Interview avec Georges Nivat

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K O U LTO U R A

Du 20 février au 6 mars 2009

Le Courrier de Russie

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Georges Nivat: « Pouchkine lui-même n’a pas encore été traduit correctement !

Vassilissa Krasnaïa

Un philologue explique pourquoi les Chinois peinent à s’intégrer en Russie

G

EORGES NIVAT, slavisant de renommée mondiale, publie un nouveau livre sur Soljenitsyne. Nous le rencontrons quelques jours après l’élection du nouveau patriarche de l’église orthodoxe russe, pour une conversation qui débute sur la religion, puis glisse sur les rapports entre religion et politique, et enfin entre politique et littérature.

Le Courrier de Russie : Avez-vous suivi l’élection du patriarche Kirill ? George Nivat : J’ai regardé à la télévision son intronisation, diffusée entre deux programmes de divertissement… Les deux dyarques (Poutine et Medvedev, ndlr) – c'est ainsi que je les appelle – étaient assis en face de lui : on peut dire que le gouvernement joue la carte de l'orthodoxie ! LCDR : Et que l'orthodoxie joue la carte du nationalisme... G.N. : Ah, avec le patriarche Kirill, c'est moins sûr ! Il doit évidemment jouer le rôle qui lui incombe dans l'unification de l'église orthodoxe – « d'abord l'unité, ensuite la liberté » –, mais il est également ouvert au dialogue. Le patriarche Kirill a une forte personnalité. Il connaît bien les Européens, le catholicisme et ses problèmes : je pense, par exemple, que la position fermée de l’orthodoxie vis-à-vis du catholicisme va changer. Plus généralement, je suis inquiet face, sinon au nationalisme, du moins à un nombrilisme culturel excessif de la part des Russes, même si je suis confiant dans la capacité de ce pays à aborder l’avenir. La Russie a ce défaut de toujours penser trop en fonction d’ellemême : « Que pense le reste du monde de nous ? Que lui offrons-nous ? « Notre » littérature, « notre » art… » Bien sûr, mais tout cela se passe à l’intérieur d’une communauté bientôt mondiale ! Il faut que la Russie comprenne qu’elle n’est plus l’intérêt majeur de l’Europe. Elle l’était lorsqu’elle représentait une menace. Aujourd’hui, les jeunes Européens sont davantage attirés par les Etats-Unis et, grâce à la mobilité que permet l’Union Européenne, ils vont autant en Finlande ou en Irlande qu’en Russie. Cet égocentrisme russe est dangereux : perception de soi erronée ou tronquée, immigration vécue comme un corps étranger…

LCDR : Justement, les immigrés peuventils s’intégrer en Russie ? G.N. : Prenez les Chinois en Russie : même s’ils trouvent leur place dans la société, ils ne s’intégreront jamais totalement ! Ils ne se convertiront pas à l’orthodoxie, par exemple. Il s’agit d’autant de facteurs avec lesquels la Russie devra composer dans les années à venir. Pour reprendre la pensée d'un poète créole (Edouard Glissant, écrivain antillais, ndlr), on peut parler de civilisation-racine et de civilisationrhizome : les civilisations-rhizomes, de plus en plus nombreuses dans le contexte actuel mondialisé, sont carac-

Il faut que la Russie comprenne qu’elle n’est plus l’intérêt majeur de l’Europe. Elle l’était lorsqu’elle représentait une menace.

térisées par le métissage des cultures. La Russie se pense au contraire comme étant une civilisation-racine, représentation largement illusoire sachant que le pays a été maintes fois « déraciné ». Sans remonter à Pierre le Grand, le XXe siècle a été le théâtre de deux déracinements majeurs pour la Russie : la Révolution et le Goulag. Aucun peuple n’a, si souvent et surtout si violemment, arraché lui-même ses racines sans que

