Édition du 22 février 2023

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Mercredi 22 février 2023 | Volume 113 Numéro 6 Regardez comment on est beau depuis 1977
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé. Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Repenser le mythe de l’objectivité

Le milieu journalistique, assujetti aux contraintes financières, ne peut faire abstraction de la demande du public quant à la manière de traiter l’information. La tour d’ivoire journalistique n’est en fait qu’un grand bâtiment commercial. La politologue Anne-Marie Gingras tient une position similaire dans son ouvrage Médias et démocratie :

« [L]es médias sont coincés entre la nécessaire rentabilité et une mission d’information politique, deux objectifs étrangers l’un à l’autre. » Ces dernières années, la prolifération des verrous d’accès payants (paywalls) a permis la monétisation des nouvelles journalistiques, face à une hausse de la consommation des contenus en ligne, limitant grandement l’accessibilité de l’information au grand public.

Philippe Marcotte, chercheur au Centre d’étude sur les médias (CEM) de l’Université Laval, note que « les auditoires – et donc les revenus [des médias] – se fragmentent devant l’explosion de l’offre ».

En quoi cette fragmentation affecte-t-elle le contenu? Confronté à des plateformes médiatiques plus attractives, le journalisme factuel semble aujourd’hui insuffisant à lui seul pour capter l’attention du public. La hausse des prises de parole sous la forme de textes d’opinion, d’éditoriaux ou de chroniques permet-elle de fidéliser davantage les lecteurs·rices, en leur proposant un contenu qui idéologise l’information?

Dans une enquête publiée en 2020 par Simon Langlois, Serge Proulx et Florian Sauvageau, près d’un tiers des répondant·e·s révélaient une préférence pour un journalisme d’opinion plutôt qu’un journalisme factuel. Si ces chiffres nous invitent à questionner le rôle que doivent jouer les partis pris idéologiques dans la sphère journalistique, ils ne spécifient pas précisément quelles sont les conditions d’une « bonne » opinion. Parmi les 121 professionnels de l’information québécois interrogés en 2016 dans l’enquête « Bouleversements médiatiques et qualité de l’information », une majorité d’entre eux·lles ont déclaré que le critère le plus important de l’« excellence journalistique » réside dans la qualité de la recherche. Celle-ci peut être définie comme une approche d’investigation méthodique et

rigoureuse sur un sujet donné, en prenant toujours soin de mettre en contexte les lecteurs·rices.

L’opinion doit-elle s’en tenir au même critère?

Lorsqu’ils sont maîtrisés, les textes d’opinion permettent de conférer un nouvel éclairage sur les faits, de se faire le témoignage de points de vue et d’amener à interroger ses propres a priori sur l’actualité. Or, il est important que la présence d’opinion dans le paysage médiatique ne prenne pas la place de l’information factuelle, qui doit servir de base commune au dialogue démocratique éclairé. Sans les faits, l’opinion risque de se construire sur des a priori et sur le ouï-dire, ce qui mène potentiellement à une argumentation circulaire ou péremptoire. Pour qu’une opinion soit bien écrite, elle doit alors se fonder sur une recherche aussi rigoureuse que le journalisme factuel.

Le journalisme est toujours une médiation, et non une diffusion des faits eux-mêmes. La nature de cette médiation oscille selon le genre pratiqué : alors que les textes d’opinion incitent à adhérer ou non à de la prise de position développée, le journalisme factuel requiert une forme d’effacement, d’impartialité de la part du journaliste vis-à-vis de l’information transmise. La distinction entre ces pratiques journalistiques n’est toutefois pas toujours aussi nette. Dans le cadre d’une étude menée par Philippe Marcotte au CEM, un journaliste constate d’ailleurs que le « commentaire » a de plus en plus tendance à se substituer à l’information. « Il y a de plus en plus de chevauchements entre les deux types de pratique », explique-t-il.

Il apparaît donc primordial de délimiter les sphères respectives de l’opinion et du journalisme factuel. Les médias d’information doivent se faire un devoir de fournir les balises nécessaires pour permettre au public de classifier les différents types d’information auxquels il est confronté. Alors qu’Internet se fragmente en « espaces publics mosaïques », les lecteurs·rices devraient pouvoir reconnaître facilement si une information journalistique relève de l’opinion ou du fait. Si l’on considère qu’une nouvelle est d’« intérêt public », la transparence quant à l’angle éditorial adopté pour la couvrir l’est tout autant. x

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Volume 113 Numéro 06
2 Éditorial le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com
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Sidechat s'incruste sur les té lé phones mcgillois

Écartez-vous, Spotted : McGill University – il y a une nouvelle plateforme anonyme qui prend d'assaut le campus. Parmi les comptes Instagram et les sites de réseaux sociaux populaires sur le campus, le dernier à émerger est une application appelée SideChat

L'apparition rocambolesque de l’application rose

La semaine dernière, le campus à été assiégé par des donneurs de biscuits transportant des chariots roulant décorés de ballons roses. Ces derniers offraient des biscuits gratuits en échange du téléchargement de l’application SideChat grâce à un code QR. Suivant un plan d’affaire bien développé, ils distribuaient également une carte portant l'inscription « Besoin d’une excuse pour procrastiner?

Rejoignez la communauté privée de McGill (tdlr) ». Conçue pour aider les étudiants à connecter avec leurs camarades de campus, SideChat permet à ses utilisateurs de partager des mèmes, des blagues et des confessions – principalement en anglais –sur un forum imitant Reddit , avec ceux qui fréquentent la même université. Déjà présent sur d’autres campus comme celui de Harvard, ce type d’ap -

Une nouvelle application mobile pour procrastiner à McGill.

plication permet aux étudiants de s'inscrire via leur adresse courriel universitaire, ce qui leur donne accès au forum propre à leur université. Cela permet aux étudiants de profiter d’un espace exclusif, en intimité. Une fois connectés, les utilisateurs peuvent voir, réagir et créer leurs propres publications. Ils peuvent également répondre aux publications des autres et envoyer des messages privés à d'autres utilisateurs. L'identité de chacun reste complètement anonyme, ce qui retire toute respon-

sabilité vis-à-vis des propos écrits. Charlotte*, une élève interviewée sur le campus de McGill, dit avoir peur des dérives de harcèlement que cette application peut engendrer, en raison de l'aspect anonyme de ses contenus.

Le désir des étudiants de poster ou d’envoyer des messages anonymes à leurs pairs n'est

pourtant pas nouveau. Comme Sidechat , le compte Instagram Spotted : McGill University permet aux étudiants de soumettre des messages anonymes, mais ceux-ci doivent passer par un formulaire à partir duquel les administrateurs choisissent quoi publier, en filtrant les confessions qui violent les directives de la bienséance d’Instagram. Le compte Instagram est public et n'importe qui peut envoyer des messages. Parce que la publication sur Spotted : McGill University n'est pas instantanée, les confessions ont tendance à être publiées de manière groupée à des moments aléatoires. De plus, le moyen le plus simple de répondre à un message est de répondre publiquement, ce qui fait qu'un seul sens de communication est anonyme. SideChat résout ces deux problèmes et a donc le potentiel d’accroître le niveau d'engagement des utilisateurs. L’application fonctionne comme une extension de la vie sociale sur le campus, ou plutôt, une plateforme spéciale où les étudiants peuvent se connecter de manière virtuelle. Il permet aux utilisateurs de se tenir au courant des blagues et des tendances ainsi que de contribuer à la culture du campus. La plupart des publications sur SideChat de McGill présentent des mèmes et

Programme de Protection juridique

des blagues uniques à McGill, se moquant souvent d'une gamme de sujets allant des étudiant·e·s concurrent·e·s de l’Université Concordia au snobisme des frat boys de Desautels. Les messages sont également centrés sur la discussion des événements actuels qui se déroulent sur le campus, tels que les soirées au Café Campus ou au Bar des Arts. La plateforme inclut des catégories auxquelles les utilisateurs peuvent s’abonner – toujours de manière anonyme – comme « Rencontre et Relations Amoureuses », « Ask Sidechat »,

University laisse penser qu’ils sont loin d’être en concurrence. Au contraire, certains questionnent le niveau d’implication qu'aurait l'équipe du compte Instagram dans le développement de SideChat à McGill.

SideChat sera-t-elle mise de côté?

