jeune et farouche. Il a un sale caractère ! mais il est robuste… Il fera un merveilleux étalon. Je vais lui rendre sa liberté. L’autre, celui-ci, c’est mon vieux cheval de montagne, sa cage thoracique est plus large, tu vois, pour pouvoir respirer en altitude. Je suis monté haut dans les cols de montagnes avec lui… » Le vieil homme me demanda de lui tendre les sacoches ; ses mains peinaient à les porter, tremblaient atrocement, puis il s’empara d’une corde qu’il noua autour des lanières. Je l’observais. Il approcha du jeune cheval à la robe aubère, qui se déporta de quelques mètres avant de se laisser prendre la bride. L’homme lui caressa l’encolure, passa la corde sur son dos, de sorte que les deux sacoches pendirent comme des étriers sur chaque flanc de l’animal. Il retira la bride, passa sa main dans la crinière. Longuement. Et brusquement, avec une grande violence, il gifla la croupe du cheval qui partit au galop. Les deux sacoches secouées sur ses flancs laissèrent échapper des feuillets et des pages de mythes qui virevoltèrent… les lanières ne résisteraient pas longtemps, me suis-je dit… On scruta cette fuite… Dans le regard du vieil homme brillait l’éclat d’une douce amertume, du même éclat fragile et douloureux que celui du ciel au-dessus de la steppe. Sur son visage aux mille rides est redescendu le calme, tout semblait se défaire, se délier, avec une espèce d’insouciance — un grand relâchement, une dépossession, un dépouillement peut-être — qui le faisait presque sourire. La bête filait. Elle galopait furieusement sur la steppe, vers un horizon de bleu et de mauve. Elle s’éloignait en soulevant un nuage de poussière qui, dans un rayon de soleil, arborait des reflets de cendre.

Pour Armelle D.

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Rune Guneriussen/ Dramaturgie

Apprivoisant la culture par la nature, entre land art et photographie, il révèle une poésie grâce à des installations éphèmères d'où naît une surprenante harmonie.

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Rune Guneriussen © Virginie Meigné.


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At no Time Defeat Sunrise Š Rune Guneriussen - 150 x 211 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman. 75


Resound with an Echo Blue Š Rune Guneriussen - 165 x 125 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman. 76


Winter of our Discontent Š Rune Guneriussen - 125 x 94 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman. 77


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The mother of all good things Š Rune Guneriussen - 80 cm x 117 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman.


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The Heirs Motivational Speech Š Rune Guneriussen - 188 x 150 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman.


Discipline Considered an Option © Rune Guneriussen - 115 x 175 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman.

R

une Guneriussen est né 1977 à Kongsberg en Norvège. Il étudie à l’institut d’Art et Design de Surrey (Grande-Bretagne) puis retourne en Norvège où il vit et travaille.

une approche unique du fragile équilibre en la nature, l’homme et la conscience. Allant à l’encontre des tendances actuelles, Rune Guneriussen ne veut pas dicter une façon de comprendre, il trace le chemin d’une expérience immersive et narrative individuelle.

Véritable artiste conceptuel, Rune Guneriussen explore la relation entre la photographie et l’installation. Son processus de création implique l'objet, l'histoire, l'espace et le temps ;

Rune Guneriussen est représenté par la Galerie Olivier Waltman (Paris, Miami). 81


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A 15-minute title Š Rune Guneriussen - 150 cm x 210 cm, Courtesy Galerie Olivier Waltman.


Galeries


Hakuna Matata Š Thomas Subtil.



SylC/ Entre équilibre et émotion, le travail de l’artiste peintre est en constante évolution et se laisse porter par le ricochet de son propre raisonnement. Quelle place donnez-vous au regard ? Une de mes premières séries, Mothers, cherchait à captiver l’attention par les visages et par le biais des regards. Ce que me renvoient les personnes sur mon travail me permet de prendre du recul ; on me parle de personnages iconiques, frontaux, d'évocation de la Renaissance. C’est sans doute cela qui me permet d’aller chercher l’âme de mes personnages. Un jour, j’ai dessiné un personnage aux yeux fermés, et comme j’ai tendance à laisser venir les choses, je me suis laissé porter parce ce qui se passait sur la toile pour ensuite en tirer le fil et construire une nouvelle série. Il y a beaucoup d’interrogations qui arrivent dans ce genre de tournant.

