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Perspectives

incluses dans la Città Metropolitana, avec des fonctions stratégiques de fourniture de services également pour la plaine urbanisée (Poli 2020). Ces expérimentations ont contribué au développement de projets et de politiques visant à la reconstitution et à la requalification de la marge urbaine-rurale, à la définition de réseaux de proximité de production et de consommation agro-alimentaire, à la valorisation du territoire ouvert comme espace public à l’échelle régionale, à la formalisation de nouvelles formes de gouvernance contractuelle dans les scénarios de projet.

Perspectives L’approche bio-régionaliste urbaine, dans sa tension vers un retour au territoire comme bien commun, repose sur certains éléments fondamentaux : la critique contextuelle à un modèle d’implantation et à un modèle de développement, la personnalité du lieu comme fondement du développement local auto-durable, une vision interconnectée et multidisciplinaire des sciences du territoire, le rôle proactif des habitants dans la construction du projet local. Nous avons vu comment ces thèmes plongent leurs racines dans la pensée de Patrick Geddes (ainsi que dans les études des représentants de la Regional Planning Association of America qui l’ont ensuite développé). C’est pourquoi il peut être utile de repartir de quelques considérations propres à l’œuvre de Geddes pour étayer l’idée d’approfondir surtout deux domaines de recherche, dans les études bio-régionalistes. Le premier domaine concerne le rapport, bien que complexe, que le projet et le plan entretiennent avec la dimension historique (un des points cruciaux de l’approche bio-régionaliste). Pour Patrick Geddes, la leçon de l’histoire joue un rôle de première importance dans l’orientation des options de projet à l’échelle régionale ou urbaine : l’histoire a en effet modelé les lieux en faisant interagir et co-évoluer la composante physique, anthropique et sociale (synthétisées respectivement dans la triade place/work/folk) ; elle a en plus façonné la personnalité des lieux, qu’il appartient au plan de faire émerger et de développer. Ce n’est pas par hasard que la section de vallée, dispositif descriptif et heuristique pour la mise en évidence de ces aspects, peut être considérée comme un « evolutionary diagram, a visual longue durée » (Maclean 2004, p. 90). Tout en reconnaissant le caractère central de l’histoire, l’approche de Geddes reste cependant fortement progressiste, car sa conception est une conception dynamique de l’histoire elle-même (qui découle de sa formation de biologiste évolutionniste) qui n’aboutit pas à des visions idéalisées du passé et qui est soutenue par une profonde confiance dans la technique. À ce propos, Lewis Mumford note que l’intérêt de Geddes pour les racines historiques de la

culture des lieux (« roots of regional culture ») ne s’est jamais traduit en un regard éminemment rétrospectif. Au contraire, il écrit, « if the roots were alive, they would keep on putting forth new shoots, and it was in the new shoots that he was interested » (Mumford 1947, p. 8). Nous pensons qu’il s’agit là d’un point fondamental pour poursuivre les études relatives à la construction de la bio région urbaine. L’attention pour les patrimoines territoriaux que l’histoire a modelé dans les parcours de co-évolution risque, surtout dans des contextes de particulière valeur paysagère, de conduire à une cristallisation de l’idée même de patrimoine, c’est-à-dire vers des scénarios où les possibilités de modification de l’existant sont extrêmement réduites, à moins que les transformations ne visent à rétablir des structures historiques. Mais le patrimoine territorial est un concept sélectif : tous les éléments du territoire ne peuvent pas être reconnus de valeur patrimoniale (ou, du moins, du même degré de valeur patrimoniale), parce que cela impliquerait un gel du territoire à un supposé état « historique », reconnu comme point idéal d’équilibre co-évolutif. En outre, de quelle manière les patrimoines territoriaux produits par l’histoire s’enracinent-ils dans la conscience de ces « peuples vivants » qui les habitent aujourd’hui et qui devraient être informés des règles qui les ont produits ? Dans cette perspective, il est important que « l’auto-durabilité » de certains patrimoines territoriaux historiques soit lue non seulement en termes écologiques mais aussi en termes économiques et sociaux, en évaluant leur conformité tant aux fonctions de type environnemental exprimées par le territoire, qu’à une sphère de besoins d’une autre nature exprimée par ses habitants. Nous croyons qu’il est indispensable de se poser la question suivante : combien la préfiguration de scénarios qui proposent une revitalisation du patrimoine territorial à travers la réactivation de pratiques, savoirs, métiers traditionnels, intercepte les souhaits et les perspectives des habitants, qui devraient être le moteur du changement dans l’approche bio-régionaliste. Et comment cette tension conceptuelle se rencontre (ou se heurte) avec des questions fondamentales, comme celles de la justice spatiale et de la perspective de genre, pour ne citer que deux des principales. Le sujet est très vaste et complexe et nous nous limitons ici à souligner l’importance de mener des enquêtes rigoureuses, de type non seulement anthropologique et ethnographique mais aussi sociologique, sur les territoires du projet bio régional afin que la compréhension de la composante anthropique soit aussi approfondie que possible. Encore une fois, nous empruntons les beaux mots de Patrick Geddes sur la tâche du planning, qui est « to find the right places for each sort of people ; places where they will really flourish » (Geddes 1947, p. 22). Le deuxième domaine d’approfondissement que nous voudrions signaler est le renforcement de l’approche transcalaire et de son efficacité. En particulier, il est à notre avis fondamental

que la révision radicale des modèles d’implantation proposée par la bio-région, atterrisse en formes tangibles à l’échelle des établissements existants (de tous les établissements existants et surtout des zones urbanisées, dont les criticités sont bien connues), de l’échelle urbaine à celle du quartier. Le problème du logement, la distribution déficiente ou inégale des services, la dégradation environnementale des zones urbanisées sont des sujets d’urgence auxquels l’approche bio-régionaliste peut tenter de répondre en proposant une vision différente de la régénération urbaine. Nous nous tournons à nouveau vers l’héritage de Geddes pour les suggestions que, même par rapport à ce champ de travail, nous pouvons retrouver. Geddes a en effet promu, bien avant d’autres, une approche non conventionnelle de la régénération urbaine, surtout en Inde, où il a su intervenir avec la méthode de la conservative surgery, opposée aux évidences proposées par l’urbanisme colonial de l’époque. La méthode prévoyait une implication constante des citoyens pour la réalisation et l’entretien ultérieur d’interventions qui ne bouleversaient pas les tissus existants mais les requalifiaient en valorisant les espaces publics (et avec eux les valeurs collectives qu’ils représentaient). Dans les rapports de l’Inde qui illustrent ces projets, Geddes décrit le plan « as a great chessboard on which the manifold game of life is an active progress » (Geddes 1947, p. 27) en soulignant l’importance de savoir lire les problèmes posés par le contexte comme des opportunités (exactement comme dans la dynamique du jeu d’échecs, en constante évolution) et en observant comment une stratégie qui, face aux difficultés, fait table rase, est peu efficace et inutilement coûteuse. Peut-être que l’approche de la refondation de la ville contenue dans le modèle de la bio-région urbaine pourrait inclure un courageux saut d’échelle et une prise en compte, en termes analytiques et conceptuels, des tissus construits existants de la ville entière, espèces de ceux à divers titres marginalisés (dans les quartiers périphériques, dans ceux de la ville historique et consolidée). Comme l’écrivait Geddes de l’Inde, « we must constantly keep in view the whole city, old and new alike in all its aspects and at all its levels » (Geddes 1947, p. 26) parce que la ville – et l’Inde le prouve par excellence – « form an inseparably interwoven structure » (ibidem, p. 27).

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