Perception et critique de l’espace public selon Camillo SITTE

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MIQUET Colin

Perception et critique de l’espace public selon Camillo SITTE sa pertinence du XIXe siècle à aujourd’hui

L6V2 / Approches théoriques de l’architecture Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble



Mots-clefs : Camillo Sitte, Colin Rowe, Rem Koolhaas, espace public, critique, urbanisme, Junkspace, Collage city, L’art de bâtir les villes.

Introduction Depuis qu’on s’intéresse et qu’on tente de planifier la ville, on lui fait préjudice. Autrement dit, depuis la naissance de l’urbanisme, il ne cesse d’être l’objet de critiques, et Camillo Sitte a été l’un des premiers à soulever des points qui n’ont cessé d’être repris. Comment sa pensée continue d’être pertinente plus d’un siècle plus tard ? Né en 1843, Camillo Sitte est l’architecte viennois à qui l’on doit l’ouvrage L’art de bâtir les villes - L’urbanisme selon ses fondements artistiques en 1889. Fils d’architecte et fort de nombreux voyages, universitaire de renom, il est directeur de l’École Impériale et Royale des Arts Industriels de Vienne qu’il a créé lorsqu’il écrit ce livre. Cet ouvrage fait date dans l’histoire de l’urbanisme car il est l’un des premiers véritable pamphlet de l’urbanisme naissant. Sans en avoir le ton, il a cependant tout le fond d’une critique violente des méthodes d’urbanisme. En effet, camouflé sous la forme d’une méthode d’analyse des espaces publics des centres villes anciens, cet ouvrage condamne toutes les méthodes d’urbanisme ex nihilo contemporaines de son auteur, et défend une démarche éclairée d’une connaissance totale des méthodes historiques de conception. Sans tomber dans l’historicisme aveugle, Camillo Sitte propose au contraire une analyse simple de ce qui est beau, pour en tirer des principes à réutiliser intelligemment dans l’urbanisme moderne : l’histoire comme pensée critique. Avec cet ouvrage, Camillo Sitte lance la première grande critique de l’urbanisme. Cet outil révolutionnaire qui fait alors ses premiers pas, n’a à l’époque pas encore été autant remis en question. Ainsi il part en éclaireur de la 1


critique urbanistique, et plus d’un siècle plus tard celle ci ne cesse d’affluer. Il est alors intéressant de constater que le reproche que fait l’auteur est celui d’un manque de respect, de compréhension et d’appropriation des méthodes de conception ancestrales. Et encore aujourd’hui se pose la question de la qualité de nos espaces publics en vis à vis de ceux des anciens : comment faire aussi bien ? Comment pouvaient-il créer de si merveilleuses choses sans les outils théoriques et technologiques dont nous disposons ? Ainsi il est intéressant de comparer son analyse et sa pensée, sa perception et sa critique de l’espace public avec ceux d’auteurs plus contemporains. L’espace public a été l’objet d’éternelles critiques et remises en question, et ce de la fin du XIXe siècle à nos jours. Seulement voilà, la ville a changé. Ainsi, Colin Rowe dans Collage City en 1978 analyse la ville américaine, la ville « nouvelle » en opposition à la ville ancienne, celle qui a fait l’objet d’une planification aujourd’hui dépassée. De son côté, Rem Koolhaas, dans Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain publié en 2011, se concentre sur l’urbanisme contemporain en général, et les déchets spatiaux qu’il produit. Le plan de cet article sera donc celui d’une courte analyse de ces trois ouvrages, de ces trois projets, de ces trois pensées.