L'émotion est-elle primordiale ? Je compose des personnages en accentuant tel ou tel aspect, les yeux ou le nez, avec des visages ou des corps disproportionnés. C’est sans doute ce qui participe à la lecture libre que j’ai du monde et de l’Homme. Je mets l’accent sur les jambes, par exemple, et les transformations s’opèrent en cherchant à aller plus loin, vers des choses que je ne connais pas, qui me surprennent moi-même. Les sujets abordés et la technique utilisée offrent une telle infinité de possibilités que c’est inépuisable, j’explore des pistes en permanence.

Dans certaines de vos toiles, n’y a-til pas une forme de violence ? Je laisse le travail reposer assez longtemps avant de savoir si l’émotion que je recherche est vraiment présente.

écriture constante du travail mais avec des histoires qui varient d’une série à une autre. Le travail évolue donc de manière naturelle.

Êtes-vous à la recherche du tableau parfait ?

SylC - Présence III Technique mixte sur toile, 130 x 97 cm.

Dans la série La ronde des chiens fous, on peut effectivement avoir ce ressenti. Le chien, assez central, accompagne l’humain. L’interprétation est ouverte et sujette à discussion. Je fais des toiles pour moi avant tout, c’est sans doute le côté solitaire de l’atelier. Souvent, on dévoile des choses très intimes et les interprétations sont très différentes de l’idée initiale. L’exigence consiste à trouver le juste équilibre entre des choses très sereines, très douces, et d'autres qui viennent déranger cette tranquillité tout en gardant un équilibre. C’est pareil pour les couleurs, je vois le rouge comme de la chaleur. Ensuite il faut trouver l’équilibre entre les tons froids et chauds, l’alchimie entre le sujet, la couleur et la composition. Si tous ces ingrédients sont bien structurés par rapport à mes critères, même inconscients, on arrive à une 87

Je travaille constamment un tableau, je le laisse reposer et je reviens à lui longtemps après. Cela m’aide à aller plus loin et à être toujours plus exigeante. Je cherche en quelque sorte à construire une œuvre constituée de toiles fortes. Je suis peut-être comme un sportif de haut niveau, cherchant à dépasser ce que je connais de moi-même, à me surpasser. Je dois prendre des décisions réfléchies quand je peins. Dans la vie, j’ai besoin de prendre le temps ; pour un tableau, c’est pareil. Les choses n’apparaissent pas comme évidentes quand on n’a pas de recul. Il faut déceler ce qui fait qu'un tableau n’a pas trouvé son équilibre du premier coup. Il y a plusieurs étapes à passer pour trouver cet équilibre et l’émotion. Je vis avec les tableaux, écartés de mon atelier, je les redécouvre à chaque fois que je passe devant, pour savoir si l’émotion est là et si je suis satisfaite de ce qui se passe entre le tableau et moi. Il me faut le temps de digérer. De plus en plus, dans l’évolution de mon travail, le trait est récurrent. Peutêtre parce que je présente aussi des dessins sur papier. Au fil du temps, cela vient nourrir mes tableaux et le trait de construction peut rester dans la version finale peinte sur toile. SylC est représentée par la Galerie Au-delà des Apparences d’Annecy.



Marie-Noëlle Leppens/ Originaire de Lyon, elle a aujourd’hui installé son atelier à Seyssel où elle se réalise dans son travail de sculpteurcéramiste à travers une esthétique qui lui est propre, dans les lignes tendues d'une géométrie fluide et dynamique. Comment êtes-vous arrivée à l’art de la céramique ?

Je découpe des plaques de terre (grès) que j'assemble pour construire et élaborer mes pièces. Puis je colore avec des jus d'engobe (terre colorée) et d'émail mat ou satiné ce qui donne une impression de douceur et de sensualité.

Mon parcours professionnel m’a menée vers le graphisme où il fallait répondre à un cahier des charges strict. J’ai décidé d’abandonner ce domaine d’activité pour me rapprocher de ce que je voulais vraiment faire. C’est un peu comme si j’étais passée de la 2D à la 3D. Fabriquer avec mes mains, dans la terre, est essentiel pour moi. J’ai commencé la céramique à quinze ans, et aujourd’hui, je pense avoir acquis une certaine maturité dans mon travail de sculpture. Je ne sais pas si j’ai vraiment choisi la céramique ou si c’est elle qui m’a choisie, toujours est-il que c’est un médium qui me correspond, j’ai une attirance physiologique avec cet art.

La transmission est-elle importante pour vous ? Je donne des cours dans mon atelier. Je cherche à transmettre le goût de la curiosité, de l’étonnement, essayer quelque chose et se laisser surprendre, s’amuser. Je cherche d’abord à faire naître une idée et ensuite j’enseigne la technique adaptée à sa réalisation. La céramique est à la fois un art et un artisanat. On peut faire des choses purement utiles comme d'autres tout simplement belles sans utilité pour le quotidien, tout dépend de l’impulsion, de l’idée initiale. Chacun peut se réaliser tel qu’il est, c'est infiniment riche et cela me plaît.

