La Quatrième Vologda de Varlam Chalamov

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K O U LTO U R A

Le Courrier de Russie

Du 5 au 19 décembre 2008

Exposition

Quand Turner se fait ambassadeur Moscou accueille le précurseur de l’impressionnisme de l’histoire du musée, financée intégralement par des fonds privés », explique Zinaïda Bonami, directrice adjointe du musée. Le quotidien britannique The Guardian explique que l’exposition a été financée par Alisher Ousmanov, oligarque ouzbek et milliardaire à ses heures, dans le cadre de sa fondation « Art et sport ». Mécène et stratège, Ousmanov avait racheté l’année passée la collection privée de Mstislav Rostropovitch et en avait fait don à l’état russe. Il est plus connu en Angleterre pour sa participation, depuis 2007, au capital du club de football londonien Arsenal FC, à hauteur de 24%. Fils de l’ancien procureur de Tachkent, Ousmanov est aussi propriétaire de la holding Metallinvest spécialisée dans la métallurgie, directeur de Gazprominvestholding (département investissement de Gazprom) et propriétaire du quotidien économique russe Kommersant. Ousmanov aurait déclaré à la presse peu avant l’inauguration de l’exposition : « Je voulais faire de mon mieux pour le musée Pouchkine, (...) et quand on m’a demandé de financer l’exposition, je n’ai pas pu refuser. » D’un point de vue diplomatique, les deux parties s’accordent sur le caractère éminemment positif de l’événement. L’établissement de relations culturelles entre les deux pays tente de contrebalancer les relations exécrables qui prévalent entre Moscou et Londres depuis l’empoisonnement en novembre 2006 de l’ancien agent du FSB Alexandre Litvinenko. Seront en tout cas présentées, entre autres, et jusqu’au 15 février, la pièce maîtresse de Turner, le Lever de soleil (1845), Venise, le Dogano (1842), Hannibal et son armée traversant les Alpes (1812), la bataille de Trafalgar (1824) et un autoportrait datant de 1798.

Les contemporains de Joseph Mallord William Turner aimaient à plaisanter sur la nature des matières utilisées par le peintre. Certains supposaient que c’était du savon ou de la crème, d’autres préféraient l’hypothèse du chocolat ou de la moutarde. C’était, en réalité, de la simple peinture à l’huile, achetée dans une boutique de quartier, que la main de Turner transformait en paysages fantastiques et hallucinogènes. Ses navires se noyant dans la lave, ses flammes dévorant la Tamise et ses anges naissant dans le soleil régalent aujourd’hui l’oeil du visiteur du musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou.

L’exposition consacrée au « peintre de la lumière » comprend 40 huiles et 72 dessins importés de la Tate Britain de Londres et promet d’enchanter plus d’un amateur en Russie. « Turner est le symbole pittoresque de la Grande-Bretagne » déclarait le ministre de la Culture, Alexandre Avdeev, lors de l’inauguration. Heureusement d’ailleurs que le grand peintre est là, parce que, outre les oligarques qui se rendent fréquemment à Londres pour y faire du shopping ou placer leur argent, le Royaume de sa Majesté la Reine n’a pas toujours bonne presse en Russie. La tenue de l’exposition avait été annoncée en mars dernier, alors même que des accusations étaient portées par l’ambassade britannique contre le FSB, qui aurait tenté d’intimider le British Council à Moscou. Stephen Deuchar, directeur de la Tate Britain, déclarait alors que la coopération entre les deux musées avait été possible malgré un contexte politique tendu, et que les deux institutions montraient la même volonté de faire découvrir Turner au public russe. Les oeuvres du précurseur de l’impressionnisme, du futurisme et de l’art abstrait n’avaient été exposées qu’une seule fois, en Russie, en 1975, également au musée Pouchkine. « Il s’agit de l’exposition la plus coûteuse

