Le subliminal et l'espace

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LE SUBLIMINAL ET L’ESPACE 0. Essai sur la Mémoire et l’Oubli travail de Clara Le Bihan Lécuyer au sein du département Art Architecture et Politique sous la direction de Yann Rocher et Jac Fol.

HIVER 2015



le subliminal et l’espace Hiver 2015

Couverture

«Vendredi 17 février 2012», dessin de Jean-Pierre Le Bihan.



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INTRODUCTION LA MÉMOIRE ET L’OUBLI Scientifique et historique Sociologie de l’oubli L’oubli, maladie du Siècle Étude de cas Comment mémoriser ?

L’oubli comme un choix identitaire Alzheimer Entretien avec Jean-Pierre Le Bihan L’orthophonie

LA MNÉMOTECHNIE Histoire Visualisation La mémoire pour l’élite sociale

11 16 18 19 24 27 29 31 33

LA MÉMOIRE SPATIALE CONSULTABLE Les arts La peinture La couleur bleue Symbolisme architectural La littérature Théatre et cinéma La géographie Épystémologie

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXE ICONOGRAPHIQUE

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INTRODUCTION

Le Subliminal et l’Espace

En partant du postulat que les transitions spatiales qui ont lieu lors d’une action littéraire, cinématographique ou théâtrale sont nécessaires au scénario et au bon déroulement de la narration, on peut supposer que la culture visuelle occidentale transforme ses lieux par ses automatismes spatiaux. Par automatismes j’entends les habitus occidentaux qui définissent les milieux dans lesquels nous vivons. Dans cette idée, la liberté d’agir, de se mouvoir, d’évoluer et même de penser, est en fait manipulée par le milieu dans lequel nous évoluons1 . Des a priori, des idées, c’est à dire une substance, est alors véhiculée par les villes, les monuments, les places et tout ce qui fait partie du contexte vital de chacun. Inversement, des a priori redéfinissent des spatialités2. La question de ma recherche est donc de se demander, quels sont ces caractéristiques invisibles qui définissent un espace, un individu, procurent une identité et qui sciemment ou inconsciemment construisent notre milieu. En essayant d’éviter le dégoût mais non sans éviter le rire3, la problématique de ces recherches et son ambition de connaissance, consiste à tenter de déterminer les mécanismes spatiaux et autres, qui définissent une atmosphère et une identité, et qui sont alors utilisés pour définir des spatialités afin de comprendre comment ils sont intégrés par la conscience et par la mémoire. La mémoire, qui comme je vais tenter de l’expliquer, est aux fondements de l’identité. Le problème est de comprendre comment inconsciemment les spatialités reliées à une histoire commune et individuelle, influent sur nos comportements quotidiens. On peut supposer qu’il y aurait un conditionnement par le biais d’une culture visuelle et littéraire mais pas uniquement.

1. « Les hommes, donc, se trompent en ce qu’ils pensent être libres ; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L’idée de leur liberté c’est donc qu’ils ne connaissent aucune cause à leurs actions. Car ils disent que les actions humaines dépendent de la volonté, mais ce sont des mots, qui ne correspondent à aucune idée. Ce qu’est, en effet, la volonté, et comment elle meut le corps, tous l’ignorent ; et ceux qui se vantent de le savoir et se représentent un siège et une demeure de l’âme excitent d’ordinaire le rire ou le dégoût. », Baruch Spinoza in Ethique (1677). 2. c f chapitre III-2.b sur le « syndrome de Bali » 3. Cf note 1

La science, appuyée de diverses recherches que nous allons voir par la suite, tente aujourd’hui à prouver que ARCHIVES

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ce conditionnement spatial découlerait également d’une programmation neuronale et biologique issue de l’évolution de l’espèce humaine. La recherche du subliminal qui va suivre, vise à comprendre comment les mécanismes humains et sociaux peuvent découler de milieux particuliers et comment ces deux entités que sont l’humain et l’espace, sont indissociables, comment l’humain s’aide de l’espace pour comprendre qui il est et ce qu’il y fait.

4. Le PFE est le projet de fn d’étude qui clos le master 2 d’architecture. 5. Terme utilisé par Pierre Bourdieu dans plusieurs de ses ouvrages.

6. Blow up une émission de Lagier, Luc au départ diffusé sur Arte et visible dans l’intégralité des différents épisodes sur youtube.

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La méthodologie relative à ces recherches a été d’essayer de trouver des applications concrètes à travers les médias que sont les domaines artistiques de la peinture, du design, de la performance, de la littérature, du cinéma et du théâtre. Des médias accessibles à tous par le prisme visuel et ancrés dans une histoire commune européenne du vingtième siècle. Puis il a fallu comprendre certains mécanismes mentaux, les maladies liées à l’oubli des lieux de mémoire. Naviguer de l’échelle du micro à la macro, comme de l’art de la mnémotechnie au syndrome de Bali, de Blade Runner à la géographie. Ce sont des recherches qui se sont faites en parallèle et de façon empiriques. Le protocole de recherche est clair : collecter des informations qui appuient l’importance de la compréhension des règles qui font ce qu’est la spatialité, les spatialités multiples et les analyser pour pouvoir les redéfinir. L’idée est d’acquérir un maximum de connaissances pour pouvoir influer sur l’espace à travers des projets d’architecture, en particulier le PFE4. Évidement ce type de méthodologie de travail est basé sur un fonctionnement intuitif où le sujet de la thématique spatialité zigzague de milieu en milieu, de définition en définition. L’auto-analyse ou « socio-analyse5» est fondamentale dans ce type de méthode de recherche afin de ne pas oublier que le point de vue ne peut être exhaustif car limité dans le temps et de par mon prisme subjectif. Des échecs aussi ont nourri la réflexion. Après la construction d’une liste partielle et donc sélective de spatialités et de leurs différentes iconographies à travers le cinéma et la littérature. Restant dans des références principalement issues d’une culture occidentale, j’ai essayé de tirer non pas des généralités mais tenter un décryptage objectif et forcément subjectif de nos appréhensions, peurs ou envies selon les lieux où nous sommes. Je me suis perdue dans une béatitude d’esthétisme se transformant en impasse due à sa facilité didactique.


Le matériel de travail étant trop digéré, le retour à la matière brute aurait été trop influencé par le média par lequel je l’avais découverte6. C’est donc à travers des matériaux plus bruts à partir desquels je construis ma propre analyse, que je continue de tester mon prisme de spatialité. Les articles scientifiques sont nombreux et denses à propos des mécanismes cérébraux de mémorisation. Cela est dû principalement au fait du développement rapide des nouvelles recherches et découvertes des neuro-scientifiques. Comprendre comment l’oubli est nécessaire à la mémoire et à l’identité est depuis plus d’une décennie un sujet qui intéresse de plus en plus d’universités à travers le monde, que ce soit dans une volonté de trouver des solutions à des maladies dégénérescentes ou plus modestement d’essayer de comprendre le fonctionnement cérébral de l’homo-sapiens à travers une recherche plus approfondie sur des mammifères. On peut voir aussi un lien qui commence à s’automatiser et à croître dans les universités pour répondre à l’idée de la pluridisciplinarité des sujets : c’est ainsi que très souvent, les chercheurs en Histoire et ceux en biologie, neuroscience ou physique, travaillent ensemble. Leurs travaux qui ne sont au départ diffusés qu’au sein de revues spécialisées, destinées aux chercheurs, tendent à se populariser avec un regain d’intérêt du public pour ces questions de mémoire et de neuroscience, qui permettent de comprendre un peu mieux notre fonctionnement et les maladies de mémoire. Maladies principalement induites par une durée de vie grandement exponentielle. J’ai réalisé un entretien avec une personne atteinte d’Alzheimer, mon grand-père Jean-Pierre Le Bihan, qui a créé et restauré des vitraux toute sa vie. Maître verrier, il a repris l’atelier Le Bihan Vitraux qui était dirigé par son père et son grand-père avant lui et cela depuis 1791. Mon idée était d’aller au-delà de l’affect et de comprendre comment à différentes phases avancées de la maladie, un artiste tente de retenir ses souvenirs. Lors de l’entretien je lui ai présenté plans et photographies de l’école des Beaux-Arts de Paris où il a étudié dans sa jeunesse en art sacré de 1953 à 1963, en comptant le fait qu’il ait été appelé pour la guerre d’Algérie entre temps. Je voulais avoir un échange avec lui et analyser son travail avec l’aide de Bernadette Le Bihan, ma grand-mère, ARCHIVES

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qui a partagé sa vie pendant 55 ans et lui a fait faire des exercices quotidiens demandés par Odile Cuvelier de 2009 à 2014 afin de voir si ce qui allait se passer, m’aiderait à mieux comprendre la maladie d’Alzeimher. Odile Cuvelier est orthophoniste, et a suivi JeanPierre pendant 4 ans. Elle m’a expliqué ses méthodes de travail sur la mémoire pour ce type de maladie. Chaque personne avec son histoire de vie nécessite une approche différente et adaptée de la maladie. Elle m’a également expliqué comment l’orthophonie a une grande valeur éducative et est nécessaire à l’apprentissage. Beaucoup d’enfants ayant des difficultés scolaires, s’aident des différentes techniques de mémorisation du langage pour contrer des problèmes d’apprentissage. L’histoire, l’art de la mnémotechnie qui est introduite par certaines techniques utilisées par Odile Cuvelier et ses différents fonctionnements, sont analysés à travers le prisme de la spatialité. Cicéron et Méthodore de Scepsis permettent d’amener quelques applications concrètes de la mnémotechnie à travers divers exemples que je vais développer.

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LA MÉMOIRE ET L’OUBLI

Scientifique et historique

Le monde scientifique7 est aujourd’hui d’accord pour affirmer que l’oubli est un indicateur du bon fonctionnement de la mémoire et permet un tri dans la montagne de souvenirs qui nous parviennent à chaque instant. L’oubli, généralement connoté négativement, est étroitement lié à la mémoire et forme avec celle-ci un duo vertueux: c’est l’ensemble de ces oxymores qui permet de former des souvenirs, d’engranger des connaissances au fil du temps. La mémoire est au cœur même de l’histoire et l’oubli trie dans le passé pour créer une propre et unique reconstruction de ce dernier qui constitue alors une construction identitaire.

7. À travers les dire de Francis Eustache, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et Denis Peschanski, Historien, directeur de recherche au CNRS , dans l’émission «Mémoire et oubli ». La tête au carré. france inter du 4 décembre 2014.

Il est impossible de comprendre pleinement la mémoire collective -ou mémoire sociale- sans prendre en compte les dynamiques cérébrales de la mémoire. Et, à l’inverse, l’imagerie cérébrale a montré qu’il est impossible de comprendre ce qui est dynamique, cérébral, si on ne prend pas en compte l’input du social et donc la nécessité d’une approche transdisciplinaire : histoire versus neuropsychologie et neuropsychologie versus histoire. On voit alors à une échelle macro et micro l’idée que la mémoire est spatialisée, que ce soit dans des souvenirs ou dans des zones du cerveau, les chercheurs parlent de la notion de mémoire comme d’un objet qui est donc de par son état présent physiquement. Caricaturalement on peut dire que pour les historiens, le souvenir peut se transcrire sur divers médias! alors que les neuropsychologues iront plus chercher du côté des formes géométriques que sont les parallélogrammes9, concept aussi abordé par les philosophes. Les zones de l’anticipation dans le cerveau sont les mêmes que les zones activées pour la mémoire. Peut-on alors parler de souvenir d’un futur antérieur, d’un passé du

8. Par médias j’entends le cinéma, la télévision, les romans, les reportages etc.. 9. Pour Gaston Bachelard utiliser le mot parallélogramme pourrait être une «cancérisation géométrique du tissu linguistique de la psychologie contemporaine» p. 192, Dialectique du dehors et du dedans La poétique de l’espace. Quadrige. Presse Universitaires de France, 1983. ARCHIVES

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10. Comme l’est expliqué dans l’article le langage (codé) de la mémoire en page 26 du n°359 du magazine Pour la Science (2007). 11. Titre d’un article de la revue scientifque pour la science n°359 de septembre 2007.

