guide technique- Guide raisonnée de l'irrigation

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Guide technique

GESTION RAISONNÉE DE L’IRRIGATION



Guide technique

GESTION GESTIONRAISONNÉE RAISONNÉE DEDEL’IRRIGATION L’IRRIGATION Guide technique

Éditeur scientifique Carl Boivin

Ce projet est une réalisation commune du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) et de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

La publication de ce guide a été réalisée grâce à une aide financière du Programme de développement sectoriel, issu de l’accord du cadre Cultivons l’avenir 2 conclu entre le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, et Agriculture et Agroalimentaire Canada.


Droits d’auteur

Il est interdit de reproduire, de traduire ou d’adapter cet ouvrage sans l’autorisation écrite du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) afin de respecter les droits d’auteur et d’encourager la diffusion de nouvelles connaissances.

Avertissements

Au moment de sa rédaction, l’information contenue dans le présent guide était jugée représentative des connaissances actuelles en gestion raisonnée de l’irrigation appliquée aux secteurs de production couverts. Certains renseignements pouvant avoir évolué de manière significative depuis la rédaction de cet ouvrage, le lecteur est invité à en vérifier l’exactitude avant de les utiliser. Les éléments de publicité insérés dans ce document concrétisent l’appui du milieu à la parution de l’ouvrage. Leur présence ne signifie toutefois pas que le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec en approuve le contenu ou cautionne les entreprises et organismes concernés. Les marques de commerce mentionnées dans ce guide le sont à titre indicatif seulement et ne constituent nullement une recommandation de la part des auteurs ou de l’éditeur. Dans le présent document, le masculin englobe le féminin et est utilisé uniquement pour alléger le texte.

Crédits photographiques

Photos : IRDA, à l’exception des suivantes. Chap. 2, 1re page : B. Vogt. Chap. 3, Fig. 3.1 : B. E. Whipker CC BY - 4.0, Fig. 3.2 : HGIC - University of Maryland Extension. Chap. 8 : S. Bonin, sauf Fig. 8.8 : Fruit d’Or. Pages couverture et endos : IRDA Pour citer cet ouvrage : Boivin, C. et coll. 2018. Gestion raisonnée de l’irrigation - Guide technique. Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec. 288 p.

Pour informations et commentaires

Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec Édifice Delta 1, 2875, boulevard Laurier, 9e étage Québec (Québec) G1V 2M2 418 523-5411 | 1 888 535-2537 client@craaq.qc.ca | www.craaq.qc.ca

© Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec, 2018 PLEG0102 (Version imprimée) ISBN 978-2-7649-0574-6 PLEG0102-PDF (Version PDF) ISBN 978-2-7649-0575-3 Dépôt légal Bibliothèque et Archives Canada, 2018 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018


Rédaction Daniel Bergeron, agronome, M. Sc., conseiller en horticulture, Direction régionale de la Capitale-Nationale, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) Carl Boivin, agronome, M. Sc., chercheur, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Simon Bonin, agronome, M. Sc., Fruit d’Or Caroline Côté, agronome, Ph. D., chercheure, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) Isabelle Couture, agronome, M. Sc., conseillère en horticulture maraîchère, Direction régionale de la Montérégie, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ)

Paul Deschênes, agronome, M. Sc., professionnel de recherche, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Mylène Généreux, M. Sc., professionnelle de recherche, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Antoine Lamontagne, d.t.a., technicien agricole, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Christine Landry, agronome, Ph. D., chercheure, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) Mylène Marchand-Roy, agronome, M. Sc., professionnelle de recherche, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Jérémie Vallée, agronome, professionnel de recherche, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Révision scientifique et technique Evelyne Barriault, agronome, conseillère en arboriculture fruitière et viticulture, Direction régionale de la Montérégie, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) Serge Bouchard, technologue, travailleur autonome Mélissa Gagnon, agronome, conseillère en productions maraîchères, Direction régionale de Montréal-Laurentides-Lanaudière, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ)

Denis Giroux, agronome, conseiller agricole, Réseau de lutte intégré de Bellechasse (RLIB)

Pierre-Olivier Martel, agronome, conseiller en horticulture fruitière, Direction régionale du Saguenay–Lac-Saint-Jean, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) Nadia Surdek, agronome, conseillère en horticulture maraîchère et fruitière, Groupe PleineTerre

Coordination, édition, conception graphique et mise en page par le CRAAQ Denise Bachand, chargée de projets Barbara Vogt, éditrice et traductrice Nathalie Nadeau, graphiste


Préface L’irrigation est maintenant une réalité au Québec. À présent, plusieurs entreprises ont recours à cette pratique culturale pour augmenter les rendements, améliorer la qualité des produits ou garantir une constance des volumes offerts et ainsi préserver ou développer des marchés. De plus, elle devient un outil pour atténuer les risques qui peuvent résulter d’un contexte climatique variable et en évolution. Irriguer, ce n’est pas seulement fournir de l’eau. Il faut s’assurer d’appliquer la juste quantité, au bon moment et au bon endroit. Pour y parvenir, il importe de mettre en place une gestion de l’irrigation basée sur des données précises et qui tienne compte des caractéristiques de l’entreprise. Le sol, la culture, les équipements, les ressources humaines et hydriques, ainsi que les objectifs à atteindre sont autant de paramètres à considérer dans l’élaboration d’une gestion raisonnée de l’irrigation. Celle-ci permettra de protéger la ressource en eau, de préserver les sols et d’optimiser le prélèvement des éléments nutritifs et l’efficacité des systèmes installés. Au cours des dernières années, l’irrigation a fait l’objet de nombreuses recherches jumelées à plusieurs projets d’innovation et de transfert technologique, le tout dans le contexte de la production québécoise. Ces projets ont été menés à bien grâce à la collaboration de chercheurs, agronomes, ingénieurs, conseillers, techniciens, producteurs, clubs et regroupements, sans compter les entreprises qui ont accueilli les travaux de terrain. On a ainsi construit une connaissance collective qui méritait d’être mise à la disposition des conseillers et des utilisateurs actuels et futurs de l’irrigation. Le présent ouvrage se veut donc un manuel de vulgarisation ayant pour objectif de diffuser l’information acquise afin d’atteindre la plus grande efficacité possible de l’utilisation de l’eau en irrigation. Après les excellents guides de fertilisation et de phytoprotection dont le Québec a su se doter, voici donc un « petit nouveau » qui vise à combler un besoin reconnu : l’irrigation raisonnée. Daniel Bergeron, agr., M.Sc. Conseiller en horticulture, DRCN, MAPAQ


Table des matières Sommaire........................................................................... 1

SECTION I : GÉNÉRALITÉS.............................. 5 CHAPITRE 1. Connaissances de base............................... 6 CHAPITRE 2. Performance du système d’irrigation ........ 67 CHAPITRE 3. Qualité de l’eau ........................................ 85 CHAPITRE 4. Règlementation......................................... 103

