Production
fraises : de
les multicellules mises à profit
Josée Bonneville, agronome
Introduction La production de fraises à partir de plants en multicellules (plug plants) est relativement récente au Québec. Les connaissances actuelles sur le sujet découlent d’expéde production est d’obtenir une récolte très hâtive au printemps et ainsi de contribuer à l’étalement de la production de fraises. Les plants proviennent de stolons récoltés en juin. Ceux-ci s’enracinent en multicellules puis sont plantés la même année, à la mi-août, sur des buttes recouvertes de paillis de plastique et bénéficiant d’un système d’irrigation goutte à goutte. Une bâche flottante est appliquée sur la parcelle à l’automne pour assurer une meilleure initiation florale et une protection hivernale. La récolte se fait au printemps suivant.
Le choix et la préparation du terrain Le choix du site doit tenir compte de plusieurs facteurs tels que la topographie du terrain, la texture du sol, la disponibilité de l’eau, l’égouttement de surface, la présence de brisevent et l’enneigement. Le bon égouttement du champ est une condition essentielle à la survie des plants à l’hiver et à la réussite de cette production, tout comme une bonne accumulation de neige sur le site. Il est également nécessaire d’avoir accès à une source d’eau en tout temps pour l’irrigation. À l’instar de la production de fraises traditionnelle, un terrain bien désherbé, chaulé au besoin et
Plants de fraisiers issus de multicellules – fin de la floraison
bénéficiant d’une bonne fertilité de base est requis. Le travail du sol doit être réalisé en profondeur afin de dégager suffisamment de terre (mie) pour bien façonner les buttes. Finalement, certaines références (E.B. Poling par exemple) recommandent une plantation selon une orientation nordsud. Cette orientation favoriserait le développement uniforme des plants et le mûrissement égal des fruits. Le semis d’un engrais vert est une excellente pratique pour bien préparer la parcelle. L’engrais vert est semé au printemps et enfoui au début du mois d’août, avant l’implantation des fraisiers en multicellules. Plusieurs cultures peuvent être utilisées comme engrais vert, chacune possédant des caractéristiques et des avantages qui lui sont propres. Le document intitulé Engrais verts et cultures intercalaires1 produit par le Centre de développement d’agrobiologie (CDA) est une excellente référence sur le sujet.
Photo : Luc Urbain, MAPAQ
Il est possible de remplacer l’engrais vert par une culture maraîchère hâtive, tels le maïs sucré ou le haricot, que l’on récoltera avant la plantation des fraisiers. Cette approche permet d’utiliser le terrain à son plein potentiel et de tirer un maximum de revenus de la parcelle. Il faut cependant porter une attention particulière à la rémanence des herbicides utilisés.
La plantation La période de plantation Une fraisière quelques semaines après la plantation des multicellules
Il est important d’utiliser des plants de fraisier de qualité possédant un système racinaire sain et vigoureux. Lors de la plantation, la motte racinaire doit bien se tenir, sans se
1. Engrais verts et cultures intercalaires. 1997. Centre de développement d’agrobiologie. Auteurs : Pierre Jobin et Yvon Douville. ISBN 2-9802258-6-x.
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Photo : Ginette H. Laplante, MAPAQ
riences réalisées depuis une dizaine d’années à peine. L’objectif premier de ce système
Production de
les multicellules mises à profit
Stolon enraciné en multicellule Photo : Luc Urbain, MAPAQ
défaire. Selon la région, la plantation s’effectue entre le 10 et le 20 août. Au-delà de cette période, les rendements risquent de diminuer, tel que le démontre un essai effectué dans la région de la Chaudière-Appalaches sur des parcelles plantées le 20 septembre par comparaison avec des parcelles plantées entre le 15 et le 30 août (Tableau 1). Selon le Département d’horticulture de l’Université de la Caroline du Nord, il existe une corrélation entre le développement et le nombre de feuilles par plant à l’automne et le rendement au printemps suivant. Plus un plant est vigoureux et développé à l’automne, plus son potentiel de rendement sera élevé au printemps suivant.
