Illustrations de Laucolo
Terre Promise
L’art de produire ses propres semences
Terre Promise
L’art de produire ses propres semences
Projet dirigé par Véronique Alarie, éditrice
Conception graphique et mise en pages : Audrey Guardia
Révision linguistique : Sabrina Raymond
Illustrations : Laurence Deschamps-Léger (Laucolo)
En couverture : Laurence Deschamps-Léger (Laucolo), New Africa / stock.adobe.com, Kseniya Lapteva / unsplash.com
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives
nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Terre promise : l’art de produire ses propres semences / Lyne Bellemare ; illustrations, Laurence Deschamps-Léger (Laucolo).
Noms : Bellemare, Lyne, auteur.
Description : Mention de collection : Vie pratique
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20220028842 | Canadiana (livre numérique) 20220028850 | ISBN 9782764449622 |
ISBN 9782764449639 (PDF)
Vedettes-matière : RVM : Semences. | RVM : Jardinage. |
RVM : Plantes—Multiplication.
Classification : LCC SB117.B45 2023 | CDD 631.5/21—dc23
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2023
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2023. quebec-amerique.com
Crédits photo
Photos : Terre Promise, sauf indication contraire
Stock : Joshua Lanzarini / unsplash.com (page 11), Macey Bundt / unsplash.com (page 16), Beautyness / stock.adobe.com (page 25), Jen Theodore / unsplash.com (page 80), Nick Collins / unsplash.com (page 86), Joshua Lanzarini / unsplash.com (page 213)
Textures : Denamorado / freepik.com, Mokoland / freepik.com, Freepik / freepik.com, Kseniya Lapteva / unsplash.com
LYNE BELLEMARE
Illustrations de Laucolo
Terre Promise
L’art de produire ses propres semences
À mes enfants
Préface
Je suis tombée sous le charme de Lyne Bellemare dès notre première rencontre. Un coup de foudre ! C’est que j’admire plusieurs qualités chez les autres, mais je tiens particulièrement en haute estime la passion et la connaissance. Lyne a fait preuve des deux en moins de 5 minutes. Je vous mets en contexte : nous étions en conférence conjointe lors de la Fête des semences de l’Estrie. Lyne et moi partagions la scène. La première question du public s’adressait à Lyne. Aussitôt, sa fougue, son dynamisme, sa manière unique de s’exprimer et ses connaissances techniques très pointues m’ont charmée. Pour tout le reste de la conférence, lorsque l’animateur me posait une question, je lui disais que je préférais laisser d’abord Lyne répondre car je voulais profiter du spectacle de la découverte de cette femme et de l’étendue de son savoir. Ce fut le début d’une belle relation d’amitié.
J’ai aussi eu la chance, au fil des ans, de visiter Terre Promise, la ferme de Lyne – où l’histoire rencontre le potager. Au travers des plantations, des fruitiers qui poussent et des treillis qui s’entremêlent se cache une richesse qui se laisse découvrir : celle de l’histoire de notre patrimoine alimentaire. Car Lyne ne fait pas que cultiver des légumes et récolter leurs semences ; elle cherche, déterre et ramène au goût du jour les variétés de nos grands-mères. C’est ainsi que vous pourrez cultiver et goûter le maïs canadien blanc, le concombre Tante Alice ou encore la tomate Mémé de Beauce, des variétés d’antan qui seraient sûrement tombées dans l’oubli si des gens comme Lyne n’avaient pas décidé de les sauver et de les cultiver pour nous les offrir à nouveau.
Ce livre est le fruit de plusieurs années de recherches, de passion, de sueur, de doute et d’espoir. J’espère qu’il deviendra pour vous un guide et un phare. Les informations contenues dans cet ouvrage sont précieuses. À ce jour, peu de livres offraient une connaissance aussi technique et « terrain » de la culture des semences. Les distances de plantation, les techniques de récoltes, les techniques de séchage sont autant d’informations qui vous aideront à devenir autonome dans votre jardin et à participer, vous aussi, à la survie des variétés d’ici.
Bonne lecture ! J’espère que tout comme moi, vous tomberez sous le charme de cette femme et de son livre.