Si Sidechat parvient à décoller, ce ne serait pas la première fois qu'un service de médias sociaux trouve son origine sur un campus universitaire. Étant donné que les campus universitaires sont des groupes denses d'individus interconnectés, ce sont des terrains propices à la propagation de tendances. Plus particulièrement, Facebook a commencé comme un site permettant aux étudiants de communiquer entre eux. SideChat reste une plateforme restreinte pour des étudiants qui ont sûrement déjà accès à d’autres moyens pour procrastiner. Pour l’instant, une seule question demeure ; l’utilisation de l’application SideChat à McGill va-t-elle réellement durer à long terme?  X

« LGBTQIA+ », « K-Pop » et pleins d’autres encore. Malgré le refus d’interview de la part de McGill SideChat , la promotion de l’application sur la page Instagram de Spotted : McGill

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3 Actualités le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com Actualités actualites@delitfrancais.com
Campus
« Les publications se moquent de l’Université Concordia ( et du ) snobisme des frat boys de Desautels »
margaux thomas | Le Délit

Tirez sur les ballons!

Quatre objets volants ont été abattus au-dessus du territoire nord-américain ces dernières semaines.

Le 4 février dernier, après plusieurs jours d’observation, un ballon chinois survolant le territoire américain a été abattu par les États-Unis au-dessus de la Caroline du Sud. Selon la Maison Blanche, ce dernier aurait été utilisé à des

(CETC) sur la liste noire des restrictions à l’exportation vers les États-Unis. En réponse à l’incident, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a aussi décidé de reprogrammer sa visite en Chine lorsque « les conditions le permettront ».

« L’aérostat [...] aurait été envoyé dans le but d’espionner les infrastructures militaires américaines »

fins d’espionnage. La Chine a nié toutes les accusations et a à son tour accusé les États-Unis. Trois autres objets volants non identifiés ont depuis été détectés et abattus au-dessus du territoire nord-américain. Le Délit s’est entretenu avec Mark R. Brawley, professeur de relations internationales à McGill afin de comprendre la situation.

La crise du ballon chinois

Après plusieurs jours d’observation et de débats au sein de la classe politique américaine, le président américain Joe Biden a donné l’ordre, contre les recommandations du Pentagone, d’abattre le ballon chinois qui avait pénétré le territoire américain le 28 janvier dernier. L’aérostat d’environ 60 mètres de hauteur, porteur d’une nacelle de plus d’une tonne recouverte de panneaux solaires, serait, selon la Maison Blanche, « probablement capable de collecter et géolocaliser des communications ( tdlr ) » et aurait été envoyé dans le but d’espionner les infrastructures militaires américaines.

De son côté, la Chine maintient que ce ballon était un «  aéronef civil, utilisé à des fins de recherches, principalement météorologiques » qui avait dévié de sa route. Par la suite, Pékin a à son tour accusé les États-Unis d’avoir violé l’espace aérien chinois « plus de 10 fois » depuis mai 2022, selon le porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Wenbin. Ces allégations ont été contestées par les États-Unis.

Samedi dernier, au cours de la conférence sur la sécurité de Munich réunissant des experts et dirigeants internationaux, Wang Li, chef de la diplomatie chinoise, a dénoncé une réaction « absurde et hystérique » de la part des États-Unis. M. Li a accusé Washington de chercher à « détourner l’attention de (ses, ndlr ) problèmes intérieurs ».

Contacté par Le Délit , Mark R. Brawley, professeur de relations internationales à McGill, a accepté de nous éclairer sur la montée des tensions entre les deux pays. Selon lui, « il y

« Si la provenance du premier engin abattu le 4 février ne fait pas de doute, celle des trois autres objets descendus au-dessus des territoires canadien et américain le 10, 11 et 12 février est pour l’heure inconnue »

Dans la foulée, Washington a accusé Pékin d’opérer une «  flotte » d’aéronefs espions sur les cinq continents et a placé une branche de l’entreprise d’état chinoise China Electronics Technology Group Corporation

a bien une hystérie ( vis-à-vis de la Chine ), mais il y a surtout une pression croissante due aux critiques que les républicains ont fait de l’administration Biden sur ce sujet ». En effet, les tensions sino-américaines des dernières

semaines sur les soi-disant ballons espions ont constitué un terrain propice aux critiques républicaines. Après les hésitations de l’administration Biden à abattre le ballon, le sénateur républicain du Mississippi Roger Wicker a dénoncé « une preuve accablante de faiblesse de la part de la Maison Blanche ».

Les trois autres aéronefs, des «  ballons publicitaires »?

Si la provenance du premier engin abattu le 4 février ne fait pas de doute, celle des trois autres objets descendus au-dessus des territoires canadien et américain le 10,11 et 12 février est pour l’heure inconnue. John F. Kirby, porte-parole pour le conseil de sécurité nationale américain, a reconnu que ces objets volants sont probablement « simplement liés à des entités commerciales ou de recherche et donc inoffensifs », hormis pour des risques de collisions ou de perturbation du trafic aérien. Ces objets, plus petits que le ballon chinois abattu plus tôt dans le mois, ont pu être repérés par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) après un recalibrage des capteurs et des systèmes radar, permettant de localiser des engins plus petits dans des zones normalement réservées au trafic aérien. Ce recalibrage a entraîné une prolifération de nouveaux objets jusqu’alors non détectés sur les écrans radar de la NORAD. Le Délit a interrogé le profes -

seur Brawley sur la décision des États-Unis d’abattre ces trois objets volants non identifiés. Selon lui, « il semble de plus en plus probable que ce soit des ballons publicitaires ou quelque chose de similaire, et ce n’est pas parce que des ballons publicitaires s’échappent que vous devez dépenser des centaines de milliers de dollars au minimum pour les abattre ». Le professeur Brawley a questionné la réaction des États-Unis : « ils ont peut-être eu la gâchette un peu

l’homme, une rivalité commerciale et technologique. Le déplacement de la visite officielle d’Antony Blinken après l’incident du ballon chinois aurait été le premier d’un secrétaire d’État américain en Chine depuis 2018 et repousse ainsi une occasion de renouer un dialogue entamé par Xi Jinping et Joe Biden lors du sommet du G20 en novembre dernier. Malgré la montée des tensions entre les deux pays, Washington a réitéré sa volonté de garder « les lignes de commu -

« Ils ont peut-être eu la gâchette un peu facile »

facile  ». Il avance que « généralement, vous attendez d’évaluer si ( l’objet volant non-identifié, ndlr ) représente une menace avant de le détruire ».

L’impact sur les relations sino-américaines

Alors que la Chine et les États-Unis s’accusent mutuellement de violations de souveraineté territoriale et d’espionnage, cette nouvelle crise entre les deux pays vient jeter un nouveau froid sur des relations déjà au plus bas.

De nombreux différends opposent Washington et Pékin : la situation de Hong Kong, les relations avec Taïwan, les droits de

nications ouvertes ». De son côté, Pékin juge que l’incident a « gravement affecté et endommagé » les relations sino-américaines.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré Wang Yi en marge de la conférence de Munich sur la sécurité samedi dernier. Cette rencontre est le premier face-à-face entre les deux pays depuis que les États-Unis ont abattu un ballon chinois survolant le territoire américain le 4 février dernier. x

International actualités le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com
alexandre gontier | Le Délit
margaux thomas | Le dÉlit 4

Crise du logement à Montréal

Depuis maintenant plusieurs années, le Québec est victime d’une importante crise du logement et de nombreux ménages font face à des difficultés pour se trouver un toit. Selon une étude de Radio Canada, ce problème ne fait que s’aggraver, alors que le nombre de ménages locataires qui ne trouvent pas de logement s’élevait à 420 au 1er juillet 2021, et atteignait 750 un an plus tard.

Des problèmes structurels

L’inflation n’a pas seulement des répercussions sur le coût de la vie, mais également sur le marché de l’immobilier. D’après Radio Canada, l’augmentation drastique de 4,3% entre 2022 et 2023 de la taxe foncière imposée aux propriétaires se répercute aussi sur les locataires. L’ensemble des prix du loyer à Montréal ont donc poursuivi leur ascension cette année. Le journal Le Devoir décrit même la situation comme « la plus forte hausse des loyers en 20 ans dans la région ».

En parallèle à ce phénomène général de hausse des prix de l’immobilier, on note de nombreuses critiques

dénonçant des hausses abusives des loyers de la part des propriétaires.

La clause F, permettant aux propriétaires de modifier le montant des loyers qu’ils imposent à leurs locataires jusqu’à cinq ans après la construction de leur immeuble, est notamment fortement contestée.

Déjà en 2022, le journal 24 heures avait mis en avant les effets négatifs de cette clause, forçant parfois des locataires à quitter leur logement. Récemment, le 16 février 2023, Québec Solidaire a déposé une motion afin de demander une nouvelle fois la mise en place d’un mécanisme de contrôle des loyers ainsi que l’élimination totale de la clause F des baux, qui est selon eux « responsable de nombreuses hausses abusives ». Le parti Québec Solidaire

avait déjà tenté de réviser cette clause début 2022, mais sans succès.

