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ÉGYPTE LES VERTIGES DE LA RÉVOLUTION

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2615•du 20 au 26 février 2011

AGROALIMENTAIRE QUAND L’AFRIQUE AIGUISE LES APPÉTITS Spécial 16 pages

JUSTICE QUI VEUT JUGER HISSÈNE HABRÉ?

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CÔTE D’IVOIRE UNE JOURNÉE AU GOLF HÔTEL

GABON

Les frères ennemis Rien ne va plus entre Ali Bongo Ondimba et André Mba Obame. Retour sur vingt-cinq ans de compagnonnage et enquête sur un divorce. ÉDITION AFRIQUE SUBSAHARIENNE France 3,50 € • Algérie 170 DA • Allemagne 4,50 € • Autriche 4,50 € • Belgique 3,50 € • Canada 5,95 $ CAN • Danemark 35 DKK • DOM 4 € Espagne 4 € • Éthiopie 65 Birr • Finlande 4,50 € • Grèce 4,50 € • Italie 4 € • Maroc 23 DH • Mauritanie 1100 MRO • Norvège 41 NK • Pays-Bas 4 € Portugal cont. 4 € • RD Congo 5,50 $ US • Royaume-Uni 3,50 £ • Suisse 5,90 FS • Tunisie 3,30 DT • USA 6,50 $ US • Zone CFA 1700 F CFA • ISSN 1950-1285


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CE QUE JE CROIS BÉCHIR BEN YAHMED bby@jeuneafrique.com

Samedi 19 février

Lendemains de révolutions...

L

a presse internationale a suivi de près et assez bien « couvert », depuis plusieurs semaines, ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte. Aujourd’hui encore, elle guette avec gourmandise ce qui peut en résulter ailleurs. Unanime, ce qui est rarissime, elle a vibré à l’unisson avec les peuples qui ont brisé leurs chaînes, et tout indique qu’elle soutiendra ceux qui s’apprêtent à les imiter. A-t-elle senti l’opinion mondiale qui, passé le premier moment de surprise, a manifesté sa sympathie et apporté son soutien aux peuples en train de se soulever ? Ou bien est-ce la presse qui a sensibilisé les gens ? Je crois qu’il y a eu interactivité. ✷ Cela dit, il faut le rappeler : personne, absolument personne, n’a prévu que l’année 2011 et la décennie qu’elle inaugure commenceraient en fanfare par deux révolutions quasi simultanées, qui plus est belles, pacifiques et réussies. Encore moins qu’elles seraient l’œuvre de la jeunesse et qu’elles auraient pour théâtre deux pays arabo-africains à l’histoire millénaire. ✷ Les dirigeants politiques de stature internationale ont été, eux, à la traîne. À l’exception notable de Barack Obama – qui a su, lui, convaincre son administration d’accompagner le mouvement et même de l’encourager, allant jusqu’à pousser Hosni Moubarak vers l’hélicoptère de sortie –, les hommes et les femmes à la tête des grands pays, Français en tête, ont brillé par leur absence: des phrases convenues et prudentes après coup, montrant à qui sait entendre qu’ils ou elles se résignaient à prendre le train en marche. La Chine, la Russie et même l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde sont demeurés étrangement silencieux. L’inénarrable et pathétique Berlusconi est resté fidèle jusqu’au bout à « son ami » Hosni Moubarak, J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

rejoignant en cela son autre ami, Mouammar Kaddafi. Encore plus à contre-courant de l’Histoire et formant le plus inattendu des attelages, le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou, et le roi d’Arabie saoudite ont carrément constitué à eux deux un front du refus : ils ont multiplié les appels téléphoniques à Barack Obama, qui a eu la force de ne pas céder à leurs demandes, le conjurant jusqu’au dernier jour de soutenir la prétention de Moubarak de se maintenir à son poste jusqu’en septembre prochain. ✷ Plus intéressant encore est le cas des dirigeants de dictatures ou de quasi-dictatures. Ils sont pour la plupart, comme je l’ai déjà relevé, arabo-africains, et, selon les informations qui nous parviennent, rois ou présidents, ils se montrent très inquiets, même ceux dont les peuples ne donnent pour le moment aucun signe d’agitation. Il est difficile pour qui n’est pas à leur place d’imaginer à quel point ils ont été secoués, les vendredis 14 janvier et 11 février, par ce qui est arrivé à Zine el-Abidine Ben Ali et à Hosni Moubarak : leur chute coup sur coup a eu sur leurs homologues l’effet d’un séisme. Ceux d’entre eux qui étaient déjà au pouvoir en 1990 – il y en a – ou qui se souviennent de la fin du communisme et de la chute en série de ses chefs ont encore à l’esprit la fin tragique du couple Ceausescu, qui avait, en son temps, traumatisé leurs aînés, en particulier Joseph Désiré Mobutu. Ce couple maléfique – lui se faisait appeler « le génie des Carpates » – a régné sur la Roumanie vingt-quatre ans durant. Il en a été le maître absolu jusqu’au 25 décembre 1989, quand une révolte que personne n’avait vu venir l’a déboulonné et mis en fuite. Le couple a été traqué et capturé en quelques heures, jugé à la sauvette et exécuté sans délai.

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CE QUE JE CROIS Les images télévisées de cette fin sans gloire avaient alors fait le tour du monde. ✷ Pourquoi ont-ils été secoués et sont-ils tous sur le qui-vive ? C’est qu’en régime de dictature ou de quasi-dictature, le bâillonnement de la presse, la mise au pas de la justice et l’omniprésence de la propagande d’État glorifiant à longueur de journée le pouvoir et son chef rendent impossible l’évaluation de leur degré d’impopularité. Ce qui est arrivé en Tunisie en janvier et en Égypte ce mois-ci a révélé au monde – et, j’en suis sûr, aux intéressés eux-mêmes – une réalité qui était assez bien camouflée : qui, avant la chute de Ben Ali et de Moubarak, savait qu’eux-mêmes, leurs familles et leurs entourages avaient attiré sur eux autant de détestation ? ✷ S’étant libérés de leurs dictateurs respectifs, par leurs propres moyens et sans aide extérieure, les Tunisiens et les Égyptiens vivent des jours de liesse et de fierté, même si, ici et là, affleure une angoisse diffuse de l’avenir. Ils traversent une période d’inévitable et sympathique « désordre postrévolutionnaire ». À mon sens, il ne faut ni craindre ses inconvénients, pour eux-mêmes et pour leurs partenaires, ni les dramatiser. Cette période s’achèvera bientôt et nous les verrons, dès le mois prochain ou le suivant, engagés dans l’édification et la mise en place de la nouvelle Tunisie, de la nouvelle Égypte, objets de leurs rêves et de leurs révolutions. Les uns et les autres ont clairement dit ce qu’ils

voulaient : un pays différent de celui dans lequel ils se trouvaient enfermés, privés de libertés, de dignité, de justice. Ils se sont prouvé et nous ont prouvé qu’ils étaient capables de relever la tête et d’abattre l’oppression. ✷ Ce qui reste à faire est tout aussi difficile : définir le système de gouvernement et la société dans lesquels ils veulent vivre ; s’entendre entre eux pour les réaliser. Il est de l’intérêt du reste du monde qu’ils réussissent, d’ici à la fin de cette année, à se doter de cet arsenal pacifique. C’est en parvenant à instaurer chez eux une authentique démocratie qu’ils exporteront leur révolution et aideront les peuples qui ont admiré et envié leur soulèvement à les rejoindre. ✷ Nul besoin d’un atlas pour voir qu’entre la Tunisie (vingt-trois ans de Ben Ali) et l’Égypte (trente ans de Moubarak) s’étend un vaste pays, peu peuplé, mais au riche sous-sol : la Libye. Depuis quarantedeux ans (!), ce malheureux pays végète sous la dictature de Kaddafi, de sa famille et de son clan. J’espère pour les Libyens – sans trop y croire, je dois le dire – que la révolution s’infiltrera chez eux, des deux côtés, par simple et double osmose. Si Kaddafi pouvait rejoindre Ben Ali et Moubarak, ses deux « amis », dont il a eu la franchise de regretter publiquement le départ, les Libyens auraient, enfin, un nouvel avenir. Les Tunisiens et les Égyptiens seraient, eux, plus tranquilles. ■

HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. ■ Tout ce qui anesthésie les masses

fait l’affaire des gouvernements. JEAN DUTOURD

■ Avec un portable, le monde entier peut faire intrusion chez vous et entraîner le pire. YASMINA REZA ■ Pour un colonel qui a commandé un régiment devant l’ennemi, rien n’est plus démoralisant que de se voir réduit à commander une choucroute dans une brasserie. PIERRE DAC ■ Les amants ne voient les défauts

de leurs maîtresses que lorsque leur enchantement est fini. LA ROCHEFOUCAULD

■ Une

femme doit avoir trois hommes dans sa vie : – un de soixante ans pour le chèque ; – un de quarante ans pour le chic ; – un de vingt ans pour le choc. SACHA GUITRY ■ Demeure aussi prudent au terme

qu’au début; ainsi tu éviteras l’échec. LAO-TSEU

■ Le serpent change de peau, mais

ne change pas ses habitudes. PROVERBE AFRICAIN ■ Il

vaut mieux creuser sa tombe avec sa fourchette qu’avec une pelle. C’est plus agréable et c’est plus long. PHILIPPE BOUVARD

■ Je suis monsieur Tout-le-Monde,

comme tout un chacun. LES NOUVELLES BRÈVES DE COMPTOIR

■ L’art ne s’obtient jamais par le laisser-aller, seulement par la contrainte ou la discipline; il faut faire de sa vie entière une œuvre d’art – et d’abord soigner le détail. ANDRÉ GIDE ■ Il est dangereux d’admettre le public dans les coulisses. Il perd facilement ses illusions, puis il vous en tient grief, car c’est l’illusion qu’il aime. SOMERSET MAUGHAM ■ Stupéfiant !

Tout le temps que j’avais devant moi, il est derrière. ROLAND TOPOR

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL

Révolutions africaines

DANS JEUNE AFRIQUE ET NULLE PART AILLEURS

f si u cl Ex

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TUNISIE LA VÉRITÉ SUR LA FUITE DE BEN ALI Voici enfin reconstitué, grâce à des témoins clés, le récit de ce 14 janvier qui vit le départ du président déchu et de ses proches.

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PHOTOS DE COUVERTURES : DAVID IGNASZEWSKI ; VINCENT FOURNIER / J.A. ; HO NEW / REUTERS

C’EST LE CAUCHEMAR DES UNS et le rêve éveillé des autres : que la lame de fond des révoltes populaires tunisienne et égyptienne traverse le désert et submerge, telle un tsunami, les bastions subsahariens de l’autocratie. Ce scénario, d’actualité pour ceux qui FRANÇOIS croient aux effets du mimétisme SOUDAN en politique, est-il crédible ? Voire. Qu’à l’instar de la chute du mur de Berlin et de l’exécution du couple Ceausescu, il y a plus de vingt ans, la fuite de Ben Ali et le renversement de Moubarak aient donné des idées à bien des démocrates est une évidence. Qu’il faille espérer voir ces soulèvements nés au sein de pays émergents d’Afrique du Nord susciter ipso facto des émules dans des pays qui, eux, ne le sont pas (ou pas encore) est loin d’être acquis. Quitte à désespérer les sismographes, autant le dire : les répliques risquent de se faire attendre. Certes, bien des ingrédients qui ont fait exploser les chaudrons tunisien et égyptien se trouvent réunis au sud du Sahara. Usure du pouvoir, petits arrangements avec la Constitution, népotisme, corruption, mauvaise gouvernance, profondes inégalités sociales, atonie de l’opposition, poids démographique de la jeunesse… À cette aune-là, une bonne douzaine de régimes peuvent se sentir menacés, même si la persistance du communautarisme, ce facteur meurtrier de division inconnu en Tunisie et en Égypte et qui concerne ici toutes les couches de la société à commencer par les armées nationales, constitue entre les mains des pouvoirs en place un redoutable antidote. Mais, y compris dans les rares pays où ce virus ne sévit pas ou peu (le Sénégal par exemple), il manque pour que soient dupliqués les modèles de Tunis et du Caire un élément essentiel : les acteurs. Sauf en Afrique du Sud, qui est déjà une vraie démocratie, aucun pays subsaharien ne dispose de cette masse critique de jeunes mondialisés armés de leurs smartphones et de leurs pages Facebook, diplôméschômeurs interconnectés et étudiants à lunettes, en mesure de peser sur le rapport des forces de par leur seule mobilisation. Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits et légumes à Sidi Bouzid, fréquentait les cybercafés : il savait donc qu’ailleurs dans le monde le mépris, la misère, la corruption et le favoritisme ne sont pas partout la règle. Ses camarades d’infortune de Matam, de Tcholliré ou de Mbandaka, là où le taux de pénétration d’internet est inférieur à 1 % de la population, n’en ont, eux, qu’une conscience diffuse. Sans parler de ces classes moyennes, omniprésentes au cœur des « révolutions arabes » d’aujourd’hui et encore embryonnaires dans ces pays africains où, entre les riches et les pauvres, il n’y a presque rien. Ce qui fait qu’une émeute devient une révolution et non un simple coup d’État est le fruit d’une mutation et d’une maturation invisible et progressive de tout le corps social. L’Afrique subsaharienne n’en est pas encore là. Reste que, après les leçons de Tunis et du Caire, les successions de père en fils et les Constitutions prêt-àporter risquent de devenir partout de moins en moins supportables. C’est déjà ça de gagné… ■

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GABON ALI BONGO ONDIMBA ET ANDRÉ MBA OBAME, LES FRÈRES ENNEMIS Cʼest Omar Bongo Ondimba qui les a fait se rencontrer. Mais les appétits se sont aiguisés. Rien ne va plus entre le président et lʼancien ami devenu opposant.

CE QUE JE CROIS Par Béchir Ben Yahmed CONFIDENTIEL

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FOCUS

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Tunisie La vérité sur la fuite de Ben Ali RD Congo Pour une poignée de dollars Afrique du Sud Les déçus des townships Libye Sur qui Kaddafi peut-il compter ? Football Mauvaise passe pour Hayatou

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LʼÉVÉNEMENT

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Égypte Les vertiges de la révolution

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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Gabon Les frères ennemis Bénin Épineuse Lepi Côte dʼIvoire Bunker Palace Hôtel Affaire Hissène Habré Dans lʼimpasse Nigeria Jonathan bat campagne Centrafrique Un boulevard vers le Parlement RD Congo Lʼhonneur perdu de Lambert Mende

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SOMMAIRE 7 TUNISIE

SIDI BOUAZIZI, UN HÉROS ARABE Son geste désespéré est à lʼorigine de la révolution tunisienne et du vent de liberté qui souffle sur toute la région. Enquête sur un fils du peuple devenu une icône.

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LʼÉVÉNEMENT

ÉGYPTE LES VERTIGES DE LA RÉVOLUTION

Après la stupeur et la liesse provoquées par la démission de Hosni Moubarak vient le temps des interrogations. Lʼarmée va-t-elle organiser des élections libres ? Le printemps des peuples va-t-il sʼétendre à toute la région ?

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BUNKER PALACE HÔTEL Au Golf Hôtel, à Abidjan, lʼeffervescence des premiers jours est retombée. Reportage au cœur de la forteresse où est réfugié Alassane Ouattara depuis plus de deux mois. Entre petits coups de blues et grands élans dʼoptimisme.

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CÔTE DʼIVOIRE

DOSSIER AGROALIMENTAIRE

ÉTATS-UNIS

AU SECOURS, CALAMITY JANE REVIENT ! Colistière de John McCain en 2008, Sarah Palin est aujourdʼhui lʼégérie des ultraconservateurs. Et le cauchemar des dirigeants républicains.

LʼAFRIQUE AIGUISE LES APPÉTITS

Le continent attire des investisseurs venus de toute la planète, assurés dʼy trouver la réponse à des besoins mondiaux en nourriture qui ne cessent dʼaugmenter.

L E D E VO I R D ʼ I N FO R M E R , L A L I B E R T É D ʼ É C R I R E

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

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Tunisie Sidi Bouazizi Interview Fethi Benslama, psychanalyste tunisien Algérie CNCD : alliance contre-nature Irak - États-Unis Lʼaffabulateur passe aux aveux Mauritanie Grâce présidentielle pour les militants antiesclavagistes

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Banques Braderie nigériane Mali Le coton file côté privé Acquisitions Maroc Télécom étend son royaume Bourse La panique passée, Tunis fait les comptes

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LE DOSSIER DE J EUN E AF R IQUE

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Agroalimentaire LʼAfrique aiguise les appétits

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INTERNATIONAL

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LIR E, ÉC OUTER , VOIR

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États-Unis Au secours, Calamity Jane revient ! Pakistan Qui a tué Benazir ? Interview Fatima Bhutto, nièce de lʼancienne Première ministre du Pakistan Parcours Ahmedoune Dida Diagne & Terence Niba Russie Mascarade judiciaire Nations unies Grosse gaffe à la tribune

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Photographie Beautés révélées Interview Michel Ouédraogo, directeur du Fespaco Livre Kossi Efoui : le juste mot Réflexion Senghor, Fanon : inoubliables ! Design Hassan Hajjaj, créateur sans frontières

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VOUS & NOUS

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ECO F I NA NC E

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Courrier des lecteurs Post-scriptum

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Mines La fin du rêve chinois ? La semaine dʼEcofinance

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CONFIDENTIEL

POLITIQUE

Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU.

CÔTE D’IVOIRE L’OFFRE DE CHOI À GBAGBO REPRÉSENTANT SPÉCIAL en Côte d’Ivoire de Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, Choi Young-jin cherche à convaincre Laurent Gbagbo, qu’il qualifie de président de facto, de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara. Le Sud-Coréen, qui utilise des émissaires comme Alcide Djédjé, le ministre des Affaires étrangères, s’efforce de lui « vendre » un scénario « à la Mathieu Kérékou ». Battu à l’élection présidentielle de 1991, après dix-huit ans au pouvoir, l’ancien président béninois avait accepté de céder son siège à Nicéphore Soglo, le vainqueur

THIERRY GOUEGNON/REUTERS

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du scrutin. Après une traversée du désert de cinq ans, il avait regagné démocratiquement la présidence en 1996, puis l’avait conservée en 2001 avant d’être atteint par la limite d’âge. Pour l’instant, Gbagbo n’a donné aucune suite à la proposition.

CHAKA CHERCHE À SAUVER SA PEAU ACCUSÉ DE COLLABORATION avec le camp Gbagbo et menacé de sanctions par l’Union européenne, Meissa Ngom, directeur général du groupe Chaka Computers, s’explique : « La Caisse d’épargne m’a demandé de mettre en place, à Abidjan, un système informatique de télécompensation bancaire dont je ne connaissais pas la finalité. Quand, début février, j’ai appris qu’il était destiné à contourner le blocage

de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest [BCEAO], j’ai arrêté toute collaboration. » Depuis, le patron sénégalais a cherché à convaincre de sa bonne foi Hamed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur de Ouattara, ainsi que le Premier ministre sénégalais, Souleymane Ndéné Ndiaye. Sceptique, le camp Ouattara vérifie actuellement que le groupe a bien interrompu l’ensemble de ses prestations.

