Carnet d'Art n°01 - Corps ultime

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n°01 - PRINTEMPS / ÉTÉ 2013

Corps ultime



l’éditorial/ « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille dans d’autres âmes » Friedrich Nietzsche - Le gai savoir Ces corps qui vagabondent dans ces rues décharnées par la chaleur étouffante des égos. Qui s’entrechoquent. Ces âmes d’anges qui sans cesse ravivent la flamme des souvenirs qui veillent sur notre avenir. Comme une soirée en noir et blanc. Comme une histoire à ne pas rater. Comme une vie à ne pas dépasser. Désincarner nos rêves les plus fous pour mieux les réaliser. Choisir la vie de poète pour profiter de l’hyper empathie d’un monde qui change. D’un monde qui est en bascule avec le temps et son mal. Pour profiter de ce moment d’histoire dans lequel s’inscrit notre époque, que nous rappelle grâce à leur beauté, les artistes qui nous entourent. Atteindre sa liberté parce que nous avons poursuivi la résistance. Atteindre l’universalité parce que l’homme et sa chair, son corps et l’expression de ses formes, ne sont que le lien le plus précieux et le plus fragile qui existe entre chacun de nous. Parce que nous méritons d’être beaux. Parce que nous croyons en l’Homme et que nous construisons l’avenir avec excitation ! Antoine Guillot Metteur en scène Directeur de publication

INFO Directeur publication Antoine Guillot Directeur technique Emmanuel Moreaux Mise en page AS-PRO-COM Publicité Delfimédia +33(0)6 86 49 09 71 contact@delfimedia.com

Amistad Prod info@amistadprod.com www.amistadprod.com Impression AS-PRO-COM 73377 Le Bourget Du Lac France Tirage 10 000 exemplaires

Merci aux photographes : Philippe Chauvin Thierry Chollat www.thierrychollat.com Pauline Emelin Arnaud Idelon Rémy Jeantieu www.remyjeantieu.book.fr Emmanuel Moreaux www.emmanuelmoreaux.com

Ce magazine est distribué gratuitement et ne peut être vendu. - ISSN : 2265-2124 La rédaction ne se tient pas pour responsable des propos tenus par les invités faisant l’objet de portraits ou d’articles. La reproduction partielle ou totale des publications est fortement conseillée tant que Carnet d’Art est mentionné.

Jacques Pion www.jacquespion.com Camille Stella www.camille-stella.com Jérémy Tran www.jeremytran.com Michaël Vertat www.michael-vertat-photographe.com

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Carnet d’Art

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6 Réflechir 8

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pour une sacralisation de la luxure

Dossier

luxure [n.f.] : abandon au péché par la chair

10

corps et cinéma

12

le silence rouge

14

écrire ou faire écrire sa biographie

16

saint-pierre de la martinique

20

l’art, contrainte du corps

une fabrique de fantômes

fléau d’une génération

pour immortaliser ses souvenirs

quand la terre a le diable au corps

le corps du spectateur affecté par le corps de l’oeuvre d’art

4 Carnet d’Art

26

olympia

30

eros & thanatos

32

corps et cinéma

35

les déviants

37

artistes maudits

aux nues du scandale

les corps intemporels

un parcours historique

dans mon désert de jade stériles provocations


40 Rencontrer 42

geoffrey secco

un univers de métissage et d’improvisation

72 Raconter

renaut 48 emmanuel gastronomie d’un chef d’exception

74

corps accords

accard 54 emmanuel la danse au cœur et au corps

78

fragile

60

florian marco

85

ophéline

66

noémi bechelen

88

apparition

la matière sauvage sur la toile l’acteur entre théâtre et cinéma

voyage

exposition

nouvelle

poème

Carnet d’Art

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[ Réflechir ]

Écrire, mémoriser, inventer… Une dizaine de milliers d'années d'évolution, en partant de l'Homo sapiens pour arriver, enfin, à réfléchir.

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pour une sacralisation de la luxure

luxure [n.f.] : abandon au péché par la chair

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corps et cinéma

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le silence rouge

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écrire ou faire écrire sa biographie

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saint-pierre de la martinique

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l’art, contrainte du corps

une fabrique de fantômes

fléau d’une génération

pour immortaliser ses souvenirs

quand la terre a le diable au corps

le corps du spectateur affecté par le corps de l’oeuvre d’art

Rémy Jeantieu

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[ Réfléchir - Art ]

pour une sacralisation de la luxure/ luxure [n.f.] : abandon au péché par la chair. Jean Belmontet - Auteur Parmi les fourvoiements symptomatiques que la télévision moderne a infligés au sens esthétique, il en est un, particulièrement voyant, et pourtant, toujours piteusement débattu des seuls points de vue de la morale et de la sociologie : la représentation de la luxure. Point d’embarquement éthique et point de désolation réactionnaire : mais formellement, la représentation contemporaine de la Chose, est rarement belle, rarement neuve, rarement artistique et surtout rarement justifiée. Qu’il n’y ait aucun malentendu ! Ne parlons pas de ce qui choque ou ne choque pas, de ce qui tient du scandale culturel, ni de ce qui fait marmonner les parents poules ; ne parlons pas de psychanalyse de l’époque, ni de déchaînement des mœurs, ni de déchéance des pratiques. Parlons – et c’est bien la seule aventure qui vaille un combat – de Style. Montrer est une chose : en soi, il n’est pas impertinent de se faire égrillard, ou obscène, voire complètement démonstratif, mais cela devient un vice (un vrai péché, capital), quand la complaisance remplace la légèreté ; ou quand l’abrutissement remplace la fureur de « donner à voir ». Tout cela n’est sûrement pas clair pour un grand nombre de personnes, qui ne voit en la représentation de la luxure, qu’une simple grivoiserie à étages ; on croit souvent, par exemple, au cinéma, que montrer une scène osée doit se faire sur une échelle horizontale (si on ose le dire ainsi), et qu’il y a, grossièrement, trois manières de faire cette scène : au premier degré de l’échelle, tel film prudent détourne la caméra au « moment où » ; au second, tel autre film consensuel ne montre que la partie des corps la moins intéressante ; et enfin, tel dernier film audacieux met le cadre large et montre tout. En réalité, ces considérations anecdotiques, en balancier, ne valent rien pour elles-mêmes ; et bien souvent, cela n’est vu qu’au prisme du « public » : tel film pour grand public, tel autre pour un public adulte, tel autre pour un public pervers ou épris de scandale… Et les bornes sont toujours sujettes à d’éternelles disputes politiques et éthiques ; disputes fondamentalement idiotes, car la question qui taraude les sermonneurs est : « que montrer ? » ; alors qu’elle devrait être : « comment montrer ? ». 8 Carnet d’Art

Culture et luxure… Il est bon de rappeler à tous les minuscules provocateurs actuels, qu’ils soient littérateurs, cinéastes, peintres, metteurs en scène, voire même chanteurs, que la luxure dans l’Art, l’étalement charnel, l’orchestration de l’acte, n’ont pas été inventés avec mai 68, la Révolution Française ou la séparation des Eglises et de l’Etat ; en bref, ce n’est pas « moderne » que de montrer du salace. Ce n’est pas non plus « moderne » d’étaler les mœurs, d’invoquer le réalisme, de troubler les représentations classiques de la sexualité. On pourrait citer des étages entiers de bibliothèques remplis de saletés de tous les genres, de tous les siècles, de toutes les « orientations ». On pourrait s’arrêter à peine sur Sade, lire certaines hardiesses antiques, parler des heures des poèmes scabreux de Théophile Gautier, de La Fontaine, des libertins, d’Apollinaire, voire de Rabelais… Alors pour l’arrivisme déterminé de certains, prétendant « libérer les chaînes » de l’Art… on repassera ! C’est avouer son ignorance crasse que d’affirmer que plus on montre de scènes crues, plus on est moderne. Dénonçons : Catherine Breillat, ou le Lars Von Trier des débuts pour le cinéma ; et, malgré ses fulgurances passionnantes, Michel Houellebecq pour la littérature. « Comment montrer ? » On ne se pose plus la question et ainsi, tout devient binaire : soit on est pudique et on ne veut rien voir, on s’offusque, on crie au scandale, on en appelle à la civilisation, au bon et au bien ; soit on est impudique, on en appelle à la modernité, et on défend la liberté de ces gens à dégobiller leurs manières vulgaires et leur manque phénoménal de talent. On croit que plus on versera dans le réalisme total, dans le détail, mais dans un détail sournois, injustifié, dans un détail complaisant, plus on sera le visage de la modernité. Dans la conception de ces faux modernes, il ne faut plus d’intermédiaire stylistique ; au cinéma, le cadre doit être cru, hasardeux, presque pornographique ; en littérature, les mots doivent être bas, directs ; on est dans la jactance, le défilement, l’inconscience, et non plus là dans la recherche de la Beauté, qui n’est pas une recherche de la Bonté, de la Morale, ou du Bien, mais bien une quête positive de l’œuvre.


La littérature n’exprime pas la moitié des crimes de la société.

Donner à voir n’est pas tout montrer.

Choisissons, entre personnes intelligentes, une voie tierce. Barbey d’Aurevilly écrivait : « J’ai souvent entendu parler de la hardiesse de la littérature moderne ; mais je n’ai, pour mon compte, jamais cru à cette hardiesse là. Ce reproche n’est qu’une forfanterie… de moralité. La littérature, qu’on a dit si longtemps l’expression de la société, ne l’exprime pas du tout, - au contraire ; et, quand quelqu’un de plus crâne que les autres a tenté d’être plus hardi, Dieu sait quels cris il a fait pousser ! Certainement, si on veut bien y regarder, la littérature n’exprime pas la moitié des crimes que la société commet mystérieusement et impunément tous les jours, avec une fréquence et une facilité charmantes. Demandez à tous les confesseurs - qui seraient les plus grands romanciers que le monde aurait eus, s’ils pouvaient raconter les histoires qu’on leur coule dans l’oreille au confessionnal. Demandez-leur le nombre d’incestes (par exemple) enterrés dans les familles les plus fières et les plus élevées, et voyez si la littérature, qu’on accuse tant d’immorale hardiesse, a osé jamais les raconter, même pour en effrayer ! […] La littérature moderne, à laquelle le bégueulisme jette sa petite pierre, a-t-elle jamais osé les histoires de Myrrha, d’Agrippine et d’Œdipe, qui sont des histoires, croyez-moi, toujours et parfaitement vivantes […]. » (Préface de La Vengeance d’une Femme, dans Les Diaboliques) Il n’est donc pas question de s’enterrer sous la pruderie, l’hypocrisie, la gentillesse visuelle, stylistique. Il n’est pas question d’interdire la luxure à l’écran ou dans le texte ; c’est même, absolument, un sujet passionnant, un des plus riches.

Il est seulement question de rétablir l’échelle vraie, verticale, qui va de la mauvaise représentation (sans style, maladroite, fagotée, ou au contraire outrancière) jusque, tout en haut, à la bonne (esthétique, justifiée, stylisée, travaillée, sensible, mise en lien avec un personnage, une conception de la réalité, un mouvement sémantique). La pudibonderie et la complaisance doivent être savamment méprisées ; et ainsi, réconciliera-t-on probablement ceux qui rejettent, effrayés, toute forme d’art moderne, et ceux qui plient comme des roseaux sous la mode archi-réaliste. Il faut avant tout remettre la Chose dans un prisme d’Art et de représentation, et re-sacraliser - cela est un comble ! - la mise en scène de toutes les luxures. « Donner à voir » n’est pas « tout montrer » ; c’est choisir, pour émouvoir et intéresser, et remuer, et faire « le Beau », c’est choisir comment montrer l’intime et y poser un regard ; c’est faire de la luxure dans l’Art, non plus une revendication, ou à l’inverse une abomination, mais seulement un véhicule vers le sens ; qui donc est capable d’entendre cela en 2013 ?

Pieter Bruege - The Elder The Seven Deadly Sinsor the Seven Vices

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[ Réfléchir - Cinéma ]

le corps au cinéma/

une fabrique de fantômes ?

Laure Weiss - Cinéphile étudiante en cinéma Art du mouvement, l’art cinématographique est-il un art du corps ? Le mouvement de la pellicule, ou plutôt des pixels (le 35 mm disparaît officiellement fin 2013) est-il le lieu du corps ? N’en déplaise à notre cher André Bazin*, le corps au cinéma est une série de lambeaux marqués dans la pellicule, qui traînent derrière eux les fantômes de leurs acteurs et actrices. Pensons à l’éternel « exemplum » du cinéma: Vertigo d’Alfred Hitchcock, tiré du roman policier D’entre les morts de BoileauNarcejac dans lequel Judy (Kim Novak), qui jouait la fausse Madeleine dont le meurtre a été déguisé en suicide, revient à Scottie (James Stewart) sous une apparence troublante, entourée d’un halo vert lumineux. Scottie, qui a perdu la femme qu’il aimait, demande en effet à Judy qu’il ne connaît pas sous sa vraie identité, de se transformer en Madeleine (éternel mouvement du film et obsession de Scottie) - celle-ci sort de la salle de bains sous la forme attendue. Un chignon et un costume et la voilà redevenue la morte Madeleine, la voilà qui craque le linceul scellant la mort à la morte. Tous ces corps nous hantent… N’est-ce pas ici, pour nous spectateurs qui regardons des films d’il y a plus de cinquante ans, une façon de voir avec encore plus d’évidence que nos pères cette apparition spectrale du corps de Kim Novak ? Il semble que l’épaisseur du temps ait donné à ce corps en mouvement une plus forte présence. Oui. Sur la pellicule, le corps est corps lorsque son fantôme cristallise à jamais (tant que sa forme traverse les générations) son image. C’est peut-être à travers les filtres que s’opère une existence du corps au cinéma. Filtres dans le récit (Judy joue Judy qui jouait Madeleine), filtres à l’image (halo verdâtre, avancée lente de Judy vers Scottie), filtres dans le temps (le film à sa sortie en 1958, ses traces dans l’histoire du cinéma, notre regard contemporain etc.). Hiroshima mon amour. Le cinéma est hanté par les morts - les corps. Des millions de corps qui transparaissent avec la même vigueur qu’ils le faisaient le jour où les rushs de ces images ont été regardés pour la première fois. Quels sont ces corps enlacés recouverts (de cendre, de sable, d’étoiles ?) qui ouvrent Hiroshima mon amour ? Ne sont-ils pas eux aussi des corps qui hantent l’esprit, qui titillent notre habitude de croire que ce qu’on voit à travers l’écran est du vivant ? Vivant qui meurt quelques heures après dans notre esprit tant la consistance de ces êtres se fond dans la banalité des images, de la mise en scène. Mais les corps d'Hiroshima ne nous laissent pas indemnes.Ils bougent et ne nous disent pas qui 10 Carnet d’Art

ils sont. Ils vivent et n’ont pas de visage. Mais ce ne sont pas des statues, ce sont bien des corps que l’on voit - sectionnés par le cadre, non reconnaissables, mais qui restent. Leur image flotte par l’imperceptibilité de leur ensemble (le corps en entier) elle questionne et dilate l’oubli. La Reine Margot. Le médium du cinéma qu’était la pellicule et qu’est l’image numérique ne peuvent pas figer comme le fait la peinture ou la sculpture, le mouvement du corps. Le cinéma, lui, doit créer sa propre immobilité, son propre arrêt du temps. Ainsi par son mouvement achevé (le temps d’un film) il fabrique le linceul des corps filmés. J’en profite pour ajouter une image de La Reine Margot de Patrice Chéreau qui intègre l’art pictural à son image, créant un effet « écrin » du temps d’autant plus subtil. Les corps blancs, saignants, fendus par les lames catholiques, sont touchants tant qu’ils vivent, explosent de révolte, voudraient percer l’écran de leur beauté baroque. Pourtant Chéreau continue d’accumuler les corps sur les charniers de la Saint Barthélémy, de les aligner dans les rues de Paris pour qu’ils prennent la poussière et finissent dans l’oubli - en attendant un autre massacre, un autre film. La peau éclatante des corps-amants de Margot et la Môle voulaient nous faire croire à une éternité de l’amour, étouffée par le pouvoir royal (le Roi, la Mère). La persistance de l’amour et de la mort nous montre des corps qui se vident de l’énergie demandée pour des amours déchirantes (avec amants, frères, mères) et un massacre.


Mulholland Drive. Chez David Lynch, la présence des corps est de l’ordre du spectral. Il reprend dans Mulholland Drive l’esthétique des films classiques hollywoodiens, et leur façon de mettre en scène les stars par l’insistance du gros plan et d’une lumière voilée, douce, fantomatique. Dans le film, Lynch nous fait douter de l’existence véritable de Rita (Laura Harring) par la mise en scène. Apparaissant dans la maison de location à Hollywood de la jeune actrice Betty (Naomi Watts) après un accident de voiture où elle a perdu la mémoire, Rita devient l’objet de désir de Betty. Mais la façon dont ces deux jeunes femmes se lient est troublante puisque nous ne pouvons déterminer les étapes de leur relation. Dès lors, nous ne pouvons affirmer si Rita est une image idéalisée de Betty, et/ou son double intérieur (le film est un miroir brisé - équivoque illimitée). Ce double corps féminin de Betty collant aux idéaux de Hollywood (proportions parfaites, impersonnalité, sensualité, vide intérieur) est de fait un désir visuel. Repensons à la séquence où Betty met une perruque blonde à Rita et que celle-ci se déplace sans un mouvement pour se regarder dans le miroir. Elle est là, mais flotte dans l’image comme un spectre, devenant figure inatteignable. Rita vit à l’image avec plus de vigueur que Betty en tant qu’elle est objet de désir - à en mourir (cf. le suicide de Betty) - mais elle n’est pas vivante comme l’est Betty, qui elle, désire. C’est là toute la problématique de l’esthétique du film classique, et de celle de - comment filmer les corps -, que David Lynch confronte ici à la question du moi et des désirs inconscients. On retrouve ici l’envergure d’une Judith fantôme de Madeleine dans Vertigo avec toute l’intensité des autres thèmes abordés tels que l’appropriation par Hollywood des corps des stars, et la place de la sexualité comme prisme des fantasmes.

la place de la sexualité comme prisme des fantasmes.

apparence princière, chevelure rayonnante et costumes de flanelle. Mais ce visage est le visage de l’horreur (pour le spectateur), du mal en soi-même – du sauvage qui rend fou cet être à demi. C’est cette infirmité interne qui crée le décalage. Nous ne pouvons regarder le visage d’une bête, l’aimer comme celui d’un autre que nous-mêmes. Le corps de la Bête questionne notre vision du corps de l’autre - il brûle, irrite notre vision du ‘Beau’ (le corps de l’athlète grec) tout en apparaissant à travers une esthétique du ‘Beau’ - de la volupté. Il fallait Jean Cocteau pour aligner, ou plutôt encastrer ces deux contraires.

La Belle et la Bête.

Les corps au cinéma ne seraient-ils, en fin de compte, que des corps fantômes fixés par l’image ? Leur mort, inhérente à chaque film, et même si elle n'est qu'un faux semblant, permet, en tous cas, à leurs spectres de vivre éternellement et de hanter à jamais nos mémoires.

Un dernier exemple me paraît essentiel en ce qui concerne les corps-fantômes au cinéma, ce sont les apparitions des personnages dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau. Comment oublier les avancées de Belle dans le couloir aux candélabres vivants (bras flottant sur un mur noir) ? Comment oublier le corps de la Bête, se dégradant de jour en jour - fumant de maladie - de mal être (d’amour) ? L’esthétique extrêmement travaillée de Jean Cocteau à travers ce film essentiel (une belle qui veut aimer, une bête qui ne peut pas l’être) rend compte de ce que les corps sont des outils formidables pour raconter des histoires. La Belle est belle alors que la Bête n’est pas d’une beauté humaine, ce sont des extrêmes générés par l’opposition de ces deux êtres au sein de la mise en scène. Pourtant Cocteau crée à l’écran une beauté baroque de la Bête, lui donnant une

* André Bazin (avril 1918 - novembre 1958) est un critique français de cinéma. A la Libération, période intense pendant laquelle on veut amener «le peuple à la culture et la culture au peuple» et, fort de cette conviction, il s'engage à travers Travail et culture et Peuple et culture dans l'éducation populaire. Il fonde avec Jacques DoniolValcroze et Leonid Keigel, en avril 1951, les Cahiers du cinéma dans lequel écrit toute une génération de critiques et de futurs cinéastes qui feront partie de la «Nouvelle Vague». En mourant en 1958, un an avant le premier film de Truffaut, André Bazin n'a pas eu l'occasion de voir émerger la nouvelle génération de cinéastes qu'il a profondément marquée par son intelligence et son engagement.

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[ Réfléchir - Art ]

le silence rouge/ fléau d’une génération.

NVB - Artiste contemporain Klaus Nomi Chanteur allemand et icône de la scène new wave en 1980. Décédé en 1983.

Bernard-Marie Koltès Dramaturge français, auteur du Retour au désert et de Roberto Zucco. Décédé en 1989.

Michel Foucault Philosophe français. Décédé en 1984, les causes de sa mort ne furent pourtant rendues publiques que plusieurs années plus tard.

Jacques Demy Réalisateur français. Décédé en 1990.