Est-ce une façon de choisir votre propre liberté ? Je pense que nous ne sommes jamais vraiment libres. Il existe forcément des contraintes et c’est tant mieux. Ce sont ces contraintes qui obligent à la créativité et à développer son imagination. Les possibilités sont infinies avec la terre, cela nous révèle à nous-mêmes et nécessite d'être sincères dans ce que nous créons. Il faut trouver sa propre esthétique. Mes études à la Haute école d’arts appliqués de Genève m’ont ainsi permis de trouver ma voie et les techniques nécessaires pour sa mise en œuvre. J’ai pu observer, apprendre à me connaître et développer mon expression personnelle.

Marie-Noëlle Leppens est représentée par la Galerie Ruffieux-Bril de Chambéry.

On peut penser que cette matière est froide et rigide ; est-ce un reflet de votre travail ? Sans doute au premier regard, oui. L’austérité, la géométrie de ces lignes tendues, nettes, la simplification à l’essentiel des formes... C’est souvent la première impression que l’on renvoie sur mes œuvres. Ensuite, en s’approchant un peu, on peut lire, en opposition, une sensibilité qui donne envie de toucher les pièces, ce qui est dû à un minutieux travail des surfaces apportant une certaine délicatesse. On me demande régulièrement s’il s’agit de métal ou de pierre mais non, c’est de la terre cuite.

Benoïc, 30 x 38 x 9 cm, grès 2015 © Roger Chappellu.

89


Art de vivre


I believe I can fly © Thomas Subtil.





Les dix commandements/ I

Les bonnes fèves tu chercheras.

Afin d’offrir des saveurs du monde entier et de varier les plaisirs.

II

À la transformation tu travailleras.

Et tes créations seront un plaisir des papilles mais aussi des yeux pour les petits et les grands.

III

En mes vertus tu croiras.

Parce que l’on sait que je suis un excellent remède pour la santé et le moral.

IV

Sous différentes formes tu me trouveras.

Pour satisfaire toutes les envies, tous les goûts et être approprié à chaque situation.

V

Avec audace tu inventeras.

Et dépasseras sans cesse les limites de ton imagination et de tes fidèles amoureux.

VI

Au partage tu t’obligeras.

Pour ne pas oublier que je suis un plaisir personnel mais que je peux aussi être convivial.

VII

Les sentiments tu décupleras.

Les couleurs, les textures, les goûts et les formes m’aideront à multiplier mes effets bienfaiteurs.

VIII

Avec le monde tu résonneras.

Parce que chacun a besoin d’un peu de douceur dans ce monde.

IX

Des souvenirs tu auras.

Il ne faut pas oublier que je suis le lien entre chacun et que je peux être l’héritage transmis de génération en génération.

X

Une nouvelle décennie tu construiras.

Depuis dix ans tu m’honores et me sublimes, je me surprends à espérer que ce n’est que le début d’une longue vie commune.

Par Kristina D'Agostin. 95




Photographies Š Alexandre Kauder - Le Studio K.


Le luxe de prendre le temps/

E

t si nous nous éloignions de nous-mêmes pour mieux nous retrouver ? Et si prendre du temps pour soi était la véritable définition du luxe ? Et si nous trouvions un endroit qui nous offre la liberté d’être nous-mêmes ? Et si nous lâchions le temps de quelques heures, de quelques jours, notre quotidien pour atteindre un état de contemplation ? Cette épreuve de la liberté est résolument possible dans ce lieu isolé, surplombant l’un des plus beaux lacs des Alpes. Cette paix intérieure nous amène à voir quelque chose que l’on ne nous montre pas, nous recentre pour une hyper conscience de ce qui nous entoure, de l’autre… C’est ici que l’impossible peut se produire, que nous pouvons trouver quelque chose que nous ne sommes peut-être pas venus chercher. Entendre le chant des oiseaux quelques minutes avant le lever du soleil, se rendre compte de l’organisation militaire des abeilles autour des ruches du domaine, faisant écho à l’affairement des soixante-dix employés de la maison œuvrant pour sa vie quotidienne. Les couloirs, salles et terrasses des Trésoms respirent réellement la liberté. Le bâtiment, imposant, reste pourtant à dimension humaine, comme une enveloppe qui nous protège, organisé en des espaces dédiés à différentes activités. C’est un lieu de rencontres, de partages. En témoigne l’insolite menu découverte du Chef, Éric Prowalski. L’occasion de se laisser emporter dans un voyage inattendu, de se laisser surprendre. Vous ne savez pas ce que vous allez manger, et lui non plus, il improvise chaque plat, chaque menu, selon vos goûts et envies. Cette expérience est la preuve qu’une confiance peut s’accorder dans ces lieux qui prônent le bien-être et la liberté d’être soi. Tout cela permet de faire une supposition… Peut-être qu’en passant une parenthèse de vie aux Trésoms, celle-ci sera plus belle, plus saine et plus longue.