– Mélanie Grégoire, horticultrice et autrice (Plantes vertes, Les quatre saisons de votre potager, Carnet du jardinier)
© Katia K.Avant-propos
J’ai commencé mon aventure dans l’univers des semences vers 2007, au milieu d’un jardin communautaire de Montréal. À cette époque, je m’intéressais à la permaculture et à l’autosuffisance, ce qui m’a conduite à vouloir produire moi-même les semences de mes légumes préférés. En demandant des conseils autour de moi, j’ai réalisé que même les jardiniers les plus âgés, normalement détenteurs du savoir, achetaient leurs semences sans se poser davantage de questions, et ne les conservaient pas d’année en année. J’ai donc dû faire mes propres recherches.
Ma curiosité avait été piquée et, depuis, je suis partie sur les traces des techniques ancestrales de conservation des semences. Comme la plupart de nos variétés ancestrales ont disparu au fil du temps, j’ai compris qu’il était important de faire en sorte de les partager afin d’éviter qu’elles ne sombrent dans l’oubli. J’ai aussi réalisé que cultiver des variétés ancestrales permettait de développer des variétés plus résistantes aux aléas climatiques et aux maladies. De plus, des variétés plus adaptées demandent moins d’arrosage et moins d’intrants chimiques comme les engrais de synthèse ou les pesticides !
J’ai démarré en 2014 la semencière Terre Promise, et en collaboration avec mes employés, j’ai créé au fil des ans un petit paradis en permaculture qui abrite plus de 250 variétés de légumes, de fines herbes et de fleurs. Nous récoltons et conservons nos graines année après année. Ce sont des variétés à pollinisation libre, sans brevet, souvent rares, libres de droit et non génétiquement modifiées. Nous nous sommes donné comme mission de sauver de l’oubli des variétés potagères québécoises afin de les rendre de nouveau accessibles au public. Mais le travail est énorme, et le défi, de taille. Il était donc tout naturel pour moi d’en arriver à l’écriture d’un livre, afin que les gens puissent apprendre à conserver les semences de variétés anciennes et participer à leur tour à la sauvegarde des variétés.
Mission transmission
La culture des semences est un savoir-faire en voie de disparition, mais très gratifiant à maîtriser. C’est la continuation naturelle du jardinage et une partie importante du cycle de reproduction de la plante. Il s’agit de laisser pousser une plante jusqu’à sa floraison et l’apparition de ses graines afin de les récolter, de les faire sécher et de les semer à nouveau. Chaque graine provient d’une chaîne ininterrompue de culture, de multiplication et de reproduction des plantes faite par des jardiniers, des agriculteurs, autant hommes que femmes, au fil du temps.
Autrefois, multiplier les végétaux faisait partie de l’apprentissage de base de chaque jardinier. Il était courant de cultiver et de récolter les semences des variétés familiales qui étaient souvent transmises de génération en génération. Ce n’est malheureusement plus le cas. Il n’existe pas de cursus scolaire au Canada qui enseigne la conservation des semences. Il a donc fallu que j’apprenne auprès d’autres semencières et semenciers, et que je fasse plusieurs essais et erreurs ainsi que beaucoup d’observation afin de comprendre la reproduction des plantes et leurs besoins.
Mais le jeu en valait la chandelle, car aujourd’hui, je partage ce savoir afin d’assurer la pérennité de variétés ancestrales et de contribuer à une prise de conscience collective de l’importance de perpétuer notre patrimoine pour assurer la sécurité alimentaire de ceux et celles qui viendront après nous. Bonne lecture et bonnes découvertes !
À qui s'adresse ce livre ?
Ce livre s’adresse aux jardiniers et aux agriculteurs ayant minimalement quelques bases en jardinage ou en agriculture, qui désirent approfondir l’expérience en récoltant leurs semences. Le but de ce livre est avant tout de donner des instructions accessibles et pratiques, ainsi que des astuces afin de produire vos propres semences. Par contre, le monde végétal est vaste et il serait difficile de traiter de la reproduction de toutes les espèces dans un unique ouvrage. Nous nous concentrerons donc sur les plantes potagères les plus communes se reproduisant par les semences.
Comment utiliser ce livre ?
Dans les premières pages de ce guide, je vous explique les enjeux et les défis liés à la conservation des semences.
Ensuite, nous explorons quelques règles de botanique, qui doivent être comprises afin de rendre la reproduction plus facile.
