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Débat

DÉbaT Environnement et social, une même priorité

Avec Aurélie Trouvé, enseignante-chercheuse en économie agronome, et Fabienne Tatot, membre de la commission Document d’orientation.

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D’abord la parole aux délégués: en préalable au débat sur les amendements portant sur la partie II du document d’orientation, une nouvelle table ronde «inversée» est organisée. Avant de faire place aux échanges, Fabienne Tatot rappelle que le précédent congrès de l’Ugict s’est déjà saisi avec force des problématiques liées à l’environnement et au changement climatique, que l’Ugict a, depuis, rendu public son «Manifeste pour la responsabilité environnementale ». Et que deux ateliers préparatoires au congrès de Rennes ont récemment eu lieu, à Toulouse et à Lille, permettant d’appréhender de plus près tant des réflexions que des propositions du point de vue du travail. La partie II du document d’orientation prend ainsi acte du fait que de nombreux défis s’avèrent à la fois incontournables et imbriqués. Elle se développe en cinq «fiches» (de 8 à 12): la recherche et les transitions; l’articulation environnement-industrie ; le problème de la métropolisation du pays; l’égalité femmes-hommes et les besoins économiques et sociaux; l’intelligence artificielle (Ia). Autant de préoccupations récurrentes dans les témoignages et analyses qui se succèdent. «Nous oublions de parler du logement social», lance d’emblée une première intervenante, soulignant que tout le monde n’est pas en mesure d’accéder à la propriété. Et que la question du logement s’avère pourtant un moyen évident de montrer à quel point les enjeux d’aménagement du territoire sont liés aux équilibres écologiques et sociaux, posant des défis en termes de développement urbain, de transports ou d’égalité d’accès aux services publics. Patrice, qui intervient au nom de l’Indecosa-Cgt, rappelle quant à lui que, avec son association de consommateurs, la Cgt réfléchit depuis 1976 aux conditions sociales de la production, en lien avec la consommation. À ce titre, l’empreinte de la consommation sur l’environnement est depuis longtemps considérée comme préoccupante: «Quand on pose la question de produire et consommer autrement, il faut aussi prendre en compte le fait que la consommation n’est pas toujours un stade ultime. L’économie circulaire, par exemple, recycle tout, avec le souci de ne créer aucun déchet et de limiter toute empreinte environnementale. C’est aussi, de par leur position dans les organisations, une des responsabilités des salariés de nos catégories d’y veiller tout particulièrement, mais aussi de garantir de bonnes conditions sociales de production.»

Jouer un rôle prescripteur pour changer les pratiques publiques

Emmanuelle, des Territoriaux, explique que l’Ufict des Services publics a placé les problématiques environnementales en tête de son document d’orientation lors de son dernier congrès: «Nous sommes persuadés que, en tant que cadres intervenant dans la gestion de la commande publique, nous pouvons jouer un rôle prescripteur pour changer les pratiques publiques. Nous devons également nous montrer vigilants face aux outils qui nous sont proposés comme vecteurs du “produire autrement”, tels que l’intelligence artificielle, parfois orientée vers des objectifs prédictifs potentiellement dangereux pour les libertés. Idem pour le télétravail, qui certes peut au premier abord sembler réduire les impacts environnementaux, en limitant les déplacements par exemple, mais qui pose d’autres problèmes encore difficilement identifiables ou mesurables du point de vue social comme environnemental. Il nous faut aussi contrer certaines offensives qui prétendent défendre un service meilleur ou plus vert, mais cachent des stratégies de dégradation des services publics pour mieux préparer l’irruption de la concurrence privée; ainsi de la campagne de dénigrement orchestrée contre les réseaux de Ter, y compris au sein des conseils régionaux! Or on sait à quel point les choix de transports collectifs pèsent sur les enjeux de transition écologique.» Un délégué de Dassault Aviation estime que les directions sont toujours tentées d’imposer des restructurations et des reculs sociaux en invoquant des supposés impératifs liés à la Rse (responsabilité sociétale des entreprises) : «Notre Pdg voulait fermer deux sites sous prétexte que certaines de nos activités n’étaient plus compatibles avec les enjeux environnementaux, mais nous avons fait des propositions, en rappelant que par ailleurs Dassault touchait de substantielles aides en Cice et Cir, pour diversifier nos activités au-delà de l’aviation civile et militaire. Nous avons été entendus, les compétences sont conservées, un nouveau site est même en train de voir le jour, accompagné d’un projet social –une crèche d’entreprise notamment– qui améliore considérablement la qualité de vie au travail.» Même écho du dévoiement de la Rse pour Gilles, de la Fédération des banques et assurances: «Notre direction a décidé de baisser la température du chauffage dans nos lieux de travail, nous prenant au piège de la nécessaire sobriété énergétique, alors qu’il s’agit surtout de baisser ses coûts. C’est du pur greenwashing, sur notre dos! On a besoin de construire des discours contre-offensifs qui portent plus loin,

