BURGER LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
3
0 8
n t e io t n a 6 o s i i 4 t n 9 a 1 ut der m o m
9 1
53
1
Une adaptation difficile à un monde nouveau Après l’euphorie de la Libération, la vie reprend son cours. On fait le bilan. Il faut reconstruire. Bon gré, mal gré, et en dépit d’un ralentissement considérable des affaires, Rodolphe III est parvenu à faire tourner la boutique. Il faut maintenant redémarrer l’activité, mise en sommeil par quatre années de guerre, et réorganiser le travail.
2
54
1
Vue générale de Sainte-Marie-aux-Mines, carte postale.
2
Raymond Burger dans les années 1950.
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
Raymond, représentant la quatrième génération Burger, va bientôt endosser les responsabilités de la fabrique. Pour l’heure, il peut encore satisfaire son goût pour les études et passe quelques mois à l’université de Strasbourg, repliée à Clermont-Ferrand. Puis il rejoint l’École Supérieure du Bois à Paris et y prépare son diplôme d’ingénieur. Malgré les restrictions qui sévissent encore dans la capitale, Raymond y reçoit le meilleur enseignement alors possible sur le bois et tous ses aspects : sylviculture, usinage, organisation et Code du travail. À son retour à Sainte-Marie-aux-Mines en 1947, son cartable à peine rangé, Raymond prend conscience de la dure réalité de l’entreprise, sous la direction de son père, homme d’expérience certes mais peu enclin à admettre le point de vue d’autrui…
Raymond a de grandes ambitions pour l’avenir et le développement de l’entreprise familiale. Pourtant, il lui faudra encore patienter avant de mettre en œuvre théories et méthodes de travail, inspirées de l’expérience plus large d’une industrie en pleine mutation. Le conflit est inévitable. La petite histoire raconte que la découverte du premier « planning de travail », fixé par Raymond sur la porte de l’atelier, mit son père dans une telle colère qu’il en fit des confettis. Il n’est pas rare alors que les employés soient contraints d’attendre que « les patrons » aient accordé leurs violons…
3 3
Le bois... déjà une source de curiosité pour le petit Bertrand Burger.
En ce début des années 1950, la structure de l’économie alsacienne héritée du passé paraît toujours intacte, alors qu’elle est largement vétuste, voire « vermoulue », selon les mots employés par Pierre Pflimlin au lendemain de
En
1955, Raymond épouse Lily Utzmann, originaire d’Ostheim,
comme l’était sa grand-mère Émilie. Partageant avec son mari les responsabilités de l’entreprise, elle le seconde avec dynamisme et entrain, solidaire dans les épreuves les plus difficiles. Généreuse et amicale, elle a su, par son exemple, forger un esprit de famille qui a largement contribué au succès de l’entreprise. Les quatre enfants du couple, une fille, Florine, et trois garçons, Rodolphe, Bertrand et Jean-Marc, grandissent en même temps que l’entreprise familiale se développe. Si, comme leurs ascendants paternels, ils vivent au contact permanent de l’atelier, le contexte culturel est, lui, profondément modifié. Du reste, chacun peut s’y épanouir en mettant à profit sa propre curiosité intellectuelle pour les arts et les techniques, transmise par ses parents et les générations passées.
la guerre. Inadaptées aux conditions nouvelles de la compétition économique, plusieurs entreprises centenaires et surtout les entreprises alsaciennes du textile ferment leurs portes pendant les Trente Glorieuses. Aux sinistrés de l’industrie textile, s’ajoutent peu à peu ceux des usines chimiques, des usines métallurgiques et de plusieurs fleurons de l’économie alsacienne : les Usines chimiques de Bouxwiller ferment en 1958, Lang à Sélestat en 1959, les Pétroles de Pechelbronn en 1963, Herrenschmidt à Strasbourg en 1968…
0
8 19
et on - ion sati 6 i 4 t n 19 utader m o m
55
1
Place de la Fleur, en 1961. Situés en plein cœur de la ville, en face de l’hôtel de ville, les E ts Burger figurent sur toutes les cartes postales…
2
À l’arrière de la maison, on devine le premier pont roulant installé dans la scierie.
