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Les racines historiques du concept

and maintenance, et cultural (Haines-Young, Potschin 2013) – qui représentent de plus en plus un champ d’expérimentation également pour l’urbanisme et l’aménagement du territoire, comme le montrent certaines expériences plus avancées5 ; • L’identification des systèmes de production locaux en tant qu’interface économique de la biorégion urbaine. Il serait donc nécessaire de travailler au développement d’un programme économique au sens écologique (Viale 2011) qui rende durables les objectifs de fermeture des cycles, en réduisant les dépendances vis-à-vis de l’extérieur, en valorisant les ressources locales, en œuvrant à la création de « districts productifs intégrés » (Magnaghi 2014a, p. 123). La réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur devrait également investir le domaine de l’approvisionnement en ressources énergétiques ; • Une recomposition des connaissances inhérentes à l’urbanisme et à la planification dans la sphère plus large des sciences du territoire, qui puissent identifier et illustrer les valeurs patrimoniales à placer à la base du projet biorégional. Le dépassement d’un cloisonnement scientifique rigide qui ne permet pas aux différentes disciplines de dialoguer et de trouver des zones d’intersection est l’une des conditions préalables au développement de projets intégrés. Un objectif avec lequel, en théorie, il est difficile de ne pas être d’accord. Cependant, dans la pratique (et surtout dans la pratique de plan), la recherche de ces zones d’intersection se heurte souvent à l’articulation des compétences sectorielles des administrations publiques et des collectivités territoriales. C’est donc l’un des domaines sur lesquels doit se concentrer l’effort d’expérimentation, non seulement scientifique, mais aussi politique.

Les racines historiques du concept Dans la littérature scientifique contemporaine, le terme de biorégion est traité dans des études provenant principalement des Etats-Unis, comme celles de Calthorpe et Fulton (Calthorpe, Fulton 2001) et de Robert Thayer :

a bioregion – écrit Thayer – is literally and etymologically a ‘life-place’ – a unique region definable by natural (rather than political) boundaries with a geographic, climatic, hydrological, and ecological character capable of supporting unique human and non human living communities. Bioregions can be variously defined by the geography of watersheds, similar plant and animal ecosystems, and related, identifiable landforms (e.g., particular mountain ranges, prairies, or coastal zones) and by the unique human cultures that grow from natural limits and potentials of the region. Most importantly, the bioregion is emerging as the most logical locus and scale for a sustainable, regenerative community to take root ad to take place (Thayer 2003, p. 3).

5 Telles que le « Paiement des services écosystémiques » (PES), qui récompense économiquement les opérateurs qui préservent et entretiennent les ressources environnementales (Marino, Palmieri 2018), comme, par exemple, les canaux, les torrents, les fossés de régulation. Voir, à cet égard, le projet « agriculteurs gardiens » de la rivière Serchio en Italie (Vanni et al. 2013).

