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Une méthodologie patrimoniale pour le paysage

définitivement son lien avec les aspects fonctionnels, devenant l’objet d’une appréciation esthétique solidement ancrée dans la structure territoriale. La tradition des études historico-géographiques mentionnées jusqu’à présent a eu une influence considérable sur les paradigmes de paysage à la base des plans paysagers de ladite deuxième génération (Lanzani 2008 ; Gambino 2010). En effet, ces plans, contrairement à ceux qui ont été rédigés selon la loi Galasso qui utilisaient surtout une approche d’ordre écologique, ont largement adopté un concept de paysage conçu comme un dispositif structurel et relationnel (Gisotti 2018). Quelques exemples parmi les plus connus : le PPR piémontais comprend un Cadre Structurel qui met en évidence les « facteurs constitutifs de la structure du paysage, articulés en relation aux aspects naturalistes et environnementaux, historiques et culturels et perceptifs et identitaires » (NTA, art. 7, c. 1). Dans le PPTR des Pouilles le cadre d’analyse, de planification et de règlementation s’articule en trois structures : hydro-géomorphologique, écosystémique et environnementale, anthropique et historico- culturel, elles-mêmes divisées en composantes. Le PIT de la Toscane conceptualise le paysage comme le résultat de l’imbrication de quatre invariantes structurelles (caractères géo-hydrologiques, écologiques, d’établissement et de systèmes agro-environnementaux). Des paradigmes et des méthodologies interprétatives de type structurel sont présents dans le QTRP de la Calabre, dans le PPR de la Sardaigne et dans celui du Frioul-Vénétie Julienne. Parmi les plans cités, ceux des Pouilles et de la Toscane ont développé une approche de type patrimonial6 qui considère la composante de long durée du paysage comme un référentiel de règles de conception pour la gestion durable des ressources, la prévention des risques environnementaux, l’identification de modèles d’établissement vertueux, la création de politiques pour un développement local auto-soutenable, la fourniture de services écosystémiques, la préservation et la reproduction de la beauté du paysage (Mininni 2011 ; Albrechts et al. 2020 ; Barbanente 2019 ; Marson 2016b). Considérer le paysage comme une structure patrimoniale ayant un rôle multifonctionnel peut orienter l’appareil analytique et interprétatif des plans vers une plus grande multidisciplinarité et ouvrir la voie à la formulation de politiques intégrées et intersectorielles pour le territoire régional.

Une méthodologie patrimoniale pour le paysage Les trajectoires tracées par l’approche patrimoniale, dans les différentes expériences d’aménagement du territoire et du paysage dans lesquelles elle a été appliquée, composent un

6 Pour plus d’information sur l’approche patrimoniale, voir le chapitre Le projet patrimonial.

cadre assez diversifié, dans lequel il est toutefois possible d’identifier une filière méthodologique commune. Les principaux passages qui le composent, tous traités dans le cadre d’élaborations cartographiques et textuelles, sont les suivants. Le premier est la description des caractères des structures territoriales (telles que définies dans le PPTR des Pouilles) ou des invariantes structurelles (telles qu’elles sont définies dans le PIT toscan) se référant normalement aux thèmes fondamentaux des aspects géologiques et hydrologiques, des écosystèmes et des systèmes d’implantation7. Cette étape est fonctionnelle pour décomposer le paysage en ses composantes fondamentales, en les confiant à des lectures disciplinaires spécifiques qui peuvent également adopter des paradigmes analytiques communs8 . Parallèlement aux lectures structurelles du paysage régional, des enquêtes thématiques (définies dans le plan des Pouilles comme des « descriptions analytiques ») sont souvent menées sur des aspects tel que l’archéologie du territoire – visant à reconstruire les différentes phases de la « territorialisation » (Turco 1988) –, l’iconographie du paysage et ses processus d’esthétisation, l’histoire et l’évolution des paysages agricoles, etc. Ensuite, en référence aux structures/invariantes du territoire, les aspects de valeur et de criticité sont identifiés. Les éléments de valeur ne sont que rarement compris comme des objets physiques, alors que le plus souvent on leur attribue un rôle de règle ou de principe génératif du paysage, qui a guidé leur évolution, en la conciliant avec une utilisation durable des ressources. Quelques exemples. Dans le territoire collinaire, le positionnement des établissements sur les supports les plus appropriés d’un point de vue géomorphologique peut être reconnu comme un principe de rôle patrimonial: un positionnement qui, d’une part, assure la stabilité (et dans le passé, la sécurité stratégique); d’autre part, permet de sauver les sols agricoles des effets d’artificialisation des versants, et d’établir des relations de proximité multifonctionnelles entre les sites bâtis et le tissu agroforestier. En ce qui concerne les paysages ruraux, on sélectionnera, parmi les aspects de valeur, les performances réalisées par le trame agricole (composé du maillage hydraulique mineur,