“Nous N’auroNs pas le choix, il faudra chaNger Nos modes de productioN et de coNsommatioN et, à l’échelle moNdiale, dimiNuer la coNsommatioN éNergétique des plus riches. il faudra aussi trouver des solutioNs pour uNe traNsitioN écologique qui garaNtisse uN emploi digNe et juste pour chacuN.

en interrogeant par exemple les investissements des banques dans les énergies fossiles.» Romain, qui travaille dans l’aviation civile, insiste d’autant plus sur la nécessité de se montrer crédible quand on se présente comme un salarié syndicaliste qui veut convaincre de l’importance d’engager les collègues et le syndicalisme dans la réflexion et la recherche de moyens d’intervention pour moins d’impact environnemental : « Ce n’est pas toujours facile de mobiliser sur le terrain, d’aller à contrecourant des automatismes productivistes; on passe pour celui qui scierait la branche sur laquelle on est posé. Mais la politique de l’autruche seraitelle plus souhaitable ? Pour être crédibles, nous devons envisager comment mobiliser nos pratiques syndicales, comment modifier nos pratiques au travail pour réellement améliorer notre empreinte carbone et la prise en compte de l’environnement. Nous ne devons pas exclure les réflexions sur les moyens de sortir de l’impasse productiviste, et ne pas non plus tomber dans l’illusion qu’augmenter sans fin le Pib est une solution viable. Il faudra sans doute produire moins et mieux, il est urgent d’en prendre conscience au plus vite.» Ce point de vue ne fait pas forcément consensus, et, pour d’autres, comme pour une déléguée travaillant dans la recherche à Edf, les priorités sont sociales: défendre le service public et combattre la précarité énergétique, ce qui a donné son sens à la lutte et à la victoire contre le projet Hercule. «Les enjeux environnementaux doivent être mesurés aussi en fonction de la défense des emplois. Il y a des situations ou les énergies renouvelables peuvent remplacer les énergies fossiles sans conséquences sociales, d’autres où il faudra plus de temps. Nous ne sommes pas non plus pour l’abandon de l’industrie nucléaire, par exemple celui du projet Astrid du Cea, qui doit permettre de recycler le plutonium, autrement dit une partie des déchets nucléaires.»

Ne pas se laisser duper par la novlangue technologique

Rien n’empêche non plus la sobriété environnementale de créer des emplois, comme le remarque Guillaume, cheminot, qui déplore que rien ne soit fait, malgré les discours, pour développer le train, les lignes voyageurs comme le fret, et regrette que la Sncf ait plutôt cru bon de développer sa filiale de transports routiers Geodis. Il raconte que la mobilisation des cheminots en Auvergne-RhôneAlpes, avec les usagers, a permis de sauver une ligne dont la suppression allait se traduire par le passage de milliers de camions sur une départementale, bouleversant totalement les équilibres d’une vallée. André (Cgi, informatique) souligne pour sa part qu’il ne faut pas se laisser duper par la novlangue technologique qui accompagne parfois le greenwashing. Un autre délégué ajoute que l’Ia aussi se met globalement au service d’un capitalisme qui ne change pas réellement de visage, puisqu’il continue de valoriser des activités inutiles au détriment d’autres qui sont utiles socialement. Et, comme le fait remarquer Rémy, infirmier anesthésiste, …

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