LA BRVM DÉLOCALISÉE À BAMAKO ? APRÈS LA BCEAO, c’est le siège de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), une société privée mais considérée comme une institution de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), que le gouvernement de Laurent Gbagbo a réquisitionné, le 11 février. Alerté par ses proches, le président sortant a pris cette décision pour contrer un projet de redéploiement de la BRVM à Cotonou, au Bénin. Jean-Paul Gillet, le directeur général de la Bourse, confirme que le conseil d’administration s’apprête à met-

tre en place, sous l’autorité du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREPMF), un site de repli dans une capitale de la sous-région. Objectif : relancer rapidement les cotations. S’il faut en croire le patron d’une société d’intermédiation boursière, ce siège provisoire devrait être installé à Bamako, au Mali. Depuis le 11 janvier, date à laquelle les proches de Gbagbo ont confisqué les codes qui permettent de faire fonctionner le marché, le siège de la BRVM a suspendu ses activités à Abidjan. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


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ALPHA À PARIS LE 23 MARS ? Avant le second tour de l’élection présidentielle guinéenne, l’Élysée avait pronostiqué la victoire de Cellou Dalein Diallo. Comme on le sait, c’est Alpha Condé qui l’a emporté. Le 30 janvier à Addis-Abeba, Nicolas Sarkozy a donc tenté de se faire pardonner cette bévue: à la tribune du sommet de l’Union africaine, il a salué l’élection de « notre ami Alpha Condé ». Par la suite, dans la grande salle de l’Africa Hall, les deux hommes se sont chaleureusement serré la main. « Je compte vous rendre visite bientôt », a dit le Guinéen. « Oui, c’est une très bonne idée », a répondu le Français. Aujourd’hui, Paris propose la date du 23 mars. Ce sera la première visite de travail en France du nouveau président guinéen.

BÉNIN

TROIS CANDIDATS ET LEURS COMMUNICANTS Avant le premier tour de l’élection présidentielle béninoise, le 6 mars, les trois principaux candidats ont leurs communicants attitrés. Boni Yayi, le président sortant, s’appuie sur son conseiller depuis 2006, Didier Aplogan, directeur général de l’agence AG Partners. Suivant l’exemple d’Alassane Ouattara, Adrien Houngbédji, le candidat de l’opposition, a finalement fait appel à l’agence de communication ivoirienne, Voodoo Communication, dirigée par Fabrice Sawegnon. Quant à Abdoulaye Bio-Tchané, après avoir pris contact avec les Français d’Euro RSCG, il a préféré travailler avec des équipes locales et utiliser l’expérience de collaborateurs venus de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).

GABON-GUINÉE ÉQUATORIALE AGITATION À NEW YORK Les diplomates gabonais déploient une grande activité à l’ONU pour faire avancer la cause de leur pays dans le différend territorial qui l’oppose à la Guinée équatoriale à propos de plusieurs petites îles – dont celle de Mbanié – situées à l’embouchure du Rio Muni. Le contrôle des eaux territoriales de cette zone pourrait avoir d’importantes conséquences pétrolières… Les Gabonais invoquent une convention qui aurait été signée, en 1974, par les anciens présidents Omar Bongo Ondimba et Francisco Macias Nguema. Ce document figurerait, selon eux, dans le recueil des traités de l’ONU, ce que contestent leurs voisins. En 2004, le litige a été soumis à un arbitrage onusien. Une réunion importante doit se tenir à la fin de ce mois, à New York. Le président Teodoro Obiang Nguema espère pouvoir disposer prochainement de nouveaux documents provenant des archives espagnoles et françaises, qui renforceraient sensiblement la position juridique de son pays.

BURKINA FASO À QUOI SERVENT LES FORCES SPÉCIALES FRANÇAISES? Positionnés à Ouagadougou, au Burkina Faso, en vue d’une éventuelle action contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) après l’enlèvement de plusieurs Français au Niger, les quelque sept cents hommes du Commandement des opérations spéciales de l’armée française, que commande le général Frédéric Beth, sont également prêts à intervenir en Côte d’Ivoire. Officiellement, ils seraient chargés de procéder à l’évacuation des douze mille ressortissants français, dans l’hypothèse d’une grave détérioration de la situation. Plus officieusement, ils pourraient être appelés à participer à une opération coup-de-poing, aux côtés de forces ivoiriennes ou régionales, afin de déloger du pouvoir Laurent Gbagbo. Ce que le président Ouattara appelle une « opération chirurgicale ».

LIGUE ARABE BRAHIMI SUR LES RANGS SON MANDAT de secrétaire général de la Ligue arabe arrivant à expiration le 20 mars, la succession de l’Égyptien Amr Moussa est ouve r te. Q ue lque s jours avant son départ forcé du pouvoir, Hosni Moubarak avait adressé à Abdelaziz L’ancien chef de la diplomatie algérienne. Bouteflika une lettre dans laquelle il demandait de soutenir la candidature de Moufid Chehab, son secrétaire d’État chargé des Affaires juridiques. Refus poli du président algérien, qui a rappelé l’attachement de son pays au principe de l’alternance à la tête de l’institution panarabe et réitéré la volonté de son gouvernement de présenter la candidature de Lakhdar Brahimi, ancien chef de la diplomatie algérienne et ancien représentant spécial des Nations unies en Afghanistan. L’élection devrait avoir lieu lors du sommet de Bagdad, fin mars.

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MARK GARTEN/UN PHOTO

GUINÉE


CONFIDENTIEL

ÉCONOMIE

MINES AREVA DÉGAGE ! L’IDÉE D’UN PÔLE minier français qui réunirait Eramet et Areva refait surface. Patrick Buffet, le PDG du premier groupe – spécialisé dans le nickel et le manganèse, celui-ci est présent au Congo à travers la Comilog et compte Areva parmi ses actionnaires (25,69 % du capital) –, refuse tout net ce projet de regroupement, qui figure pourtant à l’ordre du jour du Conseil de politique nucléaire qui doit se tenir à l’Élysée, en mars. Pour l’instant, Eramet rejette l’idée selon laquelle il existerait de fortes synergies avec Areva, fût-ce dans l’exploitation du gisement gabonais de Mabounié (qui n’en est encore qu’à la phase d’exploration). L’enjeu? Les terres rares (niobium, tantale, etc.) présentes dans le gisement, qui ne contient que 10 % d’uranium, sont radioactives, donc invendables en l’état. Les deux groupes travaillent à la mise au point d’une technologie qui remédierait au problème. Mais il existe d’autres arguments contre la fusion. Que deviendrait par exemple l’action-

TIPHAINE SAINT-CRIQ POUR J.A.

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Chargement de manganèse sur le port de Libreville.

naire historique, la famille Duval, qui possède 37 % du capital d’Eramet? Que faire de l’activité métallurgique, que le groupe devrait céder en cas de création d’un nouveau groupe minier? Eramet pèse actuellement 7 milliards d’euros. Avec l’activité minière d’Areva, il ne vaudrait guère plus. Insuffisant pour menacer les géants du secteur comme BHP Billiton, dont la capitalisation boursière s’élève à 200 milliards de dollars. « Mieux vaut rester un acteur de niche, performant, intégré et autonome, qu’un petit dans un monde de grands », résume-t-on au siège du groupe.

AUTOMOBILE DISTRIBUTEURS DANS LE BROUILLARD

TRANSPORT

En Tunisie, l’automobile était sans doute le secteur le plus noyauté par le clan Ben Ali-Trabelsi. Propriété de Mohamed Sakhr el-Materi, gendre de l’ancien président, la société Ennakl (Volkswagen, Audi, Porsche, etc.) détenait à elle seule 25 % du marché. Depuis la chute du régime, les distributeurs sont dans la plus grande incertitude. Sevrés d’informations par les autorités, ils n’ont toujours pas obtenu de quotas d’importations pour 2011 et fonctionnent avec une autorisation temporaire équivalente à 25 % de leurs ventes en 2010. Un manque d’informations qui pénalise plus que les autres les quatre filiales contrôlées par des proches de l’ancien régime – Stafim, Alpha Ford, City Cars et Ennakl –, toutes placées sous administration judiciaire. Les distributeurs ont prévu de se réunir cette semaine pour décider d’une stratégie commune.

RISQUE-PAYS LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE REFAIT LE MONDE Présente dans une quinzaine de pays africains, la Société générale s’est dotée d’une grille de lecture du risque-pays destinée à aider au choix des futures implantations du groupe bancaire. Un assez étrange indice de liberté (freedom index) a été établi pour 122 pays. Il classe l’Afrique du Sud au 30e rang, juste devant la France (31e) et la Chine (36e), mais très, très loin devant Hong Kong (88 e ) ou le Maroc (116 e ). En matière de santé, la France (4 e ) devance d’une courte tête la… Jamaïque (8e). Le Maroc est 17e et la Tunisie 46e. Pour la qualité de la vie, la France, en revanche, déchante (25e), mais moins que le Maroc (63e). On ne sait trop pourquoi, la Libye (68e) devance en ce domaine l’Algérie (79e) et la Tunisie (81e).

LE TRANSGUINÉEN SUR LES RAILS À Conakry, le 22 avril, Roger Agnelli, président du groupe minier brésilien Vale, et Benny Steinmetz, patron de l’israélien BSGR, poseront, en compagnie du président Alpha Condé, les premiers rails du Transguinéen. Cette ligne ferroviaire de 700 km, dont on parle depuis l’indépendance, permettra d’acheminer passagers et marchandises de Conakry à Kankan, puis à Kérouané, à proximité du gisement de fer du Simandou, propriété de Vale-BSGR. Le groupement israélobrésilien conforte ainsi ses bonnes relations avec les nouvelles autorités guinéennes, qui ont confirmé son autorisation d’exporter son fer via le port de Buchanan, au Liberia (grâce à une seconde ligne, minière celle-là), contrairement à son concurrent Rio Tinto-Chinalco.

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CULTURE & SOCIÉTÉ

CONFIDENTIEL

BOX-OFFICE FLOPS EN SÉRIE LE PALMARÈS DES ENTRÉES dans les salles de cinéma françaises en 2010 n’est pas très glorieux pour les longs-métrages réalisés par des metteurs en scène africains (ou d’origine africaine). Aucun n’accède au club, qui compte une centaine de membres, des films ayant réalisé plus de 500 000 entrées. Le plus grand succès – 427 000 billets vendus pour Hors-la-Loi, de Rachid Bouchareb – est d’ailleurs… l’un des plus grands échecs de l’année, puisque, forts du triomphe de Indigènes, en 2006, les producteurs de ce film franco-algérien visaient les 2 millions d’entrées. De même, on attendait mieux d’entrée de Un homme qui crie, le remarquable long-métrage du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, qui, en dépit du prix décroché à Cannes, n’a attiré qu’un peu plus de 60 000 spectateurs ; de la Vénus noire, d’Abdellatif Kechiche (217 600) ; et, plus encore, de Teza, le chef-d’œuvre de l’Éthiopien Haïlé Gérima, vu par environ 2 000 spectateurs pa En France, aucun film africain n’a – une misère. franchi le cap des 500000 spectateurs. Si Femmes du Caire, le film féministe de l’Égyptien Yousry Nasrallah (72 500), et Les Secrets, de la Tunisienne Raja Amari (22 000), obtiennent des scores honorables, aucun autre film ne passe la barre des 20 000 spectateurs, qu’il s’agisse du Fil, de Mehdi Ben Attia (16 000), de Harragas, de Merzak Allouache (12 500), ou encore de La Chine est encore loin, de Malek Bensmaïl. À noter que Benda Bilili !, le documentaire consacré par les Français Renaud Barret et Florent de la Tullaye aux musiciens handicapés de Kinshasa, a séduit 172 000 spectateurs.

CINÉMA PIRATES SOMALIENS SUR GRAND ÉCRAN Le développement de la piraterie en Somalie inspire les producteurs de cinéma. On savait que Samuel L. Jackson (Uppity Films) et Andras Hamori (H20 Motion Pictures) souhaitent adapter à l’écran l’histoire du Kényan Andrew Mwangura, qui coordonne un programme d’assistance aux marins. La prise d’otage du capitaine Richard Phillips serait également en voie d’adaptation, à Hollywood. Plus rare: un producteur français de renom, Jacques Perrin (Galatée Films), travaille actuellement à un projet de fiction. À l’écriture: Christophe Cheysson (premier assistant-réalisateur sur Marie-Antoinette, de Sofia Coppola, et sur Deux Frères, de Jean-Jacques Annaud) et Laurent Gaudé (Prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta). Cheysson, qui s’est rendu dans le Somaliland, n’exclut pas « qu’une partie du tournage ait lieu là-bas ». Perrin souhaite quant à lui éclairer « ce phénomène [la piraterie] plus complexe qu’on l’imagine ». Le scénario devrait être achevé avant le mois de juillet. Le réalisateur n’est pas encore choisi. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

DANSE

LAGRAA NE CHÔME PAS Actuellement en tournée avec Nya, première création de la Cellule contemporaine du Ballet national algérien, le chorégraphe franco-algérien Abou Lagraa travaille à plusieurs projets. En 2012, il présentera deux nouvelles pièces: la première, en janvier, à l’occasion du festival Suresnes Cités Danse ; la seconde, en mai, au Théâtre des Gémeaux à Sceaux. Début 2013, à Marseille, il dirigera un ballet consacré aux arts de l’islam, avec les danseurs algériens de la Cellule contemporaine et ceux de sa propre compagnie, La Baraka, installée en France. Ce ballet sera présenté dans le cadre de l’opération « Marseille, capitale européenne de la culture 2013 ». THÉÂTRE

AFRICAINS À AVIGNON Trois productions du théâtre parisien Le Tarmac seront présentées, du 8 au 31 juillet, au Petit Louvre, à Avignon, lors du Festival : Chiche l’Afrique, une pièce satirique du Togolais Gustave Akakpo ; Bienvenue o Kwatt, un one-man-show du Camerounais Valér y Ndongo; et Le Cœur des enfants léopards, une adaptation du roman du Congolais Wilfried N’Sondé (prix des Cinq Continents de la Francophonie 2007), mise en scène par son compatriote Dieudonné Niangouna. Cette dernière pièce sera également jouée au Tarmac, du 1er au 19 mars, avec l’acteur Criss Niangouna.

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12 FOCUS

LES DERNIÈRES NOUVELLES DU MONDE

TUNISIE

if s lu c Ex

LA VÉRITÉ SUR LA FUITE DE BEN ALI Certains en ont fait un conte échevelé, voire un roman dʼespionnage. Voici enfin, reconstitué, heure par heure, grâce à des témoins clés, le récit de ce 14 janvier qui vit le départ de Ben Ali et de ses proches.

À L’HEURE OÙ CES LIGNES SONT ÉCRITES, les médias du monde entier se perdaient en conjectures sur l’état de santé de Zine el-Abidine Ben Ali. Victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC), dans le coma, voire décédé, le raïs déchu aurait été hospitalisé à l’hôpital King Faisal de Djeddah (Arabie saoudite). Toujours au moment où nous mettions sous presse, l’information se révélait impossible à vérifier, pour ne pas dire fausse. Mais quel que soit l’état réel ou supposé de Ben Ali, il existe une autre page de l’histoire de la Tunisie nimbée de mystère : la fuite du couple présidentiel, le 14 janvier. Là encore, la presse internationale, et française en particulier, a tenté de retracer le film d’événements dont le

ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis

C

e 1 4 j a n v i e r, d a n s l’après-midi, le cours de l’Histoire s’accélère. Depuis le milieu de la matinée, le général Ali Seriati, le chef de la garde présidentielle, est au palais, au côté de Ben Ali. Minute après minute, il reçoit de ses unités et des chefs de la police des nouvelles alarmantes. Sur l’avenue Bourguiba, l’informent ces derniers, les manifestants se comptent par dizaines de milliers. Et ils réclament le départ du président. C’est donc que le peuple n’a pas été dupe des promesses formulées la

déclenchement échappe au commun des mortels. Pourquoi Ben Ali a-t-il décidé de quitter la Tunisie ? Que s’est-il réellement passé ? Qui était avec lui ? Pensait-il réellement revenir au pouvoir ? Certains de nos confrères ont tenté de raconter cette histoire, flirtant parfois avec le mauvais roman d’espionnage. Gérard de Villiers, le célèbre auteur de S.A.S., s’y attellera certainement dans les prochaines semaines. Au moins saura-t-on qu’il s’agit d’un roman… J.A., lui, certes avec retard, mais mieux vaut tard qu’inexactement, vous livre ici la véritable histoire de la fuite de Ben Ali, reconstituée d’après des témoins directs et des acteurs de ce moment charnière pour les Tunisiens. ■ M.B.Y.

veille : dans un discours télévisé, Ben Ali avait demandé à ses concitoyens de lui laisser six mois pour entreprendre des réformes et s’était engagé à quitter le pouvoir ensuite, sans briguer un sixième mandat. ACCUEIL TRIOMPHAL

Pe u a p r è s 13 h e ur e s , S e r ia t i apprend que plusieurs incendies ont éclaté – le premier dans la villa toute neuve de Houssem Trabelsi, à l’entrée de la côte de Gammarth, et donc à quelques minutes du palais. Houssem, propriétaire du restaurant Le Brauhaus 209, lui aussi en proie aux flammes, est le neveu de Leïla. Prise de panique, cette dernière téléphone aussitôt aux membres de sa

famille. « Quittez immédiatement le pays ! » les supplie-t-elle, avant de presser son mari d’en faire autant, et tout de suite. « La situation est de plus en plus grave », lance Seriati en présence de deux des trois filles de Ben Ali issues d’un premier mariage. Alors que Dorsaf Chiboub et Ghazoua Zarrouk s’empressent de rentrer chez elles pour se mettre à l’abri, leur père ne manifeste pas la moindre intention de partir. Seriati lui conseille alors de prendre le large. Laissezmoi le temps de mater la révolte et de vous préparer ensuite un accueil triomphal, lui souffle-t-il. L’état-major est d’accord pour que vous partiez avec votre femme et vos enfants, mais sans les autres membres de la

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Le couple présidentiel à l’aéroport de Tunis, en octobre 2002.

famille Trabelsi. Abattu, Ben Ali se résigne. Mais où aller ? Juste avant 15 heures, il téléphone à Nayef Ben Abdelaziz Al Saoud, le ministre saoudien de l’Intérieur, pour lui annoncer son arrivée dans la nuit. Nayef lui répond qu’il est son invité. Depuis l’époque où ils étaient membres du

Conseil des ministres arabes de l’Intérieur, dont le siège permanent est à Tunis, les deux hommes ont noué des liens solides. Contrairement à ce qui a parfois été dit ou écrit, il n’a jamais été question que Ben Ali et les siens partent pour la France, pour Malte ou pour

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la Grèce. Pas davantage qu’ils se réfugient à Djerba ou à Tripoli. Le plan de vol porte sur un trajet direct Tunis-Djeddah en vue de la Omra, le petit pèlerinage sur les lieux saints, en Arabie saoudite. À 15 heures, la présidence donne l’ordre de préparer l’avion pour un