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Camillo Sitte : pensée et critique de l’espace public au XIXe siècle

SITTE C., L’art de bâtir les villes - l’urbanisme selon ses fondements artistiques, Paris, Le Seuil, 1996, p. XXIII. 1

Cet ouvrage fait date dans l’histoire de l’urbanisme. Publié plus de 20 après la Teoría General de la Urbanización de Cerdà, il fait état d’une nouvelle méthode d’urbanisation basée sur une analyse de l’existant, l’histoire de la ville et ses antécédents culturels et artistiques. De plus, il est l’un des premiers à critiquer l’espace public « moderne » en le comparant à celui des villes anciennes. Et l’un des premiers à remettre en question les principes de l’urbanisme naissant en comparant ses espaces à ceux créé « vernaculairement » par les Anciens. En analysant de façon pragmatique les rues et places des centres anciens, il arrive à contester les méthodes de ses contemporains et ainsi faire évoluer l’urbanisme. Selon lui, au lieu de s’entêter à créer un style complètement nouveau et reflet de la puissance industrielle de son époque, on devrait humblement s’inspirer simplement de ce qui est beau et hospitalier pour créer une ville meilleure. Selon Sitte, l’urbanisme de son époque n’a pour but que la résolution d’un problème technique (gestion de la surpopulation et assainissement) et non la construction d’une œuvre artistique capable de générer un effet créant l’émotion chez l’usager.

Il nous a semblé opportun de tenter d’étudier un certain nombre de belles places et d’ordonnancements urbains du passé, afin de dégager les causes de leur effet esthétique. Car, ces causes une fois connues avec précision, il serait possible d’établir une somme de règles dont l’application devrait permettre d’obtenir des effets analogues et tout aussi heureux1.

Cette analyse défend la place de l’art dans le projet urbain. L’auteur y évoque donc de nombreuses références de beauté, d’esthétisme, de chef d’œuvres artistiques différents mais toujours en rapport avec leur place dans la ville : par exemple, le David de Michel-Ange et son placement originel sur la Piazza della Signoria à Florence. Selon l’auteur, les villes qui se construisent à son époque, 3


bien que viables, ne sont pas belles. Or, « une cité doit offrir à ses habitants à la fois la sécurité et le bonheur »2, préciset-il en citant Aristote. Et le bonheur passe nécessairement par l’art, la beauté, et c’est cela qui fait défaut : les villes apportent la sécurité sanitaire mais non la beauté artistique. Ainsi, en partant du constat de la pauvreté des aménagements de ses contemporains, Camillo Sitte montre comment appliquer certains principes des villes anciennes aux projets de son époque. Sans chercher à convaincre ou à critiquer, il présente plusieurs analyses concrètes dont il tire de simples règles qu’il applique ensuite à des projets en cours, avec succès. Grâce à l’efficacité de sa démonstration et la simplicité des principes qui en découlent, Camillo Sitte a prouvé que toute intervention urbaine ne pouvait se passer d’une analyse des façons de faire antérieures. Dans le contexte de son époque, de forte volonté de nouveauté et de trouver le style du modernisme, cette démarche complètement à contrepied n’était pas des plus évidentes. Pourtant, aujourd’hui, c’est cette idée d’un urbanisme en accord avec l’existant, et dans sa continuité, qui domine. Un urbanisme qui ne passe donc pas sans une compréhension totale de la ville et de sa construction.

Colin Rowe : pensée et critique de l’espace public au XXe siècle Colin Rowe est un critique d’architecture anglais de la seconde moitié du XXe siècle. Son ouvrage Collage city édité en 1978 a également eu une très grosse influence sur la façon de construire la ville. En effet, il prend une position en apparence très neutre puisqu’il défend la construction d’une ville hétéroclite, mélangeant toutes sortes d’influences passées, présentes et futures sur le principe métaphorique du collage. Cette position qui peut sembler un peu simpliste au premier abord prend toute son ampleur à la suite de la démonstration de l’auteur. En effet, il ne dévoile sa courte proposition qu’au terme d’une démonstration de 4 chapitres rendant implacable sa conclusion. Pour preuve, ce livre a eu une influence majeure sur des architectes comme Peter 4

SITTE C., L’art de bâtir les villes - l’urbanisme selon ses fondements artistiques, op. cit., p. 2. 2


Eisenman et l’ensemble du mouvement déconstructiviste. Son raisonnement est simple. Après la démonstration de la vanité des villes utopiques du début du XXe siècle, l’auteur évoque l’objet de sa critique : l’urbanisme moderne. ROWE C., Collage City, Paris, Infolio, 1978, p. 65. 4 Ibid., p. 80. 5 Ibid., p. 87.