L’accroissement des taux de location à court terme constitue aussi un problème qui suscite de fortes tensions. Ces locations à court terme – mises en place notamment via des plateformes comme AirBnB – sont appréciées par les propriétaires en raison de leur aspect lucratif.

D’après le journal La Presse, le changement d’usage d’un logement « est un motif d’éviction permis par la loi », poussant de nombreuses personnes à trouver un autre logement.

Cette problématique inquiète, puisque le logement touristique de court terme limite l’offre conventionnelle de logement, s’étendant

sur une plus longue période. Cela contribue par conséquent à l’augmentation générale des montants des loyers. Les conséquences de cette crise du logement touchent particulièrement les personnes financièrement vulnérables, comme celles occupant des emplois précaires, ou encore les familles monoparentales. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer l’impact de cette crise sur les étudiants.

Quelles conséquences sur les étudiants?

L’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) est une organisation spécialisée dans la question du logement étudiant au Québec. Plusieurs fois au cours des dernières années, cette organisation a mis en place

Dans un rapport de recherche publié en janvier 2022, l’UTILE met en avant le fait que les étudiants ne sont pas épargnés par cette crise. 77 % des étudiants universitaires sont locataires au Québec, soit environ 245 000 personnes, et font face aux mêmes problèmes que le reste de la société. Selon l’enquête menée par UTILE, 60% des étudiants locataires allouent plus de 30% de leur budget annuel au loyer, ce qui implique donc que le moindre changement des coûts du loyer modifie totalement leur plan de dépenses et peut chambouler leur quotidien. La crise du logement s’exprime aussi à travers l’insalubrité et l’état dégradé des logements à Montréal. D’après le rapport d’UTILE, 44% des étudiants répondant au sondage ont considéré que leur logement avait besoin de réparations majeures ou mineures.

des campagnes de sondages pour comprendre quels étaient les problèmes de logement des étudiants.

La crise du logement est particulièrement présent à Montréal depuis de nombreuses années, forçant la population à s’adapter au fil du temps. Au cours de la semaine dernière (13 février 2023), UTILE a lancé une nouvelle campagne de sondage en collaboration avec l’AÉUM, afin de suivre l‘évolution de la situation étudiante et leur ressenti face à cette crise qui perdure. x

Une nouvelle charte de liberté

Le 6 février dernier, l’Université McGill a transmis à la communauté étudiante une proposition de politique sur la liberté académique. Cette politique conçue en partenariat avec l’association des professeur·e·s et bibliothécaires de McGill (APBM) avait pour but d’adhérer aux conditions de la loi 32, en vigueur au Québec depuis le 3 juin 2022.

La loi 32

La loi 32, formellement connue comme la « loi sur le respect de la liberté académique dans le secteur universitaire », a été mise en œuvre à la suite d’un débat qui à secoué le Québec en 2020. Cette polémique a émergé après qu’une professeure de l’Université d’Ottawa ait utilisé le « mot en N » dans un cours. Son usage a été dénoncé par la majorité des étudiant·e·s de l’Université, qui réclamaient la mise à pied de la professeure.

Le premier ministre québécois François Legault a rapidement défendu la liberté académique en caractérisant les universités de « place(s,  ndlr) donnant lieu à des débats et favorisant la liberté d’expression ». Plus de 30 profes-

seur·e·s francophones de l’Université d’Ottawa avaient alors signé une lettre s’opposant à la suspension de la professeure, en affirmant qu’il y avait un réel besoin de contribuer à l’abolition des nombreuses formes de racisme systémique, tout en protégeant la liberté académique dans le secteur universitaire. Ils précisaient que l’utilisation de certains mots sensibles est parfois nécessaire pour alimenter des débats dans un contexte académique.

À la suite de cette polémique, le gouvernement du Québec a créé la commission Cloutier en mars

2021, ayant pour but d’examiner la situation de la liberté académique au Québec, afin de créer un projet de loi à ce sujet. Après les

mission d’un tel établissement d’enseignement ». Elle inclut l’obligation de créer et d’établir dans un délai d’un an, une politique exclusive à chaque université québécoise reconnaissant et protégeant la liberté académique dans le milieu universitaire.

La charte de la liberté académique à McGill

recommandations de la commission Cloutier, la loi 32 a été mise en œuvre en juin dernier, afin « d’assurer le droit de se livrer librement à la réalisation de la

En réponse à cette obligation gouvernementale, McGill a émis sa proposition d’une politique de liberté académique qui devra être adoptée d’ici le 7 juin 2023. Cette proposition est ouverte aux recommandations du corps étudiant et professoral jusqu’au 28 février 2023. La politique souligne que l’Université n’empêchera pas les débats et discussions portant sur des sujets ou enjeux d’intérêt. Elle ne prévoit également pas d’imposer l’utilisation d’avertissements de contenu avant le début de discussions sur des sujets controversés dans le contexte académique. Certains étudiant·e·s de l’Université tentent d’amender la charte pour y apporter des changements protégeant davantage les étudiant·e·s venant de communautés marginalisées.

En entretien avec Le Délit, Josh Werber – le sénateur de droit de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) nous fait part de l’opinion de la communauté étudiante face à cette politique : « Il y a un besoin réel de clarifier les règles entourant la liberté académique. La création d’une politique est donc appréciée. Il faut simplement qu’elle prenne en compte les impacts de certaines formes de discours sur les peuples marginalisés. » L’Université sera munie d’un sous-comité sur la politique académique (APC), qui enquêtera sur les plaintes concernant les violations de la liberté académique au sein de la communauté mcgillloise. Cette politique de l’Université sur la liberté académique sera revue et mise à jour tous les cinq ans.

Les vice-recteur e s par intérim et les directeur e s adjoint e s académiques de McGill souhaitent inviter la communauté étudiante à une consultation ouverte pour fournir des recommandations sur le projet de politique sur la liberté académique universitaire. x

actualités le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com campus
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Des problèmes structurels qui n’épargnent pas les étudiants.
Conformément à la loi 32, l’Université a transmis sa politique concernant la liberté académique.
Layla Lamrani Coordonnatrice Réseaux sociaux
« Il y a un besoin réel de clarifier les règles entourant la liberté académique »
« 60% des étudiants locataires allouent plus de 30% de leur budget annuel au loyer »
LAURA TOBON | le délit
Alexandre Gontier | le délit

La nomination d’Amira Elghawaby : un sujet qui fâche

Lorsque j’ai appris la nomination d’Amira Elghawaby comme représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, j’ai ressenti de la fierté par rapport à la création de ce poste, car ce geste représentait un pas vers l’avant pour mon pays.

Amira Elghawaby, une femme faisant partie d’une minorité visible, a fait ses preuves et a réussi à atteindre le poste de directrice des communications stratégiques et des campagnes pour la Fondation canadienne des relations raciales. De plus, elle a une vaste expérience en tant que journaliste et activiste pour les libertés civiles. Naturellement, sa nomination représentait une lueur d’espoir pour moi, ma famille, mes ami·e·s, et nos futurs en tant que musulman·e·s au Canada.

En grandissant, nous avons tous vécu les taquineries répétées, les blagues de terroriste et de papa extrémiste, le « Tu ne manges pas de cochon? Mais il y a seulement du bacon dans mon sandwich… » à l’école. Nous avons appris à les ignorer, mais cela fait néanmoins chaud au coeur de voir une femme musulmane voilée obtenir un poste fédéral. Cette joie est décuplée quand le poste en question représente la volonté qu’a le Canada de nous aider à nous sentir en sécurité et à encadrer la tolérance religieuse à travers le pays.

Rapidement, la joie qui m’habitait initialement s’est vue remplacée par de la tristesse. La vague de critiques, qui s’apparente grandement à la haine, que Mme Elghawaby a reçue à la suite de sa nomination, à été quasi immédiate et provenait largement du Québec ainsi que de ses médias.

Je comprends tout à fait que la colère et la déception de certain·e·s soient liées aux propos qu’Amira Elghawaby avait tenus dans un article qu’elle avait coécrit en 2019 concernant l’islamophobie au Québec. Dans ce dernier, elle soulignait la corrélation que trouvait un sondage entre le nombre de Québécois·e·s qui se disaient pro-loi 21 et le nombre de Québécois·e·s ayant des opinions anti-musulmans.

Depuis, elle s’est formellement excusée et a reconnu que ses mots ont pu être blessants et offensants pour plusieurs Québécois·e·s.

Néanmoins, certains se permettent de critiquer Mme Elghawaby, plus largement que seulement en réaction à ses propos de 2019. Plusieurs sont ceux·lles qui s’en sont pris à l’existence de son poste, questionnant son utilité.

Pourquoi lutter contre l’islamophobie si elle n’existe pas?