SECTION II : CULTURES...................................... 107 CHAPITRE 5. Fraises à jours neutres.............................. 109 CHAPITRE 6. Pommes de terre....................................... 139 CHAPITRE 7. Pommiers.................................................. 171 CHAPITRE 8. Canneberges............................................ 195

SECTION III : TABLEAU DE SYNTHÈSE....... 235 RÉFÉRENCES................................................................... 239 ANNEXES....................................................................... 255 REMERCIEMENTS........................................................... 313


Sommaire Vous trouverez en début de ce guide « Les 10 commandements de la gestion raisonnée de l’irrigation » : ils constituent un fil conducteur pour vous orienter dans la mise en œuvre de l’irrigation et dans l’utilisation de cet ouvrage. La première section du guide expose les notions générales théoriques et pratiques applicables à tous les types de productions végétales, en terre minérale. Le chapitre Connaissances de base vous guidera pour bien comprendre les bases scientifiques, les objectifs, les outils et méthodes de l’irrigation raisonnée. Le chapitre Performance des systèmes d’irrigation vous donne une feuille de route détaillée afin d’évaluer l’efficacité d’un système d’irrigation par aspersion ou par goutte-à-goutte. Les grilles pour la prise d’informations sur le terrain, accompagnées d’explications précises, sont fournies en annexe du guide. Le chapitre Qualité de l’eau expose les recommandations à connaître en matière de qualité de l’eau pour l’irrigation et ses impacts sur les systèmes et la qualité du produit. Le chapitre Règlementation résume quelles sont les déclarations de prélèvement d’eau ou les demandes d’autorisation à effectuer selon les règlements en vigueur. La deuxième section présente l’application pratique d’une régie d’irrigation raisonnée pour quatre productions : les fraises à jours neutres, les pommes de terre, les pommiers et les canneberges. Chaque chapitre est basé sur de nombreux exemples de terrain et détaille les observations, mesures et techniques à appliquer pour obtenir les meilleurs résultats en fonction des conditions propres aux champs concernés, au contexte de l’entreprise et au système d’irrigation utilisé. De plus, certaines des informations s’appliquent à d’autres cultures maraîchères présentant des similarités avec les productions décrites. La troisième section résume sous forme de tableau de synthèse les informations essentielles. Bonne lecture!

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Gestion raisonnée de l’irrigation


Sommaire LES 10 COMMANDEMENTS DE LA GESTION RAISONNÉE DE L’IRRIGATION 1. Avec des sources diversifiées d’information, tes connaissances tu bonifieras. Ce guide vous donne les bases indispensables pour la gestion raisonnée de l’irrigation. Il vient améliorer et compléter l’expérience acquise au fil du temps, la validation et la discussion avec des intervenants qualifiés, et votre connaissance à jour du portrait global de votre entreprise. 2. Le sol de tes champs, tu connaîtras. Les sols ont tous des propriétés spécifiques qui affectent, entre autres, leur capacité à retenir l’eau. Quels sont les facteurs influençant cette capacité? Quels sont les points de référence importants à connaître? Enfin, comment rapporter ces points en volume ou en hauteur d’eau disponible pour la culture? 

Voyez la section Sol au Chapitre 1, p. 9.

3. Le système cultural en place, tu comprendras. L’architecture des plantes et leur disposition sur un sol dont la surface peut être façonnée de différentes manières forment un tout qui conditionne la répartition de l’eau dans le sol… donc la capacité de la culture à bénéficier des précipitations, de l’irrigation et des éléments nutritifs. Comment en tenir compte? 

Voyez la section Carrefour de prélèvement de l’eau et des éléments nutritifs au Chapitre 1, p. 47.

4. Si sa pertinence a été validée, l’irrigation tu intègreras. Il est important de connaître les objectifs que sert l’irrigation et de valider si ces derniers sont atteignables dans le contexte spécifique à votre entreprise, contexte qui inclut aussi le degré du risque de subir un stress hydrique. Comment déterminer la pertinence d’intégrer ou non l’irrigation à ses pratiques culturales? 

Voyez la section Objectifs de l’irrigation au Chapitre 1, p. 29.

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8. Une consigne adéquate de déclenchement de l’irrigation, tu détermineras.

La règlementation, la qualité de l’eau et le moment dans la saison peuvent affecter le volume d’eau qui peut être prélevé. Ce volume doit être connu, tout comme celui dont on a besoin selon les cultures.

Maintenant que le sol a été caractérisé, que les possibles contraintes d’approvisionnement en eau ou les limites du système d’irrigation sont connues et que les bons outils d’aide à décision sont maîtrisés, c’est au tour de la culture de s’en mêler. Comment bien ajuster la consigne de déclenchement aux besoins de celle-ci?

Voyez les Chapitres 3, Qualité de l’eau et 4, Règlementation, ainsi que les sections sur les besoins en eau des cultures aux Chapitres 5 à 8.

6. Le bon système d’irrigation, tu choisiras. Le choix d’un système doit reposer sur les objectifs poursuivis, les possibles contraintes d’approvisionnement en eau ou de temps pour intervenir, le coût et la valeur économique de la culture à irriguer et le degré du risque de subir un stress hydrique. Il est maintenant temps d’en apprendre davantage sur les principaux équipements d’irrigation mobiles (canon enrouleur, rampe enrouleur, rampes frontales) et fixes (pivot, gicleurs et goutte-à-goutte). 

Voyez la section Systèmes d’irrigation au Chapitre 1, p. 30.

Voyez les sections Déterminer une consigne de déclenchement, selon la culture, aux Chapitres 5 à 8.

9. La performance du système d’irrigation, tu mesureras. Avec toutes les ressources investies pour rendre la gestion de l’irrigation la plus raisonnée possible, il est essentiel de s’assurer que le système applique la hauteur d’eau voulue avec l’uniformité souhaitée. Des techniques d’évaluation de la performance sont présentées pour chaque type de système. 

Voyez le Chapitre 2, Performance du système d’irrigation, p. 67.

7. Des outils d’aide à la décision, tu adopteras.

10. La durée appropriée d’un épisode d’irrigation, tu établiras.

Les outils d’aide à la décision apportent des informations essentielles pour identifier des points de références et des consignes, mesurer l’efficacité de la pluie ou encore anticiper le moment où il faudra déclencher l’irrigation. Qu’il s’agisse de tensiomètres, de sondes TDR, du bilan hydrique ou de l’approche hybride, ils ont tous leurs avantages et leurs inconvénients et des contextes de productions qui leur sont favorables ou non.

Les outils d’aide à la décision permettent d’établir la durée d’un épisode. Pour cela, il faut s’attarder à différents facteurs spécifiques au contexte de production (sols, objectifs, ressources et cultures).

Voyez la section Pourquoi utiliser ces outils, au Chapitre 1, p. 26 et les sections Déterminer une consigne d’arrêt, selon la culture, aux Chapitres 5 à 8.