Par Antoine Guillot. 99 97


WWW.BONLIEU-ANNECY.COM

16 • 17

SAISON

16 • 17

94 SPECTACLES • 184 REPRÉSENTATIONS À DÉCOUVRIR CETTE SAISON

PIERRE PRADINAS • HOFESH SHECHTER • MOÏSE TOURÉ • CHRISTOPHE BÉRANGER & JONATHAN PRANLAS-DESCOURS • GANDINI JUGGLING • FADHEL JAÏBI •

DOMINIQUE PITOISET • ÉMILIE CHARRIOT • DAKH DAUGHTERS •

HUBERT COLAS • ALAIN FRANÇON • OMAR SOSA •

SABURO TESHIGAWARA • HALORY GOERGER & ANTOINE DEFOORT •

JEAN-CLAUDE GALLOTTA • ORCHESTRE DES PAYS DE SAVOIE • BRIGITTE FONTAINE & LES MUSIQUES À OUÏR • JAMIE ADKINS - TIM ETCHELLS MARION LÉVY -

AU TOUR DES ENFANTS • MANU KATCHÉ • DAVID CZESIENSKI • AÏCHA M’BAREK & HAFIZ DHAOU •

MÉLANIE LAURENT • MILO RAU • LES SIÈCLES - FRANÇOIS-XAVIER ROTH • SARAH MCKENZIE • ISRAEL GALVÁN • YANN FRISCH • SAMUEL SIGHICELLI • LES 7 DOIGTS DE LA MAIN • CATHERINE LEGRAND •

CECILIA BENGOLEA & FRANÇOIS CHAIGNAUD •

THOMAS OSTERMEIER • KARIM BEL KACEM • ARNAUD MEUNIER • CLÉMENT DEBAILLEUL & RAPHAËL NAVARRO • ANNE TERESA DE KEERSMAEKER • RABIH ABOU-KHALIL • DIEUDONNÉ NIANGOUNA • TAO DANCE THEATER • JACQUI DÉTRAZ • DAVID GAUCHARD •

PIPPO DELBONO •

ANNE-CÉCILE VANDALEM • STEFAN KAEGI • PHIA MÉNARD • SYLVAIN CREUZEVAULT • LAËTITIA DOSCH • BALLET SAO PAULO • ALSARAH & THE NUBATONES • MARION AUBERT - MARION GUERRERO • TSIRIHAKA HARRIVEL ET VIMALA PONS - YVES FRAVEGA - JANI NUUTINEN - CHEPTEL ALEÏKOUM - DROMESKO -

LE PRINTEMPS ! DE BONLIEU AU HARAS • NICOLAS STEMANN •

SALIA SANOU • AURÉLIE MORIN • PHILIPPE MACASDAR & MARIELLE PINSARD • PHILIPPE CAR • FANNY DE CHAILLÉ • GRUPO COMPAY SEGUNDO DE CUBA •

DÉAMBULE

• ETC

Photo : Création 2016 © CPRowe photography

MARLENE MONTEIRO FREITAS • GROUPE ACROBATIQUE DE TANGER • ALAIN PLATEL • AMIR REZA KOOHESTANI •


15 AU 19 NOV. 16

GRAND FORMAT PIPPO DELBONO VA N G E L O • L A N OT T E • A M O R E E CA R N E • C I N É M A • R E PAS • M A M È R E E T L E S AU T R E S 7 AU 11 MARS 17

Photo : © Jean-Louis Fernandez

MIRROR AND MUSIC • THE MAN WITH BLUE EYES • I N STA L L AT I O N D O U B L E D I ST R I CT — R E ACTO R • EXPOSITION DE DESSINS

Photo : © Aya Sakaguchi

GRAND FORMAT SABURO TESHIGAWARA


Bonlieu Scène nationale Annecy/ Les coups de cœur de la saison 2016/2017 qui s'annonce comme engagée, politique, ouverte sur le monde, faisant la part belle aux femmes ainsi qu’à la création. Kristina D’Agostin & Antoine Guillot 102


Barbarians de Hofesh Shechter. Créée lors de la 69ème édition du Festival d’Avignon, la bombe chorégraphique Barbarians ouvre la saison. Ce spectacle, décomposé en trois volets liés par l’espace imaginé comme lieu de contemplation, s’inscrit dans la continuité de la recherche de Hofesh Shechter. Ce magicien de la scène compose une pièce où sur une musique baroque tonitruante ou une puissante électro, les danseurs semblent être dans un état d’urgence, en quête de leur propre définition de l’amour et passent par des émotions violentes, instinctives.

