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Le traitement et le rôle des centres historiques entre la recherche, l’aménagement et la législation

• La variété et l’hétérogénéité des centres historiques qui en ont rendu difficile le traitement commun ; • Les caractéristiques de la propriété du logement, qui a entraîné une certaine inertie dans la transformation des centres historiques.

Le traitement et le rôle des centres historiques entre la recherche, l’aménagement et la législation

A partir de l’Unification de l’Italie

L’activité législative en matière d’urbanisme dans l’Italie unifiée et l’élaboration des premiers plans urbanistiques ont été réalisées à partir de la ville consolidée, ainsi que dans la majeure partie de l’Europe. Le chemin qui a conduit à la loi fondamentale du 1942 sur l’urbanisme en Italie se réfère principalement à deux lois : la loi de 1865 « sur l’expropriation pour l’utilité publique » et la loi de 1885 « sur l’assainissement de la ville de Naples » (Stella Richter 2020). Ces deux lois ont donné au plan la forme d’une « collecte de textes » (Gabellini 2001), anticipant ainsi la loi 1150/1942. La loi de 1865 prévoit un plan d’urbanisme pour les bâtiments existants et un plan d’agrandissement pour donner forme à la ville nouvelle en expansion. Il existait déjà un désir de discontinuité avec la ville existante, qui était censée être restaurée (et dont la « beauté » n’avait pas encore été généralement affirmée). Les premières villes à adopter un plan directeur, en utilisant également la nouvelle norme sur l’expropriation, sont les villes qui ont succédé à Turin comme capitale du Royaume d’Italie : Florence (en 1865), Rome (en 1873 et en 1883). Naples et Palerme les ont toutes deux adoptées en 1885. Par la suite, plusieurs villes italiennes de moyenne et grande taille décident d’adopter le plan. Ces dispositifs normatifs avaient une attitude modernisatrice à l’égard du centre historique : à Florence et à Naples, par exemple, avec les différences qui s’imposaient (pour Naples une loi spéciale fut nécessaire, la loi de 1885 déjà citée), le tissu urbain existant, même les édifices d’une grande valeur historique ou artistique, ont été largement remplacé par de nouveaux bâtiments, de nouvelles places, de nouvelles rues. Dans le centre ancien de certaines villes, « de la misère séculaire à la vie nouvelle » (comme le dit l’inscription sur la nouvelle arche de la Piazza Repubblica à Florence, résultat d’un éventrement au XIX siècle), il était possible de permettre des modifications, même radicales, tandis que la nouvelle ville reprenait les lignes historiques et rayonnait du centre. Mais à partir du début du XX siècle, les sensibilités changent et les approches évoluent. Au cours des vingt années de la dictature fasciste (Cutolo, Pace 2016), le contraste entre les positions de deux personnages importants en matière d’architecture et d’urbanisme comme Gus-

tavo Giovannoni et Marcello Piacentini prend en fait un sens nouveau : en 1916 Piacentini déclare qu’il faut laisser la vieille ville telle qu’elle, et développer la nouvelle ailleurs, comme il l’a fait, par exemple, à Bergame (Ciucci 1989). L’État fasciste, d’une part, abat, éventre, démoli, et d’autre part, exalte de manière instrumentale les lieux et les traditions antiques. Les cultures urbaines de la fin du XIX siècle et celles de l’après-guerre se succèdent dans le paysage italien avec une interrelation singulière, comme l’exprime bien le texte fondamental de Gustavo Giovannoni du 1931 L’urbanisme face aux villes anciennes, une sorte de plate-forme pour les réflexions futures sur les centres historiques. La loi de 1089/1939, instrument fondamental pour la protection des biens d’intérêt artistique et historique, propose une interprétation du centre historique comme entité en soi, isolé du contexte territorial et social dans lequel il est inséré, risquant de provoquer un processus de fossilisation (Alibrandi, Ferri 1985). Dans la vision véhiculée par la loi urbanistique fondamentale de 1942, qui régit encore aujourd’hui les activités d’aménagement urbain en Italie3, le centre historique commence ainsi à être défini dans les plans comme le secteur d’un zonage qui l’a rendu comparable à une zone homogène fonctionnelle.