Les fiches pour chaque variété, classées par ordre alphabétique, incluent un tableau synthèse résumant ses particularités, ainsi qu’une description de chaque étape nécessaire à la culture et la conservation des semences. Des histoires de quelques variétés ancestrales vaillamment sauvegardées parsèment le guide.
L’aide-mémoire et le calendrier de floraison et de récolte, à la toute fin, sont des outils faciles à consulter si vous désirez obtenir rapidement une information précise sur un légume en particulier.
Le glossaire (p. 204), quant à lui, vous éclairera sur la signification des termes techniques utilisés dans cet ouvrage, qui peuvent parfois être plus difficiles à saisir.
Enfin, notez qu’un peu partout dans l’ouvrage, vous trouverez des capsules intitulées « Le truc de la semencière » : il s’agit de tuyaux de mon cru qui vous simplifieront la vie !
Pourquoi cultiver et conserver ses semences ?
Il est si facile de se rendre dans un commerce pour acheter des semences qu’on se demande pourquoi se donner la peine de les cultiver. Voici quelques avantages qui vous convaincront du bien-fondé d’une telle démarche :
Éviter la disparition des variétés
Cultiver et conserver vos propres semences permet d’éviter la disparition des variétés ! Les jardiniers et les maraîchers sont de plus en plus nombreux à vouloir cultiver les anciennes variétés de légumes afin de redécouvrir les saveurs d’autrefois. Cependant, la quantité de variétés anciennes disponibles diminue de façon alarmante au fur et à mesure que le temps passe.
Les variétés ancestrales sont le résultat d’un travail patient de générations d’agriculteurs qui ont domestiqué à partir de plantes sauvages les légumes et les fruits qu’on connaît aujourd’hui. Mais ces variétés tendent à disparaître et, pour chaque perte, c’est un pan de notre histoire qui meurt avec elle.
Ce désolant appauvrissement est dû à plusieurs facteurs. D’abord, les variétés actuelles ont été sélectionnées pour le marché de masse, donc pour répondre à des standards tels que le haut rendement, l’uniformité, la résistance à la manipulation et l’apparence « parfaite ». Les variétés dites traditionnelles ne répondant plus à ces critères ont ainsi été abandonnées.
De même, les variétés modernes doivent résister au long transport : autrefois, les légumes étaient consommés par la famille du cultivateur ou se vendaient au marché tout près de la ferme. De nos jours, les légumes doivent parcourir de longues distances avant d’arriver à nos assiettes.
Enfin, les grandes entreprises de ce monde ont un avantage économique certain à valoriser les variétés modernes hybrides, car il est pratiquement impossible de les utiliser pour en faire ses propres semences, contrairement aux variétés anciennes.
Depuis un siècle, 75 % des variétés de plantes qui servaient à notre alimentation ont disparu dans le monde entier, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation.
Dans un système résilient, la biodiversité assure une plus grande sécurité. Lorsqu’un élément est malade ou attaqué par des ravageurs, il existe toujours d’autres individus pour survivre et assurer une récolte. La perte des variétés anciennes menace donc directement notre sécurité alimentaire.
Reconnecter avec un savoir-faire ancestral
Les techniques et le savoir-faire de la conservation des semences se sont perdus. Autrefois légué de génération en génération, ce savoir faisait partie du bagage du cultivateur. Mais de nos jours, les agriculteurs doivent acheter leurs semences et ne les conservent plus. Reconnecter avec ce savoir permet de pouvoir à notre tour le transférer à la génération suivante afin de continuer le travail de nos ancêtres. En apprenant à cultiver vos semences, que ce soit dans votre jardin ou à la ferme, vous gardez vivant un savoir qui, autrement, disparaîtrait.
L’adaptabilité
Pour bien comprendre l’importance de récolter ses semences, il faut regarder du côté de l’adaptabilité des plantes aux conditions du milieu. Génération après génération, par un travail patient de l’agriculteur ou du jardinier, elles subissent une constante évolution et deviennent plus productives et plus résistantes. Elles s’adaptent au milieu dans lequel elles poussent. En cohabitant avec les maladies et les ravageurs, elles apprennent aussi à se défendre. La disparition des variétés ancestrales entraîne une diminution des gènes disponibles dans une population donnée, ce qui peut réduire les capacités de nos légumes à s’adapter aux maladies, aux ravageurs et aux changements climatiques.