12. Qui ne s’est pas énervé devant un DVD rayé ou un streaming récalcitrant, état déjà si-milaire à l’époque du vinyl rayé -ou alors tombant dans le domaine de l’expérimental-. 13. Le futur : d’où l’importance des bonnes techniques d’apprentissage, de mémorisation malheureusement principalement travaillées que par les orthophonistes avec les enfants n’ayant pas de méthodologie adapté à une bonne mémorisation. 14. L’amygdale, ou complexe amygdalien, est une structure du cerveau située en profon-deur dans chaque hémisphère. Elle fait partie du système limbique et est impliquée dans la reconnaissance de la valence émotionnelle des situations et les réactions émotionnelles. (défnition du site http://www.psychomedia. qc.ca/lexique/defnition/ amygdale le 7 décembre 2014) 15. Le cortex cingulaire ou gyrus cingulaire, cortex phylogénétiquement le plus ancien, situé à la face interne des hémisphères cérébraux et appartenant au système limbique.

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récit ? Les mécanismes cérébraux de la mémoire du futur et de la mémoire du passé sont à peu près les mêmes10. Le cerveau est avant tout prospectif11, certes il se tourne vers le passé mais la mémoire est avant tout tournée vers le futur, vers une anticipation. La pensée s’alimente de l’autobiographie de la mémoire qui se construit au fil du temps par tous et de façon inconsciente ; mais la mémoire est avant tout une volonté d’anticipation de l’avenir qui se construit par des projections de souvenirs. On peut alors penser à ces impressions de « déjà vu », nous sommes alors persuadés d’avoir déjà vécu ou rêvé l’action qui se passe dans le moment où l’idée de déjà vu nait. Or c’est le cerveau qui, dans la plupart des cas, par fatigue, a un problème de connexion des données, d’où le nom de « bug » assimilé et qui rappelle le domaine de l’informatique. Celui-ci nous transmet alors deux fois de suite la même information, image ou scène. Ces impressions de déjà vu quasi similaires aux bugs informatiques que certains logiciels peuvent avoir12 offrent un parallèle frappant lorsque l’on voit ce type de bug concrètement appliqué à un logiciel de lecture de vidéos. La mémoire du futur est un faux oxymore. La mission principale de la mémoire est de s’orienter vers le futur et de préparer ce dernier13. Depuis longtemps les neurobiologistes et les neuropsychologues travaillent essentiellement sur la mémoire individuelle. Aujourd’hui, les spécialistes connaissent désormais les régions du cerveau qui sont impliquées dans la mémoire et l’organisation de ses réseaux. Différentes régions du cerveau interagissent sur le plan à la fois des systèmes généraux du cerveau et puis également sur le plan du moléculaire. Les historiens et les sociologues travaillent sur la mémoire collective qui évolue au fil du temps avec des phénomènes de rehaussement, d’édulcoration de certains aspects de la mémoire et aujourd’hui les neuropsychologues décrivent des mécanismes assez proches. Le regard individuel se construit du regard collectif, d’analyse collective et réciproquement le collectif se nourrit des regards individuels. Deux circuits différents sont présents dans le cerveau :un qui renvoie directement à l‘émotion donc à l’amygdale14 qui est le siège de l’émotion, du pathos, de la victime ; le deuxième circuit renvoie au cortex cingulaire15 qui est concerné par la rationalité, l’action, l’intellection. Quand une image est montrée, que cherche à activer la


personne qui montre l’image ? Le pathos ? L’image est-elle grande, petite ? Selon l’effet mémoriel recherché, la question se pose de choisir entre faire le pari de l’intelligence ou jouer sur le pur émotionnel avec l’absence de toute clé d’analyse, toute clé d’intellection. Ces techniques nous semblent communes aujourd’hui car elles sont pratiquées à travers le cinéma et la télévision dans des buts commerciaux mais il a fallu un siècle pour perfectionner ces procédés et qu’aujourd’hui des études scientifiques viennent recroiser une manipulation qui fait partie de notre quotidien. Que deviennent les souvenirs quand nous n’y pensons plus ? Leur immatérialité donne une impossibilité de traçabilité et de cartographie. Le devenir de beaucoup de nos souvenirs est de s’éteindre progressivement, de disparaître, l’invisible devient l’immémorial. Nous avons beaucoup de souvenirs de ce qu’il s’est passé hier et, dans quelques jours, très rapidement, une grande partie de ces souvenirs va disparaitre ; 80 à 90 % de ces souvenirs vont s’éteindre. Quelques souvenirs vont prendre leur indépendance : ils vont se modifier au fil du temps sans rester cependant comme photocopiés ni dessinés, ils vont s’incorporer à d’autres connaissances. Certains souvenirs vont donc se transformer en connaissances car notre « esprit cerveau »16 va prendre la substantifique moelle de ce qui s’est passé pour l’incorporer à d’autres connaissances. Notre mémoire est avant tout une accumulation de connaissances, de savoir-faire et puis un tout petit peu comme le sel dans le beurre, il y a quelques éléments de souvenirs qui sont uniquement des moments emblématiques de périodes de nos expériences qui sont à des jonctions, à des transitions de nos vies. Ce sont ces souvenirs qui vont permettre de donner un aspect continuum à l’histoire individuelle car il est plus facile de retracer très simplement un grand itinéraire. Et c’est là que les souvenirs jouent un rôle clé dans la perception de cette continuité de grand itinéraire au fil du temps. Une maladie d’hyper-mémorisation existe et s’appelle l’hypermnésie17 autobiographique. Cette pathologie donne une difficulté au cerveau à transformer un souvenir en une connaissance. Beaucoup des souvenirs deviennent progressivement des connaissances, s’incorporent aux connaissances existantes. Les personnes victimes de ce syndrome neuro-développement mental - qui commence

16. Francis Eustache, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et Denis Peschanski, Historien, directeur de recherche au CNRS , dans l’émission « Mémoire et oubli ». La tête au carré. france inter du 4 décembre 2014.

17. L‘hypermnésie (du grec huper, « avec excès », et mnesis, « mémoire »), appelée égale-ment exaltation de la mémoire, est une psychopathologie caractérisée par une mémoire autobiographique extrêmement détaillée et un temps excessif consacré à se remémorer son passé. ARCHIVES

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18. L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. 19. Citation extraite de l’émission de Vidard, M. Mémoire et oubli. La tête au carré (2014). 20. Salvadore Dali, écriture sur son tableau des montres molles, 1931. 21. Personnage principal de la nouvelle « Funès ou la mémoire » issue du recueil Fictions publié en 1944. 22. Le mangeur d’Opium p.181 et Les paradis artifciels p.325. 23. Gaston Bachelard , La poétique de l’espace. Quadrige. Presse Universitaires de France, 1983. 24. Ibid 18

25. Introduction de Gaston Bachelard. La poétique de l’espace. (Presse Universitaires de France, 1983).

tôt, en général chez l’enfant- n’ont pas cette capacité qui nous semble une évidence à savoir que nos souvenirs se transforment en connaissances. L’hypermnésie est une grande souffrance, dix ans après un moment anodin vécu, banal, la personne peut dire s’en souvenir parfaitement en l’affiliant à une date précise, une condition climatique et l’endroit où cela a eu lieu. Cette hypermnésie dénote un contrecoup de la mémoire pour essayer de construire un récit. Pour Francis Eustache, neuropsychologue qui dirige l’équipe U1077 de L’INSERM18 de Caen dédiée à l’étude de la mémoire humaine : « Les artistes sentent les choses les plus pointues de la science »19. Dali a peint les montres molles en 1931, tableau qui s’appelle en réalité la persistance de la mémoire et il écrit à côté « Je rêve de pouvoir me souvenir de tout »20. Jean Louis Borges fait mourir son personnage Irénée Funès,21 et pas de n’importe quelle mort : il meurt car il a le pouvoir de se souvenir de tout et que ce traumatisme, au sens strict du terme, le tue. Baudelaire avec son amour du mot « vaste » et son utilisation extrême22 pour sa capacité poétique à «marquer le plus naturellement l’infinité de l’espace intime»23 qui est endigué par la rêverie où les « images de l’immensité »24 viennent nourrir l’esprit et créent des émotions en réinterprétant des souvenirs. Ici c’est à travers de la peinture et de la littérature -poétique car « L’image poétique est un soudain reflet du psychisme.»25 ou non- que des faits reliés à la mémoire sont racontés et traités dans une approche sur l’émotionnel et le sensitif plus accessible pour une personne non initiée aux questions philosophiques, identitaires ou scientifiques. La psychanalyse apporte une nouvelle composante concernant la mémoire traumatique : le problème est que le traumatisme pour un freudien est la présence du passé comme présent et envahissant tout le cerveau comme présent. Il n’y a alors pas de place pour la mémoire et si on veut vraiment faire de la place pour la mémoire, il faut initier un processus de refoulement. Ce processus plus ou moins bien réussi, une place peut être trouvée pour la mémoire. Si le trauma est refoulé, il n’est plus trauma et il n’y a donc plus de passé. Le résultat des recherches scientifiques actuelles remettrait alors en question une partie de la psychanalyse freudienne. Avec la mémoire externe générée par les technologies

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actuelles on peut se demander s’il y a vraiment péril en la mémoire de l’humanité. L’humanité a toujours cherché à amplifier la mémoire à travers différentes techniques et médiums, à créer des mémoires externes consultables26. Ces mémoires externes consultables existent depuis des milliers d’années : grossièrement des grottes de Lascaux aux disques durs externes d’un tera. Aujourd’hui nous sommes confrontés à des mémoires externes qui sont performantes, amenant à une vraie réflexion qui porte sur des enjeux éthiques et instructifs. Il y a aujourd’hui une nécessité éducative à réfléchir à ces problèmes de société définis par ce changement de place et d’état pour la mémoire. Notamment chez l’enfant qui nait dans un environnement hyper connecté, dans un monde de l’hyper information. Il faut comprendre comment la construction de la mémoire se modifie car la mémoire est différente du fait de cet environnement nouveau27. Le cerveau n’est pas fait pour fabriquer de véritables souvenirs avant l’âge de 6-8 ans. C’est vraiment l’adolescent qui commence à avoir une mémoire qui fonctionne comme celle de l’adulte. L’enfant plus jeune est très fort pour former des connaissances. Dès 18 mois, il apprend le monde qui l’entoure, il va conserver des bribes de souvenirs mais ce ne sont pas des souvenirs construits comme le souvenir de l’adulte avec le fait daté, situé dans l’espace, correspondant à certaines émotions et qui deviennent liées à des spatialités. L’enfant mémorise beaucoup de choses mais ce ne sera pas un souvenir tel qu’il est construit chez l’adulte.

26. Au départ si l’on considère les peinture rupestres comme des listes de courses ou plus probablement une trace de leur exploits guerriers, les tablettes de cire, les étranges dessins incas visibles du ciel, les papyrus, l’imprimerie, les vinyles, les flms, les dis-quettes et caetera et aujourd’hui le big data.

27. Vidard, Mathieu. « Le subconscient et le cerveau mélomane ». La tête au carré. france inter, 1 janvier 2015.

L’histoire apporte une nouvelle dimension aux neurosciences, comme on a pu le voir précédemment c’est un des liens qui relie mémoire individuelle et mémoire collective. La mémoire se construit au fil du temps avec un changement de statut des processus de consolidation de sémantisation. En effet, notre mémoire n’est pas constituée de boîtes étanches les unes par rapport aux autres28 mais par un ensemble de transformations comprenant des changements de statuts des représentations mnésiques au fil du temps. L’ancien devient alors beaucoup plus résistant que le nouveau car il accède à un statut particulier, celui du ciment qui a construit la personnalité, plus le souvenir est ancien plus il est aux fondations de la construction psychologique de la personne.