L’après-guerre

Les destructions de guerre ont été un facteur puissant dans l’avancement du débat disciplinaire. Pour les villes moyennes et grandes, les « plans de reconstruction des habitations endommagées par la guerre » (DL 145/1945, puis loi 1402/1951) concernèrent presque exclusivement les villes moyennes et grandes, laissant les villages et les bourgs italiens sans cadre juridique spécifique. L’assimilation du noyau de la ville consolidée au concept de bien paysager protégé par les lois de 1939, provoque progressivement un conflit permanent sur lequel divergent les positions culturelles et disciplinaires (Bianchi 1999). Les centres historiques, en tant que patrimoine culturel ou paysager (Sanapo 2001), sont au carrefour de différentes disciplines, d’où leur grand intérêt (Videtta 2012). Les plus avisés, cependant, pressentent aussi le risque d’une telle position, comme Muratori qui, dans un texte prophétique de 1950, affirme : « Avant toute chose, le centre historique et moral d’une ville doit être assuré à la vie, avec le maintien de son caractère, qui est la continuité des fonctions et de l’environnement » (Cutolo, Pace 2016, p. 20). La ville ancienne et historique, le centre plus ancien que la croissance urbaine ultérieure autour de ce centre, commencent à faire l’objet d’une attention particulière, même de

3 La loi 1150/1942 introduit le concept de « zone » mais ce n’est que plus tard, comme nous le verrons plus loin, que la loi 765 du 6 août 1967 institue les « zones territoriales homogènes » (art. 17), parmi lesquelles le centre historique.

la part de la culture fonctionnaliste : en 1951, les Congrès Internationaux pour l’Architecture Moderne (CIAM) ont pour thème « Le cœur de la ville » (congrès de Hoddesdon). S’il a été difficile lors de ce Congrès de trouver un terme qui unisse les différentes cultures européennes dans la définition du centre, c’est en Italie que « la notion semble prendre une importance inconnue ailleurs, construisant un horizon de sens élargi, aux limites de l’ambiguïté » (Cutolo, Pace 2016, p. 19). Le congrès de Lucques de l’INU (1957), la rédaction de la Charte de Gubbio et la création de l’ANCSA (1960) mettent en évidence l’insuffisance des instruments législatifs. L’évolution culturelle et sa déclinaison au sein de la discipline de l’urbanisme ont souligné la manière dont le centre historique a été un champ de bataille entre les dynamiques de marché qui tendaient à mettre en évidence sa valeur positionnelle et les conceptions du centre historique comme patrimoine à protéger. Si la perception selon laquelle il est devenu indispensable de préserver les structures urbaines consolidées a fini par imprégner presque tous les actes de gouvernement du territoire (Astengo 1965 ; Cervellati 1977 ; Secchi 2004), l’activité législative, pour son compte, avance au ralenti, est chancelante et contradictoire : entretemps, l’Italie grandit, se développe, s’urbanise. En 1967 la Commission Franceschini4 lance une définition peu précise des centres historiques qui n’aide pas l’action normative : « par centres urbains historiques on considère les structures urbanistiques qui constituent une unité culturelle, ou la partie originelle et authentique de l’établissement, et qui témoignent des caractères d’une culture urbaine vivante »5. Cette définition regroupe un certain nombre d’aspects différents et « la route vers l’incertitude normative [...] est ouverte » (Videtta 2012, p. 22). Entre-temps, des signaux inquiétants arrivent du territoire : par exemple, le glissement de terrain d’Agrigente et les inondations à Florence et Venise en 1966 (Salzano 2007). L’État tente de légiférer : en 1967 apparaît la locution « centres historiques » dans la loi 765, intitulée « loi pont » (car elle aurait dû conduire à une réforme plus accomplie, qui n’a jamais été réalisée), suivie l’année suivante (1968) du DL 1444 sur les « standards » qui instituent la ZTO (zones territoriales homogènes), le centre historique étant lui placé en première place (Zone A). A partir de là, les plans d’aménagement (ou plans d’occupation des sols) identifient ces zones, souvent avec des critères peu clairs ou liés à des considérations contingentes et discutables, en raison de l’imprécision de leur définition dans la loi.

