Eat'inérants Lyon

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Lyon le gratuit ĂŠpicurien | mai 11 | lemiam.fr


ÉDITO « Les Eat’inérants » met les chefs en tournée. Cinq chefs à géographie variable expriment librement leur créativité dans une tournée française. À cette occasion, ils élaborent des plats autour de la célèbre vodka à l’herbe de bison, de son imaginaire et de ses accords. Les chefs sont mis à nu et présentés sans fard par le photographe Laurent Bochet dans une série intitulée « fin de service », clin d’œil à vsa série « sortie de scène » immortalisant les artistes de la scène rock. Cette fois-ci, il pose son regard sur les chefs, la cuisine remplace les loges, le concert des casseroles celui des batteries et guitares électriques. Trois heures de show, trois heures de cuisines, la bataille est livrée, l’intimité s’expose.

Cyril Musy

SOMMAIRE p.1 p.2 p.4 p.6 p.8 p.10

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MATHIEU ROSTAING TAYARD KATZUMI ISHIDA LIONEL LÉVY FLORA MIKULA PETTER NIELSSON MICHEL PORTOS

www.lemiam.fr • 110 quai de Jemmapes, 75 010 Paris • Téléphone 09 50 24 75 29 • Société éditrice sot l'y laisse • Directeur de publication Cyril Musy • Conception graphique Armelle Vidal / armelll@hotmail.com • Secrétariat de rédaction Laurence Belon • Textes Cécile Cau et Andréa Petrini • Photos Laurent Bochet Dépôt légal avril 2011 / N°ISSN : 1961 – 6694

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Celle de ses envies de jeune homme, la trentaine encore un horizon éloignée, revenu de tout. De Nick LeBec aux Élysées d’Éric Briffard. De la cuisine mousquetaire de Michel Portos au « Sketch » londonien de Pierre Gagnaire. Lorsqu’il décroche, l’automne dernier, le coup de cœur lyonnais du Wall Street Journal c’est « en faisant exactement pareil que tous les jours : une cuisine assez retour du marché ». Mais pas que. En parler seulement en ces termes vaguement bistrotiers, ce serait passer à côté de l’essentiel. De ces accords suggérés et néanmoins tranchés, de ces jouissances du contraste nuancé, la nervosité désamorçant la douceur. Et surtout cette prestidigitation des saveurs – les épices, le décalage du sucré dans le salé, le contre-champ marin chaque fois que ça lui chante –, sans jamais perdre la boussole, dans un minimalisme garant de la lisibilité. Cuisine d’auteur à prix bonne franquette: voilà tout le paradoxe du 126, une petite salle toute en longueur pour, à chaque service, une trentaine maxi de conviés prêts à s’embarquer pour un voyage au long cours à 30 €TTC. Pour Lyon, c’est énorme ! Comme au cinéma – disons chez « Irréversible » de Gaspar Noé – ou en littérature – dans « La flèche du temps » de Martin Amis – il est souvent question de déplacer les temporalités. D’accorder l’apparemment éloigné. Par exemple, pour le dessert, la compotée d’aubergine au chocolat blanc. Ou l’avocat sucré avec une meringue au thé matcha et des olives noires de Lucca. Voir une Crème d’ail rapprochée de la vivacité des coques avec des pommes en finissime julienne pour le croquant. Chez Mat on pourrait, sans solution de continuité, remonter du dessert à l’entrée. Récoltant sur le chemin plein d’idées, de trouvailles qui, mine de rien – des zestes hachés d’orange salés pour assaisonner, façon gomasio en moins iodé, le tataki de thon sur une tranche d’aubergine grillée/brûlée – modifient sans cesse la perspective gustative.

IT’S

A MAT, MAT MAT WORLD.

It’s a Mat Mat Mat world. Tout un monde en quelque traîtres mètres carrés. Un lieu riquiqui, cachottier. Presque « en passant », dans une rue pas follement commerçante où pourtant tout se lit, se plie à la seule logique que Mat(hieu) Rostaing Tayard reconnaisse.