FETHI BELAID/AFP

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14 FOCUS

À sa descente de l’avion, Ben Ali lance, bravache : « Je serai bientôt de retour ! »

steward. Le plein de kérosène complété, le Boeing aux couleurs de la République tunisienne immatriculé TS IOO – « Oscar Oscar » pour les initiés – roule en direction de la piste 29 de l’aéroport de Tunis-Carthage, mitoyen avec la base. À 17 h 45, le signal du décollage est donné. L’appareil met le cap vers le sud, avant de virer vers l’est au niveau de Monastir, à 170 km de là, et de prendre la direction de Djeddah. Pendant que ses proches prennent leurs aises dans le salon et que Leïla se repose dans la chambre aménagée à bord, Ben Ali s’installe dans le cockpit. Il ne le quittera à aucun moment. Le pilote – derrière qui il a pris place – et le copilote le sentent stressé et devinent qu’il a une arme. Craint-il qu’on leur donne l’ordre de rebrousser chemin afin de le ramener à Tunis ? Qu’ils changent de direction ? Plusieurs fois dans la nuit, il leur demandera quel pays ils sont en train de survoler. FETHI BELAID/AFP

départ à 17 heures, l’heure à laquelle le couvre-feu imposé par l’armée entrera en vigueur. L’équipage dispose de moins de deux heures pour se regrouper sur la base aérienne d’ElAouina. De manière inhabituelle, on ne lui a pas communiqué les noms de code des passagers (VIP-1 pour Ben Ali, VIP-2 pour Leïla et VIP-3 pour leur jeune fils). Comme le chef de l’État se rend rarement à l’étranger et que, de surcroît, on est en pleine révolte, seules VIP-2 et sa suite sont censées monter à bord. Ce qui n’est guère pour surprendre : depuis plusieurs années, Leïla utilise cet appareil pour ses fréquents déplace Le général Ali Seriati, à Tunis, ments – voyages d’affaile 13 décembre 2010. res, vacances ou shop ping – à travers le monde, comme c’était l’heure du couvrenotamment dans les capitales eurofeu, je suis rentré chez moi. Je me péennes et dans les pays du Golfe, suis installé devant la télévision au avec une prédilection pour Dubaï et, moment où elle annonçait qu’elle occasionnellement, pour la « Omraallait diffuser une information imporshopping ». Mais cette fois, Ben Ali tante. C’est ainsi que j’ai appris qu’il est bel et bien en tête du petit groupe venait de quitter le pays. » de passagers. Sur la base d’El-Aouina, l’ambiance En quit tant le palais peu avant est pesante. Arrivés dans une Merce17 heures, il n’a dit au revoir à aucun des noire blindée suivie de trois 4x4 de s e s pro c he s c ollab ora teur s . également noirs, Ben Ali, Leïla, leur Abdelaziz Ben Dhia, son ministre fils unique Mohamed (6 ans), leur fille d’État, qui était aussi son conseiller Halima (18 ans) et son fiancé Mehdi politique numéro un et son porteBen Gaied ( 23 ans ) , ainsi que la gouvernante, embarquent dans le Boeing 737 présidentiel. Tous sont visiblement angoissés mais silencieux. Une fois à bord, l’émotion sub merge les fuyards. Ce sont les nerfs parole, n’en revient toujours pas. de Ben Ali qui lâchent en premier. « Je ne l’avais pas vu depuis la veille Il se met à sangloter. Leïla craque à – le jeudi 13 – à 9 heures du matin, son tour. « Pourquoi pleurez-vous ? » lorsqu’il m’a demandé d’aller à la ne cesse de leur demander l’enfant, Chambre des députés pour assisgagné par leur chagrin. Halima fond ter au débat auquel participait le en larmes. Son fiancé la console. La Premier ministre, raconte-t-il à J.A. scène se déroule sous les yeux de la À aucun moment il ne m’a ensuite gouvernante et sous ceux, discrets, contacté ou informé de ses projets d’une partie des cinq membres de de départ. Le lendemain, peu après l’équipage, composé du comman17 heures, l’aile du palais réservée à dant de bord, du c opilote, d ’un ses conseillers et où se trouvait mon mécanicien, d’une hôtesse et d’un bureau était quasiment vide. Alors,

COMME IDI AMIN DADA

L’atterrissage est risqué : depuis plusieurs jours, Djeddah est noyé sous une pluie battante. Le pilote profite d’une ouverture dans la couche de nuages pour se poser, vers 1 heure du matin, heure locale. Soulagé, Ben Ali dénoue sa cravate. À sa descente d’avion, il se tourne vers les membres de l’équipage et lance, bravache : « Ne vous éloignez pas les gars, je serai bientôt de retour ! » Le repré sent ant du protoc ole saoudien le gratifie d’un « bienvenue, Excellence Président ». Le chef de l’État déchu et sa suite sont alors conduits jusqu’à l’un des palais qui ont vu défiler, entre autres dictateurs exilés, l’Ougandais Idi Amin Dada – qui y est mort en 2003. Pendant ce temps, les passeports des membres de l’équipage sont examinés selon les formalités d’usage. Ces derniers seront ensuite transférés, leur dit-on, dans un grand hôtel de la ville où ils sont censés passer le reste de la nuit. Alors qu’on leur

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FOCUS 15 ILS ONT DIT ANITA CORTHIER

« Il ne faut pas prendre les patrons pour des brutes qui préfèrent travailler avec des dictateurs. Le départ du président Ben Ali est plutôt une bonne chose. Si un changement de régime apporte plus de libertés et qu’il nous permet de continuer à travailler, tant mieux ! » CHRISTOPHE DE MARGERIE PDG du groupe pétrolier Total

« Nous espérons que les dirigeants syriens sont un peu plus intelligents que leurs homologues du monde arabe. »

Pour qui roulait Seriati ? Pour le président déchu… ou pour lui-même ? patron de Tunisair les rappelle et leur transmet l’ordre de rentrer immédiatement à Tunis avec leur avion. Ce qui fut fait. Le témoignage de Ben Dhia – qui, après Ben Ali, était le personnage le plus important du régime – est crucial. Il confirme que, le 14 janvier, le raïs se trouvait isolé, prisonnier de ses tête-à-tête avec le général Seriati et Leïla. Il signifie aussi qu’une fois le couple parti, et aucune instruction n’ayant été donnée ni à Ben Dhia ni à Ghannouchi, Seriati devenait ipso facto l’homme fort du pays. On n’a pas de détails sur ce dont Ben Ali était convenu avec son sécurocrate. Mais Seriati était à la fois le chef de la garde présidentielle – mieux entraînée et équipée que l’armée –, le patron des chefs des services de police, et aussi celui qui, en pratique, supervisait l’armée pour le compte de la présidence. Doté de tels pouvoirs, il était donc le mieux placé pour mater la révolte populaire. Mais roulait-il pour Ben Ali ou pour lui-même ? Circonspecte et très bien informée, la hiérarchie militaire s’est sans doute posé cette question en voyant l’avion de Ben Ali décoller. Elle choisira d’arrêter sur le champ le probable nouvel homme fort, avant qu’il ne facilite le retour de Ben Ali au pouvoir… ou ne s’en empare luimême. Le soir même, Seriati était appréhendé et placé en détention sur la base d’El-Aouina, d’où était parti Ben Ali. ■

RIBAL AL-ASSAD Cousin du président Bachar al-Assad et opposant en exil

« J’ai continué à recevoir clandestinement les dissidents,

par les portes dérobées du Quai d’Orsay. Des Tibétains, des Tunisiens, des Soudanais… J’ai eu le sentiment, à mon tour, d’être une dissidente dans mon propre pays. » RAMA YADE Ancienne secrétaire d’État aux Droits de l’homme, aujourd’hui ambassadrice de la France à l’Unesco

« La classe dirigeante [russe] se conduit de manière

révoltante. Ces gens sont riches et dépravés. J’ai honte pour nous et pour le pays. » MIKHAÏL GORBATCHEV Dernier dirigeant de l’Union soviétique

« Il est plus facile de combattre la Mafia que Berlusconi. La première ne peut pas changer les lois à sa convenance. » MARILDA BOCCASSINI Juge italienne, qui a mené l’instruction du Rubygate

LE DESSIN DE LA SEMAINE

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LIAHE Z AOBAO • SINGAPOUR

THE NEW YORK TIMES SYNDICATION

sert des rafraîchissements dans un salon de l’aéroport, ils apprennent à la télévision que, à Tunis, le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, vient d’être intronisé président par intérim. Ils téléphonent aussitôt au PDG de la compagnie nationale Tunisair, leur supérieur hiérarchique, pour l’informer des allusions de Ben Ali sur un possible retour et lui font part de l’intention des Saoudiens de les garder à Djeddah. Après consultation avec les nouvelles autorités, le


16 FOCUS

CES

CHIFFRES

RD CONGO Pour une

poignée de dollars

QUI PA RL EN T

5878,6 milliards

DES LINGOTS D’OR, une valise de dollars, un jet privé… Tous les classiques du polar sont là. La toile de fond apporte sa dose d’exotisme et de sordide: Goma, dans l’Est tourmenté de la RD Congo, paradis pour les trafiquants de minerais et enfer pour les civils. Depuis le 3 février, un biréacteur immatriculé aux États-Unis stationne à l’aéroport du chef-lieu du Nord-Kivu. Ses quatre passagers – deux Nigérians, un Américain et un Français – ainsi que son équipage – trois Américains et un Nigérian –, en provenance d’Abuja (Nigeria), séjournent à l’hôtel Ihusi, complexe doté d’une piscine, en bordure du lac Kivu. Mais ils ne sont pas là pour raisons touristiques. Le 4 février, la garde républicaine les y a assignés à résidence et a immobilisé leur appareil. Selon Julien Paluku, le gouverneur de la province, les forces de l’ordre avaient vu un homme grimper à bord et redescendre une valise de billets à la main, avant que le jet ne soit chargé d’une cargaison de 435,6 kg d’or en lingots. Des indices clairs d’un trafic d’or. Le sous-sol du Nord-Kivu en regorge, mais en septembre dernier, le gouvernement a décrété la suspension des activités minières dans la région. Selon le

de dollars (4322 milliards d’euros). Le PIB de la Chine en 2010, qui ravit la place de deuxième puissance économique mondiale au Japon.

280636

statuts de résident permanent ont été accordés par le Canada en 2010: un record depuis cinquante ans.

42 millions

d’hectares de terres ont été acquis dans les pays du Sud, entre août 2008 et octobre 2009, par des investisseurs du Nord et les élites du Sud, indique la Banque mondiale.

65 % 28 %

L’augmentation des réservations de l’Eurostar entre le 28 avril et le 2 mai, en vue du mariage du prince William d’Angleterre avec Kate Middleton.

WALTER ASTRADA/AFP

des Français préfèrent l’ancienne journaliste Anne Sinclair, épouse de Dominique StraussKahn, à Carla BruniSarkozy, selon un sondage Paris Match-Ifop.

chef de l’État, Joseph Kabila, « une espèce de mafia » parasite le secteur. « L’affaire du jet » pourrait apporter une énième preuve que l’armée n’y est pas étrangère. L’homme à la valise serait un proche de Bosco Ntaganda, ancien rebelle protégé par Kinshasa depuis son intégration à l’armée régulière, en 2009, malgré le mandat d’arrêt lancé contre lui par la Cour pénale internationale en 2006. Suivant le véhicule du sherpa après la transaction, la garde républicaine l’aurait vu se garer précisément devant chez Ntaganda. Une partie seulement du contenu de la valise – 6,5 millions de dollars au total – aurait été récupérée et placée à la Banque centrale, avec les lingots. Mais sera-t-il possible d’en faire usage ? Une source fiable rapporte ce détail piquant, sous le couvert de l’anonymat : il y a dans ce pactole pour un million de dollars de faux billets. Publié en novembre dernier, un rapport du Groupe d’experts des Nations unies sur la RD Congo évoque le cas Ntaganda. « Selon de nombreuses sources dignes de foi, Ntaganda est directement impliqué dans le commerce de minerais dans toute cette zone [la partie Sud du territoire de Masisi, NDLR] », écrivent notamment les auteurs. L’his toire soulève de nombreuses questions. Quel sera le sort des passagers du jet ? À qui appar tient celui- ci ? L’or at-il été transformé en lingots sur le territoire congolais ? Le 17 février, le procureur général de la République est arrivé à Goma pour une enquête, qui devra aussi répondre à des interrogations plus cruciales. Pourquoi ce trafic a-t-il été mis au jour alors que tant d’autres, au Nord-Kivu, se déroulent en toute tranquillité ? « Il devait y avoir un mécontent qui ne s’y retrouvait pas et a décidé de faire payer les autres », dit un observateur à Kinshasa. S’il est vraiment impliqué, Ntaganda sera-t-il inquiété ? Jouissant encore d’une autorité sur les rebelles fraîchement intégrés, il constitue une menace pour la fragile paix de l’Est congolais. ■

Bosco Ntaganda, dans le Nord-Kivu, en janvier 2009.

MARIANNE MEUNIER

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DANIELE LA MONACA/AP PHOTO

FOCUS 17

L’ÎLE DE LA TENTATION

ARRÊT SUR IMAGE

Depuis le 15 février, plus de 5 000 Tunisiens ont débarqué sur l’île italienne de Lampedusa. Déçus de la révolution, jeunes à la recherche d’un travail et de moyens de survie, ils ont profité de la confusion qui règne dans leur pays pour rejoindre l’eldorado européen. Rome a décrété l’état d’urgence humanitaire et, de son côté, l’Union européenne a promis de débloquer 17 millions d’euros immédiatement, puis 258 millions d’ici à 2013, pour soutenir la transition démocratique en Tunisie.

AFRIQUE DU SUD Les déçus des townships JETS DE PIERRES, COCKTAILS MOLOTOV, TIRS DE BALLES en caoutchouc – mais aussi de balles réelles… La colère gronde, dans les townships. Et la répression est brutale. Depuis le 14 février, soit trois jours après les célébrations du 21e anniversaire de la libération de Nelson Mandela, les rues de Wesselton, le principal township de la ville minière d’Ermelo (dans l’est du pays), s’embrasent. Des scènes de guérilla urbaine opposent des manifestants à des forces de l’ordre appelées en renfort le 16 février. Dans les rues, les balles sifflent, des barrages de pneus s’enflamment et les boutiques tenues par les étrangers sont pillées. Des dizaines de personnes ont été arrêtées, et un homme a été retrouvé mort, non loin du lieu des affrontements. Les protestataires s’insurgent contre le taux de chômage élevé (24 %), la corruption des élus locaux et l’inefficacité des services publics. Leur rêve ? Bénéficier de J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

l’eau courante et de l’électricité, vivre dans des habitations salubres. À une centaine de kilomètres d’Ermelo, le township de Boiphelo a lui aussi été le théâtre d’une révolte, et deux enfants ont péri noyés en tentant de fuir la police. En 2009, les quartiers pauvres du pays avaient été secoués par des contestations similaires, les plus violentes étant survenues en juillet, deux mois après la victoire de Jacob Zuma à la présidentielle et un an après les attaques perpétrées contre les étrangers, qui avaient fait une soixantaine de morts. À l’approche des élections municipales prévues à la fin de mai prochain, et alors que leur niveau de vie n’a pas augmenté comme l’ANC le leur avait promis lors de son arrivée au pouvoir en 1994, les Sud-Africains, désillusionnés, comptent bien se faire entendre. ■ JUSTINE SPIEGEL


18 FOCUS les Libyens appellent la « Katiba ». Comme la Garde républicaine en Irak au temps de Saddam Hussein, celle-ci est mieux équipée que l’armée. Ses 22 000 Bérets rouges – renforcés par 4 000 nouvelles recrues depuis le début de l’année – sont les soldats d’élite du régime. Ils protègent la personne du « Guide » et tous les endroits stratégiques du pays, notamment à Tripoli.

AL-JAZIRA

SOSIE DU « GUIDE »

Des images des émeutes, diffusées par la chaîne Al-Jazira.

LIBYE Sur qui Kaddafi

peut-il compter compter?? COMBIEN DE TEMPS Mouammar Kaddafi va-t-il tenir face à la vague de manifestations ? Sur le papier, le numéro un libyen dispose d’un appareil répressif impressionnant. En première ligne, il y a les 60 000 hommes de la sécurité intérieure et les 30 000 miliciens du Mouvement des comités révolutionnaires (MCR). Le MCR, c’est l’État dans l’État. Créé en 1977, il compte plus de 300 000 membres. Pour le régime, il est à la fois la police, les renseignements généraux et le parti-État – qui organise les manifestations de soutien au « Guide de la Révolution libyenne ». Le patron du MCR, Ahmed Ibrahim, n’est pas un enfant de chœur. En avril 1984, il s’est fait connaître en organisant la pendaison publique et télévisée de onze « étudiants contrerévolutionnaires » sur le campus de l’université de Benghazi. Depuis le début des émeutes anti-Kaddafi, le 15 février, les jeunes des grandes villes de Cyrénaïque brandissent les portraits de ces onze suppliciés. Autant dire qu’Ahmed Ibrahim est l’un des hommes les plus détestés de Benghazi, la deuxième ville du pays (700 000 habitants). Apparemment, le MCR est un formidable instrument de quadrillage

du pays, mais il est à bout de souffle. À l’intérieur du régime, les réformateurs – Seif el-Islam Kaddafi en tête – ne supportent plus son pouvoir tentaculaire et son immobilisme, notamment son refus de toute Constitution. Surtout, les milliers de manifestants de ces derniers jours montrent que le MCR ne tient plus le pays, et notamment la Cyrénaïque. La nouveauté, depuis la chute des deux régimes voisins de Tunisie et d’Égypte, c’est que de nombreux jeunes de cette région, mais aussi de Tripolitaine, n’ont plus peur d’affronter les nervis de Kaddafi. Sans doute le numéro un lui-même n’a-t-il qu’une confiance limitée dans les comités révolutionnaires – trop nombreux, trop « auberge espagnole ». Le vrai bouclier du régime est ailleurs. Pour sa sécurité, le « Guide » s’appuie bien entendu sur ses services de renseignements. Officiellement, le très influent Moussa Koussa s’est retiré pour se consacrer à son nouveau portefeuille des Affaires étrangères. En réalité, il garde la haute main sur les « services ». Mais pour sa protection rapprochée, Kaddafi s’en remet surtout à la Garde – ce que

Parmi les chefs de la Garde figure le colonel Abdallah Sénoussi, beau-frère du numéro un libyen. L’individu est très connu des services occidentaux. Après l’attentat contre le DC10 d’UTA, en septembre 1989, la justice française l’a condamné par contumace à la prison à vie. À la tête de la Garde, Sénoussi partage le pouvoir avec un sosie du « Guide ». Normal, c’est l’un de ses cousins. Même taille, même chevelure, même profil… Le général Ahmed Kaddaf Eddam ressemble tellement à son patron que, quelquefois, dans les sommets internationaux, les diplomates le saluent en croyant qu’il s’agit de Kaddafi. En fait, pour sa sécurité et celle de son régime, le « Guide » a placé aux postes clés des membres de sa tribu, les Gueddafi, qui sont originaires d’une vaste zone désertique entre Syrte et Sebha. Dans la capitale, Tripoli, le chef de la sécurité, le colonel Abdessalam Alhadi, est l’un de ses neveux. Et à Benghazi, l’homme fort, le colonel Mabrouk Warfali, est l’un de ses cousins.

Ses derniers remparts : les services de renseignements et la Garde, dirigée par sa tribu. Restent les enfants du « Guide ». Tout le monde parle de Seif el-Islam, le dauphin présumé, le « politique ». Mais Mootassem, le « militaire », pèse aussi dans l’appareil. Il préside même le Conseil de sécurité nationale, que son père a créé sur mesure pour lui, en 2007. Autre fils, le bouillant Saadi. Ce footballeur raté a des prétentions sécuritaires. Qui soutient encore Kaddafi? Plus le régime sera menacé, plus le « Guide » se repliera sur sa tribu et sa famille proche. ■ CHRISTOPHE BOISBOUVIER

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FOCUS 19

Restera-t-il à la tête de la CAF, en 2013 ? Tous ses adversaires avancent déjà leurs pions.

STÉPHANE BALLONG J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

YOURI LENQUETTE/JERRYCOM

AKHENATON HO NEW/REUTERS

La statue du pharaon volée au musée du Caire le mois dernier, en marge des manifestations contre le régime, a été retrouvée le 17 février, près d’une poubelle place Al-Tahrir, par un manifestant de 16 ans.