4 La loi 310 du 26 avril 1964 institue, sur proposition du ministre de l’Instruction Publique, une commission d’enquête pour la protection et la valorisation du patrimoine historique, archéologique, artistique et paysager, qui achève ses travaux en 1966. Également connu comme « Commission Franceschini », sous le nom de son président, Francesco Franceschini, la commission a formulé des propositions réparties en 84 Déclarations. 5 Actes de la Commission Franceschini (1967), www.icar.beniculturali.it/biblio/pdf/Studi/franceschini.pdf., consulté en mars 2021

Dans le cadre de la loi 865/1971 réglementant l’expropriation pour la réalisation des logements sociaux à l’intérieur des centres historiques (Acocella 1980) et la création en 1972 de GESCAL (organisme de gestion des logements des travailleurs), le Plan pour le logement économique et populaire de Bologne ouvre en 1973 un intéressant débat, dans le sillage de positions déjà défendues par G.C. Argan, par exemple, qui affirmait dans les années ‘50 (avec d’autres personnalités comme Antonio Cederna) que les centres devaient être conservés dans leur nature de lieux de résidence « populaire ». Au niveau international, l’UNESCO – Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture – fondé en 1945, le Conseil de l’Europe, fondé en 1949, et l’ICOMOS – Conseil international des monuments e des sites – fondé en 1965, orientent leur action sur des thèmes similaires dans le souci de ne pas séparer la conservation des villes (« urbs », la partie physique des villes) de l’existence de la société qui l’habite (« civitas », la composante sociale de la ville). C’est précisément des activités du Conseil de l’Europe que naît la Charte d’Amsterdam, sceau des initiatives liées à l’Année du Patrimoine Architectural Européen en 1975 (Schmid 1982) : « L’année du patrimoine fera entrer avec force dans la conscience collective la valeur des contextes antiques et confirmera par le langage et les instruments de l’analyse historique et urbanistique, ce que la crise pétrolière de 1973 et l’excédent de pièces réalisées au cours des décennies précédentes ont déjà sanctionné, à savoir la ‘fin de la croissance’ en faveur d’un nouvel impératif : la réutilisation et le soin de l’existant » (Cutolo, Pace 2016, p. 48). Cette récupération est formalisée en Italie en 1978 avec la loi 457 (« Normes pour la construction résidentielle ») et les plans de récupération deviennent l’outil d’intervention dans les centres historiques, pour la conservation, la réhabilitation, la reconstruction, toujours à des fins résidentielles, bien qu’avec de fortes limites de langage et d’efficacité. Depuis les années 1980, les centres historiques ont fait l’objet d’une attention croissante : après 2004, avec le Code Urbani (décret de loi 42 du 22 janvier 2004) s’ouvre une nouvelle saison d’aménagement du paysage, et une période d’intérêt renouvelé et nécessaire pour les centres historiques également (cf. le chapitre Le projet de paysage dans cet ouvrage). Depuis lors l’aménagement des centres historiques, ces « zones d’accumulation de valeur », reste l’une des questions les plus débattues dans la discipline de l’urbanisme (Albrecht, Magrin 2015), en particulier dans la culture urbanistique progressiste qui considère de plus en plus la lutte contre le « gaspillage de construction » des banlieues italiennes comme un point clé, ayant pour référence constante les centres historiques et leurs qualités.

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