Angelus Novus de Sylvain Creuzevault. En véritable référence pour tout artiste désireux d’inventer une manière politique et offensive de travailler le théâtre aujourd’hui, Sylvain Creuzevault renverse le mythe de Faust pour créer un nouvel ange. Dans une société moderne productrice de marchandises, nos démons sont invités sur les planches pour une prise de conscience nécessaire. La mouette de Thomas Ostermeier. Maître incontestable de la scène théâtrale, Thomas Ostermeier s’empare de la pièce mythique du dramaturge russe Anton Tchekhov. Entre lecture de l’amour contrarié, des conflits, des illusions et réflexions sur les différentes étapes de la vie d’un artiste, la pièce révèle l’invisible qui circule entre les êtres.

Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem. Dans ce polar nordique, Anne-Cécile Vandalem croise la fiction et la réalité, le théâtre et le cinéma, les vivants et les morts, en ayant comme matière de travail la montée des nationalismes en Europe. Elle dissèque avec humour une des armes les plus redoutables de la politique contemporaine, l’attristement des peuples, en liant la tristesse à la comédie sociale, la politique à l’enquête de mœurs, l’émotion à sa propre résistance.

Création 2016 de François Chaignaud et Cécilia Bengolea. Les deux artistes associés présentent leur nouvelle création qui regroupe, dans une approche innovante et étonnante, leurs axes de recherche distincts. François Chaignaud explore les danses de l’Europe de l’Est, les chants grégoriens, le chant a cappella et le corps total dans la veine de Dumy Moyi. De son côté, Cécilia Bengolea explore les danses jamaïcaines, politiquement marquées. Avec cinq jeunes femmes issues du ballet classique, cette création promet un mélange détonnant qui puise dans différents répertoires, entre la culture académique, savante, et la danse sociale.

Hearing d’Amir Reza Koohestani. L’auteur et metteur en scène Amir Reza Koohestani est l’un des rares artistes, acteur majeur de la jeune génération du théâtre iranien, dont on peut voir le travail en Europe. L’histoire se déroule dans un internat de jeunes filles où celles-ci sont soumises à un interrogatoire. Le dispositif scénique est minimal, la caméra est subjective, l’histoire se répète sous différents angles, la notion du temps se perd dans cette pièce aussi personnelle qu’universelle.

La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Dominique Pitoiset. Après Cyrano de Bergerac en 2013, le couple Pitoiset / Torreton se retrouve autour du texte de Bertold Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Cette œuvre allemande des années quarante, reflétant une société sclérosée par la montée en puissance des nationalismes et extrémismes, trouve une évidente résonance contemporaine.

King Kong Théorie d’Émilie Charriot. Dans l’œuvre de Virginie Despentes, romancière et réalisatrice, King Kong Théorie occupe une place charnière. Entre autobiographie et manifeste pour un nouveau féminisme, ce livre d’une intensité folle est une véritable analyse sociétale abordant des sujets souvent tabous. Pour sa première mise en scène, Émilie Charriot s’empare avec brio de ce texte, joue sur les paradoxes et crée une onde de choc.

Grand format > Saburo Teshigawara. Artiste majeur de la scène internationale, Saburo Teshigawara est un immense chorégraphe japonais. Le grand format qui lui est consacré s’articule autour de deux de ses pièces, The man with Blue Eyes et sa dernière création Mirror and Music. Cet artiste multicartes signe lui-même les scénographies et costumes et développe un univers plastique singulier qui est en partie à découvrir dans une exposition ludique jouant sur la lumière et divers effets visuels. Un film documentaire ainsi qu’une conférence de Marie-Christine Vernay sont au rendezvous de ce grand format rare.

Empire de Milo Rau. Milo Rau porte un regard tranchant sur le monde contemporain et livre dans sa nouvelle création Empire, dernier volet d’une trilogie européenne commencée en 2014 avec The Civil Wars puis The Dark Ages, en 2015. À partir des récits d'expériences vécues en Grèce, en Afrique et au Moyen-Orient, cette pièce interroge la destinée des réfugiés en la confrontant avec les mythes fondateurs dans une Europe qui semble oublier ses racines et ne sait pas ce quel sera son avenir.