Si l’on retourne en arrière toujours, dans le domaine américain, il est possible d’identifier quelques textes attribuables à des représentants du mouvement écologiste des années 1960 et 1970, qui traitent du thème de la biorégion dans une perspective à cheval entre la réflexion scientifique et l’activisme politique (Schilleci 2018). Parmi eux, Peter Berg (ainsi que Judy Goldhaft) emprunte à Allen Van Newkirk le terme de « biorégion », entendu comme une « nouvelle organisation sociale basée sur les caractéristiques […] des bassins hydrographiques, des versants montagneux, des aires de répartition des plantes et des animaux indigènes, des zones climatiques homogènes, de la continuité des sols » (Berg 2016, p. 10). Dans les années 1980, Nancy Jack et John Todd (Todd J., Todd N.J. 1989) ont apporté des précisions supplémentaires sur le concept, de même que Kirkpatrick Sale (Sale 1985), qui définit la biorégion comme une « région gouvernée par la nature », ou Murray Bookchin (Bookchin 1989), qui se concentre principalement sur la biorégion en tant que domaine d’autonomie communautaire. Les racines théoriques les plus profondes de l’approche biorégionaliste urbaine développée au sein de l’école territorialiste appartiennent toutefois à deux grands domaines de recherche (Paba 2010; Saragosa 2005 et 2011; Paquot 2017; Fanfani, Perrone 2019): les études de Patrick Geddes sur la dimension régionale (et pas seulement); les recherches et les essais de projet de la Regional Planning Association of America (RPAA) fondée par Clarence Stein en 1923, avec une référence particulière au régionalisme de Lewis Mumford et, au niveau de la définition du modèle spatial, aux visualisations polycentriques de la « regional city » (dans laquelle les aires naturelles définissent la matrice structurante le système d’implantation). Le point de départ de cette « fertilisation » est une idée de coévolution entre l’homme et l’environnement qui trouve son expression la plus complète à l’échelle régionale. En effet, l’hypothèse selon laquelle la structure régionale, avec son ensemble de caractéristiques principalement physiographiques (géomorphologie, climat, flore, faune), est capable de produire des « relations conscientes de l’homme avec la terre » (Mumford 1999, p. 303), sous-tend l’interprétation de la coévolution de Mumford: prenant pour point de départ (comme Geddes, d’ailleurs) la compréhension des mécanismes biologiques, Mumford observe que « s’il existe des foyers favorables, et des formes d’associations favorables, pour les animaux et les plantes, comme le démontre l’écologie, pourquoi n’y en aurait-il pas pour les humains? Si chaque milieu naturel spécifique a son propre équilibre, n’y-a-t-il pas un équivalent dans la culture? Les organismes, leurs fonctions, leurs environnements : les hommes, leurs occupations, leurs emplois et leurs lieux de vie, constituent des complexes sociaux en relation mutuelle et pleinement définissables » (ibidem, p. 301).

Une vingtaine d’années auparavant, Patrick Geddes avait défini ses « villes en évolution » comme des organismes complexes profondément conditionnés par le milieu naturel, dans une tension constante et continue entre nature et culture. La ville, selon une approche que nous pourrions définir aujourd’hui comme proto-écologique6, est « un être vivant, en relation constante avec son environnement, et avec les avantages et les limites qu’il comporte », écrit Geddes en 1915 (Geddes 1970, p. 251)7. La « réaction » que la composante anthropique (urbaine) produit par rapport aux contraintes de la composante naturelle (l’environnement) doit être radicalement réorientée dans le sens de la sortie du monde « paléo-technique » – producteur de « pauvreté primaire et secondaire » (ibidem, p. 94) – et de l’entrée dans le monde « néo-technique ». De cette faisons il y aura le passage du modèle d’habitation de « Cacotopia » à celui de « Eutopia », « à savoir un lieu de santé et de bien-être réel, voire de beauté triomphante » (ibidem, p. 93). Le projet de la nouvelle ère néo-technique est basé sur un modèle économique opposé au modèle actuel, il préserve les ressources naturelles au lieu de les dissiper, il vise l’évolution existentielle et sociale des habitants et non leur dégradation, et produit, par conséquent, un meilleur environnement. Du concept de coévolution ainsi formulé découle l’idée que la région est caractérisée par un état d’équilibre dynamique qui, loin d’être miné par l’intervention d’éléments exogènes, tire précisément de l’introduction de nouvelles composantes (y compris celle anthropique) la croissance et la maturation de son propre capital – à l’origine – uniquement naturel8 . L’une des images les plus archétypales de cette idée d’un territoire structuré à partir de la tension dialectique entre environnement et communautés établies est celle de la section de vallée de Patrick Geddes, capable d’exprimer le lien profond et morphogénétique entre les trois composantes constitutives de la région (place, work, folk)9. A travers son étude et sa