Systémiques ou néofuturistes, les productions de la science-fiction ont les mêmes carences que celles de la Ville radieuse - indifférence au contexte, méfiance par rapport au continuum social, emploi de modèles symboliques de l’utopie à des fins littérales, conviction que l’on peut faire disparaître la ville existante. Et si la Ville radieuse est aujourd’hui considérée comme un mal absolu, générateur de trauma et de désœuvrement, il n’est pas facile non plus de voir comment la sciencefiction aurait pu y remédier 3. Pourquoi serions- nous obligés de préférer les nostalgies de l’avenir à celles du passé4?

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C’est notamment la pauvreté de l’espace public créé par les objets disparates issus de l’architecture moderne que l’auteur déplore.

La désintégration de la rue semblait inévitable, et ce, pour deux raisons majeures : l’émergence des types de logements nouveaux et rationalisés, et les nouvelles contraintes de l’automobile5.

Cependant il ne la condamne pas pour autant, mais en comparant les logiques de composition d’espaces publics anciens et contemporains, il démontre que la démarche moderne ne sert pas l’espace public.

D’un côté de l’équation, le bâti s’isole et s’affirme ; de l’autre, l’isolement d’espaces identifiables réduit (ou élève) le bâtiment au statut d’un simple remplissage. Le bâtiment comme remplissage ! L’idée peut paraître déplorablement passive et empiriste. Car, finalement, en dépit du fait qu’ils privilégient l’espace, ni l’hôtel de Beauvais ni le palais Borghese ne sont « mous » ; ils

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Plans de la Villa Savoye et de l’hôtel de Beauvais, 1:500 Sources : http://www.cadastre.gouv.fr/ http://aa-joseph-vallot. blogspot.fr/2011/05/histoirede-larchitecture-partie-2-le. html http://www.flickr. com/photos/ ruamps/5886794673/ sizes/l/in/photostream/

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s’affirment tous deux par des façades de représentation, en passant de la figure-façade à la figure-cour. Et dans ce contexte, bien qu’elle ne soit pas une construction aussi simpliste que nous l’avons laissé supposer, les arguments de la villa Savoye nous paraissent ici secondaires6.

Colin Rowe fonde ainsi son argumentaire sur une analyse comparative très simple de deux projets qui symbolisent deux époques différentes. Sa démarche se rapproche donc de celle de Camillo Sitte, mais en approfondissant plus l’aspect comparatif. En effet, là ou C. Sitte analysait des projets anciens en condamnant sans vraiment de justification des projets contemporains, ici C. Rowe fait l’effort de donner à chacun des deux projets une importance égale afin de mieux démontrer les points forts et les points faibles de chacun. ROWE C., Collage City, Paris, Infolio, 1978, p. 111. 7 Ibid., p. 191. 6

Ce qui est intéressant c’est que la conclusion de leur réflexion est similaire. Camillo Sitte place son argumentaire dans une démarche d’analyse/principes/réutilisation dès le début de son ouvrage. C’est donc une démarche qui tend à prouver que l’urbanisme contemporain ne doit pas ignorer les savoir-faire anciens et toujours s’en inspirer. Or, la conclusion de Collage City n’est pas très éloignée. Colin Rowe y démontre la nécessité de la conception de l’urbanisme comme un collage. La ville-collage serait une ville hétérogène aux multiples influences créant de multiples ambiances, cadres de vies, activités, cultures, et donc une grande hospitalité. Mais il ne parle pas tant d’une multiplicité d’éléments de cultures différentes que de temps différents. Nous pensons que le collage, qui recrute des objets ou les extrait de leur contexte, est - à l’heure actuelle - le seul moyen d’aborder le problème de l’utopie et/ou de la tradition. Les objets en question peuvent être aristocratiques ou « folkloriques », académiques ou populaires ; qu’ils viennent de Pergame ou de Dahomey, de Detroit ou de Dubrovnik, qu’ils relèvent du XXe ou du XVe siècle est sans importance. Les sociétés et les personnes se rassemblent selon leurs propres interprétations de la référence et de la valeur absolues ;

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et, dans une certaine mesure, le collage s’accommode à la fois du métissage et du libre arbitre7.