Rock Hudson Acteur américain, il est la première personnalité au monde à avoir révélé sa maladie. Décédé en 1985. Steve Tracy Acteur américain connu pour son rôle de Percival Dalton dans la série La Petite Maison dans la prairie. Décédé en 1986. Thierry Le Luron Humoriste français. Il meurt en 1986, officiellement d'un cancer des cordes vocales, mais de nombreuses sources évoquent le sida : ce n'est que le 22 mars 2010 que Line Renaud lève le voile sur la maladie. Copi Dessinateur et homme de théâtre. Décédé en 1987.

Hervé Guibert Écrivain qui plaça le sida au cœur de son œuvre, et qui dévoila sa maladie en 1990 dans l'ouvrage A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Décédé en 1991. Freddie Mercury Chanteur de rock lyrique et leader du groupe Queen. Il rendit sa maladie publique le 23 novembre 1991 et mourut le lendemain, le 24 novembre 1991. Miles Davis Compositeur et trompettiste de jazz américain. Décédé le 28 septembre 1991. Anthony Perkins Acteur américain, connu pour avoir incarné Norman Bates dans le film Psychose d'Alfred Hitchcock. Décédé en 1992.

Robert Mapplethorpe Photographe américain. Décédé en 1989.

Cyril Collard Réalisateur. Il réalisa notamment le film autobiographique les Nuits fauves. Décédé en 1993.

Paul Shenar Acteur américain, connu pour avoir incarné Alejandro Sosa dans Scarface. Décédé en octobre 1989.

Jean-Luc Lagarce Dramaturge contemporain le plus joué en France, auteur du Pays lointain et de Juste la fin du monde. Décédé en 1995.

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Si un ou plusieurs de ces noms vous disent quelque chose c'est normal, ils ont tous marqué leur époque, ils constituaient le tissu de l'intelligencia culturelle et artistique. Si j'étais un jeune metteur en scène de ce début du XXIème siècle ravagé par la pesante histoire des dernières décennies, je serais, une fois de plus, héritier d'un passé lourd à porter. Mes pères, qui pour certains, rescapés, font le théâtre contemporain (Olivier Py ou Pascal Rambert), ont été pour beaucoup décimés par ce fléau incontestable qu'est le Sida. Je pense ne pas trop m'avancer en affirmant que le paysage théâtral, et donc la société, n'auraient pas le même visage aujourd'hui sans toutes ces morts survenues de 83 à 95. Adolescent, j'ai aimé Jean Luc Lagarce. Il est l'auteur contemporain le plus joué en France et constitue un marqueur de ce qu'est aujourd'hui l'écriture théâtrale. Emprunt d'une touche de quotidienneté assommante, d'une envie de théâtre social criante, d'un refus d'expérimentation underground et donc d'un déni des laboratoires de la fin du XXème siècle. Ses enfants sont aujourd'hui, même si je ne suis pas certain que cela leur fasse plaisir, Philippe Minyana, Joël Pommerat ou Gildas Milin. Voilà de quoi avoir envie que Jean Luc soit encore vivant.

Merci Sida !

Merci Sida !

Alors oui, le Sida est un fléau, oui il tue encore des milliers de personnes, même en France, oui il a changé les mentalités sexuelles (voir réponse de Antoine Guillot à Demetrio Trunfio dans le dossier de la rédaction page 30) et enfin, oui il a changé, en bien ou en mal, la face du monde culturel et donc, de la société. C'est incontestable. Qu'en penser ? Ce n'est pas à moi de répondre. Il me semble qu'il est encore bien trop tôt pour cela.

Prenons Koltes. J'ai une histoire personnelle avec lui, Artaud est mort en 1948, Koltes est né en 48 et est mort en 89, moi je suis né en 89 et… Ne suis pas encore mort… Je suis donc la continuité logique, incontestable, indétrônable de ces deux génies. Je suis donc, un génie.

Michel Foucault, incontestable lorsqu'il publie ses essais sur la punition, la surveillance et autres considérations bienvenues sur les névroses de notre société, a été un fauteur de trouble toute sa vie, il a dérangé par sa vérité et beaucoup sont bien contents qu'il ne soit plus là, même s'ils sont tout à fait hypocrites sur le sujet. Merci Sida ! Freddie Mercury, bien dommage qu'il nous ait quitté si vite, même si sans ça nous n'aurions jamais pu profiter du magnifique hommage qui lui a été rendu par Maurice Béjart en 1997. Merci Sida ! Même chose pour Cyril Collard qui n'aurait jamais tourné les Nuits Fauves sans sa maladie… Merci Sida !

© Ig0rZh

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[ Réfléchir - Litératture ]

écrire ou faire écrire sa biographie/ pour immortaliser ses souvenirs.

Propos recueillis par Sophie Ascenci - Rédactrice indépendante

Interview de Stanislas Dupleix, fondateur de la société Plume d’Eléphant. « Laisser une trace à travers un livre, cela a du sens ». Pour nous parler de la biographie, Stanislas Dupleix, dirigeant de la société de micro-édition Plume d’Eléphant, spécialisée dans les récits de vie. L’entreprise fédère un réseau de 80 biographes répartis sur l’ensemble de la France. Stanislas, quel est le point de départ de Plume d’Eléphant ? En devenant père, je me suis rendu compte que je n’avais pas de support à transmettre à mes enfants pour leur raconter l’histoire de mes propres grands-parents. Ils n’avaient rien écrit et cela me manquait. Plus généralement, il m’a semblé que trop peu de gens écrivaient leurs souvenirs ou se faisaient aider pour le faire. Qu’est-ce qu’une biographie (ou une autobiographie) ? A mon sens, il ne faut pas se prendre pour Chateaubriand. Souvent, malheureusement, les gens qui écrivent leur vie (ou celle des autres), se croient obligés de faire une démonstration littéraire, avec métaphores, envolées lyriques… C’est rarement réussi et cela dépossède totalement la personne qui se raconte de son histoire. L’objectif est de raconter, expliquer, décrire, analyser, donner des détails, sur des événements personnels, professionnels, contextuels. Par exemple, la vie quotidienne au siècle dernier n’a rien à voir avec notre époque contemporaine. Ce décalage rend l’ordinaire extraordinaire. Il faut avoir la curiosité de l’explorer et la capacité de le décrire. La biographie, c’est du journalisme particulier, à destination de l’entourage. 14 Carnet d’Art

Quel est l’intérêt d’une biographie ? L’intérêt est de reconnecter des lecteurs au quotidien de leurs aînés et aux grands événements personnels ou historiques dont ils ont été les acteurs ou les témoins. Cela crée un lien supplémentaire au sein des familles, un trait d’union entre les générations. On comprend mieux l’Histoire quand on la vit à travers les mots de quelqu’un de sa famille. A qui s’adresse ce type de récit ? Pas besoin d’être ministre ou sportif de haut niveau pour avoir des choses à raconter. Toute vie mérite d’être écrite dans un livre à destination des proches : enfants, petits enfants, arrière-petits-enfants, amis, collègues, collaborateurs. Faut-il attendre d’avoir 80 ans pour réaliser un tel projet ? Non. Les clients de Plume d’Eléphant ont de 25 à 100 ans. On peut raconter son mariage ou la naissance d’un enfant, un moment de vie, un événement très fort : un voyage, une réalisation, un accident… On peut faire un bilan à mi-parcours, à 50 ans. Il n’y a pas d’âge pour avoir des choses à raconter et l’envie de transmettre.

N’est-ce pas un peu prétentieux d’écrire sa biographie ? Je ne crois pas. C’est au contraire prendre conscience qu’on n’est qu’un maillon de la chaîne et pas le dernier. Transmettre, c’est accepter que l’on n’est pas immortel. »

Laisser une trace à travers un livre, cela a du sens. Vous travaillez également avec des associations, des entreprises, des collectivités. Que racontent-elles ? Les associations, entreprises ou collectivités sont avant tout des aventures humaines, d’engagements, de défis relevés, de moments heureux et difficiles, dans un contexte économique, social, politique donné. C’est très comparable à une biographie humaine. Le lectorat est juste moins familial. Quel est le récit le plus émouvant que vous ayez eu à réaliser ? Probablement celui d’une dame d’origine arménienne, qui raconte le massacre de sa famille, puis son arrivée en France, à 14 ans, pour servir d’éclaireur à sa famille et comprendre, pour eux, un nouveau pays, sa langue, ses codes. . .


Pourquoi faire appel à une personne extérieure ? Pour prendre du recul. Seul face à la page blanche, on ne répond qu’à ses propres questions et on a moins de curiosité. Le décalage entre les générations permet aussi cela. Ce qui semble normal à quelqu’un de 80 ans ne le sera pas pour quelqu’un de 30 et c’est sur ces décalages que s’appuie la curiosité pour rendre le récit instructif. Concrètement, comment se passe la réalisation d’une biographie ? Les entretiens se déroulent au domicile des clients, par séances de deux heures. Ils sont enregistrés, puis retranscrits. En amont, les clients remplissent une grille préparatoire de plusieurs pages, permettant de cerner leurs attentes, les sujets qu’ils souhaitent aborder… La méthodologie des entretiens est inspirée du journalisme et de la sociologie. Le biographe est là pour cadrer les débats, poser les questions, faire préciser les détails, relancer la personne, l’aider à se raconter efficacement. Il est le confident privilégié d’un témoignage unique, le trait d’union entre une personne et son entourage. Il ne cherche pas à rétablir la vérité, son rôle n’est pas celui d’un enquêteur, d’un confesseur ou d’un psychanalyste, mais d’un collecteur d’informations et d’un passeur. Pourquoi est-il important que ce récit soit imprimé dans un livre ? Un livre, c’est à la fois très statutaire et très simple. Il sacralise le contenu et il le rend très intime. On le met dans sa bibliothèque ou on l’emporte avec soi dans son sac. On fait des annotations, des messages personnels, des dédicaces. C’est un support particulier et attachant. C’est aussi le support de l’instruction, de la transmission du savoir. Enfin, un livre est éternel. Laisser une trace à travers un livre, cela a du sens.

Biographie ou autobiographie ? Une biographie correspond à l’histoire écrite de la vie de quelqu’un. Une autobiographie correspond à la biographie d’une personne écrite par elle-même. Ces deux termes sont issus de trois mots grecs : « auto » (soi-même), « bios » (vie) et « graphein » (écrire). L’autobiographie, un genre littéraire à part entière. Récit que chacun veut faire de sa propre vie, l’autobiographie est un genre littéraire à part entière dont la principale caractéristique est d’être rédigée avec un esprit de vérité. Les origines de l’autobiographie. Saint Augustin fut le premier à rédiger ce type d’écrit avec les Confessions, au IVème siècle après J-C. Montaigne a ensuite publié les Essais, dans lesquels il relate des événements de sa vie publique et privée et s’interroge sur son époque. Au XVIIIème siècle, l’idée d’intéresser les autres en parlant de soi se développe.

Un lieu pour les autobiographies. Au sein de la médiathèque municipale d’Ambérieu-enBugey, dans l’Ain, l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique collecte, conserve et met à disposition du public des textes autobiographiques inédits rédigés par des personnes issues de tous milieux sociaux. Sans cette initiative, ils auraient disparu alors qu’ils constituent un fond documentaire d’un grand intérêt. En 20 ans d’existence, l’association a recensé 3000 textes inédits dont 80 % correspondent à des récits de vie de personnes âgées. Il n’est pas nécessaire d’être adhérent pour déposer son texte (autobiographie, récit de vie, journal intime, correspondances) sous forme de manuscrit, tapuscrit, enregistrement sonore, cassette audio ou vidéo ou support informatique. Contact : Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique (APA) La Grenette 10 rue Amédée-Bonnet 01500 Ambérieu-en-Bugey Tel : 04 74 34 65 71 Site : http://association.sitapa.org Carnet d’Art 15


[ Réfléchir - Voyages ]

saint-pierre de la martinique/ quand la terre a le diable au corps.

Yvette Carton - Voyageuse

À 85 mètres de fond gît le corps d’un bateau. C’était un fameux trois mats en fer, de 566 tonneaux, construit en 1862 à Liverpool. Il appartenait à la maison Rozier de Nantes, immatriculé à la Marine Marchande sous le numéro 356. Le Tamaya a coulé avec la totalité de son équipage le 8 mai 1902. Ce jour-là, à 8 heures du matin, l’éruption de la Montagne Pelée a fait disparaître la jolie ville de Saint-Pierre de la Martinique et ses habitants en quelques secondes. Un bruit énorme et c’est la montagne qui s’ouvre, laissant jaillir un nuage de cendres, de boues, de gaz. C’est une masse presque solide qui enfle, se gonfle, roule et éclate en nuages de feu. Et puis c’est le basculement vers la ville. La lumière du jour n’est plus, les premières maisons sont touchées, pulvérisées… 30 631 personnes, hommes, femmes, enfants, blancs, noirs, pauvres ou riches, croyants ou sorciers, gendarmes ou voleurs, femmes de cœur ou de petite vertu, ont disparu dans un uniforme magma. Etouffés, corps carbonisés, corps éclatés par le fleuve de feu. Saint-Pierre est balayé. Ce jour-là, le Tamaya s’est enfoncé dans les eaux des Caraïbes. Il n’a pas été le seul, une quarantaine de navires,

16 Carnet d’Art

petits et grands, ont été anéantis. Son commandant, Théophile Mahéo et les douze matelots ont vu ce nuage dévastateur dévaler les pentes de la montagne, franchissant tous les obstacles, traverser la ville et rebondir sur la mer qui se creuse, frappant les bateaux de plein fouet dans la rade et éclatant les plus légers. L’obscurité est totale, les cendres brûlantes aveuglent les hommes et enflamment tout sur

C’est la montagne qui s’ouvre laissant jaillir un nuage de cendres.


leur passage. Les mâts, les gréements, les coques, les équipages et les cargaisons disparaissent sous cette force. Les bateaux les plus lourds sont couchés, démâtés dans les minutes qui suivent et ils coulent. La Gabrielle, le Grappler, le Clementina, et d’autres disparaissent dans les flots. Le Tamaya, le Sacro Cuore, l’Arama sont transformés en brûlots et s’enfoncent bientôt inexorablement. Le Roraima, un grand vapeur de la compagnie Québec Line est couché, en feu à l’arrière. Les passagers qui étaient dans leurs cabines sont morts asphyxiés par les gaz ou encore noyés par l’eau entrée par tribord. De tous côtés agonisent des brûlés, il reste quatre hommes d’équipage valides à bord. Sur le Roddam, le passage du nuage dévastateur a épargné certains marins qui avaient trouvé refuge à l’intérieur, une partie de ceux qui étaient sur le pont ont été balayés, précipités à la mer dans une eau bouillante, les autres sont atrocement brûlés. Deux minutes qui semblent durer des heures, les cendres meurtrières sont suivies d’une pluie de boue qui adhère partout, formant un moule de plâtre sur les corps. Le Roddam réussit après maintes manœuvres à sortir de la rade, sans pouvoir porter secours au Roraima qui est pourtant tout près, ce dernier brûlera trois jours

avant de couler. Au large, un navire assiste impuissant à la catastrophe, c’est un câblier français, le Pouyer Quertier, qui émet le message suivant :

« S.O.S. SAINT-PIERRE DETRUIT PAR ERUPTION MONTAGNE PELEE S.O.S. » Il est 8h03. Jamais les équipages des bateaux qui arriveront plus tard dans la journée pour porter secours n’oublieront cette vision de cauchemar, cette mer grise couverte de débris, les hurlements de douleur des survivants sur les coques en feu et au bout de cette rade les ruines fumantes de celle qui fut la perle des Caraïbes. Trois jours plus tard, dans ces ruines, encore fumantes et envahies d’une puanteur insoutenable, seront retrouvés deux hommes. Derrière les murs épais de sa cellule de prison, Auguste Ciparis est grièvement brûlé mais vivant. Plus loin, Léon Compère, le cordonnier, doit sa survie au cagibi bien enterré dans lequel il se trouvait. Ils sont les deux seuls survivants de Saint-Pierre.

Kilauea © Tanguy de Saint Cyr

Carnet d’Art

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la baie est superbe avec sa plage de sable gris... Saint-Prierre -Yvette Carton

Mars 1990, rencontre avec Michel Metery. C’est lors d’un stage de plongée sous-marine au Carbet à la Martinique que je rencontre Michel Metery. Il est le directeur du centre, moniteur de plongée bien sûr mais beaucoup plus. Ses yeux bleus et rieurs me séduisent d’emblée et puis l’homme est un passionné. C’est sur la terrasse de sa maison de bois sur la colline, sous l’œil d’un perroquet assez peu bavard et avec à la main un Ti ’punch, que Michel nous a raconté au fil des jours son incroyable aventure. Une pêche pas ordinaire ! En 1972, Michel, originaire de Montélimar, s’installe en Martinique et dirige un hôtel avec un ami. Passionné de plongée, il peut dans cet endroit donner libre cours à sa passion et les gens du coin le connaissent. Un soir de février 1974, un de ses amis lui demande s’ il peut aider un cousin, pêcheur à Saint-Pierre, dont le filet est resté accroché dans les fonds au beau milieu de la rade. Ces filets sont l’outil de travail de ces petits artisans et leur perte peut plonger une famille dans la misère.

18 Carnet d’Art

Voilà donc Michel au petit matin sur le bateau avec son matériel, il estime la profondeur à 35 - 40 mètres, bref, une plongée banale dans cette eau tiède et limpide. Il descend lentement en suivant le filet, flotteur après flotteur, regardant au passage les poissons pris dans les mailles. Impression de paix, silence que seul le bruit du détendeur vient troubler. La luminosité est exceptionnelle et puis soudain apparaît devant lui, à une trentaine de mètres, la masse d’un bateau sur sa quille. Oubliés le filet et le but de la plongée ; Michel survole l’épave qu’il estime être un voilier et qu’une extraordinaire vie marine a colonisé. Posée sur le sable gris, toute la coque est recouverte de coraux, d’une flore colorée et entourée de poissons tout aussi colorés pour certains comme les perroquets, les demoiselles… Deux grands mats sont couchés, perpendiculaires à la coque puis une ancre se dresse vers la surface. Michel se remémore l’effroyable catastrophe de Saint Pierre mais jamais il n’avait ressenti aussi nettement ce rappel dramatique d’un passé enfoui. Ce bateau avait vécu l’indescriptible drame ! Revenu à la réalité, il décroche avec son couteau le filet pris dans un enchevêtrement de poutres du voilier puis remonte lentement vers la surface, vers la vie.


Ce voilier était la Gabrielle, quelques pêcheurs avaient vu les épaves sans en parler, mais Michel va fouiller dans les archives et l’un après l’autre va retrouver les restes des plus grands bateaux. Suivront des rencontres, des histoires d’amitiés avec Albert Falco, plongeur puis capitaine sur la Calypso qui amèneront dans la baie de Saint-Pierre le commandant Cousteau en 1979 avec sa soucoupe plongeante. Il terminera ici son film La fortune des mers. Michel va plonger encore et encore, faire partager sa passion, tout répertorier. Il connaitra des émotions intenses, il a aussi failli y laisser la vie. Plonger à des profondeurs extrêmes n’est pas sans risque. Si la Gabrielle est à 30 mètres de fond, le Roraima est à 50 mètres et le Tamaya à 85 mètres de fond. . . Il est l’auteur d’un livre qui raconte cette fabuleuse aventure, Tamaya, les épaves de Saint Pierre.

Il connaîtra des émotions intenses...

Et maintenant . . . Michel vit toujours en Martinique. Avec son ami Falco ils ont œuvré pour la protection de ces fonds qui leur sont chers et ont obtenu un prix pour un film qui rend hommage à la nature, aux biodiversités et à l'évolution du récif corallien. Albert Falco est décédé en avril 2012. Saint-Pierre est aujourd'hui une jolie petite ville, classée « ville d’art et d’histoire ». Elle compte 4 500 habitants, son activité principale est basée sur le tourisme avec la plongée sur les épaves bien entendu ! Elle n’a plus l’importance de la ville de 1 900 qui était surnommée « le Paris des Isles » avec son réseau d’éclairage urbain électrique, son tramway, son théâtre de 800 places, sa chambre de commerce. Elle était à l’époque la capitale économique et culturelle de toutes les Antilles. Mais il faut aller flâner dans ses rues, visiter les ruines recouvertes parfois de végétation luxuriante, voir le cachot de Ciparis, aller dans les musées, s’imprégner de cette atmosphère et lever humblement les yeux vers la Montagne Pelée. La baie est superbe avec sa plage de sable gris, mais allez voir au fond de l’eau. . .

...mais allez voir au fond de l’eau...

