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La construction de la ville publique
tentative de prendre soin des couches faibles de la population abandonnées par l’individualisme de l’État libéral italien, et aussi transformées par la Constitution républicaine alors très récente. Les logements réalisés par l’Etat sont dans la plupart des cas reconnaissables même aux yeux des moins expérimentés : ils se distinguent du reste des tissus urbains par des caractéristiques à la fois physiques et formelles, et par le rôle explicite de promotion sociale et d’innovation urbaine dont ils sont chargés, à partir de la saison INA-Casa.
Les principaux résultats
Le résultat de l’action publique concernant la construction de logements sociaux a été très hétérogène, et les caractéristiques urbaines et architecturales différentes. Les résultats du Plan Fanfani se distinguent avec certitude, en particulier dans les créations initiales qui exprimaient ce qui a été défini comme un « néoréalisme architectural » (Portoghesi 1958), produit dans quelques exemples spécifiques1. En fait, l’utilisation de main-d’œuvre non qualifiée, ainsi que l’utilisation de matériaux disponibles localement et utilisés selon les techniques de construction locales traditionnelles qui ont cependant produit des architectures cultivées, sont le résultat de programmes de recherche qui différaient à la fois de l’élaboration « monumentale » du passé récent et de l’influence d’un certain rationalisme « brutaliste » qui a donné plus tard des résultats intéressants et controversés (Henley 2017). Par la suite, les produits de la loi 167/1962 (Salzano 2007) ont été très différents de ceux du Plan Fanfani : ils ont souvent abouti à une approche « rationaliste » du problème du logement, et ont utilisé des critères de construction différents de ceux utilisé pendant les deux périodes de sept ans du programme INA-Casa. L’industrialisation naissante de l’industrie du bâtiment a également joué un rôle spécifique et une expérimentation urbaine et architecturale parfois radicale (Secchi 2005). Dans de nombreux cas, la construction de logements sociaux après le programme INA-Casa a donné lieu à d’importants travaux d’architecture, d’urbanisme et d’expérimentation sociale, en particulier dans les grandes zones métropolitaines d’Italie. À Rome, par exemple, ont été rédigés deux PEEP (plan de construction économique et sociale), requis par la loi pour programmer, gérer et planifier toutes les interventions de ce genre. Le premier a été développé lors de la rédaction du PRG (plan d’aménagement général) de 1962-65 et a été ap-
1 Comme M. Ridolfi à Rome et à Terni ; le quartier Tiburtino à Rome conçu par L. Quaroni, C. Aymonino, C. Chiarini, M. Fiorentino, C. Melograni, S. Lenci, F. Gorio, P. Lugli, G. Menichetti, M. Valori, M. Ridolfi, M. Lanza, considéré comme l’exemple le plus remarquable de l’architecture néo-réaliste; ou Borgo La Martella à Matera, de L. Quaroni, F. Gorio, P. Lugli, M. Agati, M. V. Valori (Di Giorgio 2011).