Grand format > Pippo Delbono. Pippo Delbono est un ours humaniste. Géant de la scène contemporaine internationale, il livre sa bouleversante intimité. Dans ce grand format, trois spectacles sont présentés : Vangelo, un cri d’amour tel un voyage chorégraphique, La Notte, librement inspirée de La Nuit juste avant les forêts de Bernard Marie Koltès, et Amore Carne, célébrant la vie juste avant que n’advienne la mort. Également cinéaste, ce temps est l’occasion de profiter de la projection de trois de ses films. Évidemment bon vivant, un repas avec l’artiste est proposé. L’exposition Ma Mère et les autres invite à entrer dans le décor de son univers très personnel.

Guintche & D’ivoire et chair, les statues meurent aussi de Marlène Monteiro Freitas. Chorégraphe et interprète, Marlène Monteiro Freitas est une des femmes les plus inventives de sa génération en danse contemporaine. Son solo, Guintche, pièce à la fois abstraite et expressionniste captive par son travail sur la gestuelle, le masque et la grimace, et interroge sur une féminité décalée. Dans ce bal singulier, D’ivoire et chair, les statues meurent aussi, les corps pétrifiés s’incarnent, animés par le désir, dans un imaginaire infini.

Toutes les dates des spectacles sont à retrouver dans la programmation de Bonlieu Scène nationale Annecy et sur le site > www.bonlieu-annecy.com Ouverture des abonnements le 03 septembre 2016. 103


© Georges Cuvillier

FLOAT’N FILTER© | Florent Morisseau

© Choréme

© Emmanuele Panzarini

LE TUNNEL DES AMOURS | Georges Cuvillier

15 INSTALLATIONS DANS TOUTE LA VILLE Un itinéraire de balade ponctué par quinze haltes artistiques et poétiques dans les sites remarquables des paysages d’Annecy. À parcourir librement entre le 9 et le 23 juillet de jour comme de nuit.

SAMEDI 9 JUILLET

LA GRANDE BALADE Ouverture :Concerts,spectacles, illuminations et rencontres inattendues sont partout dans la ville et ponctuent une grande promenade à travers les installations.

SAMEDI 23 JUILLET

LA FÊTE FINALE Clôture : concerts, spectacles d’arts de la rue dans toute la ville.


Déambule/ Un nouveau festival des paysages à Annecy.

P

orté par Bonlieu Scène nationale Annecy, l’espace urbain se transforme du 9 au 23 juillet 2016, offrant aux yeux de tous une nouvelle approche en forme de déambulation à travers plus d’une dizaine d’installations dans les sites emblématiques de la ville. Deux expositions sont associées à Déambule et de nombreux évènements ponctuent le festival, dont La Grande Balade qui marque l’ouverture et la Fête finale. Ces rendez-vous sont marqués par différents spectacles dans les domaines des arts du geste et des arts de rue ainsi que par une riche programmation musicale réalisée en partenariat avec le Brise Glace, scène de musiques actuelles. Ce nouveau festival est l’une des plus belles façons de démarrer l'été dans les Alpes.

Les installations.

Dans le Haras, Trois enfants jouent, oui. Une scène joyeuse, insouciante, un espace de détente mis en scène par les artistes de La Compagnie L’Homme Debout, constructeurs poètes, véritables architectes de leur matière de prédilection, l’osier.

Le Tunnel des Amours de l’artiste belge multi-facettes Georges Cuvillier s’installe dans les Jardins de l’Europe. Cette construction monumentale composée de 250 bambous spécialement importés de Chine est un véritable tunnel-cathédrale où l’on raconte qu’après avoir passé le Pont des Amours, les baisers qui se donneront là précisément apporteront du bonheur.

Un collectif de trois jeunes architectes, Les Gens Nouveaux, se donnent pour leitmotiv d’agir sur les questions d’aujourd’hui. Réalisant Court circuit dans le Haras, ce terrain de jeux constitué de mats pivotants, de rigoles où l’eau circule, incite à la prise de conscience sur l'environnement de manière ludique.

Sur la place la plus minérale d’Annecy, celle de l’Hôtel de Ville, de gigantesques fleurs s’implantent. Inventées par le collectif drômois Tilt, Les Alumines, étincelantes le jour, révèlent toute leur magie à la tombée de la nuit en s'illuminant.

