Industrie - Sens et bon sens

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SPECTACLE VIVANT

La compagnie et ses enfants des quartiers populaires de Paris et de la Seine-Saint-Denis ont moins de raisons que jamais de tirer leur révérence. À l’heure du confinement, histoire et projets d’une troupe qui place l’actualité, le conte et l’émancipation au cœur de ses créations.

À l’Embarcadère, salle de spectacle d’Aubervilliers, les 24 gamins du quartier de Belleville, Paris 20 e, étaient attendus, fin octobre, à la Cartoucherie de Vincennes, le mois suivant au festival Villes des musiques du monde en Seine-Saint-Denis. Dans tous ces lieux, avec Tamèrantong, leur compagnie, ils devaient se produire pour jouer Du Rififi dans la galaxie. Un conte sur le monde tel qu’il pourrait être en 20020, où corsaires centauriens, forces rebelles intergalactiques et troupes impériales sillonnent l’univers en quête d’une pierre prodigieuse capable d’assurer une domination sans limite. Course au pouvoir, extinction programmée des minorités, surexploitation des richesses naturelles mais aussi désir d’émancipation et résistance à la tyrannie : le spectacle futuriste qu’ils s’apprêtaient à donner allait être joué à guichets fermés. Et puis patatras. Ils ont été rattrapés par une autre histoire. Trop réelle, celle-là : celle d’un virus capable de contraindre une planète entière au confinement. Au printemps déjà, les enfants avaient dû suspendre leurs représentations. Rebelote 46

cet automne. Le 28 octobre quand même, lors de la dernière répétition qu’ils ont faite dans leur école primaire parisienne de la rue de Tourtille, ils ont invité leurs petits camarades du centre d’animation à voyager avec eux vers un autre monde. Tamèrantong et tous ses « tongs », petits comédiens de Belleville, des cités de Mantes-la-Jolie et de la Plaine-SaintDenis, ou professionnels du spectacle vivant, du rock alternatif, des arts martiaux, des arts décoratifs ou de la capoeira qui les accompagnent seront eux aussi confinés ces prochaines semaines. Mais, c’est sûr, ils ne lâcheront pas, assure Christine Pellicane, comédienne et fondatrice de la compagnie. La troupe, soutenue par un réseau d’enseignants et d’éducateurs sociaux autant que par des acteurs et professionnels de renom du spectacle vivant, en a vu d’autres : les émeutes de banlieue de 2005, les attentats de 2015, le confinement, les violences policières. Jamais aucun de ses ateliers n’en a souffert. « En 2022, nous fêterons nos 30 ans », explique Gabriel Gau, son directeur pédagogique. « Notre histoire nous rend forts. Et l’ancrage artistique

dans le réel nous évite de tomber dans la déprime », garantit-il. Depuis ses débuts, la compagnie inscrit ses créations dans le politique et l’actualité du monde. Constituée en 1992, au lendemain des émeutes de Mantes-laJolie, elle entame son aventure artistique avec Ali Baba et les chebs du raï, conte des mille et une nuits parlant de la liberté d’expression en Algérie.

Sur les routes de Slovaquie La pièce est travaillée et jouée pendant les vacances scolaires par les enfants de la cité du Val-Fourré qui ne sont pas rentrés au pays pour l’été. Il y est question de musique et de guerre civile, de répression et de liberté d’expression de l’autre côté de la Méditerranée. L’expérience est difficile mais elle va fonder la pratique artistique de la troupe. Ses productions suivantes suivront toutes le même chemin, réactualisant chaque fois des légendes traditionnelles pour les plonger dans « le grand bazar de l’actualité planétaire ». Zorro el zapato, relecture contemporaine du mythe de Zorro sur fond de lutte zapatiste, à la fin des années 1990, est OPTIONS N° 661 / novembre 2020

Sébastien lefèbvre

Tamèrantong, confinée mais pas déconfite


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