prouvé en 1964, et dans sa sphère ont été construits les nouveaux quartiers de Spinaceto, Laurentino, Casilino, Vigne Nuove et Corviale2 . Certaines réalisations, intimement liées aux conditions politiques locales, ont constitué l’écriture de véritables manifestes de positions progressistes et radicales. Il convient de citer quelques exemples qui ont en partie conditionné le débat disciplinaire et la perception collective du logement public entre les années 1960 et 1990, ainsi que la capacité de l’Etat à garantir des établissements publics de qualité. Par exemple, le quartier Le Vele de Scampia (Naples) né à la suite de la loi 167/1962, conçu par l’architecte Francesco Di Salvo (Di Salvo, Fusco 2003), faisait partie d’un projet de logement qui comprenait également le développement de la ville de Naples dans la région de Ponticelli. Partiellement occupé illégalement, jamais achevé en ce qui concerne le système des services, isolé du reste du tissu urbain par les infrastructures, cette zone urbaine est immédiatement devenue un symbole négatif de ségrégation sociale, de mauvaise qualité architecturale, de faible capacité de l’État à intercepter les besoins des populations défavorisées, ainsi que de la lenteur des délais et des difficultés administratives. La démolition progressive est la solution développée pour ce « grand ensemble » irrécupérable, également d’un point de vue symbolique. Une histoire semblable mais avec une fin heureuse, est celle tout autant paradigmatique du bâtiment infini de Corviale à Rome (Gennari Santori, Pietromarchi 2006) : c’est un quartier en forme de bâtiment, formé de deux énormes volumes placés l’un en face de l’autre sur environ un kilomètre de long (980 mètres pour être exact) et neuf étages de haut, et d’un autre petit bâtiment, placé de façon horizontale par rapport au premier, relié par un pont. La conception de ce bâtiment a été confiée en 1972 par l’IACP (institut autonome du logement public), propriétaire du bien, à une équipe de vingt-trois concepteurs dirigés par l’architecte Mario Fiorentino ; c’est en 1975, cependant, que la construction commence réellement, et les premiers appartements sont livrés avec un retard considérable en octobre 1982. Le complexe est construit en acier, panneaux préfabriqués en béton armé et murs en verre, et se compose de six lots, habités au total par environ six mille personnes. Une ruche humaine composée de mille deux cents familles. Malgré les problèmes liés à l’occupation abusive des espaces par des populations défavo-
2 « Au total 48 Plans de Zone ont été mis en place au sein des zones du premier PEEP, à front de 73 Plans initialement prévus, qui ont permis de réaliser 379.547 nouvelles pièces à front de 474.184 pièces programmées. Une fois la poussée proactive du premier PEEP épuisée, sans avoir pour autant intégralement satisfait la demande de nouveaux logements à mettre à disposition des citoyens les plus démunis, l’Administration communale a prédisposé le deuxième PEEP, approuvé en 1987, qui comprenait initialement 41 nouveaux Plans de Zone contre une prévision originale de 186.486 nouvelles pièces », source http://www.urbanistica.comune.roma.it/pdz.html, site de la Mairie de Rome, consulté en août 2022.
risées, tout comme dans le quartier Le Vele de Scampia, le Corviale semble pourtant destiné à une évolution positive. La configuration physique du projet, la vivacité de ses habitants, une attention plus attentive aux espaces ouverts, une plus grande facilité de connexion avec les autres zones urbaines, et l’investissement robuste et périodique des deniers publics, ont fait de cette immense « unité d’habitation » une expérimentation dont la fortune a grandi avec le temps, et qui grâce à des projets récents (Modigliani, Bruca 2015) pourrait devenir le résultat positif d’une expérimentation urbaine radicale. Cependant, de façon parallèle à ces cas frappants du Corviale et de Le Vele et de quelques autres, qui ont souvent fait l’objet de débat en Italie, les zones construites avec l’aide des plans PEEP sont très nombreuses et sont répandues dans toute l’Italie, même si elles ne possèdent pas le caractère pionnier exercé précédemment dans les réalisations du Plan Fanfani.