DÉLALI YVETTE KLUSSEY TNOELAPANEWS

Première femme nommée secrétaire générale de la Fédération togolaise de football (FTF), cette journaliste de télévision a pour mission de réorganiser la FTF, encore ébranlée par le scandale des « faux Éperviers ».

NADIA FARÈS

L’actrice franco-marocaine a été choisie pour incarner Dalida, la chanteuse disparue en 1987, dans un biopic qui devrait sortir en 2013. Coproduit par Pathé, le film sera tourné en France, en Italie et en Égypte.

VICTOR TONELLI/REUTERS

À KHARTOUM, LE 23 FÉVRIER, la Confédération africaine de football (CAF) renouvelle une partie de son comité exécutif, lors de sa 33 e assemblée générale ordinaire. Bien que partielle, cette élection revêt une importance stratégique pour les futurs concurrents d’Issa Hayatou à la présidence de cette instance du football africain, qui poussent leurs pions en vue de cette échéance de 2013. Six des douze membres du Comité exécutif dont le mandat arrive à terme vont ainsi être remplacés. Les postes à pourvoir correspondent à ceux des représentants de chacune des six zones (Nord, Ouest A, Ouest B, Centre, Centre-Est et Sud) que compte la confédération. La bataille s’annonce rude dans la zone Sud, où six candidats (dont le Sud-Africain Danny Jordaan, qui ambitionne de prendre la tête de la CAF) sont en lice pour un seul fauteuil. Mais c’est en Afrique de l’Ouest que se livrera le combat décisif. Dans cette région, la récente affaire de corruption à la Fifa qui a éclaboussé le Malien Amadou Diakité et le Nigérian Amos Adamu, deux lieutenants de Hayatou, pourrait sérieusement affaiblir ce dernier. Le Camerounais – qui briguera certainement un nouveau mandat – risque de voir monter en puissance les proches de son rival, l’Ivoirien Jacques Anouma. Parmi eux, Tata Avlessi, ancien président de la fédération togolaise, est le plus virulent. Avant d’être réhabilité par le Tribunal arbitral du sport à Genève (Suisse), il avait été accusé de corruption sur un arbitre, en 2007, et suspendu à vie par la CAF. Le Togolais, qui n’a jamais pardonné à Hayatou ce qu’il qualifie de « lynchage orchestré », est en lice pour entrer au comité. Deux scénarios se profilent. Soit deux postes se libèrent, celui du Togolais Seyi Memene, 70 ans, qui part à la retraite, et celui d’Adamu, sanctionné par la Fifa. Dans ce cas, Avlessi, le Ghanéen Kwesi Nyantakyi et le Nigérien Hima Souley se portent candidats. Soit Hayatou refuse de remettre en jeu le mandat d’Adamu. Dans cette hypothèse, Avlessi apporte son soutien à Nyantakyi pour faire obstacle au candidat du patron de la CAF, le Béninois Anjorin Moucharafou. Mal vu dans la sous-région, y compris dans son propre pays, ce dernier a toutefois peu de chances de l’emporter. Il vient d’être démis de la présidence de la fédération béninoise pour mauvaise gestion et malversations financières. ■

TOUMANI DIABATÉ

Le joueur de kora malien a remporté le prix du meilleur album de musique traditionnelle aux Grammy Awards, à Los Angeles, pour son album enregistré en 2005 avec Ali Farka Touré, quelques mois avant la mort de ce dernier.

CHEIKH OULD HORMA

Éclaboussé par le scandale du détournement de subventions versées par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le ministre mauritanien de la Santé a été limogé le 12 février.

AMI

pour Hayatou

EN HAUSSE

HACHEMI RAFSANDJANI Lors de l’élection de 2009, l’ex-président iranien avait soutenu le réformateur Moussavi. Aujourd’hui, l’Assemblée des experts, qu’il préside, condamne les manifestations et les « chefs de la sédition », Moussavi et Karoubi.

CAREN FIROUZ/REUTERS

FOOTBALL Mauvaise passe

EN BAISSE


20 L’ÉVÉNEMENT

ÉGYPTE LES VERTIGES Après la stupeur et la liesse provoquées par la démission de Hosni Moubarak, vient le temps des interrogations. Lʼarmée, omnipotente depuis près de Des militaires et de jeunes Cairotes célèbrent le départ du président, place Al-Tahrir, le 11 février.


21

DE LA RÉVOLUTION soixante ans, va-t-elle tenir parole et organiser des élections libres ? Le printemps des peuples va-t-il sʼétendre dans le monde arabo-musulman ?

L

BEN CURTIS/AP/SIPA

MARWANE BEN YAHMED

e vent de liberté et de contestation des régimes qui balaie le monde arabe (et l’Iran) ne s’essouffle pas. Si personne ne sait ce qu’il adviendra de ce mouvement généralisé, si ses conséquences en effraient certains, qui redoutent soit le chaos soit la perte de leurs privilèges ou de leur hégémonie, il existe une certitude : pour ceux qui ont déjà fait leur révolution, aucune transition ne sera facile. En Égypte, les militaires, qui ont leur part de responsabilité dans la situation qui a jeté les révolutionnaires sur la place Al-Tahrir, mais dont la popularité n’a jamais été aussi forte, ont la charge de gérer l’après-Moubarak. Pour emprunter le long chemin qui mène à la démocratie, les Égyptiens n’ont d’autre choix que de suivre ce guide, cette armée toute-puissante, véritable pilier du régime précédent, opaque et sans colonne vertébrale. Hélas, la plupart de ses chefs n’ont pas intérêt à voir une véritable démocratie émerger. Certes, dans l’esprit de leurs compatriotes, ils ne sont pas corrompus – moins en tout cas que les membres politiques du régime Moubarak. Question de sémantique : leurs biens (terres, immobilier, distribution, etc.) et leurs privilèges sont tels qu’ils sont effectivement moins sensibles au bakchich. Mais il semble peu probable qu’ils soient prêts à mieux partager ces richesses acquises on ne sait trop comment… Si les Tunisiens n’ont rien à craindre de leur armée, qui n’a ni intérêts économiques à défendre ni velléités de diriger le pays, il n’en va pas de même pour les Égyptiens : ils ne disposent d’aucune garantie de voir leur révolution menée à terme. L’Égypte a, comme d’autres pays arabes ou africains, une appétence particulière pour « l’homme providentiel », surtout en treillis. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine de « sauveurs », pour la plupart inconnus du grand public, à être devenus les nouveaux maîtres de la nation, sans aucun garde-fou pour les contraindre à tenir leurs engagements. Pas vraiment de quoi être confiant : képi et démocratie font rarement bon ménage. ■


22 L’ÉVÉNEMENT geste qui a conquis les Égyptiens. Le Conseil suprême a rapidement donné des gages : dissolution du Parlement, promesse de référendum, réunion avec des cybermilitants… Mais les révolutionnaires veillent sur leur œuvre. Des Frères musulmans aux partis laïcs, l’opposition est unanimement confiante – et vigilante. Elle n’a pas encore été officiellement consultée et attend que les engagements pris soient tenus, comme la libération des prisonniers politiques. Les nouveaux dirigeants préparent des amendements à la Constitution, au sein d’un comité dirigé par le juge retraité Tarek al-Bichri, loué pour son indépendance. « Mais ils ne prévoient pas qu’une assemblée constituante réécrive entièrement ce

Hauts gradés pour transition risquée Exerçant tous les pouvoirs depuis le départ du raïs, les militaires jouissent de la confiance populaire. Mais leur marge de manœuvre reste limitée, et leurs intentions inconnues.

U

n maréchal, Mohamed Hussein Tantaoui, poli mais peu disert. Quelques silhouettes, galons sur les épaulettes, à la télévision. Des communiqués sobrement titrés par leur numéro. Tels sont les maigres éléments dont disposent les Égyptiens pour juger le mystérieux Conseil suprême des forces armées, au pouvoir depuis la démission de Hosni Moubarak et qui a promis de répondre aux « aspirations légitimes du peuple ». Ces hauts gradés, chefs de l’armée de terre, de l’air, de la marine et commandants de régions militaires du pays, ne s’étaient pas ainsi rassemblés depuis la guerre des Six Jours en 1967 et celle du Kippour en 1973. Une vingtaine d’hommes – pas tous identifiés – dirigent à présent un pays de près de 83 millions d’habitants. Les manifestants de la place Al-Tahrir du Caire, comme de nombreux

Égyptiens, accordent une très large confiance à l’institution militaire pour mener à bien la transition démocratique comme elle s’y est engagée. Le « coup d’État intelligent » qu’elle a réalisé le 11 février – selon les termes du journaliste du quotidien Al-Ahram Khaled Saad Zaghloul – atteste de son habileté, mais ne garantit pas sa sincérité. Les militaires rassurent. À leur tête, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, ministre de la Défense, n’a jamais donné l’ordre aux soldats de réprimer les manifestations et a été le premier haut gradé à aller à la rencontre des protestataires place Al-Tahrir, le 4 février. Un autre membre du Conseil, lisant le communiqué no 3, a fait un salut militaire en prononçant le mot « martyrs » – un

Nasser, Sadate, Moubarak… tous étaient issus des rangs de la Grande Muette. texte dénaturé », met en garde Nabil Abdel Fattah, du Centre d’études politiques et stratégiques Al-Ahram. L’armée, enfin, avait jusqu’alors un accord tacite avec les chefs de l’État : tant que ceux-ci étaient issus de ses rangs – ce qui fut le cas de Nasser à Moubarak –, elle se tenait à l’écart de la politique. Mais la possibilité d’une transmission dynastique du pouvoir, avec Gamal Moubarak succédant à son père, a rompu ce pacte, sans doute précipité le lâchage du raïs et conduit à une reprise en main du pays par les officiers.

L’ARMÉE L'ARMÉE ÉGYPTIENNE ÉGYPTIENNE EN EN CHIFFRES CHIFFRES Une forte dépendance à l’aide américaine…

Dépenses militaires

Budget de la défense

milliards de dollars

milliards de dollars

Aide militaire ilitai américaine

3,16

4,64*

UN ACTEUR ÉCONOMIQUE MAJEUR

1,3

*

*

milliard de dollars

* Derniers chiffres connus sur l'année 2007

468 500

soldats professionnels Armée de terre

340 000 Marine

18 500

Armée de l’air

30 000

Défense antiaérienne

80 000

397 000 paramilitaires

479 000

réservistes

Armée de terre

375 000 Marine

14 000

Armée de l’air

20 000

Défense antiaérienne

70 000

SOURCE : THE MILITARY BALANCE 2009

… et un vaste réservoir de troupes

Ahmed Chafik, un militaire, a été maintenu à la tête du gouvernement par le Conseil suprême, qui refuse pour l’instant de lever l’état d’urgence. Les priorités sont claires : la sécurité et l’économie. L’armée est un acteur majeur de la vie économique depuis la présidence de Sadate dans les années 1970. Important propriétaire terrien, elle a aussi partie liée avec de nombreux secteurs industriels, y compris civils (immobilier, automobile, agroalimentaire…). Les militaires jouissent de revenus largement supérieurs à ceux des civils, dont ils vivent déconnectés (exonération de taxes, soins médicaux de qualité, clubs privés…). La somme de 1,3 milliard de dollars

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ÉGYPTE LES VERTIGES DE L A RÉVOLUTION 23 AHM ED CHA FIK

69 ANS Général

Auparavant ministre de l’Aviation civile depuis 2002 , il a restructuré Egyptair et jouit d’un bon bilan. Il est cependant soupçonné d’avoir fait des affaires illégales avec les fils Moubarak. Proche des Américains, il a annoncé qu’il formerait rapidement un gouvernement de technocrates tes..

NASSER NASSER/AP/SIPA

AMR DALSH /REUT ERS

Premier ministre depuis le 29 janvier 2011

MOH AME D HUS SEIN TAN TAO UI

SAMI HAFEZ ENAN

75 ANS

63 ANS

Maréchal

Général

Chef du Conseil suprême des forces armées

Il aurait été l’un des opposants les plus fermes à l’hypothèse de la succession familiale et aurait joué les médiateurs dans la crise sur demande américaine. La veille du départ de Moubarak, il annonçait à la foule que ses demandes seraient honorées.

KHALED DESOUKI/A FP

Ministre de la Défense depuis 1991 et fidèle de l’ex-président – certains le surnommaient « le caniche de Moubarak » –, Tantaoui veillait notamment à la non-islamisation des soldats. Il est qualifié de « résistant au changement » par les États-Unis.

Chef d’état-major

injectée chaque année en aide militaire par les États-Unis alimente indirectement des prébendes qu’ils ne voudront probablement pas voir récupérer par un État réformateur. Malgré les apparences, la marge de manœuvre du haut commandement pour orienter une révolution encore peu définie idéologiquement est assez étroite. « L’armée doit se choisir parmi les civils des alliés bienveillants, estime Marc Lavergne, directeur de recherche français basé au Caire. D’autant qu’elle n’a pas les compétences requises pour diriger durablement le pays. Il lui faudra aussi gérer les grèves, très nombreuses depuis 2005 et relancées depuis quelques semaines. Elle devra réinventer un modèle social, ou trouver au plus vite à qui confier cette tâche si elle ne veut pas être débordée. » Mais l’avenir de l’Égypte ne repose pas, même dorénavant, entre

ses seules mains. « Les variables sont très nombreuses et les autres acteurs auront un rôle important », estime Nabil Abdel Fattah. Les protestataires de janvier-février tenteront de maintenir la pression sur les militaires, sans leur donner d’arguments pour durcir leur gestion du pouvoir. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la Marche de la victoire du 18 février. Au sein même de l’institution, la période de transition pourrait accentuer une ligne de fracture entre les conscrits et les militaires de carrière hauts gradés. Certains appelés ont fraternisé avec les manifestants et pourraient bousculer leur hiérarchie, réfractaire au changement. « L’armée, en Égypte comme partout, est une structure de discipline où les conscrits, jeunes et peu édu-

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qués, n’ont pas leur mot à dire, rappelle Marc Lavergne. Mais une révolte de lieutenants dans une garnison de province n’est pas à exclure. » Si les généraux du Conseil suprême ne sont probablement pas des démocrates de la première heure, ce

Certains appelés ont fraternisé avec la foule et pourraient bousculer la hiérarchie. sont à la fois des patriotes et d’habiles manœuvriers. À charge pour les Égyptiens – gardant en tête ce qu’il est advenu du coup d’État des Officiers libres de Nasser en 1952 – de contraindre l’armée à être à la hauteur de leur révolution. ■ CONSTANCE DESLOIRE


24 L’ÉVÉNEMENT

JEAN LACOUTURE Écrivain et journaliste

Salut militaire

L

e très pertinent éditorial que Béchir Ben Yahmed vient de consacrer (J.A. no 2613) au soulèvement égyptien et aux perspectives régionales qu’il ouvre inspire quelques observations à un vieux routier des conflits du Proche-Orient, observés souvent sur place depuis plus d’un demi-siècle. On sera tout à fait d’accord avec le directeur de la publication de Jeune Afrique à propos du caractère non révolutionnaire du mouvement qui a mis en ébullition cette place Al-Tahrir où – entre le plus beau musée du monde, abri de témoignages du génie humain qui ont traversé cinquante siècles, et la formidable bastille policière d’où le pays est gouverné depuis bientôt soixante ans – s’ébrouait une foule exaspérant l’imbécile obstination au pouvoir d’un bureaucrate galonné sans talent ni prestige. Mais ce n’est pas parce que ce personnage perpétuait au-delà du vraisemblable les pires traditions pharaoniques que le rôle de l’armée d’où il est issu doit être négligé, minimisé ou vilipendé. Voici bientôt soixante ans, l’Égypte, aux mains d’un souverain méprisable et méprisé, pansait douloureusement les plaies de la défaite infligée quatre ans plus tôt à la coalition arabe par le naissant État d’Israël à peine proclamé par les Nations unies, lorsqu’un groupe d’officiers se réclamant d’idéologies diverses – dont le marxiste Khaled Mohieddine – s’empara sans coup férir du pouvoir et expédia le souverain sur son yacht de vacances, à Monaco. POUR N’AVOIR PAS MÉNAGÉ en son temps ce régime peu soucieux de démocratie et impitoyable à l’endroit de jeunes patriotes qui cherchaient leurs modèles révolutionnaires à Moscou ou à Pékin, on doit bien reconnaître, en ami des peuples arabes, que la République d’Égypte – qui avait fait de la réforme agraire son premier objectif, instruit le procès du faroukisme, resserré autour d’elle l’ensemble des États du Machrek, nationalisé la Compagnie universelle du canal maritime de Suez et soutenu (non sans prudence) le combat d’émancipation algérienne – a mis le monde arabe au cœur de la révolution du Tiers Monde. Pour en avoir été le témoin, je crois pouvoir rappeler que le retour de Nasser de la conférence de Bandung, en Indonésie – où, entre Nehru et Zhou Enlai, il avait été l’un des fondateurs de cet immense mouvement –, sur la fameuse place Al-Tahrir fut le véritable sacre populaire du raïs – pour avoir situé

l’Égypte à l’avant-garde du mouvement d’émancipation des peuples colonisés. Il n’est pour se convaincre de l’importance de ce rôle que de se reporter à la presse conservatrice, française ou britannique, de la fin des années 1950 et de la décennie suivante. L’exécration dont Nasser, les siens et ses alliés furent les cibles eut valeur de sacre. Ce qui ne doit pas conduire à fermer les yeux sur les cruautés policières, sur la mégalomanie du raïs, sur le caractère réducteur de ses postures antioccidentales et sur son rejet de Habib Bourguiba – qui le lui rendait bien. LE TRAITEMENT SALUBRE que réservent aujourd’hui aux potentats, indignes héritiers de ces hommes valeureux, les foules de Tunis et du Caire contribue à remettre en mémoire la scène mémorable vécue dans la capitale égyptienne au lendemain de la pitoyable défaite de 1967 face à Israël, dont le responsable était à coup sûr Abdel Nasser. Ayant convoqué le peuple pour lui remettre sa démission solennelle – pouvait-il rien faire que d’héroïque ou de tonitruant ? –, le raïs s’entendit supplier de rester à la barre… Ce qu’il fit, six ans encore. Y at-il un précédent dans l’histoire moderne ? Béchir Ben Yahmed semble bien inspiré en prévoyant que, des bouleversements ou fièvres qui agitent présentement l’Orient méditerranéen, c’est probablement la Turquie qui émergera comme leader tutélaire. Est-ce faire preuve d’un militarisme obsessionnel que de rappeler que, « jeunes » ou pas, ce sont des militaires qui ont d’abord rendu à la Turquie exsangue des lendemains de la Première Guerre mondiale une vision étatique et un profil diplomatique ? Pardonnera-t-on au vieux routier des agitations méditerranéennes cette poussée de fièvre « militariste » qui ne répond qu’au seul souci de civiliser la région – à condition que les Frères musulmans ne soient pas les bénéficiaires du grand remue-ménage ? ■

La République d’Égypte, qui avait nationalisé le canal de Suez, a mis le monde arabe au cœur de la révolution du Tiers Monde.

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BRUNO LEVY

Tribune


Scène de joie à Gaza, le 12 février, après la démission de Hosni Moubarak.

Poussée de fièvre La deuxième révolution arabe en moins dʼun mois modifie en profondeur les équilibres et le rapport des forces dans la région. Avec des gagnants et des perdants. Décryptage.