Louis-Antoine Le Moulec J. Turner. Paix. Enterrement en mer. 1842

Livres

Quand les souvenirs s’en mêlent « Je me suis toujours senti à l’étroit partout. (…) J’avais toujours l’impression de ne pas avoir fait quelque chose, de ne pas avoir eu le temps de faire ce que je devais faire. De n’avoir rien accompli pour devenir immortel (…). J’arrivais en retard dans la vie, non pour recevoir ma part du gâteau, mais pour participer à la fabrication de cette pâte, de ce levain ivre. » Varlam Chalamov Il y a des livres dont se dégage, malgré (ou grâce) à leurs imperfections, une impression de vérité ; des livres qui frappent plus que certaines oeuvres plus achevées. Parmi eux, La Quatrième Vologda, récit autobiographique de Varlam Chalamov, tient une place de choix. Une nouvelle traduction vient de paraître chez Verdier, édition qui a entrepris la lourde et honorable tâche de publier, pour la première fois en français, les oeuvres complètes de Chalamov. Chalamov est longtemps resté méconnu du grand public. Pas une ligne de lui n’a été publiée de son vivant, même pendant le « dégel » lorsque paraissait, par exemple, Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljénitsyne. Après vingt-deux ans dans les camps soviétiques, Chalamov a pourtant produit une oeuvre qui fait de lui l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Des années d’épreuves n’ont pas réussi à entamer l’intégrité de son caractère, la lucidité de son esprit, la force de son regard. La Quatrième Vologda est une

autobiographie inachevée, « des mémoires teints à l’âme et au sang, où tout est document et tout est émotion ». Malgré son aspect brut et sa structure brouillonne (Chalamov n’a jamais terminé la relecture), La Quatrième Vologda est un vrai coup de poing littéraire. L’auteur y revient sur son enfance et son adolescence dans le Nord russe, avant, pendant et après 1917. Dans l’univers qu’il reproduit, une fièvre révolutionnaire règne : tout semble encore possible et « tout le monde est orateur » dans un chaos qu’on espère créateur. Cette époque, on la comprend mieux encore à travers les personnages des parents de l’auteur qui, tels des vestiges d’un autre monde, viennent attester par leur destin de l’irrémédiable chute de la vieille Russie. Le père d’abord : prêtre aux opinions laïques, chamane héréditaire, voyageur (douze ans aux îles Aléoutiennes), orateur colérique adepte de la « publicity » (concept qu'il adopta en Amérique). L’homme était en avance sur son temps concernant beaucoup de sujets, mais son caractère et sa rigidité dans l'éducation des enfants ont causé bien des souffrances au jeune Varlam. Sa mère, ensuite. « Je n’ai jamais vu maman belle », écrit Chalamov avec une simplicité impitoyable. « Maman a connu le destin habituel de la femme russe. Elle s’est totalement consacrée aux intérêts de mon père [et] a passé sa vie dans la souffrance et elle est morte (…) sans avoir su se libérer des chaînes de la famille et de la

vie domestique ». Derrière chaque portrait, une génération. Jamais Chalamov ne dévoile de sentiments (son écriture rappelle à cet égard celle de Primo Levi), se contentant d’observer, de décrire, de constater. Son regard agit comme une lumière qui, au fond d’une caverne, arracherait à l’obscurité un amas de squelettes. Une secousse. On referme La Quatrième Vologda, troublé, avec l’impression non d’avoir assisté, en cachette, aux événements décrits, mais bien de les avoir vécus. La nouvelle traduction de Sophie Benech permet de découvrir le texte original (souvent publié tronqué de plusieurs passages, même dans les éditions russes) et fait preuve de beaucoup de précision, bien que l’on puisse préférer l’ancienne traduction, de Catherine Fournier, qui se rapprochait davantage du style de l’auteur. Au long du livre, on ne cesse de ressentir la même soif de lecture que celle qui a guidé les pas de Chalamov dès son plus jeune âge. « Je n’échangerais pour aucun bonheur terrestre [… ] cette sensation voluptueuse que procure un bon livre que l’on n’a pas encore lu », écrit-il. On envie déjà cette découverte aux futurs lecteurs de La Quatrième Vologda. Daria Moudrolioubova Varlam Chalamov, La Quatrième Vologda, Paris, Editions Verdier, 192 p. Traduit du russe par Sophie Benech.

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