I S TO R I A
Du 5 au 19 décembre 2008
Le Courrier de Russie
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Peuples
Auprès des fleuves de Paris Histoire des Juifs russes de France
En ce beau matin du 8 septembre 1892, un spectacle effrayant se dévoile aux yeux des voyageurs à la Gare de Lyon à Paris : endormis sur leurs baluchons, vêtements en lambeaux, centvingt Juifs affamés campent dans le hall Art Nouveau de la gare. Depuis trois nuits. Leur périple a commencé loin de là : expulsés d’Odessa, ils ont été expédiés à Constantinople, sont passés par Marseille, Lyon et Dijon, puis ont dormi dans la forêt de Fontainebleau avant d’échouer sur le parvis de la gare parisienne. Depuis deux décennies, les Juifs fuient la politique antisémite et les pogromes de l’Empire russe. La France, « terre des droits de l’homme » – première des pays européens à avoir émancipé les Juifs en 1791 – devient naturellement une terre d’accueil... Depuis le décret du 2 octobre 1888, les Juifs russes ont le droit, comme tous les étrangers, de résider sur le sol français. Mais, à l’époque, pas de « contrat d’accueil et d’immigration », pas d’allocations ni de cours de français. Et que faire à Paris, où débarquaient la plupart des immigrés de l’Empire russe (cf encadré), si l’on ne parle que le yiddish, le russe et le polonais ?
Le Yiddishland du Marais Plus de la moitié d’entre eux se retrouvent alors employés dans la petite industrie de la confection qui se concentre dans le Marais, où vivent d’autres Juifs d’Europe de l’Est. Les premiers Juifs de Russie sont arrivés dans les années 1860, et le flux ne fait qu’augmenter au début du XXe siècle. Les habitants du quartier n’en sont pas ravis, s’estimant « victimes de l’invasion étrangère » : « Sur 300 accouchements gratuits, 200 furent au bénéfice de femmes étrangères. Ce sont donc les Français, et particulièrement les Parisiens, qui paient pour les étrangers. Mais enfin, il y a un fait particulier : toute une catégorie de ces individus appartient à la même religion », déclarait, sous des tonnerres d’applaudissements, un élu du quartier Saint-Gervais lors d’une séance du Conseil Municipal en 1911. Malgré cet accueil plus que mitigé, les Juifs russes continuent de voir dans la France un idéal. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, le premier jour de la mobilisation des étrangers, le 24 août 1914, environ 900 demandes d’enrôlement sur 1560 sont déposées par des Juifs russes. « Vivent les Juifs ! Vivent les Russes ! », scande la foule lors des défilés patriotiques sur les Grands Boulevards.
Révolutionnaires Les immigrés s’organisent : réseaux d’entraide, journaux en russe et en yiddish (plus d’une centaine !), écoles, magasins, syndicats d’ouvriers… Et, bien sûr, la politique. La Rive Gauche accueille toute une colonie de réfugiés politiques russes : pour de nombreux partis révolutionnaires contraints à la clandestinité, Paris fut une ville d’accueil des réunions secrètes. Il y a le Bund, parti ouvrier juif, mais aussi des démocrates constitutionnalistes (cadets), des socialistes révolutionnaires, des bolcheviks et des mencheviks : dans tous les partis, les Juifs sont parmi les membres les plus actifs. Tous gravitent autour de la bibliothèque russe de l’Avenue des
Gobelins, lieu de rendez-vous privilégié. Pour eux, Paris, n’est qu’une étape dans un vaste réseau de cachettes en Europe… Pourtant, nombre d’entre eux resteront dans la capitale française après la Révolution d’Octobre.
Artistes Mais Paris n’attire pas seulement des artisans et des prolétaires : propulsée au rang de pôle d’attraction artistique par le mouvement impressionniste, la ville devient le port d’attache de centaines d’artistes étrangers. Parmi eux, pas moins de cinq cents artistes juifs venus d’Europe de l’Est : « Nous étions toute une génération, des enfants du Talmud Torah jusqu'aux étudiants talmudistes, épuisés par tant d'années par la seule analyse des textes. Nous emparant de crayons et de pinceaux, nous avons commencé à disséquer la Nature, mais aussi à nous disséquer nousmêmes.(…) Tout cela s'ébaucha dans quelques petites villes de Lituanie, de Russie Blanche et d'Ukraine pour se prolonger à Paris », écrivait le peintre El Lissitzky dans une sorte de manifeste de la peinture juive . L’événement est sans précédent dans l’Histoire, car la tradition juive interdit la représentation : c’est ainsi que Chaïm Soutine a failli devenir handicapé après avoir été battu par les fils du rabbin de son village, qu’il avait osé dessiner… (Soutine s’est ensuite empressé d’aller dépenser les 25 roubles de dommages payés par le rabbin – son « premier salaire » ! – pour suivre des cours de dessin). Et son cas n’est pas isolé. Les peintres et sculpteurs juifs s’échappent de leurs familles pour venir s’installer dans le quartier du Montparnasse, abandonnant les plaines infinies de la campagne russe pour un atelier de 10m2 dans la « Ruche », immeuble où était sur le point d’éclore tout l’art du XXe siècle. Imaginez seulement : Chagall, Soutine, Kikoïne, Modigliani, Zadkine, Kisling… mais aussi Picasso ou Fernand Léger, ainsi que toute une nuée d’écrivains et de poètes gravitent autour de la Ruche ; quel miel pouvait-on y goûter !