Au Québec, nombreux sont ceux et celles qui ont demandé que le poste de représentant·e spécial·e du Canada chargé·e de la lutte contre l’islamophobie soit aboli. Parmi ceux-ci se trouvent le Mouvement laïque québécois, le sociologue Guy Rocher, et même l’un des nôtres, l’historien et professeur émérite Yvan Lamonde de l’Université McGill.

De plus, il est important de souligner que le gouvernement québécois a lui aussi nié à maintes reprises l’existence d’un problème d’islamophobie au Québec. D’ailleurs, François Legault, alors seulement chef de la deuxième opposition en 2017, avait affirmé au lendemain de l’attentat de la Mosquée de Québec « qu’il n’y avait pas de ‘courant islamophobe’ au Québec ». Plus récemment, en 2019, François Legault maintenait encore fermement qu’il ne croyait pas en l’existence de l’islamophobie

au Québec et qu’il serait inutile d’instaurer une journée contre l’islamophobie au niveau provincial.

Au risque de déplaire à M. Legault et aux autres citoyens s’opposant à l’instauration d’un poste d’investigation sur l’islamophobie, je tiens à mentionner qu’au fil du temps, les sondages du même genre que celui sur lequel Mme Elghawaby avait écrit en 2019 se multiplient. En effet, un sondage de 2021 démontre

saurait accomplir son mandat sans offenser les Québécois·e·s.

Nonobstant mon désaccord avec sa recommandation, j’ai apprécié son analyse de l’islamophobie indéniablement présente au Canada. Malheureusement, M. Mercure a été inondé de courriels en réponse à son article qui, à ma grande surprise, ne manquaient pas de saveur antimusulmane ou, pour utiliser le mot dont tous ont l’air d’avoir peur, islamophobe.

« S’ils ne veulent pas s’acclimater au Québec, aucun pont ne sera jamais assez long : ils tomberont toujours dans les glaciales eaux sombres du Saint-Laurent, autant retourner en désert musulman! »

« La réponse est simple : on ne les aime pas. Regardez en France, vous allez tout comprendre. Demandez aux Français de souche. Informezvous, ce sont des envahisseurs. »

Ces commentaires rappellent ceux apparus sur la page Facebook du premier ministre Legault au lendemain du troisième anniversaire de commémoration de l’attentat de la Mosquée de Québec. Jetez-y un coup d’oeil :

« Je leur pisse au visage. »

au Québec, il me semble judicieux de se demander si la province se sent visée, si elle sent qu’elle a quelque chose à se reprocher.

La vague de haine, d’insultes, et de tentatives de délégitimisation qu’elle a reçue me semble excessive, et, considérant la facilité du Québec à pardonner d’autres faux-pas, je remets en question l’intensité de cette réaction. Je pense, par exemple, au premier ministre Legault qui, cinq jours avant les élections du 3 octobre dernier, a déclaré publiquement qu’accueillir plus d’immigrants au Québec serait « suicidaire ». Malgré tout, les élections se sont bien déroulées pour la CAQ, les électeurs leur ayant offert un second mandat.

En réalité, le poste, instauré au fédéral, ne vise pas plus le Québec que les autres provinces et terri-

que les Québécois·e·s, lorsque comparé·e·s aux citoyen·e·s canadien·e·s d’autres provinces, ont un taux plus élevé d’opinions négatives à l’égard des musulman·e·s. Certes, le taux de soutien en faveur de la  loi 21 ne repose peut-être pas entièrement sur de telles statistiques, mais toujours est-il que celles-ci soulèvent d’importantes questions concernant la possible corrélation entre la défense de la loi 21 et l’islamophobie.

Pour surenchérir, il ne faut surtout pas faire abstraction des opinions de la population. Le 8 février dernier, Philippe Mercure écrivait un article dans La Presse concernant l’affaire Elghawaby.

Il y reconnaissait l’utilité du nouveau poste de Mme Elghawaby, mais demandait quand même son remplacement par quelqu’un qui

« Merci M. Legault pour aller voir ces tueurs de moutons égorgés! Câlice, gang de bâtards. »

Alors, j’invite tous ceux et celles qui pensent encore que le poste de Mme Elghawaby devrait être révoqué à faire la lecture du reste de ces atroces messages, disponibles en grand nombre sur les réseaux sociaux.

Le Québec en désaccord

Maintenant, pour ce qui est de l’indignation du Québec suivant la nomination de Mme Elghawaby et de leurs revendications quant à sa démission, j’ose demander pourquoi le Québec a été aussi offensé. Si cette situation a enflammé la province aussi rapidement, a poussé les médias à dénoncer sa nomination et à rejeter la possibilité d’un problème d’islamophobie

toires. Cependant, seul le Québec s’est senti directement agressé par l’annonce de sa création. Amira Elghawaby s’est excusée pour ses propos blessants tenus il y a quatre ans, alors que François Legault semble avoir été pardonné sans même s’être sincèrement excusé des propos qu’il a tenus, ceux qui lui ont quand même valu le cadeau d’une réélection moins d’une semaine plus tard.

Amira Elghawaby s’est engagée à respecter et faire de son mieux pour remplir le mandat qui lui a été attribué. À la lumière de ceci, je crois qu’elle mérite la chance de faire ses preuves. Cet avis est d’ailleurs partagé par d’autres membres de la communauté mcgilloise : le philosophe Charles Taylor et l’avocat des droits humains Julius Grey – un ancien élève de la Faculté de droit de l’Université McGill et associé principal de la firme juridique Grey Casgrain s.e.n.c – ont cosigné une lettre afin de démontrer leur appui pour Amira Elghawaby.

À mon humble avis, l’ardent besoin de critiquer un tel rôle et la brillante personne qui l’occupera relève plus de la régression en faveur de l’islamophobie qu’autre chose. x

Société le délit · mercredi 22 février 2022 · delitfrancais.com
Dis-moi que tu es islamophobe sans me dire que tu es islamophobe.
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NIna sekaÏ Contributrice
« Cette joie est décuplée quand le poste en question représente la volonté qu’a le Canada de nous aider à nous sentir en sécurité et à encadrer la tolérance religieuse à travers le pays »
opinion societe@delitfrancais.com
alexandre GONtier | Le dÉlit
Société

Voter, mais encore...

Comment devenir une démocratie intergénérationnelle?

Le philosophe Thomas Paine croyait fondamentalement que la révolution était un signe de questionnement du statu quo par le peuple, et donc, qu’elle injectait dans le monde de nouvelles perceptions des droits humains. Paine croyait également que le pouvoir et l’autorité devaient entièrement reposer sur le peuple et que si ses droits étaient violés par un gouvernement qui devait le protéger, il avait le droit de se révolter ou de s’en débarrasser. Selon lui, la monarchie française violait les droits naturels de ses citoyen·ne·s puisqu’il s’agissait d’un système héréditaire et fondamentalement despotique, impliquant une concentration unique de la richesse aux mains de l’aristocratie. Pour ces rai -

sulté·e·s tous les deux ans. Au Québec, comme dans la plupart des autres démocraties occidentales, c’est le syndrome du chèque en blanc tous les quatre ans ; d’un côté des élu·e·s qui se sentent royalement au-dessus de la mêlée, de l’autre, pour ceux·lles qui se sont déplacé·e·s et ont voté, le sentiment de s’être fait avoir. La solution?

s’intéressent à la politique d’y participer dès l’âge de 15 ans. Et ce, dans un cadre remarquable, celui des vraies institutions.

Écouter

sons, Paine estimait que la révolution était légitime. Le résultat le plus conséquent - quoique lointain - de la révolution fut la démocratie représentative. Il soulignait que celle-ci devait contenir les principes qui régissent les modalités sur lesquelles un gouvernement sera établi et organisé : elle « n’est point l’acte de son gouvernement, mais celui de la Nation qui constitue un gouvernement ». Ainsi, quand la « volonté du peuple », cet autre nom de la Constitution, remonte jusqu’en haut, la démocratie peut être atteinte. Aujourd’hui, Paine accuserait les Canadien·ne·s et les Québécois·e·s de la prendre trop pour acquise. Il nous dirait que la démocratie protège les citoyen·ne·s, mais les citoyen·ne·s se doivent tout autant d’en être les protecteur·rices·s. Mais comment?