28. Comme on pourrait le croire avec l’histoire de l’apprentissage de la mnémotechnie an-tique qui spatialise la mémoire dans des lieux de mémoire similaire à un enchainement de pièces.

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LA MÉMOIRE ET L’OUBLI

Sociologie de l’oubli ou l’oubli comme un choix identitaire

29. Citation d’Honoré de Balzac

30. On a pu le constater avec l’événement du 11 septembre où la mémoire collective de toutes les images diffusées par les différents médias on donc véhiculés de lourds sou-venirs à des gens des images « comme si ils y étaient », ces images ont fnit par prendre la place de souvenirs comme si les souvenirs étaient issus de moments réelle-ment vécu. 31. Ibid 15

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«Oublier est le grand secret des existences fortes et créatrices29». La mémoire individuelle est trompeuse car elle donne l’impression de se souvenir d’un événement comme il a eu lieu à un certain moment donné, or c’est là que la mémoire collective intervient car entre le moment passé de l’événement mémorisé et le temps présent, de nouvelles données ont été apportées par la mémoire collective30. Souvent le souvenir estimé comme individuel a été modifié par la mémoire collective sans que le sujet s’en rende compte. Le « 11 septembre » est un très bon exemple de la nécessité de croiser ce qui est du ressort de la mémoire collective, qui se construit via les médias, les intérêts généraux des pays et notre mémoire individuelle qui devient une «mémoire esprit cerveau»31. Ce que va dire une personne aujourd’hui des attentats du 11 septembre 2001 est la résultante de ce qui s’est construit par les résultantes des mémoires individuelles qui amènent à la mémoire collective. Le 11 septembre est un cas de mémoire influencée par le concept du passage de l’individuel au collectif : peu de personnes ont réellement vu l’effondrement des Tween Towers, pourtant avec la diffusion dans les médias des images filmées et des témoignages individuels, la mémoire de ce moment est devenue collective. Plus qu’une superposition c’est une interaction au jour le jour entre la mémoire individuelle, dépendant d’intérêts personnels, des inspirations propres et cette mémoire collective qui a aussi son propre sens avec différentes focales qui peuvent être définies par différents pays ou différentes communautés. La mémoire est l’interaction entre deux grands systèmes qui se construisent de façon interactive. La science de la mémoire de demain est donc inévitablement une science transdisciplinaire. On peut se demander comment un événement rentre dans la mémoire collective. François Hollande lors d’un discours au mémorial de Caen en 2007 se porte garant de


la mémoire publique32. On voit là que le terme Mémoire exulte au-delà d’un devoir c’est un Pouvoir. Il y a une condition de récit de la mise en mémoire mémorielle : certains événements sont acceptés comme éléments structurels de la mémoire collective et d’autres n’y entrent pas. Lors de la seconde guerre mondiale, le bombardement des Alliés a fait plus de morts en Normandie que l’occupation, mais le problème est que les bombes viennent des Alliés venus libérer la France en 1945. Toutes les familles en parlent mais ce n’est pas un élément structurant de la mémoire collective. L’oubli des évènements peut avoir une utilité sociale et politique. On se doit encore alors de penser au livre de Georges Orwell « 1984 » où l’histoire d’un peuple est modulée par le pouvoir en place afin d’avoir un contrôle total sur un peuple qui est alors communautaire et dont la culture visuelle est maitrisée par une histoire inscrite dans de fausses spatialités -temporelles et locales-. La mémoire est historique, il y a des éléments structurants de la mémoire collective qui peuvent bouger. Reprenons la seconde guerre mondiale comme exemple : la mémoire française à partir de 1950 a été structurée par la figure du héros martyr et à partir des années 80 cette mémoire a été supplantée par la figure de la victime juive. Ce changement de régime de subjectivité montre l’évolution du système d’appropriation de la mémoire du passé différentiel selon les périodes qui donnent des grilles d’analyses, des grilles d’interprétations diverses. Ce n’est pas une question d’occultation mais de « mémoire faible » et de « mémoire forte » qui créent des ondulations. Du point de vue anthropologique, l’espace n’existe 33 pas . C’est dans un temps défini par une réflexivité découlant d’une auto-analyse que les milieux peuvent être compris. L’interprétation sociale et spatiale est dans une logique pour comprendre les singularités du patrimoine matériel et immatériel, si celui est absent, la singularité disparaît, l’homogénéisation d’une histoire commence. Les tentatives d’homogénéisation des populations34 en une masse dépourvue de singularité, reflètent la volonté de tout état totalitaire voulant contrôler au mieux ses populations et les milieux dans lesquelles elles vivent. C’est l’amnésie rétrograde qui désigne l’incapacité à se rappeler d’anciens souvenirs qui sont pourtant toujours présents dans la mémoire , celle-ci peut être provoquée par un traumatisme crânien ou plus souvent par la maladie d’Alzheimer.

32. Article et vidéo visible sur http://www.normandieheritage.com/spip. php?article982

33. Caroline de Saint Pierre lors du cours Didactiques du 20 mars 2015 à l’école nationale supérieure de Paris Malaquais.

34. Comme les génocides Kurde par l’Empire Ottoman ou encore le génocide Chinois par les Japonais.

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LA MÉMOIRE ET L’OUBLI

L’oubli, maladie du siècle : Alzheimer

35. Amadou Hampaté Bâ est un écrivain et ethnologue malien. (19011991) 36. Pascale Dervieux explique dans son émission « Alzheimer : les petits intérêts dans les grands » du dimanche 11 janvier 2015 sur les ondes de france inter que les frmes phar-maceutiques, aidées par les confits d’intérêts, mettent sur le marché des médicaments sans résultat bénéfque durable. 37. La musique agirait sur la motricité et la mémoire et est de plus plus utilisée dans les pro-tocoles de soins non médicamenteux nous explique Mathieu Vidard dans son émission la tête au carré « Le subconscient et le cerveau mélomane » du jeudi 1 janvier 2015 avec ses invités Hervé Platel, professeur de neuropsychologie, et Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive. 38. Cf l’Accueil de jour Ty Héol, dont la fréquentation à commencé après que la maladie soit en stade bien avancé mais qui provoquent chez Jean-Pierre Le Bihan rire et volonté d’y retourner.

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Les anciens d’une société étaient auparavant considérés comme la mémoire de cette même société ; « un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle » dit Amadou Hampaté Bâ35. À travers cette citation et cette métaphore on comprend aisément que la mémoire est comparée à l’espace physique et réel qu’est une bibliothèque, les souvenirs du vieillard en étant les différents ouvrages. Or l’oubli, la disparition des proches souvenirs puis des lointains souvenirs jusqu’à l’effacement total de toutes ces données, sont les différentes phases caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Touchant les personnes âgées, nos vieillards, nos « bibliothèques », c’est à dire aujourd’hui 25 à 35 millions de personnes dans le monde et 900 000 en France. Cette maladie est très mal connue et impossible à soigner malgré l’existence sur le marché de médicaments qui ne fonctionnent malheureusement pas36. La maladie en stade avancé se caractérise par l’incapacité technique du cerveau malade à créer des nouveaux souvenirs. Stricto sensu les personnes malades d’Alzheimer ne pourraient donc plus apprendre. Cependant de récentes études37 montrent qu’une mélodie peut être assimilée par des personnes en stade avancé de la maladie, comme des milieux peuvent inspirer des émotions, je l’expliquerais plus en détail lors de l’analyse de l’entretien avec Jean-Pierre Le Bihan38. En effet les personnes en stade avancé de la maladie peuvent plusieurs jours après la découverte d’un nouveau son ou d’un nouvel espace, à l’écoute ou à la vision de celui ou celle-ci, les reconnaître et prétendre les connaître depuis bien longtemps. Même si la temporalité est faussée, l’information visuelle ou mélodique est donc retenue, chose que l’on pensait encore impossible il y a quelque mois.


LA MÉMOIRE ET L’OUBLI

Entretien avec Jean-Pierre Le Bihan

Jean-Pierre Le Bihan39 est né le 26 juillet 1934 et a donc 80 ans quand j’ai eu cet entretien avec lui le 22 décembre 2014. Diagnostiqué Alzheimer en 2010, il a effectué dès 2011 un travail avec l’orthophoniste Odile Cuvelier pour entretenir et stimuler ses facultés mémorielles le plus longtemps possible. Jean-Pierre Le Bihan a fait ses classes aux Beaux-Arts de Paris dans la section Arts Religieux dans les années 60. Je trouvais donc intéressant d’utiliser les différents supports que sont les plans de l’école, du quartier et des photographies pour voir si des souvenirs, émotions, réactions pouvaient se passer devant ce matériel qui ramenait à sa jeunesse estudiantine. Il faut savoir que les plans, qui ne sont pas faciles d’accès pour toutes personnes n’ayant pas été formé à ces habitudes visuelles, ne posaient aucun soucis de lecture pour Jean-Pierre Le Bihan qui a travaillé avec des plans et élévations de façades toute sa vie. Fils de maître verrier, il a très vite été obligé par sa mère à reprendre l’entreprise familiale40 et il a fait de sa vie un travail de création et de mémoire. En effet il a classé, analysé, rangé, trié, expliqué des centaines et des centaines de documents concernant la mémoire du vitrail en Bretagne et a collaboré à de nombreux travaux41. Sa recherche de classification, mémorisation, que ce soit au départ sur des disquettes, sur des cédéroms, puis sur des disques durs étaient peutêtre ironiquement et tristement son subconscient, qui anticipant ce qui allait arriver, l’a poussé à ce travail acharné d’archivage.

39. Né à Quimper il a eut sept enfants avec Bernadette Juge, mariage le 3 juin 1959, y com-pris de Antoine Le Bihan le 18 septembre 1962 qui est mon père. Donc Jean-Pierre Le Bihan est mon grand père.

40. Le Bihan Vitraux, atelier de maître verrier fondé en 1791 41. Comme par exemple Les vitraux de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper de Anne Brignaudy, Yves -Pascal Castel, Tanguy Daniel, Jean Kerhervé et Jean-Pierre Le Bihan (22 novembre 2005).

J’arrivais donc devant Jean-Pierre en début d’après-midi après le déjeuner avec mes documents que je lui montrais doucement en les étalant sur la grande table du salon. Aucune réaction, il ne comprend pas la présence de ces images qui lui sont étrangères. Il me regarde d’un air étonné, ne sachant pas ce que je semble attendre de lui ARCHIVES

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dessin de Jean Pierre Le Bihan, carnet de bord, 17 fĂŠvrier 2012.

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42. Odile Cuvelier est orthophoniste de formation et exerce à Quimper et est une amie de la famille Le Bihan 43. L’église Sainte Claire de Penhars est l’église où JeanPierre et Bernadette sont très actif dans et part la vie associative et religieuse de la paroisse. Jean-Pierre Le Bihan y a d’ailleurs fait son dernier vitrail -avec l’aide de son fls Antoine Le Bihanalors qu’il se savait atteint de la maladie d’Alzheimer et que celle-ci était déjà bien avancée. 44. Sa dernière fille 45. Jean-Pierre a son bureau avec son ordinateur sur la mezzanine surplombant le salon. D’où la confusion possible avec le repas. 46. Le Halage est un lieu de balade habituel pour Jean-Pierre qui a travaillé pendant 50 ans dans une rue adjacence au halage bordant l’Odet qui est la rivière traversant Quimper. 47. Sa deuxième flle et avant dernier enfant. 48. Il est curieux de voir que l’ordre dans lequel JeanPierre à inscrit le prénom de ses petits enfants n’est pas chronologique car Tatiana qui est la plus grande serait alors la pre-mière. C’est le garçon, deuxième enfant, qui prend la première place.