Ainsi ces deux auteurs, avec un siècle de différence, s’attachent à la même démonstration : l’urbanisme de leur temps se détache trop des accomplissements de l’histoire. Ils cherchent donc à encourager les urbanistes à prendre du recul sur leur domaine et sur ce qui y a déjà été accompli, soit en y puisant des principes de composition soit en le respectant suffisamment pour lui laisser une place digne dans le tissu urbain.

Rem Koolhaas : pensée et critique de l’espace public au tournant du XXI siècle Publié en 2011, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain est un recueil d’essais dont le premier, Bigness, date de 1995. Cet ouvrage dénonce ce que Koolhaas abordait déjà dans New York Délire en 1978. C’est à dire la démocratisation d’une architecture décontextualisée, dépassant l’échelle humaine et participant à un concours de performance technique sans intérêt, dont il a été témoin dans la ville de New York. L’objectif de cet ouvrage est donc de théoriser ces notions qu’il a déjà abordé, et il « tente de définir respectivement les fondements de l’architecture, de la ville et de l’espace qui les caractérise »8. Il s’agit donc d’un arrêt sur image et d’une critique de l’architecture actuelle et de ses déviances, une critique justifiée mais qui n’a pas la prétention de donner de solution, seulement le recul nécessaire à une réflexion. Ce recueil est donc constitué de trois essais de Rem Koolhaas. Le premier, Bigness ou le problème de la grande dimension (1995), aborde cette notion nouvelle de « grandeur » architecturale. Il parle ici du genre architectural « corrompu » par toutes les avancées technologiques de ce siècle. Des découvertes qui viennent comme annuler des millénaires de principes architecturaux grâce à de la technique. Des machines qui remplacent des procédés spatiaux, qui appauvrissent de fait la conception de l’espace au profit d’une image creuse et dénuée d’intérêt, si ce n’est 8

KOOLHAAS Rem, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivage, 2011, p. 13. 8


Coupe du centre Georges Pompidou (1977), premier Bigness d’Europe selon Rem Koolhaas. Source : http://www.richardrogers.co.uk/ render.aspx?siteID=1&n vIDs=1,4,23,374,376&show mages=detail&sortBy=&sor Dir=&imageID=23

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celui d’être comparé aux images renvoyées par d’autres de ces architectures. Cependant, le ton de cet essai n’est pas encore tout à fait fataliste :

Par la contamination, plutôt que par la pureté, par la quantité plutôt que par la qualité, seule la Bigness peut faire vivre des relations authentiquement nouvelles entre des entités fonctionnelles qui étendent leur identité plutôt que de la limiter9.

En associant beaucoup de programmes indépendants, la Bigness crée des interactions riches et de nouveaux évènements : elle « revient à un modèle de programme alchimique »10 et selon ces programmes la Bigness régule l’intensité de leur coexistence. En somme la Bigness n’est rien d’autre que l’architecture adaptée à notre mode de vie contemporain. Dans La ville générique (1995), l’auteur change d’échelle et de ton en décrivant le type de ville créé par l’architecture Bigness. Le constat est donc le même mais à l’échelle de la ville : perte de tout lien avec le contexte et l’histoire, des techniques qui ont remplacé des procédés urbains, créant un espace public pas forcément adapté et un type d’étalement urbain à l’épreuve de tout et qui se répand sans limite sur la planète. Le ton tant qu’à lui, devient gratuitement celui d’une énumération de brefs constats énoncés tels des dogmes et dont l’auteur ne tire aucune conclusion.