3
Le point de vue est le même, quelques années plus tard. à une différence près, le nouveau hall de la boissellerie construit par Raymond Burger.
Les années 1950 : reconstruire… sans défaire En ce début des années 1950, l’entreprise est encore largement artisanale mais compte tout de même vingt-trois salariés. Depuis 1948, elle n’est plus une entreprise individuelle mais une société à responsabilité limitée. La principale activité de la boissellerie Burger est toujours la fabrication de bobines et de pièces pour l’industrie textile, de bouchons et de cylindres de différents diamètres destinés au tissage de toiles métalliques pour l’industrie papetière. Toutes les machines sont encore alimentées en énergie par la machine à vapeur Wolf. La scie pour débiter les grumes, mise au point par Rodolphe II dans les années 1920, a fonctionné jusqu’en 1986. Elle est maintenant exposée à l’entrée de l’usine de Lièpvre.
1
56
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
2
Les épreuves ont rendu Rodolphe prudent et peu enclin au changement. Évitant les dépenses qu’il juge inutiles, il se fait un point d’honneur à ne pas être tributaire des autres et encore moins des banques. Pourtant, malgré quelques divergences et conflits de générations, Raymond parvient peu à peu à mettre en œuvre quelques idées et développer son goût pour la construction et la mécanique dans la scierie familiale. Il va pouvoir donner libre cours, ou presque, à son ingéniosité pour utiliser les « moyens du bord » et éviter ainsi de recourir à des entreprises extérieures ! En tout premier lieu, il faut perfectionner les outils. Il est également très soucieux de faciliter le travail, souvent rude et pénible, des employés. Il a aussi à cœur la sécurité des hommes, lui-même victime d’une double fracture des talons en tombant d’un hangar à bois.
3
0
8 19
et on - ion sati 6 i 4 t n 19 utader m o m
57
Plus de 400 paniers de copeaux de bois sont nécessaires pour l’alimentation de la machine à vapeur de 5 heures à 19 heures. Un travail quotidien très dur, longtemps effectué manuellement.
Avec l’aide d’un mécanicien-ajusteur de talent, Yvan Bertola, recruté en 1952, qui sera pendant de longues années le complice de toutes ses expériences et innovations techniques, Raymond commence à électrifier les machines, encore animées par de dangereuses transmissions aériennes, et installe dans la foulée le premier système automatique de dépoussiérage. Pour développer la production, il automatise également le tour pour cylindres en bois, destiné à un nouveau marché : la fabrication de bancs publics, en partenariat avec la fonderie Graff de Kogenheim. Ces bancs robustes, en fonte et rondins de bois, fleurissent bientôt dans tous les coins de France, et il n’est pas rare d’en rencontrer encore aujourd’hui… Ils équipent même le pont du cuirassé Richelieu, qui, au début des années 1960, sert de ponton-école. Enfin, pour améliorer le rendement des bouchons, il conçoit une machine à forer et installe un premier pont roulant pour la scierie d’une puissance de levage de cinq tonnes.
58
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
Mécanique, chimie, construction : Raymond Burger, l’ingénieur, a une foi optimiste dans les possibilités ouvertes par l’avancée des techniques. S’il se consacre en permanence au perfectionnement des machines dans son entreprise, il se passionne également pour toutes sortes d’innovations. Sa curiosité le porte vers les domaines les plus divers. Il met au point, entre autres, la Roburite, assemblage de petites lamelles de bois compressées et collées dont on fait des sabres et des fouets de chasse très solides pour les fabricants de machines textiles.