Dans le salon des Vinaver Le Marais, Montparnasse, le Quartier Latin… les cercles de l’immigration juive de Russie se croisent peu et restent plus éloignés encore des lieux d’habitation de l’immigration russe, installée dans le XVIe arrondissement et jugée assez à droite et antisémite par les intellectuels juifs. Mais les électrons libres sont nombreux : on pouvait les voir, assis autour d’une même table, gesticulant passionnément en débattant de l’actualité dans le salon parisien des Vinaver où, dans la seconde moitié des années 1920, se forge la structure du Paris russe. Maksim Vinaver, co-fondateur du parti constitutionnel-démocrate (les « cadets ») en Russie, grand juriste, émigré en France après la Révolution, inaugure une deuxième vague de l’immigration où Juifs russes et Russes blancs se mélangent en fuyant le nouveau régime. Personnage comparable à Diaghilev, Vinaver fut un touche-à-tout passionné, orateur enflammé, grand négociateur, initiateur d’une bonne centaine de sociétés et associations juives en Russie et en France (dont la revue Tribune Juive qui existe encore), et mécène au flair extraordinaire. En 1910, il mise sur un tout jeune étudiant en art qui subsiste à peine à Saint-Pétersbourg : il l’envoie même à Paris et lui assure une rente mensuelle. Ce jeune homme n’est autre que Marc Chagall, qui n’oubliera jamais son bienfaiteur : « Sans lui, je serais devenu photographe à Vitebsk et n’aurais jamais entendu parler de Paris », affirmera plus tard le peintre.
« Juif et Russe, Russe et Juif ! »... ou Européen ? Comment distinguer le Paris russe du Paris juif russe ? « Un air particulier, un air juif russe. Béni celui qui l’a un jour
Evgenia Stafeeva
Auprès des fleuves de Babylone, là nous nous sommes assis, et nous avons pleuré quand nous nous sommes souvenus de Sion. Aux saules qui étaient au milieu d'elle nous avons suspendu nos harpes. Car là, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient des cantiques, et ceux qui nous faisaient gémir, de la joie : « Chantez-nous un des cantiques de Sion ! » Comment chanterions-nous un cantique de l'Éternel sur un sol étranger ? Si je t'oublie, ô Jérusalem, que ma droite s'oublie ! Que ma langue s'attache à mon palais si je ne me souviens de toi, si je n'élève Jérusalem au-dessus de la première de mes joies ! Psaume 137, Livre des Psaumes, Ancien Testament.
« Qui sont les Juifs russes ? » humé » : le poète Dovid Knout, Juif, Russe et Parisien, s’était sans doute lui aussi posé la question. Mais si « l’âme juive est toute pénétrée de culture russe », dans la bataille entre européanistes et slavophiles, les « Juifs de Russie, réfractaires à « l’originalité russe » ont le visage tourné vers l’Occident. Ce sont des Européens, plus européens que russes, plus européens que bien des Européens. », affirmait Boris MirkineGuetzevitch, juriste juif russe installé à Paris dans les années 1920. Les Juifs de Russie, de par leur culture universaliste et libérale, de par leur métissage intellectuel, deviendront les premiers vrais Européens dans le sens contemporain du terme.
devantures des boulangeries mentionnant la fabrication de « pirojkis ». Pour la communauté juive de France, majoritairement sépharade depuis l’arrivée des Juifs du Maghreb dans les années 1960, la « ri dè rozié » a un parfum d’antan. Les bretzels, le pastrami et les gâteaux au fromage ne sont plus que des vestiges d’un monde disparu, et les rares descendants des Juifs russes de France invitent parfois leurs grands-parents au restaurant « Train de vie » pour partager une soupe aux knedle sur fond de musique klezmer. Il paraît que certains dansent encore la prissiadka.