Philippe Chauvin

Carnet d’Art

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[ Réfléchir - Art ]

l’art, contrainte du corps/ le corps du spectateur affecté par le corps de l’œuvre d’art. Arnaud Idelon - Auteur Musée des Beaux-Arts. En face - facing diront nos voisins d’Outre-Manche, avec le mérite notable de souligner la dimension active de l’acte - d’une toile, debout, à une distance raisonnable du tableau pour en embrasser à la fois les détails et la dynamique d’ensemble, vous pensez déjà à vos talons ampoulés qui vous rappelleront ce soir qu’on ne sillonne pas impunément une journée durant les hautes contrées de l’art. Voici donc venir l’évidence aux allures d’eurêka : nous sommes physiquement contraints, corporellement déterminés, par la nature même de l’œuvre d’art. « Banalités que tout cela ! » jurez-vous. Sans doute, mais un tel habitus a pénétré si profondément notre rapport aux œuvres d’art qu’il participe - comme pour la psychanalyse et l’incontournable divan - d’un dispositif ritualisé qui, s’il est réitéré inconsciemment à chaque nouveau façing - n’est que rarement questionné. Or un tel rapport à l’œuvre ne va pas de soi et participe d’une forme culturellement déterminée qui décide de notre rapport à l’image. D’Alberti à Panofsky. Au commencement était Pline l’Ancien qui, abusant déloyalement de la naïveté de ses contemporains, fabulait à loisir sur un veau crédule qui serait venu téter une vache peinte, voire sur des oiseaux ingénus picorant allègrement les raisins peints par un certain Zeuxis. Profitant du boom éditorial de son collègue, Alberti dans son De Pictura, décidait alors, au travers du mythe du beau gosse un brin benêt Narcisse, de faire de la peinture une fenêtre ouverte sur le monde. L’aimable charlatan instaurait avec ce canular la tradition illusionniste de la peinture. Suivie par ses contemporains, et jusqu’à ce que Manet tape du point sur la table, la conception albertinienne de la peinture posait le tableau comme ouverture - ou trouée - vers un ailleurs, et évinçait la matière picturale et la toile comme surface au profit de l’objet représenté. En évacuant le matériel pour l’Idée, le signifiant pour le signifié, Alberti ouvrait la voie à une conception idéaliste de la peinture - pérenne jusqu’à Panofsky - et consacrait le tableau-fenêtre comme verticalité. 20 Carnet d’Art

Pollock et Tintoret. « Mais, m’interpellez-vous, pourquoi en passer par les mythes de la peinture ? Ne voyez-vous pas, glorieux faraud, que la seule raison à cette verticalité du tableau est à chercher dans les contingences matérielles de la création ? Le peintre peint au chevalet, et nul besoin pour cela d’étaler votre culture-confiture ! » « Certes, vous dirais-je, mais que faitesvous donc des drippings de Pollock ? Du Tintoret travaillant ses grands formats à l’horizontale ? Pourtant, souligneraisje déjà triomphant, le maniériste comme l’expressionniste voient leurs toiles accrochées verticalement aux cimaises ; il y a donc une bonne raison à cela ! Et cette raison n’est en rien matérielle, mais culturelle, voire cultuelle - ne prie-t-on pas facing l’icône ? » Bataille, Twombly ou Bacon. La raison est autre, vous dis-je, la conception du tableau comme fenêtre a totalement effacé la matérialité du tableau, sa corporéité. La vocation idéaliste de la peinture nie tout en bloc le tableau comme surface, comme matière, comme corps. La verticalité de l’image initiée par Alberti a pour conséquence de lier le support matériel à l’image ; la représentation classique refoule la surface matérielle de l’œuvre pour tendre vers une idéalisation de l’image. Vous pensez déjà, je le vois, à la dialectique horizontal/vertical, anus/bouche, charnel/abstrait initiée par Bataille. Le rapport intellectuel à l’œuvre d’art a donc des incidences physiques dans sa perception. Seul l’insignifiant détail de la coulure - de cet écoulement de matière liquide sur la surface de la toile - souligne cette verticalité, comme dans ces toiles de Twombly ou Bacon, mais aussi de Rubens ou Raphaël, qui font signe vers ce que Jeff Wall nommera l’intelligence liquide de l’image, l’origine essentiellement liquide de toute image.


Adams et Dubuffet. La coulure nous rappelle que notre rapport à l’image est peut-être avant tout un certain type de rapport au corps ; visuel, notre rapport à l’image est aussi corporel, d’où la question du vertical, et voilà que, pirouette après pirouette, je retombe sur mes pieds. En suivant le psychiatre Bimswanger, je dirais que l’on a une perception de l’œuvre en même temps qu’une sensation. L’œuvre n’affecte pas seulement notre raison mais en premier lieu notre corps et touche à notre manière de vivre l’espace. Cette perception affective, irréfléchie, de l’espace, draine des connotations particulières qui accompagnent notre rapport à l’espace sans que cela ne relève d’une analyse ou d’une interprétation. Spectateurs, la position de notre corps engage notre perception symbolique du monde ; puisque c’est notre corps vertical qui décide de notre rapport au monde, nous le chargeons de valeurs que l’on retrouve dans notre propre perception de l’œuvre d’art. Prenez-moi au pied de la lettre, l’enseignement de la discipline de l’histoire de l’art se fait au travers d’un dispositif ritualisé de projections d’images qui contraint un rapport frontal à l’œuvre ; le terme de projection induit de lui-même l’idée de projection subjective : l’image projetée sur l’écran par l’historien de l’art est en quelque sorte une projection de lui-même, du moins de sa perception symbolique du monde. Démonstration bancale dites-vous ? À quoi je vous réponds d’un clin d’œil complice : ça se tient !

A mon tour de mettre sur pied mon argumentaire : nombre d’artistes contemporains placent l’opposition horizontal/vertical - mais aussi forme/contenu, figuration/ abstraction - dans une volonté de contredire cet usage de la verticalité de l’œuvre. Dans sa série Sols. découpe réelle d’une portion de macadam redressée à la verticale, Dubuffet place verticalement un plan qui renvoie à l’idée d’une surface horizontale. De même, Denis Adams dans l’œuvre vidéo The André Malraux’s shoes filme-t-il d’un point de vue zénithal un homme - sosie de Malraux en moins mythomane - foulant des pieds les photographies de son musée imaginaire disposées à plat à même le sol. Toutes ces expressions de l’art contemporain instaurent un autre type de rapport phénoménal à l’image. Et là, je sors ma botte secrète, véritable pied de nez à votre talon d’Achille : si Narcisse, inventeur mythique de la peinture, s’est noyé en tentant d’embrasser son reflet à la surface de l’eau, doit-on rappeler que l’étymologie latine imbrachiare du verbe embrasser signifie : tenir quelqu’un dans ses bras, mesurer de son étreinte. Dès l’origine, la représentation, même idéale, garde dans sa réalité matérielle le rapport au corps. Indication bibliographique : Guillaume Cassegrain, Maître de conférence en Histoire de l’art (Université Lyon 2), La Coulure (à paraître).

Arnaud Idelon

Carnet d’Art

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[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

Agir, faire, construire… Même pas deux petits siècles, en partant de " l'Homo faber ", pour arriver, enfin, au dossier de la rédaction.

24 Carnet d’Art


26

olympia

30

eros & thanatos

32

corps et cinéma

35

les déviants

37

artistes maudits

aux nues du scandale

les corps intemporels

un parcours historique

dans mon désert de jade stériles provocations

Emmanuel Moreaux

Dossier de la rédaction corps ultime Carnet d’Art

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[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

Edouard Manet (1832 - 1883), Olympia, 1863, Musée d’Orsay, Paris

olympia/

aux nues du scandale.

Arnaud Idelon - Auteur L’Olympia de Manet ou le scandale du corps dans l’art : le récit des effets d’une œuvre qui déchaîna les passions en son temps, jusqu’à poser les bases pérennes d’une modernité du corps en art. Si personne ne s’offusque plus aujourd’hui devant Olympia, scandale il y eut. On raconte que, lors de son exposition au Salon de 1865, Olympia dut être décrochée, cible d’un rejet catégorique du public qui manifesta son refus en tentant de percer la toile à coups de parapluies, au milieu d’une cacophonie d’invectives. Le premier surpris d’un tel scandale fut le peintre 26 Carnet d’Art

lui-même qui confia son étonnement à Baudelaire en ces termes : « Les injures pleuvent sur moi comme grêle. Je ne m’étais pas encore trouvé à pareille fête. » Un tel scandale naît d’une rupture sans précédent avec les normes édictées par l’Institut, matrice du goût dominant. Ainsi le peintre fut-il salué comme

la figure de la modernité artistique par ses défenseurs dont Baudelaire, certain d’avoir enfin trouvé en Manet son «peintre de la vie moderne ». Le scandale d’Olympia est fondamentalement lié à un traitement nouveau du nu et à la perception du corps qu’il génère. Un tel scandale se révèle symptomatique d’un schisme profond entre une poignée d’avant-gardistes


et un ordre social bourgeois au goût majoritairement académique, d’une scission qui achoppe sur le statut de la représentation du corps dans l’art. Pourtant la figuration de la nudité féminine dans la peinture occidentale est une tradition qui remonte au XVIème siècle à l’instar de La Vénus d’Urbin du Titien ou de La Maja Desnuda de Goya (toiles explicitement citées par Manet pour Olympia) et de toiles contemporaines d’Olympia telles que La Naissance de Vénus par Cabanel (1863). Le nu classique. Si donc existait un nu classique, ce n’est plus dans le sujet que le scandale est à chercher mais dans son traitement. De fait, le nu, qui constituait l’un des morceaux de bravoure de tout peintre qui aspirait à quelque renommée, demeurait l’un des sujets d’élection des classiques. Ces derniers évoquaient le corps féminin au prisme d’un

traitement allégorique, mythologique ou biblique, donnant vie sur la toile à un corps idéalisé et parfait, héritier du modèle antique. Si la critique évoque à la fois un scandale moral – Olympia serait le reflet d’une légèreté de mœurs de l’artiste-bohème, antithèse de l’ordre bourgeois – et un scandale esthétique – le public n’aurait pas supporté l’ostentation d’une telle laideur (pour les normes de l’époque) ; la véritable subversion naît de ce qu’un traitement réaliste se substitue avec Olympia au traitement idéal du corps représenté. De fait, la vision idéalisée de la Vénus comme modèle académique éternel se change en vision fidèle de la femme, sur le credo du maître du réalisme Courbet : « Peindre, c’est voir. » Ainsi, le réalisme effronté de Manet l’avait conduit à s’inspirer d’un modèle de sa connaissance, Victorine Meurent, et de la rendre sur sa toile telle qu’il la voyait : « Il y a des duretés me dit-on, elles y étaient. J’ai fait ce que j’ai vu. » Et si l’objectivité de Manet trouve des

louanges sous la plume de quelques connaisseurs éclairés, elle rencontre une franche hostilité dans l’opinion et la presse – puisque que l’on ira jusqu’à dénombrer 55 articles défavorables sur 60 au lendemain de l’ouverture du Salon. Erotisme et pornographie. Une autre raison de ce scandale est à chercher du côté de la mince frontière entre érotisme et pornographie. Affranchie des drapés classiques et des attributs allégoriques, Olympia pose nue et sans atours, offerte crûment aux regards des spectateurs. Si Courbet avait franchi cette limite avec deux toiles de 1866 - celles-ci étant destinées exclusivement à l’usage privé du consul d’Egypte à Paris Khalil Bey – jamais artiste n’avait exposé une toile où le rapport entre érotisme et pornographie est si ténu, en rapport au goût de son époque.

Larry Clark - Exhibition à Berlin

Carnet d’Art

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Gervex - Rolla, 1878.

Le scandale ne fut pas vain, et son auteur devint pour beaucoup de ses contemporains le pionnier d’une modernité picturale où s’opérèrent de profondes mutations quant à la représentation du corps. Le violent scandale de 1865 n’était plus, dix ans plus tard, qu’un souvenir épique ayant ouvert la voie à un nouveau corps dans l’art, un corps moderne. Ainsi, les hommages directs de Cézanne et Bazille à Olympia ne firent que peu de remous, tout comme la Rolla d’Henri Gervex ne déchaîna aucune passion et fut même taxée d’académisme malgré un sujet explicite.

appréhender une modernité toujours problématique à évaluer. 28 Carnet d’Art

Le corps en scandale dans l’art contemporain. Un scandale de la même ampleur que celui soulevé par l’Olympia de Manet à la fin du XIXème siècle est-il encore pensable aujourd’hui ? Le corps contemporain peut-il être le corps d’un scandale ? Il semble qu’il doive falloir composer avec une historicité du regard sur le corps en ce que les représentations du corps sont les produits d’un contexte socioculturel propre à chaque époque. Le corps (et les représentations qu’il génère) pourrait être l’une des entrées possible dans l’histoire de l’art pour appréhender une modernité toujours problématique à évaluer. Il faut donc considérer le regard comme historique afin de réfléchir aux conditions d’apparition d’un scandale dans le champ artistique : de telle sorte qu’il

paraît aujourd’hui difficile d’imaginer quel serait l’équivalent scandaleux d’Olympia ? De fait, la société contemporaine offre un nouveau paradigme à la fois du corps et de l’image, et de l’image du corps. À un âge où le développement sans précédent du Web rend accessible à tous des millions d’images érotiques et pornographiques, à l’âge où le corps envahit par l’image le paysage urbain et médiatique, à l’âge où le corps signifie désormais et désir et consommation, ne pourrait-on pas parler d’une perte d’aura du corps au sens d’une perte par le corps de sa potentialité à choquer, à frapper, à agir sur une société ? La reproductibilité du corps en image ne correspondrait-elle pas à une perte de la valeur performative du corps dans l’art ?


Lorsque Manet réduisait l’écart entre la Vénus et la prostituée, entre l’érotique et le pornographique, il était conscient de son effet au regard des normes esthétiques établies par l’Académie, il était conscient d’être l’auteur d’un acte subversif. Or, un Lucian Freud qui choisit aujourd’hui d’exhiber frontalement un sexe ne s’oppose à aucun rempart normatif, si ce n’est la sensibilité d’un public ; l’acte révolutionnaire se trouve réduit à la provocation. Le corps-choc ne choque plus. Le choix des frontières. L’art contemporain a désormais franchi radicalement le pas qui séparait érotisme et pornographie, rendant poreuse cette mince frontière qui change pourtant le statut même du corps dans l’art. L’art semble aujourd’hui jouer, flirter avec cette limite en faisant, non plus du corps seul, mais de cette limite même l’un de ses objets.

La polémique née cette année autour de l’exposition de Larry Clark et d’une possible censure pour un public mineur montre bien par la limite d’âge symbolique que la transgression de la frontière entre érotisme et pornographique est actée par l’art contemporain. L’équivalent contemporain du scandale d’Olympia ne pourrait donc plus jouer aujourd’hui avec la même efficacité de cette frontière perméable entre érotisme et pornographie. Le prétendant à un nouveau scandale de la modernité artistique serait peut être celui qui amplifierait le fossé entre deux représentations opposées du corps : une représentation du corps comme canon mannequin (et dont l’image publicitaire livre l’archétype), d’un corps sublimé, idéa-lisé et désincarné (égal moderne du moule académique du XIXème) et un corps, objet de la propension de l’art contemporain à spéculer dans le domaine de l’irreprésentable, corps

malmené, corps exhibé, corps mutilé, corps écorché. A moins que le véritable scandale soulevé par le corps dans l’art relève du fait qu’il est scandaleux aujourd’hui (pour le public cultivé et bien pensant de l’art contemporain) de faire scandale. Le véritable scandale serait bien là : ne plus se scandaliser.

le véritable scandale serait bien là : ne plus se scandaliser.

Courbet - Le sommeil 1866

Carnet d’Art

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[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

eros & thanatos/ les corps intemporels.

Demetrio Trunfio - Poète

XXXIV Oh fruit mûr, oh sensualité folle à mourir ! De toi deux images me hantent. Mille fantasmes en moi enfantent, Furieux torrents charriant les désirs Innocente, avec un enfant tu jouais. Sans malice ta langue lui montrait. Soudain elle m'apparût instrument d'amour. Oh désir de croiser ma lame dans ta cour ! Oh fureur du combat, bruit de l'acier. Et soudain le souvenir d'une bataille perdue Dans la mémoire d'une époque inconnue. Oh l'envie du sang, oh l'envie de percer ! Je me souviens d'une nuit chaude de magie, Les étoiles guidaient les marins dans l'orgie. Je me souviens de ton corps électrique, Ton ouïe attentive, ton regard perdu, extatique. Tu buvais mes paroles et je disais : Le plaisir de la manière sodomite. J'ai toujours su que tes lèvres charnues N'étaient que copie de la porte interdite. Je rêve d'y frapper et que tu m'ouvres. Prisonnier dans le palais que tu couvres J'attends que tu viennes me délivrer. Je t'aimerai la nuit où la lune impudique Montre ses blessures. Lune pleine, ronde, grasse. Obscène lune comme matrone de bordel. Thierry Chollat

Aix-les-Bains, poésie issue du recueil Eros & Thanatos

30 Carnet d’Art


Cher Demetrio,

Je viens de terminer la lecture de ton Eros & Thanatos.

En te lisant j'ai comme l'impression d'une nostalgie de cette époque que je n'ai pas connue. Celle durant laquelle vous pouviez rencontrer quelqu'un et, par simple sympathie, faire l'amour…sans autre question. La liberté sexuelle. Est-ce vrai qu'à l'époque il n'était pas nécessaire d'être beau, qu'il suffisait d'être gentil…que ça donnait envie de…faire l'amour…? La liberté sexuelle…il paraît… Tu sais que lorsque je suis né, en 1989, l'acte d'amour pouvait déjà porter en lui la mort. J'ai beaucoup entendu parler de ces années de la fin de cette décennie, comme une sorte de glissement des comportements sexuels vers un renfermement. Je suis donc de cette génération qui est née avec cette maladie, qui est enfant de cette frustration, et qui mourra malade et frustrée. Je ne sais, ni quand tu as écrit ce poème XXXIV Eros, ni quand tu l'as vécu, si cela est le cas, mais je comprends un désir charnel foudroyant sans doute parce qu'inassouvi, est-ce que je me trompe ? J'ai une question cher ami, comment fais-tu pour vivre avec ce souvenir physique si présent alors que tu ne l'as pas vécu ? Comment ton corps se souvient-il de quelque chose qu'il a fantasmé ? J'ai l'impression que tes membres vibrent encore à l'évocation de cette femme. Je ne comprends pas comment tes lèvres, ton sexe ou ton cœur peuvent revivre un souvenir qui n'en est pas un… Voudrais-tu m'expliquer ? Avec toute mon amitié. A.

Cher Antoine, lecture de mon recueil. Je te remercie pour la lettre que tu m’as adressée après la XXXIV, m’a à la fois surpris et en même temps m’a fait Je dois t’avouer, en toute modestie, que ton choix du poème cas j’aurais aimé que le lecteur ne le remarque pas. Une plaisir : oui c’est un poème que j’aurais voulu cacher, en tout moi seul. Le fait que tu l’aies choisi et apprécié me pour garder le de certaine pudeur de ma part, et aussi une volonté car au fond, peut-être, c’était de ça qu’il s’agissait. donne la force de croire qu’il ne faut jamais s’autocensurer, entre autres, au désarroi de ma génération qui L’écriture de ce recueil « Eros et Thanatos » était dû, causer sur les corps et les esprits : oui, l’acte allait Sida le que Mal du r découvrait, au milieu des années 80, l’ampleu d’amour pouvait porter en lui la Mort. et d’impuissance. Devant ce phénomène mortifère nous fûmes envahis de rage cette époque de l’âge d’or. de ues nostalgiq s devînme nous aussi nous dis le tu Et comme la liberté sexuelle. conquis avait 68, en ans vingt Epoque où ma génération qui avait vivons dans un monde de consommation immédiate, celle-ci Qu’est devenue cette liberté après les « années Sida ? ». Nous à un autre désir, ainsi le cycle infernal peut se poursuivre. effectuée, chaque objet du désir disparaît pour laisser la place tendance qui nous est imposée. Les Femen, nouveau lourde Corps, sexe et érotisme ne sont pas indemnes de cette leur corps comme un espace publicitaire… c’est dire à quoi mouvement féministe apparu sur la scène médiatique, utilisent en dehors de ces nouvelles problématiques ? rester pouvait le Corps a été réduit. Comment croire que l’Art

re la nostalgie qui a contribué à donner vie à ce Revenons à ta lettre, tu parles de nostalgie, c’est peut-êt à la femme du poème qui t’a suggéré tes questions. Cette « fantasme », que j’ignorais et qui va donner une identité le désir. mêler se venait où jeune femme m’inspirait de la sympathie de l’inconscient et que l’écriture du poème a ressuscité. profond plus au enfoui enseveli, resté e fantasm d’un Il doit s’agir poème a donné naissance à ce fantasme ? Le poème du e l’écritur ou enfoui, e fantasm Ai-je écrit ce poème à cause de ce plus depuis vingt ans ? voyais ne je a-t-il trouvé un objet d’identification en cette femme que mettre à jour la démarche complexe de l’écriture Répondre à ta première question, si je parvenais, voudrait dire poétique, or nous savons que celle-ci surgit sans crier gare. poème fini, je trouve qu’il charrie désirs fous et passions, le Une autre hypothèse pourrait aussi être émise : une fois le poème avait besoin de s’incarner pour mieux exister. Prendre rythme et la versification le font particulier à mes yeux. Ce souvenir dormait dans ma mémoire. Et c’est parce que le le dont source et formes dans le corps de cette jeune femme mon corps se souvient de son fantasme. poème s’est incarné que le souvenir devient physique et que et le Corps ont toujours eu une relation des plus Au delà de cette tentative de réponse(s), je pense que l’Art , et tout récemment le cinéma et la photo, ont peinture la e, sculptur La société. problématique, souvent imposée par la Corps. Ce n’est pas le cas de la poésie et de la le aborder eu à leur disposition des outils qui leur ont permis de mieux Corps. le avec… corps corps-àmusique, obligées à poursuivre leur Cher ami, reçois toutes mes amitiés. D.