Voyez la section Outils d’aide à la décision au Chapitre 1 et les exemples d’application pratiques à chaque type de cultures aux Chapitres 5 à 8.

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Gestion raisonnée de l’irrigation

Sommaire

5. Un approvisionnement en eau suffisant, tu t’assureras.


SECTION I : GÉNÉRALITÉS Chapitre 1 - Connaissances de base Chapitre 2 - Performance du système d’irrigation Chapitre 3 - Qualité de l’eau Chapitre 4 - Règlementation


CHAPITRE 1. Connaissances de base SOL................................................................................................... 9 POINTS DE RÉFÉRENCE DU STATUT HYDRIQUE DU SOL.................... 9 Potentiel matriciel..................................................................... 9 Saturation.............................................................................. 10 Capacité au champ (CC)......................................................... 10 Points d’intervention (PI).......................................................... 11 Point de flétrissement permanent (PFP)....................................... 12 Réserves en eau du sol............................................................ 12 Comment rapporter en hauteur d’eau (mm) des points de référence et des réserves en eau?........................................ 14 Facteurs qui influencent la réserve en eau du sol........................ 16 OUTILS D’AIDE À LA DÉCISION.................................................... 17 Tensiomètre............................................................................ 17 Sonde TDR............................................................................. 20 Bilan hydrique........................................................................ 20 Estimer les sorties d’eau du sol................................................. 21 Exemple d’un bilan hydrique.................................................... 23 CONTEXTES FAVORABLES ET DÉFAVORABLES, AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS SELON L’OUTIL................................................. 24 Tensiomètre............................................................................ 24 Sonde TDR............................................................................. 25 Bilan hydrique........................................................................ 25 APPROCHE HYBRIDE.................................................................... 25 POURQUOI UTILISER CES OUTILS?................................................ 26 Anticiper le moment où la consigne de déclenchement sera atteinte................................................ 26 Vérifier que la consigne est atteinte........................................... 27 Valider la durée optimale d’un épisode d’irrigation.................... 27 Évaluer l’efficacité de la pluie.................................................. 29

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OBJECTIFS DE L’IRRIGATION....................................................... 29

ÉVALUER LA PERTINENCE D’IRRIGUER............................................ 29 ASSURANCE RÉCOLTE................................................................. 29 RENDEMENT OPTIMAL................................................................. 29 QUALITÉ..................................................................................... 29 FERTIGATION.............................................................................. 30 GERMINATION ET CROISSANCE DE JEUNES PLANTULES............... 30

PROTECTION CONTRE LE GEL...................................................... 30

AUTRES : REFROIDISSEMENT DU COUVERT VÉGÉTAL, DIMINUTION DE L’ÉROSION ÉOLIENNE, FACILITATION DE LA RÉCOLTE....................................................... 30

SYSTÈMES D’IRRIGATION........................................................... 30

PRINCIPAUX SYSTÈMES................................................................ 30 Systèmes mobiles.................................................................... 30 Systèmes fixes........................................................................ 34 COÛTS....................................................................................... 41 Canon avec enrouleur............................................................. 42 Rampe avec enrouleur............................................................. 43 Pivot..................................................................................... 43 Rampe frontale automotrice..................................................... 45 Goutte-à-goutte....................................................................... 45

TYPES DE SYSTÈMES CULTURAUX.............................................. 46

SURFACE DU SOL........................................................................ 46

CONFIGURATION DU SOL........................................................... 46 CULTURE..................................................................................... 46 Plante parapluie..................................................................... 46 Plante entonnoir..................................................................... 46 Plante neutre.......................................................................... 46 SYSTÈMES CULTURAUX................................................................ 46 Système parapluie.................................................................. 46 Système entonnoir.................................................................. 46 Système neutre....................................................................... 47

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Gestion raisonnée de l’irrigation

Chapitre 1


Chapitre 1

CARREFOUR DE PRÉLÈVEMENT DE L’EAU ET DES ÉLÉMENTS NUTRITIFS..................................................... 47

DÉFINITION................................................................................ 47 Systèmes culturaux et carrefours de prélèvement......................... 47 Systèmes culturaux no 1........................................................... 47 Systèmes culturaux no 2........................................................... 50 Systèmes culturaux no 3........................................................... 50 Systèmes culturaux no 4, 5, 6 et 7............................................ 52 HOMOGÉNÉITÉ D’UN SECTEUR DE PRODUCTION............... 53 ÉLÉMENTS À CONSIDÉRER POUR L’HOMOGÉNÉITÉ...................... 53 INTÉRÊT DE CONNAÎTRE LE DEGRÉ D’HOMOGÉNÉITÉ................... 54 IRRIGATION ET NUTRITION AZOTÉE......................................... 56 GESTION DE L’EAU ET FOURNITURE EN AZOTE ASSIMILABLE......... 56 GESTION DE L’EAU ET TRANSPORT DE L’AZOTE ASSIMILABLE VERS LES PLANTES................................. 57 DISPONIBILITÉ EN EAU ET ABSORPTION RACINAIRE DE L’AZOTE.... 57 GESTION DE L’EAU ET PERTES D’AZOTE........................................ 58 Pertes par dénitrification et volatilisation.................................... 58 Pertes par lessivage................................................................ 59 Irrigation et taux d’utilisation de l’azote des engrais................... 60 Exemples en culture de pomme de terre.................................... 60 Exemples en culture de fraise................................................... 64

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Connaissances de base

SOL POINTS DE RÉFÉRENCE DU STATUT HYDRIQUE DU SOL L’eau présente dans le sol à un moment donné n’est pas entièrement disponible aux plantes. On définit donc des points de référence afin de mesurer cette disponibilité (Figure 1.1).

Réserve utile (RU), eau disponible à la plante

RFU PT ou CV Drainage (eau libre) Mort

Rendement incertain

Ruissellement

Réserve facilement utilisable (RFU)

Rendement Perte de optimal ou visé rendement

Adapté de Dugdale et coll., 2012

Figure 1.1. Points de référence du statut hydrique du sol et réserves en eau du sol

Potentiel matriciel De nombreuses appellations désignent la force avec laquelle l’eau est retenue par les particules de sol, les plus répandues étant : potentiel matriciel, potentiel de pression matriciel, potentiel capillaire, tension du sol, succion du sol, tension capillaire, etc. Il est clair que l’étymologie de chacun de ces termes provient des concepts physiques mêmes qui expliquent l’interaction entre l’eau et le sol. Le terme le plus couramment utilisé est potentiel matriciel. Le potentiel matriciel

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Gestion raisonnée de l’irrigation


ce moment, l’eau n’est contrainte que par les forces gravitationnelles et inévitablement, une certaine proportion de ce volume d’eau sera drainée en profondeur.

Saturation

• En pratique, la CC in situ est celle qui est la plus représentative des conditions réelles, car elle est mesurée directement au champ.

