Paul Bocuse, l'imposture du Michelin

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ACTUS RESTOS

Paul Bocuse, l’imposture du Guide michelin par Philippe Toinard

« I have a dream ». Celui de tutoyer l’excellence, la cuisine d’un homme que le guide Michelin couronne de trois étoiles depuis 46 ans. Presque un demi-siècle de règne sans jamais tomber de son piédestal. Forcément, pour le commun des mortels, cela doit être un moment magique, des plats inoubliables, un service d’un professionnalisme fascinant… On s’attend comme le souligne le guide Michelin, à « une cuisine remarquable (…), on y mange toujours très bien, parfois merveilleusement ». Retour sur une imposture à 428 € pour deux ! Chaque année, à la sortie du guide Michelin France, tout le landerneau du journalisme culinaire y va de son commentaire, et le millésime 2011 n’a pas échappé à la règle. Palmarès « un peu tiède » pour certains, « mou du pneu » pour d’autres. Mais surtout, chacun aime à lister les oubliés du guide, ces chefs qui auraient dû être récompensés par une première étoile ou ceux qui auraient dû obtenir leur deuxième comme Jacques Decoret à Vichy maintes fois cité. Des commentaires qui n’influencent pas la rédaction du guide dont la méthodologie reste totalement opaque mais qui surtout, s’abstient d’écouter les pensées des uns et des autres. Et si au lieu de perdre notre temps à lui souffler les noms de nos petits chouchous, on lui donnait notre avis sur ces tables étoilées qui ne correspondent plus au niveau annoncé. Et si l’Auberge du Pont de Collonges de Paul Bocuse était l’une d’entre elles ! Entendons-nous bien, l’idée n’est pas ici de chahuter l’homme qui croule sous les récompenses – il a été sacré en mars 2011 « Chef du Siècle » par le Culinary Institut of America après avoir été désigné « cuisinier du siècle » en 1989 par le guide Gault Millau –, mais de juger ce pourquoi, il est considéré comme le maître à tous, le porte étendard de la profession. À écouter les chefs, les jeunes et leurs aînés, Paul Bocuse est un immense cuisinier intouchable, inattaquable qui

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a beaucoup apporté à la cuisine en France et dans le monde. C’est indéniable ! Mais combien peuvent juger sa cuisine, combien se sont rendus à Collonges au Mont d’Or. À les écouter, ils ne sont pas si nombreux ou alors quand ils y sont allés, c’était au siècle dernier et souvent à l’Abbaye de Collonges pour des repas de groupes, pas en tête-à-tête à 214 € par personne. Évidemment, quand on se rend chez Paul Bocuse, après avoir foulé les plaques gravées aux noms des lauréats du Bocuse d’Or et après avoir salué le groom en habit rouge, on ne s’attend pas à lire des intitulés de plats modernes. On sait qu’il n’y aura pas de barbue au jus de yuzu, d’émulsion d’huîtres, de sorbet à l’huile d’olive, de couteaux à l’infusion d’algues. Paul Bocuse se situe dans un autre registre, celui d’une cuisine que les moins de vingt ans, ne peuvent pas connaître avec en tête de gondole, la soupe VGE (Valéry Giscard d’Estaing), le gratin de queues d’écrevisses, la quenelle de brochet ou le loup en croûte. Une cuisine figée dans le temps, que Michelin continue de récompenser par trois étoiles selon des considérations qui nous échappent. Trois étoiles, c’est à nos yeux l’excellence dans tous les domaines, l’accueil, le service, la décoration, les mets, la carte des vins. Trois étoiles, c’est un rêve pour lequel des milliers de Français remplissent leurs bas de laine pour se les offrir. À priori,

la poignée d’inspecteurs Michelin ne semble pas avoir les mêmes exigences qu’un client lambda à moins que la maison soit tout bonnement intouchable et que dans ce cas, plus rien ne choque l’inspecteur. Ni le rond de serviette en papier à l’effigie du maître de maison, ni les napperons en papier, ni le quart de baguette proposé, quand d’autres établissements moins renommés s’échinent à proposer à leurs convives différents pains faits maison. L’inspecteur doit aussi trouver pittoresque la présence du groom jouant du limonaire (cousin de l’orgue de barbarie) dans la salle pour fêter l’anniversaire de tata Denise. L’inspecteur Michelin ne s’offusque pas des présentations de plats comme le rouget barbet en écailles de pommes de terre croustillantes qui nous rappelle les illustrations du premier Larousse Gastronomique de 1938. L’inspecteur ne s’émeut guère qu’un chef dont on peut aisément supputer qu’il est un grand défenseur des produits du terroir français, propose du homard du Maine. Ne serait-il pas plus logique de penser au homard Breton comme il serait évident que le roquefort disposé sur les guéridons ne soit pas celui de chez Papillon mais celui d’un artisan. Réservons-nous chez un trois étoiles pour apprécier un morceau de Roquefort que l’on trouve en bas de chez soi ou sommes-nous là pour que le chef nous fasse découvrir le fruit du travail d’artisans méconnus ? L’inspecteur


© Steve McCurry

ne semble pas non plus contrarié par la fricassée de volaille de Bresse à la crème et aux morilles servie avec un riz trop cuit et des épinards qui ne le sont pas assez ; tout comme il ne paraît pas indigné par le plateau des desserts, un cortège d’œufs à la neige, de baba au rhum, de pruneaux glace vanille et de fraises… début mars ! Ces centaines de kilomètres pour des œufs à la neige ! Que penser du jugement du guide Michelin ? Lui, mais aussi ses concurrents, semblent refuser de voir la réalité en face. Ils ont osé par le passé dégrader des maisons que l’on croyait inscrites dans le marbre du patrimoine culinaire mais il faut croire que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. « I have a dream », voir quelle note le guide rouge attribuerait demain à un jeune chef qui s’installerait et proposerait à sa carte un filet de bœuf, sauce Périgueux, une escalope de foie gras de canard poêlée au verjus ou des noix de Saint-Jacques au beurre blanc et ses pommes soufflées. Au mieux, une fourchette !

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