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[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

le corps au cinéma/ un parcours historique.

Clara Lavigne - Etudiante en histoire et cinéma

Il ne peut y avoir d’art sans corps. Tout d’abord parce qu’il n’existe pas d’œuvre sans public, mais il n’existe pas non plus d’œuvre sans auteur. Cependant, le corps ne semble pas s’imposer dans le contenu même des œuvres. Le paysage, la nature morte ou même la pure description topographique sont des exercices stylistiques en soi, qui se passent de toute représentation du corps humain animé. Pour le cinéma, il n’en va pas de même. Art de l’animation, du rendre l’âme, on ne saurait imaginer un film entièrement paysager, vide de mouvement humain, ou même de caméra. Bien sûr il existe des films véritablement déserts, et paradoxalement, le corps y est encore plus sensible ; il brille par son absence. Néanmoins, la question de la représentation du corps au cinéma ne va pas de soi. C’est une question fortement historicisée qui permet souvent d’appréhender la question difficile de la modernité en art. Le corps au cinéma est toujours une représentation unique issue d’un point de vue d’auteur singulier, mais il s’inscrit toujours dans une perspective historique au sein des autres arts, et évolue jusqu’à former une récente - mais riche histoire du cinéma. La naissance du cinéma, le corps attraction. Le cinématographe a été un véritable choc pour les spectateurs lors des premières projections publiques des frères Lumière à la fin du XIXème siècle. Tout comme la photographie, le cinématographe était l’aboutissement du réalisme, jusqu’à la reproduction, et l’illusion du mouvement de la vie. Ainsi, l’écrivain russe Maxime Gorki écrit en 1896 : « J’étais hier au royaume des ombres. Si vous saviez comme cela est effrayant ! Il n’y a là ni sons, ni couleurs. Tout : la terre, les arbres, les hommes, l’eau et l’air, tout y est de couleur

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grise uniforme sur le ciel gris. […] Ce n’est pas la vie mais une ombre de la vie.». Ainsi, bien que le cinématographe soit l’aboutissement du réalisme en art, l’image ne peut concurrencer le réel, ne peut acquérir de réalité ontologique dans les premiers temps du cinéma. Dès lors, le cinéma se développe comme une attraction : itinérant, suivant les foires, jusque dans les années 1920, très peu de salles de cinéma existent. La reconnaissance du cinéma comme Art parmi les arts est une question qui fait profondément débat aujourd’hui : œuvre collective sans auteur, reproductible donc sans original etc. Néanmoins, on peut dire que le cinéma lors de son développement était considéré comme un art de foire, c’est une véritable cinématographie-attraction. Le corps se situe alors entre le monstrum et le monstrare, c’est un monstre que l’on exhibe. Les femmes à barbes, nains et autres contorsionnistes juxtaposent une projection de cinéma où l’on peut découvrir ces ombres que décrit Gorki. Peu à peu des cinéastes comme Méliès, prestidigitateur de formation, exploitent les capacités du cinéma en termes d’apparition et de disparition des objets et des corps. Il suffit de filmer puis de couper la caméra. Sans la déplacer, on ôte un objet puis l’on recommence à filmer. Une fois que l’on projette le film, sans interruption, c’est comme si l’objet disparaissait. Bien sûr, Freaks de Todd Browning (1932) ou encore Elephant man de David Lynch (1980), sont des hommages à ce premier temps du cinéma qui fait du corps non pas une représentation réaliste de l’homme, mais une représentation de l’inhumanité. Si l’objectif est avant tout de divertir, comme dans le cinéma d’horreur, l’exposition positive de l’inhumain cherche à parvenir à une définition négative, en creux, de ce qu’est l’humanité et la normalité.


L’âge d’or d’un corps pur. Très vite, cette représentation du corps humain est devenue inacceptable. Puisque le cinéma est l’outil le plus réaliste et le plus abouti pour représenter l’homme, il ne devait pas le représenter comme un monstre. Dans une perspective occidentale, chrétienne, il est écrit dans le texte fondateur biblique : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa.». Si le cinéma est l’image de l’homme et que l’homme est l’image même de Dieu ; alors le cinéma doit parvenir à représenter le caractère divin en l’homme, montrer que le corps humain incarne – c’est-à-dire qu’il met en chair – l’esprit divin. Dans cette perspective, on comprend bien que le cinéma ne pouvait plus représenter l’homme comme un monstre qui défierait les lois de la nature. En outre, le cinéma a dû faire face à des contraintes économiques. Sédentaire à partir des années 1920, certaines villes en Europe et surtout aux Etats Unis (sur la côte Est d’abord puis à Hollywood) se sont consacrées à la production cinématographique. Or, ces lieux étaient synonymes de débauche, de trafics en tous genres, de réputations sulfureuses. Le contexte de création des films a commencé à faire préjudice aux films eux-mêmes. Ce sont ces films de la fin des années 1920, des bas-fonds, des vamps dont Louise Brooks dans Loulou (1929) par exemple est l’icône. Dès 1930, aux Etats-Unis est adopté un code d’autocensure, établi par le sénateur W. Hays, et rédigé par deux ecclésiastiques. Ce code Hays qui régit strictement toute la production cinématographique Hollywoodienne sera appliqué de 1934 à 1966 ! Celui-ci statue sur les crimes, la sexualité, la vulgarité, les blasphèmes, les costumes, les décors, la religion, l’alcool et j’en passe. Par conséquent, c’est toute une esthétique du corps qui va être définie par ce code strict que les réalisateurs auront à cœur de détourner. Puisque rien ne doit évoquer la sexualité, l’instinct, la pulsion dans la représentation du corps, certains éléments sont éliminés de l’écran. Les poils disparaissent, ayant pour conséquence réelle et sociologique, la naissance de l’épilation chez les femmes occidentales. « La nudité […] dans le simple but d’épicer un film doit être rangée parmi les actions immorales.». Bref, le corps devient une représentation non plus réaliste, mais complètement subordonnée à un idéal esthétique qui se doit de respecter un code moral religieux. Il y a là quelque chose de très paradoxal. On voudrait éviter que le corps, et notamment le corps féminin, soit un objet de fantasme et de projection des désirs car ils sont moralement condamnables. Pourtant, dans une logique économique implacable, plus les stars sont belles, correspondent à des canons de beauté populaires ; plus le film se vend. Car le classicisme hollywoodien, c’est l’explosion du star-system. Les réalisateurs jouent sur la limite entre décence et fantasme. La scène de baiser qui dure dix minutes dans le train de La mort aux trousses d’Hitchcock (1959) passe entre les griffes de la censure car chaque baiser, qui ne dure jamais plus de trois secondes,

est entrecoupé d’une réplique. La même année, le décolleté complètement indécent de Marilyn dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, fait scandale mais n’est pas censuré. Comme par miracle, le cercle de lumière n’éclaire que son visage, ses seins restent dans l’ombre, mais qu’il est facile de les deviner… Cependant, ces détournements et libertés ne sont possibles qu’à partir des années 1950, alors que le classicisme vole déjà en éclat. Les bassesses du corps, chancre de l’inconscient. Il est difficile de déterminer à partir de quand le classicisme laisse la place à la modernité au cinéma. G. Deleuze considère que le néoréalisme italien de 1945 à 1960 puis la Nouvelle vague française sont le fruit d’une rupture profonde causée par le traumatisme de la seconde guerre mondiale. Après les génocides, les bombes nucléaires, les totalitarismes, le corps ne saurait être l’incarnation ou le signe du divin. On en revient à un cinéma pragmatique, plus réaliste que jamais, qui ne voit dans le corps humain que l’expression de l’homme. Ainsi, les films néoréalistes comme Rome, Ville ouverte (1945) de Roberto Rossellini mettent-ils en scène des comédiens non professionnels, non maquillés, sans costume. Dans cette perspective, le corps n’est plus en capacité de révéler une quelconque vérité générale sur le bien, ou même le beau. Cependant, si le corps ne révèle plus aucune trace du divin ; il est possible de l’utiliser comme un outil pour tenter de définir ce qu’est positivement l’Homme. Pour cela, on recourt à une conception du corps issue des théories psychanalytiques freudiennes. Si l’Homme est composé de trois strates – le moi, le surmoi, et le ça – alors le moi est une surface visible et le ça est une strate invisible, profonde,

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commentateurs considèrent que le film sorti en 1986 correspond à une forte angoisse du réalisateur à propos du sida, et de l’avancée galopante des technologies pourtant incapables d’endiguer la pandémie. Le corps est donc bien une surface poreuse, un matériel malléable qui permet aux cinéastes d’aller farfouiller au plus profond pour y découvrir ce qui fonde l’homme, ce qui détermine ses actes : peurs, pulsions, désirs. Que peut encore le corps au cinéma ? Aujourd’hui se pose donc un véritable défi pour le cinéma et sa représentation du corps. Puisqu’il n’est parvenu à donner aucune réponse satisfaisante sur l’Homme comme « espace du divin », ou « matériel des pulsions ». Maintenant qu’on l’a magnifié, embaumé puis torturé, ouvert, découpé, recomposé ; que peut encore le corps au cinéma ? Il semble même qu’avec le cinéma d’animation, le champ de ses possibles soit infini. Si l’on prend les cartoons de Tex Avery, le loup, les girls, l’écureuil : ils meurent sans cesse, se déforment, défigurent, détraquent. Ainsi la grande question du « qu’y a-t-il après l’art contemporain ? » s’applique au cinéma.

enfouie, refoulée, inconsciente. Dans cette perspective, le corps est le lieu où peut apparaître ce qui est enfoui. On décèle ici toute la force de l’école dramatique de l’Actors Studio. Fondée en 1947, cette école pousse le comédien à incarner son personnage en puisant dans ses propres expériences et émotions ressenties. Pour aider cette incarnation, cette immersion dans le personnage, certains grands acteurs comme Marlon Brando avaient pour habitude d’utiliser des artifices : faux nez, prothèses, déformation de la voix etc. C’est le cas notamment dans le Parrain de F. F. Coppola en 1972. Tous ces éléments singularisaient le corps du comédien pour chaque rôle, pour chaque personnage. Cependant, définir l’humanité en faisant du corps l’outil d’apparition des pulsions, du refoulé, du psychologique est une voie peu extrême. On remarque que certains cinéastes ont cherché à comprendre cette part enfouie de l’Homme… en le creusant. Au sens propre du terme, le développement de certains genres comme le « gore », ou même la « science fiction » peuvent être compris comme une quête obsessionnelle de ce qu’est l’humanité, dans sa chair, dans sa matière organique la plus abjecte et repoussante. Lorsque David Cronenberg dans la Mouche fait muter un homme avec un animal aussi répugnant qu’une mouche (insecte repoussant, gênant, qui se nourrit parfois de déjections…), puis que cet hybride mute à son tour avec une machine, on se doit de chercher ce qui préoccupe le cinéaste. Certains

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Peut-être son avenir se trouve-t-il dans le champ expérimental, dans son ouverture à d’autres supports comme le relief. Celui-ci permettrait en théorie de rendre encore plus sensible le corps mis en espace puisqu’il outrepasserait les deux dimensions traditionnelles de l’écran de cinéma. Mais aujourd’hui, la nuance s’impose. Si les films en 3D relief sont ceux qui rapportent le plus d’argent c’est parce que l’industrie du blockbuster, qui a toujours rapporté le plus, s’est emparée de cette vieille technologie que l’on vient de redécouvrir avec le phénomène Avatar de James Cameron. Néanmoins, on remarque que le nombre de films tournés et post-produits en relief n’augmente plus, comme si ce marché arrivait à saturation. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle la majoration, en moyenne de 1,50 euros sur le ticket de cinéma, ainsi que la pénibilité des lunettes, et autres désagréments techniques sont à l’origine de la limitation du phénomène. Cependant, le blockbuster n’est pas le seul cinéma à s’être emparé de la 3D relief. En 2011, c’est Wim Wenders qui a ouvert les portes du relief au cinéma dit « d’auteur » avec son très beau Pina. Pour filmer la troupe du théâtre de Wuppertal en hommage à sa fondatrice, la chorégraphe Pina Bausch, Wim Wenders a réfléchi en profondeur sur ce que le relief pouvait apporter en termes de profondeur de champ, de composition de l’espace, et de déplacement des corps. En effet, le réalisateur a mis en scène des extraits des ballets créés par Pina Bausch dans la ville même de Wuppertal. Le lien entre le déplacement des corps dansant dans l’espace et la façon de les filmer pour rendre compte de leur intégration à la ville était donc tout à fait propice à cette recherche quasiment plastique. Dans cette perspective, une véritable expérimentation technique accompagnée d’une démarche esthétique pourrait peut-être faire avancer la représentation du corps dans le cinéma contemporain à venir, c’est tout ce que nous souhaitons.


[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

les déviants/ dans mon désert de Jade.

Killian Salomon - Auteur

Ta couleur de sauge Le songe de ma douleur Quand je trouble l’opaline D’une douce en suspend Perchée au dessus de ta fine Diluée dans ton sang.

Jérémy Tran

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Jérémy Tran

Je devais m’y attendre. C’est la suite logique, la solution facile, le résultat adéquat. Après tout, je ne vais pas me mentir, je devais y revenir. Il y a beaucoup de choses dans cette vie sur lesquelles j’aimerais revenir. Mon enfance, les erreurs que j’ai pu faire, les opportunités que j’ai consciemment laissé filer, et puis elle, surtout elle. Mais toi, toi tu seras toujours là, n'est-ce pas ma chère Absinthe ? Ma belle et fluide Absinthe. Ne me jette pas ce regard émeraude plein de tristesse, tu sais que j’adore ça. Tu es le reflet liquoreux de mes angoisses, tu es la solitude à l’état brut, nous sommes faits pour nous entendre. Quand je n’avais plus assez de larmes pour pleurer ma nymphe, tu as hydraté mon être, lorsque son souvenir se faisait trop cruel, tu as effacé ma mémoire, le jour où elle est partie, tu as été la première responsable. Te rappelles-tu du soir où nous nous sommes rencontrés ? Oui, c’était bien avant elle, bien avant qu’elle ne creuse des rides à mon cœur, que tu as bien sûr su combler. Nous étions beaux avant. Ton parfum de spleen m’a toujours apaisé, je le hume encore avec plaisir, un onguent d’oubli qui délivre ma conscience de son carcan de souffrance. Tu es à la fois ma plus vieille amie et mon amante la plus brûlante. L’autre ne brûlait pas, elle se consumait doucement sur les braises de ma raison. Lorsqu’elle partit enfin en fumée, volatilisée dans l’air sans se retourner, il ne restait que moi sur le lit de cendres… Alors je t’ai revue. Comment pourrais-je oublier ton étreinte ? Forte et déchirante comme un océan brisé, attirante et mystérieuse comme la lune, douce et charnelle comme le baiser d’une femme… Cette femme. 36 Carnet d’Art

Je n’y arrive plus. Désormais ma conscience ne s’élève plus, elle ne brille plus, elle reste dans un brouillard opaque, que même toi ma douce tu ne parviens plus à dissiper. Je sombre dans les méandres de l’ivresse sans en goûter les saveurs rêveuses. Ce n’est pas ta faute, ne t’inquiète pas, c’est la mienne, la sienne, la nôtre. Une erreur d’inattention, un faux pas décisif qui fait s’écrouler, tel un château de cartes, ma tour de solitude. Cette solitude que je croyais choisir, dont je m’étais fait ambassadeur. Je me suis écarté un temps de ce leitmotiv solitaire, pensant naïvement que l’autre serait mon échappatoire, l’addition nécessaire pour résoudre l’adéquation de ma vie qui convergea bien évidemment vers le même résultat que toutes les autres. C’était un mensonge, une calomnie pure et simple visant à défaire mon cœur de toute attache. Cette solitude n’est pas un choix, elle est ma malédiction et toi, belle Absinthe, sulfureuse et mortelle Absinthe, tu es mon cyanure. Je comprends maintenant, je crois en ta sainte parole à peine murmurée, savamment distillée qui berce mon âme rongée. Tu n’es donc pas sans comprendre que je m’abandonne désormais à toi, je suis ton dévoué esclave, je t’offre ma servitude consciente, mon dernier asservissement et n’ai rien d’autre à t’offrir, ma liberté je l’ai déjà donnée. Alors oui, reprenons notre danse, cette valse décisive. Viens ma belle, couche toi dans ton lit translucide, c’est ça, rejoins mes entrailles. Je veux t’embrasser, plonger mes lèvres dans ton sang anisé, goûter encore à ta chaleur, que ton sucre soit ma douleur. Ne me quitte plus, Absinthe car si je dois partir ce soir, ce sera avec toi.


[ Dossier de la rédaction - Corps ultime ]

Je devais prendre la place dans mon corps.

Camille Stella

artistes maudits/ stériles provocations.

NVB - Artiste contemporain Il existe des auteurs qui boivent en écrivant, des chanteurs qui se piquent avant de monter sur scène, des peintres qui fument autre chose qu’une cigarette avant de peindre… Il y a des artistes qui sont malheureux et contents de l'être. Il y a des créateurs qui se torturent l'esprit, qui ont toujours l'impression de trahir leur intégrité… Il y a… Oui… Et ce n'est pas d'une autre époque dont je parle… Je ne parle pas de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Artaud ou je ne sais quel autre génie. Je parle des artistes que nous pouvons croiser tous les jours, aujourd'hui, ceux qui font la musique que j'écoute en écrivant, ceux qui écrivent les bouquins que je lis avant de m'endormir, ceux qui font le théâtre que j'aime voir. J'ai pendant longtemps cherché à les comprendre et à leur ressembler. Je suis même allé jusqu'à avoir de terribles maux de tête qui m'ont plus d'une fois envoyés aux urgences. Je me disais que ça ferait bien dans ma biographie. A cette époque je buvais tous les soirs et j'écrivais, j'écoutais de la musique jusqu'à 3h du matin en lisant les Inrock'. A cette époque le matin, en me levant, je buvais du café, je fumais trois clopes et lisais Le Monde… Et dès 11h, avant le déjeuner

que je ne prenais pas, c'était le premier double whisky sec. A cette époque, j'avais une petite gourde pour ne jamais tomber à court dans la journée. A cette époque j'étais un artiste vous comprenez… Il fallait que je crée et que je vive de mes créations. J'étais sous pression. Il fallait oser écrire un film ou un spectacle pour le présenter à un public. Il fallait oser faire du théâtre contemporain en province et avoir la prétention que ça pouvait intéresser des gens. J'arrivais à me foutre de l'avis des spectateurs parce qu'envahi par cette puissance divine des degrés des verres de la journée. Je devais prendre la place dans mon corps et lui donner une consistance, je devais être quelqu'un et pour ça je me réfugiais derrière les bienfaits de l'alcool. Aujourd'hui j'ai envie de dire quelque chose à ces artistes qui se sentent obligés d'être alcooliques ou drogués pour créer, même s'ils se justifieront autrement. Si vous avez besoin de ça pour nous emmerder avec vos œuvres, ne vous embêtez pas, on se débrouillera bien sans vous. Merci de votre compréhension.

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[ Rencontrer ]

Donner, offrir, échanger, recevoir… Deux milliers d'années d'évolution, en partant de "l'Homo œconomicus" pour arriver, enfin, à rencontrer.

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geoffrey secco

un univers de métissage et d’improvisation

renaut 48 emmanuel gastronomie d’un chef d’exception accard 54 emmanuel la danse au cœur et au corps

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florian marco

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noémi bechelen

la matière sauvage sur la toile l’acteur entre théâtre et cinéma

Emmanuel Moreaux

Rencontrer Carnet d’Art

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[ Rencontrer - Musique ]

geoffrey secco/

un univers de métissage et d'improvisation. Entretien issu de l’émission “Entre deux” avec Patrick Rhodas Alors qu’il commence tout juste à préparer le prochain festival de Jazz d’Aix-les-Bains, avec énormément de nouveautés… (Mais chut, cela doit rester encore un secret !) Geoffrey Secco a accepté de répondre aux questions de Carnet d’Art.

Pour lui, souffler c’est jouer…

Emmanuel Moreaux

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Emmanuel Moreaux

Il est d’usage à Carnet d’Art de vous proposer, pour débuter, deux citations à commenter, les voici : « Pour moi le jazz c'est aussi une relation poétique avec le rythme. Il peut être rond, carré, de toutes formes, mais il assure le continuum de la narration. Il rebondit, il s'échappe sans qu'on puisse l'attraper, telle une truite au fil de l'eau. Les musiques qui n'offrent pas ces rebonds. . . m'intéressent moins. Quelles que soient leurs qualités esthétiques, elles ne portent pas les clefs de la vie qui court. » Bernard Lubat « À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? » Emil Michel Cioran Deux idées, peut-être opposées, des mots importants : vos commentaires ? D’abord, j’aime bien Lubat, il est un peu « réac », mais fier de son coin de France. Il est vrai que le Jazz, c’est une bonne façon de jouer avec le temps. On dit qu’on peut être « sur le temps » ou « au fond du temps » : comme dans la vie, le temps s’écoule, on peut être en retard ou à l’heure…Je crois que pour Cioran,

cela renvoie à l’expérience sensorielle du saxophone, dans son rapport au souffle. On souffle ce que l’on est. Il s’agit là de parvenir à une philosophie personnelle. Voici ce que vous avez répondu à une question sur votre biographie : « Je m'appelle Geoffrey Secco, j'ai 32 ans. J'ai commencé la musique par un bel hasard : un emménagement à Aixles-Bains, lors de mes 6 ans, dans une maison qui abritait un vieux piano à queue, que les anciens propriétaires n'avaient pas pu déloger. . . J'ai commencé la musique ainsi, en autodidacte. Me voyant complètement passionné par cet instrument sur lequel je passais mes journées, mes parents m'ont proposé pour mes 8 ans de m'inscrire au conservatoire. Mais il n'y avait plus de place pour les cours de piano et j'ai alors été aiguillé d'office en saxophone ! C'est le coup de foudre et quelques années plus tard, le bac en poche (contre toute attente après les heures passées à travailler le sax !) je monte à la capitale réaliser mon rêve : devenir musicien professionnel ! Des études aux conservatoires de Paris, puis de Boston, les rencontres, les voyages, des concerts et des disques.»