Capacité au champ (CC) Peu à peu, l’eau « libre » fait place à de l’air jusqu’au moment où la force exercée par la gravité est compensée par la force exercée par les particules de sol pour retenir l’eau (ou potentiel matriciel). Ce point de référence est nommé la capacité au champ (CC). Il peut y avoir confusion à propos de la définition de ce point. • Théoriquement, la CC est la quantité d’eau retenue par un sol (teneur en eau volumique) lorsque celui-ci est à un potentiel matriciel de -33 kPa.

La saturation d’un sol survient lorsque l’eau occupe tout l’espace occupé préalablement par l’air. À ce point de référence, le sol ne contient que la fraction solide (partie minérale et organique) et de l’eau. En pratique, il est rare de rencontrer des conditions où l’eau comble 100 % de l’espace qui était occupé par l’air.

Pour attribuer une valeur de potentiel matriciel à un sol, il suffit d’attendre de 24 à 48 heures après un épisode de saturation puis de noter la valeur mesurée par le tensiomètre1. Plus un sol est lourd, plus le temps nécessaire pour atteindre ce point tendra vers les 48 heures. En l’absence d’un épisode de pluie suffisamment important, il est possible de saturer le sol et de mesurer ce point. Pour ce faire, une surface

Une proportion du volume d’eau à la saturation est considérée comme étant « libre » ou « gravitaire ». À

Saturation

-1

Drainage

Capacité au champ

-2

-3

-4

Nombre d'heures après saturation

Figure 1.2. Exemple de détermination de la capacité au champ par tensiométrie

1. Le tensiométre est décrit à la page 17.

10

44

39

34

29

24

19

14

9

4

-5

Potentiel matriciel (kPa)

0

-1

Chapitre 1

se résume par la compréhension du phénomène de la capillarité et de l’adsorption. À l’échelle microscopique, le sol peut être considéré comme un réseau complexe de petits capillaires plus ou moins interconnectés. L’eau peut se fixer sur les parois grâce à ses propriétés physiques : c’est la capillarité. L’adsorption fait référence aux forces d’attraction et de répulsion que les molécules peuvent avoir avec les différentes particules du sol. Autrement dit, le potentiel matriciel fait référence à l’affinité entre l’eau et les particules du sol. L’unité généralement utilisée pour exprimer le potentiel matriciel est le Pascal (symbole : Pa). Par convention, l’état de l’eau libre est de 0 kPa. Puisque l’eau se lie aux particules de sol avec une certaine force, le potentiel de pression matriciel est, par convention, toujours un nombre négatif.


potentiel matriciel, mais il est aussi possible de le faire avec des tensiomètres à lecture manuelle. Pour déterminer ce point de référence, il suffit d’observer l’évolution du potentiel matriciel sur une période suffisamment longue afin qu’il y ait un changement brusque de la pente « anticipée ». En effet, à partir du moment où le sol est à la CC, un accroissement lent et uniforme du potentiel matriciel s’observe habituellement (ex. jours 1 à 5 à la Figure 1.3). La droite pointillée en vert illustre les valeurs projetées de l’accroissement lent et uniforme du potentiel matriciel. Par la suite, l’évolution du potentiel matriciel s’accélère de manière à ce que l’écart entre les valeurs projetées et les valeurs réelles s’accentue. Le PT se trouve exactement dans la zone de changement de rythme observé (à partir du jour 6).

La Figure 1.2 montre le suivi effectué avec un tensiomètre pour déterminer la CC in situ du sol. À partir du point de saturation, l’eau libre du sol va être drainée pointillé en profondeur. Au point de saturation, la valeur du 0 -20 -25 potentiel matriciel du sol est proche de 0 kPa. Cette va6,6 -20 -25 leur baisse rapidement dans les heures qui suivent, car l’eau libre va être drainée en profondeur. La CC in situ est obtenue lorsque le potentiel matriciel se stabilise. Dans l’exemple de la Figure 1.2, la CC est de -3,2 kPa.

Le PT est souvent exprimé sous la forme d’un intervalle plutôt que d’une valeur unique (exemple : entre -15 et -20 kPa). Selon la demande en évapotranspiration, le PT sera atteint plus ou moins rapidement, mais il devrait se produire toujours vers les mêmes valeurs pour un site donné.

Points d’intervention (PI) Point tournant (PT)

Le PT peut être utilisé comme consigne de déclenchement de l’irrigation. En absence de validation agronomique et économique de ce point, il s’agit d’un excellent compromis. Toutefois, la validation agronomique des points de consignes relève davantage du secteur de la recherche.

Le point tournant (PT) est un concept qui s’appuie sur l’observation de l’évolution du potentiel matriciel au champ (tensiomètre superficiel). L’exercice est facilité par des tensiomètres qui permettent une acquisition en continu de la mesure du

CI-DESSOUS : FIGURE 1.3 FINALE à intégrer au document Jours

-15 -15

0

-20 -20

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

Potentiel matriciel (kPa)

-10 -20

point tournant (PT)

-30 -40 -50 -60 -70 -80

Figure 1.3. Détermination pratique du point tournant par tensiométrie

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12

Chapitre 1

de sol assez grande, par exemple 1 m2, doit être saturée avec une grande quantité d’eau (50 l). Par la suite, il faudra éviter qu’il y ait des pertes d’eau conséquentes à l’évaporation et au prélèvement par des végétaux, en installant une bâche imperméable à la surface du sol où il n’y a pas de végétaux. De plus, il est préférable de réaliser cet essai dans des conditions de sol représentatives de celles qui ont cours en présence de la culture. Il est recommandé de mesurer la CC in situ pour chacun des champs en culture.


Chapitre 1

Consigne validée de déclenchement de l’irrigation Une consigne validée de déclenchement est une instruction permettant d’intervenir au bon moment pour déclencher un épisode d’irrigation. Cette consigne est généralement obtenue à la suite d’essais réalisés en conditions expérimentales. Dans les sections de ce guide traitant spécifiquement de la fraise à jours neutres, de la pomme de terre, de la canneberge et du pommier, on présentera des résultats de projets de recherche qui ont mené à des consignes validées (pour un contexte donné). Comment savoir si ces consignes issues de la littérature scientifique peuvent être adoptées par les entreprises? Pour cela, il faut tout d’abord connaître le contexte dans lequel elles ont été générées, afin de savoir si ce contexte est similaire à celui de l’entreprise qui est preneuse. Si on ne connaît pas ce contexte, il est possible d’évaluer le degré d’homogénéité d’un secteur de production pour juger si cette consigne est applicable pour l’entreprise preneuse (voir Homogénéité d’un secteur, p. 53).