7 Dans le plan des Pouilles les structures territoriales sont au nombre de trois et la structure des systèmes d’implantation comprend également l’étude des paysages ruraux. Dans le plan de la Toscane il y en a quatre, et les paysages agricoles représentent un thème à part entière. 8 C’est le cas du concept de morphotypologie ou morphotype adopté respectivement dans les plaines des Pouilles et de la Toscane. Dans le PIT toscan, le morphotype est défini comme la « combinaison structurée de composantes spatiales individuelles (représentables, mesurables, évaluables), traçable par analogie formelle dans plus d’un contexte » (Magnaghi 2016, p. 153). Les morphotypes d’une spécifique invariante peuvent être, à leur tour, conçus comme le résultat de l’enchevêtrement de facteurs appartenant aux différentes structures territoriales. Dans le PPTR des Pouilles et dans le PIT de la Toscane, par exemple, le morphotype rural est défini comme un aménagement paysager spécifique donné par la combinaison de caractères géomorphologiques, agronomiques et, dans une certaine mesure, d’implantation, auxquels peuvent être associés différents modes de gestion (Baldeschi et al. 2016).

du système de voirie champêtre et du réseau de végétation non culturale) en relation avec les aspects suivants : le rejet des eaux de surface, le maintien de la biodiversité et de la connectivité anthropique, entendue comme la possibilité de praticabilité du territoire rural. Les criticités sont, en revanche, entendues comme des phénomènes potentiels ou en œuvre, qui peuvent compromettre la préservation et la reproductibilité du patrimoine territorial. Leur identification pose des problèmes majeurs, notamment en ce qui concerne la dynamique du territoire rural : alors que dans les zones urbanisées certains phénomènes à l’origine de la criticité sont effectivement visibles au niveau macroscopique (par exemple, le soudage des centres habités le long des différents axes), sur le territoire ouvert, il est fréquent d’observer un glissement temporel entre les dynamiques en cours et leurs répercussions sur le paysage. Par exemple, les processus de recolonisation des terres agricoles par la forêt ne se manifestent (du point de vue des satellites et donc dans les opérations de photo-interprétation) que quelques années après l’abandon des cultures. Par conséquent, une préfiguration efficace des points critiques en particulier dans le domaine rural, nécessiterait une charge de travail, analytique et interprétative particulièrement lourde. A ce jour, il nous semble que cette phase de la construction des cadres cognitifs est parmi les plus difficiles au niveau méthodologique. Après la production de lectures disciplinaires individuelles qui ont conduit à l’identification de valeurs et de criticité pour chaque structure/invariante, il est nécessaire d’effectuer le passage fondamental de leur recomposition dans des élaborations de synthèse. Ainsi des cartes du patrimoine territorial et paysager et des criticités globales sont établies. La réalisation des interprétations de synthèse patrimoniale coïncide avec un passage très délicat lié à la difficile recherche d’une dimension d’intégration (qui ne doit pas être une simple juxtaposition) des valeurs identifiées par chaque structure territoriale9. En effet, dans les plans examinés, le patrimoine territorial et paysager est défini comme l’« ensemble des structures de long durée produites par les processus de territorialisation/coévolution, dont la valeur pour les générations présentes et futures est reconnue »10 (Disciplina del PIT, art. 6, c.1). Par ailleurs, c’est dans cette phase de recomposition multidisciplinaire que l’on peut affronter la solution face à d’éventuelles situations de conflit entre des lectures pouvant donner lieu à une