Alors, vos commentaires ? Rien n’a vraiment changé, j’aime toujours voyager, donner des concerts, sortir des disques et surtout, travailler en choisissant de le faire avec des personnes que j’aime. Vous n’êtes pas un inconnu, il y a des jalons dans votre vie de musicien ; vous pouvez nous en donner quelques uns ? A la base, je dois dire que j’ai eu la chance, quand j’ai commencé le saxo, au conservatoire d’Aix les Bains, d’avoir un professeur d’exception, un super saxophoniste : Jean-Michel Soudan. D’entrée, il m’a parlé de souffle, de concentration, de respiration et… avant ma première audition, il m’a dit : « ce que tu vas faire avant l’audition, c’est « jouer » ce qui va se passer : monter sur scène, saluer le public, déplier ton pupitre et… jouer ton morceau ». Donc tous les jours, j’ai répété et répété avant de me coucher. Et bien entendu, le jour de l’audition, je suis arrivé sans le trac et tout s’est bien passé. J’ai eu aussi, un autre professeur, Thierry Cazenave, plus homme de spectacle ; lui, m’a dit : « la partition, tu la jettes et tu fais un super solo ! »

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la partition, tu la jettes et tu fais un super solo !

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C’est ce que vous faites quand vous êtes en concert avec des artistes comme Patricia Kaas ou Charles Aznavour ? Avec des artistes comme eux, l’important c’est d’être opérationnel au plus vite. Pour Cabaret le spectacle de Patricia Kaas, j’ai été pris en remplacement : on m’a dit qu’il fallait tout savoir par cœur, avec le DVD, on n’a pas le temps de faire des répétitions, tu as 15 jours… Bon, j’ai tout repris : saxo, flute, clarinette et je suis entré en scène… Si on vous demandait de choisir un mot pour définir votre activité : métier, passion… ? C’est une alternance : certaines fois, j’ai l’impression d’aller « bosser » et gagner ma croûte, sans enthousiasme mais avec plaisir. Et puis, il y a la passion : composer avec mes copains ou faire un concert fantastique, comme le Stade de France avec Yannick Noah. On dit souvent que le joueur de saxophone fait corps avec son instrument : cela implique-t-il des relations, des sensations, des vibrations particulières ? Au bout du saxo, il y a une anche, en roseau et elle équipe le bec de l’instrument. Tout cela vibre dans la bouche, les dents et même le crâne devient une énorme caisse de résonance ; donc oui, on ressent des émotions particulières et cela procure beaucoup de joie. Je constate aussi que, contrairement à ce que l’on pense souvent, on envoie peu d’air quand on joue et il s’agit d’un travail très subtil de pression, de vibration avec l’ensemble du corps. Vous préférez jouer seul ou en groupe, et pourquoi ? En groupe, c’est certain, pour le partage et aussi l’émulation. Par exemple, quand le pianiste fait des « phrases » fantastiques, on a envie de lui répondre, de faire aussi bien : c’est presque une compétition.

Emmanuel Moreaux

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Emmanuel Moreaux

En petite ou en grande formation ? Ca dépend : si vous êtes 15 ou 20 sur scène, il se dégage une sorte d’énergie terrible, épuisante à terme, mais il y a moins de solos. Ne faut-il être un peu égocentrique pour faire ce métier ? Oh, c’est un peu comme dans la société : en orchestre, il y a des politesses, des rôles… On se parle, on se répond en musique. Mais en même temps, il faut parfois savoir s’imposer. Dans une formation, c’est un peu comme dans une entreprise. Une question indiscrète peut-être, vous avez accompagné d’éminents artistes : Aznavour, Kaas, Noah, Obispo… Avec qui avez-vous préféré jouer ? J’hésite… Vous avez cité des artistes très connus dans le domaine de la variété, mais j’ai aussi joué avec des jazzmen, sans doute moins célèbres, mais géniaux quand même ; je pense au cubain Ernesto Tito Puentes, 85 ans, sa trompette et son Big Band : c’est lui qui a apporté la salsa en France. C’est un leader, il a une façon exceptionnelle de diriger ; il sait faire passer tant de choses. Mais, d’autres ont des qualités : je me souviens de la préparation du concert du Stade de France avec Yannick Noah. D’abord, on a répété 15 jours en Belgique dans un décor qui reconstituait la scène du stade et, juste avant le concert, il nous a amené, tous, musiciens et techniciens au stade, vide, ouvert rien que pour nous et on s’est retrouvé là au milieu, en silence… Il menait son équipe, il 46 Carnet d’Art

nous coachait, il voulait nous donner les clefs pour la réussite. Ce fut une très belle expérience. Y a-t-il une œuvre que vous aimeriez spécialement interpréter ? Quand j’écoute des disques, des vinyles, ce sont souvent des morceaux anciens, avec un son propre qu’on ne refera plus avec le numérique qui est plus froid, je ne voudrais donc pas faire moins bien que l’original… Vous préférez jouer de la musique écrite ou improvisée? Les deux ; c’est d’ailleurs un des principes du jazz : on passe de thèmes écrits aux improvisations et vice-versa.

On se parle, on se répond en musique.

Il y a un aspect important et sympathique dans votre attitude : vous donnez régulièrement une chance à des jeunes ; peut-on dire que vous aimez transmettre et comment le faites-vous ? Oui, tout à fait, c’est une partie de ma personnalité, je donne des cours dans différentes écoles, j’ai aussi participé à la création de l’école de musique DEVA à Aix-les-Bains et j’assure des « Master Classes » à l’occasion de certains concerts ou festivals. Pour moi, ce qui est important c’est de pouvoir motiver les gens ; je m’inspire de l’enseignement que j’ai reçu. Je crois qu’il faut l’appliquer à de nombreux domaines : donner les clefs du développement. Enfin, vous produisez le Festival de Jazz d’Aix-les-Bains… Ah oui, le retour aux racines… 2012 a été une bonne année et pour 2013… (Silence) Il y aura des surprises, des activités plus variées, mais chut, je garde ces belles surprises pour cet été. Beaucoup de gens aiment le saxophone, pourquoi, selon vous ?

Lorsque vous êtes en répétitions, vous notez des changements dans votre comportement ? Tout dépend de mon positionnement : si je suis leader, je dois diriger, donner des indications et des consignes claires ; si je suis musicien de pupitre, je dois suivre les indications du chef d’orchestre.

Il a un coté fantasmagorique, on peut dire qu’il y a un rapport charnel, presque sexuel avec cet instrument. On peut le rapprocher du violoncelle pour lequel les gens ressentent la même attirance ; ils ont la même tessiture et tous deux sont des instruments « sensuels ».



[ Rencontrer - Gastronomie ]

Pierre Pestourie

emmanuel renaut/

gastronomie d’un chef d’exception.

Rencontre avec Pierre Pestourie - Oenologue

Meilleur Ouvrier de France en 2004, 3 étoiles au guide Michelin depuis 2012 et désigné cuisinier de l’année par ses pairs, Emmanuel Renaut fait partie des grands noms de la gastronomie française. Son établissement Flocons de sel, situé à Megève, est incontestablement un lieu d'une finesse remarquable. Il nous fait l'honneur de nous recevoir. Nous sommes au mois de septembre, à 1 300 mètres d'altitude, autant vous dire que l'air est frais, heureusement réchauffé par de doux rayons de soleil. Le bois, brut, organisé de telle manière qu'il forme cette sorte d'îlot de chalets perché sur un imposant flan de montagne. Nous commençons par visiter les lieux. D'abord les chambres de l'hôtel 4 étoiles de Flocons de sel, une douceur et une sérénité se dégagent de cet endroit. Nous arpentons ensuite ces couloirs souterrains, rythmés par les hublots donnant sur la remarquable cave à vins, nous passons de salons en salons, de chalets en chalets, de terrasses en terrasses... Comme l'impression d'être en dehors du temps. Protégés par les montagnes, par la douceur du vent et par le raffinement du lieu et des personnes qui l'animent. Après la visite, nous passons à table... Quel voyage ! 48 Carnet d’Art


le contact direct, humain avec la personne est très important.


Pierre Pestourie

Qu’est-ce qui vous a attiré à Megève ? Avant tout l’amour de la montagne, de la région. Trouver un village authentique qui fonctionne toute l’année. Certes, les stations de ski attirent énormément de monde en hiver, mais ici, à une altitude plus basse, c’est idéal pour tirer profit de chaque saison. La diversité de climat est extraordinaire. Le printemps est une période restreinte pour nous, allant de mai à mi-juin. Nous avons en fait trois grosses périodes : - La période estivale, plus champêtre, plus légère, propice aux nouvelles herbes, plantes et fruits locaux que j’aime intégrer dans ma cuisine.

Vous proposez donc une cuisine très attachée à la région ? Effectivement, ma cuisine est très identitaire. Presque tous nos produits sont à portée de main, même les truffes, assez rares ici, proviennent pour l’essentiel du bassin chambérien. Pour le reste, nous connaissons l’origine des matières premières, chose qui n’est pas évidente partout. Avant, je n’avais pas l’occasion d’une telle proximité et je travaillais différemment avec les produits. Maintenant j’ai une relation privilégiée avec mon pêcheur, c’est un ami, je sais comment il pêche, il sait comment je cuisine... et ça change tout !

- L’automne avec une cuisine orientée vers les champignons et les gibiers.

Est-ce que vous pensez que pour un chef, avoir des relations avec ses fournisseurs, est un réel atout ?

- Et enfin l’hiver qui est l’occasion de se tourner vers une cuisine riche, typique des alpages en adéquation avec le froid, je peux par exemple utiliser la truffe qui est un produit fin et rare que j’affectionne. Nous avons vraiment une belle région avec des cuisines et des plaisirs différents à chaque saison !

Si on sait comment travaillent le pêcheur, le maraîcher, le vigneron, on travaille le produit différemment. Le contact direct, humain avec la personne est très important. Le pêcheur et les autres, travaillent pour nous, à notre demande, selon nos besoins. C’est un service très

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les légumes peuvent devenir les éléments phare. personnalisé et très qualitatif. Les cuisiniers ont, je pense, l’âme d’un paysan et c’est très intéressant et enrichissant de préserver ce contact. Puisque l’on parle de matières premières, parlons des légumes. Que pensez-vous de l’évolution de leur importance dans nos assiettes ? Effectivement, avant, les légumes avaient le rôle de simple garniture pour la viande et le poisson. Maintenant la cuisine a complètement changé et les légumes peuvent devenir les éléments phare. On pourrait même poser une simple herbe ou un oignon comme acteur principal d’une assiette. La diversité des légumes est si riche que les cuisiniers peuvent s’amuser de nombreuses manières, comparés aux viandes et poissons, qui sont également des produits très intéressants mais avec un choix plus restreint.


On entend souvent les cuisiniers encenser un plat unique, un plat qu’ils adorent…Est-ce-que vous avez-vous aussi une madeleine de Proust ? Pas particulièrement. J’aime tout, je n’ai pas de pêché mignon. J’aime manger des choses différentes. Je ne veux pas m’ennuyer en cuisinant, ni en mangeant. Par contre je n’aime pas le concombre et le poivron. Ce qui ne m’empêche pas de les cuisiner. Dans la cuisine, j’aime avant tout la convivialité et les personnes avec qui je partage un repas. Je pense que c’est le plus important.

mentionné le fait que je travaillais en cuisine parce que je ne voulais pas me retrouver derrière les fourneaux pour nourrir un régiment ! J’aimais cuisiner mais je préférais la montagne. J’ai par la suite rencontré des gens extraordinaires qui m’ont donnés envie de poursuivre dans la cuisine. Je pense que la passion est avant tout transmise par quelqu’un d’autre. C’est ce que j’essaye de reproduire avec les jeunes en espérant que dans quelques années, ils deviennent meilleurs que moi. Aujourd’hui je suis arrivé à concilier ma passion pour la cuisine et mon amour de la montagne.

Très bien. Pour revenir à votre passé et plus précisément à l’époque où vous étiez apprenti, rêviez-vous déjà d’être un grand chef reconnu ?

Cette passion est arrivée à un stade important, car vous êtes devenu Meilleur Ouvrier de France. Comment se prépare un tel concours ?

Pour être franc, pas du tout. Lorsque je faisais mon apprentissage j’étais davantage passionné par la moto que par la cuisine. Je me suis dirigé vers la cuisine car mon frère était dans la sommellerie. Je n’étais pas brillant à l’école et je devais trouver un métier, alors j’ai choisi la cuisine, c’était une voie de garage. Il y a 25 ans, après avoir fini mon apprentissage je me suis engagé dans l’armée, chez les chasseurs alpins. Je n’ai surtout pas

Passer un concours est un état d’esprit. Le concours MOF est spécial, très personnel, se déroulant sur une journée. Il faut être motivé. Avant de le réussir en 2004, je l’ai passé en 1996 et 2000. Mais je pense qu’il faut aimer les concours, se donner des challenges. C’est une bonne adrénaline et que l’on réussisse ou non, participer à ce genre de compétition est toujours enrichissant. Sur le plan personnel car on essaye de se surpasser, et

également sur le plan professionnel car l’on se fait de nombreux contacts et de très bonnes amitiés. Question “dessert” maintenant : pensez-vous que c’est un point final au repas ou un trait d’union entre le départ du client et son retour ? Il représente inévitablement les deux. Il faut dire que je ne suis pas spécialisé en pâtisserie mais que j’ai toujours incité mes élèves à découvrir ce domaine qui apporte beaucoup à la cuisine et vice versa. J’ai moi-même été quelque temps chef d’une brigade pâtisserie. Quelle est l’importance des vins en cuisine ? Je pense qu’il est important qu’un sommelier connaisse bien notre cuisine étant donné que le végétal n’est pas la chose la plus évidente à marier avec les vins. C’est important qu’il n’y ait pas de désaccord avec les plats. En tant que cuisinier j’aime bien boire, j’aime recevoir, partager un bon repas autour d’une bonne bouteille. Je respecte les personnes qui ne boivent pas de vin, qui prennent du plaisir à boire du thé pendant un repas, mais pour ma part, le vin est indissociable de la fête et de la bonne cuisine.

Pierre Pestourie

Carnet d’Art

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Lorsque vous voyez un produit, la recette vient d’elle-même ou est-elle mûrement réfléchie avant ? Il n’y a pas vraiment de règle. Il y a des recettes qui s’inspirent d’elles-mêmes et d’autres qui demandent plus de réflexion. Parfois une idée me vient quand je suis en voiture, quand je me promène dans les bois ou quand je suis en cuisine. Je la note sur un carnet et je la reprends le lendemain ou six mois plus tard, ça dépend. Je maîtrise certaines recettes et les réinvente pour faire quelque chose de nouveau et de meilleur, où travailler un produit que je connais bien différemment. Je peux également revenir sur une recette que j’avais abandonnée des années plus tôt… Je pense que la cuisine est un travail de rigueur, mais la créativité qui s’exprime à travers nos plats est souvent le fruit du hasard. L’inspiration est aussi un travail d’équipe avec mes collaborateurs, je ne suis pas tout seul en cuisine. La recette ne peut être pensée que pour la recette en elle-même, il faut la penser pour le service, pour son exécution rapide et qualitative en cuisine et bien sûr pour le client. Vous donnez des cours de cuisine également ?

a la possibilité de râper quelques copeaux de truffe, c’est une très bonne chose ! On peut également arriver à une très bonne recette sans utiliser ce genre de produit haut de gamme, un beurre aux clous de girofle avec quelques épices par exemple. Pour terminer, parlons de votre premier restaurant appelé maintenant Flocons Village. C’est ma cuisine que l’on trouve dans un bistrot. Je voulais travailler simplement des produits de terroirs avec un bon rapport qualité / prix. C’est important pour moi de proposer, au-delà de mes trois étoiles, une cuisine de tous les jours dont on peut profiter entre amis, prendre juste un boudin noir ou une bonne bavette avec des coquillettes… Des choses assez rustiques et simples tout en restant bien travaillées avec des produits de qualité. L’UNESCO a décidé que la cuisine française faisait partie du patrimoine mondial. Qu’en pensez-vous ?

A ce sujet, quel plat original proposeriez-vous à un amateur ?

Je pense que c’est une bonne chose d’être reconnu. Je ne me sens pas faisant parti du patrimoine, je pense que ce sont davantage les anciens comme Escoffier qui ont mis tout en place, une vraie culture et un vrai berceau de la cuisine. Nous devons maintenant respecter ce travail, ce patrimoine. Je pense que les italiens pourraient également être légitimes dans ce patrimoine mondial, mais il en a été décidé autrement, donc maintenant il faut partager ce savoir avec les autres, ne pas garder ça que pour nous.

Et bien, c’est la période des crustacés et des légumes. Marier par exemple le topinambour ou le salsifis avec quelque chose de capiteux. Ce sont des produits accessibles. Si on

Une simplicité, une douceur, une intelligence, une générosité, une exigence... voilà la cuisine, reflet du caractère, du grand chef étoilé Emmanuel Renaut.

C’est un joli partage avec les clients, mais malheureusement j’ai de moins en moins le temps. J’aimais bien rester deux heures avec mes clients et leur présenter une recette de qualité mais qu’ils seraient tous susceptibles de pouvoir reproduire chez eux. Ce n’est pas un simple cours avec un calepin et un stylo, c’est un vrai moment de partage, un moment humain basé sur la convivialité.

Pierre Pestourie

52 Carnet d’Art


Photographies de l’année 2013

Lauréat catégorie portraits Profession Photographe Jacques Pion, Grand Reporter,

un des prochains invités Carnet d’Art. www.jacquespion.com


[ Rencontrer - Danse ]

emmanuel accard/

la danse au cœur et au corps…

Entretien issu de l’émission « Entre deux » avec Patrick Rhodas.

Il a accepté de s’éloigner un moment de son centre d’équilibre, à Neufchâtel : son école et le cœur de sa toile européenne de danse : « Résodanse ». Dans les locaux de « Carnet d’Art », il se livre, à cœur ouvert, en un échange franc et précis. Voici les conditions des conversations d’« Entre deux » : je peux poser toutes les questions ; vous pouvez donner toutes les réponses. En général, je commence par deux citations que je vous demanderai de commenter : « La danse, mieux qu'aucun autre des arts, peut nous livrer l'essentiel des mythes. » Maurice Béjart « Longtemps, j'ai pensé que le rôle de l'artiste était de secouer le public. Aujourd'hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus : des moments d'amour pur. » Pina Bausch C’est la citation de Pina Bausch, indéniablement, qui me parle le plus. Avec l’âge, on a de plus en plus d’amour à donner au public. C’est la transmission par l’artiste : ne pas faire son petit travail tout seul dans son coin.

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Quand on pose la question : « Connaissez-vous Pina Baucsh ou Maurice Béjart », on a l’impression que vous pratiquez un art que personne ne connait.. (Rires) J’ai toujours dit que c’était la dernière roue du carrosse dans les arts et dans la culture. La danse n’est pas quelque chose de bien connu ; elle est dans l’inconscient collectif : on connait Grease, Dirty dancing… Les gens connaissent des noms : on sait qui est Madonna ; la danse est vue comme un spectacle, un art vivant, mais plutôt méconnu et dont le travail est méconnu.

ne pas faire son petit travail tout seul dans son coin.

Parlons de vous, de vos origines… vous pouvez nous donner une biographie en quelques phrases ? Je suis né à Paris, mon enfance s’est déroulée à Annecy, puis vers 17-18 ans, je suis revenu à Paris pour mes études de danse. J’ai ensuite très vite travaillé. J’ai commencé par les « Arts de la rue » : la culture Hip-Hop, puis, je suis rentré dans les salles, j’ai étudié la danse classique, moderne, le Jazz. Petit à petit, je me suis dirigé vers la danse burlesque et… Je suis parti pour Cuba : grosse révélation pour moi, puisque j’y ai étudié toutes les danses cubaines et afro-cubaines. Cela fait deux ans que je n’y suis pas allé mais pendant douze ans j’ai fait un séjour chaque année. Maintenant, je lâche peu à peu le Hip-Hop pour des raisons d’âge et d’articulations mais je donne encore des cours et anime des stages. J’ai défendu et je continue à défendre la danse Jazz, c’est un secteur où je suis très actif. Dans la Salsa cubaine aussi, ces danses sont un peu la source de toutes les danses. Enfin, le burlesque ; là, je l’enseigne et je le mets en scène : au Casino de Montreux, par exemple.