fraises :
Tableau 1. Rendements obtenus en fonction des dates de plantation (Chaudière-Appalaches) (saison 2002) Printemps suivant (année de la récolte) Date de plantation (automne)
Nombre moyen de hampes florales
Calibre (g/fruit)
Rendement (kg/ha)
15 août 29 août 20 septembre
4,2 3,5 1,3
10,65 10,90 12,11
16 730 13 814 3 928
Source : Luc Urbain, MAPAQ
Les plants en multicellules sont de jeunes plants issus de l’enracinement de stolons de la même année. Il faut compter entre 4 et 6 semaines entre la récolte d’un stolon et son enracinement pour obtenir un plant bien développé et une motte ferme. On obtient alors un plant très vigoureux qui n’a pas encore subi de période de dormance. Dans le but de réduire la dépense liée à l’achat des plants, l’utilisation de plants à racines nues (plants dormants) pourrait s’avérer intéressante et est actuellement en évaluation. Un plant dormant est un plant plus âgé que l’on déterre à l’automne en période de dormance. Le plant est conservé à basse température (-2 °C) jusqu’au moment de la plantation à l’automne. Pour l’instant, les résultats obtenus avec les plants à racines nues sont quelque peu décevants, surtout en raison des pertes occasionnées par le gel hivernal et de la difficulté de conserver une qualité de production pour une seconde année. Les cultivars à jour neutre, avec une seule année de production, semblent les plus intéressants dans l’optique d’une production hâtive sur une seule année. Dans le cas de plants à racines nues, il faut demeurer très vigilant et se procurer des plants de qualité. Le site choisi doit également bénéficier d’une bonne accumulation de neige en hiver.
La technique de plantation Ce système de production requiert une plantation sur buttes recouvertes d’un paillis de plastique noir et un système d’irrigation goutte à goutte. Des buttes de 20 à 25 cm de hauteur sont conseillées. Quelques producteurs façonnent des « superbuttes » d’une hauteur de 30 cm afin de bénéficier de divers avantages : meilleurs égouttement et réchauffement du sol, meilleure aération et récolte facilitée. La formation des buttes est très importante pour le développement optimal des plants. La qualité des buttes est étroitement reliée à la préparation du sol, lequel doit fournir
Photo : Luc Urbain, MAPAQ
Plants en multicellules versus plants à racines nues
Plasti-butteuse utilisée pour la formation des buttes
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La densité de plantation
une quantité suffisante de terre friable avant le passage de la plasti-butteuse. Aucune dépression ne doit favoriser l’accumulation d’eau au sommet des buttes.
La densité de plantation est sans contredit un facteur déterminant du rendement et de la rentabilité de ce système de production. Actuellement, au Québec, les données disponibles ne permettent pas de faire de recommandation précise à ce sujet. Par ailleurs, si l’on se fie à ce qui se fait ailleurs en Amérique, il faudra éventuellement prévoir des recommandations différentes en fonction des cultivars choisis.
Photo : Josée Bonneville, Dura Club inc.
Source : Dura Club inc. (adapté de J. Witt)
Les plants sont mis en terre de façon à assurer un bon contact des racines avec le sol, puis irrigués. Avant la plantation, il peut être nécessaire d’humecter les buttes à l’aide du système d’irrigation lorsque le sol est très sec. La plantation se fait à la main, à la suite du passage d’une roue poinçonneuse qui troue le plastique. La profondeur de plantation (ni trop profond ni trop en surface) est importante pour la reprise de la croissance des plants et leur survie à l’hiver. Le collet doit être au niveau du sol (Figure 1). De plus, le cœur du fraisier nécessite beaucoup de lumière pour initier ses bourgeons à fruits. Le plastique qui recouvre les buttes doit donc être bien tendu et en contact avec le sol. On évite ainsi que les plant soient cachés ou recouverts par le plastique.
Figure 1. Profondeur de plantation idéale
Actuellement, l’espacement entre les plants varie entre 28 cm (11 po) et 41 cm (16 po), selon l’équipement utilisé par les producteurs. L’espacement entre les rangs varie, quant à lui, entre 1,31 m (4,3 pi) et 1,52 m (5 pi). Ainsi, les populations fluctuent entre 32 851 plants/ha et 56 900 plants/ha. Il est en effet possible de rapprocher les buttes jusqu’à 1,31 m lors du passage de la plasti-butteuse en formant les buttes impaires (1, 3, 5, etc.) et en marquant les buttes paires (2, 4, 6, etc.) (Figure 2). Employée par certains producteurs, cette technique permet d’augmenter le nombre de plants tout en conservant la même distance entre les plants. À l’est de la Montérégie, un essai est présentement en cours avec le cultivar ‘Jewel’ afin de comparer la rentabilité économique de trois distances de plantation différentes. Source : Jacques Painchaud, MAPAQ
Photo : Luc Urbain, MAPAQ
Une attention particulière doit être portée à l’irrigation après la plantation, car les plants possèdent une faible réserve en eau. Une plantation effectuée lors d’une journée chaude et ensoleillée aura tôt fait d’épuiser cette réserve, le flétrissement des plants pouvant même être observé en moins de 24 heures. Dans ces conditions, l’irrigation par aspersion pourrait être conseillée pour une période de 7 à 10 jours afin de favoriser la reprise et l’enracinement.