Voter

Au Canada, en 2019, 32% des jeunes de 18 à 30 ans n’ayant pas voté aux dernières élections fédérales justifient leur abstention par manque d’intérêt ou manque d’éducation sur les enjeux. Au Québec, une étude portant sur les jeunes de 21 ans démontre que parmi ceux et celles n’ayant pas voté, 44% ont fait un tel choix par manque d’intérêt. Peut-on expliquer ce faible intérêt par l’inverse? La politique s’intéresse-t-elle aux

jeunes? Met-elle en jeu leurs préoccupations? Il semblerait que non, ou pas assez. En effet, les enjeux qui touchent le plus les jeunes adultes semblent être sous-représentés dans les politiques publiques et les décisions gouvernementales, ce

ticiper activement au processus gouvernemental. Gestion de crises, rédaction de discours, confrontation avec les journalistes,

Se faire critique d’un système défectueux est une tâche nécessaire pour le rendre juste. Thomas Paine serait d’accord. C’est ainsi qu’on incite le gouvernement à écouter et à changer, à s’adapter aux nouveaux besoins de cette génération. Mais au-delà d’événements comme les parlements jeunesse, comment maintenir l’engagement politique des jeunes? Comment leur permettre de passer d’acteur·rice·s à électeur·rice·s et citoyen·ne·s engagé·e·s? Comment faire pour que les soucis politiques, prioritaires pour les jeunes, ne soient pas des enjeux cosmétiques tous les quatre ans : changements climatiques, égalité des sexes, accès à l’éducation, pauvreté, santé mentale…? À l’échelle fédérale, le gouvernement canadien s’est

qui produit un clivage générationnel quant à la participation politique. Bref, les jeunes se sentent étrangers par rapport au « discours politique traditionnel », ce qui explique leur désintérêt face aux élections provinciales et fédérales.

À qui la faute? Ou à quoi? Si quelqu’un vous dit je t’aime une fois tous les quatre ans, comment la flamme peut-elle être alimentée? Aux États-Unis, la Constitution a prévu que les citoyen·ne·s seraient con -

Participer

Comment maintenir le lien quand les chiffres continuent de montrer que les jeunes regardent ailleurs? Comment en faire de vrai·e·s acteurs·rices politiques? Comment leur faire aimer la politique? Le gouvernement a fait preuve d’initiative en créant, via le Secrétariat à la jeunesse, des programmes de simulations parlementaires qui permettent à ceux·lles qui le souhaitent de tâter la politique sur le terrain. Du 2 au 6 janvier dernier, il a invité une centaine de jeunes à assumer les fonctions du gouvernement, de l’opposition et des législateurs. Pendant la semaine de pause de l’Assemblée nationale du Québec, le salon bleu s’est transformé en scène théâtrale particulièrement réaliste par un jeu de rôle minutieux, la participation à des cérémonies symboliques, le port du veston cravate ; bref, par la reproduction fidèle de l’étiquette et de l’action politique. Les jeunes étudiant·e·s, et qui sait, futur·e·s politicien·ne·s, portaient les couleurs rouge ou bleue de l’ancienne, pas trop ancienne, dualité politique québécoise. C’était la 36 e édition du Parlement étudiant du Québec (PEQ). L’expérience a rappelé à beaucoup de jeunes la chance qu’ils·elles ont de vivre dans un pays démocratique, ainsi que l’importance de par -

« L’expérience a rappelé à beaucoup de jeunes la chance qu’ils·elles ont de vivre dans un pays démocratique, ainsi que l’importance de participer activement au processus gouvernemental »

joute oratoire… En plus du bleu gauchiste et du rouge droitiste qui teintaient leurs arguments, ces jeunes ont pu y ajouter leurs propres couleurs en présentant des projets de lois réfléchis, à l’image de la jeunesse. Il s’agissait d’une occasion en or de discuter de l’actualité, retricoter le passé, tourner en dérision quelques hypocrisies, ou bien encore tester des idées farfelues. Le tout avec cœur, le tout dans le respect des institutions et du magistral Salon bleu. On est loin d’un vote tous les quatre ans ; on est là où les choses se font entre ces rendez-vous trop lointains que sont les élections. Qui a dit que pour aimer, il faut connaître? Il·elle avait raison. Le Québec s’est doté de programmes pour rendre sa démocratie plus inclusive, plus accessible, plus transpartisane : le Parlement des jeunes pour les élèves de troisième et quatrième secondaire, le Forum étudiant pour les étudiant·e·s de cinquième secondaire et du CÉGEP, le Parlement jeunesse et le Parlement étudiant du Québec pour les universitaires. Il s’agit d’opportunités concrètes pour les jeunes québécois·e·s qui

muni d’un Conseil jeunesse du premier ministre. Or, dans la fédération canadienne, ce sont les décisions des gouvernements provinciaux qui ont le plus d’impact sur les citoyen·ne·s. Ce sont eux·lles qui stimulent le véritable changement environnemental, social, économique et culturel. Ne serait-il pas temps que le gouvernement du Québec imite son homologue fédéral et se dote d’un Conseil jeunesse du premier ministre? Il ne suffit pas de faire aimer la politique, il faut écouter. Qui a dit qu’aimer, c’est écouter? Il·elle avait raison. Un Conseil jeunesse serait une voix constante dans l’oreille du gouvernement.

Le défi est double. Comment en faire des électeur·rice·s plus volontaires et des acteur·rice·s plus constant·e·s? En s’assurant que le gouvernement luimême ne cesse jamais de les entendre, de les voir et de s’en préoccuper. Le Conseil jeunesse donne un statut officiel aux jeunes : lobbyistes pour leur futur. Seulement alors, le Québec pourra devenir un véritable laboratoire de démocratie intergénérationnelle. x

7 SOCIÉTÉ le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com Opinion
« Il nous dirait que la démocratie protège les citoyen·ne·s, mais les citoyen·ne·s se doivent tout autant d’en être les protecteur·rice·s »
« Il nous dirait que la démocratie protège les citoyen·ne·s, mais les citoyen·ne·s se doivent tout autant d’en être les protecteur·rices·s »

au féminin

Dirigente

aufeminin@delitfrancais.com

Ê tre la meilleure Opinion : Analyse introspective de la confiance en soi féminine.

Gravir des montagnes

Àtoutes les étudiantes qui doutent d’elles tout en aspirant à tellement de grandeur : cet article ne vise pas à être un compte rendu objectif de la confiance en soi féminine, mais plutôt une analyse subjective de la société telle qu’elle nous empêche d’aborder la vie avec la même confiance que nos analogues masculins. Il m’a semblé que ce sujet était particulièrement intéressant, car tandis que le féminisme nous invite généralement à lutter contre des inégalités qui nous sont extérieures et sur lesquelles nous avons peu de contrôle, la perpétuation des inégalités de genre réside également en notre for intérieur. Des discriminations articulent également nos membres et nos façons de vivre, elles sont alors à priori imperceptibles par nos sens, plus difficiles à identifier, et font pourtant tout autant de dégâts. Notre socialisation, notre éducation, notre culture et nos expériences personnelles façonnent irrévocablement notre caractère. Il est alors difficile de faire la différence entre ce que nous sommes vraiment et ce que les éléments extérieurs nous dictent d’être. Il devient alors intéressant de se questionner sur l’origine de certains de nos traits de caractère ou de nos comportements lorsque ceux-ci représentent des freins et semblent nous maintenir dans certaines positions de subordination. Est-

« Je crois que quelque chose de très inconscient s’opère ainsi lorsque que l’on est enfant et que nous rêvons d’avenir, un avenir où nos seuls modèles de réussite sont des hommes »

lificatifs positifs de moins que leurs confrères dans les articles qu’elles rédigent pour présenter leurs travaux. Bien d’autres études montrent encore que dans le monde professionnel,

« Une étude de l’Université de Munich faite en 2013 révèle qu’une femme sur huit négocierait son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux »

ce le cas pour la confiance féminine? Existe-t-il des fardeaux communs aux femmes qui les empêchent de jouir d’une pleine confiance en elles? Une étude de l’Université de Munich faite en 2013 révèle qu’une femme sur huit négocierait son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux. Un article du British Medical Journal datant de 2019 affirme que les femmes scientifiques utiliseraient 12% de qua -

et également dans le monde des études supérieures, les femmes ont tendance à se mettre davantage de bâtons dans les roues. Pourtant, nous nous accordons toutes depuis longtemps pour affirmer que l’intelligence n’a pas de genre. Il me semble également que l’expérience féminine apprend le courage et la résilience d’une façon relativement générale. Je vous propose d’embarquer avec moi dans ce petit

voyage à travers certains passages de vie qui, il me semble, ont beaucoup à nous dire sur la construction de la confiance en elle d’une femme occidentale, et en particulier sur son endommagement.