A

u lendemain de la chute du raïs, plusieurs pays du M ag h r eb et du Moye nOrient sont le théâtre de soulèvements populaires contre les régimes en place. Quelle qu’en soit l’issue, ce vent de contestation rebat les cartes diplomatiques dans la région et reflète un changement en profondeur des sociétés du monde arabe. La question n’est plus aujourd’hui de savoir si les régimes autoritaires sont un rempart contre l’islamisme mais de définir une troisième voie.

dans la capitale, Manama. Riyad craint une contagion de la contestation dans sa région orientale du Hasa, à majorité chiite. Dans les monarchies voisines, les émirs ont opté pour la carotte économique. À Oman, par exemple, le salaire minimum a été augmenté de 42 %. Ailleurs, les dirigeants tentent avec un succès variable de faire des concessions politiques. Au Yémen, le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978, a promis de ne pas se représenter en 2013 et s’est engagé à ne pas placer son fils pour lui succéder.

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LE GOLFE EN PROIE AU DOUTE

Le pouvoir d’achat n’est pas en cause dans les pays du Golfe. La gronde revêt donc avant tout une forte connotation politique. À Bahreïn, si l’opposition n’ose pas demander la fin de la monarchie, elle réclame la démission du Premier ministre, le cheikh Khalifa Ibn Salman Al Khalifa, au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1971. Des éléments des forces de sécurité saoudiennes auraient aidé à réprimer la manifestation du 17 février, place des Perles,

PALESTINIENS DÉBOUSSOLÉS

L e b ou le ve r se me nt e n Ég y pte déstabilise l’Autorité palestinienne. Mahmoud Abbas, son président, cherche dans ce contexte régional dangereux à renforcer sa légitimité. Depuis les élections législatives de 2006 remportées par le Hamas et la séparation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 2007, aucun scrutin national n’a été organisé. Il a entamé un remaniement de son gouvernement et convoqué des élections présidentielle et législatives

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pour septembre prochain. Mais le Hamas rappelle l’incapacité juridique d’Abbas, dont le mandat a expiré en janvier 2009. Pour le mouvement qui contrôle Gaza, la chute de Moubarak peut être avantageuse. Tout en soutenant des manifestations de joie après la chute du raïs, il a rappelé la fragilité des dirigeants arabes pro-Américains et demandé l’ouverture de la frontière avec l’Égypte. En Jordanie, la nomination d’un nouveau Premier ministre, Maarouf Bakhit (un militaire de carrière), le 1er février, n’a pas mis un terme aux revendications du Front d’action islamique (FAI), le principal parti d’opposition. Des étudiants, syndicats et organisations féminines ont pris le relais.

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TÉHÉRAN A LA HAINE

L’Iran n’a pas tardé à réagir après les premières manifestations de l’opposition depuis un an, le 11 février. Le pouvoir a aussitôt accusé les réformateurs de « trahison » avant d’appeler la population à exprimer sa « haine contre les chefs de la sédition », lors d’une manifestation officielle, le 18 février. Cette logorrhée habituelle masque difficilement l’embarras d’un régime en proie à de profondes dissensions. La vague de contestation intervenue au lendemain de la réélection du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009 a fait vaciller la République islamique. Les images de la sanglante répression avaient déjà fait le tour du monde sur internet.

MOHAMMED SALEM/REUTERS

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26 L’ÉVÉNEMENT À présent, les Iraniens militants de la liberté savent que l’opinion publique dans le monde musulman leur est favorable. Ils ont sans doute également entendu les encouragements de Barack Obama à « continuer ».

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KADDAFI INQUIET

Mouammar Kaddafi n’a pas perdu son flair. Très vite, il a senti le danger. Début janvier, il a fait baisser les prix des produits de base à coups de subventions. Fin janvier, il a annulé son déplacement au sommet de l’Union africaine à AddisAbeba. Mieux valait rester à la maison. Sa force ? Un régime de fer. Une garde rapprochée de 22 000 hommes, auxquels s’ajoutent 4 000 recrues depuis le début de l’année. Et des comités révolutionnaires forts d’environ 300 000 membres. Ils sont la police du régime et la force d’appoint dans les manifestations de soutien au « Guide de la Révolution libyenne ». Sa faiblesse? Un

régime usé jusqu’à la corde – quarante et un ans de pouvoir –, et un chômage qui frappe 30 % à 35 % de la population active. La manne pétrolière est mal répartie. Le pari de Kaddafi, c’est que la révolte reste limitée à la région de Benghazi, à l’est, comme dans les années 1990. Il peut alors dénoncer le danger islamiste ou séparatiste. Sauf que cette fois, les voisins tunisien et égyptien ont montré la voie aux manifestants dont les slogans circulent sur Facebook (lire « Focus » p. 18).

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AL-QAÏDA DANS LʼEMBARRAS

Prétendant porter les aspirations d’un monde arabo-musulman menacé par un Occident mécréant, Al-Qaïda a jusqu’à maintenant fait de la démocratie – notamment des élections – une valeur occidentale, et donc à bannir. Les bouleversements actuels mettent à mal cette vision binaire du monde. Les peuples arabes ne descendent pas dans la

rue pour réclamer l’avènement de l’État islamique prôné par le mouvement terroriste. Leurs doléances sont laïques : égalité, partage du pouvoir, respect. Cette « révolution postislamiste », selon l’expression d’Olivier Roy, chercheur français à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), contraint donc Al-Qaïda à réinventer sa propagande. Pour le moment, son silence sur l’Égypte et sa réaction sur la Tunisie – une simple mise en garde contre les intentions occidentales – en disent long sur son embarras. Autre coup porté à la nébuleuse d’Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri (égyptien) : les chutes de régimes jugés « impies » pour leurs liens avec l’Occident n’ont pas nécessité la violence qu’ils préconisent. Aujourd’hui diminué sur le plan idéologique, Al-Qaïda tirerait en revanche parti d’un éventuel échec des expériences démocratiques annoncées en Tunisie et en Égypte.

Au-delà des apparences Réalités politiques et sociales, situation économique... Les différences sont aussi fortes que les similitudes. Difficile, dans ce contexte, de parier sur une contagion générale et uniforme.

MAROC

ALGÉRIE

Mohammed VI, 19,7 roi depuis 46,1 11 ans 56,4

Abdelaziz 20,5 Bouteflika, 49,4 président 72,6 depuis 11 ans

JORDANIE Abdallah II, 20,4 roi depuis 37,9 12 ans 92,2

KOWEÏT

TURQUIE Recep Tayyip 17,6 Erdogan, 42,3 Premier ministre 88,7 depuis 7 ans

IRAN Mahmoud 21,8 Ahmadinejad, 48,9 président 82,3 depuis 5 ans

Mer Méditerranée

BAHREÏN Khalifa Ibn Salman 17,9 Al Khalifa, 61 Premier ministre 90,8 depuis 39 ans

Océan Atlantiquee

ARABIE SAOUDITE Abdullah Bin-Abd- 18,9 al-Aziz Al Saud, 50,9 au pouvoir 85,5 (régent puis roi) depuis 15 ans

LIBYE Mouammar 17,3 Kaddafi, 48,6 au pouvoir 88,4 depuis 41 ans Part des 15-24 ans dans la population Taux d’emploi (en % des 15-64 ans) Taux d’alphabétisation (en % des plus de 15 ans)

Sabah al-Ahmed 14,4 al-Jaber Al Sabah, 65,3 au pouvoir (Premier 94,5 ministre puis émir) depuis 7 ans

SOUDAN

SYRIE

Omar 20,3 el-Béchir, 47,3 président 69,3 depuis 21 ans

Bachar 20,5 al-Assad, 44,8 président 83,6 depuis 10 ans

YÉMEN Ali Abdallah 22,1 Saleh, 39 président 60,9 depuis 32 ans SOURCES : PNUD, WORLD POPULATION PROSPECTS (ONU)

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ÉGYPTE LES VERTIGES DE L A RÉVOLUTION 27 >>>

soutenir les mouvements endogènes. Le discours du Caire au monde mu s u l m a n , l e 4 j u i n 2009, sonnait comme un appel. Il a été entendu. Et pour une fois, des manifestants arabes n’ont pas brûlé de drapeau américain.

LA TURQUIE EN MODÈLE

>>> PARIS ET BRUXELLES À CONTRETEMPS

Engluée dans l’affaire de l’escapade tunisienne de Michèle Alliot-Marie puis la polémique sur le voyage en Égypte de François Fillon, la France a toujours été en porteà-faux par rapport aux événement s, don na nt le sentiment d’être à la traîne des Américains. Après la spectaculaire « journée de colère » du 28 janvier, le Quai d’Orsay, particulièrement frileux, s’était contenté d’exprimer sa « vive préoccupation » en appelant à la « retenue » ; Washington avait déjà durci le ton par la voix de Barack Obama. Jusqu’à la chute du raïs, le 11 février, ce décalage n’a jamais été comblé. Nicolas Sarkozy, qui avait misé sur Ben Ali et Moubarak pour construire l’Union du Maghreb arabe (UMA) et renforcer l’influence de Paris dans la région, se retrouve désarmé. L’Élysée va devoir, en urgence, revoir sa copie avec une ministre des Affaires étrangères affaiblie, alors que la suite des événements dans le monde arabe demeure floue. Quant à l’Union européenne, sans leadership, elle est inaudible sur les KHALED ABDULLAH/REUTERS

Après un retard à l’allumage – il a fallu attendre le 28 janvier pour que la Turquie « soutienne les aspirations des Tunisiens à plus de démocratie » –, Recep Tayyip Erdogan, héros de la r ue arabe depuis ses cr itiques à l’égard de la politique d’Israël dans les territoires palestiniens, a compris le triple parti que son pays pouvait tirer de ces événements. Durant la crise égyptienne, Obama a téléphoné plusieurs fois au Premier ministre turc pour le consulter. Flatté et ravi, ce dernier s’est aussitôt aligné sur les positions américaines Manifestation devant l’université pour exiger le départ de de Sanaa, au Yémen, le 13 février. Moubarak. Après un coup de froid dû à ses relations avec Téhéran, Ankara conforte ainsi Depuis, les femmes de l’opposition sa place d’allié de Washington dans un organisent des sit-in pour la libération Moyen-Orient instable. Ensuite, face de leurs fils et de leurs maris. Figure à des pays affaiblis (Irak, Égypte) ou de proue : Mariam el-Mahdi, la fille du marginalisés (Syrie, Iran), la Turquie Premier ministre Sadek el-Mahdi, rens’affirme en tant que puissance régioversé par El-Béchir en 1989. Vers une nale. Enfin, elle améliore encore son nouvelle Benazir Bhutto ? image dans un monde arabo-musulman admiratif de son développement >>> OBAMA LʼÉQUILIBRISTE économique et qui voit dans son modèLe 11 février au soir, le président le politique une « synthèse réussie d’isaméricain était visiblement heureux. lam et de démocratie ». Après avoir demandé avec insistance le départ de Hosni Moubarak mais >>> EL-BÉCHIR À LʼABRI ? subi l’affront du raïs, la veille, lors de Omar el-Béchir ne tremble pas. Du son dernier discours, Barack Obama a moins veut-il donner cette image. Le finalement obtenu ce qu’il recherchait : 16 février, lors d’une rencontre avec des un changement « irréversible ». Depuis officiers à Omdurman, il a mis au défi le début de la crise, la position de l’opposition de descendre dans la rue. Washington a été fluctuante, oscillant Pourquoi une telle morgue ? D’abord entre l’obsession de la le général-président s’appuie sur une « stabilité » régionale combinaison politique redoutable : un et la prise en compte du ticket entre militaires et islamistes. « droit à la liberté ». Le système tient depuis vingt-deux La diplomatie a tanans. Prudemment, fin janvier, il a fait g ué – avec plus de arrêter le trublion du régime, le vieil 2 milliards de dollars islamiste Hassan el-Tourabi. Ensuite, par an, l’Égypte est le le président soudanais fait le pari que, deuxième récipiendaire de l’aide améjusqu’à l’indépendance du Sud-Soudan, ricaine après Israël –, mais la méthoprogrammée en juillet prochain, les de Obama, faite de conviction et de Américains ne lèveront pas le petit pragmatisme, a marqué des points. doigt. D’où la répression brutale des Les néoconservateurs à la manœuvre manifestations du 30 janvier dernier, sous George W. Bush croyaient à tort à Khartoum et dans d’autres villes du à l’imposition de la démocratie par la nord du pays. Près de cent arrestations. force, le président démocrate préfère

Cette « révolution postislamiste » contraint Al-Qaïda à réinventer sa propagande.

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bouleversements en cours chez ses voisins du Sud. S’il veut être utile dans l’accompagnement de ces révolutions arabes, il est urgent pour le Vieux Continent de changer de braquet. ■ CHRISTOPHE BOISBOUVIER, JOSÉPHINE DEDET, CONSTANCE DESLOIRE, MARIANNE MEUNIER, PHILIPPE PERDRIX


En vérité PATRICK SEALE

Israël doit aussi faire sa révolution

L

a révolution égyptienne a déstabilisé Israël. Tel-Aviv redoute une remise en cause du traité de paix de 1979 qui, en neutralisant l’Égypte – le pays arabe le plus peuplé et le plus puissant –, rendait impossible la constitution d’une coalition arabe capable de contenir Israël, et scellait ainsi sa suprématie militaire sur la région qui dure depuis trente ans. Les observateurs occidentaux décrivent généralement ce traité comme un « pilier de la stabilité régionale ». Mais pour la plupart des Arabes, il a été un désastre. En position de force, Tel-Aviv n’a pas jugé nécessaire de trouver un compromis avec la Syrie ou les Palestiniens. Parallèlement, les dictateurs arabes ont pris comme prétexte le défi que représentait un Israël agressif et expansionniste pour justifier le maintien de leurs populations sous une étroite surveillance. Ce traité israélo-égyptien aura ainsi grandement contribué à l’instabilité et aux tensions qui, à ce jour, caractérisent le Moyen-Orient, ainsi qu’à la montée de la contestation populaire et à l’inévitable explosion qui a suivi.

SES ORIGINES REMONTENT à Henry Kissinger, ministre des Affaires étrangères du président Nixon pendant la guerre d’octobre 1973. Soucieux avant tout de protéger Israël, il amène l’Égypte de Sadate à rompre son alliance avec la Syrie et l’Union soviétique pour nouer une relation privilégiée avec Israël et les États-Unis. Anouar el-Sadate a peut-être rêvé d’un règlement global, impliquant Palestiniens et Syriens. Mais il s’est fait rouler dans la farine par le Premier ministre israélien Menahem Begin, fervent sioniste déterminé à détruire le nationalisme palestinien et à empêcher la restitution de la Cisjordanie aux Arabes. Affaibli sur le plan intérieur par des forces politiques pro-israéliennes, le président américain Jimmy Carter n’a pu que constater avec tristesse que le projet d’accord multilatéral en faveur duquel il s’était initialement engagé avait débouché sur une issue bilatérale. Au final, Washington a avalé l’argument israélien selon lequel le traité écartait le risque d’une guerre dans la région et, partant, servait les intérêts des États-Unis. L’armée égyptienne s’est alors vu attribuer une aide américaine de 1,3 milliard de dollars par an non pas à des fins militaires, mais, au contraire, pour maintenir la paix avec Israël. À la Maison Blanche, la préservation du traité continue de prévaloir, comme l’administration Obama l’a fait savoir aux chefs militaires égyptiens. Le Conseil

suprême des forces armées a répondu favorablement. Personne en Égypte et dans le monde arabe n’est favorable – ni disposé – à un retour à la confrontation armée. Mais l’accord de paix pourrait être gelé. On ignore pour le moment la coloration politique du prochain gouvernement égyptien ; si, comme cela est très probable, il a une forte composante civile émanant des différents courants du mouvement de contestation, on peut s’attendre à un réajustement de la politique étrangère. IL EST DONC HAUTEMENT IMPROBABLE que Le Caire

poursuive la politique – impopulaire – de Hosni Moubarak, maintienne le blocus de Gaza de concert avec l’État hébreu ou continue d’afficher son hostilité à l’égard de la République islamique d’Iran et des mouvements de résistance que sont le Hamas et le Hezbollah. Que le traité survive ou non, l’alliance entre l’Égypte et Israël ne sera plus la relation intime qu’elle fut. La révolution égyptienne n’est que le dernier signe en date du changement de l’environnement stratégique de Tel-Aviv. L’État hébreu a « perdu » l’Iran avec le renver sement du chah, en 1979, puis vu, ces dernières années, s’éloigner la Turquie, un ancien allié de poids. Aujourd’hui, il risque de « perdre » l’Égypte. Et de sombrer dans l’isolement régional. Qui plus est, la confiscation de terres palestiniennes et le refus d’engager des négociations sérieuses avec les Syriens et les Palestiniens sur la base du principe « la terre contre la paix » n’emportent plus l’adhésion de ses alliés en Europe et aux États-Unis. Israël a bien compris qu’il était désormais sous la menace d’une délégitimation. Il doit de toute urgence repenser sa doctrine sécuritaire. Dominer la région par le fer et par le feu – la stratégie du pays depuis sa naissance – est une option de moins en moins viable. Tel-Aviv a besoin d’une révolution dans sa façon de penser la sécurité, mais de cette révolution, on ne voit encore aucun signe. Seule la paix peut garantir la sécurité à long terme d’Israël. ■

Que le traité de 1979 survive ou non, l’alliance entre les deux pays ne sera plus la relation intime qu’elle fut.

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ABD RABBO/SIPA

28 L’ÉVÉNEMENT


Africa Economic Forum

Sub-Saharan Africa

Tuesday 8-Wednesday 9 March 2011 BMW Pavilion & Imax Theatre,V&A Waterfront, Cape Town, South Africa

Shaping Africa’s Future

Business Briefing

Monday 7 March 2011

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A landmark Conference on Africa and significant business networking occasion enabling leading entities, industries, companies and state players to interact and connect with the fast-growth core industries and corporates driving Africa’s economies forward. Separately bookable events include Sub-Saharan Africa: Business Briefing 2011 (7th March) with Presentations by Dr Duncan Clarke a leading strategist on Africa, and 36th PetroAfricanus Dinner (8th March) with Guest Speaker.

TheAgenda is concentrated around critical investment and business concerns,the questions that really matter, leading-edge shifts in Africa’s evolving economic landscapes, and the Continent’s emerging role and strategic position within a highly-competitive and rapidly globalising world

Africa’s Changing Economic World To 2050 Africa’s Giant Economies & “Next Five” Infrastructure, Services, Mining, Manufacturing Transportation, Telecommunication, Mega Projects Trade & Projects, Financing, Industries Natural Resources, Minerals, Energy, Diversification Geopolitics, Investment, State Firms, Emerging Powers Investments, Growth Markets, Development Challenges Constraints, Building Bridges, New Opportunities, Future Bronze Sponsor

BREAKAWAY SESSIONS INCLUDE

12th Africa Oil & Gas Forum & 12th Africa Energy Forum 2011 Corporates, African States, Investors

Speakers discuss key industry issues including:

Sponsor & Exhibit: Contact amanda@glopac-partners.com sonika@glopac-partners.com

Partners Adepetun Caxton-Martins Agbor Segun

Dr Duncan Clarke: Babette van Gessel: Johannesburg: The Hague:

The Agenda is concentrated around critical investment and business concerns, the questions that really matter, leading-edge shifts in Africa’s evolving economic landscapes, and the Continent’s emerging role and strategic position within a highly-competitive and rapidly globalising world.

AFRICA FRANCE business meetings

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30 AFRIQUE SUBSAHARIENNE

GABON LES FRÈRES

DAVID IGNASZEWSKI

Cʼest Omar Bongo Ondimba qui les a fait se rencontrer. Mais à sa mort, en juin 2009, les appétits se sont aiguisés. Aujourdʼhui, rien ne va plus entre le président et lʼancien ami devenu opposant.