ASPERGES, RICOTTA, OSEILLE , GRANITE’ DE RHUBARBE CRUE « Je bosse en solo juste avec mon plongeur dans quatre mètres carrés de cuisine. Il faut donc faire simple » dit-il en mode fausse modestie. Mettant ainsi un bémol sur l’intuition des senteurs de foin dans le cabri braisé, quelques graines d’épeautre pour tempérer la douceur carnassière, des escargots rongeant les feuilles de chou tendre. Ou sur la complicité des amandes, algues et wasabi avec une purée de petits pois interpellée à son tour, autour d’un cabillaud rôti, par l’ail des ours. Chez Mat il est toujours question d’attractions instantanément éternelles, du kumquat et du ras el hanout avec une huile au basilic dans la purée de chou-fleur. De sensualité incarnée – mélisse, câpres et crème de céleri pour enlever la tête de veau top croustillante – et d’associations mentales. «Là en ce moment, je travaille beaucoup les asperges vertes. Avec de la ricotta de brebis sarde fraîche qui apporte du crémeux et des longues feuilles d’oseille ciselées pour l’acidité. Une vivacité que je vais encore souligner par une brunoise de rhubarbe et d’asperge crues assaisonnée au vinaigre de Barolo. Au final, cela donne presqu’un granité. » Cet entrelacs de vif sur l’aigu, d’herbes et de chlorophylle n’est pas sans rappeler des senteurs sylvestres – un côté vaguement fumé, un rien anisé. On ferme les yeux et ça « proustionne » la Zubrowska à mort. « Normal, c’était ma manière à moi, en utilisant les ingrédients de saison dont je dispose, de la convoquer, sans l’utiliser, sur le devant du palais». La présence dans l’absence, donc. Le premier qui traite le 126 juste de néo-bistrot lyonnais, on ne lui adresse plus la parole. LE 126 126 rue de Sèze 69006 Lyon Tél. 04 78 52 74 34

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NOM :

ISHIDA. PRÉnOM :

Katsumi.

À moins que ce ne soit l’inverse. Dans les deux cas de figure, le suffixe honorifique de San s’impose pour pointer la singularité de ce Nippon depuis longtemps sédentarisé dans le Pays du Soleil Levant rhônalpin.


La première fois que l’on croisa ses pas c’était une nuit, où il s’était littéralement évanoui sur le premier livre de Michel Bras. Katsumi-San a appris le français à la bibliothèque communale de l’édition culinaire. À défaut de mastères universitaires, il a embrassé la cause savante des premiers vins naturels, ancrant ses recherches de pionnier quelque part entre les textes sacrés de Jules Chauvet et l’ombre d’Alain Chapel à Mionnay. Homme généreux mais au verbe avare, chaque fois que l’on tombe sur Ishida, ça donne « Communication Breakdown » (troisième morceau, face B, du premier LP de Led Zeppelin, Atlantic Records 1969). Un non sequitur qui alimente, non sans humour, une sacrée pléthore de malentendus. Tenez, avec son allure de sumo mutique, le Katsu pourrait faire son «Nobu». Préconiser, par exemple, la fusion historique de l’Est et de l’Ouest alors que, croyez-le ou pas, on a rarement trébuché sur un Français plus gaulliste que lui. Pour un peu, on l’allongerait sur notre canapé de lacaniens dilettantes. Alors, dear San, qu’est-ce qu’on fait de tous ces refoulés, de tous ces lapsus ? Même si l’enseigne « En mets fais ce qu’il te plaît » donne le la, quelle surprise de poser pour la première fois les pieds dans cet open space, qui emprunte plus au chalet savoyard qu’au ryokan ! Et puisque le chef patron arbore pas peu fier la parure du bistrotier, on s’étonne dès la première assiette de découvrir un grand seigneur déguisé en artisan, THE classiciste parmi les classicistes. Un canard boiteux, certes, mais honorable héritier de la tradition de l’aubergiste humaniste. Connaissez-vous d’autres cuisiniers capables d’aligner avec le même à-propos maniaque – et une double dose d’humour involontaire, une Grouse rôtie dont l’amertume salutaire est tempérée, juste pour le goût du démodé, par une farce au foie gras façon lièvre à la royale ? Sacré Katsu, il est fait comme ça. Il prend tout à la lettre. Filez-lui un zeste d’idée et il en fait tout un plat. Ses intitulés sont aussi lacunaires, aussi