Là d’où je viens

Nous associons la confiance en soi à certains comportements qui ne sont traditionnellement pas toujours imprégnés dans l’éducation que reçoivent les filles. Il faut se penser la plus forte, la plus compétente, avoir une certaine croyance aveugle en ses capacités, une résistance aux chocs et aux doutes. La confiance en soi est associée à l’affirmation et à la réactivité. Ce sont des caractéristiques davantage associées à la masculinité stéréotypée, plutôt qu’aux attendus sociaux des femmes. Dès leur plus jeune âge, les garçons sont poussés à exprimer avec fierté leurs qualités, tandis que

les filles sont plus généralement élevées dans l’humilité. Cet élément varie selon la famille dans laquelle nous grandissons, nous évoluons aussi toutes avec moins de modèles féminins pour beaucoup de sphères professionnelles. L’histoire du sexisme est ancienne, et il fut un temps où les femmes étaient complètement absentes du monde professionnel. Même lorsque cela n’est pas le cas, elles y sont moins représentées et accèdent plus difficilement à des positions d’élite.

croire en soi, de s’associer à ces personnes, car lorsque nous lisons leurs histoires, les hommes sont très différents de nous ; ils ne travaillent pas de la même façon et ont des parcours qui ne peuvent être ceux des femmes. Nous nous demandons si nous avons les qualités requises, si nous avons parfois le sentiment qu’il faudra redoubler d’efforts pour parvenir à ces métiers. La culture populaire occidentale a également tendance à promouvoir l’image du garçon guerrier et combattant, prêt à se lancer sur le champ de bataille sans l’ombre d’une émotion. La férocité n’est pas associée aux stéréotypes de la féminité, les femmes apprennent donc sans cesse à se plier. Alors, les petites filles ont besoin qu’on leur rappelle la forme que peut prendre leur force, combien celle-ci peut être puissante et leur permettre de gravir des montagnes, de remonter des cours d’eau et de conquérir tous les métiers dont elles rêvent.

Les autres

Je crois que les réseaux sociaux, auxquels les femmes sont de plus en plus exposées et à un âge de plus en plus jeune, y sont également pour quelque chose. J’ai grandi dans une sphère imaginaire où les corps sont parfaits, les vies sont parfaites et où les encombres et les défauts n’existent pas. Ce que l’on voit

« Le regard des autres est un tribunal, les attentes de la société pour les femmes donnent le tournis et nous apprenons à être jugées, sans cesse, pour nos façons d’être, de paraître et d’incarner »

Je crois que quelque chose de très inconscient s’opère ainsi lorsque que l’on est enfant et que nous rêvons d’avenir, un avenir où nos seuls modèles de réussite sont des hommes. J’ai toujours rêvé d’être réalisatrice de films, ma petite sœur rêvait d’évoluer dans les sciences, dans des métiers pour lesquels les femmes sont largement sous-représentées. Il est ainsi plus difficile de

sur les réseaux sociaux constitue un idéal, qui semble être l’idéal féminin, une perfection à laquelle nous apprenons à aspirer. Nos modèles ne montrent pas de gouttes de transpiration ou de voix fortes, ils incarnent les stéréotypes de la féminité, la douceur, la beauté, l’intelligence sans prétention et les sourires. Le regard des autres est un tribunal, les attentes de la société

au fÉminin le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com 8
ROSE CHEDID

pour les femmes donnent le tournis et nous apprenons à être jugées, sans cesse, pour nos façons d’être, de paraître et d’incarner. Le conflit avec notre confiance en nous naît alors, car pour croire en soi, il faut s’accepter et s’affranchir des façons dont les autres nous ont définies. Il faut oser déranger, être convaincue de la valeur de ses qualités et savoir ce que l’on mérite. Lorsque notre confiance est abîmée par les critiques de nos physiques et de nos caractères, fondées sur des injonctions associées à la féminité, cela se répercute sur tous les aspects de notre vie qui demandent une affirmation. Il est intéressant lorsque vous faites face à des situations de stress avant un examen ou avant de parler de vous, de refaire votre propre voyage intérieur. Doutez-vous de vous parce que vous n’êtes pas si douée que cela ou bien parce que vous vous êtes souvent sentie rabaissée pour des facteurs qui n’ont pas rapport, comme, par exemple, votre physique? Vous méritez de vous regarder attentivement, pour abattre les parasites

militantes

qui vous ont été imposés et qui vous empêchent de jouir pleinement de qui vous êtes.

Se déconstruire

Le monde est à refaire, certes. Les inégalités et discriminations sont infinies, et il y a beaucoup à déconstruire. Or, nous sommes aussi le monde et notre intérieur est fait de cet environnement révoltant. Les

barrières qui nous empêchent d’atteindre une parfaite équité sont aussi en nous, et les

identifier permet tout d’abord de se déculpabiliser, afin de ne pas laisser le cheval de Troie

nous envahir pour toujours. L’impression du « plafond de verre », à laquelle les femmes sont régulièrement confrontées, est aussi une affaire de société. La recherche d’équité demande parfois de mettre en place des dispositifs pour ajuster les discriminations si profondément ancrées dans la société qu’elles en deviennent intrinsèques aux individus, que ces derniers le veuillent ou non. Les sphères ou formations qui ont pour but de permettre aux femmes de se réapproprier leur for intérieur sont ainsi pertinentes et doivent être plus amplement développées. Il n’est pas trop tard pour apprendre à voir et à profiter de notre force pour ne plus être notre première ennemie face à la difficulté. Parcourez vos corps et vos esprits comme s’ils appartenaient à un être cher. x

Madeleine Parent : Fé minisme et lutte sociale

Portrait : Une féministe et syndicaliste québécoise.

Madeleine Parent est une figure du féminisme et du syndicalisme québécois, dont les luttes pour l’égalité questionnent encore aujourd’hui sur l’intersectionnalité des luttes. Ancienne étudiante de l’Université McGill, Madeleine Parent défend un féminisme spécifique au Québec : sa naissance est intimement liée aux mouvements de luttes sociales qui sont apparus au 20ème siècle. Les années 1960 voient alors apparaître une dissociation des luttes : les féministes commencent à revendiquer les droits de toutes les femmes seulement. Quel paradoxe a alors mené les mouvements féministes à se différencier des autres mouvements de lutte sociale? Madeleine Parent exprime-t-elle ce lien difficile à ignorer entre égalité des classes et égalité des genres? Lutter pour l’égalité, est-ce lutter pour tout le monde?

Une vie

Madeleine Parent a lutté pour l’égalité des classes et des genres, sans jamais réellement associer ces luttes. Au cours de sa vie, elle milite au sein d’organisations ouvrières, dont les Ouvriers Unis du Textile d’Amérique (OUTA), tout en

participant à des grèves. Elle est arrêtée car elle est accusée d’être une communiste russe.

En parallèle, elle vit son évolution féministe. Peu après l’université, elle rencontre l’organisatrice syndicale Léa Roback aux côtés de qui elle milite pour le suffrage féminin au Québec. Après 1955, pendant son exil à Ottawa, elle est membre fon -

datrice du Comité d’action pour le statut de la femme (NAC), au sein duquel elle représente le Québec et défend les droits des femmes autochtones et lutte pour l’égalité salariale. Le visage des inégalités Fondamentalement, lutte ouvrière et lutte féministe à

ce moment revendiquaient se battre pour une même valeur :

structure capitaliste de la société, avec une hiérarchie pyramidale

l’égalité. Au Québec particulièrement, les mouvements féministes nés dans les années 60 tels que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) ou le Front de libération des femmes (FLF) s’inscrivent dans un fort désir de l’époque de développer le tissu associatif québécois et de faire vivre la démocratie. Les mouvements féministes et syndicalistes, à la recherche de justice sociale, ne défendent pourtant pas tout à fait les mêmes intérêts. Les luttes se rejoignent et s’entremêlent, mais tandis que les conséquences des inégalités et des discriminations semblent se ressembler, il est important de considérer les différences de contextes. De nombreuses féministes au Québec considéraient que les discriminations sexistes perduraient à cause de l’ignorance des autorités politiques du caractère inégalitaire de la société. Tandis que les injustices sociales sont déterminées par la

au bas de laquelle les classes les moins aisées sont victimes du système, le patriarcat a une structure bien différente. Il ne s’agit pas d’une hiérarchie pyramidale, mais de seulement deux groupes, un dominant et un dominé, et les discriminations se retrouvent dans toutes les sphères où ces deux groupes sont présents. Ainsi, si Madeleine Parent recherchait l’égalité des différents groupes opprimés, ses revendications n’étaient pas les mêmes en fonction des groupes qu’elle défendait. L’intersectionnalité est une notion centrale qu’il faut absolument prendre en compte pour toutes les luttes, mais il est également important de reconnaître que toutes les discriminations contre lesquelles Madeleine Parent luttait étaient implantées dans des contextes bien différents. Nous n’atteignons pas tous·tes l’égalité et la liberté en empruntant le même escalier. x

9 au fÉminin le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com
« Les barrières qui nous empêchent d’atteindre une parfaite équité sont aussi en nous, et les identifier permet tout d’abord de se déculpabiliser, afin de ne pas laisser le cheval de Troie nous envahir pour toujours »
MARIE PRINCE Éditrice Au feminin
« Les mouvements féministes et syndicalistes, à la recherche de justice sociale, ne défendent pourtant pas tout à fait les mêmes intérêts »
opinion
LAURA TOBON | le délit Alexandre gontier | le délit

Un cœur qui bat des ailes

Encore une fois, je me retrouve dans cette chambre. C’est la troisième fois cet hiver que j’y suis ; on pourrait dire que je deviens un régulier. Le docteur me connaît bien, les infirmières aussi. Cette boîte, qui me semble rapetisser à chaque visite, n’a qu’une seule tache de couleurs, provenant de cet infâme tableau accroché au mur au bout de mon lit. Franchement, l’artiste manquait sûrement d’inspiration pour peindre un oiseau aussi laid. Il faudrait mieux questionner celui qui a eu la belle idée de placer un tel tableau devant un patient atteint d’une insuffisance cardiaque.