La grande originalité de la Ville Générique est d’abandonner tout simplement ce qui ne marche pas - ce qui a survécu à son usage -, de défoncer le bitume de l’idéalisme avec les marteaux-piqueurs du réalisme et d’accepter tout ce qui pousse à sa place. En ce sens, la Ville Générique accueille aussi bien le primitif que le futuriste - et, en fait, seulement eux deux11.

La rue est morte. Cette découverte a coïncidé avec des tentatives frénétiques pour la faire renaître. L’art public est partout - comme si deux morts faisaient une vie. La piétonisation - censée préserver - ne fait que canaliser le flot de ceux qui sont voués à fouler aux pieds l’objet qu’ils voulaient honorer12.

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KOOLHAAS Rem, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivage, 2011, p. 39. 10 Ibid., p. 39. 11 Ibid., p. 55, sans doute en référence à Collage City. 12 Ibid., p. 56. 9


Plan de New York de 1763, la Ville Générique par excellence. Source : http://clioweb.free.fr/carto/ cartohist.htm

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Comme de vieilles mères qui nourissent toujours leurs embryons titanesques, des villes entières sont construites sur des infrastructures coloniales dont les plans ont été conservés par les anciens oppresseurs rentrés chez eux13.

Toute résistance au postmodernisme est antidémocratique. Il crée une enveloppe « furtive » autours de l’architecture, qui le rend irrésistible, comme le cadeau de noël d’une institution de bienfaisance14.

Regretter l’absence d’histoire est un réflexe lassant. Il révèle un consensus silencieux selon lequel la présence de l’histoire serait souhaitable. Mais qui dit que c’est le cas ? Une ville est une surface plane habitée, de la manière la plus efficace, par des gens et des processus et, dans la plupart des cas, la présence de l’histoire ne fait que diminuer sa performance15...

La ville était jadis le grand terrain de chasse sexuel. La Ville Générique est comme une agence de rencontres : elle relie efficacement l’offre et la demande. L’orgasme au lieu de l’angoisse : il y a bel et bien un progrès. Les possibilités les plus obscènes sont présentées avec la typographie la plus sage ; Helvetica est devenue pornographique16.

Bref, la gratuité de certains de ces « arguments » donne parfois plus l’impression d’avoir affaire à un pamphlet spontané, un exutoire de l’auteur qui tient à partager au monde ses impressions sans la volonté de les démontrer. Bien qu’on puisse condamner la démarche d’un architecte à vouloir imposer son point de vue sans se remettre en question, en estimant juste et évidente sa pensée au point de renoncer à la démontrer, on peut également estimer que ce genre de document donne une bonne idée de comment la ville est perçue par ses concepteurs, et préfigure des façons dont elle sera pensée à l’avenir. Enfin, avec Junkspace (2001), Rem Koolhaas conclut sa pensée avec l’échelle ultime, celle de l’espace. Cet essai constitue l’apogée de sa critique sulfureuse de l’espace public. Plus (moins ?) qu’une critique, il s’agit encore une fois d’un constat simple, loin de toute volonté de 12

KOOLHAAS Rem, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivage, 2011, p. 61. 14 Ibid., p. 72. 15 Ibid., p. 74 16 Ibid., p. 76 13


démonstration, des dégâts causés par l’architecture moderne et contemporaine sur la qualité des espaces publics. Le Junkspace est ce qui reste une fois que la modernisation a accompli son œuvre ou, plus précisément, ce qui coagule pendant que la modernisation suit son cours : sa retombée17.

D’instinct, on comprend très bien à quoi l’auteur fait allusion : ces espaces résiduels planifiés mais non pensés, qui finissent en coins glauques de derrière le cinéma ou en centre commercial vide et triste une fois la nuit tombée. On les évite car ils sont l’inhospitalité ultime de l’espace public, ainsi on ne peut qu’être d’accord avec sa position radicale.