Point de flétrissement temporaire (PFT) Le point de flétrissement temporaire (PFT) survient lorsqu’il y a apparence visuelle de flétrissement du feuillage. Ce flétrissement est dit temporaire, car un apport d’eau permettra aux cellules du feuillage de redevenir turgescentes, sans qu’il n’y ait de blessure permanente. • Théoriquement, ce point est déterminé en mesurant la teneur en eau volumique d’un sol lorsque son potentiel matriciel atteint -100 kPa. • En pratique, le PFT varie selon la culture et le sol et peut être mesuré à l’aide d’un tensiomètre; toutefois, cette mesure peut se faire à condition que l’état de flétrissement apparent soit atteint avant que le tensiomètre atteigne -80 kPa, valeur à laquelle l’appareil devient inopérant. En effet, à cette valeur la colonne d’eau à l’intérieur du tensiomètre se brise. On dit alors que le tensiomètre est déchargé. Lorsque la culture atteint ce point, il est certain qu’elle subit un stress hydrique. Il est même fort probable que la culture subisse un stress hydrique bien avant l’atteinte de ce point.

Point de flétrissement permanent (PFP) Le point de flétrissement permanent (PFP) est défini comme la teneur en eau volumique d’un sol lorsque son potentiel matriciel atteint -1500 kPa. À ce fort potentiel matriciel, la plante est incapable de surmonter la force qui est exercée par les particules de sol sur l’eau. Cette eau est retenue par adsorption par le sol et ce point est obtenu avec une analyse réalisée en laboratoire. Le flétrissement subi par la plante est alors permanent et irréversible. Le PFP d’un sol sert entre autres à calculer sa réserve en eau utile (RU), qui sera abordée dans la prochaine section.

Réserves en eau du sol La réserve en eau d’un sol peut se définir comme étant le volume ou la hauteur d’eau que le sol est capable de retenir entre deux points de référence. Comme il y a plusieurs points de référence, il y a plus d’une définition de réserve en eau. En pratique, ces dernières sont généralement exprimées en mm d’eau. Pour ce faire, elles ne deviennent réelles que lorsqu’elles sont mises en relation avec la profondeur d’enracinement de la culture en présence.

Réserve en eau utile du sol (RU) La réserve en eau utile du sol (RU) est la capacité de rétention en eau du sol entre la CC et le PFP. Théoriquement, elle est donc obtenue en soustrayant la teneur en eau volumique à la CC (-33 kPa) à la teneur en eau volumique au PFP (-1500 kPa). RU = CC – PFP

Exemple : Un loam sableux possède une teneur en eau volumique de 0,18 cm3 d’eau/cm3 sol à -33 kPa, et une teneur en eau volumique de 0,06 cm3 d’eau/cm3 sol à -1500 kPa. Quelle est la RU de ce sol? RU = 0,18 cm3 d’eau/cm3 de sol - 0,06 cm3 d’eau/cm3 de sol RU = 0,12 cm3 d’eau/cm3 de sol

12


0,12 cm3 d’eau/cm3 de sol x 200 000 cm3 de sol = 24 000 cm3 d’eau, soit 24 l ou 24 mm

Réserve en eau du sol facilement utilisable (RFU) Seule une fraction de l’eau contenue dans la RU est facilement utilisable par la plante. Le concept de la réserve en eau facilement utilisable (RFU) peut alors être utilisé. Ce concept exprime la quantité d’eau contenue dans le sol entre la CC et le PFT. Théoriquement cette RFU est obtenue en soustrayant la teneur en eau volumique du sol à la CC (-33 kPa) à la teneur en eau volumique au PFT (-100 kPa). La valeur CC in situ est souvent fort différente de la valeur de -33 kPa théorique. Ainsi, il est plus utile d’évaluer la RFU avec des valeurs propres au site de production. Il suffit alors de connaître la RFU « point tournant » ou la RFU « consigne validée » et la CC in situ. RFU = Proportion de la RU La réserve en eau utile du sol consiste en la quantité d’eau maximale contenue dans le sol. Cette quantité d’eau est la quantité d’eau maximale qu’une plante peut extraire du sol. Dans ce concept théorique, la plante peut prélever de l’eau jusqu’au point de flétrissement permanent. Cependant, le prélèvement en d’eau des plantes diminue bien avant d’atteindre la limite critique du PFP. À la CC, l’eau est faiblement retenue par les particules de sol de sorte que les besoins en évapotranspiration peuvent être comblés facilement. Au fur et à mesure

Une plante peut extraire une certaine proportion de la RU du sol avant de subir un stress hydrique. Cette proportion diffère d’une culture à l’autre et est nommée « fraction d’épuisement (p) » (Tableau 1.1). En calculant la RU et en utilisant la fraction d’épuisement, pour une culture donnée, une RFU théorique est ainsi estimée. De plus, en exprimant la RFU selon une proportion de la réserve en eau utile, il devient facile de calculer cette valeur en hauteur d’eau, tel que décrit dans l’exemple précédent (encadré bleu). Tableau 1.1. Fraction d’épuisement de la réserve en eau utile du sol pour certaines cultures Fraction d’épuisement de la RU (p)*

Culture Pomme de terre Fraise

0,2

Pommier

0,5

* Basés sur ETc= 5 mm/j, tiré de Allen et coll., 1998

Ces proportions sont également variables selon la demande en évapotranspiration2. Lorsque la demande en évapotranspiration est faible (ETc< 5 mm/j), la proportion peut augmenter de 10 à 25 %. À l’inverse, lorsque la demande est forte (ETc>5 mm/j), la proportion doit être diminuée. Dans tous les cas, l’ajustement de la faction d’épuisement peut être estimé numériquement selon l’équation suivante (Allen et coll., 1998) : p = p + 0,04 × (5 - ETc) Finalement, la fraction d’épuisement varie selon la texture du sol. Dans les sols à texture fine, les proportions de la RU citées dans le Tableau 1.1 peuvent diminuer de 5 à 10 % tandis qu’en présence de sols à texture plus grossière, elles peuvent augmenter de 5 à 10 % (Allen et coll., 1998).

2. Pour une définition de l’évapotranspiration, voir la section Estimer les sorties en eau du sol, p. 21.

13

0,35

Gestion raisonnée de l’irrigation

Chapitre 1

que la réserve utile en eau du sol s’épuise, l’eau devient de plus en plus fortement retenue par les particules de sol et il devient ainsi plus difficile pour la plante de combler pleinement son besoin en eau.

Quelle serait la RU du sol, exprimée en mm, pour une culture dont le système racinaire est bien implanté dans l’horizon 0-20 cm? Sachant que 1 mm = 1 l/m2 et que 1 l = 1000 cm3 Horizon 0-20 cm sur 1 m2 20 cm x 100 cm x 100 cm = 200 000 cm3 de sol, soit 200 l ou 0,2 m3


Chapitre 1

Réserve en eau du sol facilement utilisable « point tournant » (RFU-PT) et « consigne validée » (RFU-CV) En pratique, la RFU-PT ou la RFU-CV sont plus représentatives de l’eau qui est réellement « facile » à utiliser par la plante. La RFU-PT ou la RFU-CV sont obtenues en soustrayant la valeur de teneur en eau à CC in situ à la teneur en eau au point tournant ou à la consigne validée. La Figure1.1 et la Figure 1.3 (en début de ce chapitre) résument bien les concepts de réserves en eau généralement utilisés dans la littérature, ainsi que l’approche du point tournant, qui est une méthode pratique et simple.