n’intervienne une invasion extérieure. L’histoire récente de la Russie constitue une véritable entreprise d'autodestruction! Et la mémoire ne se reconstruit pas facilement. LCDR : Vous avez écrit, à propos de la publication de Docteur Jivago en 1988, que « tout un peuple s’est réveillé d’un sinistre songe idéologique, et a déclaré : cherchons la vérité ». Comment se sont déroulées ces recherches ? G.N. : Docteur Jivago est en effet le premier grand texte, anciennement censuré, à avoir été brusquement publié. Mais c’est un roman poétique, qui propose une autre idée de l’existence, une réalité spirituelle parallèle… L’Archipel du Goulag fut le deuxième. Il a été diffusé beaucoup plus largement que Docteur Jivago. Selon moi, les trois auteurs s’inscrivant dans cette recherche de la vérité sont Soljenitsyne, Chalamov et Grossman : des auteurs très différents qui étaient en dialogue – explicite ou non – dans leur lutte contre le mensonge idéologique. Grossman et Chalamov, au-delà du combat, parlent de survie existentielle, et Soljenitsyne réfléchit à la frontière entre le bien et le mal, à l’intérieur de l’individu comme à l’intérieur de la société et de la nation. Ce sont trois bombes. Leur effet est relatif mais, tant que ces livres seront sur les rayons des librairies, ils pourront influencer les lecteurs, surtout les plus jeunes. LCDR : Comment expliquez-vous qu’il n’existe pas, en Russie, de musée dédié aux victimes du régime de terreur ? G.N. : Le musée des camps de Staline, c’est précisément L’Archipel du Goulag. C’est la littérature, en Russie, qui fait office de musée, et ce, depuis toujours. Pensez aux Ames Mortes de Gogol pour le servage, à Dostoïevski et ses Carnets du sous-sol pour le bagne, à Résurrection de Tolstoï ou à L’île de Sakhaline de Tchekhov… Ce sont tous des livres religieux, prophétiques. LCDR : Vous venez de publier Le phénomène Soljenitsyne. De quel « phénomène » s’agit-il ? G.N. : Soljenitsyne est entré dans le Panthéon russe, mais ce qu’il représente réellement a été étouffé, voire occulté. L’auteur de L’Archipel du Goulag est, avant tout, un dissident, un défenseur du droit à une pensée et à un jugement libres, autonomes et responsables.

LCDR : Mais il est précisément devenu une sorte de maître à penser, auquel de nombreux Russes délèguent leur capacité de jugement… G.N. : Homère écrivait déjà, dans L’Iliade, à propos d'Achille : « Les héros doivent mourir jeunes ». L’écrivain doit, lui aussi, mourir jeune, et surtout… inachevé. Le problème de Soljenitsyne, c’est qu’il est mort vieux, à presque 90 ans, à la fin d’un parcours achevé. Connaissant un peu l’homme et beaucoup l'oeuvre, je peux aborder le personnage dans son ensemble, alors que la plupart des gens ne le jugent que sur des fragments, situés tous vers la fin de sa vie ! Il faut se fonder sur les oeuvres qui resteront : La maison de Matriona, Le pavillon des cancéreux, Le Premier cercle, Le Chêne et le veau… Mais il est vrai que Soljenitsyne n’est pas resté dissident jusqu’à la fin comme, par exemple, un Tolstoï qui conserva toute sa vie la jeunesse de la révolte. Peu avant sa mort, l’auteur de Guerre et Paix s’enfuyait – en compagnie tout de même de son médecin et d’un serviteur – pour le petit village d’Astapovo…

G.N. : J’ai découvert de nombreux auteurs russes contemporains que j’ai fait éditer chez Fayard : Mark Kharitonov, Mikhaïl Chichkine, Andreï Dmitriev, Yuri Droujnikov, Valéry Iskhakov… J’aime aussi beaucoup Ludmilla Petruchevskaïa. Je me tiens informé de ce qui se publie en Russie, grâce notamment aux critiques littéraires, mais aussi au magnifique site Zhurnalny zal, où l’on trouve de nombreux écrits contemporains en accès libre. Ce site est une initiative exceptionnelle, qui n’a pas d’équivalent en France. On y lit beaucoup de nouveaux auteurs, principalement des représentants du « réalisme magique », genre littéraire qui utilise souvent comme ressort narratif le dérèglement qui a suivi l’avènement du capitalisme. Le théâtre russe est aussi très vivant, même si son impact est limité, à moins que la pièce ne soit diffusée à la télévision. Il y a aussi quelques très bons poètes… Mais on ne va pas se mettre à traduire de la poésie contemporaine quand Pouchkine luimême n’a pas encore été traduit correctement !

LCDR : Quel regard portez-vous sur la littérature russe contemporaine?

Propos recueillis par Daria Moudrolioubova

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