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avant de repartir pour regarder « ses livres » qui l’intéressent bien mieux. Bernadette, sa femme et ma grand-mère, tente de m’aider en lui expliquant que c’est l’école où il a fait ses études et où sa petite fille étudie aujourd’hui. Englobant les photographies et le plan de l’école d’un large geste majestueux de la main il s’écria alors « eux ils ne font pas de vitraux, eux, ils ne travaillent pas ». Ce fut l’unique réaction face à ces documents. De multiples interprétations peuvent se faire à partir de ces mots. JeanPierre Le Bihan a peint et dessiné toute sa vie, et son travail de maître verrier était également relatif à la peinture. Sa technique de dessin a d’ailleurs de ce fait été influencée par la technique de dessin pour créer les vitraux. C’est là où il est intéressant de se pencher sur le travail réalisé avec le docteur Odile Cuvelier42. Ce travail consistait en un exercice quotidien de dessiner tous les jours via un ou plusieurs dessins de ce que Jean-Pierre avait fait dans sa journée. Comme un carnet de bord ou un journal intime, une page par jour était obligatoire avec des impératifs récurrents comme des heures précises et des annotations sur les personnes présentes ou les lieux visités. Toutes ces journées résumées en des feuilles A4 sont consignées soigneusement dans des classeurs depuis début 2011. Les capacités et technicités de dessins diminuent au fur et à mesure de la progression de la maladie. Attardons nous sur une de ces journées : nous sommes donc le vendredi 17 février. L’image ci-contre est une photographie d’une feuille de papier blanche type rame de papier utilisé pour les imprimantes sur lequel quelqu’un a dessiné, écrit et colorié. La date du « Vendredi 17 février 2012... » est clairement visible tel un titre et les trois petits points qui la terminent semblent être une introduction à cette journée. Six créneaux horaires sont marqués chronologiquement au feutre rouge quand le titre est lui écrit au feutre bleu. La journée est ainsi rythmée par des rituels simples du quotidien : le réveil, la messe Sainte Claire à Penhars43, le repas accompagné d’un dessin, le repas avec Claire6 puis sur l’ordinateur44, le halage45 et finalement Agnès47 dessin si ce n’est pas le dessin qui aide Jean-Pierre à se remémorer les personnes présentes. Ce serait alors l’ordre et leur placement autour de la table qui définirait


l’ordre de souvenir et ses enfants pour un thé : Jeoffroy, Tatiana et Isis48. On peut se demander, car la description écrite est accompagnée d’une des personnes présentes autour de cette table comme l’a déjà fait le poète Simonide de Céos lorsqu’il avait dû se souvenir du placement des convives du banquet de Scopas de Thessalie49. Les dessins sont faits au bic noir alors que les écritures sont au bic bleu, cependant les prénoms de ses petits enfants sont rajoutés au bic noir, ce qui signifie que leur souvenir et donc leur présence découle du dessin, expliquant l’ordre de leur prénom initié par leur placement autour de la table. Beaucoup d’autres journées pourraient ainsi mériter pareille attention et analyse mais cet exemple de table et de placement, de dessin et de mémoire m’a poussé à me demander si ce parallèle avec les techniques de mnémotechnique relatées par Cicéron était conscient et voulu par le médecin, Odile Cuvelier, génératrice de cet exercice. En janvier 2015, Jean-Pierre n’avait plus les capacités de dessiner. Les carnets se sont donc arrêtés mais un travail de relecture constante était plus que visible. Des dizaines de feuilles, de revues, de pages de livres arrachées se baladaient autour de son bureau et étaient soulignées, re soulignée et encore re-re-re-soulignées. Jean-Pierre s’aidait d’un crayon pour souligner les mots qu’il lisait. À travers cette trace laissée par le crayon, la longueur du trait, on peut se dire qu’il ­spatialisait ainsi le mot qu’il essayait de se réapproprier par une marque physique et visuelle sur le papier comme on peut le voir sur la photographie d’une des pages du carnet de bord de Jean-Pierre Le Bihan datant du vendredi 17 février 2012.

49. « Au cours d’un banquet donné par un noble de Thessalie qui s’appelait Scopas, le poète Simonide de Céos chanta un poème lyrique en l’honneur de son hôte, mais il y in-clut un passage à la gloire de Castor et Pollux. (…) Pendant son absence , le toit de la salle du banquet s’écroula, écrasant Scopas et tous ses invités sous les décombres, les cadavres étaient à ce point broyés que les parents venus étaient incapables de les iden-tifer. Mais Simonide se rappelait les places qu’ils occupaient à table et il put ainsi indiquer aux parents quels étaient leurs morts. (…) Et cette aventure suggéra au poète les principes de l’art de la mémoire, dont on dit qu’il fut l’inventeur. Remarquant que c’était grâce au souvenir des places où les invités s’étaient installés qu’ils avaient pu identifer les corps, il comprit qu’une disposition ordonnée est essentielle à une bonne mémoire. » Récit de la façon dont Simonide a inventé l’art de la Mémoire donné par Cicéron dans le De Orator expliqué par Frances A. Yates in L’art de la mémoire, p13.

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L’orthophonie ou comment mémoriser

L’orthophonie ne se résume pas au soin des troubles du langage. Certes l’orthophoniste aide toute personnes à ré-apprendre à communiquer mais elle a également un rôle de transmission des outils qui permettent une meilleure compréhension des problèmes rencontrés. Pour certains cas ce peut être des problèmes de proportions, dimensions. Odile Cuvelier explique que lorsqu’elle travaille avec une personne ayant de lourds troubles de la communication, elle commence par voir si l’enfant ou l’adulte à une bonne perception de ce qui l’entoure. Par exemple la distance entre le bureau et la porte. Et dans la plupart du temps les réponses sont complètement invraisemblables. Il y a alors une vérification faite avec un mètre qui permet alors à la personne de se rendre compte par elle-même qu’elle s’était trompé. L’exercice est ensuite répété dans d’autres lieux avec toujours cette même question de distance entre deux éléments et la vérification par le biais de l’outil mètre. Ce type d’exercice et de démarche pousse la personne à prendre conscience de ce qui l’entoure, de le connaître et donc de s’y sentir en confiance avec des données, pourtant simple et généralement inconsciente, qui en font un environnement rassurant car assimilé. La prise de conscience de l’espace qui nous entoure est une grande étape dans la confiance en soi et de ce fait l’esprit peut plus se cibler sur des éléments plus complexes et problématiques comme le langage. Pour ré-apprendre à lire ou à comprendre les mots pour aller à l’encontre et résoudre différents problème de langage, différentes techniques sont pratiquées mais toujours avec un rapport visuel et tactile avec les mots ou les lettres qui sont alors inscrits sur un objet, sur une image. Des spatialisations différentes permettent différentes significations plus faciles à retenir comme une technique de mnémotechnie simplifiée - on peut le voir 24 ARCHIVES


dans les écoles maternelles et primaires- la personne doit effectuer le geste de l’écriture pour dessiner les lettres. Les lettres et leurs formes ne viennent pas de nulle part50, quand la main dessine une lettre elle effectue un mouvement similaire à celui de la langue quand on parle. Pour le « p » par exemple, la queue du « p » s’écrit du haut vers le bas et s’inscrit dans cette même direction que la langue prend dans la bouche après avoir été assez centrale, le mouvement de la main et donc de la ligne sur le papier est similaire à la façon de parler. C’est grâce au mouvement dans l’espace qu’une mémorisation et compréhension se fait plus aisément. Il a été récemment51 suggéré que l’inattendu et l’exploration chez les enfants favorisent l’apprentissage. Les enfants âgés de moins d’un an, petits chercheurs, sont plus curieux envers les objets qui ont un comportement mystérieux. La notion d’objet englobant l’objet espace, il est donc facile de conclure au fait qu’un espace pourvu de caractéristiques inhabituelles, d’une spatialité non quotidienne, amène l’enfant à une attention et une mémorisation plus grande de tout ce qui peut s’y assimiler. La curiosité de ces petits enfants est happée par ce qui ne correspond pas à leurs attentes sur les événements qui ne correspondent pas à l’idée qu’ils se font des régularités des relations de causes à effets qu’ils sont en train de découvrir dans le monde qui les entoure ; et d’une manière plus générale, et donc spatiale, cette étude confirme que c’est l’inattendu, le contradictoire, le paradoxe de ce qui entre en dissonance avec ce que nous avons appris, imaginons du monde ou des autres qui est l’un des moteurs de l’attention, du questionnement de l’apprentissage et de la recherche.

50. « toutes les lettres ont d’abord été des signes et tous les signes ont d’abord été des images »Victor Hugo, En voyage, Alpes et Pyrénées, ed. Hugues (Paris),18??

51. Dans l’étude « Observer l’inattendu favorise l’apprentissage et les comportements d’exploration des enfants » qui a fait une partie du sujet de l’émission ‘La quête de la vie sans fn » de Jean Claude Ameisen sur la radio France Culture diffusée le samedi 16 mai 2015.

Le mystère disait Einstein, est la plus belle expérience que nous puissions faire, et là est la source de tout vrai art et de toute vraie science. Et c’est ce caractère profond des mondes mystérieux qui nous entourent et notre présence dans le monde qui nous entoure qui nous saisit dès notre plus jeune âge et nous avons tendance ensuite si souvent à estomper, à atténuer, à fondre voir à disparaître des habitudes. C’est ce caractère profondément mystérieux que les mythes, les récits légendaires et les épopées ont probablement tenté de faire réapparaître. Source d’émerveillement, de saisissements, de fascinations, d’apprentissages et de questionnements, suggérant sans expliquer, par l’inattendu, par le paradoxe, par la coïncidence avec des ARCHIVES

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opposés que la réalité est plus riche que nous ne pouvons la percevoir. C’est ce mystère de la connaissance et de la mémoire qu’ont probablement exploré depuis l’aube de l’humanité, les démarches artistiques, spirituelles, mystiques, métaphysiques et philosophiques. On comprend alors que le flux de connaissances est proportionnel à l’attention multipliée par le temps.

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LA MNÉMOTECHNIE

Introduction

« Il y a une connaissance des choses innées dans la mémoire. »52 Si l’on part du concept que « La vraie connaissance de l’âme réside dans le souvenir des idées 53», un projet d’architecture réside dans le souvenir de ce qui le fait. Grand, calepinage, épaisseur, socle, couronnement, horizon, matière, derrière, répétition, masse, légèreté, composition, fenêtre, trop, étalement, mélancolie, texture, limite, banal, déviance, spécificité, disparition, lumière, séquence, représentativité, angle, caché et topographie54 sont des termes, un ensemble de mots qui reviennent de façon récurrente dans toute description, interprétation et donc création et mémorisation d’architecture. Chacun de ces termes déclenche malgré une définition préexistante et acceptée par tous, autant d’imaginaires que de personnes sollicitées. Les dessins ci-contre sont issus d’un exercice particulier où il était question d’assimiler des mots à des dessins interprétant notre propre expérience de la ville de Trieste. Avec le dessin dont le titre est « fenêtre », on peut y voir une accumulation de typologie de fenêtres qui ont plus ou moins été vues lors du séjour italien et qui sont retranscrites de façon décomposée ou non par le biais d’un stylo noir sur un carnet format poche. Une transparence due ou jouée par l’accumulation des dessins se superposant s’accorde avec les souvenirs qui se mélangent et la transparence accordée généralement aux fenêtres.

52. Frances A. Yates. L’art de la mémoire. Gallimard. bibliothèque des histoires. Nrf, 1975, p.48. 53. Frances A. Yates.L’art de la mémoire. Gallimard. bibliothèque des histoires. Nrf, 1975, p.49. 54. Liste de mots non exhaustive donnée par Luca Merlini dans le cadre du cours de projet « Vil-lard 16 ou l’oximoron Italien », assisté de Léa Mosconi, avril 2015, Paris Malaquais.