Il est aussi le concepteur d’une impressionnante machine réunisseuse
d on m ER y G a R UR B
d’ensouples présentée en 1975 à l’Internationale Textil-Maschinen Ausstellung (ITMA), exposition phare du matériel textile. Enfin, en 1990, il imagine et réalise une presse destinée à la déshydratation des boues résiduelles pour le traitement des déchets, aboutissement d’un travail de plus de trente ans sur la compression en continu du bois. Quand il ne s’occupe pas de son entreprise, de ses projets ou de ses prototypes, Raymond partage ses quelques moments de loisir entre sa famille, ses amis, la lecture et la musique.
1
1
Lily Burger assise sur un banc de fonte et de rondins de bois, fabriqués par l’entreprise, sur le pont du Richelieu. 0
8 19
et on - ion sati 6 i 4 t n 19 utader m o m
59
1
Différents modèles de maisons à ossature bois.
2
Extension de maison en bois.
3
Abri de voitures avec un toit en persiennes de bois recouvert de plaques de verre.
1
Nouveaux enjeux, nouveaux défis
2
Depuis près d’une décennie, de nombreux modèles de systèmes économiques et sociaux s’essoufflent et entraînent une transformation profonde de la société de consommation. Finie, la surenchère dans le gigantisme de la grande distribution ; au cœur des débats, la proximité, l’humain, le spécifique, le durable. Dans cet environnement, en mutation permanente, l’industriel ne peut négliger aucune piste. Aujourd’hui, sans sacrifier au style et à l’esthétique, les Européens se tournent de plus en plus vers des produits respectueux des hommes et de l’environnement. La montée en puissance des thèmes de l’écologie et du développement durable profite au bois, qui bénéficie d’une meilleure image dans l’opinion publique. Dans un passé récent, il n’avait pas une si bonne image : difficultés d’entretien, matériau non durable, matériau du passé voire matériau du pauvre. Mais cette image a évolué pour maintenant s’inverser. Le bois est un matériau vivant et chaud ; un matériau naturel dont on redécouvre les qualités exceptionnelles de régulation hygrométrique, thermique et acoustique. Enfin, le respect de l’environnement fait son chemin tandis que se développent la réglementation, la normalisation et la labellisation des critères d’éco-certification qui garantissent la bonne gestion des forêts.
116
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
1
Produire mais pas à n’importe quel prix, tel a toujours été le cheval de bataille de Burger qui privilégie un approvisionnement en bois responsable, qu’il s’agisse de résineux, de feuillus ou de bois exotiques. 98 % des matières premières sont ainsi issues de forêts gérées durablement, d’où l’écocertification PEFC-FSC des produits. Une vigilance qui s’applique également lors du choix des bois composites. L’entreprise privilégie le Japon, seul pays proposant des bois recyclés et recyclables. Aujourd’hui, tous les fournisseurs de Burger doivent désormais assurer la totale traçabilité de leur bois. Dans la même logique, Burger imprime tous ses documents sur des papiers éco-certifiés, provenant d’une filière maîtrisée. Le souci de préserver l’environnement ne s’arrête pas là puisque l’entreprise s’organise autour d’une politique écologique touchant tous les services. Le transport maritime et fluvial des matières premières est privilégié afin de diminuer l’empreinte carbone, et l’on veille à optimiser au maximum les flux routiers incontournables, grâce à une logistique pointue. Par ailleurs, les locaux de Bois-l’Abbesse sont, comme autrefois, entièrement chauffés au bois avec les sciures issues de l’usinage des produits. Les copeaux non brûlés sont utilisés par une société fabriquant des panneaux de particules. Le recyclage des déchets est bel et bien assuré à tous les niveaux.
3
Aujourd’hui, chez Burger, 98 % des bois sont certifiés, « même le bois composite,
nous l’achetons au Japon où il est éco-certifié… ».
0 01 ant
2 5-
rn
9 u 19 to a
le e l ndi d o m
on
ti sa
i al
117
© L’Alsace, 21 octobre 2010
Un nouveau chantier pour Burger : une maison d’allure très contemporaine qui allie matériau bois, éco-construction et haute qualité environnementale, et qui pourra être montée en une semaine.