Comment rapporter en hauteur d’eau (mm) des points de référence et des réserves en eau? Dans le cadre d’une régie raisonnée de l’irrigation, il est souvent utile de connaître la teneur en eau volumique du sol en fonction du potentiel matriciel. Cela permet, entre autre, de calculer quelle pourrait être la quantité d’eau à fournir par irrigation lorsque le sol a atteint une certaine valeur de potentiel matriciel. Les prochaines sections décrivent les méthodes pouvant être utilisées pour atteindre cet objectif.

Méthode du cylindre et de la balance La technique la plus simple pour « convertir » en hauteur d’eau un point de référence ou une réserve en eau est de mesurer la teneur en eau volumique d’un sol à un instant précis en procédant à un échantillonnage au champ. 1. Lorsque le tensiomètre indique le point de référence souhaité (CC, PT, PFT, etc.) : a. Insérer un contenant rigide (ex. un cylindre métallique) dans le sol près de la zone instrumentée du tensiomètre; b. Prélever l’échantillon de sol en s’assurant qu’il soit au même niveau que la bougie du tensiomètre; c. Faire attention de ne pas compacter le sol à l’intérieur du cylindre lorsqu’il est enfoncé dans le sol.

2. Dégager le contenant du sol avec une pelle ou une truelle. 3. Sans perturber le sol à l’intérieur du contenant, éliminer tout le sol qui n’est pas à l’intérieur de ce dernier (Figure 1.4). 4. Emballer le volume de sol dans un sac ou un contenant hermétique. 5. Peser le poids de l’échantillon humide avec une balance de précision. 6. Mesurer précisément le volume du contenant (cm3). 7. Sécher l’échantillon de sol à 105 °C pendant 48 heures. 8. Peser l’échantillon de sol sec. 9. Calculer le poids de l’eau contenu dans l’échantillon avant le séchage (cm3 eau). 10. Calculer la teneur en eau volumique (cm3 eau/ cm3 sol) de l’échantillon en réalisant le rapport de l’eau contenu dans l’échantillon (cm3 eau) et du volume de sol prélevé (cm3 sol). 11. Il est alors possible de rapporter le volume d’eau en mm/cm de sol (voir l’exemple en page suivante). Pour déterminer la RFU-PT ou la RFU-CV, il suffit de refaire la procédure de 1 à 10 pour les 2 points d’intérêt (CC in situ et PT ou CC in situ et CV). La réserve en eau est ainsi obtenue en soustrayant les valeurs en mm d’eau obtenues au point 10. Exemple : Échantillonnage au champ Dans l’exemple suivant, la CC in situ est de -5 kPa et le PT est de -35 kPa. Un cylindre de sol a été prélevé lorsque le tensiomètre indiquait -5 kPa (CC in situ) et un second cylindre de sol a été prélevé lorsque le tensiomètre indiquait -35 kPa (PT). Le même cylindre a été utilisé pour prélever les deux échantillons. Ce cylindre a un volume intérieur de 100 cm3 et un poids lorsqu’il est vide de 125 g. Le 1er échantillon avait un poids humide avec cylindre de 295 g. Une fois sec, le sol contenu dans le cylindre a un poids de 135 g. Conséquemment, il y avait 35 g d’eau dans l’échantillon prélevé à la CC in situ. La teneur en eau volumique à ce point est donc de 0,35 cm3 d’eau par cm3 de sol.

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Chapitre 1

Le 2e échantillon avait un poids humide avec cylindre de 280 g. Une fois sec, le sol contenu dans le cylindre a un poids de 135 g. Conséquemment, il y avait 20 g d’eau dans l’échantillon prélevé au PT. La teneur en eau volumique à ce point est donc de 0,2 cm3 d’eau par cm3 de sol. Pour déterminer la RFU-PT, il suffit de soustraire la teneur en eau volumique du sol à la CC in situ à la teneur en eau volumique du sol au PT : 0,35 cm3 d’eau/cm3 sol - 0,2 cm3 d’eau/cm3 sol. La RFU-PT est donc de 0,15 cm3 d’eau par cm3 de sol ou 1,5 mm par cm de sol.

Méthode de la courbe de désorption en eau du sol La courbe de désorption en eau exprime la relation entre la teneur en eau volumique d’un sol (θv) et le potentiel matriciel (ψM) de ce dernier. La quantité d’eau disponible dans un sol est directement en lien avec le potentiel matriciel puisque celui-ci représente la force avec laquelle l’eau est retenue par les particules de sol. Une courbe de désorption typique est présentée à la Figure 1.5.

Figure 1.4. Élimination du sol excédentaire (méthode du cylindre et de la balance)

Figure 1.5. Courbe de désorption en eau typique d’un sol à texture grossière

15

Gestion raisonnée de l’irrigation


Chapitre 1

Dans l’exemple de la Figure 1.5, la CC in situ a été établie à -5 kPa et le PT à -30 kPa. Une courbe de désorption en eau a été réalisée en laboratoire selon la méthode de Topp et coll. (1993). Il est alors possible de déterminer la teneur en eau volumique du sol en question, et ce, à différentes valeurs de potentiel matriciel. Selon cette courbe, le sol caractérisé a une teneur en eau volumique de 0,27 cm3 d’eau/cm3 à la CC (-5 kPa) et une teneur en eau volumique de 0,16 cm3 eau/cm3 de sol au point tournant ( -30 kPa). Dans cet exemple précis, la RFU-PT est de 0,11 cm3 eau/cm3 de sol (0,27 cm3 d’eau/cm3 - 0,16 cm3 eau/ cm3 de sol).

Facteurs qui influencent la réserve en eau du sol Texture La texture du sol influence grandement l’ordre de grandeur de la RFU par la taille des particules de sol et leur structure. Les valeurs de RFU sont uniques à un sol donné et varient selon la profondeur d’enracinement de la culture en présence. Il faut par contre garder à l’esprit que même pour un champ considéré comme homogène quant à la texture, des hétérogénéités sont très probables. Ces hétérogénéités peuvent même occasionner des patrons d’humidité qui peuvent être délimités dans un champ donné. Il s’agit de zones de sol homogène, de dimensions variables, et les problématiques qu’elles peuvent occasionner augmentent proportionnellement avec leur nombre. Par exemple, lors d’un apport uniforme en eau (irrigation ou pluie) sur l’ensemble d’un champ, certaines zones seront maintenues plus humides, alors que d’autres s’assècheront plus rapidement. Dans un projet de recherche réalisé en contexte de production commerciale de pommes de terre, des patrons d’humidité ont été identifiés et ces derniers ont pu être mis en relation avec les variations de rendements observés (Boivin et coll., 2008). Il pourrait être pertinent de moduler la hauteur d’eau appliquée avec l’irrigation selon ces patrons d’humidité, quoique cette solution soit difficile à appliquer.