Le dessin portant le titre de Corona, qui veut dire couronnement en italien, est une axonométrie de différents volumes géométriques qui située sur une même trame, diffèrent de par leur taille ou la direction donnée à leur couronnement. Le dessin tente de reproduire de façon exagérée la ville italienne d’architecture radicale des années 60 que l’on peut retrouver dans la moitié ouest de la ville de Trieste. Les bâtiments très imposants et de volume cubique ARCHIVES

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se différencient principalement de par leur couleur mais surtout par leur couronnement qui indique selon sa magnificence, la puissance financière de son propriétaire. La ville de Trieste doit sa puissance aux banques et assurances qui occupaient ces architectures. Pour le dessin Scomparsa qui est la traduction de disparition en italien, les lignes une fois encore se superposent et symbolisent de par les volumes qu’elles dessinent une superposition de fondations qui sont donc le mille-feuilles des couches d’histoires qui constituent une ville. Angolo est un dessin chargé de trois types d’éléments différents : des tuiles, gouttières et cheminées. La construction empirique des maisons dans la partie vieille ville à l’est de Trieste donne à voir un spectacle de toits enchevêtrés et dans la confusion visuelle offerte, on perd toute notion de perspective. Pour moi l’angle symbolise la perspective des constructions. La spécificité se traduit littéralement. Les mots permettent de spécifier à l’oeil ce que le dessin induit ou invite à comprendre. Les mots, leur auteur et le titre de l’oeuvre donne un contexte précis, le texte porte son propre message. Attribué à la ville, il est comme son épitaphe, elle le subit, il a été attribué par autrui dans un temps précis et après que la rencontre ait eu lieu . L’horizon dans les villes denses n’est pas évident à définir comme une ligne d’horizon mais peut prendre d’autres significations et s’approprier d’autres limites. Ici l’architecture dessine le ciel et l’horizon qui n’est plus cherché horizontalement mais verticalement. Le dessin et la formation d’architecture permet de requestionner et redéfinir ses propres concepts de spatialité en les expérimentant de façons diverses. En repoussant les signifiants et les signifiés dans les limites de leur sens, la spatialité s’enrichit de nouvelles dimensions. Alors on est en accord avec la conception platonicienne de la mémoire qui est définie par l’utilisation d’images placées dans des lieux à l’intérieur d’un théâtre néo-classique comme dans le « théâtre de la Mémoire de Giulio Camillo ».

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LA MNÉMOTECHNIE

Histoire

Aristote influe la scolastique et l’art au Moyen Age tandis que Platon influe l’art à la Renaissance. Méthodore de Scepsis est un praticien de la mnémotechnie et dont la technique, selon Quintilien, est fondée sur le Zodiaque où il a trouvé trois cent soixante lieux dans les douze signes parcourus par le soleil. Méthodore de Scepsis, spécialiste d’astrologie55, introduit l’étude et la connaissance des astres dans la mémoire. Pline L’Ancien dont le fils suivait des cours avec Quintilien, rassemble dans son histoire naturelle une anthologie d’anecdotes sur la mémoire : tel personnage nommé Cyrus connaissait le nom de tous ses soldats ; un Lucius Scipion connaissait lui tous les gens de Rome quand Cinéas connait tous les sénateurs ; Mithriade du Pont maîtrise la langue des 22 peuples de son royaume et Charmadas le contenu de tous les ouvrages d’une bibliothèque. Cette liste est certes antique et probablement romancée mais des cas similaires contemporains existent. Il y a l’exemple de ce professeur qui poussait ses étudiants à l’admiration en récitant des listes dépassant 50 des mots donnés dans un ordre uniquement connu et initié par les étudiants56. L’Ars Notoria, attribué à Apollonios, consiste à regarder des figures et des diagrammes et à réciter des prières magiques pour acquérir la connaissance et la mémoire de tous les arts.

55. Méthodore de Scepsis utilise un ordre numérique avec 36 décans possédant chacun dix degrés et il peut alors obtenir une série de loci numérotés de1 à 360.

56, 57, 58, 59. Frances A. Yates. L’art de la mémoire. Gallimard. bibliothèque des histoires. nrf, 1975.

Saint Augustin parle de domaines et de vastes palais de la mémoire où se trouvent « des trésors d’innombrables images, qu’on y a apportées en les tirant de toutes les choses perçues par les sens »57 . Il cherche Dieu dans sa mémoire mais ne l’y trouve en « aucun lieux »58. La Foi, l’Espérance, la Charité, des vertus et des vices ou des Arts libéraux sont localisés dans la mémoire par ARCHIVES

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l’église.59 On peut parler d’Art de la mnémotechnie car pour maitriser cette pratique, l’imagination, principalement attribuée aux domaines artistiques, en est la fondation. Lorsqu’on tente de comprendre qui sont les initiateurs de cette science il faut remonter à l’Antiquité et à ses mythes qui se sont assimilées à son histoire. Simonide de Céos aurait été l’inventeur de la mnémotechnie à travers l’aventure qu’il aurait eu où il aurait dû se souvenir des différents emplacements de personnes autour d’une table et qui comprenant que la visualisation de l’image lui permettait de se souvenir, aurait compris les mécanismes fondamentaux de la mémoire. Ceux-ci à travers la mnémotechnie sont théorisés par Ciceron dans le De Oratore et dans l’Ad Herennium dont l’écrivain est encore à ce jour, après avoir été longtemps attribué à Ciceron, inconnu. Ensuite Quintilien s’inspirant des textes cités en apprendra la science et la technique à Saint Augustin. Même l’empereur Charlemagne aura droit à un apprentissage -partiel- de l’art de la mnémotechnie.

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LA MNÉMOTECHNIE

Visualisation et mémoire

L’immensité de l’intime « le monde est grand mais en nous il est profond comme la mer »60

60. Rainer Maria Rilke

Platon utilise également la métaphore en parlant d’un sceau dans un passage du Théétète61 où Socrate suppose qu’il y a un bloc de cire dans nos âmes où s’imprime nos pensées et nos perceptions.

61. Dialogue de Platon sur la sagesse en tant que science et le savoir

L’ère du numérique avec une visualisation uniquement informatique signerait-elle la chute de la mémoire travaillée humaine ? Le réseau internet est un territoire, c’est la terre inconnue du 21ème siècle, après la Lune en 1960 et les Amériques en 1600. La différence est que ce territoire complètement artificiel a été façonné par l’homme. Avec la popularisation de son utilisation, de nouvelles pratiques mémorielles se mettent en fonction. Nous sommes dans l’ère de l’archive numérique. Toutes les informations sont accumulées dans des immenses Data center dans des endroits inconnus du grand public. L’information est donc finalement matérialisée, mais qui en a conscience aujourd’hui ? Et qui s’en préoccupe ? Tout le savoir semble être disponible, au revoir les dictionnaires, bonjour Wikipédia. Vers les années 2005, le QUID s’est éteint quand on apprenait en cours de technologie au collège aux étudiants à écrire un article sur Wikipédia. Le net a plusieurs degrés de lecture et est plus ou moins façonnable, sa diversité d’appropriation est pensée pour qu’un maximum de personnes trouve les différents services intuitifs et faciles d’utilisation. Finies les distinctions sociales, le savoir est visiblement à portée de toute connexion Wi-Fi. Mais l’information qui nous est donnée est toujours présente, il suffit de l’enregistrer dans un onglet favori et elle reste disponible à la consultation. Il n’y a plus ARCHIVES

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le travail avant de devoir trouver un livre traitant du sujet spécifique, de le lire en entier pour trouver la phrase qui pourra être utile, citée dans un article ou pour justifier un essai. Petite phrase réécrite dans un carnet particulier, ou qui sous la forme d’une note viendra s’accumuler dans un coin de mémoire physique, bureau, livre ou tiroir. S’il fallait 4h pour trouver une chose, il valait mieux s’en souvenir. À quoi bon travailler sa mémoire pour tenter de retenir tout internet qui semble une source de savoir sans fin alors qu’en deux clics, l’information est retrouvée. Certes les bibliothèques ne manquent pas d’occupants mais leur nombre varie selon les connections Wi-Fi. Les cafés ont bien compris cette ressource, la nouvelle clientèle des cafés parisiens, principalement la journée, est constituée d’étudiants en soif de Wi-Fi pour faire leurs exposés en copiant Wikipédia tout en pouvant répondre à sa conquête du moment sur facebook. Au-delà de ces nouvelles habitudes au travail c’est aussi de nouvelles pratiques de partage qui se sont développées. On parle alors d’Open source pour parler d’un acte citoyen qui est de réclamer un secteur réservé aux industriels pour les particuliers. Il y a également le concept de espace creative commun où les gens partagent librement leurs idées. Internet veut sublimer le quotidien en apportant tous les services comblant les vices. De ce fait une sorte d’hypnose se crée entre le service et le client qui devient esclave d’Internet et ne peut plus s’en passer. Nous sommes en train de créer une génération qui ne sera plus capable de chercher, de trouver, de retenir des informations autrement que sur Internet.

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LA MNÉMOTECHNIE

La mémoire pour l’élite sociale

Le travail de celle-ci permet une meilleure formation au langage et à l’influence des masses. Comme le phénomène de la mode du téléphone portable has-been qu’on a pu voir dans certains quartiers en 2013, ou qui en 2015 tourne au refus de la possession du portable pour préférer la bonne vieille carte téléphonique, quasi inutilisable face à la disparition progressive des cabines téléphoniques ces dernières années. Dans certaines élites, toutes tranches d’âge confondues, une sorte de ras-le-bol d’une sur-connexion engendre les prémices d’une micro-révolution. La paupérisation du téléphone et de la consommation d’internet semble tomber dans le même fossé que la télévision. Pour citer Nathalie Mercier qui lors d’un de ses cours de 2009 nous expliquait que pour savoir dans les logements sociaux qui avait le moins d’argent, « il suffit de regarder leur écran de télévision, la famille qui possède le plus grand est probablement celle qui a le plus de difficultés financières ». Snobisme que l’on peut parfois aussi retrouver auprès des automobiles mais principalement dans les grandes villes car il est très simple de comprendre que ce refus de voiture en campagne rendrait très rapidement la vie difficile, actuellement, cela va sans dire. D’une façon romancée62, la démonstration du savoir et de l’accessibilité à celui-ci par la mémoire au bonheur, à l’intelligence et au statut social montre bien la puissance que génère l’idée de mémoire. Le personnage de ## dans le roman de Zola63 est puissant non pas par sa richesse mais elle tire sa puissance de son savoir et de sa mémoire des faits et gestes de chacun. C’est ce qu’il la fait vivre et lui donne son rang social dans le territoire dont elle connait toute l’histoire, toute la mémoire. Big Data : une autre forme de spatialité pour la mémoire. La globalisation de la mémoire et des informations permet par des probabilités de savoir les comportements sociaux. Transition big data et l’information

62. Des feurs pour Algernon, Daniel Keyes

63. Le ventre de Paris, folio poche, 1873.

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LA MÉMOIRE SPATIALE CONSULTABLE

64. Sébastien Ortola. La souris qui se souvient. Le Point 22 (2015).

Même si l’étude des chercheurs du Riken64, au sein de l’Institut de technologie du Massachusetts montre que l’on peut par le biais de la réactivation du chemin biologique refaire surgir des souvenirs victimes d’amnésie rétrograde, avant les neurosciences, d’autres voies ont été utilisées pour laisser de façon durable une idée, une pensée qui se concrétise en souvenir physiquement palpable.

