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Paysage comme forme du pays

Paysage comme forme du pays À la base du changement culturel et normatif apporté par le Code et par les nouveaux plans paysagers, on trouve une conceptualisation de paysage comme structure de caractère relationnel (« territoire dont le caractère découle de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs relations », stipule l’article 1, c. 1du Code). Une longue tradition d’études essentiellement historico-géographiques a contribué à générer ce point de vue. Alberto Predieri, dans un essai fondamental de 1969, la retrace en illustrant – avec une grande capacité préfiguratrice – une idée de paysage très semblable à ce que nous définissons aujourd’hui comme structurel. Parcourons quelques passages de l’essai de Predieri pour mieux saisir cette idée. Predieri a apporté une contribution fondamentale sur le plan juridique au dépassement d’une conception soit perceptive que purement écologique du paysage : s’il est vrai que « le paysage est l’ensemble des caractéristiques d’un lieu » – écrit-il – il est également vrai que « cet ensemble de caractéristiques, c’est-à-dire cette forme composite, est le résultat de plusieurs forces interactives et infra-réactives à des degrés divers. Le paysage est l’expression d’une dynamique des forces naturelles, mais aussi, et par-dessus tout, des forces humaines » (Predieri 1969, pp. 8-9). Cette considération, pour l’auteur, s’applique surtout au paysage italien. Il poursuit en affirmant que « grâce aux forces humaines et naturelles qui agissent perpétuellement, comme paysage intégral, le paysage est alors un fait physique objectif, et en même temps un devenir, un processus créatif continu, incapable d’être configuré comme une réalité immobile, susceptible d’être évalué diachroniquement et synchroniquement, en gardant toujours à l’esprit sa nature non statique. Le paysage est donc la forme du pays, créée par l’action consciente et systématique de la communauté humaine qui y est installée » (ibidem, pp. 10-11). En établissant une analogie entre le langage et le paysage, Predieri affirme que ce dernier « dans son aspect de communication présuppose – comme toute communication – un système de relations inhérentes à la société, qui l’expriment, sans oublier pour autant que cette expression n’est pas la synthèse univoque des structures sociales au sein desquelles agit la communauté qui transforme le paysage » (ibidem, p. 12). Il n’est pas difficile de lire, dans les affirmations intenses d’un des juristes qui a le plus contribué au débat sur le paysage italien (ainsi qu’à l’évolution de sa tutelle), l’influence des études de Lucio Gambi et Emilio Sereni, explicitement cités par Predieri dans l’essai de 1969 : non seulement concernant la conception structurelle du paysage, défini en fait comme le résultat de l’interaction entre les forces naturelles et humaines et comme un « système de relations »4. Mais aussi pour la centralité du rôle des communautés établies dans la

4 Rappelons que Gambi écrivait, en 1986, que territoire est « espace défini et déterminé par des caractéristiques, ou plutôt par un ensemble de rapports qui unifient ces caractéristiques » (Gambi 1986, p. 103).

« reconnaissance » du paysage, de ses caractéristiques, de ses principes génératifs : « l’action consciente et systématique » dont parle Predieri rappelle la pensée de Gambi, qui affirmait que « ce n’est que lorsque les hommes ont une connaissance suffisamment mûre de cette individualité territoriale dans laquelle ils vivent qu’ont lieu les processus de construction qui, à travers leur sédimentation et leur intersection, ont produit le paysage » (Gambi 1986, p. 103). Elle fait également écho à la pensée d’Emilio Sereni, qui a défini le paysage comme « cette forme que l’homme, au cours et pour les besoins de ses activités de production agricole, imprime consciemment et systématiquement sur le paysage naturel » (Sereni 2001, p. 29)5 . La composante visible et esthétique du paysage n’est ainsi pas niée mais reliée à une perception intersubjective et partagée, mise en œuvre par les communautés établies. Dans cette conceptualisation, nous pensons qu’on saisit une bonne partie de l’esthétique du paysage historiquement produite dans le cadre de la culture italienne, une idée éloignée des canons du pittoresque et du sublime et profondément influencée par les « règles de l’art ». Piero Camporesi l’a magistralement expliqué en retraçant les matrices historiques du paysage italien : « au XVIème siècle », note Camporesi, « il n’y avait pas de paysage, au sens moderne du terme, mais le pays, quelque chose de semblable à ce qui est pour nous aujourd’hui le territoire […] lieu ou espace considéré du point de vue de ses caractéristiques physiques et environnementales […] presque tangible dans son caractère concret, [qui] appartenait à la sphère esthétique quelque peu secondairement » (Camporesi 1992, p. 9). La conception du beau n’était pas encore détachée des évaluations utilitaristes, mais plutôt « ce qui était bien fait […] selon l’application intelligente des règles de l’art ne pouvait qu’être beau » (ibidem, p. 80). C’est à partir de ce noyau de signification que dans certaines régions italiennes (aujourd’hui coïncidant avec la Toscane, une partie de l’Ombrie et des Marches) s’est développée, entre le XIV et le XVI siècle, une première esthétisation des formes du territoire, par le biais d’un double mouvement : le processus de réorganisation des campagnes mené par la bourgeoisie urbaine qui culmine avec l’installation de poderi et la construction de la villa-ferme, et sa célébration esthétique par la représentation iconographique (mais aussi à travers la description littéraire transitant dans les laudatio urbis) (Cosgrove 1990 ; Turri 1998 ; Bonelli Conenna et al. 2004 ; Gisotti 2008). Le paysage conçu comme forme du pays, pour revenir à la définition d’Alberto Predieri, découle de ce double processus et ne relâche jamais

5 L’étude des paysages italiens menée par Emilio Sereni dans son œuvre Storia del paesaggio agrario italiano (1961) lit le territoire italien de l’antiquité aux années ‘50 à travers l’iconographie et représente l’un des textes de référence fondamentaux sur le sujet.

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