Le mieux, c’est de parler de la danse Jazz, mon cheval de bataille.


Nous avons rencontré vos parents : ils nous ont parlé de vous... de vos forces et de vos faiblesses. C’est vrai : je suis souvent obstiné, je suis quelqu’un qui croit que les rêves peuvent être réalisés… Je me fous d’avoir une Ferrari ou une maison avec piscine, ce que je veux c’est pouvoir rêver, bouger intérieurement ! Quand quelque chose me tient à cœur, je fais tout pour le réaliser. Depuis que je suis gamin, je fonctionne de la sorte, ça ne m’a pas trop mal réussi : tous mes rêves d’enfant, d’adolescent, de jeune artiste, je pense les avoir réalisés. Aujourd’hui, pour cette raison, je suis peut-être plus souple et plus ouvert. Ils disent aussi que vous avez de l’humour... Oui, c’est ce qui sauve beaucoup de situations : si on a été « con » ou si on est dans la mouise, l’humour est essentiel. Mes parents indiquent aussi ma capacité à rebondir et à anticiper ; c’est vrai : j’ai souvent eu dix ans d’avance sur ce qui se faisait. Des exemples ? Eh bien, des concepts de spectacles, tiens : une façon de courir sur scène, c’était au Théâtre du Gymnase ; il y avait là Pierre Palmade et Gad Elmaleh, je crois… Et après, je les vois reprendre ce que je faisais. Avec l’âge, je suis plus cool, je suis la source et, si on me pique des idées, c’est que c’était bien et c’est réalisé. Autant que ces idées soient vues.

Vous êtes un personnage à multiples facettes et la première c’est : l’artiste. On a écrit de vous : « il se moque de l’esthétisme moderne des danseurs et les choisit pour leurs gueules. . . et leur talent ». Qu’en dites-vous ? C’est une vieille phrase qui me suit depuis longtemps… En fait… Je hais les danseurs… On croirait lire Ben Hecht dans Je hais les acteurs . Des éclaircissements ? J’aime la danse, la chorégraphie, j’adore transmettre, mais j’ai du mal à supporter le milieu de la danse : ça devient trop vite fermé. J’ai rencontré beaucoup de gens narcissiques ; il est vrai qu’on travaille devant une glace, que l’on est centré sur soi… Je peux trouver un bon danseur qui a des gestes magnifiques, une belle pointe droite, incroyable, mais ce n’est pas cela qui me fait frémir et choisir. Un chorégraphe américain, Mac Murray a dit : « l’important, ce n’est pas de lever la jambe, c’est de la lever au bon moment ». Je vais donc choisir des danseurs qui ont une belle technique, mais surtout pour ce qu’ils ont à donner sur scène : l’interprétation, c’est ça qui compte.

Votre mère mentionne votre genou : au-delà des questions personnelles, cela amène à réfléchir sur l’aspect physique de votre art ? C’est clair, et impossible à ignorer. À présent je suis exigeant sur la bonne santé et forme de mes danseurs, et de moi-même. J’ai fait pas mal de judo, et ensuite, je n’ai pas toujours été un modèle de discipline…

Emmanuel Moreaux

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Que préférez-vous : préparer une chorégraphie, la monter, ou danser vous-même ? Préparer, transmettre. Tout le reste m’emm… Répéter je n’aime pas. Le vrai bonheur, c’est d’avoir une idée, de la dire, de la faire vivre. Une fois que c’est fait, j’ai besoin de passer à autre chose.

En fait... Je hais les danseurs... Comment définiriez-vous la danse que vous pratiquez et surtout que vous chorégraphiez ? Il y en a plusieurs, en fait. Le mieux, c’est de parler de la danse Jazz, mon cheval de bataille. Les autres danses m’ont nourries, mais celle-là m’a fait suivre une ligne pour ma vie. Elle est un « melting-pot » de danses ethniques, sociales, mais aussi de danses officielles modernes ou classiques. Tout cela vient de très loin, comme le montrait et l’exprimait quelqu’un comme Jack Cole qui a fait danser Marilyn Monroe et Bob Fosse.


On peut dire que vous êtes dans une sorte de transversalité dans votre pratique ? Transversalité, horizontalité, je pense qu’on ne fait jamais une seule et unique chose dans sa vie et c’est très important. Ceci nous amène à votre deuxième facette : le prof. Passer, transmettre : pourquoi ? A vrai dire, aucune idée… J’ai toujours voulu faire ça. Je ne savais pas ce que j’enseignerai : instit, prof de judo, de tennis, de ski. La danse c’est ce qui est arrivé. C’est la fréquentation de Mac Murray qui m’a donné envie de la transmettre, c’est comme cela que je me suis dirigé vers l’enseignement. La pédagogie permet d’arriver à des zones de compréhension que l’on n’a pas sur scène et quand on apprend quelque chose, il faut pouvoir le mettre en pratique. Et vous le faites ? Ah oui. J’ai monté une compagnie d’enfants, un travail de pré-formation. Beaucoup d’entre eux ont trouvé des engagements. Je garde également la scène ouverte aux jeunes talents dans les premières parties de mes spectacles. La danse est un cas particulier dans les arts du spectacle. On ne naît pas danseur, on le devient ; le don ne suffit pas, il faut travailler. On peut être un bon danseur, pour être excellent, il faut bosser, bosser…

pour être excellent il faut bosser.

Nous en arrivons au troisième aspect de votre personnalité : on peut dire que vous êtes l’inventeur de plusieurs danses ? Vraiment par fun, c’est assez anecdotique. Le New Jazz, c’était pour contourner le diplôme d’Etat ; le Double Touch est parti des jeux de rue : la marelle et le basket. J’ai voulu mettre du rebond sur un courant de musique House anglaise, le Two-step. On l’a lancé, on a fait des stages et ça a bien pris. Quelle est votre ambition maintenant ? Je suis passé à autre chose et si j’enseigne le Jazz, c’est à la demande de mes pairs. Peut-on dire que vous êtes à l’origine, à l’initiative de l’After-work ? En France, oui. Là, je suis un peu gêné de le dire, mais l’idée c’était qu’il y avait des heures creuses à combler dans des bars, surtout « branchés », où les gens se retrouvaient. C’était les heures avant les sorties du soir. Un ami qui a un bar à la Bastille, m’a demandé de trouver des animations pour ces créneaux. Avec une attachée de presse, nous avons recensé les cadres des entreprises du secteur et lancé des invitations ; nous avons appelé ça les « cinq à sept ». Ils ont connu un succès fou et les autres bars ont suivi… On a fait les AfterWork, les soirées apéro. Le concept venait d’Angleterre. Vous organisez, aussi, des événements qu’on pourrait qualifier d’engagés ou militants… Oui, c’est vrai. La danse coûte cher et moi, j’ai eu la chance d’être aidé au départ : à Annecy, dans une des plus grandes M.J.C. de France. C’est important pour moi que l’art, la danse, ne soient pas réservés à une élite, mais

accessibles au plus grand nombre. D’où, la création de la compagnie d’enfants, une forme de militantisme. Je suis contre l’élitisme ; la politique culturelle est, de nos jours, trop élitiste.

On ne nait pas danseur, on le devient... Je ne suis pas révolutionnaire mais rebelle, oui. On doit diffuser la culture. C’est dans cet état d’esprit que j’ai créé Résodanse. J’ai des rêves, j’aimerais pouvoir faire naître un centre national de la danse Jazz qui n’existe nulle part. Resodanse est peut-être une part de ce rêve, il y a maintenant 11 associations en France et en Europe. Je l’ai mis en œuvre parce que trop de mes assistants et danseurs se faisaient exploiter dans des cours de danse ou des salles de « Fitness ». Cette structure leur permet d’être plus indépendants et de pouvoir créer. L’idée est d’offrir soutien, aide, échange, pour monter un dossier ou se déplacer dans la jungle administrative. À Neufchâtel, Résodanse station, c’est notre école, avec des cours, des formations, des stages. Votre ami et associé, Laurent Perussel dit de vous : « c’est un volcan en éruption permanente, avec lui, pas de routine, une danse généreuse, ouverte ». Il a tout de suite accroché avec ce que je faisais ; on se connait depuis le lycée. On voulait construire, bâtir quelque chose : alors, la trentaine venue, on a monté une école de danse et on ne s’est plus quittés. La structure Résodanse est une étape, demain, il y aura sans doute autre chose. Nous sommes complémentaires, lui est plus administratif, marketing : tout ce que je déteste.

Carnet d’Art

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Emmanuel Moreaux

emmanuel accard, un homme à facettes/ L’artiste.

Le prof.

« L’agitateur ».

Danseur de rue à la base, créateur de sa première compagnie à 17 ans, il se spécialise dans les danses Jazz, HipHop et Salsa. Il travaille avec les plus grands maîtres américains en Jazz et en Hip-Hop... Il parcourt l’Europe en dansant et chorégraphiant pour différentes compagnies : Le Groupe Chorégraphique de la Sorbonne, les Ballets Américains Matt Dyon, la compagnie Dominique Marcille (Contemporain et Jazz), la compagnie Dans La Rue La Danse (Hip-Hop), sa propre compagnie le Ballet Théâtre New Jazz, la compagnie Luch’arts (Danses populaires cubaines et d’Amérique latine), le TNT Danse de Neuchâtel et aujourd’hui la compagnie Tribacar, Salsa n’Co et Soul Shock n’Co... Il remporte le 1er prix du IIIème tremplin de la création d’Annecy et le 1er prix au concours international de Thionville. Son large répertoire l’amène à danser à l’Opéra Garnier et Bastille (Paris), à la Scala de Milan, le Casino de Paris... Ainsi que pour diverses grandes chaînes de télévision françaises et européennes. Par ailleurs, il règle les premières parties ou danse pour des artistes comme Sting, Ceejay, Black Box, Snap, Israël Vibration, Anne Pekoslawsra, Les Motivés...

Il est invité par plusieurs structures de danse parisiennes dont le Centre National de la Danse, le Centre des Arts Vivants... Mais aussi par l’équipe de France Seniors de patinage artistique ! Il est formateur à Lille, durant 4 ans, pour le diplôme d’état en danse Jazz et est responsable de l’UV technique et de l’ultime UV pédagogique. Il participe régulièrement depuis 1989 à de nombreux stages internationaux organisés à travers l’Europe. Il crée en 1992 sa propre technique Jazz, le New Jazz Dance, intégrant diverses influences (Latines, Modern dance, Hip-Hop...). De même, formé en danses populaires cubaines dans les plus grandes écoles de Cuba comme l’Université et l’École Nationale d’Art de la Havane, il associe Salsa et Feeling Hip-Hop pour donner naissance à la Hip Salsa. En 1998, il crée avec son ami Jipi Falone le Double Touch technique basée sur le rebond et inspirée par la musique Twostep, aujourd’hui dansée partout dans le monde.

C’est un organisateur d’évènements. Dès 17 ans, il dirige un stage international de danse de grande envergure à Annecy.

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En 1994, à Paris, il relance certains lieux avec un concept « Apéro dansant », aujourd’hui appelé After-Work. Il crée l’événement quand il organise, au sein de l’Opéra Bastille, un stage avec Mr Freeze, une légende de la danse Hip-Hop. L’évènement sera suivi par Canal+. Il constitue progressivement un véritable « réseau » de danse européen : Résodanse. (11 associations à ce jour, réparties en France, Espagne, Italie, Belgique, Suisse et Outre mer) Il est aujourd’hui installé à Neufchâtel et a ouvert depuis septembre 2006, le premier grand centre de danse de la région, Résodanse-Station.



[ Rencontrer - Peinture ]

florian marco/

la matière sauvage sur la toile.

Propos recueillis par Killian Salomon Nous avons encore 10 minutes pour préparer le plateau, les caméras sont prêtes, mes fiches chaudement imprimées, la décoration sobre mais délicate, il ne manque plus que l'invité. L'interview se déroulera sur un canapé pourpre, entouré de colonnes de pierres nues et d'un rideau rouge. Mon portable sonne, Florian est arrivé, je l'accueille sur le palier. Je le rassure d'emblée : " le principe est simple, les mots d'ordre sont intimité et détente ". Il me sourit et emboîte le pas, le courant est plutôt bien passé. Rentrons directement dans le vif du sujet : quel a été votre parcours jusqu'à aujourd'hui ? J'ai commencé à peindre à l'époque du lycée mais j'ai tout d'abord débuté par le dessin et notamment des portraits de femmes. J'ai ensuite décidé de me former sur l'histoire de l'art au lieu de prendre des cours de peinture. C'est par ce cursus et la connaissance de l'esthétique de l'art et de son histoire que j'ai éduqué mon regard. J'ai ensuite étudié quelques années à l'université de Lyon II en histoire de l'art et j'ai poursuivi à l'École du Louvre. J'ai énormément apprécié cet apprentissage qui s'effectuait dans ce lieu unique, autour des œuvres d'art au sein même des musées et du palais du Louvre. Durant cette période j'ai mis de côté ma pratique de la peinture pour me concentrer vraiment sur les études. J'ai eu besoin de digérer tout ce "panorama visuel", ce qui m'a pris assez longtemps. Cela fait maintenant cinq ans que j'ai repris activement la peinture.

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La peinture est donc pour vous une vocation plus qu'une révélation ? Exactement. C'est un chemin assez tortueux et un métier difficile qui nécessite de la patience et de la persévérance. On ne décide pas d'être peintre du jour au lendemain.

Au delà de votre entourage, si vous deviez en citer un, quel peintre ou plus généralement quel artiste vous a inspiré pour faire ce métier ? Je suis plus influencé par les peintres romantiques et contemporains comme Pierre Soulages.

Qui vous a influencé pour faire ce choix de carrière artistique ?

Dans votre parcours, quelles ont été les étapes pour atteindre votre niveau ?

Mon entourage m'a soutenu dans cette voie, mes parents notamment, ne m'ont jamais empêché de peindre, alors qu'ils auraient eu toutes les raisons de le faire (rires) ! Une de mes tantes m'a également influencé, elle faisait du dessin, des portraits de femmes et je peux dire que c'est elle qui m'a insufflé la passion de l'esthétique, la rigueur du trait. Je me suis, au début, inspiré de ses dessins pour ensuite me diriger vers la peinture et essayer de trouver ma propre voie.

Il n'y a pas eu d'étapes marquantes, mises à part mes premières expositions, mais de manière plus globale, le processus qui m'a amené à créer des œuvres esthétiques via la peinture fait parti d'une longue réflexion de presque dix ans. J'ai énormément réfléchi sur ce que je voulais faire, ce que je voulais transmettre, ce qui m'a permis de créer ce que je fais aujourd'hui.


Ma récompense c’est lorsque l’œuvre est regardée par un public.


Et concrètement, depuis que vous peignez, quelle a été votre plus belle récompense ? Ma récompense c'est lorsque l'œuvre est regardée par un public, lorsque je peux la partager avec les autres. Lors d'une exposition, quand je vois une de mes toiles vivre au travers du regard des autres je sens réellement que mon œuvre existe. C'est un sentiment très fort qui m'encourage à persévérer dans la peinture. L'accomplissement de mon travail s'exprime aussi quand des personnes extérieures à l'Art, n'ayant pas d'affinité particulière avec la peinture, parviennent à s'ouvrir aux tableaux que je propose, et à ressentir finalement une réelle émotion. Il y a une sorte de connexion, une étincelle... C'est là qu'est ma plus belle récompense. Vous avez évoqué les personnes étrangères au milieu de la peinture. Comment est-ce que vous vous définiriez face à ces gens qui ne vous connaissent pas ? Qu'est ce qui fait de vous Florian Marco, peintre ? Je dirais que mon travail se caractérise par le jeu des lumières, des masses et des volumes. La montagne est également pour moi une véritable source d'inspiration pour mes compositions. C'est d'ailleurs ici, dans cette région alpine que je me suis

Emmanuel Morreaux

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trouvé en tant que peintre. C'est ici que j'ai voulu mettre en œuvre mes projets. J'ai quitté Paris pour revenir dans les Alpes et faire de la peinture, un retour aux sources en quelque sorte.

une impulsion initiale qui me pousse à m’enfermer dans mon atelier. Quel est votre processus de travail ? Dans quel état d'esprit êtes-vous lorsque vous vous apprêtez à peindre ? Disons que mes périodes de travail sont irrégulières, entrecoupées de phases de réflexion qui aboutissent sur des phases d'action, normalement… (Rires). Lorsque je me mets à peindre, il y a une impulsion initiale qui me pousse à m'enfermer dans mon atelier, l'espace dans lequel je suis le plus à l'aise pour travailler efficacement. L'œuvre ne se crée que dans l'action pure, la réflexion est bien sûr nécessaire ; mais si l'idée n’aboutit pas à la création, cela reste une œuvre mort-née.

Et tout comme l'écrivain qui se retrouve face à une page vierge, avez-vous déjà ressenti ce " syndrome de la toile blanche " ? C'est un problème qui peut survenir et lorsque cela m'arrive, j'arrête de peindre. Mais je travaille généralement sur plusieurs projets en même temps et donc quand je perds cette impulsion je passe d'une toile à une autre. C'est une sorte d'élan que j'entretiens en le renouvelant à travers d'autres phases de création pour éviter qu'il ne s'épuise. Dans votre discipline, quelles seraient donc les contraintes à la création, à la véritable liberté d'expression ? Pour moi, la peinture est un espace de liberté totale que je me dois d'utiliser. C'est cette possibilité infinie de créer et de s'exprimer qui m'a véritablement décidé à faire ce métier. La nature, et plus particulièrement la montagne, font partis des thèmes que j'explore car ce sont pour moi de véritables espaces de liberté, une inspiration concrète qui n'a de contrainte que ma propre imagination. Il y a bien sûr quelques contraintes mais je ne m'arrête pas aux premières difficultés, mon effort est de dépasser ces contraintes, les faire disparaître pour que l'art soit l'expression d'une totale liberté.


Emmanuel Morreaux

En plus de la peinture vous faites également des installations, s'il n'y a pas de contraintes pourquoi cette volonté de sortir de la toile ? Travailler le volume et l'espace dans des installations est pour moi un outil pour favoriser l'impact sur le spectateur, une manière de le toucher différemment. Ce n'est pas une simple échappatoire à l'espace plus restreint d'une toile, qui peut-être considérée comme une contrainte pour certain. L'installation me permet d'investir totalement l'espace, le but est de faciliter la perception d'un travail artistique. C'est également le but d'une exposition : il faut que les éléments soient réunis pour captiver le spectateur, qu'il soit baigné dans un espace qui s'inspire d'une réalité, chez moi la montagne, qui est pourtant absente du lieu où sont exposées les œuvres. Passer de la toile peinte aux installations fait parti chez vous d'une même mouvance artistique ou bien cette volonté est née d'une rupture ?

À partir du moment où j'avais trouvé mon " style ", où j'étais parvenu à créer un univers, l'envie de travailler des objets dans l'espace, de manipuler des volumes m'est venue assez naturellement. Mon but est de prolonger la peinture dans l'espace, montrer que la toile n'est pas le seul support, qu'il en existe d'autres. Très bien, penchons-nous maintenant sur l'art dans la société et sa perception. Que pensez-vous de l'égo chez les peintres, est-ce vraiment important ? Il peut effectivement intervenir et parfois aider dans certaines démarches artistiques. Il y a l'emblématique exemple de Salvador Dali. Il a réussi à créer un personnage haut en couleur, et cette image de provocateur accompagne encore aujourd'hui ses œuvres, c'est une facette intéressante de l'Art et de l'Homme en général. Pour ma part, je suis assez discret et je considère que la seule chose qui compte et qui reste sont les œuvres de l'artiste, l'égo n'a qu'un caractère éphémère.

L'œuvre est l'accomplissement réel de l'artiste, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il crée, afin que quelque chose lui survive. Dans votre cas, quel est votre statut dans la société, votre utilité en tant qu'artiste ? Cette question ramène à une réflexion plus vaste sur la place de l'artiste et de l'art dans le monde. À mon avis, l'existence de l'artiste est essentielle mais à la fois inutile et il en est de même pour l'art. L'art est d'une inutile nécessité. Très belle conclusion. Pour revenir à un thème plus spécifique : que vous inspire "le corps dans la peinture" ? Le corps dans la peinture me fait tout de suite penser à Yves Klein et aux anthropométries. Le corps ici est l'acteur principal de l'art, c'est un véritable moyen technique pour produire une œuvre visuelle.

Carnet d’Art

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Par rapport à vos propres créations et notamment à votre série intitulée. Loin, quelle est la place du corps ? Dans cette série, je posais directement la toile sur le sol, je n'utilisais pas de chevalet ce qui en soit induit déjà une position corporelle différente, cela en modifie l'approche physique. Tout le travail préparatoire d'un tableau pose le corps comme un outil. Il peut y avoir la peinture sur les mains et le travail direct des mains pour estomper par exemple un coup de pinceau. Une sensualité se met en place entre le corps de l'artiste et la peinture. Cela fait parti de mon travail et de manière générale, celui de nombreux artistes.

ne plus les contraindre à ma simple vision.

J'en reviens encore à votre série Loin dont les tableaux ne portent aucun titre, mis à part un : la chambre de Laura, pourquoi ?

Si vos peintures sont abstraites, si vous voulez donner une impression de liberté à travers un regard " lointain ", où s'exprime la vraie vie dans tout ça ?