Garder le contrôle de notre chaîne alimentaire
Apprendre à conserver ses semences constitue un acte militant en faveur du contrôle de notre système alimentaire. De nos jours, une poignée de multinationales ont la mainmise sur le marché mondial des semences. Utiliser ses propres semences est donc un acte de résistance contre le monopole de l’industrie.
– Vandana Shiva (autrice, écologiste, militante et féministe très impliquée dans le mouvement de défense des semences) (Traduction libre, source : Le Monde selon Monsanto, film de Marie-Monique Robin)
« Les semences sont le premier maillon de la chaîne alimentaire. Si tu contrôles les semences, tu contrôles la nourriture […] C’est plus fort que les bombes, c’est plus puissant que les fusils. C’est la meilleure façon de contrôler une population. »
Encourager l’autonomie alimentaire
La culture, la conservation et le partage de nos propres semences contribuent à accroître notre indépendance face à l’industrie. Avec les crises et les changements climatiques actuels et à venir, pouvoir faire pousser notre nourriture constituera assûrément un aspect important de la sécurité alimentaire. À preuve : lors de la pandémie mondiale, les semences sont devenues une denrée rare et plusieurs producteurs de semences ne pouvaient plus fournir à la demande. La fermeture des frontières a eu aussi des répercussions importantes sur leur disponibilité.
Avoir accès à vos légumes préférés
Les variétés du patrimoine, comme on l’a mentionné, sont en déclin. Plusieurs ne sont plus disponibles en commerce, et certaines ont été perdues à jamais. De même, les catalogues de semences, au fil des ans, abandonnent certaines variétés pour faire place aux nouveautés. Il se pourrait donc que votre laitue ou votre tomate préférée cesse soudainement d’être disponible ! Or, si vous produisez vos propres semences, vous vous assurez d’avoir accès à vos légumes favoris tous les ans.
Miser local
La plupart des sachets de semences des grandes surfaces sont produits à l’étranger, à des kilomètres de distance, dans un environnement complètement différent du vôtre. Il est donc difficile de parler d’achat local dans ce cas de figure ! Acheter local encourage l’économie d’ici et permet aux producteurs de semences de vivre de leur passion et de la communiquer. De plus, les variétés seront bien adaptées à votre climat et à votre région.
Militance pro-semence
Au Canada, il existe des organismes qui militent pour la sauvegarde des variétés anciennes. C’est le cas de l’organisme Semences du patrimoine Canada dont l’action repose sur un réseau de jardiniers, d’agriculteurs, de scientifiques et de passionnés. Ils s’appliquent à conserver, cultiver et partager par le biais d’un catalogue commun les semences potagères en danger d’extinction. Chaque membre devient donc un acteur important dans la lutte pour la conservation des variétés du patrimoine. Leur travail permet un meilleur accès aux semences et, ultimement, leur survie.
Infos : semences.ca
Faire des économies
Vous pouvez acheter vos semences chez votre semencière ou semencier de famille, mais si votre surface de plantation est un peu plus grande qu’un petit jardin, il sera économiquement avantageux de s’autosuffire en semences et, pourquoi pas, d’en faire profiter vos amis ! La nature est généreuse, vous pourrez partager votre récolte de semences avec d’autres jardiniers, à une table d’échange lors d’une Fête des semences ou encore à votre bibliothèque locale (eh oui ! Certaines tiennent en saison des « grainothèques » !).
Retrouver les saveurs d’autrefois
Les fruits et les légumes qu’on retrouve dans les supermarchés sont des variétés qui sont faciles à transporter, très uniformes, mûrissant lentement… mais ayant souvent des qualités gustatives qui laissent à désirer. Les variétés ancestrales ne répondent peut-être pas aux critères de performance d’aujourd’hui, mais elles ont gardé leur saveur d’autrefois ! Rien de mieux qu’une tomate qui goûte celle de notre enfance.
Une réserve mondiale !
Une banque de semences est un endroit où on conserve des échantillons de matériel génétique afin de sécuriser l’agriculture. La plus connue est sûrement la Réserve mondiale de semences située dans l’Arctique, dans l’archipel du Svalbard. Creusée à même une montagne, entourée de pergélisol, elle a pour but de sauvegarder des doubles des variétés de chaque pays dépositaire au cas où un désastre, une crise ou une guerre surviendrait et mettrait à mal l’agriculture. La Banque de gènes du Canada possède un double de ses échantillons dans cette chambre forte.