Il est préférable de mesurer la capacité de rétention en eau d’un sol quelle que soit la texture, même s’il existe plusieurs références dans la littérature à ce sujet.

Détritus Selon les méthodes établies (Bates, 1993), tous les débris (particules) ayant un diamètre supérieur à 2 mm présents dans un sol sont exclus du processus d’analyse granulométrique. Ces débris sont généralement constitués de gravier. Or, un sol qui a une texture reconnue pour ses caractéristiques de rétention élevée en eau (fortes proportions d’argile et de limon) pourrait se comporter comme un sol de texture sableuse, c’est-à-dire avec une capacité plus faible de retenir l’eau. Effectivement, une forte macroporosité occasionnée par ces débris provoquera un écoulement rapide de l’eau en profondeur; elle diminuera par conséquent le transport par capillarité. À moins de le demander au laboratoire où est effectuée l’analyse, la proportion de détritus n’est pas une information qui est fournie avec les résultats de l’analyse. Il est donc essentiel de demander ce paramètre au laboratoire où est acheminé l’échantillon de sol.

Compaction Dès 1990, Tabi et coll. faisaient état de la problématique de la compaction des sols agricoles au Québec lors de leur étude portant sur la dégradation des terres. Cette problématique est toujours d’actualité, surtout avec des cultures comme celle de la pomme de terre où des opérations culturales fréquentes et répétées, dans des conditions hydriques de sols parfois inadéquates, exacerbent le risque de compaction des sols. La compaction est un processus pouvant être décrit comme la réduction de la porosité d’un sol, c’est-àdire le rapport entre le volume poral (les vides) et les particules solides du sol. Puisque l’eau et les particules de sols sont quasi incompressibles, la compaction se traduit par une compression du volume poral (l’air contenu dans le sol). Le sol devient alors moins aéré et sa masse volumique augmente. En diminuant la proportion occupée par l’air, la compaction modifie également la conductivité hydraulique, l’infiltration de l’eau et la réserve en eau du sol.

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La compaction influence négativement la réserve en eau d’un sol de deux manières principales : 1. Dans un premier temps, la compaction limite le volume de sol que les racines peuvent explorer. Indépendamment de la nature du sol, la réserve en eau du sol pour une culture est fonction du volume de sol considéré. Il s’agit d’une évidence logique : plus le volume de sol exploité par les racines sera petit, plus la réserve en eau sera petite. 2. Dans un second temps, la compaction diminue intrinsèquement la capacité de rétention en eau d’un sol. En compressant les vides, la porosité du sol diminue, ce qui réduit la surface spécifique où l’eau peut être retenue par les particules. Dans le sol, ces deux phénomènes sont intimement liés et l’impact sur la réserve en eau du sol peut parfois être difficile à quantifier avec précision. En modifiant la forme, la taille et la continuité des pores, la compaction diminue aussi l’infiltration de l’eau dans le sol, augmentant ainsi le risque de ruissellement, souvent observé dans les entre-rangs. Dans ce type de situation, il faut porter une attention particulière à l’irrigation afin que le taux d’application ne dépasse pas la capacité d’infiltration maximale du sol. Une irrigation réalisée dans un sol peu drainant risque de nuire au développement des plantes, car les racines peuvent se retrouver dans des conditions anaérobies.

comme : la texture et la structure du sol, l’humidité du sol, la matière organique, le travail du sol, les cultures de couvertures, la rotation des cultures et les passages de la machinerie (Goorahoo et coll., 2011). Dans un contexte de régie raisonnée de l’irrigation, il est très important de connaître le taux d’infiltration de l’eau dans le sol pour bien concevoir les systèmes d’irrigation afin qu’ils ne dépassent pas la limite d’infiltration des sols. À ce titre, le taux d’infiltration selon le type de sol adapté de Goorahoo et coll. (2011) et présenté au Tableau 1.2, ne donne qu’un ordre de grandeur et ne devrait pas servir à la conception de systèmes d’irrigation. L’utilisation d’infiltromètres ou de perméamètres permettra de mieux évaluer la vitesse d’infiltration réelle de l’eau dans le sol pour un champ donné. Tableau 1.2. Texture et taux d’infiltration Texture du sol

Taux d’infiltration (mm/h)

Sable grossier

19-25

Sable fin

13-19

Sable fin et loameux

9-13

Loam limoneux

6-10

Argile limoneuse

3-8

Argile lourde

<3

Adapté de Goorahoo et coll., 2011

OUTILS D’AIDE À LA DÉCISION Cette section présente des outils d’aide à la décision, ainsi que les instruments de mesure, les méthodes et les calculs permettant d’appliquer ces modèles.

Taux d’infiltration de l’eau

Tensiomètre

Simplement, l’infiltration se définit comme un processus par lequel l’eau pénètre dans le sol. Une bonne infiltration est essentielle pour garantir un apport en eau aux plantes et pour diminuer le ruissellement. La vitesse à laquelle l’eau s’infiltre dans le sol est définie comme le taux d’infiltration et dépend de plusieurs facteurs

Le tensiomètre est un outil qui permet de mesurer le potentiel matriciel, qui représente la force avec laquelle l’eau est retenue par les particules de sol.

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Quoiqu’il y ait plus d’un modèle de tensiomètre sur le marché (Figure 1.6), ces derniers ont généralement en commun les parties présentées au Tableau 1.3.

Gestion raisonnée de l’irrigation

Chapitre 1

Une bonne aération du sol est nécessaire pour maintenir les sols productifs. Les racines des plantes absorbent l’oxygène et relâchent le dioxyde de carbone (CO2) grâce au processus métabolique de la respiration. Pour la plupart des plantes, le transport interne de l’oxygène par les tiges et les feuilles vers les racines ne permet pas de satisfaire les besoins vitaux des racines (Hillel, 1998). C’est pourquoi l’aération du sol est une composante essentielle qui permet aux racines de réaliser efficacement leurs fonctions physiologiques.


Chapitre 1

Tableau 1.3. Description des principales parties d’un tensiomètre Partie

Description

Bougie

Cette partie doit être en contact avec le sol et permettre un échange d’eau avec ce dernier. La bougie est généralement en céramique et elle est fixée au corps du tensiomètre.

Corps

Cette partie est généralement en forme de tube. Sa dimension, et, par conséquent, le volume d’eau qu’il peut contenir est variable. La fonction de cette partie est de maintenir une colonne d’eau dans des conditions hermétiques. Pour ce faire, un bouchon, généralement présent au côté opposé de la bougie, permet de maintenir ces conditions et aussi de pouvoir remplir le tensiomètre d’eau à nouveau si besoin.