Ce tableau a, en réalité, été peint avant tous les autres. L'idée était d'induire un chemin, une piste à suivre pour celui qui regarde la toile car mes peintures sont des créations que l'on pourrait qualifier d'abstraites. Je voulais en premier lieu guider le spectateur et ai décidé par la suite de ne plus mettre de titre pour laisser la porte ouverte à la perception des spectateurs, ne plus les contraindre à ma simple vision et leur donner la possibilité de s'approprier la toile. Je me suis permis de mettre le titre Loin qui reste un nom très ouvert pour respecter ma démarche de liberté de perception. Loin c'est l'ouverture sur un autre monde, un ailleurs inconnu. C'est ce que je ressens lorsque je regarde une montagne, cet horizon naturel qui paraît sans limite, qui replace la liberté à sa définition la plus primaire.

La vie dans ma peinture naît du travail sur la lumière, elle naît des contrastes, des chocs visuels qui sont là pour provoquer l'émotion et donc donner vie à mes tableaux. Par rapport à votre expérience, quel est le plus grand défaut d'un peintre ? La naïveté. Et donc la qualité pour devenir peintre ? Avoir un bon œil, davantage qu'une main. Si tous les yeux du monde vous regardaient ce soir, qu'aimeriez-vous dire aux futurs artistes qui se lancent dans l'art pictural ? Allez-y, n'hésitez pas. . . et bon courage ! . . .

Emmanuel Morreaux

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[ Rencontrer - Théâtre ]

noémi bechelen/ l’acteur entre théâtre et cinéma.

Florilège de trois heures d’interview avec Arnaud Idelon Morceaux choisis d'une longue et belle rencontre durant laquelle Noémi Bechelen nous parle de sa passion pour son métier, des spécificités respectives du théâtre et du cinéma et explore la question du corps en représentation. Pour se mettre tout de suite dans le bain : selon vous, qu'est-ce qu’un bon acteur ? Je crois que c'est avoir une extrême conscience du monde qui nous entoure. Pour incarner un personnage, il faut avoir conscience de ce qu'il a vécu, de ce qu'il va vivre et traverser, ses étapes de vie pendant le temps de la pièce, ou du film. Il faut donc avoir un amour pour le monde dans lequel on vit, être attentif aux gens, sans aller jusqu'à les aimer tous, mais au moins essayer de les comprendre car c'est une nourriture formidable pour incarner. C'est très enrichissant pour l'imaginaire. Il faut également avoir une conscience de soi. J'ai conscience de ce que je suis et de ce que je fais, ce qui me semble primordial chez l’acteur ; même s'il est également indispensable d'être capable de se détacher de cette conscience pour incarner en profondeur.

Le théâtre c'est une ambiance, une sensation. 66 Carnet d’Art

Au théâtre, le comédien ne se voit pas jouer, comment jauger, évaluer son jeu par rapport au public et aux autres comédiens ? Tout d'abord, si l’acteur fait ça, c'est qu'il n'est pas très bon. Il n'y a rien de pire que de se voir jouer. C'est un moment terrible. Cela m'est arrivé une fois, il parait que l'on appelle ça la schizophrénie (rires). Lorsqu'on est fatigué ou peu concentré au moment de jouer, on s'extrait de soi-même. J'ai le souvenir d'avoir eu l'impression que je jouais avec mon œil gauche et que mon œil droit me regardait faire. C'était hors de mon contrôle : dix minutes qui m'ont parues une éternité. Après, il y a des comédiens qui se regardent jouer, c'est insupportable parce qu'ils ne jouent plus avec vous mais avec eux, avec leur image et ça peut ressembler à du cabotinage. Ce n'est ni très beau, ni très agréable à regarder. Le théâtre c’est une ambiance, une sensation. Ce n'est pas une question de voir ou non le public, mais davantage de le ressentir. On sent les silences, les

respirations, l'émotion. On sent parfois que les gens ont le souffle coupé justement parce que l'émotion est là, palpable dans l'air. Quand le public rit c'est plus simple, on l’entend clairement. Lorsque je joue dans une comédie, je ne me dis jamais qu'entendre rire le public est gage de réussite ou de qualité de mon jeu. Je suis comédien, je ne suis pas humoriste, je n'ai donc pas besoin d'être rassuré sur mon "one man show" ou mon "Stand-up". J'ai un texte et je dis ce qui est écrit. Si le public rit, je suis satisfait et je me dis qu'il faut que ça continue. Ce qui est agréable dans une comédie c'est que les gens rigolent rarement au même moment deux soirs de suite. Pour le reste il y a des finesses, des subtilités amenées dans le rythme de diction par exemple. On change, on peut décider de créer une rupture à différents moments, à certains endroits et pas à d'autres. Si je n'évalue pas la qualité de ma prestation aux rires, il est vrai qu’ils sont porteurs. Dans le cas où la salle reste impassible, on se sent en difficulté et il faut faire en sorte que cela devienne stimulant.


avoir une conscience de soi.


Pauline Emelin

Quelle est votre relation avec le metteur en scène ? C'est une relation de complicité, j'ai besoin d'avoir confiance. Il m’est égal de savoir s'il m'a choisi par défaut ou au contraire si son choix était une évidence. L'important pour moi est que, du moment où l'on commence à travailler ensemble, il est convaincu d'avoir fait le bon choix. Tous les matins il se dit " Je dois réussir à lui faire faire ce que je veux ", et de mon côté je me dis que je dois lui donner ce qu'il attend. Il y a un rapport de séduction sensuelle, intelligente, enfin tout ce que l'on aimerait faire dans une relation amoureuse et auquel on n'arrive jamais. On est toujours débordé au moins par un artifice un peu vulgaire ou primaire, chose qui n'existe pas avec un metteur en scène, ou avec le public. Ma relation avec le metteur en scène repose donc sur la confiance et sur l'écoute. Quelques fois il y a une admiration réciproque. C'est très intimidant mais c'est agréable. Le plus difficile n'est pas d'admirer quelqu'un, mais de se savoir admirer, car l'on doit alors être à la hauteur des espérances de l'autre. Pour moi, le travail entre un metteur en scène et un acteur s'apparente à celui d'un couple de danseurs. Il n'y en a pas un qui prend le dessus sur l'autre, qui impose un rythme ; le rythme vient de lui

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même, comme pour une valse. Si l'un accélère, l'autre doit suivre, et si vous voulez ralentir, l'autre est obligé d'en faire de même. C'est un accord parfait. N'y a-t-il que de bons acteurs ? Je ne sais plus qui disait : " Il n'y a pas de bons ou de mauvais acteurs, il n'y a que des mauvais metteurs en scène ". Ce qui est agréable dans la position d'acteur dans laquelle je me trouve. Le bon et le mauvais sont aussi subjectifs que la beauté. C'est une question de regard. Il existe donc une certaine part de liberté de l'acteur vis-à-vis du metteur en scène ? L'acteur donc : créateur ou créature ? Je ne prends pas ma liberté par rapport au point de vue du metteur en scène, ce serait absurde, sinon je serais metteur en scène. Il choisit un cadre ou un format et c'est à moi de m'adapter, de trouver une liberté, comment moi je vois la scène, comment je l'interprète. Plus le rapport avec le metteur en scène est intimiste, plus il est facile de composer avec lui et de trouver sa place. Cela varie selon les metteurs en scène. Certains sont marionnettistes alors que d'autres laissent trop de liberté, et l'acteur se retrouve un peu

perdu. Je pense qu'un bon metteur en scène est celui qui trouve l'équilibre parfait entre liberté et cadre strict. J'aime bien la position de créature, mais mon métier est de créer, donc de facto je suis également créateur. C'est une question que l'on pose souvent aux acteurs et je crois que l'on ne peut pas choisir, sauf s'il y a un parti pris. Si l'on décide de n'être que créature, on s'implique directement dans un genre très particulier. Créateur et créature sont les deux composantes de l'acteur, dans des proportions différentes selon la qualité du metteur en scène. Comment se tisse alors votre rapport au personnage par rapport à l'argument écrit ? Est-ce une identification, un amour, ou une mise à distance, une intellectualisation ? Identification, non, au contraire. Tous les rôles que j'ai joué ou que j'espère jouer sont loin de moi, sinon ça ne m'intéresse pas. C'est davantage une intellectualisation ; quand je lis un texte je réfléchis à l'essence du personnage, ce qu'il est, ce qu'il vit... J'essaye vraiment de le comprendre. Vous parliez d'amour, et ça c'est essentiel. Aimer son personnage permet par exemple de pouvoir jouer un tyran en lui donnant quelque chose d'humain et de ne pas faire une caricature.


Rappelez-vous Bruno Ganz dans La Chute ! On est obligé d'aimer son personnage si on veut le rendre humain et ne pas faire dans la simplicité. En revanche, aimer un personnage, le comprendre ne veut pas dire le connaître dans sa totalité. Cela fait partie du charme de l'interprétation, de jouer un homme sans le connaître entièrement. Au théâtre notamment cela permet d'explorer chaque soir une nouvelle part de mystère, quelque chose que l'on ne connaissait pas, c'est une délicieuse découverte inscrite dans le temps. Un simple bruit en coulisse, un toussotement dans le public peut vous amener dans une zone du personnage que vous ignoriez jusque là et qui vous surprend. Irrémédiablement on va chercher des choses en soi, des choses que l'on n'avait pas spécialement envie de connaître, des choses obscures. Ça peut faire mal, mais c'est aussi jouissif. Quelle liberté a l'acteur par rapport au personnage du texte écrit ?

mais après, la liberté est totale ! C'est moi qui donne vie à ce personnage ! On peut tout faire ; décider par exemple de son débit de parole, la façon dont on regarde les gens... On a la liberté de créer. A contrario, l'essence du personnage du texte écrit et ses précédentes interprétations n'influencent-elles pas l'acteur en lui ôtant une certaine part de créativité ? Je ne pense pas, regardez Richard III : il existe une multitude d'interprétations très différentes les unes des autres ! Il y a autant d'interprétations qu'il y a d'acteurs, ou plutôt qu’il y a de bons acteurs (rires) ! Je ne crois pas que le personnage soit enfermé dans une seule expression et définition. C'est ici que le metteur en scène voulant monter une pièce classique doit être audacieux. Il doit transmettre sa lecture originale à l'acteur pour qu'il puisse la porter, porter cet univers jusqu'au spectateur.

L'acteur est cadré par très peu de choses : les directives du metteur en scène et le texte, on a une enveloppe

L'acteur doit-il, selon la méthode Stanislavski, revivre ou s'inspirer de situations analogues de son expérience propre pour interpréter son personnage ? Non, cela restreint énormément le champ des possibles. Ce n'est pas ma conception du jeu. Je serais incapable de jouer un militaire puisque je ne suis jamais allé à l'armée, je n'ai pas fait mon service, on ne m'a jamais humilié et je ne suis jamais arrivé à faire plus de quelques pompes (rires) ! Certains acteurs choisissent de s'inspirer d'émotions qu'ils ont vécues pour donner ce que le metteur en scène attend. On vous demande de pleurer car votre personnage vient de perdre son amant et vous utilisez la mort de votre grandpère, qui vous a traumatisé, pour faire couler une larme. C'est un chemin, ce n'est pas le mien, je suis incapable de faire ça. J'ai travaillé la méthode Stanislavski mais elle ne me correspond pas. Je crois davantage à la situation : si je dois jouer la mort de ma femme, je m'accroche au texte, à la situation, à l'actrice que j'ai en face de moi et je joue, j'incarne. Je pense, en définitive, que l'origine même de l'émotion, est égale : on demande à un acteur de pleurer, on lui demande de verser une larme, peu importe comment il fait, l'important est qu'elle vienne. Il n'y pas de meilleure méthode, l'acteur fait ce qu'il peut. Un acteur doit-il, selon vous, avoir un corps mémorable, atypique, ou au contraire une physionomie plus banale et effacée, qui serait le support à différentes interprétations ? Je pense que c’est là une fausse question. Même si l'on a un physique très marqué, cela n'empêche pas de se transformer. Pouvoir se métamorphoser, changer de visage au gré d'une coiffure ou d’une lumière est essentiel. Denis Lavant, acteur fétiche de Leos Carax, est fascinant pour ça. Il a une physionomie très particulière, ce qui ne l'empêche pas d’être le support de mille visages. De la même manière, des personnes aux traits plus lisses, peuvent jouer des personnages très marqués. Je pense aussi à Isabelle Huppert à qui on avait consacré une très belle exposition nommée La Femme aux Portraits : c'est passionnant de voir

Pauline Emelin

Carnet d’Art

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comment, au gré des photographes et des films dans lesquels elle a joué, elle change de visage. Il y en a d'autres : Meryl Streep ou Daniel DayLewis ; voilà par exemple quelqu'un au physique très spécial et singulier mais qui a pourtant une capacité de métamorphose phénoménale. Il me semble notamment que cela est plus simple pour les hommes que pour les femmes, parce que le rapport à l'image, à la séduction ou au vieillissement n'est pas le même. Auriez-vous un exemple de scène emblématique du rapport de l'acteur à son corps ? Personnellement je me souviens être resté nu pendant quarantecinq minutes sur scène lorsque j'ai joué dans Quartett d'Heiner Müller. Il fallait assumer et en même temps je jouissais d'une extrême liberté. Je ne me suis pas posé trop de questions car ce rapport à la nudité est venu assez naturellement à ce moment là. C'était une expérience très marquante car c'était la première fois que je me retrouvais nu, entièrement nu, devant un public. Au cinéma, dans le film Antichrist de Lars Von Trier, j'ai été fasciné par l'aisance qu'avait Charlotte Gainsbourg par rapport à son corps. La sensation de liberté qu'elle parvenait à transmettre à la caméra, qu'elle nous donnait à voir, était impressionnante. Corps et voix sont donc les seuls outils de l'acteur ? Tout est outil pour l'acteur, tout est nourriture. Il y a la technique, l'environnement, un bruit, un son... Encore plus au cinéma qu'au théâtre. Un acteur fait feu de tous bois. Le corps au théâtre est-il plus subversif qu'au cinéma ou dans la peinture ? Non. Il est instrumentalisé dans la perception de façon complètement différente. Pour ma part, j'ai beaucoup moins de réticence à utiliser mon corps au théâtre qu'au cinéma, je veux dire par là, à utiliser le corps nu. C'est davantage une question d'image. Et pourtant, un corps choque plus au théâtre, car le public en a une 70 Carnet d’Art

perception directe. La preuve, les scandales sont nombreux aujourd'hui lorsque que l'on assiste à une pièce où les gens sont nus ; rien que nus, je ne parle pas du corps en action, qui peut être encore plus choquant. Je crois que cela rappelle au spectateur la perception de son propre corps et provoque chez lui une sorte de gêne. En revanche, plus personne n'est choqué de la nudité d’un acteur dans un film. Cela vient sans doute du fait que l'on s'échappe beaucoup plus facilement au cinéma qu'au théâtre. La notion de direct dans le spectacle vivant rend la perception plus captivante et troublante qu'au cinéma, où persiste malgré tout une distance.

Avoir le choix d'être désiré et aimé. Quel est l'impact du développement du "star system" sur le corps de l’acteur ? Cela n'a plus rien à voir. Avec le "star system" c'est uniquement à l'image que l'on fait référence. Je pense que les gens dont l'image apparait dans les magazines people n'ont rien à voir avec ça dans la vraie vie, ou du moins je l'espère pour eux. Le plus troublant c'est que ce sont souvent les acteurs qui se font piéger par leur image. Monica Bellucci par exemple, même si elle s'en est remarquablement bien sortie, s'est un temps laissée enfermer dans son image de femme glamour, étendard du fantasme masculin. C'est au réalisateur d'oser sortir un acteur de son image. Le meilleur moyen de calculer son image est de donner une impression d’indifférence, de montrer que l'on ne veut pas être réduit à cela, quitte à dérouter le spectateur. Je ne pense pas que l'image prévaudra définitivement sur le corps. Certes, il est instrumentalisé par le biais de certains points de vues du metteur en scène, mais je ne vois pas comment il pourrait disparaître ; ce serait alors le cinéma dans son intégralité qui se volatiliserait. Même dans les films numériques, comme Avatar, il y a un acteur derrière, un corps. On est obligé, pour préserver

un semblant de naturel dans le mouvement, de se référer à un vrai corps. Lorsque l'on est uniquement marionnette ou créature par rapport au metteur en scène, cela nécessite encore la présence du corps, même dans l'instrumentalisation la plus poussée. Du cinéma muet, qui n'est que corps et mimes, au cinéma numérique où le corps n’est que pixel et ne survit que par la voix, l'acteur est-il encore indispensable aujourd'hui ? J'aime à le croire. J'aime à croire que les gens ne se passeront jamais de vrais acteurs. Il y a une part d'identification de la part du spectateur vis-à-vis d'un personnage ou d'une situation. Cela est bien plus crédible avec un vrai acteur qu'avec un personnage numérique. Avatar est un film superbe, mais personne ne peut s'identifier aux personnages. Le public ne pourra pas uniquement voir des films comme celui-là. Il est vrai, qu'à l'ère du numérique, il y a davantage d'effets spéciaux, mais je pense que l'acteur ne disparaîtra pas sans signer avec lui la mort du Septième Art. En définitive, l'acteur moderne est-il encore acteur ou simple performeur ? Si c'est la performance dans le sens de la multiplication des disciplines, cela dépend du personnage et de ce que vous acceptez de faire. On dit souvent que les américains savent tout faire : jouer, chanter, danser... mais je ne crois pas que le cinéma ou le théâtre se réduisent à cela. L'acteur reste un acteur et quand il a la chance et surtout le talent pour interpréter un rôle qui lui permet d'aborder les différentes disciplines alors oui, il devient un acteur complet et non un simple performeur. Je déteste d'ailleurs ce terme qui pour moi n'a pas beaucoup de sens. Qu'elle serait donc votre consécration d'acteur ? Que le désir ne s'arrête jamais et que l'on me laisse le choix. Avoir le choix d'être désiré et aimé.



[ Raconter ]

Marcher, bouger, voyager, danser… Des centaines de milliers d'années d'évolution, en partant de l'Homo erectus pour arriver, enfin, à raconter.

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corps accords

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fragile

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ophéline

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apparition

voyage

exposition

nouvelle

poème

Raconter Carnet d’Art

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[ Raconter - Voyage ]

corps accords/ Killian Salomon - Auteur

Et au milieu de toutes ces choses que l’on m’avait dites à ce sujet, choses plus ou moins sensées, plus ou moins fausses, il n’y avait que ma curiosité grandissante. La date approchait à grand pas et quel ne fut pas mon soulagement lorsque, s’étalant telle une flaque de béton géante en dessous de l’ombre chétive de l’avion, j’aperçus à travers le hublot le sol de Belo-Horizonte. C’est une ville typique d’Amérique du Sud, tentaculaire et trop rapidement urbanisée, à la fois fief des barons de la drogue et des nouvelles industries de pointe, cloaque des fumeurs de crack et de la misère, arène où se battent à armes inégales richesse et pauvreté. Cette ville aux allures de grosse femme boulimique, cache en son sein un vivier d'âmes en ébullition. Il serait aisé d'extrapoler ce constat sociétal alarmant à toutes les autres villes d'Amérique du Sud, mais que voulezvous, je ne suis pas de ceux qui posent le 20h comme parole d'évangile. Ce pays donc, immense, dangereux, où chaque ruelle devient un coupe gorge, où les hommes poussent de la fonte à longueur de journée et les femmes siliconées se déhanchent en string sur la plage, où le diable invite l'archange à sa table, où le soleil enflamme désir et raison, ce pays était devenu ma nouvelle maison, mon chez moi. Comment en être certain ? Tout simplement parce que des gens m'attendaient en bas. Je revenais tout juste de mon voyage à Salvador da Bahia, la tête encore pleine d’images grandioses ; émotionnellement comblé, physiquement épuisé, mais assez lucide pour garder à l’esprit mon futur objectif, ma nouvelle découverte. 74 Carnet d’Art

À force de rencontres, il me semblait comprendre, ou du moins discerner, la complexité et la richesse de la culture brésilienne. Je ne parle pas de l'évidente mixité des paysages tous plus sublimes les uns que les autres, ni même de la superficie du territoire atteignant presque neuf fois celle de la France, je parle des étonnantes mais à la fois passionnantes déviances et contradictions qu'il existe dans cette culture... Mais à quoi bon vous décrire quelque chose que vous savez déjà ; tout le monde à en tête l'image du riche blanc enfermé sous bonne garde dans sa forteresse de cristal, avec comme voisin de palier la famille d'autochtones entassée dans une vieille casse des favelas. Là-bas les dessous de lits ne sont plus habités par les monstres et moutons de nos chambres d'enfants occidentaux, mais remplacés par les rats et les sachets percés de cocaïne... Voyez comme il serait facile de faire l'apologie de la misère, de l'éternelle lutte du bien contre le mal... Je n'en n'ai pas envie, d'autres personnes de la profession s'en chargeront pour moi. L'unique chose qui motive ce récit est une mosaïque de souvenirs, des souvenirs colorés ; je pourrais même affirmer sans trop me tromper que ce sont des souvenirs heureux, n'en déplaise aux grincheux.