Comme une immense sculpture vivante, Le Chant des coquelicots de FredandCo s’implante dans la carrière du Haras. Dès la nuit tombée, une centaine de fleurs géantes s’éclairent dans une ambiance portant à la sérénité sur un bruissement sonore.

En véritable penseur de la préservation des écosystèmes fragiles, Florent Morisseau élabore un concept de jardins flottants aux vertus qui s’entrelacent. Outre la mise en scène de radeaux végétalisés se laissant dériver et suggérant de nouvelles formes paysagères vers le quai Vicenza, Float’n Filter a une fonction essentielle en filtrant l’eau et la lumière du lac d’Annecy considéré comme l’un des plus purs d’Europe.

Réunissant quatre paysagistes autour des valeurs de médiation et de transformation d’espaces, le Collectif des Olivettes fait une Invasion végétale dans une maison de maître du Haras. Comme le reflet du spectacle vivant de la nature, ce tableau évolutif voit une végétation abondante au pied des façades, débordant des fenêtres et autre œil-de-bœuf de la bâtisse.

En utilisant l’architecture comme langage pour offrir une lecture environnementale de notre société, l’artiste italien Emmanuele Panzarini envahit les eaux du Thiou avec Floating Flowers en renversant les codes avec plus d’une centaine de parapluies qui se déversent dans le plus célèbre canal annécien, créant une averse colorée. Dans le Square de l’Évêché, ce sont des milliers de bâtons de bois peints en rouge, les Flood Flowers, qui se plantent dans le sol pour réinventer un nouvel espace de contemplation dans un des poumons verts de la ville.

Lieu de convivialité et de partage par excellence, La Grande Table du constructeur atypique allemand Alexander Römer se fait œuvre itinérante. Échanger, partager, improviser des pique-niques, dans un parc boisé ou un jardin ombragé, cette conception singulière ouvre le champ de l’inattendu.

Les expositions associées.

La Rue du Pâquier prend des airs de cité méditerranéenne avec Plant Lines, pensé par deux architectes paysagistes suisses, Pablo Gabbay et Pierre Ménétrey. Des centaines de pots remplis de plantes grimpantes et aromatiques dessinent un plafond végétal unique au milieu des vieilles pierres traditionnelles.

La première exposition associée, Inverso Mundus, est présentée par la Fondation Salomon et imagespassages. Dans le Manège du Haras, sur un écran géant, cette installation multimédia mêle images filmées et fabriquées. Présentée pour la première fois en France, elle est réalisée par AES+F Group, qui regroupe quatre artistes de Russie : Tatiana Arzamasova, Lev Evzovich, Evgeny Svyatsky et Vladimir Fridkes.

Trois Cabanes perchées insolites se nichent dans les grands arbres du Square des Martyrs. Réalisées par les équipes techniques de Bonlieu Scène nationale Annecy, elles sont inaccessibles mais deviennent le lieu de toutes les rêveries.

La seconde exposition, X-Ville de Jordi Colomer, est présentée par imagespassages et le ciap de l’agglomération d’Annecy. Cette installation vidéo sur le Quai Vicenza propose une manière alternative de porter son regard sur la ville.

Toute la programmation de Déambule est à retrouver dans les supports dédiés au festival et sur le site > www.bonlieu-annecy.com 103 105

Par Kristina D'Agostin.


L'équipe

Jean-Paul Gavard-Perret / Edmond Guillot / Techatorn Sopathanundorn / Sylvie Guillot Yvette Carton / Timothée Premat / Marion Lemoult / Yannick Bouquard Pierre Bovet / Dominique Oriol / Souhir Saadaoui / Grégoire Domenach / Kristina D'Agostin

éditeur Amistad Prod info@amistadprod.com www.amistadprod.com

Directeur de publication Antoine Guillot

Média Carnet d’Art

Responsable d'édition Secrétaire de rédaction, de correction & Création graphique Kristina D’Agostin

contact@carnetdart.com www.carnetdart.com 31, chemin de Saint-Pôl - BP 415 73104 Aix-les-Bains - France +33(0)7 81 59 56 95

Les portraits publiés dans ce magazine sont le fruit de belles rencontres et d'un travail collaboratif de l'équipe de rédaction de Carnet d'Art. Ce magazine est imprimé dans l'Union européenne (en Bulgarie, avec l'étroite collaboration de Lachezar B.) en mai 2016. Il est distribué gratuitement et ne peut être vendu. ISSN  :  2265-2124. Carnet d’Art est une marque déposée à l’INPI par Amistad Prod SAS. La rédaction ne se tient pas pour responsable des propos tenus par les invités faisant l’objet de portraits ou d’articles et remercie Alphabet pour sa collaboration passive. La reproduction partielle ou totale des publications est fortement conseillée tant que Carnet d’Art est mentionné. 106


