Retraites – Contre points

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Syndicalisme

La Cgt au miroir de ses regards critiques L’ouvrage fera-t-il débat ? Il faut le souhaiter, car la critique est un art nécessaire, bienvenu et difficile, qui mérite d’être poursuivi. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’autocritique.

Dans leur introduction, les coordinateurs de l’ouvrage s’attardent à juste titre sur la notion de crise, dont on sait qu’elle est souvent galvaudée. Ils en retiennent la dimension d’épreuve : « La dynamique des crises éprouve, au sens le plus fort du terme, l’aptitude de l’organisme et, avec lui, ses logiques à interagir avec un environnement jamais intangible. » Aux antipodes d’une démarche de stigmatisation des acteurs, il s’agit donc de vérifier, au long de deux décennies cruciales et tourmentées – « douloureuses pour le syndicalisme et catastrophiques pour la Cgt » – les éléments qui ont pu faire obstacle aux évolutions, ceux qui ont fait problème et, surtout, ceux qui restent valides pour affronter des temps nouveaux et inconnus. Ce vaste retour sur soi s’opère avec la collaboration de trois laboratoires de recherche : le Centre d’histoire sociale du xxe siècle ; le laboratoire Professions, institutions, temporalités (Printemps) ; le laboratoire Action, discours politique et économique (Triangle). Cette rencontre, avec l’apport essentiel des syndicalistes ayant été des protagonistes directs de la période étudiée, aboutit à une étude originale, voire unique en son genre, d’une remarquable richesse documentaire. L’expression plurielle de cette mémoire collective permet une plongée dans les profondeurs de la vie confédérale, éclaire ses débats et ses non-débats. Encore 46

convient-il de rappeler, pour citer un participant, que « lorsque des militants se collettent avec une histoire qui est en partie leur propre histoire, ils deviennent certes un peu historiens, mais restent des militants. Ils ne sont pas neutres, ils ne peuvent pas l’être ». Cette mémoire militante tissée de visions et de mises en perspectives ne s’offre donc pas en vérité révélée mais en objet de débat.

Un syndicalisme ébranlé dans ses bastions comme dans ses certitudes On l’a dit : la séquence d’histoire choisie est tout sauf tranquille. Elle est marquée par les grandes restructurations industrielles, par la croissance du chômage, par des modifications systémiques des organisations du travail, et, en bref, par la victoire annoncée des théories du néolibéralisme. Avec, à la clé, un syndicalisme ébranlé dans ses bastions comme dans ses certitudes, ses stratégies et ses modes d’action. Cette dynamique de défaite sociale est, de fait, inséparable des modifications de rapports de force qui ont commencé à déstructurer le champ politique et, singulièrement, le Pcf. Dans un contexte international très tendu et marqué par l’affaiblissement, puis par la disparition de l’Urss et du « camp socialiste », l’épuisement de ce parti affecte les repères de la psyché cégétiste et induit un processus compliqué de redéfinition du

rapport et des liens existant entre les deux organisations mais, plus profondément, du rapport à la sphère politique. Au cœur de ces tempêtes, brutalisée par ces ajustements, la direction de la Cgt est amenée à interroger sa relation à la représentation politique et à ses jeux, auxquels elle s’est liée via un soutien inconditionnel au Programme commun de gouvernement de l’Union de la gauche. Mais elle doit également se questionner sur la sphère du travail, qui évolue à grande vitesse avec l’explosion des catégories d’encadrement et de leur rôle. Puis, enfin, elle doit reconsidérer son rapport à la société tout entière, traversée d’aspirations émergentes radicales, singulièrement sur les plans du féminisme et, plus timidement, de l’écologie. À cet égard, les contributions de l’ouvrage, dans leur diversité d’approches et de sujets, attestent de plusieurs niveaux de réalité. D’abord, les débats se mènent avec plus ou moins de succès, que ce soit explicitement, dans la direction confédérale, ou implicitement, via des conflits dans lesquels de nouvelles formes de mobilisation sont « inventées », théorisées et versées au débat interprofessionnel. Ensuite, et cela relativise la portée et l’impact de ces débats, ils ne sont jamais transparents, « mis sur la table », ou alors dans des termes qui demeurent voilés, réservés OPTIONS N° 653 / janvier 2020


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