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lapidaires que ses cuissons au cordeau. Chez lui, en ce moment, le charolais est à la Zubrowka. BŒUF BRAISÉ AU BLOODY MARY Tu t’es mis à la Zubrowka ? « Oui, j’aime bien cette vodka en accompagnant d’un plat. Mais dans mon plat je la fais flamber. Pour en garder juste la senteur ». Ça aussi, c’est du Katsu tout craché. Une recette pour lui, c’est souvent une affaire de souvenir. Ainsi qu’un challenge technique à relever : interpréter le Bloody Mary. Manière surtout de réécrire, avec les ingrédients du cocktail respectés à la lettre, l’un des plats les plus réglos, les plus inscrits – chez les mioches comme à l’Elysée – dans l’immémoriale génétique du « Repas Gastronomique des Français » : le bœuf mitonné. Il y a de la sauce tomate (« attention : très concentrée »), du céleri-rave, de la Zubrowka, du poivre, du thym, du laurier et de la sauge pour faire office de bouquet garni. « Mais surtout beaucoup de sel de céleri, comme dans le cocktail. Il faut que la tomate soit épaisse, presque une pulpe, qu’elle envoûte la viande. » Et tout autour plein d’arômes épicés, presque fumés, avec en bonus le tranchant herbacé de la vodka. « La tomate et le céleri unis renforcent presque le goût de l’herbe de bison, je trouve». De la daube, oui, mais progressiste sinon rien. Tellement in progress que Katsu, d’une pierre deux coups, a déjà tout prévu : « Pour cet été, j’ai mis au point une version encore plus herbacée, du bœuf à la Zubrowka servi froid, très fondant, à manger presque à la cuillère avec sa gelée à la tomate ». Soit, un Bloody Mary à mâcher. À consommer sans se modérer. En mets fais ce qu’il te plaît 43 rue Chevreuil 69007 Lyon Tél. 04 78 72 46 58

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FLORA ET VODKA lE MÉlAngE cuLtuReL

Flora Mikula a transporté du Sud de sa jeunesse jusqu’aux pieds de la Tour Eiffel ses origines polonaises et son envie de cuisine faite de rencontres.


Donnez-lui rendez-vous au métro Étienne Marcel, elle ira à Marcel Sembat ou Felix Faure… Bien que parisienne depuis de nombreuses années, cette avignonnaise n’a pas encore dans la capitale tous ses repères. Mais elle est comme ça, Flora. Très potes, popotes, familles et amis. Flora Mikula, c’est sans doute la généreuse du « PCF ». Dans ce « paysage culinaire français », la figure féminine la plus avenante. Au sein de ce milieu encore macho et ultra masculin, cela lui a parfois coûté. À son égard, on a dit « des choses qu’on n’entendrait peut-être pas sur un homme », jusqu’à lui tirer des larmes. Cette blonde forte en gueule cache aussi un cœur sensible. La sensibilité d’une personnalité du Sud que la pointe d’accent toujours présente démasque infailliblement. Flora Mikula garde son tempérament bien méditerranéen mais à Paris, elle a oublié les olives et le romarin pour une cuisine toute créative et aussi libre que son caractère. Peaufiné chez Alain Passard, décomplexée chez les Auvergnats de La Rotonde où elle a « appris à compter », son style plus froufrou que toque blanche s’est forgé avec le temps. Miss Mikula vient de vendre ses Saveurs situées dans le « triangle d’or » des Champs Elysées, qui désormais ne lui ressemblent plus. La voilà à nouveau courant dans les rues de la capitale, pour retrouver sa forme certes, mais aussi une table qui colle à ses envies présentes : « manger des choses que tu ne fais pas à la maison, tout bêtement ». Être en salle, ouvrir sept jours sur sept, déjeûner pour 20 €. « J’ai envie de relations, de voisinage, les habitués, ça m’a manqué. C’est dans ma nature ». L’envie de faire monter à la capitale l’ambiance du Sud. Plus jeune, cette fille de Lorraine exilée au soleil où elle disparut trop tôt, a dû faire à manger pour toute la famille. « Avignon, c’était une vraie vie de village et un melting pot de nationalités ». Habituée au métissage par un père militaire,

