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S’INFORMER JEU : « Démasquons les stéréotypes ! » FICHE

INTRODUCTION

Regardons notre Histoire dans le miroir

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Le 25 mai 2020 à Minneapolis, Georges Floyd, Africain Américain de 38 ans est tué par un policier blanc lors de son interpellation. Dès le lendemain, des manifestations éclatent aux États-Unis et ont un écho partout autour du globe. Le mouvement Black Lives Matter (« la vie des Noir·e·s compte ») né en 2013 en réaction aux violences policières à l’égard des personnes noires y tient une place prépondérante : ce mouvement dénonce depuis de nombreuses années le racisme systémique à l’encontre des Noir·e·s et les violences institutionnelles qui lui sont associées. Le 6 juin 2020, en Belgique, plus de dix mille personnes se rassemblent en protestation devant le Palais de Justice à Bruxelles 1. Chez nous aussi l’antiracisme semble gagner en consistance : certains sujets, débats et concepts sont de plus en plus discutés, mobilisés et audibles. Comment comprendre le racisme, le percevoir ? Quels sont ses effets et ses diverses formes aujourd’hui ? Quel est son lien avec notre histoire coloniale ? Comment le combattre ? Ce numéro du Monde en Classe a pour ambition de vous proposer une série de pistes pédagogiques qui vous permettront d’amener ces questions en classe. Mais d’abord, pointons dans cette introduction une série d’éléments essentiels liés à ces enjeux.

1. C.S, « Black Lives Matter, près de 10 000 personnes rassemblées », Le Soir, www.lesoir.be, (consulté le 11/11/21)

cc Entnazifizierung

La nécessité de mieux comprendre la notion de racisme

Si le racisme est un mot connu par tout·e adulte, sa compréhension est souvent limitée voire erronée. Or, afin de le combattre, il est indispensable d’en appréhender toutes les dimensions. Celui-ci revêt d’abord une dimension morale très forte : le racisme moral est le fait d’individu·e·s ayant des comportements

INTRODUCTION

condamnables car ouvertement racistes et basés sur leurs stéréotypes, préjugés et biais. Il s’agit généralement de formes faciles à identifier (visibles) et qui comportent une intention (des insultes, l’agression, la moquerie, les blagues…).

Cette perception morale est une vision déconnectée de l’histoire et des rapports sociaux de pouvoir. Or le racisme « dépasse la question de notre intention individuelle » 2. Une telle compréhension ne permet pas de concevoir le racisme comme institutionnel, à partir de normes qui, sans qu’il y ait nécessairement une intention derrière, sans pouvoir directement identifier quelqu’un à leur origine, produisent des effets délétères sur la vie des personnes racisées. Au-delà du rejet de la différence, le racisme est en fait un « système de domination qui crée et hiérarchise ces différences » 3. Ainsi, il est essentiel d’avoir une lecture systémique du racisme et de le comprendre comme une réalité de masse qui a des implications en termes de pouvoir ou de répartition des ressources 4 .

L’omniprésence du racisme

Le racisme (et la violence qui l’accompagne) est présent et agit dans tous les pans de nos sociétés. Les violences policières en sont l’illustration la plus sanglante et la Belgique n’est pas exempte de « ses » Georges Floyd. On pense à Semira Adamu, Lamine Bangoura, Medhi Bouda, Adil Charrot, Mawda Shawri… des cas souvent accompagnés par « un silence médiatique et un déni de justice » 5. Cette violence systémique a d’autres facettes plus difficiles à déceler que le contrôle au faciès : discrimination à l’emploi (en Belgique les Afro-descendant·e·s ont quatre fois moins de chances d’obtenir un emploi alors que leur niveau de qualification est supérieur à la moyenne 6), discrimination dans l’accès au logement… et même dans l’enseignement. En effet, UNIA met en lumière dans son dernier baromètre 7 que l’école participe aux discriminations et à la reproduction des inégalités. Par exemple, on remarque que les préjugés et les stéréotypes jouent un rôle, à résultats scolaires identiques, sur l’orientation : « De manière inconsciente souvent de la part du personnel enseignant, l’origine sociale ou ethnique peut jouer un rôle déterminant quant aux décisions prises ». C’est aussi bien souvent à l’école que les enfants font leurs premières expériences du racisme. Que ce soit dans le « D’où viens-tu? » posé le jour de la rentrée à l’enfant non blanc·he qui n’a jamais vécu qu’en Wallonie ou bien via les remarques ou regards de camarades de classe ; les élèves non blanc·he·s sont objets du processus de racialisation 8 (le processus de racialisation s’applique aussi sur les élèves blanc·he·s étant donné qu’en définissant les un·e·s comme « non blanc·he », le processus de racialisation construit aussi et implicitement les autres comme « blanc·he·s »). Dans les années 1950, une psychologue du nom de Mamie Phipps Clark demandait à des enfants non-blanc·he·s de choisir la poupée qu’iels préféraient entre une poupée noire et une poupée blanche. Les résultats sont accablants : la quasi-totalité des enfants désigne la poupée blanche 9. Cette étude, tout comme celle menée par Mireille Tsheusi Robert en 2015 sur les images de St Nicolas et du père Fouettard 10 , démontrent l’intériorisation de stéréotypes et préjugés raciaux chez les enfants dès le plus jeune âge.