KOOLHAAS Rem, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivage, 2011, p. 81. 18 Ibid., p. 84. 19 Ibid., p. 90. 20 Ibid., p. 107. 17

Le Junkspace, c’est comme être condamné à un jacuzzi perpétuel avec des millions d’amis... Règne flou du brouillard, il fusionne le haut et le bas, le public et le privé, le droit et le courbe, le bouffi et l’affamé, pour offrir un patchwork ininterrompu du décousu permanent18.

Toute matérialisation est provisoire ; couper, tordre, déchirer, enrober : la construction a acquis une nouvelle souplesse, inspirée par la couture19...

À la place de la vie publique, l’Espace Public™ : ce qui reste de la ville, une fois qu’on a supprimé l’imprévisible... De l’espace pour « honorer », « partager », « soigner », « s’affliger » et « apaiser »... la civilité imposée par une overdose de raffinements typographiques20...

Ce recueil ne mène nulle part. Il n’a pas de conclusion, et n’a pour vocation que de faire réfléchir le lecteur, l’usager de l’espace, l’étudiant en architecture, à ce à quoi ont mené des années de modernisme irréfléchi et de construction technique. La différence avec la démarche de Camillo Sitte est donc très grande : nous avons ici un avis brut, un énoncé de 13


constats personnels de l’auteur ne s’appuyant sur rien, au contraire des ouvrage de Sitte et Rowe qui analysent, comparent, développent et concluent. Cependant cet ouvrage n’est pas inintéressant pour autant. Il donne un point de vue violent et gratuit mais qui témoigne d’une vérité instinctive, d’un sentiment commun, d’un ressenti global de la qualité de nos espaces contemporains. Même si cette critique ne s’appuie sur rien de concret, elle fait écho au sur le lecteur par la simplicité de son énoncé, et de fait s’auto-valide.

Conclusion Ces trois auteurs ont tous le point commun de critiquer l’espace public et la construction de la ville en général. Cependant, leurs démarches sont différentes tout en étant affiliées. En effet, si Camillo Sitte a lancé le mouvement en déguisant sa pensée derrière une simple méthode d’analyse, ses successeurs n’ont pas eu autant de pudeur. Colin Rowe fait peut-être ici l’analyse la plus intelligente. En utilisant l’analyse architecturale pour appuyer une critique urbaine, il démontre avec succès ce qui semble aujourd’hui une évidence, prouvant ainsi la validité de sa pensée. Rem Koolhaas écrit la théorie la plus crue, car la moins mature. Datant seulement d’une dizaine d’année, cet ouvrage concrétise ce que de nombreux constructeurs de la ville ressentent, sans encore le théoriser. Le plus intéressant est qu’un tel pamphlet, en lançant une réflexion, conduira vers un ouvrage plus construit, recherché et mature, qui « officialisera » cette critique et mènera l’urbanisme vers une nouvelle ère plus éclairée. On peut supposer qu’avant d’écrire L’art de bâtir les villes, Camillo Sitte a lu ou entendu des avis semblables, non démontrés mais qui ont fait écho en lui et de nombreuses personnes, suffisamment pour justifier une vraie recherche sur la qualité des espaces publics de son époque.

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Centre commercial Grand Place, archétype du Junkspace. Source : Compte Google + de Grand’Place Association Commerçants https://plus.google.com/photos/ at/109366376725793645771? hl=fr

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Bibliographie KOOLHAAS Rem, Junkspace - Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivage, 2011. ROWE Colin, Collage City, Paris, Infolio, 1978. SITTE Camillo, L’art de bâtir les villes - L’urbanisme selon ses fondements artistiques, Paris, Le Seuil, 1996.

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Timbre autrichien reprĂŠsentant Camillo Sitte, datant de 2003. Source : http://www.123rf.com/ photo_12971540_austria-circa-2003-a-stamp-printedin-austria-shows-camillo-sittecirca-2003.html


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