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ancien d’Indochine, Flora a très jeune connu mangue et nioc mam. Des ingrédients qu’elle mixe volontiers à de grands classiques français. Reste une influence évidemment polonaise. Papa en était. Flora et vodka, le mélange fonctionne parfaitement. Une affinité certes de culture mais aussi de goût. « En Pologne, on coupe la vodka avec de l’eau gazeuse. La Zub, moi j’adore. Glacée, sirupeuse ». La bouteille reste en permanence dans son congélateur, au cas où une boîte de caviar – « off course » passe par là, ou bien qu’il soit soudainement nécessaire de bousculer une cuisine « un peu riche, des poissons fumés comme l’anguille, ou un foie gras fumé, voire même accompagner des sushis », remarque-t-elle. Les origines sont encore là, prenantes et bien présentes dans ce bortsch revisité à la Mikula. « C’est un plat que je faisais à la fin au restaurant et que je bonifie avec le temps ». Partie sur la base traditionnelle de « notre pot-au-feu à nous », chou, betterave, poireau et palette, poitrine, échine fumée salée, la parisienne a ensuite extrapolé. Multiplié les couleurs de betteraves – jaune, blanche, Chioggia ; rajouté un porridge de kacha, le sarrasin grillé, et pour ne pas faillir à sa réputation d’épicurienne, une escalope de foie gras poêlé et un maquereau fumé à peine cuit par le fumage et le bouillon chaud. « Moi j’adore ce goût terreux, j’aime tout ce qui est puissant », décrypte la cuisinière. Restent, une tuile craquante de kacha et une crème quenelle de yaourt bulgare au raifort aigrelet et sur ce plat, simple entrée ou consistant selon son envie « un verre de Zubrowka en accompagnement ».

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UN ALLER

RETOuR STOCKHOLM VaRsOVie

À la tête de la Gazzetta, Petter Nilsson mixe sa culture suédoise à sa vie parisienne pour une cuisine franche, très personnelle, insaisissable.


Petter va partir. Il est à l’aéroport mais se préoccupe plus de cuisine que de Boeing. Histoire d’avoir les idées claires avant le week-end. Petter Nilsson veut bien décoller mais à condition d’avoir cadré les choses. Sport, légumes bio, une rigueur que ce Suédois dispense jusque dans ses casseroles, qu’il sait aussi rendre rock and roll. La Gazzetta est un lieu paisible et vivant à la fois. Beaucoup de monde pour une grande salle à deux niveaux, de nombreux couverts mais toujours une petite table où chacun arrive à trouver son intimité, une grande table d’hôtes collective mais également quelques places individuelles, au bar. L’adresse a fait de la rue de Cotte une vraie destination. Et au milieu de ces repères parisiens qui ont depuis essaimé alentour, le resto de Nilsson maintient le cap d’une identité forte et discrète. C’est toute l’ambivalence de la personnalité de cet homme. « Chaque plat doit faire sentir la présence du produit de base ». Dans le brouhaha des services complets, les assiettes parlent discrètement. Cette cuisine-là est doucement marquée, très empruntée de la personnalité de son instigateur et délicatement parfumée de son caractère. Stylisée dans la douceur. Stylée comme le personnage. Un mélange chic et pas snob assez hors du commun dans le milieu de la cuisine. « La viande doit parfois être tendre », affirme Petter Nilsson, « ça peut aussi être agréable. Mais surtout, pas de systématisme ». C’est d’ailleurs cela qui déroute chez lui : le situer serait périlleux. Personnage peu traçable, découvert par la France à Uzès, par Paris dans le 12e, il se met rarement à découvert. Les gens d’ailleurs sont toujours différents. Ni ici, ni là-bas, ils brouillent les pistes en mixant les cultures. Petit week-end à Stockholm avant la semaine parisienne, le Suédois danse avec les petits pains et martèle les pavés. Il a un goût pour l’art sobre, un besoin de squash et une attirance pour la vie saine. Sur le

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comptoir de la Gazzetta, une platine attend sous le diamant des vinyles de Billie Holiday. Petter aurait sans doute choisi plus rock and roll, même si on lui collerait volontiers un jazz électro. « On peut tout mélanger, mettre le goût dans différentes situations. Mais seul le goût final doit nous inspirer ». L’an dernier, Petter avait pondu un tartare futé de bison. Cette fois, son association est issue d’une recette polonaise qu’il dégusta un jour : du chou-fleur, du pain, du persil et de la sauce Mornay, qu’il exclut d’office. Son penchant pour la fidélité à l’origine des choses l’invite à cuire à peine son chou-fleur pour garder l’esprit de ce légume qui devient vite «gazeux» sous l’effet prolongé du feu. Sa purée ultra émulsifiée, « avec une bonne présence de laurier pour rappeler un peu la sauce béchamel», sans lait mais soutenue à l’huile d’olive – « ça monte un peu comme une mayonnaise assez légère », est une concentration de légume brut. La Gazzetta 29 rue de Cotte 75012 Paris Tél. 01 43 47 47 05 Fermé dim soir et lun

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