Loïc Mazalrey / Karine Daviet / Loïc Folleat / Benjamin Lecouturier Livio Mosca / Julie Pecorino / Najet Youssef-Aïssa / Thomas Subtil Antoine Guillot / Célia Di Girolamo / Julien Chevallier / Alison McCauley / Rune Guneriussen

Merci à ceux qui font ce magazine : nos rédacteurs, nos photographes, nos partenaires, nos correcteurs, nos lecteurs, nous. Rédacteurs & Auteurs

Photographes

Thomas Subtil

Dominique Oriol Karine Daviet Célia Di Girolamo Timothée Premat Marion Lemoult Souhir Saadaoui Benjamin Lecouturier Pierre Bovet Najet Youssef-Aïssa Yannick Bouquard Loïc Folleat Antoine Guillot Grégoire Domenach

Thomas Subtil Loïc Mazalrey Julien Chevallier Livio Mosca Erwann Merzekane (œuvre) Oriane Plateau Alison McCauley Rune Guneriussen

Le photographe Thomas Subtil signe la couverture de ce numéro ainsi que l’entame des parties. Son travail s’inscrit dans une nouvelle photographie émergente, où le travail sur l'esthétique d'une image simple et poétique prend le pas sur une « réalité photographique ». C'est une photographie décomplexée qui évolue en permanence grâce aux nouvelles techniques numériques ; elle permet de laisser pleinement son imagination grandir et écrire sa propre narration. Celle où des éléphants sont funambules, où des zèbres pèsent vingt grammes et des girafes ont un long coup uniquement pour pouvoir mieux sécher le linge.

Relecteurs L’équipe de rédaction & Jean-Paul Gavard-Perret Julie Pécorino Yvette Carton

Partenaires Musée Faure L'île Élégante Crédit Agricole des Savoie Aix-les-Bains Spectacles Galerie Au-delà des Apparences Galerie Ruffieux-Bril Chocolaterie Sébastien Fautrelle Les Trésoms Bonlieu Scène nationale Annecy Le Département de la Savoie

Vivant entre Paris et Montréal, Thomas Subtil a commencé la photographie de manière professionnelle en 2009. Il a d'abord travaillé dans différents styles photographiques, du photoreportage à la photographie de mode, avant de construire sa propre esthétique à la sensibilité fine et poétique laissant percevoir une écriture onirique sans cesse renouvelée. Ses photographies sont en vente à la Galerie Photo originale à Paris. Site de Thomas Subtil > www.thomassubtil.com

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Abonnement/ Nouvelle formule ! 3 numéros du magazine 1 livre de la collection Carnet d'Art Éditions & la possibilité de recevoir les anciens numéros. 1/ Je complète ma fiche de renseignements. Société :

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2/ Je choisis mon livre dans la collection Carnet d'Art Éditions. Théâtre

Romans

Génocide mon amour de Antoine Guillot & Killian Salomon.

Les Sublimes de Antoine Guillot & Killian Salomon.

Le Génocide incarné dans une pièce emplie d'humanité.

Le récit d'une soirée dans la sulfureuse Paris qui tourne au cauchemard.

On commence par la fin de Antoine Guillot.

Des débris, des éclats de Loïc Folleat.

La rencontre poignante de deux générations qui se complètent.

Le premier roman d'une plume à la poésie vibrante.

Il vit de Antoine Guillot.

Pysanka de Grégoire Domenach.

L'émouvant adieu à ce monde d'un éternel romantique.

La fabuleuse ironie d'un exil moderne dans les pays de l'Est.

Poésie Les Clameurs de la Ronde de Arthur Yasmine. Un livre dramatique sur l'Action, l'Amour et la Poésie – Prix Spécial Amélie Murat 2016.

3/ Il me manque un magazine, je peux recevoir les anciens numéros.

4/ J'effectue mon règlement. 40€ si j'habite en France. 60€ si j'habite en Europe. 80€ si j'habite hors de l'Union Européenne.

Règlement par chèque bancaire à l'ordre de Amistad Prod SAS à envoyer avec ce coupon à : Carnet d'Art - 31 chemin de Saint Pol - BP 415 - 73104 Aix-les-Bains - France.

Vous pouvez également vous abonnez en ligne et effectuer un règlement sur la librairie de Carnet d'Art via Paypal sur www.carnetdart.com 108



ÂŤ Il faut faire un monde pour des hommes libres. Âť Georges Bernanos


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