L’émigration depuis l’Empire russe commence dans les années 1860, marquées par une politique antisémite et le début des pogromes. A l’époque, l’Empire s’étend de Varsovie à Kichinev, mais les Juifs russes émigrés viennent surtout de la zone de résidence juive située à la frontière de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Lituanie. Les Juifs russes sont un groupe très peu homogène qui partage néanmoins deux choses essentielles : la religion juive et la culture yiddish.
Daria Moudrolioubova
Monde perdu A l’orée de la Deuxième Guerre mondiale, les deux premières vagues de l’immigration juive de Russie sont en bonne voie d’intégration dans la société française : la majorité est naturalisée, les artisans sont devenus entrepreneurs et leurs enfants fréquentent les écoles de la République. Les intellectuels et les artistes, souvent déjà en retrait vis-à-vis du judaïsme religieux, s’en éloignent de plus en plus... Mais la Shoah les balaiera presque tous. Ariadna Scriabine, fille du célèbre compositeur et résistante, et l’écrivain Irène Némirovsky ; le peintre Aïzik Feder, déporté et mort à Auschwitz. Un sort que partageront plus de la moitié des peintres juifs de l’Ecole de Paris, et Chaïm Soutine, qui pensait avoir échappé à la mort en obtenant un faux passeport… mais fut rattrapé par le destin. Souffrant d’un ulcère, il doit être opéré d’urgence à Paris : pour tromper la vigilance des nazis, on le transporte pendant deux jours, sur des routes de campagne, dans un cercueil chargé sur une charrette. Arrivé trop tard, il mourra à l’hôpital. Aujourd’hui, le Marais reste le quartier juif de Paris par excellence : les touristes russes restent bouche bée devant les
Erratum : Jean-Sébastien Betton rejette toute participation à rédaction de l’article « Qui veut la peau des jésuites de Moscou » publié à la page 9 dans le numéro 135 du 21 novembre au 5 décembre 2008.
Programme de TV5 •Le marginal policier de Jacques Deray, 1983 Les méthodes du policier Philippe Jordan sont souvent en marge de la légalité. Aussi ses supérieurs et les gangsters les plus endurcis le redoutent-ils comme la peste. Jordan n’a qu’une idée en tête : faire arrêter Meccaci, un magnat de la drogue. Sans regarder aux moyens utilisés, il cherche à accumuler des preuves contre le malfaiteur… Avec Jean-Paul Belmondo, Henry Silva, Maurice Barrier, Tchéky Karyo, Pierre Vernier, Jean-Louis Richard… Le 8 décembre à 20h25
•Un éléphant ça trompe énormément comédie de Yves Robert, 1976 Ils sont quatre, inséparables et ils s’appellent Etienne, Simon, Daniel et Bouly. Bouly est un type curieux, qui drague sans arrêt, mais qui ne supporte pas que sa femme le quitte avec meubles et enfants. Bouly est l’idole d’Etienne, le « haut » et solennel fonctionnaire, qui a deux filles et une épouse, Marthe. C’est un homme sans problèmes jusqu’au jour où il tombe amoureux d’une autre femme. Cela inquiète Simon, qui a déjà bien des soucis avec sa mère ou plutôt avec les hommes de sa mère. Simon est le médecin le plus pessimiste de Paris, qui arrive à rendre malade les mieux portants de ses patients. Enfin, il y a Daniel qui se marre tout le temps mais qui cache bien son jeu. Tous les quatre d’ailleurs cachent quelque chose et mentent à tout le monde ; ce qui les entraîne dans des aventures rocambolesques, cocasses et cruelles. Avec Jean Rochefort, Claude Brasseur, Guy Bedos, Victor Lanoux, Danièle Delorme, Anny Duperey… Le 11 décembre à 23h00, le 14 décembre à 01h45
•Nous irons tous au paradis comédie de Yves Robert, 1977 Deux ans se sont écoulés depuis « Un éléphant ça trompe énormément ». Etienne, Bouly, Simon et Daniel ont toujours la quarantaine. Les affaires vont bien et leurs problèmes, c'est-à-dire les femmes, ont changé de visages. Amour, adultère, jalousie, amitié, disputes et rires sont autant de facteurs qui stimulent cette bande de joyeux compères plus surprenants, plus émouvants et plus irrésistibles que jamais. Avec Jean Rochefort, Claude Brasseur, Guy Bedos, Victor Lanoux, Danièle Delorme, Marthe Villalonga… Le 18 décembre à 23h00 Retrouvez la liste des programmes sous-titrés en russe sur www.tv5.org