ALI BONGO ONDIMBA

1959 Naissance à Brazzaville (Congo) 1973 Se convertit à l’islam

1989 Entre au gouvernement comme ministre des Affaires étrangères 1990 Élu député de Bongoville

1999 Ministre de la Défense 2009 Élu président de la République

L

GEORGES DOUGUELI

un est installé à la présidence du Gabon. L’autre rêve de l’en déloger. Vingt-cinq ans d’amitié ont viré, le temps d’une transition mal négociée, en un duel implacable. Face à face : Ali Bongo Ondimba (ABO), 52 ans, proclamé vainqueur de l’élection présidentielle en août 2009, et André Mba Obame (AMO), 54 ans, arrivé troisième. À Libreville, la classe politique compte les coups. Germain Ngoyo Moussavou, sénateur de la Nyanga et chef du groupe parlementaire du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), est un familier des deux hommes. De Mba Obame, qu’il connaît depuis les années 1980, il dit aujourd’hui que « le courage n’est pas sa qualité première ». Il a levé les yeux au ciel lorsqu’il a appris, le 25 janvier, un an et demi après l’élection, que l’ancien ministre de l’Intérieur revendiquait la présidence de la République. « Et à peine a-t-il orchestré sa prestation de serment qu’il a filé se cacher dans les bureaux du Pnud [le Programme des Nations unies pour le développement, NDLR] », soupire-t-il. Ngoyo Moussavou a renoncé à réconcilier ses deux anciens amis et a choisi son camp. Pour lui, c’est « Ali ». Déclarée pendant les obsèques d’Omar Bongo Ondimba (OBO), décédé le 8 juin 2009, la guerre qui oppose les « frères ennemis » n’a plus connu de répit. Mêlant la politique et l’intime, elle empoisonne la classe politique et divise les Gabonais. « Mon ami d’enfance, qui est ministre au gouvernement, ne m’adresse plus la parole », raconte Franck Ndjimbi, encarté à l’Union nationale de Mba Obame. Le duel a déjà fait des victimes. Les premiers à tomber furent ceux qui avaient frayé avec AMO. Parmi eux, des fonctionnaires, à l’instar de Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, un énarque désormais au chômage qui travaillait comme


AFRIQUE SUBSAHARIENNE 31

ENNEMIS L’histoire avait pourtant bien commencé. En 1984, le président Bongo met les deux jeunes gens en relation. À 27 ans, Mba Obame vient de rentrer au Gabon avec un doctorat de sciences politiques en poche et, déjà, un passé d’agitateur. Il est membre du Mouvement de redressement national (Morena), parti d’opposition qu’il anime aux côtés de l’ancien adversaire historique du régime, Paul Mba Abessole, qui vit alors en exil à Paris. Bongo apprécie ce jeune homme ambitieux et déterminé au point de le recommander à son fils. Au cabinet du chef de l’État, au secrétariat général de la présidence, puis d’un ministère à l’autre, Ali et André apprennent le métier. À eux les missions sensibles, telles que la négociation, en 1989, du retour puis du ralliement de Mba Abessole. Puis viennent les années 1990 et le temps des combats contre les caciques du PDG, opposés à la rénovation de l’ancien parti unique. Zacharie Myboto, aujourd’hui passé à l’opposition, en fera les frais. Le Vieux, qui connaît leur passion pour les belles voitures, couvre ses

ANDRÉ MBA OBAME

1957 Naissance à Medouneu (Haut-Komo) 1984 Retour au Gabon et nomination au cabinet du président

1990 Entre au gouvernement comme ministre de l’Agriculture 1996 Élu député du Haut-Komo

2005 Ministre de l’Intérieur 2009 Quitte le gouvernement et se présente à la présidentielle

Au départ proche d’AMO, « Maixent » devient un intime d’ABO, dont il est le collaborateur au ministère de la Défense, avant d’être promu tout-puissant directeur de cabinet du président au sein de la nouvelle administration. Autre point commun, et pas des moindres : les deux hommes fréquentent la même loge maçonnique, la Grande Loge du Gabon (voir encadré p.32), même si l’ancien séminariste

VINCENT FOURNIER/J.A.

LA RENCONTRE

protégés de cadeaux. Mercedes, Lexus, Bentley et Porsche Cayenne garnissent le parc automobile d’Ali. Pour ses 40 ans, le président offre à André une Jaguar de collection. Les jeunes gens apprécient également les petits plats que leur mitonne Patience Kama Dabany, ex-madame Bongo et mère d’Ali. Tous deux se connaissent des ennemis, et avec toutes ces histoires de barons empoisonnés que l’on se raconte à la cour de Bongo père, on n’est jamais trop prudent. Lorsque Ali épouse Sylvia Valentin, en 2000, André est tout naturellement le témoin que choisit le marié. Les deux prendront des parts dans le capital de l’agence immobilière montée par la jeune femme et mettront la chaîne de télévision TV+ et Radio Nostalgie, créées par AMO, au service de leurs ambitions. À cet te époque, les amis sont communs. Parmi eux, un jeune agent immobilier parisien, Maixent Accrombessi. Sa sœur, Isnelle, est la meilleure amie de l’épouse béninoise de Mba Obame, dont il est aujourd’hui divorcé.

▲ ▲ ▲

conseiller auprès du ministre délégué aux Finances. C’est comme ça. Quand on choisit son camp, on s’expose aux balles de l’autre. Tour à tour alliés, complices puis concurrents, « Ali » et « André » ne se sont plus reparlé depuis juillet 2009. Les attaques se font par médias interposés. « Je préfère être un amateur de la politique qu’un professionnel du ridicule », dit le chef de l’État de son rival.


32 AFRIQUE SUBSAHARIENNE ▲ ▲ ▲

Mba Obame se rend à la messe avec la régularité d’un jeune communiant, tandis que « Baby Zeus » cultive sa foi islamique. Pendant les dernières années du long règne du « Boss », l’un est à la Défense et l’autre à l’Intérieur. Ils sont dans l’antichambre du pouvoir. Mais OBO vieillit. Il a vu et revu le film Gladiator de Ridley Scott, s’est repu de l’inimitié entre le fils et le protégé de l’empereur Marc-Aurèle. Il sent monter la rivalité entre son fils biologique et le fils adoptif et, selon ses visiteurs, s’en inquiète. Le « Patriarche » se sent-il dépassé par des appétits qu’il a intentionnellement aiguisés ? Les premières fissures apparaissent mi-juin 2009. Depuis quelques mois déjà, ABO et AMO ne se sont plus entretenus en tête-à-tête. Dans les jours qui précèdent le retour du corps d’OBO, décédé en Espagne, un remaniement ministériel est opéré et AMO perd le portefeuille de l’Intérieur. André en est sûr, ce limogeage, c’est à Ali, « son frère », qu’il le doit. Sentant venir l’orage, Robert Bourgi, l’éminence grise de Nicolas Sarkozy pour le Gabon, propose sa médiation. Il essaie de reconstituer le « ticket » AMO-ABO, propose la direction de la campagne du candidat Ali Bongo Ondimba à Mba Obame et lui fait miroiter le poste de Premier ministre. Bourgi, entretemps tombé en disgrâce au Palais du bord de mer, a-t-il surestimé son influence ? AMO voulaitil plus? Difficile à dire. Mais pendant et après les obsèques, les deux s’ignorent. Las d’attendre un signe de son « frère », AMO s’envole vers Paris, où il rencon-

JOEL BOUOPDA TATOU/AP/SIPA

LA RUPTURE

Le 25 janvier, c’est au siège de son parti, à Libreville, que Mba Obame a prêté serment.

tre notamment le patron de la cellule Afrique de l’Élysée, Michel Joubert, et Brice Hortefeux, alors ministre de l’Immigration. Sa décision est prise, il se lance dans la course. Mba Obame est convaincu que Bongo père n’a jamais souhaité une succession « dynastique » à la tête du Gabon. L’Ivoirien Laurent Gbagbo, habitué de Libreville quand il était opposant et fin connaisseur de la politique intérieure gabonaise, soutient le contraire. « Bongo m’avait clairement dit qu’il souhaitait que son fils lui succède », nous a-t-il confié juste avant le second tour de la présidentielle ivoirienne. AMO est donc candidat, mais quelles sont ses chances de l’emporter ? Lui que l’on disait impopulaire pour avoir

été longtemps « ministre de la police »… Comment pouvait-il seulement y penser, lui qui fut l’âme damnée du président, celui qui embastillait les trublions de la société civile, retenait les passeports des hommes politiques en disgrâce, multipliait les voyages discrets en Falcon 50 entre Libreville et Paris pour négocier le retrait des plaintes dans l’affaire dite des biens mal acquis visant la famille présidentielle ? Comment osait-il, lui qui fut accusé par ses ennemis d’avoir tenté de « vendre » l’île de Mbanié à la Guinée équatoriale ? Dans cette guerre fratricide, Ali laisse les caciques du PDG en première ligne. Mais Mba Obame a beau susciter imprécations et anathèmes, l’homme

DES HOMMES DE RÉSEAUX LE RÉSEAU D’ALI BONGO ONDIMBA EST DENSE. Du temps de son père, il a rencontré la quasi-totalité des chefs d’État du continent. Et il s’est lié d’amitié avec le roi du Maroc, Mohammed VI. En novembre 2009, quand il a été élu grand maître de la Grande Loge du Gabon, trois frères maçons sont venus assister à la cérémonie: le Centrafricain François Bozizé, le Congolais Denis Sassou Nguesso et le Tchadien Idriss Déby Itno. Dans la sous-région, un homme compte peutêtre encore plus. C’est le Camerounais Paul Biya. « Ali respecte beaucoup son aîné », dit un proche. Côté français, les liens sont aussi très étroits. « Ali est sans doute le chef d’État africain qui a le plus de conversations téléphoniques avec Sarkozy », confie un ambassadeur de France. Seul bémol : Ali est moins prodigue

que son père. Présidentielle oblige, plusieurs hommes politiques de Guinée et du Niger ont sollicité son aide ces derniers mois. Ils ont été déçus… Évidemment, le réseau d’André Mba Obame (AMO) n’est pas comparable. Mais l’opposant gabonais a un ami de poids : l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema. Pendant la campagne d’août 2009, il a été généreux. Mieux. Depuis quelque temps, AMO aide plusieurs hommes politiques d’Afrique de l’Ouest à approcher Obiang. Autres proches d’AMO : le Camerounais Paul Biya et le Sud-Africain Jacob Zuma. Avec Nicolas Sarkozy, AMO a eu des relations étroites à l’époque où les deux hommes occupaient le même ministère, l’Intérieur (2005-2007). Aujourd’hui, le lien CHRISTOPHE BOISBOUVIER est distendu. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


AFRIQUE SUBSAHARIENNE 33

LA MÉDIATION

Ali Bongo Ondimba, lui, a surpris. Relooké et bien préparé par une équipe de journalistes français, il s’est révélé télégénique. Sur les podiums de la campagne marathon, on l’a vu donner la réplique à des rappeurs. Devenu chef de l’État, il essaie de prendre de la hauteur. Officiellement, c’est avec mépris qu’il traite le président de la « République du Pnud ». En privé, pourtant, il a clairement dit son mécontentement. Y compris au chef de la délégation du Pnud à Libreville, à qui il a demandé des comptes. AMO, lui, est toujours retranché avec son gouvernement dans les locaux de l’organisation onusienne, et les médiateurs ne se bousculent pas. La France, dont les relations avec le Gabon sont tendues depuis l’affaire des biens mal acquis et la diffusion de Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (un documentaire de Patrick Benquet), ne tient pas à s’impliquer dans l’affaire. Le Congolais Sassou Nguesso, qui n’entretient que de distantes relations avec ABO, non plus. Quant au président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema (que certains, à Libreville, disent très proche de Mba Obame), c’est ABO qui ne veut pas en entendre parler. Même le Gabonais Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine, est gêné aux entournures. Reste le Camerounais Paul Biya, qui peut revendiquer une influence sur l’un comme sur l’autre. Mais difficile d’imaginer qu’ABO et AMO puissent un jour se réconcilier. Encore que. On a vu au Gabon retournement plus inattendu. ■

BÉNIN

Épineuse Lepi Pas sûr que la majorité et lʼopposition parviennent à sʼentendre sur la liste électorale avant le premier tour de lʼélection présidentielle, prévu pour le 6 mars.

D

i re qu’el le éta it cen sée garantir la sérénité des scrutins au Bénin… Dans la perspective du premier tour de la présidentielle – prévu pour le 6 mars –, la liste électorale permanente informatisée (Lepi) cristallise les tensions. Dernier rebondissement en date, le député Augustin Ahouanvoébla a déposé, au nom de la coalition d’opposition l’Union fait la nation (Un), un recours devant la Cour constitutionnelle pour « dénoncer la violation des délais légaux » et une liste qui « écarte 1,3 million d’électeurs, en majorité dans les zones qui lui sont traditionnellement acquises ». « Le recensement a été mal fait, les listes ont été mal faites, c’est une pagaille orchestrée à des fins bien précises, s’indigne le candidat de l’Un, Adrien Houngbédji, l’un des principaux prétendants au fauteuil présidentiel. On va tout droit vers une vacance du pouvoir. » Le 17 février, onze candidats ont demandé, dans un communiqué conjoint, un nouveau report du scrutin. Toutefois, la Commission politique de supervision (CPS), qui chapeaute l’élaboration de la Lepi, refuse de porter seule la responsabilité de ces dys-

fonctionnements. Le député Nassirou Bako-Arifari, superviseur général de la CPS, reconnaît que l’indélicatesse de certains agents recenseurs – trop pressés de remballer leur matériel – et des problèmes techniques ont occasionné des retards. Mais il accuse aussi l’opposition d’avoir dissuadé les Béninois de participer au recensement : « au début du processus, il y avait une ambiance de boycott qui a démobilisé les populations », affirme-t-il. Avant de rappeler que, trop souvent, des agents recenseurs ont dû affronter l’hostilité des populations pour mener à bien leur mission… « Chercher à intégrer ces personnes, c’est reprendre tout le processus : cartographie censitaire, recensement et enrôlement sur les listes électorales. Cela représente, au bas mot, deux mois de travail supplémentaires », prévient Nassirou Bako-Arifari. Sauf que la Lepi a déjà coûté 42 millions de dollars. Que le mandat du président Boni Yayi expire le 6 avril, à peine un mois après la date fixée pour le premier tour. Et qu’en cas de vacance du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale, qui prendrait le relais, aurait quarante jours pour conduire l’élection, mais que son mandat expire le 27 avril prochain. ■ MALIKA GROGA-BADA

Près de 1,3 million de Béninois n’auraient pas été pris en compte.

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KONRAD K./SIPA

n’est pas du genre à reculer devant l’obstacle. Imperturbable, il entame une campagne électorale qui révèle l’animal politique au cuir épais et le tribun populiste. Déboulant de son Hummer ou de son avion loué en Afrique du Sud et peint aux couleurs d’« AMO président », il danse, harangue les foules, demande à genoux l’absolution pour les « fautes » commises quand il était aux affaires. La magie opère. Pourtant, le 30 août 2009, il ne réunit officiellement que 25,33 % des suffrages. Résultat qu’il conteste aussitôt.


34 AFRIQUE SUBSAHARIENNE CÔTE DʼIVOIRE

Bunker Palace hôtel Depuis le 17 décembre, Alassane Ouattara et son gouvernement vivent reclus au Golf Hôtel, à Abidjan, sous la protection de lʼONU. Entre petits coups de blues et grands élans dʼoptimisme, lʼeffervescence des premiers jours est retombée. Reportage.

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«

njoy your flight. » Pilote ghanéen pour vieil hélicoptère russe. Le Mi-17 s’apprête à décoller de l’hôtel Sebroko, où l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a établi son QG, pour rallier le Golf Hôtel, au nord-est d’Abidjan. Depuis le 17 décembre, c’est l’unique moyen de rendre visite à Alassane Ouattara, président élu de Côte d’Ivoire, et à son gouvernement. Deux fois par jour, les navettes onusiennes y transportent des diplomates, des militaires, des journalistes et même des proches des « clients » de l’établissement, paniers de victuailles sous les bras. Huit minutes plus tard, l’appareil arrive à destination. Vu du ciel, le Golf Hôtel a tout du bunker retranché, avec ses fils barbelés et ses postes d’observation. Dans les jardins, les tentes onusiennes ont poussé comme des champignons. Mille Casques bleus assurent la sécurité du président, de son Premier ministre, Guillaume Soro, et des membres du gouvernement. Faute de service de pressing, les militaires font euxmêmes leurs lessives et étendent leurs tenues sur de longs fils ou à même le sol près de la piscine. Devant l’entrée principale, plusieurs chars sont censés dissuader toute tentative d’incursion. Au fil des semaines, l’atmosphère a bien changé. Elle est loin, l’euphorie de

Ouattara, le 16 décembre, a douché Fini le temps des ultimatums restés letles enthousiasmes. Depuis cette date, tre morte : la parole présidentielle est les Forces de défense et de sécurité devenue rare. (FDS), contrôlées par Laurent Gbagbo, L’ancien président Henri Konan bloquent l’accès à l’établissement, où Bédié, allié politique de Ouattara, n’est ne résident plus que les personnalipas plus disert. Il vit reclus dans sa tés les plus menacées. Les militants, très présents les premiers jours, ont fini par Abobo rentrer chez eux. « C’est mieux ainsi, assure un proche d’Alassane Ouattara. La Parc national GOLF HÔTEL du Banco cohabitation n’était pas toujours facile. Tout le monde Attécoubé entrait, même les espions! » Plusieurs éléments du CenYopougon Adjamé Cocody Coc ody t r e de c om m a nde me nt Le Plateau des opérations de sécurité Marcory (Cecos) du général Bi Poin, Treichville Koumassi l’un des plus fidèles alliés du président sortant, ont d’ailleurs été arrêtés dans Port-Bouët 0 2 4 km l’enceinte de l’hôtel avant d’être remis au chef d’étatmajor de l’armée, Philippe Mangou. gou. EN RÉSIDENCE SURVEILLÉE

Le Golf Hôtel n’abrite plus que 300 personnes. « Nous sommes en résidence surveillée, mais Gbagbo est sans domicile fixe, se moque un cadre du Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara. Il change chaque soir de domicile tellement il craint pour sa sécurité. » Le jeu de ping-pong verbal entre les deux camps est toujours de rigueur, mais les médias internationaux, très présents eux aussi les premiers jours, ne sont plus là pour compter les points. L e c a mp O uat t a r a a bien monté une radio et une chaîne de télévision qui émettent depuis l’hôtel, mais la quasi-totalité des journalistes étrangers a quitté Abidjan. L’actualité tunisienne puis égyptienne a relayé la Côte d’Ivoire au second plan. Finalement, cela tombe bien. Ni Gbagbo ni Ouattara ne souhaitent plus s’exprimer.

