Migrants mineurs non accompagnés
A partir de son dessin, regarder le jeune migrant "bien dans les yeux" Noémie Paté Docteure en Sociologie de l’Institut des Sciences sociales du Politique (Université Paris Nanterre),chercheuse associée au laboratoire MIGRINTER (Université de Poitiers), et Maître de conférences en Sociologie des migrations à l’Institut Catholique de Paris.
Le phénomène prend, ces dernières années, une ampleur tout à fait inhabituelle : de plus en plus de migrants arrivent en France alors qu’ils sont encore mineurs, et seuls. D’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Afghanistan, ils tentent l’aventure de l’exil plus jeunes qu’auparavant.N. Paté s'est intéressée aux parcours migratoires de ces jeunes, mais encore plus à la façon dont ils sont reçus dans nos pays européens, particulièrement la France. Les mineurs non accompagnés (MNA) sont des jeunes migrants âgés de moins de 18 ans, qui ont quitté leur pays d’origine et qui sont sur le territoire français sans représentant légal. Depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989, la France s’est engagée à accueillir et à protéger tout enfant, indépendamment de son origine, sa couleur de peau, son sexe, ou sa religion. Cet engagement s’est traduit par l’élaboration d’un dispositif spécifique d’accueil et de prise en charge des MNA. Complet sur le papier, le cadre juridique inclut une période d’évaluation de l’âge et de la minorité : ces jeunes migrants ont droit à une protection socio-éducative, mais sous réserve d’être « sélectionnés ». Afin de rendre compte de ces pratiques de sélection, j’ai réalisé une enquête de terrain 1 dans différentes structures associatives en charge du « traitement » des MNA.
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foi64 mars-avril-mai 2020
Depuis les années 1970, les phénomènes migratoires sont représentés par des images et discours spectaculaires et sensationnalistes, qui les réduisent aux notions d’invasion, de vague massive, d’insécurité ou de tragédie. Les MNA n’échappent pas à ces mécanismes et l’accès à leurs droits est souvent obstrué par des sentiments collectifs de dangerosité et de soupçon. Dans le cadre de ma recherche doctorale, j’ai cherché à échapper à ce type de représentations. Lorsque les jeunes migrants rencontrés sur mon terrain ont commencé à dessiner, j’ai alors intégré une méthode « surprise » à mon protocole d’enquête : le recueil d’un corpus de 60 productions graphiques (accompagnées de récits), dont les dessinateurs sont âgés de 7 à 17 ans, en majorité des garçons originaires d’Afrique de l’Ouest. Libres du choix des thèmes dessinés, la majorité d’entre eux se tournent vers les thèmes classiques des dessins
d’enfants (arbre, maison, animal, bonhomme), tandis que d’autres produisent des thèmes plus particulièrement reliés à la migration (avion, bateau, mer, soldats, rencontre Noir/Blanc). J’ai fait de ces dessins à la fois un objet d’étude en eux-mêmes mais également un outil, une méthode de recueil de données : c’est ce qui distingue la sociologie sur les images (le dessin est source de données et de symboles qu’il s’agit d’identifier et d’interpréter) et la sociologie avec les images (le dessin est utilisé comme instrument de collecte de récits 2). J’ai donc cherché à poser un regard sociologique sur ces expressions graphiques 3. Voici quelques résultats de cette étude 4. 1. Les origines de la migration Les motifs migratoires des MNA sont variés et indiquent une grande hétérogénéité de leurs profils. Qu’elle soit motivée