Point de mesure

La force exercée sur la colonne d’eau est généralement mesurée avec un manomètre ou un capteur de pression qui fait partie intégrante du tensiomètre. Selon le modèle, cette valeur est affichée sur le tensiomètre (lecture manuelle) et/ou sur un appareil qui peut communiquer à distance avec le tensiomètre. Certains modèles de tensiomètre n’ont pas de manomètre ou de capteur de pression. La force mesurée doit alors être lue avec un appareil portatif dont l’aiguille est insérée au travers du bouchon. Le capteur de pression est alors présent dans l’appareil portatif.

Lorsque la bougie poreuse est en contact avec le sol, il se créer un continuum entre l’eau du sol et l’eau contenue dans le réservoir (corps). Après un certain temps, l’eau dans le réservoir s’équilibrera avec l’eau du sol située en périphérie de la bougie (le potentiel de pression du réservoir équivaut au potentiel matriciel de l’eau dans le sol). À cet instant, puisque l’eau contenue dans le réservoir l’est de manière hermétique, le manomètre ou le capteur de pression mesure la succion qui est exercée sur la colonne d’eau. Il y aura donc un certain déplacement de l’eau du réservoir vers la solution du sol lorsque le sol s’assèche et à l’inverse, de la solution du sol vers le réservoir lorsque le sol s’humecte.

3. 4. 5. 6.

Les unités de mesure les plus couramment utilisées pour exprimer le potentiel matriciel sont le Pascal (unité du Système International, SI) et le Bar (1 Bar = 100 000 Pa ou 100 kPa). La plupart des appareils commercialisés sont opérationnels dans une plage de lecture entre 0 et -80 kPa. Certains appareils peuvent mesurer des valeurs inférieures à -80 kPa, mais ces derniers sont généralement construits différemment et utilisent d’autres technologies. La plupart de ces appareils ne sont pas à proprement dit des tensiomètres. Certaines compagnies se spécialisent dans la conception et la fabrication de tensiomètres : entre autres, Meter3, Irrometer® et Watermark4, Hortau5, Soilmoisture6.

https://www.metergroup.com/environment/ http://www.irrometer.com/ http://hortau.com/fr/ http://www.soilmoisture.com/Tensiometers/

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(B) Irrometer® (lecture manuelle)

(C) Soilmoisture (lecture manuelle)

Figure 1.6. Quelques modèles de tensiomètres

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Gestion raisonnée de l’irrigation

Chapitre 1

(A) Hortau (communication à distance via réseau cellulaire)


Chapitre 1

Sonde TDR La réflectométrie dans le domaine temporel (de l’anglais time domain reflectometry, TDR) est une technique qui vise à estimer la teneur en eau volumique d’un sol grâce à la mesure de la permissivité diélectrique du sol. Il s’agit donc d’une méthode indirecte de mesure de la teneur en eau volumique d’un sol.

grande précision, il est recommandé de calibrer les sondes pour chaque site et chaque situation donnée. L’Annexe 1A propose une méthode pour calibrer une sonde TDR. Sonde TDR (CS625) Campbell Scientific

Les sondes TDR sont composées d’un fil relié à une sonde qui s’insère dans le sol. Cette dernière est généralement composée de deux ou trois tiges métalliques. Ces sondes doivent être connectées à un acquisiteur de données compatible avec les sondes utilisées. La sonde constitue l’élément conducteur tandis que le sol joue le rôle de composante diélectrique. La permissivité diélectrique est mesurée en faisant passer une onde électromagnétique de l’acquisiteur vers l’une des broches métalliques de la sonde. L’onde poursuit son chemin au travers du sol et elle est ensuite captée par l’autre broche de la sonde. L’acquisiteur détecte le retour de l’onde et mesure la période écoulée entre l’émission et la réception de l’onde. Au fur et à mesure que la teneur en eau augmente, la vitesse de propagation de l’onde diminue, car les molécules prennent plus de temps à se polariser (déplacement des charges électriques au sein d’un matériau). La mesure de la période calculée par l’acquisiteur est finalement convertie en teneur en eau volumique du sol à l’aide d’équations empiriques (Topp et coll., 1980). Le volume de sol ainsi mesuré peut être représenté par un cylindre dont le centre se situe entre les broches métalliques de la sonde. Les sondes TDR sont commercialisées avec différentes longueurs de câble, ainsi que différentes configurations (longueur et nombre de tiges). Il est possible de se procurer des sondes TDR auprès de compagnies telles que Campbell Scientific7 et Meter8 (Figure 1.7).

Calibration des sondes La précision des sondes peut être affectée par plusieurs facteurs comme la salinité du sol ou la quantité d’argile et de matière organique. Pour une plus

Sonde TDR Meter 5TE

Figure 1.7. Sondes TDR

Bilan hydrique Le bilan hydrique est un outil d’aide à la prise de décisions qui permet de modéliser les entrées et les sorties d’eau du sol. Cette méthode comptable s’appuie sur une estimation périodique (ex. horaire, quotidienne, hebdomadaire, etc.) de la variation de la RFU d’un sol en culture afin d’être informé du moment où il faudra intervenir avec l’irrigation pour rétablir complètement ou en partie la RFU afin d’éviter que la culture subisse un stress hydrique.

7. https://www.campbellsci.ca/soil-water-content 8. https://www.metergroup.com/environment/

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Bien comprendre les méthodes à mettre en pratique pour en arriver à une irrigation raisonnée permet de mieux planifier les interventions et d’atteindre plus facilement les objectifs visés, tout en limitant les pertes d’eau et de fertilisants. Que ces objectifs soient orientés vers le rendement optimal, l’assurance récolte ou encore la protection contre le gel, une bonne gestion débute avec la prise en compte des spécificités de la culture et aussi du sol qui la soutient. Basé sur de nombreux exemples concrets et sur les résultats de recherches récentes, ce guide présente les connaissances de base en irrigation et leur application dans quatre groupes de cultures : fraises à jours neutres, pommes de terre, pommiers et canneberges, modèles pouvant servir pour d’autres productions, en maraîchage notamment. On y voit tout l’intérêt d’utiliser les tensiomètres et même les sondes TDR, les pluviomètres, les mesures d’évapotranspiration, la méthode du bilan hydrique ou une combinaison de ces moyens, dont la mise en œuvre est clairement expliquée. Le guide traite de la gestion d’irrigation pour les systèmes par aspersion (rampes, pivots, canons…), pour les systèmes par goutte-à-goutte en incluant la fertigation et les particularités de la subirrigation en culture de canneberges. Un chapitre est consacré à l’évaluation de la performance des équipements, ce qui permettra au producteur, avec l’aide de son conseiller, de surveiller et de corriger au besoin les problèmes techniques. Les données importantes concernant la qualité de l’eau, ainsi que les éléments de règlementation applicables, sont également couvertes.

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