Les arts

65. Dans sa conférence « Sur un état de la théorie de l’architecture au Xxe siècle » du 7 juin 2001 à l’école d’arcithecture Paris Belleville. 66. Ibid62 « Je pense que la théorie est exactement de cette nature, c’est-à-dire que la théorie est comme quelque chose qui se trouve au milieu d’une table, par exemple un vase ou une carafe, que tout le monde regarde autour de la table et qu’on ne regarde pas du même côté. Tout le monde voit le même objet, mais n’a pas le même regard sur cet objet. Donc la doc-trine est ce que chaque architecte dit de ce qu’il voit de l’architecture. Mais ce n’est qu’une part de la théorie de l’architecture. » 67, 68. Gaston Bachelard. La poétique de l’espace. (Presse Universitaires de France, 1983), p. 169 et p 192

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Au début du vingtième siècle, le généticien John Von Alberg explique que la réalité n’est pas simplement plus étrange que nous le pensons, elle tout aussi étrange que nous pouvons l’imaginer. Jules Vernes à travers ses histoires au départ fantastiques se sont pour certaines – voyage sur la lune- révélées anticipatrices. L’instinct et les preuves du tangible sont un savoir désobligeant mais grandement efficace dans une volonté de comprendre, de s’approprier un lieu, un territoire de projet. Bernard Huet65 parle de théorie mais sa vision du terme est exactement ce que j’essaye ici de défendre à travers une sélec-tion d’exemples de doctrine, de moyens et d’époques où la spatialité se substitue dans mon discours à sa théorie de l’architecture66. Nous allons donc voir comment cette mémoire spatiale consultable se traduit à travers des territoires précis dans le domaine de la peinture, de la littérature et le cinéma tout en prenant bien conscience que c’est une vision dirigée issue d’une sélections d’oeuvres absolument non objectives qui appartiennent à mon univers et donc ma théorie de la spatialité. «Il apparaîtrait alors clairement que les oeuvres s’art sont les sous-produits de cet existentialisme de l’être imaginant»57. « S’il y a, à l’égard de cette image, un problème phénoménologique à poser, c’est de savoir pour quelle raison actuelle, en vertu de quelle valeur d’imagination en acte, une telle image nous parle. » s’exprime Bachelard à propos de la forêt68. Même si d’évidence commune l’art utile est reconnu comme n’étant pas de l’Art, nous sommes obligés de reconnaître une sorte de problématique commune aux


différentes ambitions plastiques des artistes. Le récit imagé d’un site, d’un territoire est la mise au présent d’un espace. Cette fixation du milieu sur une surface et sa représentativité a été jusqu’à Marcel Duchamp le but ultime de l’artiste. À l’instar des pratiques des artistes, Bertold Brecht, lui, l’avait parfaitement dit : «On ne comprend que ce que l’on transforme»69. La transformation d’une idée par la formation d’un objet nouveau est une façon de se l’approprier, d’en tirer un savoir nouveau, une impression d’un milieu que l’artiste veut transmettre à ses contemporains.

69. Bertold Brecht

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LA MÉMOIRE SPATIALE CONSULTABLE

La peinture

Les artistes ont toujours essayé à travers la complexité interne d’une oeuvre, avec ses différents registres et niveaux de compréhension de l’insoluble, de donner une vision générale d’une spatialité. Voyons ici en quoi le rôle de la couleur dans trois réalisations peut être révélatrice des partis pris de leur auteur. Nous essayerons de démontrer en parallèle l’importance de la couleur dans la transmission émotionnelle et son importance dans la perception des espaces car « La toile est une surface à enregistrer le temps, la durée pendant laquelle le peintre a travaillé. »70. Monet, Kandinsky et Rietveld sont trois grands 70. Jackson Pollock ar-tistes du début du XXème siècle. Grands car révolutionnant le monde de l’art en lui apportant leurs propres visions et un nou-vel univers artistique, unique et différent. Chacun de ces artistes a apporté, vouant sa vie et son travail à cela par leurs idées précurseurs concernant la couleur. Monet à apporté aussi au monde scientifique par rapport à ses recherches sur la vision, tant par ses opérations dues à la cataracte71, que par sa volonté de 71. La cataracte est un pouvoir comprendre les effets de la lumière qui dessinent trouble de la vision qui survient lorsque le cristallin l’espace avec des touches colorées. Kandinsky lui fut le -la petite lentille ovale située premier à voir l’art comme un langage universel pouvant derrière la pupille- perd de fonc-tionner avec ou comme la musique dans un axe de sa transparence. recherche sur les relations couleurs/émotions. Rietveld amène avec son travail le questionnement de la couleur au delà de la toile, il la pose sur des objets, ici une chaise. Il se pose des questions sur la couleur dans l’espace et sa relation directe avec l’utilisateur, réfléchissant ainsi que la limite entre oeuvre d’art et objet utilitaire. Nous allons donc décrypter plus attentivement chacune de ces oeuvres afin de comprendre l’importance de la couleur dans leur travail et donc leur façon d’interpréter ou de donner à voir une vision de leur monde. Étude des toiles 1) la cathédrale de Rouen, le portail et la tour Saint Germain, effet du matin, harmonie blanche, 1894 36 ARCHIVES


– huile sur toile et la 2) La cathédrale de Rouen, le portail, soleil matinal, harmonie bleue, 1894. Entre sa période post-impressionniste et fauviste, de 1892 à 1894, Monet72 plante son chevalet devant la cathédrale de Rouen. Il réalisera ainsi trente toiles, chacune saisissant l’édi-fice à un moment différent de la journée. La multiplicité des représentation du même sujet sous un même angle de vue73 prouve la multitude d’image et de ressentis donnés par la luminosité changeante. Chaque oeuvre étant unique et différente dans sa luminosité ; Monet nous démontre ici l’importance de la lumière changeante, instable, retranscrite par les variations colorée infinies de sa palette qui recréent une infinité de cathédrales différentes. L’architecture reste la même mais à travers les variations de couleurs, l’espace émotionnel est retranscrit différemment. Ou encore quand Clémenceau exprime le coté éphémère de la lumière capturée par l’oeil de Monet : «Chaque moment nouveau de chaque jour variable constitue sous la lumière mobile, un nouvel état de l’objet qui n’a jamais été et qui ne sera plus»74. La monument gothique se dématérialise sous l’effet dissolvant de la lumière, il n’est plus que la perception éphémère qu’en a le peintre. L’oeuvre est en son tout une sensation lumineuse comme un souvenir d’un moment volé, d’une image retenue sur la rétine en une infime partie de temps. L’artiste nous montre ici un panel impressionnant d’ombres colorées qui tend vers la frontalité. Le travail de Monet répond aux caractéristiques75 du mouvement impressionniste76 prônant la magnificence de la lumière et transforme la tonalité de la peinture moderne composée jusqu’à lors de bruns, noirs en teintes blondes, mauves et violettes. Les touches claires de peinture amènent une luminosité vibrante, transposant ainsi les vibration naturelle de la lumière. Dans sa quête de la représentation du réel, Monet fait alors de l’intensification des contrastes, qui choquait tant ses contemporains, un moyen ex-pressif fondamental. Ses oeuvres sont composées de contrastes de touches colorées, fragments de lumière mis sur toile, qui, apportant une luminosité d’une présence troublante, ont influencé et marqué le XXème sicle.

72. Claude Monet est né en 1840 et mort en 1926

73. « Monet n’est qu’un oeil, mais quel Oeil !» Cézanne

74. Citation de Georges Clemenceau dans le quotidien La Justice dont il était le directeur politique. Numéro du lundi 20 mai 1895.

75. «Monet arrive à traiter un sujet pour les tons et non pour le sujet lui-même ». Henri Ri-vière (1864-1951), artiste connu pour ses estampes, gravures sur bois et aquarelle. 76. Description du mouvement impressionniste

Étude de la toile « avec l’arc noir » de Wassily Kandisky, 1912. Avec le travail de Wassily Kandinsky77, le public fut choqué par la rupture avec toutes règles, toute convention ARCHIVES

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77. Dates, nationalité etc 78. « Louée soit soit la palette pour les délices qu’elle offre (…) elle est en elle-même une « oeuvre » bien plus belle que beaucoup d’ »oeuvres » Kandinsky en 1913. 79. Comme on peut le voir lorsqu’il s’exprime sur la couleur bleue « Le bleu est la couleur typiquement céleste. Le bleu développe très profondément l’élément du calme. Glissant vers le noir, il prend la consonance d’une tristesse inhumaine. Il devient un approfondis-sement infni dans les états grave qui n’ont pas de fn et qui ne peuvent en avoir. À me-sure qu’il éclaircit, ce qui lui convient moins, le bleu prend un aspect plus indifférent et paraît lointain et indifférent à l’homme, comme un haut ciel bleu clair. Plus il s’éclaircit, plus il perd de sa résonance, jusqu’à devenir un calme muet, devenir blanc. » 80. Dans son livre Du spirituel dans l’Art, 1912, Kandinsky explique que pour lui « le point de départ est l’étude de la couleur et de son effet sur le regard ». 81. Un état de perception dans lequel deux sensations sensorielles sont simultanément pro-voquées par le même stimulus comme par exemple l’association de couleurs spéci-fques avec des sensations de timbre ou de hauteur de son. 82. Lien également fait par le corps médical pour le travail de la mémoire des personnes at-teinte d’Alzheimer. 83. École et mouvementa né en Allemagne en 1919. 84. « Musicalement, le bleu

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de représentation d’un sujet. L’oeuvre est dite abstraite, aucun objet n’est présenté. Le sujet de l’oeuvre découle de l’imagination du peintre. Kandinsky ne tente pas de reproduire le réel mais des sensa-tion. Sensations qui se vivraient par la lecture, découleraient de la vision de l’agencement de formes colorées abstraites. Tout le travail de Kandinsky est là : faire passer des sensations par des nouveaux codes visuels, il créé un nouveau monde de sensation régit uniquement par la spatialisation de la couleur. La couleur est son sujet premier78. S’écartant de la coloration dite naturelle, de nouvelles couleurs encore jamais aperçues sur une toile tel des oranges éclatants pourpres veloutés et verts vibrionnant apparaissent. Pour Kandinsky les couleurs ont une connotation spirituelle et symbolique79. Expérimentant différentes approches du monde perceptif!à, il s’est essayé à la synesthésie81. Par ces expériences on voit l’importance que porte Kandinsky au lien qu’il met entre peinture et musique82. Pour Kandinsky, l’art, comme la musique, constitue un langage universel de l’âme. Précurseur de la philosophie du Bauhaus83, il attribue aux couleurs des formes et les y spatialises : au triangle le jaune, au cercle le rouge, au carré le bleu. Selon lui chaque couleur produit ses propres sensations, une combinaison de celles-ci, dans un ensemble, créé une oeuvre riche en significations et émotions. La musique est spatialisé dans l’oeuvre de Kandinsky, celle-ci composée de fragrance colorée, semblable à des notes sur une partition84. L’oeuvre à travers une spatialisation colorée pos-sède une histoire, une mélodie propre. Red Blue Chair, fauteuil rouge et bleu, 1917-1918 de Gerrit Rietveld. Inspiré des recherches picturales de Piet Mondrian et Théo Van Doesburg, les meubles du hollandais Rietveld ont pour but, selon leur créateur « d’amener à l’échelle humaine une partie de l’espace illimité ». Ce siège bleu et rouge (rood-blauwe stoel) date de 1917 et est créé par Gerrit Rietveld architecte et ébéniste néerlandais. Ce que Mondrian développa avec sa peinture abstraite sur surface plane fut transformé en concept tridimensionnel par Rietveld. À l’origine avec une finition en bois naturel il fut par la suite peint, coloré comme nous le connaissons. Il connut même en 1921 une version entièrement blanche. Cependant ici nous nous interrogerons sur comment Rietveld a réussi à intégrer une dimension de spatialité colorée à sa


chaise. Il faut tout d’abord savoir que cette chaise est le résultat de l’association de Rietveld au mouvement de Stijl. Le fauteuil rouge et bleu abandonne l’ornement pour transposer dans le mobilier les principes formels du groupe de Stijl. Fondé en 1917 par des peintres abstraits et des architectes d’avant garde, ce dernier entend donner une portée universelle aux principes pic-turaux de Piet Mondrian : orthogonalité, contraste entre les trois couleurs primaires, bleu, rouge et jaune, et les deux non-couleurs, noir et blanc. Dans le siège le dossier est rouge et l’assise est bleue. Ces deux là s’opposent aux montants noirs du piétement et des accoudoirs. Cependant ces accoudoirs et piétements possèdent des extrémités jaunes, définissant alors une imbrication spatiale de plans colorés chers à Mondrian. Cette chaise délibérément inspirée est une passerelle entre les arts, art plastique et art appliqué, ouvrant alors une vision radicale-ment nouvelle sur le design futur. Désormais avec cette chaise, l’utile, le fonctionnel et l’art fusionnent pour donner un objet design. De plus, dans une dimension économique, par sa construction simplifiée à l’extrême, la chaise est prête pour une production en série. Ainsi Gerrit Rietveld est le précurseur d’un habitat moderne qui nous est aujourd’hui contemporain. Mais plus important encore, il a fait de la couleur, avant simplement appliquée sur une surface plane, un élément indissociable de la chaise. La couleur devient alors une oeuvre d’art à part entière en trois dimension qui possède une valeur spatiale. C’est donc la couleur qui est agencée, travaillée en un ensemble plastique qui au delà de sa dimension plastique et formelle possède une dimension utilitaire.

clair s’apparente à la fûte, le foncé au violoncelle, s’il fonce en-core à la sonorité somptueuse de la contrebasse ; dans ses tons les plus profonds, les plus plus majestueux, le bleu est comparable aux sons graves d’un orgue ».