Irrigation par aspersion pour favoriser la reprise et l’enracinement des plants 4
Jeunes plants de fraisier espacés de 30 cm
1,52 m
Rangs
1
2
1,31 m
3
4
Technique habituelle
5
1
2
3
4
5
6
Technique de rapprochement
Figure 2. Démonstration de la technique de plantation pour rapprocher les buttes (les flèches pointillées correspondent aux traces laissées par le marqueur afin de pouvoir revenir plus près des buttes déjà en place)
Production de
Le choix des cultivars Bien qu’ils puissent se comporter différemment, tous les cultivars peuvent produire à partir de plants en multicellules. Dans les régions plus au sud du Québec, il existe très certainement des avantages à utiliser des cultivars hâtifs, tels que ‘Sable’, ‘Veestar’ et ‘Brunswick’, pour la précocité de la récolte au printemps et le prix du marché à ce moment de
fraises :
les multicellules mises à profit
l’année. Les régions plus au nord ont avantage à choisir des cultivars plus tardifs pour obtenir une qualité de fruit supérieure. Dans tous les cas, il est important de réserver les plants à l’avance afin de les recevoir à temps. Des cultivars à jour neutre peuvent également être utilisés, notamment le cultivar ‘Seascape’ pour sa précocité de récolte appréciable. L’expérience vécue par les producteurs révèle que ce cultivar produit des fruits de calibre plus uniforme que tous les autres cultivars hâtifs. Il faut cependant bien cibler le marché et la demande des acheteurs.
Photo : Dura Club inc.
À l’instar de la production traditionnelle, certains cultivars sont mieux adaptés à une région qu’à une autre. Il est donc très avantageux d’effectuer ses propres essais de cultivars. Il pourrait aussi être intéressant de s’inspirer des bons cultivars en production traditionnelle et de tenter de les adapter à cette technique de production selon la région et les besoins.
‘Jewel’, un cultivar très populaire
En général, les travaux réalisés au cours des dernières années avec des plants produits en multicellules révèlent une précocité d’environ 5 jours par comparaison avec la production de fraises traditionnelle sous bâche de plastique multitrouée installée au printemps. La précocité est d’environ 7 à 10 jours comparativement à la production de fraises traditionnelle en plein champ, sans bâche. Le rendement moyen recherché, tous cultivars confondus, se situe autour de 10 à 15 tonnes/ha avec un calibre moyen de 10 g et plus par fruit. Le tableau 2 donne un aperçu des rendements obtenus lors de différents essais régionaux.
Tableau 2. Rendements et calibres des fruits de divers cultivars produits en multicellules (première année de récolte) Cultivars Chambly* Ovation Eros Cavendish Kent* Jewel* Sable Mesabi* Honeyoye Veestar Annapolis Seascape
Rendement (kg/ha)1 6 240* 6 407(Chaudière-Appalaches) 7 190 (Chaudière-Appalaches) 7 535 (Chaudière-Appalaches) 8 078* 13 747* 9 873 (Montérégie) 18 723* 4 668 (Chaudière-Appalaches) 7 200 (Centre-du-Québec) 9 330 (Estrie) 12 327 (Estrie)
Calibre (g/fruit) 10,2* 9,9 11,4 11,1 12,2* 13,6* 11,75 13,3* 9,9 n.d. 9,7 10,6
1. Pour les cultivars accompagnés d’un astérisque, le rendement indiqué correspond à la moyenne des rendements de différents essais dans 2 régions et plus. Les données considérées pour calculer cette moyenne proviennent des essais réalisés par Josée Bonneville et Ginette H. Laplante (Montérégie, secteur est), Dominique Choquette, Geneviève Legault et Mélissa Poulin (Estrie), Jacques Painchaud (Centre-du-Québec) et Luc Urbain (Chaudière-Appalaches). Les autres données correspondent aux rendements obtenus lors d’essais réalisés dans une seule région (indiquée entre parenthèses).
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