Retraites – Contre points

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Milliardaires

les faire passer pour des chefs de service et responsables hospitaliers. Ces pseudo-chirurgiens, orthopédistes, traumatologues et autres éminents spécialistes ont ainsi eu le culot d’écrire à la ministre de la Santé pour lui annoncer leur intention de démissionner de leur fonction d’encadrement si des négociations ne s’ouvraient pas pour mettre fin à ce qu’ils qualifient de dégradation des conditions de travail des soignants. Ce qui témoigne une fois encore du savoir-faire machiavélique d’un syndicalisme du chaos.

Les inégalités ? Très bien, merci ! Les milliardaires détiennent désormais plus d’argent que 60 % de l’ensemble de la population de la planète.

Robes noires, blouses blanches et casquettes galonnées d’or ne sont pas des drapeaux rouges. Si elles s’agitent aux vents de colère et mettent en jeu leur démission, réelle ou symbolique, si elles décrètent une suspension – on pourrait dire grève – de leurs responsabilités professionnelles, ce n’est pas parce qu’une quelconque organisation syndicale tire on ne sait quelles ficelles. N’en déplaise au Point et aux amateurs de thrillers hollywoodiens, la vie est plus simple. Chargés de responsabilité, ces cadres, salariés ou indépendants, n’envisagent pas de les sacrifier à des logiques comptables aveugles et destructrices du sens de leur engagement professionnel. Ils refusent également de se les faire imposer par un personnel politique dont la légitimité se réduit comme peau de chagrin, à la dimension d’un entêtement borné, marqué du refus de tout débat sincère. Pour le dire autrement, le gouvernement est en train de prétendre gouverner le pays contre une écrasante partie de l’opinion publique, contre la majeure partie des salariés, contre des cohortes professionnelles de cadres… Cet isolement s’étend, ce dont témoignait la tribune d’un collectif de hauts fonctionnaires et de cadres du public et du privé. Rejetant la réforme des retraites, ils refusent d’être simplement l’esprit qui dit non et, ô surprise, s’appuient sur… Mais laissons leur la parole : « Pour ne pas rester dans la contestation, changeons de paradigme et donnons quelques pistes pour une autre réforme en nous appuyant par exemple sur les propositions historiques de la Cgt, Cgt dont on ne cesse pourtant de nous dire qu’elle ne propose rien. Puisqu’il s’agit de lutter contre les iniquités du système, pourquoi ne pas généraliser le régime général sur la base du salaire continué, et même déplafonner le régime général et supprimer les régimes complémentaires ? […] On nous objectera que nous ne sommes pas réalistes, que tout cela coûte trop cher. Pourtant nous n’avons jamais été aussi riches collectivement. » Ce « riches collectivement » démasque-t-il ces infiltrés comme autant de cégétistes camouflés en vrais faux cadres ? Qui sait ? Le Point, en tout cas, n’a aucun doute. Car pour ses maîtres, ce serait sinon ruineux, du moins coûteux.

Cela « dépasse l’entendement ». Le propos vise la dynamique de concentration des richesses. De fait, la fortune des 1 % les plus riches du monde « correspond à plus du double des richesses cumulées » des 6,9 milliards les moins riches, soit 92 % de la population du globe. « En même temps », selon une formule consacrée, près de la moitié de la population mondiale, soit près de 3,8 milliards de personnes, continue de vivre avec moins de 5 dollars (4,50 euros) par jour. On note, sans grande surprise, que les femmes et les filles sont particulièrement pénalisées, du fait même d’un système économique globalement discriminant qui continue de les enfermer majoritairement dans les métiers les plus précaires et les moins rémunérés, dont celui du soin. Près d’une femme sur deux se voit d’ailleurs empêchée d’accéder à un métier rémunéré, du fait d’une charge de travail domestique trop importante. La valeur monétaire de ce travail non rémunéré est évaluée à quelque 10 800 milliards de dollars chaque année, « soit trois fois la valeur du secteur du numérique à l’échelle mondiale », selon Oxfam. Cet état des lieux mondial se vérifie en France, où sept milliardaires possèdent plus que les 30 % les plus pauvres, et où les 10 % les plus riches concentrent la moitié des richesses du pays. Notre pays comptait 41 milliardaires en 2019, soit quatre fois plus qu’au lendemain de la crise financière de 2008 ; sur ces 41 personnes (dont cinq femmes), plus de la moitié ont hérité de leur fortune. Les milliardaires français sont ceux qui ont vu leur richesse le plus augmenter l’an passé, devant les Américains ou les Chinois. Cette remarquable illustration de la théorie des « premiers de cordée » est sévèrement analysée par l’association qui, une fois de plus, met le doigt là où ça fait mal : « Le fossé entre riches et pauvres ne peut être résolu sans des politiques délibérées de lutte contre les inégalités. Les gouvernements doivent s’assurer que les entreprises et les riches paient leur juste part d’impôts. » Soulignant que ces inégalités n’ont rien de fatal, Oxfam souligne l’évidence du lien entre leur croissance indécente et les « fractures et conflits sociaux partout dans le monde » et stigmatise les politiques qui « réduisent la participation des plus riches à l’effort de solidarité par l’impôt, et fragilisent le financement des services publics ». L. S.

Pierre Tartakowsky OPTIONS N° 653 / janvier 2020

Fred Dugit/maxppp

« Riches collectivement » ? Au voleur, au voleur !

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