Postes d’observation, soldats et barbelés… L’endroit a tout du camp retranché. la victoire du 28 novembre 2010 et des jours qui ont suivi. Loin, l’époque où l’on croyait encore à un dénouement rapide et où l’on se pressait pour rencontrer celui que l’on surnomme désormais « le président de la République du Golf ». La répression sanglante de la manifestation des partisans d’Alassane

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 35

ÉTONNAMMENT SEREIN

Imperturbable, comme à son habitude, le président Ouattara ne laisse rien paraître. Il est étonnamment serein après être resté trois mois enfermé. « Nous ne voyons pas le temps passer, assure-t-il. Nous travaillons du matin au soir, sept jours sur sept. » Sa stratégie repose sur trois axes: l’isolement inter-

ra. Mais Gbagbo ne nous a pas laissé le choix. C’est la seule manière de le faire partir sans effusion de sang. » Chez Gbagbo, on minimise l’impact des actions entreprises dans le camp adverse. Les « refondateurs », nourris aux versets de la Bible, affichent une égale sérénité. Il faut, disent-ils, pren-

national de Gbagbo, son asphyxie financière et la récupération des cadres de l’administration et de l’armée. Ouattara poursuit son offensive diplomatique en s’assurant de la fidélité des ambassadeurs ivoiriens en poste à l’étranger. Ne parvenant pas à prendre réellement le contrôle des finances publiques, il paralyse progressivement les ressources de son adversaire avec la complicité de l’Union européenne et des ÉtatsUnis. Le cacao ne sort plus, les grandes banques ferment, le port accueille les navires au compte-gouttes, l’activité économique tourne au ralenti, réduisant considérablement la collecte des impôts et taxes. En ville, l’ambiance est morose. Toutes les sociétés éprouvent des difficultés et commencent à licencier leur personnel, et les Abidjanais, qui vivent dans la crainte d’un effondrement du système bancaire, se ruent aux guichets des banques pour retirer du liquide (voir aussi p. 58). « Nous avons beaucoup hésité avant d’appliquer cette stratégie, avoue Patrick Achi, ministre des Infrastructures d’Alassane Ouatta-

Dehors, les rumeurs les plus folles circulent. Henri Konan Bédié en a fait les frais.

L’hélicoptère est désormais le seul moyen de rendre visite au président élu. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

ISSOUF SANOGO/AFP

chambre d’hôtel avec son épouse, Henriette, et refuse toutes les sollicitations médiatiques. Du coup, les rumeurs les plus folles circulent: il serait malade ou séquestré par les ex-rebelles. Dehors, certains de ses partisans ont rejoint le camp Gbagbo – des actes isolés mais amplifiés par la Radio Télévision ivoirienne (RTI), devenue un canal de propagande. Le « Sphinx de Daoukro » s’est justifié dans une lettre adressée, début février, à ses militants. Extrait : « Le devoir et le respect pour vous m’imposent l’obligation d’aider le président Alassane Ouattara, que nous avons élu, à avoir la plénitude des pouvoirs que lui confère son élection démocratique. Les actions que nous menons au quotidien, lui et moi, en étant retranchés au Golf Hôtel, ont porté leurs fruits. »

dre une chose après l’autre, et ils ont trouvé un nouveau slogan : « À chaque problème sa solution ». Chacun campe donc sur ses positions et l’on a du mal à croire aux chances de succès du panel de chefs d’État mis sur pied par l’Union africaine afin de négocier le départ de Laurent Gbagbo et dont la venue à Abidjan est annoncée pour le 22 février. Au Golf Hôtel, la réclusion engendre des périodes de blues. Début février, un ministre a craqué en plein conseil du gouvernement. Pour préserver le moral des troupes, et avec l’aide financière de plusieurs pays européens, Ouattara, Bédié et Soro envoient régulièrement leurs fidèles en mission à l’étranger. Le Premier ministre a lui-même effectué une tournée de trois semaines en Afrique, en janvier ; quelques jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Gervais Kacou, s’est rendu au sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, et une délégation politique est actuellement en Europe. Quant à Mme Ouattara, elle a participé, mi-février, au Forum de la coopération Sud-Sud. « Cela nous permet de nous oxygéner et de rendre visite à nos proches, explique Affoussy Bamba, porte-parole des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion). Je n’avais pas vu mes enfants depuis deux mois. » Pourtant, elle n’écarte pas une issue rapide. « Chaque jour, de nouveaux éléments des FDS nous rejoignent, insiste-t-elle. Il y a différents scénarios d’intervention à l’étude. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Et c’est mal nous connaître que de croire que nous allons abandonner la partie. » Et un éventuel repli sur Bouaké ou Yamoussoukro ? Hors de question. La bataille se gagnera à Abidjan, où Laurent Gbagbo a concentré toutes ses forces. ■ PASCAL AIRAULT,

envoyé spécial à Abidjan


36 AFRIQUE SUBSAHARIENNE AFFAIRE HISSÈNE HABRÉ

ILLUSTRATION CHRISTOPHE CHAUVIN

Dans lʼimpasse

Onze ans de tractations juridiques pour presque rien. Le président sénégalais ne souhaite plus que lʼex-dictateur tchadien soit jugé à Dakar et renvoie le dossier à lʼUnion africaine.

L

e dossier judiciaire de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré finit par ressembler aux archives de sa sinistre police politique : un millefeuille indéchiffrable de paperasses qui enfle et jaunit avec le temps. Le 7 février, le président sénégalais Abdoulaye Wade a ajouté une énième strate à l’édifice. Tchad, Sénégal… Quelques repères sont indispensables. L’ancienne terreur de N’Djamena, 68 ans aujourd’hui, vit en exil à Dakar depuis sa chute, en 1990 (après huit ans au pouvoir). Une commission d’enquête tchadienne le tient pour responsable de 40 000 exécutions sommaires et décès en détention, et de 200 000 cas de torture. Hissène Habré coule cependant une retraite paisible. Jusqu’en janvier 2000, quand sept Tchadiens portent plainte à Dakar pour crimes contre l’humanité, torture, actes de barbarie et disparitions forcées… Crimes que la justice sénégalaise se déclare incapable de

juger en mars 2001. L’affaire ne s’arrête pas là. En septembre 2005, un juge belge émet un mandat d’arrêt pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture en vertu de la « compétence universelle », qui permet à la justice belge d’agir quel que soit le territoire. Mais Abdoulaye Wade s’oppose à l’extradition. Son credo : un Africain doit être jugé en Afrique. En juillet 2006, l’Union africaine (UA) enjoint à Dakar de juger Habré « au nom de l’Afrique ».

espoir d’un procès au Sénégal. Au sujet de l’affaire judiciaire, il déclare : « J’ai dit stop. Je suis dessaisi. » À la question de la création d’une juridiction ad hoc au Sénégal, il répond : « J’ai dit non. » Et c’est reparti pour de nouvelles procédures. Le temps joue contre les victimes. « Irons-nous au procès avec les témoins et les victimes ? s’interroge Clément Abaifouta, président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré et détenu pendant quatre ans dans les geôles de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Une centaine sont déjà morts depuis le début de la procédure. » Abdoulaye Wade justifie son revirement par une décision de la Cour de justice de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Saisie par les avocats de Hissène Habré, elle a affirmé, le 18 novembre dernier, qu’il revenait à une juridiction ad hoc, et non à la justice sénégalaise, de juger l’ancien dictateur. Si la Cedeao exclut la tenue d’un procès par le Sénégal, elle n’écarte pas celle d’un procès au Sénégal. S’estimant « dessaisi », Abdoulaye Wade conduit donc une lecture toute personnelle de la décision de la Cedeao. Sa réaction surprend. Depuis 2006, le Sénégal adapte ses lois pour juger Hissène Habré. Le 24 novembre dernier – six jours après l’annonce de la Cedeao –, son ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, réaffirme « l’engagement » du Sénégal pour un « démarrage effectif du procès ». Il s’exprime face aux ambassadeurs de France, du Luxembourg, du Royaume-Uni, au représentant spécial du président de la Commission de l’UA… Des donateurs qui viennent de promettre des contributions – 8,5 millions d’euros

DANS LES GEÔLES DE LA DDS

Le rôle pourrait être beau pour Abdoulaye Wade. Avocat et chantre de l’État de droit, il tient l’occasion de faire juger un ancien chef d’État africain sur le continent, mais hors de son pays, gage d’impartialité. Une première. Seulement, après onze ans de procédures, le président sénégalais se cabre. Dans une interview au quotidien français La Croix, le 7 février, il tue tout

Réfugié au Sénégal depuis 1990, Hissène Habré est inculpé par un tribunal local et placé en résidence surveillée

La justice jus usti tice ce belge émet un mandat d’arrêt international

2000

2005

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 37 Quelles sont les issues possibles entre chefs d’État, le risque de créer au total – au procès. Car jusqu’alors, aujourd’hui ? Le président tchadien, un précédent, la proximité d’Hissène le Sénégal exigeait des financements. Idriss Déby, se dit prêt à organiser un Habré avec la classe politique sénéDakar a validé le projet de budget. procès. Mais redoutant un jugement galaise (l’actuel ministre des Affaires Le document, dont Jeune Afrique s’est partial, les ONG de défense des droits étrangères était le coordinateur de procuré une copie, prévoit un calende l’homme n’y tiennent pas. Elles son équipe de défense et le Premier drier précis : trente et un mois, dont avancent aussi que Hissène Habré, ministre, son avocat) et l’influence vingt pour l’enquête et l’instruction, conda m né à mor t pa r cinq pour la phase de precontumace pour complimière instance, trois pour PROCÈS CRUCIAL, COÛTS MODIQUES cité avec la rébellion en l’appel et trois autres pour août 2008, risque d’être un éventuel pour voi en Tribunal proposé par l’Union africaine pour juger Hissène Habré exécuté. « Le gouvernecassation. Il explore les ment tchadien pourrait dépenses dans le détail : 8,5 millions prendre des dispositions, salaires des juges, ordinad’euros sur trois ans prévient toutefois Hourteurs, voyage des témoins Le budget doit notamment permettre de couvrir madji Moussa Doumgor, au S é nég a l… M a ndaté les frais de fonctionnement de la police, du conseiller du Premier par l’Union européenne, personnel judiciaire, du procureur, mais aussi ministre tchadien. Nous u n a r c h ite c te a ét ud ié les frais d’interprétariat et l’aménagement d’une salle de tribunal à Dakar. pensons que s’il est à noul’aménagement de la salle veau condamné à mort, il d’audience, déjà identifiée. ne sera pas exécuté. » Enfin, considérant la décipar comparaison Autre hypothèse, qui sion de la Cedeao, l’Union r e c ue i l le s ou ve nt le s africaine a conçu un projet faveurs des v ictimes : de création de « chambres Tribunal spécial pour la Sierra Leone l’extradition et le procès africaines extraordinaires » Environ en Belgique. Mais Abdouau sein des tribunaux séné150 millions laye Wade continue de s’y galais. « L’astuce de ce prod’euros sur huit ans opposer. Reste alors le jet est qu’il ne dépasse pas lobbying des donateurs les limites budgétaires des pour un procès à Dakar. bailleurs, explique Reed « Nous souhaitons que Brody, conseiller juridique Hissène Habré soit jugé et porte-parole de Human rapidement et dans de bonnes condiéconomique qu’on lui prête peuvent Rights Watch. Les dépasser aurait pertions, de préférence en Afrique, conforexpliquer les réticences. Pour Madické mis l’enterrement de l’affaire. » mément à l’objectif rappelé par l’Union Niang, ministre des Affaires étrangèafricaine », fait savoir Bernard Valero, res, les raisons sont ailleurs. « Il y a MANŒUVRES DILATOIRES porte-parole du Quai d’Orsay. Tenant à un manque d’intérêt de l’UA, et par sa Ces préventions n’auront pas suffi. garder l’anonymat, une source proche déclaration le président a voulu attirer Selon les victimes, Abdoulaye Wade n’a du dossier doute pourtant de l’intenl’attention sur le problème, expliquejamais voulu juger Hissène Habré. « Il a sité des pressions : « Les Occidentaux t-il à Jeune Afrique. La solution qu’il toujours usé de manœuvres dilatoires, ont d’autres dossiers prioritaires sur le préférerait, c’est que Habré soit jugé dit Alioune Tine, président de la Rencontinent et ne veulent pas s’aliéner le par un tribunal ad hoc en Afrique mais contre africaine des droits de l’homme. Sénégal, qui passe pour l’un des États hors du Sénégal, pour que l’on comLes efforts apparents n’étaient que des les plus stables. » ■ prenne bien que le Sénégal ne protège diversions. Dès que les choses devienMARIANNE MEUNIER nent concrètes, il recule. » La solidarité personne. »

Une procédure interminable

L’Unio L’Union L’Un ion af afri africaine rica cain ine e de demande nd au Sénégal de juger Hissène Habré « au nom de l’Afrique »

2006

La B Belgique elgi el giqu que e sa sais saisit isit it lla a Cour internationale de justice pour enjoindre le Sénégal de juger Habré

La c cour ourr de jjustice ou usti us tice ce d de la Cedeao estime que le Sénégal ne peut juger Hissène Habré en l’état

Dakar et les bailleurs de fonds signent un document de financement d’un procès au Sénégal

2009

18 novembre 2010

24 novembre 2010

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Abdoulaye Wade affirme qu’il est « dessaisi » et que Habré ne sera pas jugé au Sénégal

7 février 2011


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Jonathan bat campagne

H

antise des attentats, courroux des alliés… La campagne pour la présidentielle du 9 avril n’est pas un long fleuve tranquille pour Goodluck Jonathan, candidat pour un nouveau mandat à la tête du pays. Le 17 février, il s’est rendu à Jos, principale ville de l’État de Plateau, mais l’atmosphère n’était pas à la fête : on garde ici encore en mémoire les 86 morts de la série d’attentats perpétrés la veille de Noël, l’année dernière, et revendiqués par un groupuscule de la secte Boko Haram. Les militants du Parti démocratique populaire (PDP, au pouvoir) rêvaient d’une cité aux allures de kermesse, ils ont dû se résoudre à tenir meeting dans une ville fantôme, administrations, commerces, écoles et habitations ayant été sommés de maintenir leurs portes closes dès la veille. Dans cette ville qui cristallise toutes les tensions (entre ethnies, entre chrétiens et musulmans, entre nomades et sédentaires, entre agriculteurs et éleveurs), au moins 16 unités spécialisées dans l’antiterrorisme et le déminage ont été déployées. Si ces mesures sont jugées excessives – notamment par l’opposition, qui reproche au parti au pouvoir de gaspiller l’argent du contribuable –, Goodluck Jonathan les estime nécessaires. Il veut éviter la réédition de l’épisode du 12 février à Port Harcourt, où 20 personnes sont mortes piétinées lors d’un meeting dans un stade de la ville. Goodluck Jonathan sait aussi qu’il n’a plus droit à l’erreur, d’autant qu’il n’est toujours pas parvenu à éteindre l’incendie allumé dans son propre camp. En campagne le 9 février à Ibadan, fief yorouba qui lui était en principe acquis, il s’était mis à dos la population en déclarant que le PDP mettrait tout en œuvre pour « déloger du SudOuest les gouverneurs délinquants ». Goodluck Jonathan faisait allusion aux quatre gouverneurs de l’opposition qui avaient décroché leur siège après une action en justice pour fraudes contre le PDP, après les élections de 2007. ■ CLARISSE JUOMPAN-YAKAM

NIGER PETITS ARRANGEMENTS ENTRE AMIS Quatre candidats, éliminés au premier tour de la présidentielle, ont annoncé leur ralliement à l’opposant historique, Mahamadou Issoufou, arrivé en tête le 31 janvier. Parmi eux : l’ex-Premier ministre, Hama Amadou, qui avait pourtant promis son soutien à Seini Oumarou, le candidat du parti du président déchu Mamadou Tandja arrivé deuxième. Pas sûr que tout le monde ait goûté la surprise.

CENTRAFRIQUE

Un boulevard vers le Parlement

I

l se pourrait fort qu’au lendemain du second tour des législatives, prévu le 20 mars, le Parlement centrafricain soit à dominante orange, la couleur du Kwa na kwa (KNK « le travail, rien que le travail » en sango). Sur les 105 candidats – autant que de fauteuils à l’Assemblée – du parti au pouvoir au premier tour, le 23 janvier, 27 l’ont en effet emporté d’emblée et 64 sont en ballottage favorable. Le KNK jouit d’un autre atout en vue de la seconde manche, et il n’est pas négligeable : le boycott de la compétition par l’opposition, annoncé le 15 février. Réunie au sein du Collectif des forces du changement (CFC), elle réagit à une décision de la Cour con st it ut ion nel le rendue t roi s jours plus tôt. Saisie par Ange-Félix Patassé, Martin Ziguélé et Émile Gros-R ay mond Na kombo, t rois candidats du CFC à la présidentielle du 23 janvier – remportée au premier tour par le chef de l’État sortant, François Bozizé –, l’instance a rejeté les recours en annulation

qu’ils avaient déposés après avoir dénoncé une série de fraudes. Mais selon les plaignants, la Cour constitutionnelle n’a pas conduit « d’enquête préalable » et a fait preuve d’une « célérité inhabituelle ». Ils concluent à « l’inexistence de toute possibilité de recours juridictionnel impartial » et, dans ces conditions, à la nécessité d’un boycott. « C’est une décision qui n’a pas de sens car ils ont participé à la compétition », indique Élie Oueifio, secrétaire général du KNK. Mais pour Martin Ziguélé, arrivé en troisième position à la présidentielle avec 6,46 % des voix, participer au scrutin était la seule issue pour éviter le reproche « d’avoir fui les élections ». « Maintenant que la preuve est apportée que le jeu est faussé, c’est une question de responsabilité politique que d’en sortir », poursuit-il. En prenant le risque d’une marginalisation politique ? Et de promettre : « Nous continuerons notre travail de sensibilisation de la population. » ■ MARIANNE MEUNIER

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 39

RD CONGO

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Lʼhonneur perdu de Lambert Mende

a parution de notre enquête consacrée à la RD Congo, intitulée « Kabila : Mobutu light » (voir J.A. no 2612) a déclenché une véritable tempête politico-médiatique à Kinshasa. Dès la parution du numéro en question, Joseph Kabila a demandé à son ministre de la Communication, Lambert Mende Omalanga, de réagir. Ce que notre zélé ministre s’est empressé de faire en nous faisant parvenir un (très) long droit de réponse (voir J.A. no 2613), avant, le 3 février, de se ruer dans les studios de la télévision nationale pour le lire en direct et organiser une conférence de presse. Outre la dénonciation d’une présumée tentative de déstabilisation du chef de l’État fomentée par une certaine « gorge profonde », dont il refuse de citer le nom mais dont la description qui en est faite désigne clairement l’ex-président de l’Assemblée et désormais oppos an t V i t al K amer he, L amb er t

Mende, pour qui tous les moyens semblent bons, n’a pas hésité à voir derrière notre enquête un véritable complot et une « alliance de la haine ». Pis, il a fait le choix de verser dans la diffamation : « Je vous assure que 14 pages dans un magazine comme celui-là, ce n’est pas moins de 50 0 0 0 0 dollars. L’argent devait venir de quelque part, nous retraçons et trouvons les miniers et les pétroliers qui ont perdu des contrats ici. C’est comme cela que les choses se seraient passées. » L’AFFAIRE EST GRAVE, car cette accusation grotesque émane d’un ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Elle entache donc la crédibilité de l’État et celle du président luimême. De quels éléments dispose M. Mende pour exposer de telles « certitudes » ? Sur la base de quelle enquête ? Évidemment, il n’a rien d’autre entre ses mains

que sa mauvaise foi. Un comportement exécrable qui illustre aussi une mentalité détestable : pour Mende, visiblement, tout s’achète et tout se vend. Il est vrai que l’itinéraire de cet homme passé maître dans l’art de retourner sa veste résume assez bien sa conception du pouvoir : opposant à Mobutu dans les années 1980 alors qu’il fait ses études en Belgique, ministre du maréchal peu après son retour au pays (Mobutu sera la première personne qu’il rencontrera lors de ce retour…), organisateur d’une marche de soutien à son tombeur LaurentDésiré Kabila, en 1997, membre de la rébellion du Rassemblement c ongolais pour la démocratie (RCD) de Ruberwa, toujours sous Kabila père, avant de finir par goûter à la soupe présidentielle avec le fils. Si j’étais Joseph Kabila, je me méfierais d’un ministre aussi versatile… ■ MARWANE BEN YAHMED

JAMES AKENA/REUTERS

OUGANDA TER REPETITA

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Au pouvoir depuis 1986, Yoweri Kaguta Museveni entend bien conserver son poste à la tête de l’Ouganda jusqu’en 2016. Lors des élections présidentielle et législatives du 18 février, il affrontait pour la troisième fois son ancien allié et médecin personnel, Kizza Besigye. Les partisans de ce dernier (ici, le 14 février, à Kampala) veulent y croire : cette fois, c’est la bonne !