Nous avons ainsi abordé différentes façons de travailler, de comprendre la couleur et de la spatialiser. Chacune de ces approches nous apporte différentes utilisations de celle-ci qui s’additionnent se complètent et appuient l’importance de la couleur comme étant un degré de spatialisation et d’aide à la mémoire visuelle. Ainsi la couleur spatialisée est la mémoire de lumière, mélodie et objet.

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La couleur bleue e(s)t un symbolisme architectural

85. « Ainsi le Bleu tangible et visible sera dehors, à l’extérieur, dans la rue, et, à l’intérieur, ce sera l’immatérialisation du Bleu. L’espace colore qui ne se voit pas, mais dans lequel on s’imprègne», À propos de l’exposition Le Vide- galeie Iris Clést, 28 avril 1958-. 86. «Je trouve que l’on peut parler ici d’une alchimie de la peinture, née de la tension de chaque instant avec la matière (la matière picturale). C’est la suggestion d’un bain dans l’espace plus vaste que l’infni. Le bleu est l’invisible devenant visible», Nicolas Charlet. Yves Klein sculpteur. (2000). 87. « Par le Bleu, la « grande COULEUR », je cerne de plus en plus « l’indéfnissable » dont a parlé Delacroix dans son Journal comme étant le seul vrai « mérite du tableau», Nicolas Charlet. Yves Klein sculpteur. (2000). 88. « La couleur pure ! Et il faut tout lui sacrifer. Un tronc d’arbre, de couleur locale gris bleuté, devient bleu pur. De même pour toutes les teintes. L’intensité de la couleur (sur la toile) indiquera la nature de chaque couleur (sur le motif). Par exemple la mer bleue aura un bleu plus intense que le tronc d’arbre gris, devenu bleu pur mais moins intense. Voilà la vérité du mensonge. », Paul Gaugin in Diverses Choses, 1896-1897

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Puisque le bleu est présent dans les trois oeuvres analysée pré-cédemment et qu’il faut faire des choix ; dans une allitération ar-tistique et en faisant catalogue de divers importantes figures de l’histoire de l’art, voyons la couleur bleue dans ses diverses expressions et ressentis. Avec Yves Klein on peut penser aux impressions des corps et des performances les initiants mais aussi à ses monochromes. Dans ces deux types de recherches artistiques, la couleur bleue l’IKB, international Klein Blue, cet azur paradoxalement clair et sombre est utilisé. Dans un es-pace intérieur ou extérieur, sur un corps, sur un tableau ou seul sujet, le bleu garde toujours un rapport avec le vide85 comme un infini perceptible86, elle permet de magnifier l’immatériel87. Dans un principe d’équivalence colorée Paul Gauguin a un usage du bleu en opposition à la couleur locale comme on peut le voir lors de sa période polynésienne88. Kasimir Malévitch s’aide du bleu89 pour ériger les « sémaphores du suprématisme », c’est à dire que la couleur par signaux op-tique aide à la communication. Johannes Iten dans une personnalisation de celle-ci accorde à la couleur bleue des états d’âme et des amis90. Avec Marguerite Duras le bleu91 deviens l’entité matière plurielle de son milieu car elle en fait le point de ralliement pour un réseau sémantique. La couleur l’aide à une reconstruction mémorielle issue de la restitution de sa perception enfantine. Ernst Jünger assimile le bleu à l’impression d’une mise à distance, physique qui apporte aussi un recul intellectuel donc une vision plus nette92. Gustave Courbet dans une observation93 relaté par Castagnary94, utilise la couleur bleue comme ouverture aux recherches sur les ombres colorées pour les impressionnistes. Eugène Chevreul95 avec son regard de chimiste chercheur analyse la couleur bleue à travers ses nuances qui


sont produites par son environnement96. L’environnement influe donc sur la perception et aucune perception n’est purement objective puisqu’elle est toujours au sein d’un environnement particulier et chaque spatialité donne donc un sens différent à la couleur, ici bleu, et réciproquement la couleur donne un sens différent à la spatialité. Pour Jean Giono « Le ciel est bleu d’un bord à l’autre ». La puissance d’une chose, sa réalité, ici d’une couleur selon Matisse97 dépend de sa taille et non uniquement de sa symbolique. Johann Wolfganf Von Goethe : « Cette couleur a sur l’oeil un effet étrange et presque indicible. Elle excite et calme tout à la fois. Comme nous voyons en bleu le ciel au-dessus de nous et les montagnes au loin, une surface bleue semble reculer devant nous. De même que nous aimons poursuivre un objet agréable qui nous fuit, nous regardons vo-lontiers le bleu, non pas parce qu’il s’impose, mais parce qu’il nous entraîne ». « En temps que couleur, le bleu est une énergie, mais cette couleur est du côté négatif et, dans sa pureté la plus grande, elle est en quelque sorte un néant attirant. Il y a dans ce spec-tacle quelque chose de contradictoire entre l’excitation et le re-pos (...) Le noir qui s’éclaircit devient bleu (…) Un verre bleu fait voir les objets dans une lumière triste (…) Comme nous suivons volontiers un objet agréable qui fuit devant nous, nous regar-dons volontiers le bleu, non pas parce qu’il se hâte vers nous, mais parce qu’il nous attire». La couleur bleu a aussi intéressé Paul Klee qui attribue une dimension presque mystique à celle-ci en l’assimilant à de la « sorcellerie » avec les différentes réactions visuelles qu’elle peut produire lors de son utilisation et donc de sa visualisation98. En effet le bleu appelle le orange comme Eugène Chrevreul l’avait précédemment analysé et donc Paul Klee assimile la perception des choses à une dualité d’opposés comme ici l’orange appelé par le bleu, on pourrait appeler ça l’osmose des contraires et assimiler donc l’ensemble des précédentes impression sur la couleur bleu à la couleur orange.

89. «Vaincu par le système suprématiste, le bleu du ciel a été troué et a pénétré dans le blanc, véritable représentation de l’infni, et, de ce fait, affranchi du fond céleste en couleur (…) j’ai percé l’abat-jour bleu des restrictions des couleurs, j’ai débouché dans le blanc ; camarades aviateurs, voguez à ma suite dans l’abîme car j’ai érigé les sémaphores du supré-matisme. J’ai vaincu la doublure bleue du ciel, je l’ai arrachée, j’ai placé la couleur à l’inté-rieur de la poche ainsi formée et j’ai fait un noeud. Voguez ! Devant nous s’étend l’abîme blanc et libre», Kasimir Malévitch dans Le Supématisme, 1920. 90. «Quand (le bleu) se trouble, il tombe dans la superstition, la crainte, l’égarement, le deuil (…) Le bleu est toujours l’ami de l’ombre ».Johannes Itten « Art de la couleur », Des-sain et Tolra, 1981, écrit en 1961 91. «Le bleu était plus loin que le ciel, il était derrière toutes les épaisseurs, il recouvrait le fond du monde».Marguerite Duras, L’Amant, 1984. 92. «Le bleu est la couleur des lieux extrêmes et des degrés derniers qui sont fermés à la vie – brouillards s’évanouissant dans l’absence... Il vient à ce à ce qui repose et fuit à ce qui s’agite. Lorsque la couleur rouge apparaît, nous éprouvons un resserrement, un ac-croissement d’intensité dans les contacts. Le bleu, par contre, éveille le sentiment de l’éloi-gnement et du délai. »Journaux de guerre, Tome I, 1914-1918 & Tome II, 1939-1948, Ernst Jünger, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Édition établie par Julien Hervier avec la col-laboration de François Poncet et Pascal Mercier. 93. « Regardez l’ombre, là, dans la neige (…), comme elle ARCHIVES

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est bleue (…) Voilà ce que les faiseurs de neige en chambre ne savent pas. » 94. Jules-Antoine Castagny, ami et défenseur de Gustave Courbet, il est un journaliste et critique d’art français. 1830-1888. 95. Michel-Eugène Chevreul, 1786-1889, est un chimiste français connu pour son travail sur les acides gras, saponifcation, la découverte de la créatine et sa contribution à la théorie des couleurs 96. «Par exemple, un bleu clair mis à coté d’un jaune lui donne de l’orangé, et conséquemment en rehausse le ton, tandis qu’il y a des bleus tellement foncés relativement au jaune qu’ils l’affaiblissent au point que non seulement la teinte orangée ne paraît pas, mais que des yeux sensibles peuvent même remarquer que le jaune est plutôt verdi qu’il n’est orangé ; effet tout simple, si l’on considère que plus le jaune pâlit plus il tend à paraître vert.», De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés, publié en 1839. 97. «Un mètre carré de bleu est plus bleu qu’un centimètre carré de bleu.» p.100 du livre Interpréter l’art contemporain : La sémiotique percienne appliquée aux oeuvres de Magritte, Klein, Duras, Wenders, Chavez, Parant et Corillon, de Nicole Everaert-Desmedt, de Boeck Supérieur, 6 février 2006, 318 pages. 98. « l’effet laissé sur la rétine par un bleu brusquement éloigné après une longue exposition n’est pas bleu mais orangé», chapitre. esquisse d’une théorie des couleurs, page 69 du livre Théorie de l’Art Moderne de Paul Klee, traduit par Henri

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Gonthier, collection Essais, pu-blication originale de 1956.


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La littérature

99. Lors du cours Didactiques du 20 mars 2015 à l’école nationale supérieure de Paris Malaquais.

La sociologue Caroline de Saint Pierre insiste sur le fait que « les mots construisent l’espace autant que les pratiques99». Non seulement l’écriture est un moyen d’imaginer, d’accentuer certaines caractéristiques de milieu mais parfois remplace même le souvenir du lieu. La littérature transforme alors l’espace en lui donnant soit une symbolique autre, soit des impressions de vécu ou une importance à des détails présents ou passé. L’écriture transpose les milieux, leur donne une autonomie, les sublime. De nombreux ouvrages de fiction anticipatrice nous décrivent un monde où la mémoire est manipulée par un pouvoir totalitaire mis en place comme 1984 de George Orwell.

100. dans la revue chimère, revue des schizoanalyses n°45 de l’hiver 2002, pages 101 à 110. L’essai est dans la catégorie esthétique qui est sous la responsabilité de Pascale Cri-ton et Olivier Apprill. Le directeur de la publication est Paul Brétécher et les fondateurs de cette revue trimestrielle sont Gilles Deleuze et Félix Guattari. 101. Jean Luc parant est né le 10 avril 1944 à Megrine, une ville a coté de Tunis. Il vit et travaille dans le sud de la France.Créateur de la Maison de l’art vivant, il est l’auteur d’une centaine de livres. Il travaille sur tout ce qui touche aux sphérités : il écrit sur les yeux et sculpte des boules.

