Automne-hiver 2012-13.
Les sujets de conversation ne manquent pas. Son centième défilé de mode, qui s’est terminé par des larmes. La façon dont l’industrie de la mode -et lui-même- ont changé au fil des ans. Combien de temps il veut encore continuer à travailler, maintenant qu’il approche de la soixantaine. Et le mystérieux colis qui se trouve sur la table. Nous commençons par lui demander son avis sur le film ‘Dries’, sorti au printemps. L’une des scènes les plus prenantes du documentaire réalisé par l’Allemand Reiner Holzemer se passe chez lui: Dries et Patrick Vangheluwe, son partenaire de travail et de vie, cueillent des fleurs dans le jardin, les disposent dans des vases qu’ils déposent sur la table avec une précision maniaque. «Je peux difficilement juger ce film parce qu’il parle de moi. Par exemple, j’aurais laissé tomber cette scène. Qu’est-ce qu’elle apporte?», déclare le créateur. «Ou celle dans laquelle Patrick et moi partons en vacances. Était-ce vraiment nécessaire?» Oui, répondons-nous, car il ne part presque jamais en vacances. Et si, exceptionnellement, il s’offre un break, il planifie chaque minute et il établit le meilleur itinéraire sur Google Maps pour visiter le plus d’endroits en un jour. «Pour en tirer le maximum», explique-t-il dans le film.
Charbons ardents À l’occasion du centième défilé, un OUVRAGE (ou plutôt, deux) sera publié en septembre. Un opus de 876 pages. «J’en suis très content. Ce livre offre un bon aperçu de mon travail, des premières années à aujourd’hui, du premier au centième défilé. Ce n’était pas évident. Il a demandé beaucoup de travail. Nous n’avons pratiquement pas d’archives des dix premières années. À l’époque, comme nous n’avions pas d’argent pour payer les mannequins, nous les rétribuions en vêtements.» Pour ce centième défilé (qui a eu lieu fin février), l’Anversois a réuni quelques-uns de ces mannequins de la première heure. «Ce défilé anniversaire m’a mis sur des charbons ardents. J’appréhendais les tailles: les mannequins plus âgés n’entrent généralement plus dans un petit 36. Malgré tout, l’ambiance backstage était super.» Il rayonne.
«Kristina De Coninck est quadragénaire, mais, comme elle a participé à nos vingt premiers défilés, c’était une évidence pour moi qu’elle devait ouvrir le centième. Quand elle est apparue, quelque chose s’est passé: son sourire, le contact visuel avec le public et les autres modèles... Tout le monde s’est mis à rire. C’était l’ambiance des premiers jours, quand les modèles pouvaient encore sourire. Backstage, tout le monde a pleuré d’émotion, moi comme les autres. C’était comme une fête de famille.»
Rythme des saisons Non, il n’est pas nostalgique, insiste-t-il. «Je ne vis pas dans le passé. J’aime le présent.» Mais cela ne signifie pas pour autant que les changements sont toujours des améliorations: «En 35 ans, nous avons un peu perdu le côté humain. Tout est devenu un produit, tout est commercial. Les défilés se sont mués en outils de marketing: ce qui est montré - les vêtements - n’a plus d’importance.» Pour le créateur, le vêtement est toujours resté l’essentiel. Il n’a jamais consacré un euro à des campagnes publicitaires. Et, lors des fashion weeks, l’effervescence du tapis rouge ne le gagne pas. «Je reconnais que ma vision n’est pas la seule et que certaines personnes achètent des pièces de créateur pour ressembler à une star ou à une publicité dans un magazine, mais ce n’est pas mon truc. Je suis peut-être ‘old fashioned’, mais, pour moi, ce sont les acheteurs qui sont les plus importants. Ils sont toujours au premier rang. Vous pouvez parler de mode autant que vous voulez, ce qui compte, c’est que les gens achètent nos créations. Je ne fais pas de l’art: ce que je fais n’aurait aucun sens si cela ne se vendait pas.» Dries Van Noten est un phénomène dans le monde de la mode. Et il l’a toujours été, même si, lui, il se voit différemment. «Nous n’avons jamais rien fait d’autre que de faire autrement.» Il est également l’un des rares créateurs à être aussi le directeur commercial de son entreprise. «Qui n’avance pas recule. Nous essayons de nous développer lentement, de manière organique.» Ces deux dernières années, son label a connu une spectaculaire croissance à deux chiffres. «Parfois, vous ne maîtrisez pas
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Printemps-été 2015 - menswear.
«Vous pouvez parler de mode autant que vous le voulez. Ce qui compte c’est qu’on achète in fine nos créations. Je ne fais pas de l’art.»
«Très tôt, j’ai décidé que je ne voulais pas créer de vêtements pour moi pour éviter que mes collections ne vieillissent avec moi. Aujourd’hui, je devrais créer pour des sexagénaires et cela ne me dit rien.»
Automne-hiver 2010-11.
Printemps-été 2015.
© ALL IMAGES COURTESY DRIES VAN NOTEN
Printemps-été 2014.