6 « Chacun quitte la terre dans de meilleures conditions que celles dans lesquelles il l’a trouvée et contribue ainsi pour sa part à la fortune de la nation », écrit Geddes (Geddes 1970, p. 344), précisant que celle-ci doit s’entendre comme « lieu de vie et comme population qui y réside ». Il ne se réfère donc pas à un enrichissement purement économique – comme le préconisent les « utopies financières » (ibidem, p. 345) de la City londonienne qu’il n’hésite pas à stigmatiser comme réductrices et illusoires – mais à un bien-être diffus, collectif et de longue durée. 7 La nature irréductiblement évolutive et organique de la ville de Geddes a ouvert la voie à une approche de la planification ouverte et relationnelle, expérimentée parmi les premiers par Jane Jacobs ; une approche non sans aspects « paradoxaux », selon l’interprétation donnée par Batty, Marshall 2017. 8 « La nature pourvoit les matériaux. Dans l’abstrait et concrètement, l’homme définit la structure », écrira Mumford à ce sujet (Mumford 1999, p. 315). 9 Dans cette conception, Geddes montre une dette culturelle très forte envers Elisée Reclus, avec lequel il tisse des liens d’amitié et de collaboration intellectuelle. Comme l’a observé Federico Ferretti (Ferretti 2010), il est possible de retracer plusieurs des éléments typiques de l’approche de Reclus, exprimés dans son « Histoire d’un ruisseau » (1869), dans la section de vallée de Patrick Geddes : « Dès le début, la métaphore du cheminement de la civilisation associé à l’écoulement des eaux, puis, surtout, l’idée du bassin hydrographique comme première région naturelle, mais en même temps historique et ethnique, sur laquelle le géographe doit se fonder. Cette idée a une valeur stratégique pour la géographie du XIX siècle. C’est en effet un des instruments par lesquels la discipline géographique se rend indépendante de la raison d’État en revendiquant la liberté de décider des limites des régions et des zones à étudier, donc de représenter un monde différent de ce que la situation actuelle donnait. Notons aussi que dans cet écrit Geddes semble partager la critique pour la cartographie bidimensionnelle comme instrument de représentation

compréhension (rappelons que Geddes place la section de vallée comme élément de base de son enquête) il est possible de saisir l’éventail des lignes directrices de conception qui peut améliorer le système de ressources dont le lieu est dépositaire. Pour Geddes, il n’y a donc pas de ville-typique du futur du point de vue de son articulation morphologique et spatiale (comme les « machines à habiter » des fonctionnalistes d’une part, et les cités-jardins des culturalistes d’autre part) mais plutôt autant de villes qu’il y a de cas particuliers (Choay 1965, p. 60). Geddes consacrera le grand projet de la Outlook Tower à Edimbourg à la démonstration de ce concept à des fins pédagogiques : « les établissements humains, des plus petits aux plus grands, sont initialement déterminés par le milieu naturel; et même s’ils s’étendent et se transforment ensuite en villages et en villes de plus en plus grands, ils conservent néanmoins profondément, bien qu’obscurément, une grande partie de leur caractère régional initial, tant dans l’esprit qui les anime que dans le type de communauté qui en résulte » (Geddes 1970, p. 261). Des années plus tard, Lewis Mumford poursuivra ce raisonnement affirmant que la ville sera elle-même « l’expression d’une individualité régionale » (Mumford 1999, p. 315). Elle réfléchira aux choix de localisation, dans l’articulation de l’espace public, dans les typologies architecturales, dans les matériaux de construction adoptés, dans les aspects décoratifs, cet ensemble d’opportunités que l’on retrouve dans le contexte régional, et que le projet réinterprète comme des choix intrinsèquement rationnels. Les communautés, les habitants, doivent en effet être éduqués pour comprendre un processus (coévolutif) qui ne peut se dérouler que sur une base coopérative : « la région, pas moins que la ville, est une œuvre d’art collective » (écrit Mumford 1999, p. 315), dont le vécu se déroule dans la longue durée de l’histoire, considérée non pas comme passé mais comme dimension temporelle continue et en devenir permanent. Cela nous amène à un autre point crucial qui concerne l’héritage de la tradition anglo-américaine des études régionales dans l’approche biorégionaliste urbaine : la centralité de la composante humaine et sociale que Geddes considérait comme essentielle pour la « renaissance urbaine » – malgré souvent exclue des processus de planification conventionnels, marquée par une technicité « d’ingénierie » – et qui devait être soutenue, formée, et encouragée. Le point de vue synoptique (mais non récapitulatif ni simplificateur) du projet de Geddes, qui réunit un large spectre multidisciplinaire comprenant également les « sciences civiques », est fonctionnel à tirer une véritable « épopée

et d’enseignement du monde lancé justement par les géographes en question, quand il soutient que la région du géographe n’a rien à voir avec les ‘taches colorées’ qui se trouvent sur les cartes. Plus important que ceux-ci, pour le géographe Geddes, est l’enquête de l’interaction constante entre l’homme et l’environnement » (Ferretti 2010, p. 192).

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