2. Kalvin Soiresse Njall, « L’histoire coloniale, outil de lutte contre le racisme », ÉDUQUER, n° 158, Décembre 2020, 20.

3. Nicolas Rousseau, « Des parapluies usés pour entretenir l’ignorance blanche », BePax, Signe des temps, n° 3, 2020, 14.

4. Pour plus de lectures sur la compréhension du racisme, allez voir à la page « Références ».

5. Estelle Depris, Ghalia Djelloul, Anne Ngueping et Nicolas Rousseau, « De Lamine Bangoura à George Floyd : quête de justice et de résilience face à la déshumanisation des corps noirs », site de BePax, 29/04/2021, bepax.org, (consulté le 18/11/2021) 6. Demart S., Schoumaker B., Godin M., Adam I., « Des citoyens aux racines africaines : un portrait des Belgo-Congolais, Belgo-Rwandais et Belgo-Burundais », Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, p. 206-207.

7. UNIA, Baromètre, « Diversité et enseignement », 2018.

8. Nous nous sentons bien souvent démuni·e·s pour repérer et réagir aux violences racistes dans la classe. Nous conseillons vivement à cet égard la formation donnée par BePax « Racisme à l’école ». Les informations pratiques se trouvent à la page « Références ».

9. Voir cette vidéo explicative : « Mamie Phipps Clark – Psychologue des effets du racisme » sur www.youtube.com.

10. Mireille Tsheusi Robert, Ma Couleur de peau n’est pas un déguisement, BAMKO-CRAN, 2019. Pour des informations sur le contenu de cet ouvrage, il est possible d’aller lire l’interview réalisée par BePax : bepax.org/publications/pere-fouettard-saint-nicolas.

INTRODUCTION

En réalité, nous sommes tou·te·s empreint·e·s de stéréotypes racistes. Un autre exemple classique est de vous demander : entre une école constituée essentiellement d’enfants blanc·he·s et une école constituée majoritairement d’enfants noir·e·s, quelle école, allez-vous penser intuitivement, est la « meilleure » ?… D’où cela nous vient-il ? Pour bien comprendre d’où nous viennent ces imaginaires et ces impensés racistes, il faut nous tourner vers l’histoire.

Un passé agissant très concrètement sur le présent

Partout sur la planète, le racisme tue. Si le mouvement antiraciste gagne en visibilité ces dernières années, on observe aussi une recrudescence des mouvements nationalistes et identitaires, prônant le repli sur soi et pointant les étranger·e·s et les personnes non blanches comme boucs émissaires 11. Ici, l’histoire de la colonisation du Congo, Rwanda et Burundi par Léopold II puis la Belgique fait débat sur bien des aspects et ce malgré un consensus global entre historien·ne·s sur les évènements de l’histoire coloniale. Pourquoi ? Car la méconnaissance de l’histoire coloniale belge (en 2008 une étude 12 démontrait qu’un quart des étudiant·e·s sorti·e·s de l’enseignement secondaire belge ignorait que le Congo avait été une colonie belge), les manquements et incohérences des programmes d’histoire ainsi que la persistance des mythes imposés par la gigantesque machine de propagande coloniale, ont des effets très concrets sur notre société aujourd’hui : on parle de continuité coloniale, pour pointer le fait que les indépendances du Congo (1960), du Rwanda et du Burundi (1962) ne se sont pas accompagnées d’une décolonisation des esprits et des structures sociales. En Belgique encore, les exemples ne manquent pas : l’espace public (statues et monuments à la gloire de Léopold II, de Stanley…), le folklore belge (personnage du sauvage à Ath, les Noirauds, le père fouettard…) ou ces jeunes qui scandent au festival Pukkelpop, « Handjes kappen, de Congo is van ons » – couper les mains, le Congo est à nous – témoignent et « prouvent que la propagande coloniale continue d’avoir aujourd’hui des effets dévastateurs » 13 .

Un groupe d’expert·e·s du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) indique dans un rapport datant du 11 février 2019 que « la discrimination raciale est endémique dans les institutions »14 en Belgique. Et il ajoute que : « les causes profondes des violations contemporaines des droits de l’homme résident dans le manque de reconnaissance de l’ampleur réelle de la violence et de l’injustice de

11. Voir à ce sujet cette courte vidéo : « La migration n’est pas une crise » sur www.youtube.com.

12. Nico HIRTT, Seront-ils des citoyens critiques? Enquête auprès des élèves de fin d’enseignement secondaire en Belgique francophone et flamande, Bruxelles, Appel pour une école démocratique, septembre 2008, p. 8. 13. CMCLD, « Apologie raciste des mains coupées au festival Pukkelpop : la déconstruction de la propagande coloniale est une urgence », 21/08/2018, www.memoirecoloniale.be/communiques/ communique-apologie-raciste-des-mains-coupees-au-festivalpukkelpop-la-deconstruction-de-la-propagande-coloniale-estune-urgence

14. Déclaration aux médias du Groupe de travail d’expert·e·s des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine sur les conclusions de sa visite officielle en Belgique du 4 au 11 février 2019. Disponible sur : www.ohchr.org

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