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© Emma Summerton pour Christian Dior
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TRIANGLE D’IOR Une anthologie en sept volumes et une exposition à Paris: pour fêter ses 70 printemps, la maison de couture Christian Dior fait les choses en grand. Nous avons assisté à la fête d’anniversaire et, entre le gâteau et le champagne, nous avons découvert son impressionnant héritage. REPORTAGE: IRIS DE FEIJTER
e plus grand défilé de tous les temps: cet été, pour l’inauguration de son exposition, la maison de couture Dior n’a reculé devant aucun superlatif. Le résultat de cet engagement est un tour de force absolu: 3.000 mètres carrés et plus de 300 robes haute couture. Le musée des Arts décoratifs, dans l’aile ouest du Louvre dédiée aux arts appliqués, est littéralement plein à craquer. Les robes de princesse sur plusieurs mètres de haut sont véritablement impressionnantes, mais c’est aussi le but: la maison surpasse ainsi d’autres expositions historiques, comme ‘Louis Vuitton - Marc Jabobs’ en 2012, ou ‘Inspirations’ de Dries Van Noten en 2014. Cet événement vertigineux est avant tout une excellente occasion de se plonger dans l’univers de Christian Dior. Au fil de 23 thèmes différents, couvrant un territoire qui va des arts visuels au parfum, on découvre son histoire, ses sources d’inspiration, ses
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‘Christian Dior - Couturier du rêve’, jusqu’au 7 janvier 2018. www.lesartsdecoratifs.fr
© Getty Images
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© Adrien Dirand
1. La maison a (presque) 71 ans. En effet, Christian Dior l’a fondée le 8 décembre 1946, soutenu par Marcel Boussac. Le 12 février 1947 a été présentée la première collection, lors de laquelle le créateur a dévoilé la ligne qui deviendra célèbre, le New Look. Et c’est cette date que Dior fête. Les ateliers sont toujours installés au 30 avenue Montaigne, au cœur du triangle d’or, le quartier le plus luxueux de Paris. 2. Le New Look était une révolution. Cette silhouette voluptueuse et sensuelle -épaules étroites, poitrine ronde, taille appuyée et jupe ample- a été inspirée par les courbes des fleurs. Cette collection de 1947 a marqué une rupture radicale avec ce que proposait la mode à l’époque, dont celle signée Coco Chanel. 3. La mode n’a été qu’une une vocation tardive pour Christian Dior. Ses parents, industriels, le voyaient plutôt se diriger vers une carrière diplomatique. Il étudie certes les sciences poli-
© Adrien Dirand
ateliers et les différents créateurs qui y ont exercé leur talent car, en 70 ans d’existence, son fondateur, Christian Dior, n’aura été que 11 ans à la tête de sa maison, passant définitivement la main à l’automne 1957 à son tout jeune assistant Yves Saint Laurent. Il sera suivi de Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simons et, aujourd’hui, Maria Grazia Chiuri. La maison de luxe parisienne affirme ne pas être à l’origine de cette grande exposition, qui aurait vu le jour à la demande du musée des Arts décoratifs. Pas un commentaire à ce sujet: nous ne connaîtrons donc jamais le fin mot de l’histoire. Quoi qu’il en soit, l’exposition rend un hommage appuyé à la maison sans le moindre bémol. Nulle mention, par exemple, du départ fracassant de John Galliano en 2011 (le créateur de mode avait été sèchement congédié suite à un esclandre public de très mauvais goût). Dommage. Réduire l’exposition à un “coup” marketing serait toutefois excessif au vu de l’impressionnant savoir-faire de la maison de couture. Outre les 300 robes haute couture, les ateliers ont également réalisé une série de versions miniatures ultra-détaillées des modèles iconiques, disposées par couleur dans un cabinet de curiosité avec les accessoires, les croquis, les œuvres d’art et les souvenirs. Et c’est superbe. Les ateliers ont été recréés au rez-de-chaussée. En observant les couturières poivre et sel en blouse blanche qui cousent une robe de soirée point par point, on pense à une image idéalisée et un peu rétro. Mais, en regardant le documentaire ‘Dior and I’, consacré à la première collection de Raf Simons, on constate que, dans les ateliers, tout se passe réellement à l’ancienne. Alors, pour ceux qui désirent le voir de leurs propres yeux, ou qui aiment tout simplement la mode, le luxe ou l’art, il y a l’exposition.
SEPT SECRETS BIEN GARDÉS SUR CHRISTIAN DIOR
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À L’A I R L I B R E Son ate d’au tomne, a llegro fas hi onis si mo. Photo: Kris De Smedt. Assistant: Rebecca Fertinel. Stylisme: Tiany Kiriloff. Assistant: Sien Sergooris. Hair et make-up: Kim Theylaert. Modèle: nadia@ulla, booker ruben.
Chemise à carreaux à col noué, 695 euros, Balenciaga sur www.mytheresa.com Boucles d’oreille ‘Sirene’, 165 euros pièce, Peet Dullaert.
Imperméable, 1.980 euros, Céline. Pull écru en jersey, 599,17 euros, Peet Dullaert. Pantalon en velours, 379 euros, Sofie D’Hoore. Sac ‘Clasp’, 2.300 euros, Céline. Boucles d’oreille ‘Shooting Stars’, 3.500 euros, Ole Lynggaard Copenhagen. Boots, 1.150 euros, Louis Vuitton.
Sabato Mode.
Ce samedi avec L’Echo.