Ma femme Michelle se soucie souvent de mon faible cœur. Elle espère que le docteur nous annoncera bientôt qu’un nouveau cœur me sera transmis. Des médicaments, de nombreuses interventions, une chirurgie, et maintenant un nouveau cœur. J’en ai marre. À vrai dire, j’ai toujours trouvé cette idée étrange : le cœur d’un autre qui bat pour moi... pour ma femme. C’est bien pourtant mon cœur qui est tombé

pour elle. Et alors que ma douce femme espère le cœur d’un autre, je ne peux qu’observer cet oiseau. Avec son plumage terne, il n’inspire que la misère. Perché sur sa branche, on dirait un vieillard ravagé.

Bonjour Monsieur Lemire, comment allez-vous aujourd’hui?

Aussi bien qu’on peut l’être avec un cœur qui refuse de coopérer. Avez-vous vu ma femme?

Elle est à la cafétéria. Monsieur Lemire, j’ai une bonne nouvelle pour vous. On vous a trouvéAh, enfin, il était temps. Vous avez trouvé un nouveau tableau pour remplacer ce diable d’oiseau! Je ne pense pas pouvoir le supporter une

autre journée avec son regard vide. Encore mieux monsieur! On vous a trouvé un cœur.

Un nouveau cœur. Ce n’est pas drôle de vieillir, on devient spectateur de notre propre décrépitude. Un nouveau cœur. Malgré son état fané, il est quand même en paix, cet oiseau. Le sommeil m’envahit de plus en plus. Je suis au bout de ma corde. Un nouveau cœur, et pourtant il arrive trop tard.

Docteur Rolf, qu’est-ce qui me dit que ce cœur est de qualité? Je ne veux pas d’un cœur usagé! Mais voyons Monsieur Lemire, vous devriez vous estimer heu-

reux. Après tout, la vie vous donne une deuxième chance.

Une deuxième chance! Vous osez me dire que ma vie n’a pas de valeur? Où est ma femme?!

Calmez-vous monsieur, ce n’est pas bon pour votre cœur.

Bande d’incapables, je vais la trouver moi-même.

Monsieur Lemire, vous n’êtes pas raisonnable, recouchez-vous.

Insupportable. Dire que j’étais en bonne santé jusqu’à ce que je ne le sois plus. Durant la dernière année, j’ai eu bien du temps, allongé dans mon lit, à me tourner les pouces et repenser à ma vie. C’est ma belle Michelle qui m’a offert une

si bonne vie. Je pense que c’était lors d’une excursion en montagne que mon cœur s’est emballé en sa présence pour la première fois. C’est aussi le fait de la voir grimper la montagne devant moi qui m’a toujours fait flotter un sourire au bord des lèvres. De tels moments se sont transformés en souvenirs impérissables, mais ne sont, à présent, que des souvenirs. Je ne suis pas cave. Je sais que mon cœur m’abandonnera un de ces jours, mais c’est ce cœur qui a fondé mon amour pour Michelle. Aucun autre cœur ne pourra aimer ma douce comme le fait mon cœur fragile.

Code bleu! Cherchez-moi une BiPAP tout de suite! Au moins, l’oiseau, lui, pourrait s’envoler avec ses longues ailes fripées.

Il a trop de fluide dans ses poumons! Il relâche à peine un souffle. Dans ce grand ciel bleu, il doit avoir la plus belle vue des paysages.

Docteur, le patient ne répond pas au traitement. Ma belle Michelle, si seulement nous étions des oiseaux. Madame Lemire? Que se passe-t-il?! x

ATTENTION : ovni cinématographique! La trajectoire réussie du premier long-métrage de Marc-Antoine Lemire.

Marc-Antoine Lemire vous propose de monter à bord d’un petit ovni cinématographique qui promet de vous extraire momentanément de la réalité. Une réussite pour le jeune réalisateur québécois qui signe avec Mistral Spatial (2022) son premier long-métrage expérimental et sensible.

La richesse de sa proposition réside d’abord dans ses nombreuses innovations narratives et formelles. Le film se déploie en trois actes, avec trois formats cinématographiques, trois ambiances, et de multiples procédés originaux, notamment des effets de distorsion de l’image. Sans jamais se limiter, le réalisateur explore et mélange les influences et les genres. Il propose un regard réaliste et sensible sur la douleur et le manque, puis bifurque vers la science-fiction, évolue en thriller sonore, pour finir sur

un récit initiatique empruntant à la comédie musicale.

Le film débute par une « banale » rupture amoureuse, mais se transforme très vite quand le personnage principal, Sam, est victime d’un phénomène sonore et lumineux inexplicable dans une rue de Montréal. Il perd connaissance pendant plusieurs heures et se réveille sans aucune autre trace de cet épisode qu’une mélodie lancinante dans ses oreilles... Après avoir cru à une simple chute de pression, il pense ensuite avoir été victime d’un enlèvement extraterrestre et développe une véritable paranoïa accentuée par les sons répétitifs qu’il perçoit depuis son accident. Cette incertitude teinte le film d’un aspect angoissant qui n’enlève rien à son caractère tendre et drôle. En parallèle de la quête presque maladive de l’explication du phénomène, le réalisateur explore subtilement les possibles réactions face à une séparation douloureuse, qui vont du repli sur soi à la tendance à se réfugier dans l’imaginaire. La présence continue

des fidèles amis de Sam, Alex et Véro, rappelle aussi l’importance des liens amicaux dans les périodes de perte de repères émotionnels.

Le film dénote d’une capacité étonnante à mettre en scène l’étrangeté

existant, mais hors des limites de la science cartésienne).

dans un quotidien banal. La deuxième partie, à l’atmosphère plus sombre servie par une image en noir et blanc, rappelle la nouvelle fantastique du Horla de Maupassant. Mettant en scène des personnages en proie à des phénomènes étranges qu’ils attribuent à des créatures surnaturelles, les deux œuvres jouent d’une ambiguïté entre explications rationnelles (comme la folie, la maladie ou l’épuisement) ou surnaturelles (comme une obsession fondée sur un objet

Au-delà de la qualité de sa narration, le réalisateur exploite à merveille les potentialités du médium cinématographique, notamment l’aspect sonore. Comme le magistral Sound of metal (2021) de Darius Marder qui s’appuyait sur un travail poussé autour du son, Mistral Spatial est un de ces films qui constituent une véritable expérience sensorielle, immersive et troublante. Le son est mis au service de l’intrigue et de l’angoisse, accompagné par la puissance et l’aura mystique qu’exerce l’instrument joué par Sam, le thérémine. C’est donc aussi un film qui nous pousse à mieux écouter le monde. Comme Sam, on a envie de sortir son dictaphone pour enregistrer les sons de la neige qui crisse sous les pas ou le silence d’un retour de soirée.

Jamais prévisible et toujours étonnant, le cinéaste réussit à nous emmener là où on ne l’attend pas, jusqu’à un camp

communautaire où les participants sont amenés à explorer leur animal intérieur en grenouillère dans la forêt. Au-delà de l’éternelle question de la possibilité d’une vie extraterrestre posée par les films de science-fiction, le film se construit plus largement autour d’une quête de soi-même. Comment trouver sa place, après une rupture, dans une communauté ou dans l’univers tout entier? Mistral Spatial réussit le pari en posant cette question existentielle de façon innovante et ludique. x

Ligne de fuite Anaïs Miners Contributrice 10 culture le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com culture artsculture@delitfrancais.com
Et une plume qui gratte le papier.
cinÉma
alexandre gontier i le délit
« Le film met en scène l’étrangeté dans un quotidien banal »
Olivier Plin

Le bleu du caftan : une douceur palpable

Récipiendaire du prix de la critique dans la section « Un certain regard » du Festival de Cannes 2022, Le bleu du caftan (2022) immerge le spectateur dans l’intimité d’un couple marié composé de Halim, un tailleur de caftans tenant une boutique dans la médina de Salé, interprété par Saleh Bakri, et sa femme Mina, atteinte d’un cancer, jouée par Lubna Azabal. Dans son second long-métrage, Maryam Touzani dépeint le quotidien du couple rythmé par un amour platonique, mais inconditionnel, celui qui unit un homme habité par ses pulsions homosexuelles réprimées et la femme qu’il a choisie d’aimer. Le regard de la réalisatrice se pose d’abord sur leur vie de couple, dans sa plus grande sincérité, puis sur le triangle amoureux qui naît avec l’arrivée de Youssef, le nouvel apprenti de Halim.