On m’avait conté les histoires les plus folles, les plus extravagantes sans réellement me dire ce qu’il allait se passer. J’allais enfin voir par moi-même, mon excitation était totale. Mon appréhension ou ma peur ? Malléables. À peine avais-je posé mon pied sur le tarmac que Felipe, mon frère d’accueil, me prit par le bras et me jeta dans une jeep filant à toute allure à travers la brousse, suivie par un cortège de trois camionnettes tremblotantes, chacune emplie de jeunes fêtards surexcités et d’une réserve d’alcool suffisante pour satisfaire un régiment complet d’officiers russes assoiffés. Durant le trajet de cinq heures sur des routes poussiéreuses et isolées, je tentais de suivre le fil des conversations de mes nouveaux compagnons. Mon portugais était balbutiant et je prenais les mots à la volée, mais compris vite de quoi il s’agissait. Le nom revenait sans cesse dans les discussions, était sur toutes les langues, sortant avec une ivresse presque palpable des bouches souriantes autour de moi. Une joie s’empara soudain de mon cœur et s’éleva dans l’air en même temps que les accents brésiliens, forts et chantants, prononçant les mêmes mots : « O CARNAVAL » . Le Carnaval brésilien…. toute une légende, tout un mythe, mais à chaque fois une histoire différente. Ce qui nous vient bien sûr à l’esprit, nous autres occidentaux bornés, c’est l’image pétillante et trop édulcorée de filles à la peau bronzée et à moitié nues, défilant dans les rues de Rio de Janeiro ou de Sao Paulo sur les accords d’une Samba endiablée. Oui, cela existe, mais ce n’est qu’une parcelle infime de ce que représente cette fête, cette liesse populaire à grande échelle. Economiquement parlant, le pays se fige durant une semaine. Plus question de prévoir un rendez-vous chez un dentiste (ce que je vous déconseille fortement) ou dans un centre de massage (ce que je vous préconise grandement !), personne ne vous répondra.

Carnaval. Comment vraiment s’amuser ? Qui inviter à danser ? Dois-je vraiment rentrer...?

Asprocom

Culturellement parlant c’est une autre histoire, et je ne pourrais pas mieux décrire la fièvre joyeuse qui s’empare de l’esprit des brésiliens, des semaines avant le début des festivités, que ne le fait déjà le mot « EFFERVESCENCE ». Les étudiants rangent leurs cahiers, les travailleurs posent leurs congés, les camés prennent leurs pilules et même les clochards quittent le pavé. Des festivals éclosent de partout, des concerts sont programmés, des vols sont réservés et plus rien ne compte mis à part le Carnaval. Dès les deux premières semaines de janvier, les seules questions dignes d’intérêt sont : Où passer le Carnaval ? Avec qui y aller ? Comment vraiment s’amuser ? Qui inviter à danser ? Dois-je vraiment rentrer… ? Nous arrivons enfin en terre promise. Pour nous, pas de Rio, pas de Sao Paulo, ou une quelconque ville envahie par les touristes. La troupe et moi débarquons dans un tourbillon Carnet d’Art

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de fumée et de crissement de pneus dans la petite bourgade de Milho Verde. Nombre d’habitants à l’année : 2000. Localisation : Village perdu au milieu de la jungle et des cascades d’eau claire. Une description bucolique et paisible. Mais nous sommes le premier jour de fête, et au moment où j’ouvre la porte et que vient me happer une vague de chaleur sèche et brûlante, un grand bruit berce mes oreilles. Des cris de joie, des acclamations et de la musique, de la musique partout… C’est le carnaval qui chante. Heures sans dormir : 65. Jeunes âmes en quête d’amusement en une semaine : 40 000. Capacité à regretter ce moment : infini…

Eles nos prometem um futuro, e nos vendem do efêmero.

Je vous parlais tout à l'heure de contradiction, et j'ai bien peur d'admettre que la plus flagrante n'était autre que ma présence en ces lieux. Moi, grande ombre rachitique titubante au milieu d'un océan de muscles et de corps bronzés, je m'étais vite vu attribué ce qui deviendra mon éternel surnom : o gringo ( L’étranger ). Un gringo français perdu dans la faune, au pays du corps roi, où son culte est porté aux nues, je faisais office d'ovni. Je me contentais, au début, de balayer la foule de visages tannés de mes yeux clairs, un peu vitreux à force d'ingurgiter des caïpirinhas trop corsées. Il y a néanmoins quelques disciplines grâce auxquelles je parvenais à laver l'honneur de notre belle France, comme l'ancestrale mais peu glorieuse bravoure gauloise face à un bar fourni, où encore le lubrique avantage que je pouvais tirer de l'utilisation de notre noble et érotique langue française...

Fotolia © Val Thoermer

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A première vue, le contraste entre ma fragile santé et cette peuplade pétillante était assez flagrant. Ce n'est qu'après ma première nuit blanche qu'il me vint à l'idée que cette jeunesse ci, aussi différente soit-elle, se lançait de la même manière dans cette course effrénée vers l'autodestruction du corps. L'ironie, si j'ose dire, était que cette joute éthylique se faisait dans une ambiance résolument joyeuse, sans qu'aucune rixe n'éclate, où le subtil mélange entre la samba, la drogue et l'alcool n'était qu'un outil facilitant l'épuisement physique. Mais alors, qu'est-ce-qui pousse cette jeunesse à se vautrer dans sa propre fange ? L'orgueil ? L'insouciance ? La désillusion ? À cette obscure méditation un de mes amis, qui buvait exclusivement un mélange à base de vodka, de cannabis et de gharana, me répondis entre deux hoquets : " Eles nos prometem um futuro, e nos vendem do efêmero " (Ils nous promettent un avenir, et nous vendent de l'éphémère). Il me semble avoir entendu d'autres choses intéressantes ce soir là, mais j'avais été obligé de trinquer en l'honneur de sa dernière phrase...


Le programme de nos journées était simple : l’après-midi nous allions nous baigner dans les cascades. Vers 18h, nous rentrions dans notre appartement, rapide toilette dans les douches communes et direction la rue principale. Le mot « rue » est peut-être exagéré pour décrire la portion de 300 mètres de terre rouge sur laquelle se déroulaient les hostilités. Mais je n’y songeais pas lorsque pour la première fois je vis ce que mes compagnons plongeant dans la foule appelaient : O CARNAVALUCO (comprenez : le carnaval le plus dérangé du Brésil). À ma droite, se dressait une petite église blanche perchée sur la colline, surplombant une forêt vierge d’un vert intense. À ma gauche, des petites bâtisses en brique et en argile de deux ou trois étages pas plus, levaient leurs regards terreux et fatigués sur le spectacle d’une jeunesse déchainée. Droit devant moi, une rangée de bars de part et d’autre de la rue. À leur pied, un alignement de voitures, coffres surchargés d’enceintes grands ouverts braqués sur la foule. Et au milieu de tout cela, il y avait la fête. Les gens dansaient, buvaient, plaisantaient, criaient leur volonté de ne pas attendre demain. Battre en retraite n'était plus envisageable, le rythme devenait la meilleure option. Battre le rythme, battre la terre meuble de nos pieds nus, sentir s'enfoncer dans ce sol les basses vibrantes des tambours et le faire trembler, nous faire trembler. Voilà le souvenir dont je parlais. Une fusion du son et des êtres, un paysage de formes humaines qui s'entrechoquent, se touchent et parfois se mélangent.

Une fusion du son et des êtres, un paysage de formes humaines qui s’entrechoquent... Les voix qui s'épuisent, couvertes par la musique tonitruante qui donne au tableau d'ensemble un air surréaliste. Un tableau sous forme d'aquarelle, des couleurs vives qui accrochent les sens, comme si un peintre piégé sur le pont d'un navire en pleine tempête tentait d'immortaliser l'instant sur la toile, son dernier instant, pour qu'ensuite il devienne éternel. Je me lance sur les pas de mes amis à moitié engloutis : tempête confuse de visages, corps qui bougent, qui se touchent, embrasement de mon cœur, de mon cerveau et de mes dernières réticences. Le Carnaval commence et ne s’arrête plus. Des rencontres innombrables, des caresses timides, des rires sincères... Il y avait des amis inconnus, des corps brillants, des femmes aussi belles et éphémères que la nuit, et au milieu de tout ça, il y avait moi.

Fotolia © Jerome Dancette

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[ Raconter - Nouvelle ]

ophéline/ Killian Salomon - Auteur

Son image est encore fraiche dans ma mémoire, un souvenir vif qui illumine mes nuits lorsqu'il m'arrive, bien trop souvent, de revoir sa silhouette dans mes derniers songes. Avec sa démarche craintive et son élégance toute féline, je la revois traverser comme si c'était hier, à sa manière souple et silencieuse, l'obscurité intime de ma chambre. Elle aimait se lover dans mon canapé défoncé, sur le cuir duquel elle exposait à mes yeux admiratifs, l'harmonie naturelle et animale de ses courbes. Plus d'une fois je me suis surpris à rester des heures durant, assis au fond de mon vieux fauteuil, épiant d'un œil circonspect et avec une certaine envie, la façon à la fois innocente et méthodique qu'elle avait de s'occuper de sa toilette. Après son nettoyage minutieux, sentant sur elle peser mon regard, elle s'étirait langoureusement de tout son long entre les coussins et sombrait dans un sommeil lourd et profond. Je me levais alors et aussi silencieusement que mes vieux membres me le permettaient, m'asseyais auprès de son petit corps chaud, pour venir lui gratter d'un doigt hésitant la blancheur de son cou. Bien que n'ayant jamais développé de réelle affection pour Ophéline, je remarquais qu'en dépit du snobisme caractéristique de sa race et de l'indifférence qu'elle affichait à mon égard, nous nous aimions d'une certaine manière. Lors de mes nombreuses errances nocturnes, quand je me plongeais avec une délectation honteuse dans les bas-fonds de mes réflexions, il m'arrivait souvent de m'interroger sur le sens de mon existence et d'inclure dans cette méditation

elle entrait souvent au cours de la nuit... la place peut-être dérisoire qu'occupait Ophéline. Aussi, mes pensées convergeaient souvent vers cette conclusion en apparence si simple, que nos vies marginales étaient toutes deux vouées à un destin certes incompatible mais étrangement proche. Évoluant tous deux en-dehors de tout système établi, nos existences consistaient essentiellement à combler, à l'aide de nos carcasses frêles, l'immense vide de mon appartement. Elle entrait souvent au cours de la nuit par ma fenêtre laissée entrouvert et mangeait discrètement, tel un rodeur noctambule, la maigre collation que je laissais à son attention dans la cuisine. Ce n'est que lorsque je me levais tôt le matin, voyant l'assiette vidée de son supposé contenu que j'étais informé de sa visite. Il lui arrivait à de rares occasions, sans doute mue par un besoin feint ou non de contact social, de venir solliciter dans un appel aphasique mes caresses. Elle venait alors frotter ses chairs duveteuses sur mes cuisses pendant que j'écoutais à moitié somnolent une symphonie de Bach ou un concerto de Schubert. Prenant soudain conscience de sa présence et ressentant également ce besoin de communiquer avec autre chose que ma propre lassitude, je la prenais sur mes genoux et l'enlaçais affectueusement. Bien qu'éprouvant au fil de mes caresses un réel plaisir, je savais cette démonstration de Carnet d’Art

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transposer mon âme fatiguée dans ses chairs tendres... Michaël Vertat

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tendresse éphémère car venait inévitablement le moment où, davantage lasse que rassasiée, elle décidait de se soustraire à mon étreinte et glissait sur la pointe des pieds son corps souple dans la nuit, hors de ma portée. Ce n'est pas tant le contact de sa peau douce sous mes doigts, ou bien l'insolent rythme de ses déhanchés, nimême la délicatesse de sa taille fine et étroite qui me plaisait chez cette jouvencelle farouche, mais bien plus la façon si mystérieuse et enviable qu'elle avait de fondre son être dans l'espace. Comme si le monde environnant, bien que sûrement inaccessible à sa perception, acceptait sans contraintes ni restrictions la totalité de son essence. Je m'amusais parfois de ses sautes d'humeur, de sa folie passagère, de ses disparitions subites et ses réapparitions plus surprenantes encore. J'admirais, comme si elle utilisait sa substance sans en avoir réellement conscience, l'aisance presque désinvolte avec laquelle elle évoluait dans l'appartement, ou bien la manière dont ses yeux verts en amande se posaient sur moi lorsque je la surprenais en pleine nuit en train de jouer avec une innocente proie. Si la paresse et le goût d'indépendance étaient entre nous des traits de caractère communs, la comparaison s'arrête là. Bien entendu j'avais conscience, mais de plus en plus vaguement, des différences fondamentales qui existaient entre nos deux morphologies. Mais au-delà de l'aspect extérieur, la véritable différence résidait dans la pleine perception et maîtrise qu'elle avait de son corps, en contraste avec l'éloquente indifférence dont j'usais en laissant dépérir le mien.

J’enviais jalousement sa vitalité, sa fougue et sa rage. Cette rage que j’avais perdue. Je souhaitais certaines nuits, alors que mes vieilles articulations me faisaient souffrir, transposer mon âme fatiguée dans ses chairs tendres et graciles afin de renouer avec la liberté. C'est avec répugnance, mais surtout envie, que je la voyais dans ses heures de chasse malmener, entre sa gueule acérée, ses victimes. Avec quelle souplesse elle bondissait autour d'elles, quelle jeunesse cruelle et naïve émanait de ses gestes vifs et charnels. Je m'interdisais d'intervenir dans ses moments intimes liés à son état de nature, mais j'enviais jalousement sa vitalité, sa fougue et sa rage, cette rage que j'avais perdue. Parfois je décelais dans ses ronronnements gourmands la faible consonance d'une tristesse, tristesse que je partageais. Et quand elle en avait fini avec son jouet disloqué, étendu tel un pantin désarticulé sur le canapé, elle furetait silencieusement jusque dans ma chambre.

Mon corps était grinçant, le sien était vif ; sa liberté était contrainte, mon asservissement était conscient. inévitablement dépendante de moi, de la même manière que l'impossibilité inaltérable de posséder son corps me rendait dépendant d'elle. Une dépendance réciproque que nos piètres tentatives pour exister en-dehors de l'autre ne faisaient qu'exacerber. Mon corps était grinçant, le sien était vif ; sa liberté était contrainte, mon asservissement était conscient. Pourquoi, me demanderiez-vous, envier une telle existence ? Pourquoi renier le confort humain pour une liberté fantasmée ? Pour la simple raison que cette liberté tant désirée est une prison et que l'espoir déplacé en est geôlier. Réciproquement, mon esprit reste figé car mon corps l'entrave. La vraie question est de comprendre pourquoi mon corps moribond, qui dans ses derniers spasmes m'inspire crainte et douleur, me fait subir ainsi les murmures confus de mes anciens désirs ? Pourquoi la possession physique de l'autre implique-t-elle l'abandon de ma propre personne ? Pourquoi Ophéline est Ophéline et que moi je ne le suis pas ? Je suis peut-être original, dérangé, marginal ou sénile, mais appelons un chat un chat : je suis fou, d'un corps qui ne m'appartient pas.

D'un miaulement attristé elle me faisait partager la détresse de sa nature domestiquée. Cette nature qu'elle tentait désespérément de retrouver, ne faisait que confirmer à mes yeux aigris l'extinction définitive de son instinct grégaire. Cette incapacité à recouvrer sa liberté originelle, à être de nouveau maîtresse de ses instincts, d'en atteindre la pleine possession, la rendait Carnet d’Art

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[ Raconter - Poésie ]

apparition/ Arnaud Idelon - Auteur

L’étoffe sur ton dos danse Et mes yeux balancent. Tu me fuis, je te suis, Eternel refrain. Sur le pavé tes pas, Martèlent, Le rythme de mon moi, Désir qui s’accomplit, Dans l’inassouvissement. Tes talons tracent les courbes, Qui animent mes songes. Muse d’un instant, je te chéris Te hais et t’encense De cette évanescence. Tes jambes gainées de noir, Battent l’asphalte Incantatoires, volubiles, Hypnotisent ce cœur, Qui ne bat plus que pour La beauté. Le galbe de ta démarche, M’invite à cette guinche, Me berce, m’aguiche, me viole. Quel beau mirage. À nouveau flotte l’étoffe, Le tissu virevolte, Gauche droite, droite gauche, La folie n’est plus loin. Cadence régulière Se parsème ton parfum. Le sais-tu ? Je l’espère ? Je ne sais plus. Cette marche monotone, N’est en rien funèbre. Tu as rallumé la vie, 88 Carnet d’Art


De mon corps, Triste chimère. Tes hanches cintrées Insufflent la cadence De ma déchéance. De ce tunnel dont j’entrevois la fin, Je ne veux plus sortir. L’embouchure sur la nuit, Est ton espoir. Et mon désespoir. Tu caches sans rien montrer, De la richesse, De ta féminité. De ta part aucune ostentation. Seulement ces longues danseuses, Qui viennent éclore, Invisibles, Indicibles. À l’échancrure. Ta chevelure, Hémisphère inespéré, Exhale l’odeur, De ma solitude. Tu te retournes, Ton regard cherche le mien, Mais j’y rencontre la peur. Et tandis que les talons résonnent De plus belle. Béat, étourdi, Je m’adosse aux parois. Tu vois le bout du tunnel, Et moi le commencement. L’apparition était belle. Arnaud Idelon

Bonne nuit ma belle. Carnet d’Art

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[ Correspondance avec Bernard Pivot ]

Dans le prochain numéro de Carnet d’Art...

Bernard Pivot

Carnet d’Art

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[ Courrier des lecteurs ]

A l’image des citations trouvées de-ci de-là dans le magazine et pour vous souhaiter une longue et artistique existence : « Toute erreur assumée devient un choix artistique ». Nicolas

Bonjour Nicolas, Merci pour votre message, il nous fait évidemment sourire, mais ne manquerait-il pas l'auteur de la citation ? Bernard Werber n'est-ce pas ?

Pour un magazine culturel, je trouve qu’il manque quelques rubriques… Sorties ciné ou CD… Un agenda des spectacles, concerts ou autre dans la région. Théophile

Bonjour Théophile, L’objectif de Carnet d’Art est de créer une collection, qui n’a aucun ancrage dans le temps, si ce n’est celui de l’époque dans laquelle nous vivons. La revue papier ne s’accroche donc pas à des événements ponctuels. Vous pouvez par contre retrouver l’actualité culturelle de votre région sur notre site internet www.carnetdart.com ou sur notre page Facebook.

Des sujets intéressants qui mériteraient d’être développés de façon plus simple pour les mettre à la portée du plus grand nombre. Lucie

Bonjour Lucie, Le pari de Carnet d’Art est d’offrir au plus grand nombre une culture qui n’est pas vulgarisée. Chacun peut se retrouver dans les propos des artistes et rédacteurs de la revue. Un bon verre de vin au coin de la cheminée, un thé à côté du radiateur ou un café dans un canapé, prenez le temps de vous échapper et de voyager là où le tissu culturel local veut vous emmener. C’est une question de rythme de lecture à s’accorder.

Pour être absolument honnête lorsqu’est arrivé, par hasard, entre mes mains, ce Carnet d’Art n°0, je me suis dit… Le complexe culturel du provincial a encore frappé. C’est donc avec une certaine appréhension que je l’ai ouvert. Passant allègrement d’un concert de Jazz dans un sous sol lyonnais au recyclage des bouses de vaches. De Buenos Aires (vite un billet d’avion !!) à un atelier de restauration de tableaux à Aix-les-Bains, je me suis régalé, j’ai appris, découvert, et mieux que tout, je me suis posé des questions. Continuez comme ça. Julien

Bonjour Julien, Merci beaucoup pour votre courrier. Il nous fait très plaisir et nous encourage à continuer ainsi. Surtout, n’hésitez pas à parler de nous ! Un magazine passionnant. J’ai passé l’après midi à le dévorer au lieu de travailler. A cause de vous ! … Un exploit. Mathilde

Bonjour Mathilde, Merci pour votre témoignage, nous en sommes flattés et tenons à préciser que nous ne nous tenons pas pour responsables des conséquences que la lecture de notre revue peut engendrer… © samiramay

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l’équipe/

E. M

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A. G.

K. S.

S.

K. A.

A.

C. M.

A. A.

P. P.

D. M.

C. L . C. L .

A. I.

Y . C.

Ce petit mot pour indiquer à chacun que sans eux Carnet d'Art n'existerait pas. Un immense remerciement à tous ceux qui suivent et soutiennent d'une manière ou d'une autre la construction de cette belle collection. Les artistes, les annonceurs, les partenaires, les distributeurs, les rédacteurs, les collaborateurs, les photographes, la presse, As-Pro-Com, Delfimédia, le Rotary, les festivals des Voix du Prieuré, d'Annecy Off, de la Nuit du Jazz, Isabelle, Jacques, Olivier, Marie-Annick, Caroline, Valéry, Fabrice, Yanick, Patrick (qui se reconnaitra), Geoffrey Secco, Emmanuel Renaut, Emmanuel Accard, Florian Marco, Noémi Bechelen, Rémy Jeantieu, Stanislas Dupleix, Philippe Chauvin, Thierry Chollat, Jérémy Tran, Camille Stella, Arnaud Idelon, Jacques Pion, Pauline Emelin, Michaël Vertat, Kristina et Killian qui ont su se rendre indispensable, mon associé Emmanuel Moreaux et moi-même. A. 95 Carnet d’Art







carnet d’art n°01 / corps ultime


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