Retraites – Contre points

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droits Harcèlement moral institutionnel

La justice condamne Selon le jugement, M. Lombard (Pdg), M. Barberot (Drh) et M. Wenès (n° 2 du groupe), au regard du rôle qu’ils ont joué, « initiateurs d’une politique de déflation des effectifs à marche forcée, jusqu’auboutiste, ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de la collectivité des agents de France Télécom pour les forcer à quitter définitivement l’entreprise ou à être mobiles, de la durée pendant laquelle cette politique a été mise en œuvre, de l’ampleur du harcèlement moral […] et de l’atteinte ainsi portée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives […], seule la condamnation de ces quatre prévenus à la peine maximale d’emprisonnement encourue, soit un an, partiellement assortie d’un sursis simple à hauteur de huit mois, apparaît appropriée à la gravité des faits, à la personnalité des auteurs et à la situation matérielle, familiale et sociale de chacun ». Ils sont également condamnés à une amende de 15 000 euros. Les trois autres prévenus sont condamnés à quatre mois de prison avec sursis et à 5 000 euros d’amende pour complicité de harcèlement moral. La société France Télécom Sa, devenue Orange Sa, est condamnée à une amende de 75 000 euros (la peine maximale), ce qui est inédit pour une société du Cac 40. Les dirigeants et la société ont également été condamnés solidairement à verser aux parties civiles – aux victimes ou à leurs familles – une somme dépassant les 3 millions d’euros. Lors des réquisitions, le parquet avait demandé les peines maximales encourues : 75 000 euros d’amende pour l’entreprise ; un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot. Les avocats de la défense avaient, eux, demandé la relaxe. Les personnes physiques condamnées ont annoncé faire appel de ce jugement. Des décisions de justice du juge civil 36

Le 20 décembre 2019, la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris, dans un jugement de 343 pages, a condamné six ex-dirigeants de la société France Télécom, ainsi que la société France Télécom, prévenus dans le procès, pour le délit de « harcèlement moral institutionnel ». Michel CHAPUIS

– chambres sociales des cours d’appel et de la Cour de cassation, jugements de Tgi, de Tass et de Cph – ont déjà sanctionné des méthodes de gestion « ayant pour effet » une dégradation des conditions de travail. Cependant, ici il s’agissait de condamner des acteurs de méthodes de gestion « ayant pour objet » une dégradation des conditions de travail – voir les articles du Code pénal ci-dessous. Si cette décision n’est pas la première du genre, sur

le plan pénal, c’est la première par son ampleur. Le tribunal fait ainsi entrer dans la jurisprudence la notion de « harcèlement moral institutionnel », c’est-à-dire un harcèlement moral résultant d’une stratégie d’entreprise.

Le délit Le délit de harcèlement moral est prévu par le Code pénal (article 222-33-2) : « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » (version applicable aux faits concernés par l’affaire). Depuis la loi du 4 août 2014, le texte prévoit des sanctions plus élevées : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » Pour les personnes morales, notamment les sociétés – statut juridique de la plupart des entreprises –, la responsabilité peut être retenue, également sur la base du Code pénal : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement [...] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. » (article 121-2).

Les causes L’objectif de la politique suivie par la direction de l’entreprise était financier : l’entreprise devait « créer de la valeur pour l’actionnaire ». Cette affaire est ainsi OPTIONS N° 653 / janvier 2020


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