L’histoire dépeint un binôme vivant une tendresse et une complicité non charnelles. Grâce

à Youssef, Halim renoue avec sa sensualité, avec une certaine pudeur, éloignée de toute vulgarité. Ce sont les non-dits – les mains qui s’effleurent, les peaux qui se touchent et les doigts qui s’entrelacent – qui guident la navigation des relations complexes entre les personnages. Malgré l’attraction platonique régnant au sein du couple d’Halim et Mina, le toucher reste un vecteur clé de la relation qu’entretient Halim avec sa femme malade. Grâce aux visuels réfléchis, le spectateur peut laisser son instinct parler, son imagination jouer avec les images, sans besoin qu’on lui dicte tout ce qui se trouve sous ses yeux.

film balancé, sans artifices, loin de requérir le décryptage de codes cinématographiques complexes. Seulement trois lieux – le hammam, l’atelier et la maison – et trois personnages – Halim, Mina et Youssef –, qui forment un triangle amoureux étonnamment harmonieux, créent une symétrie forte et intrigante. L’utilisation de trois lieux reflète le triangle amoureux, et la simplicité brute de ce choix fait la force du film.

Quoique le film puisse sembler à première vue n’être qu’une étude du désir réfréné, on y trouve des symboles évoquant le cycle, la circularité de la vie et du quotidien, qui soulèvent les

Le 1er février, le Sénat en France a voté l’inscription dans la Constitution de la « liberté » de recourir à l’avortement. Quelques mois auparavant, les députés de l’Assemblée nationale avaient approuvé la mesure qui visait à « protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception » en l’inscrivant dans la Constitution. Du point de vue linguistique et juridique, il existe bien une distinction entre le concept de droit et celui de liberté. Cependant, ce qu’il faut finalement retenir, c’est qu’aucun droit ni aucune liberté ne doivent être considérés comme acquis, qu’ils soient ou non inscrits dans la Constitution. Cet été, les ÉtatsUnis nous l’ont regrettablement rappelé à la suite de l’arrêt Roe v. Wade. En effet, en 1973, la Cour suprême des États-Unis avait inscrit dans la Constitution le droit aux femmes d’avorter. 50 ans plus tard, cette même Cour l’annule et par conséquent, donne le droit à chaque état individuel d’interdire ou de restreindre l’accès à l’avortement pour les femmes enceintes.

Le film français Annie Colère, réalisé par la française Blandine Lenoir, à l’affiche depuis novembre dernier, met en avant de manière pédago-

Dans Le bleu du caftan , les symétries créées par Maryam Touzani donnent lieu à un

thèmes de la mort, de l’amour et du travail acharné. De façon répétée, Mina mange des clé -

mentines qui finissent par pourrir, comme ce que le cancer inflige à son corps. Le caftan bleu sur lequel Halim travaille tout au long du film rappelle le temps qui passe, et la fin inévitable. Grâce aux symbolismes si naturellement enchâssés au récit, le spectateur est incité à réfléchir aux thèmes abordés et à garder en tête la fatalité du sort de Mina, sans pour autant que cela alourdisse les dialogues qui demeurent légers et joueurs.

Ce qui fait la beauté du film, c’est son honnêteté sensible et sa mise à nu de thèmes foisonnants comme l’amour platonique, la sexualité, et la maladie, mais toujours abordés avec beaucoup de tact. Bien que lent au début, le film de Maryam Touzani nous présente avec grâce un couple inhabituel, qui s’aime malgré tout et qui vit un quotidien insolite, sans pour autant sembler irréaliste. x

Annie Colère contre l’injustice

Portrait de la lutte pour l’avortement en 1974.

gique la problématique de l’avortement et l’accès à l’information quant à l’appareil génital féminin en passant par la diabolisation de la liberté sexuelle. Le film retrace le quotidien d’Annie, protagoniste ouvrière et mère de deux enfants lorsqu’elle découvre qu’elle est de nouveau enceinte. L’action se déroule en 1974, deux ans avant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Annie entre en contact avec les services avortifs illégaux du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), qui pratique gratuitement la méthode Karman, aussi dite méthode par aspiration (moins douloureuse et dangereuse que la perforation utérine avec des aiguilles à tricoter). Après l’intervention médicale réussie, elle se joint à l’association et se lie d’amitié avec les autres membres. Le décor et le coloris restituent une ambiance propre aux années 1970 : cigarettes à l’intérieur, Renault R4, images saturées… Sans oublier le climat patriarcal de l’époque, très assumé. Il faut par ailleurs souligner le jeu

d’actrice brillant de Laure Calamy, récompensée par les Oscars en 2022. Ses expressions de visage ainsi que son jeu de regard font passer énormément d’émotions. C’est primordial dans un film qui illustre une partie importante de l’émancipation des femmes, que la société a tue. L’interprétation de Monique la fromagère par Rosemary Standley est tout aussi touchante. C’est une première au cinéma pour la chanteuse du groupe Moriarty, et le défi est amplement relevé. Forte et vulnérable à la fois, Monique est une membre importante du MLAC. J’aime son caractère déterminé et sa douce voix, que nous avons l’occasion d’entendre lorsqu’elle chante à Annie pour tenter de la détendre durant son IVG. Au fil de l’histoire, nous comprenons qu’elle entretient une relation toxique avec son mari au comportement violent, ce qui ne l’empêchera pas de continuer de lutter aux côtés des autres bénévoles.

Désigné comme une comédie dramatique, j’ai doucement souri face à des scènes assez crues, par exemple quand Annie découvre

qu’elle a un clitoris en se touchant le vagin entourée de ses deux amies. La réalisatrice parvient à déconstruire le patriarcat avec un humour un peu surprenant. Hélène, une infirmière interprétée par Zita Hanrot, et Annie se retrouvent avec deux jeunes docteurs qui ont terminé l’apprentissage de la méthode Karman. Ces derniers ne comprennent pas l’importance de parler aux femmes pendant la procédure, de leur expliquer chaque geste afin qu’elles se sentent en confiance et plus détendues. Face à cette situation, Hélène demande à l’un des deux médecins d’enlever son pantalon et de s’allonger sur la table gynécologique. Le jeune homme, visiblement mal à l’aise, se retrouve en sous-vêtements, les jambes écartées. Cette scène, dont l’effet est proprement comique, demeure tout de même improbable au regard des dynamiques entre hommes et femmes en France à l’époque. En réalité, la motivation derrière ce genre de scène est de faire passer un message sur les obstacles des luttes féministes passées, afin d’inspirer les générations futures à continuer le progrès. De nos jours, la stigmatisation autour de

l’avortement existe encore. Les personnes qui ne savent pas à quoi ressemble un clitoris et ne connaissent pas sa fonction sont encore une majorité, et bien que le port du pantalon soit maintenant une norme, nous sommes toutes encore conscientes de la longueur de nos jupes.

Blandine Lenoir va jusqu’à utiliser les vraies images du plaidoyer de Delphine Seyrig sur l’avortement. Cette actrice féministe des années 70 n’avait pas hésité à mettre sa carrière en danger dans le but de défendre ses idées. Aujourd’hui, grâce à ce film, je suis persuadée que beaucoup vont apprendre sur ces droits fondamentaux et sur l’histoire de ces femmes qui se sont attaquées à la loi pour changer leur destin et celui des générations suivantes. x

11 culture le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com cinÉma
L’amour simple et rafraîchissant pour le second long-métrage de Maryam Touzani.
Jeanne marengère Éditrice Société-Enquête
« Seulement trois lieux [...] et trois personnages [...] forment un triangle amoureux harmonieux qui créent une symétrie forte et intrigante »
Laura tobon | le délit Pema Tournadre Contributrice cinÉma
« Annie contacte les services avortifs illégaux du MLAC qui pratique gratuitement la méthode Karman »
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12 le délit · mercredi 22 février 2023 · delitfrancais.com
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