Les caractères communs de la ville publique
Les principaux programmes nationaux de construction de la ville publique présentés ci-dessus (programme INA-Casa, loi 167/1962, loi 865/1971, Décret dit « des standards » de 1968, cf. Falco 1978) ont été des épisodes déterminants dans presque toutes les municipalités italiennes, la juxtaposition du logement social et du logement privé servant même d’exemple à ce dernier, bien que numériquement inférieur. Il s’agissait d’environ 10% de construction publique contre 90% de projets de construction privée (Pittini 2012). La grande différence qui existe, par exemple, entre le quartier La Martella à Matera (Basilicate) et le quartier ZEN de Palerme (Sicile) ou entre les unités de « logement horizontal » à Rome (Monica 2008) et le quartier de Sorgane à Florence (AA.VV. 1968), permet de retracer des caractéristiques communes à ces deux typologies de programmes. En effet, celles-ci résident à la fois dans le fait de devoir répondre à la demande pressante de logements « bon marché » à court terme qu’exige l’évolution de la société de l’époque, mais aussi dans la mise en œuvre de certains éléments de conception qui, dans la variété des formes et des solutions adoptées, caractérisent l’ensemble de la ville publique italienne. Ces expériences aux traits communs ont contribué à changer le territoire italien et à introduire des solutions de logement, des habitudes de coexistence et de sociabilité, de nouveaux services qui ont sans doute permis d’améliorer le sens civique du Pays. Nous tentons ici de résumer ces caractères communs. Un premier élément concerne les critères de localisation des logements sociaux, leur position souvent éloignée des centres historiques, dans des zones généralement à faible valeur foncière, ou marginales, et mal desservies. La cause de ces localisations se trouve donc dans la difficulté de disposer d’instruments d’expropriation efficaces et nécessaires pour mettre le terrain à la disposition du public, dans un cadre de forte protection des revenus fonciers. La
localisation périphérique peut être interprétée grâce à une succession de cartographies dès la seconde période d’après-guerre : l’urbanisation a désormais atteint ces zones en les intégrant et en pesant aussi en quelque sorte sur elles, assumant une attitude de parasite à leur égard, et donnant l’impression que les quartiers de logements sociaux ont souvent dicté la direction de la croissance de la ville (De Seta 2017) : de façon plus réaliste, ils ont plutôt subi sa violence3 . Ces réalisations sont également caractérisées par leur taille importante (généralement plus grande que celles d’initiative privée), et par la réalisation d’importants travaux d’urbanisation primaire qui ont élargi les réseaux urbains, permettant également la mise en valeur de terrains privés à proximité des bâtiments publics, et d’urbanisation secondaire qui donne aussitôt une contribution très élevée (réalisée ou en projet) au logement social. L’échelle, les techniques et les formes des objets sont également caractéristiques, homogènes dans le langage architectural dans les différents domaines du logement social public. Cela a rendu la ville publique immédiatement reconnaissable dans des contextes urbains plus vastes, générant en elle des différences d’hétérogénéité dans les interventions urbaines et dans les langages architecturaux de la construction privée, souvent aussi de manière spontanée et illégale (Curci, Formato, Zanfi 2017). Une autre caractéristique commune des logements sociaux construits à cette époque est la forte présence et la distribution des services publics et des équipements tels que les écoles et les espaces dédiés au sport ou au culte, leur emplacement ayant été étudié en fonction des connexions piétonnes et automobiles des zones de la résidence, souvent situés dans les espaces verts communs et les espaces publics. Il en ressort une conception ordonnée et généreuse, riche de verdure, des espaces de socialisation bien disposés, une bonne distance entre les bâtiments. C’est précisément l’interaction particulière entre l’espace ouvert et l’espace bâti qui est le caractère commun le plus important et le plus évident de ces nombreuses créations, « le rôle que l’espace ouvert joue dans leur articulation et leur conception » (Di Biagi 2001, p. 9). L’incorporation de ces parties de la ville dans l’urbanisation galopante, même si elle met en évidence une qualité de construction inférieure, illustre souvent les caractéristiques positives d’une distribution moins dense des volumes et d’une distance généreuse entre les façades bâties. Cette nature homogène, à laquelle s’ajouteront quelques points supplémentaires et cruciaux que nous étudieront dans les pages suivantes, combinée à
3 C’est une position controversée : Federico Oliva attribue cette responsabilité de la « dispersion » à la loi de 1942. Voir, par une synthèse très utile qui concerne également d’autres points abordés dans nos écrits, « Città e urbanistica tra storia e futuro », commentaire de deux livres de Cesare de Seta et de Federico Oliva, paru sur : http://www.casadellacultura.it/745/citt-agrave-e-urbanistica-tra-storia-e-futuro, consulté en mars 2022.