Retraites – Contre points

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lire les polars

Simulacres Démons du passé L’ultime aventure de Bernie Gunther nous entraîne en Grèce, sur la piste du criminel de guerre nazi Alois Brunner. Flic paria, Aidan Waits, doit, lui, passer outre les faux-semblants qui entourent un cadavre dans la chambre 413 d’un hôtel.

tique d’une intrigue qui nous conduira sur la piste d’un trésor englouti. Puis sur celle du sinistre Alois Brunner, exterminateur hitlérien de la communauté juive de Salonique. En mode virtuose, un roman où l’art de la construction et du dialogue sert un récit vertigineux, doublé d’une belle leçon d’histoire. Triste précision : Philip Kerr est décédé dix jours avant la sortie de ce titre. Son ultime manuscrit nous restituera, dans le Berlin de 1928, le « fantôme en devenir » Bernie Gunther… Chambre 413 est le deuxième roman de Joseph Knox. On y retrouve Aidan Waits, flic paria et fragile de son coup d’essai, Sirènes. La chambre est celle d’un hôtel désaffecté dans laquelle gît un cadavre, visage figé en un étrange sourire. Dermatoglyphes et denture rendus méconnaissables, étiquettes des vêtements sectionnées, rien ne permet de l’identifier. Des affaires parallèles viennent parasiter les investigations de Waits, qui lèvera des lièvres surprenants et devra affronter les démons de son passé… Knox a parfaitement assimilé les règles du hard boiled et laisse éclater son amour boulimique et respectueux du genre. Il affiche un remarquable sens du suspense, au service d’un entrelacs d’intrigues complexes, sans que jamais le lecteur ne se sente perdu. Son style imagé et ses dialogues éblouissants font merveille. Dans Manchester écrasé de chaleur, chaos urbain magistralement rendu, s’orchestre une symphonie noire et cruelle sur le thème des apparences trompeuses : fausses pistes, fausses victimes, faux coupables. Jeu de simulacres où évolue une galerie de personnages désespérés et attachants, tous étonnants de présence. Le torturé et solitaire Aidan Waits en premier lieu, imparfait et têtu, profondément humain, diaboliquement addictif… Au Royaume-Uni, Sirènes et Chambre 413 ont rencontré un succès considérable, irriguant un lectorat supérieur à celui strictement étiqueté polar. Trublion malin et surdoué, Knox frappe frénétiquement à la porte de nos envies de lectures. On la lui ouvrira.

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Brexit or not Brexit ? Désormais, vrai-faux suspense (le comble pour un amateur de polar !). Des écrivains britanniques ont récemment parcouru des capitales européennes, lors d’un « Friendship Tour » destiné à déclarer leur flamme au Vieux Continent. Parmi eux, Ken Follet et Lee Child. Le premier a obtenu en 1979 le Prix Edgar Allan Poe du meilleur thriller avec L’Arme à l’œil, roman retors injustement oublié. Il écoule désormais des millions d’exemplaires de sagas historiques parfaitement recommandables. Le second truste aussi régulièrement les meilleures ventes, avec son héros récurrent, Jack Reacher, interprété à deux reprises par Tom Cruise. Double notoriété, et pourtant indifférence médiatique quant à ce périple géopolitique. Mais belle occasion de tourner nos regards vers la Grande-Bretagne, un des berceaux de la littérature policière. Philip Kerr est l’auteur d’une trentaine de romans, dont la moitié consacrés à Bernie Gunther. Lors de sa première apparition, Bernie est détective privé, après avoir démissionné de la police criminelle allemande. Celle des années 1930. Les idées et méthodes de sa patrie, très peu pour lui. Mais ses qualités d’enquêteur intéressent les nazis, qui le contraignent à travailler pour eux. Courber l’échine pour sauver sa peau : Bernie n’échappe pas à la folie collective de l’époque. Son titre de kommissar et l’uniforme SS le désignent, au sortir du second conflit mondial, comme criminel de guerre. Au fil des volumes et autant d’intrigues captivantes, Philip Kerr a savamment orchestré sa fuite d’Italie en Argentine, de Cuba à Prague, de Zagreb à Katyn, jusqu’au sud de la France… Héros de papier humaniste et sensible, Bernie Gunther est le digne héritier du Philip Marlowe de Chandler, cynisme et humour décapant inclus. En un savant mélange de fiction et de faits réels, Kerr saisit une époque dont les faillites politiques éclairent terriblement nos maux contemporains. Dans L’Offrande grecque, Bernie Gunther, sous couvert d’une énième identité, enquête pour le compte d’une compagnie d’assurances sur le naufrage suspect, au large du Pirée, d’un navire affrété pour une expédition archéologique. Son armateur est retrouvé assassiné. Bernie, lui, se sent de plus en plus manipulé par ses employeurs… Nous sommes en 1957, année décisive pour la construction de la Communauté économique européenne, fil rouge non anecdo-

Serge breton BIBLIOGRAPHIE • Philip Kerr, L’Offrande grecque, Seuil, 2019, 470 pages, 22,50 euros ; les précédents Bernie Gunther sont disponibles au Livre de Poche. • Joseph Knox, Chambre 413, Le Masque, 2019, 384 pages, 21,50 euros ; Sirènes est réédité au Livre de Poche. OPTIONS N° 653 / janvier 2020


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