118
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
Après avoir fait le tour de l’ensemble des produits de la maison, il est naturel que Burger en arrive à la maison elle-même. En 2007, l’entreprise intègre une petite équipe maîtrisant parfaitement le savoir-faire de la maison à ossature bois. Aujourd’hui, l’entreprise Burger fait un pas de plus dans la réponse au défi écologique et s’apprête à lancer sur le marché une maison à ossature bois respectueuse de l’environnement, tout en restant accessible en termes de coût. « À nous d’éviter les excès », dit Bertrand Burger, « on peut aller très loin, au détriment du coût, mais nous ferons le nécessaire pour qu’elle réponde aux normes de Haute Qualité Environnementale », assure-t-il. Ce projet emploie pour le moment une équipe de quatre personnes mais devrait rapidement se développer.
Maison bio climatique réalisation octobre 2010 Parc des expositions de Colmar (68)
1847-1894
1895-1931 façade sud
1932-1946 espace de vie
chambre
1947-1978 salle de bain vue de la cuisine
En octobre 2010, lancement d’une nouvelle marque et d’un nouveau logo pour la commercialisation des maisons « booa ».
Dès leur origine, les établissements Burger ont soigné leur identité visuelle. De la grande époque du textile
1979-1985
1986-1995
florissant, à l’activité industrielle de portée internationale, les logotypes ont accompagné, au fil des ans, les grandes mutations de l’entreprise. Sans changer d’esprit depuis le début des années 1950, le « bloc marque » est régulièrement redessiné, simplifié et dynamisé.
1996- 2006
Aujourd’hui, le nom de Burger, à la fois patronyme et marque commerciale, identifie la société en France, comme dans bon nombre de pays européens. Depuis 2007 0 01 ant
2 5-
rn
9 u 19 to a
le e l ndi d o m
on
ti sa
i al
119
122
BURGER, LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
Cinq générations… une philosophie L’avenir vient de loin (aphorisme)
Plus engagé, plus impliqué, plus responsable qu’un autre ? Sans doute. Donner son nom à son entreprise et à la marque de ses produits est une responsabilité. Elle se traduit par un fort attachement aux métiers du bois, à la performance industrielle, commerciale et stratégique. Chez Burger, l’équipe illustre à elle seule la combinaison d’éléments qui ne sont pas si souvent réunis au sein d’une entreprise : un ancrage dans les valeurs, des références, une philosophie commune. Si l’entreprise est plus que centenaire, c’est parce qu’elle a été capable d’innover, de prendre des tournants et de faire évoluer son savoir-faire initial. Elle a su s’emparer des technologies nouvelles, se renouveler en restant attentive à l’air du temps : une croissance tout en souplesse permettant à chacun de s’adapter. Au début, il y avait la simple mais intelligente opportunité commerciale de miser sur l’industrie textile en plein développement, et à présent, les produits industrialisés pour le bricolage et le jardin. Burger est aujourd’hui une formidable concentration d’énergies et de compétences qui allie la modernité de ses technologies et de ses produits à la tradition de ses racines centenaires. Elle n’a pas encore dit son dernier mot et il reste bien des terrains à défricher…
Le cœur de l’entreprise en 2010. 0 01 ant
2 5-
rn
9 u 19 to a
le e l ndi d o m
on
ti sa
i al
123
BURGER LES MILLE ET UNE VIES DU BOIS
De Rodolphe à Bertrand, Burger est une exceptionnelle aventure industrielle qui a franchi le cap des générations. Depuis 1847, en effet, la société a affirmé son savoir-faire technique dans le domaine du bois et cultive sa différence d’entreprise indépendante et innovante. Hier, modeste atelier de boissellerie, aujourd’hui grand nom européen du kit bois pour l’aménagement intérieur et extérieur, Burger a toujours su s’adapter, saisir les opportunités, négocier les virages même dans les moments difficiles. Ce qui fait sa force et son identité : cette capacité à relever les défis. Ce livre en témoigne et déroule le fil de l’histoire d’une entreprise innovante et à dimension humaine.
ANNE ARGYRIOU