9 Un exemple de cette intégration est documenté dans le PIT toscan. Dans une grande partie des collines pliocéniques toscanes, certaines mosaïques culturales, typiquement liées à des établissements ruraux historiques, étaient classées comme zones de valeur patrimoniale à plus d’un titre : tant du point de vue écologique – car qu’elles coïncident avec les High Nature Value Farmland identifiées dans la Stratégie régionale pour la biodiversité (Lombardi et al. 2016) –, que du point de vue de l’esthétique et du fonctionnement du paysage rural, et de l’établissement, comme des portions de territoire ayant un rôle stratégique pour le maintien et le renforcement du polycentrisme. 10 Sur la complexité de ce point, à savoir la reconnaissance du patrimoine territorial et paysager par la communauté établie/société, voir le paragraphe de conclusion du chapitre Le projet patrimonial, dans cet ouvrage.

contradiction. Quant à l’identification des criticités de synthèse, le point le plus problématique est la tentative de spatialiser cartographiquement des phénomènes et des processus difficiles à périmétrer et pas toujours localisables, tant en raison de l’échelle à laquelle un plan paysager régional opère, qu’en raison de la nature intrinsèquement dynamique de ces phénomènes11. Les abaques de criticité, composés d’une description textuelle du problème observé accompagnée de sa spatialisation dans une situation type, pourraient s’avérer plus efficaces en la matière. La finalisation de projet des plans territoriaux paysagers basés sur l’approche patrimoniale est contenu dans une partie dite « statutaire », qui définit les règles de préservation et de reproduction du patrimoine paysager, et dans une partie plus stratégique, qui identifie les scénarios de transformation et leurs axes de planification et programmation. Ces dernières années, un grand nombre de plans ont associé la mise en œuvre de la stratégie à des projets paysagers intégrés (Peano 2009 ; Fanfani e Perrone 2012 ; Pascolini 2019), qui agissent sur des axes thématiques comme la réhabilitation environnementale, l’agriculture multifonctionnelle, la régénération urbaine, le développement de réseaux de mobilité intégrés. Le PPTR des Pouilles a été parmi les premiers plans dans cette direction, avec les cinq projets territoriaux pour le paysage : le Réseau Ecologique Régional, le Pacte ville-campagne – un des pivots pour la reconstruction d’une relation de proximité urbaine-rurale (Mininni 2012) –, le Système d’infrastructures pour la mobilité douce, la Valorisation et la requalification intégrées des paysages côtiers, les Systèmes territoriaux pour l’utilisation des biens culturels. Un autre plan parmi les premiers a avoir développé une dotation robuste et diversifiée d’instruments de caractère stratégique est le PPR du Piémont, qui comprend des projets à échelle intercommunale, des programmes ou projets locaux, des programmes ou des projets d’importance régionale et suprarégionale, parmi lesquels le Projet stratégique Corona Verde (également axé sur le thème du rapport entre la ville de Turin et son environnement rural) et le Projet Rete di Valorizzazione Ambientale. Le PPR du Frioul-Vénétie-Julienne travaille également sur les thèmes de la mobilité douce, du réseau écologique et des biens culturels, avec ses réseaux stratégiques dédiés. Quatre programmes stratégiques sont également identifiés par le QTRP de la Calabre (Calabria un paesaggio parco da valorizzare, Le reti materiali e immateriali per lo sviluppo della regione, Territori sostenibili, Calabria in sicurezza) qui définit, en plus, un projet stratégique centré sur le réseau écologique polyvalent régional.

11 Par exemple, la substitution des cultures en mosaïque par des monocultures spécialisées est un phénomène qui ne peut pas être facilement cartographié à l’échelle 1:50.000 typique d’un plan régional et qui est, en outre, soumis à des dynamiques de changement liées à la variable temporelle et à la manière dont les exploitations sont gérées (liées à leur tour à la présence d’incitations financières, etc.).

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