Avec Le Territoire de l’homme100, Jean-Luc Parant101, sculpteur, écrivain et poète français, nous apporte par le biais de l’écriture une nouvelle conception du monde. Le texte est écrit comme un conte africain. Des chapitres courts, d’une dizaine de lignes en moyenne, s’enchaînent comme de longues explications suivant un raisonnement empirique. L’histoire de l’humanité y est expliquée dans son rapport à la planète terre, le jour et la nuit. L’auteur explique la différence entre l’homme et l’animal par le fait que l’homme voit pour exister et parler alors que l’animal voit pour manger. Contrairement aux animaux nous avons une seule forme de corps et Jean-Luc Parant justifie cela par le fait que «nous ne vivons pas sur la terre qui tourne, nous vivons dans notre tête qui pense, nous avons entré la lumière du soleil dans notre tête pour que chacun de nous vive sa propre forme de pensée.», p.102. Les frontières et les territoires sont le sujet de ce texte, les animaux ont des territoires délimités par leurs besoins vitaux : boire, manger, se reproduire. L’homme est partout sur terre car il se nourrit de lumière, c’est la lumière qui lui permet de s’approprier le ARCHIVES

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monde. «Si nous avons notre propre territoire dans la tête c’est parce que nous n’avons plus de place sur terre.», p.101. De ce fait l’homme n’habite pas la terre mais son esprit «nous nous sommes arrêtés dans notre tête et nous avons trouvé en elle un lieu désert où nous pouvons courir les yeux fermés car aucun obstacle ne nous arrête. », p.102 : l’homme se recrée le monde à son image et cela mentalement grâce à son imagination. L’imagination est en quelque sorte la vue augmentée. Le rapport de l’homme à son territoire a cependant changé lorsqu’il a créé des machines pour se rapprocher de tout comme si ces machines étaient munies du sens de notre vue. Pour voyager, il a créé des machines comme des animaux apprivoisés et s’en inspirant : «une infinité d’espèces de machines ont envahi la terre, l’eau et l’air et envahiront la lumière du feu comme les animaux du futur», p 110. Ces machines sont les hommes des animaux car si l’humanité est née d’une infinité d’espèces animales, une infinité d’espèces de machines naîtront de l’humanité.

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Le théâtre et le cinéma

Le film Blade Runner102 décrit un monde futuriste où une société tente de faire des robots à l’image de l’être humain. L’unique test pour savoir si le corps appartient à une âme ou à une société est une série de questions concernant la mémoire ancienne, les souvenirs. Or les robots les plus élaborés ont une fausse mémoire qui leur a été « pluggée », installée. Dans ce film c’est la conscience appuyée de la capacité de mémorisation qui donne l’humanité aux robots. Tirée du film Blade Runner, l’image ci-contre est le moment où le personnage principal pose une série de questions relative à la mémoire pour savoir si la personne qu’il interroge est un humain. Il est aidé par une sorte de caméra qui filme la pupille de la personne questionnée.

102. Film américain de science fction réalisé par Ridley Scott, 1982.

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La géographie

103. Antoine de SaintExupéry, Le Petit Prince, 1984, Folio Junior.

104. « L’épistémologie implique quelque recul par rapport à la vieille question des rapports entre l’Homme et la terre, ce que certains auteurs dénomment interface nature-culture que l’on a pu pousser parfois jusqu’au domaine « politicogéologue » en montrant que l’on ne vote pas de la même façon sur le granite et sur le calcaire ! »Antoine S. Bailly & Robert Ferras. éléments d’épistémologie de la géographie. (Armand Colin, 2014, p.7. 105. p.6 106. Gaston Bachelard. La poétique de l’espace. (Presse Universitaires de France, 1983), p. 168.

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Pour expliquer l’importance de la géographie aux enfants on peut entendre que « Les géographies sont les livres les plus précieux de tous les livres. Elles ne se démodent jamais. Il est très rare qu’une montagne change de place. Il est très rare qu’un océan se vide son eau. Nous écrivons des choses éternelles. »103 . L’histoire des lieux est alors inscrite par ces immensités physiques or la géographie ne parle pas uniquement d’océans immuables et indémodables. L’épistémologie de la géographie permet d’expliquer comment une bonne compréhension de la géographie permet de savoir le pourquoi des comportements humains dans certains lieux. Il faut cependant faire attention a ne pas tomber dans la stigmatisation et donc il faut rendre du recul grâce à l’épistémologie104. Qu’est-ce que l’épistémologie de la géographie ? Le livre d’Antoine S. Bailly et de Robert Ferras « éléments d’épistémologie de la géographie » sorti chez Armand Colin en 2014 nous en propose une définition : « la nécessaire réflexion épistémologique a trou-vé sa place, analysant le discours (logos) sur la science (épisté-mé) et la production du savoir géographique »105 L’imagination contemple la grandeur « Quand cet ailleurs est naturel, quand il ne se loge pas dans les maisons du passé, il est immense. Et la rêverie est, pourrait-on dire, contemplation première. »106 De façon générale, la description de la ville est à la mesure du paysage or le paysage statique n’existe pas. Le « Syndrome de Bali » est une tentative de codifier la reterritorialisation des espaces touristiques en mettant l’accent sur la tendance de plus en plus marquée vers des formes extrêmes de ségrégation spatiale évidente au sein de ces destinations. Le cas de Bali est un cas très marquant du XXème siècle et c’est pourquoi qu’à la suite d’articles traitant de la ville, le nom, au delà du cas est devenu un exemple de, une référence. Le cas de Bali est abordé comme un exemple illustratif où sont examiné certains aspects de l’espace, l’organisation des paysages


touristique en développement et, l’émergence croissante des divisions fonctionnelles et parfois même physique entre la dernière génération d’enclaves dorées et le territoire environnant. L’explosion des espaces touristiques avec leur colonisation progressive et la transformation de nouvelles portions du territoire local, est également accompagné d’un parallèle implosion de spatialités dans les micro-univers touristiques distincts. Une implosion qui tente de capturer et de reconstruire une dé territorialité avec une essence et place intemporelle. Cette intemporalité est due à la mondialisation de l’identité, de l’image collective de ces destinations touristiques que chacun veut pré-servé sous une cloche de cristal. Les villes de Paris et Venise sont en train d’être elles aussi touchées par le syndrome de Bali. Paris souffre de ce syndrome non pas imposé par les touristes mais par les habitants de la ville107. Lors d’un Workshop à Venise108 le constat a été fait que les touristes venant visiter la ville, ne la visitent pas mais la pratique en tournant autour dans de grands Ferry desquels ils peuvent voir la Piazza St Marco ou traversent la ville de la gare à la dite place. Le tourisme développe alors toute une économie de vente de souvenirs et de location d’appartements qui rend une pratique de ce milieu difficile pour les individualités qui veulent y vivre de façon pérenne puisque tout les services qui y sont développés sont dans une logique de consommation immédiate. Pour une idée romantique inscrite dans la pensée collective mondialement, une ville se vide de ses habitants. Le passage de la mémoire individuelle à la mémoire collective se développant à une rapidité incroyable avec les réseaux sociaux109, tout le monde veut avoir sa photographie110 avec son chaton, avec la tour eiffel, avec une gondole, avec un singe et caetera. Et cette vulgarisation culturelle fait peur et incite de plus en plus de personnes à défendre des valeurs identitaires.

107. Les projets contrecarré par l’opinion Parisienne sont très nombreux, dans les plus célèbres on peut retrouver ceux de la tour Triangle, de la Samaritaine... 108. Septembre 2015, Tourist Landscape, IUAV

109. Facebook, instagram, tweeter, vine 110. A80 de selfies

Le problème n’est pas dans la nécessité de revendiquer une identité, une mémoire appartenant à un groupe mais ce sont les dérives qui exacerbées se retranscrivent politiquement dans des groupes de personnes qui tombent dans une peur de l’autre et avec un ostracisme dur s’isolent et défendent avec violence une identité qui a alors perdue son sens premier.

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LE SUBLIMINAL ET L’ESPACE

Conclusion

C’est l’espace11 qui nous fait et pour c’est pourquoi l’humain et l’espace qui l’entoure dépendent l’un de l’autre et s’auto-influent. Le poète Jean Michel Maulpoix pose la question « De qui, de quoi êtes-vous le contemporain ? », cette question n’est pas seulement poétique, mais également sociologique, philosophique, existentielle et donc obligatoirement architecturale dans tout son caractère éphémère du monde contemporain. La question de l’instinct comme choix architectural112 est fondamental car cet instinct est au final une forme d’inconscience involontaire de conscience et d’application sensible de savoirs. L’instinct est formidable car il a été mais aujourd’hui, avec les avancées du monde scientifiques, l’instinct n’est plus. Il n’en est pas pour autant compris, il reste toujours mystérieux et unique à chacun mais l’instinct dans son sens premier113, appliqué à une volonté architecturale n’existe plus, il a évolué, il est scientifiquement, humainement, sociologiquement explicable par un apprentissage, peu importe le médium. La destinée qui règle notre véritable existence émane finalement de cette volonté « apparaissant comme destinée »114. Volonté qui peut alors être influée ou dépendre de spatialité vécue au passé comme au présent et imaginée. Cette approche de la spatialité n’est pas un idéalisme à voir l’architecture en toute chose même si Kant avec son idéalisme transcendantal aborde les phénomènes en tant que représentations de l’esprit. À l’inverse, les spatialités ici abordées sont des représentations de l’esprit, abordées en tant que phénomènes distincts, mais découlant de logiques antérieures similaires de questionnements de spatialité et c’est pourquoi l’ensemble de ces recherches n’est pas un utopisme dogmatique mais un ensemble de constats appuyant le fait que la spatialité n’est pas qu’un terme générique mais possède encore de multiples dimensions et garde sa richesse inconnue car incommensurable.

111. Comme défnit par Caroline de Saint Pierre et Orfina Fatigato dans leur cours de Didactiques de avril 2015 à l’école Paris Malaquais, l’espace donc du point de vue anthropologique qui n’existe pas mais prend sens « d’espace en situation » avec un contexte qui est un espace temps social et politique infuencé par des facteurs symboliques. Le lieu en situation est traversé par des dynamiques, des process, des logiques de différents acteurs s’affrontant, se confrontant, échangeant quelque soit l’échelle de temps et tout cela sans perdre la question de la mémoire d’identité spatiale. 112. Anne Bosset dans le cours Didactiques de mars 2015 à l’école Paris Malaquais prend comme exemple la Summerhill School avec ses techniques d’apprentissage libertaire ba-sées sur l’instinct. 113. Ensemble des comportements animaux ou humains, caractéristiques d’une espèce, transmis par voir génétique et qui s’exprime en l’absence d’apprentissage.définition du dictionnaire Le petit Larousse, 2015 114.Arthur Shopenhauer, est et m, p18 ARCHIVES

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Greg Dunn, sans titre cette oeuvre représente le réseau de neurones de l’hippocampe, une structure du cerveau des mammifères.

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collage, anonyme, date inconnue, pinterest aout 2015.

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Jean Tinguely, She A Cathedral,1966.

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Edgar Monet, la cathĂŠdrale de Rouen, le portail et la tour Saint Germain, soleil matinal, harmonie bleue, 1894.

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Edgar Monet, la cathĂŠdrale de Rouen, le portail et la tour Saint Germain, effet du matin, harmonie blanche,1894 ARCHIVES

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Paul Gauguin, 1981.

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Paul Cézanne, 1896, le lac d’Annecy.

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illustration du national geographic du 5 aout 2014.

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Pavage, photo personnelle, Naples, novembre 2015.

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Superstudio quaderna furniture range, circa, 1970. ARCHIVES

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Yaacov Agam, 4 Themes Contrepoint, 1928.

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Vintage surreal print “prenology chart” antique medical illustration Telling Occult Anatomical - Head Skull Gothic Dark VIctoria.

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Vintage medical illustration book pages set vision hearing digestion. ARCHIVES

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Tymek Jezierski, personal, 2015.

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Les Shadocks en grande pompe : les personnages, leurs devises, leurs inventions par Jacques Rouxel, ĂŠditeur Circonflexe, 2012.

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