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PROLONGER L’ENFANCE

PAR ROXANE TURCOTTE Autrice et animatrice jeunesse

Roxane Turcotte est dingue de littérature jeunesse ! Elle collectionne les livres, en écrit, en lit à haute voix et en anime. Elle adore se retrouver partout où elle peut piquer la curiosité des jeunes et leur donner envie de lire. Découvrez son univers !

On me demande parfois pourquoi j’écris spécifiquement depuis 15 ans de la litté rature jeunesse. J’ai bien sûr réfléchi à cette question. Je répondrais donc tout d’abord que si je suis devenue une adulte responsable, je jouis encore d’un esprit enfantin, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je connais en effet peu d’adultes prime sautier·ère·s et joyeux·ses comme le sont les enfants lorsqu’iels découvrent la vie. Alors, écrire pour les 4 à 9 ans et les côtoyer me permet d’être en accord avec cette facette de ma personnalité.

Le Dr Gilles Julien a écrit qu’il se lasse vite en présence d’adultes. C’est aussi un peu mon cas. Dès l’âge de 10 ou 11 ans, la petite voix qui analyse et qui juge, le convenu et la logique prennent vite le pas sur la fantaisie et l’imaginaire sans barrière. Alors comme le crabe s’enfouit dans le sable, je disparais dans l’écriture en compagnie de mes personnages qui ont l’âge de mes lecteur·rice·s. J’y fais des découvertes à leur hauteur.

PLONGER AVEC DES YEUX D’ENFANT DANS NOTRE PATRIMOINE

Écrire Les enquêtes d’Esther et Ben (Les Éditions Auzou), des romans pour les 7-9 ans, m’a permis d’aborder d’une manière toute spéciale le Manoir RouvilleCampbell et le château Frontenac, le Jardin botanique et le Mont-Tremblant, ou encore la commune de Tadoussac et la Colline Parlementaire. J’ai exploré les lieux avec les yeux et l’esprit de mes jeunes protagonistes pour y trouver des trucs qui m’auraient échappé autrement. C’est formidable de faire un métier qui fait vivre ce genre d’expériences !

De la même manière, pour la série Les grands maîtres (Dominique et compagnie), je me suis amusée dans Le secret de Ratapatapan à repérer des messages du peintre Florent Crabeels, qu’on ne voit pas au premier regard, dans sa toile Après-midi à Anvers exposée au MBAM. J’y ai décelé des énigmes que j’aime partager avec les enfants lors de mes médiations. L’animation se transforme alors en une véritable enquête jouissive digne de celle d’un·e théoricien·ne de l’art en herbe.

La littérature jeunesse me permet donc, entre autres, de partager des informations documentaires de manière ludique. Dans Histoires à croquer (Dominique et com pagnie), je raconte sous forme de poésie narrative en rimes l’histoire, la vraie, de la pizza, de la papillote ou encore de la poutine. Dans Histoires pour petits génies (chez le même éditeur), j’aborde de la même manière l’invention du feu d’artifice, de la gomme à mâcher ou du papier. Les albums pour les 4-6 ans représentent d’ailleurs de véritables défis. En moins de 1000 mots, il faut à la fois raconter, émouvoir, amuser et faire réfléchir.

Si j’aime écrire pour les enfants, j’apprécie tout autant les côtoyer. Accueillir leur formidable énergie et leur drôlerie me vivifie immanquablement. J’adore leur tendre la main pour les inviter dans mes histoires. Iels sont des livres ouverts, sans filtre aucun. Leur émotion se lit instantanément sur leur visage. Et partager leur regard sans frontière est un réel bonheur.

En fait, je suis venue tard à l’écriture. J’ai auparavant été enseignante de français auprès d’adultes allophones, une passion alimentée par l’empathie et l’envie de faci liter l’apprentissage d’autrui. Animer une classe, c’est très gratifiant. C’est une com munication privilégiée qui vise un but commun avec les participant·e·s. Je retrouve ce plaisir du partage en groupe au cours des médiations avec les enfants « Ça se passe d’âme à âme », comme me l’a déjà dit avec justesse l’écrivain médiateur jeu nesse Fredrick d’Anterny.

Crédit : Philippe Couineau

Et puis, la fantaisie est souvent au rendez-vous. Par exemple, un jour invitée dans une maternelle, j’accueille à la porte de la classe les enfants de retour de la récré. Un tout-petit me dit qu’il a égaré ses mitaines. Je lui annonce que la girafe d’un de mes livres s’est sauvée et que j’ai peur qu’elle prenne froid. L’enfant se désole et m’offre avec enthousiasme de m’aider sur le champ à la retrouver. Comme adulte, l’état d’esprit où tout est possible m’a un peu désertée, bien sûr, mais être témoin de celui des tout-petits comme ce petit garçon m’émeut. Mon cœur fond chaque fois. Suis-je nostalgique de l’enfance ? Peut-être, mais qui ne l’est pas ? D’ailleurs, il m’ar rive de voir des parents présent·e·s à mes médiations tout heureux·ses de prolonger l’enfance le temps d’une histoire.

UN UNIVERS CRÉATIF FOISONNANT

Écrire pour les jeunes, c’est aussi être gratifiée du bonheur de voir son texte illustré par des artistes de génie. Quel·le écrivain·e jeunesse n’a pas le cœur qui bat à la réception des images sur son écran, et par la suite sur papier, créées à partir de son manuscrit et en symbiose avec celui-ci ?

L’art pictural figuratif me fascine depuis toujours. Un tableau est à la fois un objet et une illusion. L’artiste représente sur un support plat, en deux dimensions, une réalité en ayant trois. C’est d’une matérialité éthérée presque magique, je trouve. J’ai donc pris beaucoup de plaisir pendant mes études en histoire de l’art à passer des heures avec les peintres de la Renaissance. Je retrouve ce contentement dans les créations des illustrateurs et les illustra trices jeunesse. Comme l’a justement écrit Andrée Poulin, les albums sont de petits musées ambulants. Ce que réussit à créer à l’ordinateur Sabrina Gendron me fascine. Le trait et la palette de Gabrielle Grimard me séduit. La lumière et la douceur dans les œuvres de Nathalie Dion ou de Lucie Crovatto m’enchantent. En fait, je suis fan de la plupart des créateur·rice·s de notre littérature jeunesse. J’achète de nombreux albums de collègues, et c’est la fête à chaque lecture, que je la fasse seule ou avec des enfants. J’éprouve une grande admiration pour des écri vain·e·s assidu·e·s comme Gilles Tibo, Alain M. Bergeron, Marie-Louise Guay et tant d’autres qui se sont lancé·e·s à temps plein dans l’aventure de l’écriture, malgré l’insé curité financière que cela pouvait représenter. Iels sont des exemples de réussite, des mentor·e·s.

La littérature d’enfance et de jeunesse du Québec est riche. Nos nombreuses maisons d’édition offrent au public une pléiade d’œuvres emballantes de qualité. Je remercie par conséquent la vie de pouvoir évoluer dans cet univers enchanteur.

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