40 MAGHREB & MOYEN-ORIENT

TUNISIE * SIDI BOUAZIZI Écrasé et humilié par une administration corrompue, il a choisi de protester en sʼautosacrifiant. Un geste qui est à lʼorigine de la révolution du 14 janvier. Et du printemps arabe qui se dessine. Portrait dʼun fils du peuple devenu lʼicône universelle de la dignité retrouvée.

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n s’immolant par le feu, il a allumé la mèche de la contestation politique qui a fait des Tunisiens, que l’on disait particul ièrement i ndolent s, les pionniers de ce qui ressemble à un printemps des peuples arabes. Il, c’est Mohamed Bouazizi, dont les manifestants ont scandé le nom et brandi le portrait tout au long des trente jours de soulèvement populaire qui ont abouti à la chute de Zine el-Abidine Ben Ali. Cette unique photographie, qui a fait le tour du monde, a été prise lors d’une fête. On y voit un Mohamed Bouazizi battant des mains, au sourire aussi éclatant que son tee-shirt blanc. La future icône de la révolution tunisienne n’avait rien d’un rebelle: c’était un jeune homme simple et paisible, au visage tanné par le soleil, comme il en existe des millions en Tunisie et dans le monde arabe. Les Bouazizi sont des anonymes parmi les 40 000 oubliés de Sidi Bou* Au Maghreb, « Sidi » est à la fois une marque de respect et le titre désignant les saints.

zid, gros bourg agricole du centre du pays, enclavé entre les montagnes de la Dorsale tunisienne et du Djebel el-Kbar, et menacé par les crues des oueds Gammouda et Falet Galla. Mohamed est né ici, au printemps 1984, dans une région connue pour ses plantations d’oliviers et d’amandiers. Il est le fils de cette Tunisie profonde, celle de « l’intérieur », que la rhétorique politique de l’ancien régime qualifiait de « zone d’ombre », celle que la pauvreté avait, croyait-on, rendue muette et apathique. Officiellement, le nouveau-né a pour prénom Tarek, mais très vite, tout le monde l’appelle Mohamed pour le distinguer d’un homonyme. Sa mère, Manoubia, le surnomme Besbouss, (« celui qui est à croquer de baisers »), un surnom qui ne le quittera plus, pas même à l’âge adulte. Un lien fort se tisse entre la mère et le fils, d’autant que le père, Taïeb, est souvent absent. Ouv rier agricole, il a, pendant un temps, tenté sa chance en Libye comme journalier. Il revenait en expliquant que, là-bas, les « gens pauvres souffrent aussi ». Il s’est littéralement tué à la tâche, pour finalement laisser un lopin de

NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESDETUNISIE.COM

FRIDA DAHMANI, à Tunis

terre et trois orphelins : Salem, Leïla et Mohamed. À la mort de son père, ce dernier a 3 ans. Et, comme souvent dans les régions rurales, pour ne pas avoir à partager leurs maigres biens, Manoubia épouse le frère de son mari. Quatre autres enfants voient le jour : Samia, Basma, Karim et Zyed. Mohamed est à la fois leur cousin et leur frère. Sage et réservé, il continue de traîner dans les jupons de sa mère. À 6 ans, il aide aux travaux des champs. Mais c’est pour lui un jeu, comme aller à l’école à pied avec ses camarades. La

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 41

Un jeune Tunisien brandissant une affiche à l’effigie de Mohamed Bouazizi, le 6 février, à Sidi Bouzid.

famille est un cocon ; on est encore plus unis quand on a du mal à joindre les deux bouts. Les temps sont durs, la terre aussi. Les Bouazizi s’endettent auprès d’une banque, n’arrivent pas à honorer les échéances et perdent les 3 ha qu’ils avaient hypothéqués. Une histoire banale, tant elle est répandue dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, qui ne vit que de l’agriculture. Ici, on connaît bien les revers de fortune, si tant est que l’on puisse appeler fortune la servitude quotidienne : il suffit d’une mauvaise récolte ou d’une inondation

pour perdre ses sources de revenu. Mais personne n’a le temps de s’apitoyer sur son sort. Il faut continuer. « L’HOMME DE LA FAMILLE »

Mohamed grandit. Il devient un petit gars qui se partage entre les coups de main à la famille et les bancs du lycée. Quelque part, il est plein d’espoir ; l’enseignement gratuit et obligatoire laisse entrevoir une réussite possible. Depuis les années Bourguiba, les Tunisiens croient en l’ascension sociale, s’accrochent à l’idée du succès par la mérito-

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cratie. Mohamed n’excelle pas, c’est un élève moyen qui, dès ses 14 ans, devient maçon pendant son temps libre. Personne ne s’avise qu’un mineur n’est pas censé travailler, a fortiori dans n’importe quelles conditions. Ici, chacun participe sans même y penser, la chose est tout à fait naturelle. On devient ouvrier agricole de père en fils, l’agriculture étant le seul secteur qui embauche des journaliers. Le travail est aléatoire, mais il n’y en a pas d’autre. Le développement économique n’a pas atteint Sidi Bouzid ; les industries ont préféré s’im-


APPRÉCIÉ DE TOUS

Il y a huit bouches à nourrir. C’est à elles que Mohamed décide d’accorder la priorité. Il range donc ses rêves et quitte le lycée avec un niveau de terminale. De toute façon, il n’aurait rien pu faire du bac puisqu’il n’avait pas les moyens de poursuivre des études. Mais il se jure de faire en sorte que ses jeunes frères et sœurs puissent avoir une formation solide. Aujourd’hui, Samia fait du droit à l’université et Basma prépare son baccalauréat. Mohamed s’inscrit dans une association de jeunes chômeurs, mais rien de concret ne lui est proposé.

dit. Il ramène tous les jours pour 50 à 100 euros de fruits et légumes qu’il écoule en parcourant les artères de Sidi Bouzid. Tout le monde l’apprécie. C’est un fils du pays, il est aimable et n’hésite pas à ajouter gracieusement un petit plus dans les paniers. Il cherche juste à gagner décemment et simplement sa vie. Mais il va se heurter à une administration corrompue qui se plaît à compliquer la moindre démarche dans le but de rançonner la population. Mohamed est un travailleur clandestin, il n’a pas les moyens de verser des potsde-vin pour obtenir son autorisation. Pendant sept ans, lui et les services municipaux vont jouer au chat et à la souris. Les agents de la police municipale se servent sans scrupule, quand ils ne prélèvent pas 10 euros dans la caisse du jour. Parfois, arguant qu’ils doivent appliquer la loi, ils assènent une amende de 320 euros, que Mohamed a du mal à payer. La marchandise est souvent confisquée, et il lui faut régulièrement débourser 10 euros pour récupérer la balance chèrement acquise. Mohamed résiste, mais il a de plus en plus de mal à tenir le coup. C’est en pensant à la famille qu’il s’accroche. Il aime le regard approbateur de sa mère quand il rentre avec des fruits à la maison ; immanquablement, il la taquine. Elle rougit, appelle à la rescousse ses filles. Mais elle ne manque jamais une occasion de faire plaisir à son fils, lui prépare du poisson grillé, son plat préféré, et ne cesse de le bénir. Mohamed

Parfois, ils lui infligent une amende de 320 euros, arguant qu’ils doivent appliquer la loi. Impossible de trouver un emploi qualifié dans une région souffrant de sousinvestissement chronique. À 19 ans, il n’a pas le choix, et va faire ce qu’il a toujours vu faire autour de lui : vendre des fruits et légumes. Mohamed devient donc marchand ambulant. Il ne renâcle pas à la tâche. Le soir, il loue une camionnette et va s’approvisionner à Meknassi ou Souk el-Jedid. Ses fournisseurs le connaissent bien, l’estiment et lui font cré-

NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESDETUNISIE.COM

planter dans le gouvernorat voisin, celui de Sfax, qui dispose de toutes les infrastructures nécessaires. Quand Mohamed visite Sfax, il est épaté par l’énergie de cette ville. Il n’a parcouru que 135 km, mais c’est comme s’il avait fait un long voyage à l’étranger. Il découvre un autre monde, celui d’une Tunisie opulente avec vue sur la mer qui affiche ses succès économiques. Tout l’opposé de Sidi Bouzid, où tout est si linéaire, où tout est attente ; celle de la pluie, celle des récoltes, celle de jours meilleurs. Mais Mohamed est fils de Sidi Bouzid, il n’a pas envie de partir, et son niveau ne lui permet pas de prétendre à un bon travail. Tant qu’à être dans l’aléatoire, autant rester chez soi. Mohamed a une priorité : il se sent investi d’une responsabilité à l’égard des siens. À la mort de son père, les adultes lui répétaient qu’il était l’homme de la famille, histoire de le détourner du chagrin en lui donnant des objectifs. La bouture a pris et le jeune homme devient le principal soutien de la fratrie.

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goûte le calme et la tranquillité. Quand ses sœurs chahutent trop fort, il hausse la voix. Elles rechignent un peu, mais obéissent à ce grand frère qui leur donne discrètement un peu d’argent de poche. Mais Mohamed ne résiste pas au petit dernier, Zyed, qui du haut de ses 8 ans le mène par le bout du nez et préfère jouer plutôt que de dormir dans la pièce commune à l’heure de la sieste. « DIEU ME RENDRA JUSTICE »

Mohamed trime, mais ne se plaint pas. À défaut d’une réussite sociale, il est devenu l’homme de la maison ; ses frères sont soit trop jeunes, soit au chômage comme son beau-père. Mohamed s’est forgé un caractère. S’il n’est pas très bavard, il veille à ce que ses sœurs reçoivent une bonne éducation et ne manquent de rien. Comme tous ses congénères de la région, il respecte

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ARNAUD ROBIN/FEDEPHOTO

ARNAUD ROBIN/FEDEPHOTO

De g. à dr. et de haut en bas, Manoubia, sous le portrait de son fils. Des frères, sœurs, neveux et amis du défunt regardant sur internet des vidéos lui rendant hommage. Samia, la jeune sœur, à Sidi Bouzid. La tombe de Mohamed Bouazizi, au cimetière Garaat Bennour, à 16 km du centre de Sidi Bouzid.

des codes combinant les coutumes et le bon sens. S’il rejoint ses copains au café, c’est surtout pour parler de football et de son idole, Tarak Dhiab, pendant des heures. Mohamed ne se confie pas facilement. De toute façon, ses tracas sont connus de tous. Ici, la dignité, l’honnêteté, la patience et le respect sont encore des valeurs cardinales. Mohamed a été élevé dans cette tradition des campagnes où l’on est musulman sans être rétrograde. Contre l’adversité, il disait de plus en plus souvent: « Hassibi rabbi » (« Dieu me rendra justice »). Son rêve est d’avoir assez d’argent pour pouvoir acheter une camionnette et ne plus s’épuiser à pousser une charrette. Mohamed tient bon pendant sept ans. À 26 ans, il se drape dans la dignité des laissés-pour-compte, ceux qui, d’une certaine manière, ont accepté de perdre leur vie à gagner une misère. Il est à

bout de forces. Harcelé, acculé, il glisse imperceptiblement dans la mélancolie. Le 7 novembre 2010, alors que le pays fête le 23e anniversaire de l’accession de Ben Ali au pouvoir, on lui confisque encore une fois son étal. Il y voit un symbole. « Ici, le pauvre n’a pas le droit de vivre », dit-il à sa sœur Leïla. Mohamed désespère de voir le bout du tunnel. La vie est de plus en plus chère. Le courage et la volonté ne suffisent plus. Il est endurant, mais ne supporte plus cette injustice flagrante qu’on lui fait, celle de l’empêcher de travailler, sans raison. UNE GIFLE FATALE

Le 17 décembre 2010, les agents municipaux lui saisissent encore une fois sa charrette. Quand il ose aller déposer une réclamation au gouvernorat, aucun responsable ne prend la

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peine de le recevoir. Pis, une auxiliaire municipale, Feida Hamdi, le gifle et lui crache à la figure. L’humiliation publique, infligée par une femme dans un environnement où le respect fait partie du code social, est le geste de trop, une souillure dont Mohamed va se purifier par le feu. Il ne réfléchit plus, est pris dans la spirale du désespoir, d’un implacable no future. Puisqu’il ne peut se faire entendre, il va protester de la manière la plus voyante. Consumé par la misère, il se sent déjà brûler de l’intérieur, alors autant affronter le feu. Il n’a pas peur, ne tremble pas. Il craque une allumette comme on claque des doigts et s’immole sur la place publique. Un geste qui embrase le pays et fait de tous les Tunisiens – et peut-être de tous les Arabes – des marchands ambulants bafoués dans leurs droits, avides de dignité et de justice. ■


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VINCENT FOURNIER/J.A.

cet acte a commencé à arriver à destination, ils sont tous devenus une part de Bouazizi.

INTERVIEW

Fethi Benslama PSYCHANALYSTE TUNISIEN

« Ce geste a changé le modèle du martyr » Lʼauteur de La Psychanalyse à lʼépreuve de lʼislam décrypte pour J.A. lʼacte de Mohamed Bouazizi et explique pourquoi il a une résonance universelle. JEUNE AFRIQUE : En quoi le geste de Bouazizi peut-il devenir un mythe pour les Tunisiens et au-delà ? FETHI BENSLAMA : Tout dépend de ce qu’on entend par « mythe ». S’il s’agit de raconter une histoire fédératrice, mais loin de la réalité, on peut toujours le faire. Mais je ne pense pas qu’on va se diriger vers cela. Ce serait d’ailleurs dommage pour la révolution tunisienne, dont les ressorts sont complètement en prise avec la réalité : on n’a pas entendu de slogans identitaires, religieux ou métaphysiques. Comme la plupart des Tunisiens le savent, Bouazizi était un homme désespéré qui s’est senti réduit à l’impuissance, plus exactement à rien, à la suite d’un double tort qu’on lui a fait subir : la confiscation de son étalage ambulant, son moyen de subsistance ; et une humiliation, cette gifle donnée par un représentant de l’autorité, qui plus est une femme, ce qui est grave sur l’échelle de l’outrage pour un homme dans son milieu. La

vie, désormais, n’était simplement plus vivable pour lui, il ne voyait plus comme possibilité que cette protestation radicale par l’auto-immolation. Pas seulement la mort, l’anéantissement. Et cela suffit à lancer une révolution ? En soi, l’acte de Bouazizi ne peut pas provoquer une révolution. Mais il suscite de l’effroi et de la culpabilité autour de lui. À ma connaissance, il n’a laissé aucun message autre que cet acte effroyable. Ce sont ses proches et la communauté dans laquelle il vivait qui se sont sentis interpellés et ont transformé ce désespoir en révolte. Sans doute y avait-il là, pour eux, quelque chose d’insupportable, et qui concernait leur propre vie. Voilà le ressort de la révolte humaine la plus noble et la plus puissante : quand ma vie est atteinte par ce qui atteint celle de mon prochain. Ils ont alors conféré à ce sacrifice un sens qui dépasse son cas. À ce moment-là,

Mais très vite, l’acte de Bouazizi a eu une résonance quasi universelle. Pourquoi ? L’enchaînement des événements a en effet donné ensuite à cette signification dont je viens de parler une portée nationale. Bouazizi est devenu un exemple, et non un mythe, celui de chaque homme réduit par le qahr – un mot qu’on peut traduire par « impuissance totale » – et qui préfère l’anéantissement plutôt que de vivre comme un rien. Il faut donc croire que le sentiment de ne plus compter, de compter pour rien, était communément partagé par les Tunisiens, dans la mesure où Ben Ali et son entourage pouvaient, eux, se permettre tout. Le qahr se résume alors à « je suis tout et vous n’êtes rien ». Le processus d’universalisation provient de cette résonance. Les femmes et les hommes arabes ont atteint un degré de conscience d’euxmêmes et de leurs existences tel qu’ils veulent maintenant compter un à un et ne plus être considérés comme rien ou comme une mélasse humaine qui attend le jugement dernier pour être prise en compte. Bouazizi symbolise l’homme sur cette terre qui peut être anéanti par deux litres de pétrole et une allumette. Peut-on considérer ce sacrif ice comme le contraire de celui des kamikazes ? Bouazizi, c’est l’antikamikaze même. Je crois qu’il annonce, ou révèle, un changement du modèle du « martyr » dans le monde arabe. Bouazizi ne tue pas les autres, et il ne vise aucun paradis, parce que, théologiquement, son acte est condamnable. Bouazizi veut le feu, ici, maintenant. Sa seule rétribution sera le bouleversement des consciences par sa propre consumation. Le désir démocratique, c’est l’espérance d’éviter ce pire qu’est la réduction de l’humain à rien, ou à la cendre, en ce monde-ci. En fait, nous sommes des Bouazizi parce que nous préférons ne plus subsister plutôt que de n’être rien ; mais, en même temps, nous ne voulons pas être des Bouazizi, car nous voulons exister. Donc on se révolte. C’est logique, où est le mythe ? ■ Propos recueillis par RENAUD DE ROCHEBRUNE

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 45 ALGÉRIE

CNCD : alliance contre-nature À trop vouloir rassembler par-delà les clivages, la Coordination nationale pour le changement démocratique sʼest empêtrée dans ses contradictions.

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urfant sur la vague révolutionnaire tunisienne, laquelle a fini par atteindre les bords du Nil, des partis politiques et des organisations de la société civile ont créé, le 21 janvier, sous le parrainage de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), une Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD), avec pour objectif d’abattre le système en place. Première action d’envergure : une marche pacifique à Alger, prévue le 12 février, sur un itinéraire de près de 5 km. Non autorisée par le gouvernement, contenue à son point de départ (place de la Concorde, ex-Champ-deManœuvres) par un imposant dispositif policier, elle s’est transformée en un rassemblement. Si pour les organisateurs la manifestation a été un succès (2 500 marcheurs selon la CNCD, dix fois moins selon la police), elle a plutôt été perçue par l’opinion comme un échec, notamment pour le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi), principale formation politique de la Coordination.

(PST, de Chawki Salhi), certes agréé, mais qui ne dispose d’aucun élu national ou local. Côté société civile, outre la LADDH, présidée par Mustapha Bouchachi, mais toujours pilotée par Ali Yahia Abdennour, 90 ans, ancien ministre et ex-avocat du Front islamique du salut (FIS), on retrouve l’Association des victimes d’octobre 1988 (AVO), SOS Libertés – créé à l’initiative d’Arezki Aït Larbi, correspondant du Figaro –, SOS Disparus de Nacéra Dutour, ou encore le Comité national pour la liberté de la presse (CNLP). De ce curieux alliage sont nés des slogans contradictoires scandés lors de la même marche. Aux « Algérie

voulant rassembleuse, ce genre de contradiction était inévitable. Autre raison de l’échec de la marche du 12 février : le flou entourant la plateforme de revendications. Au départ, l’objectif principal de la manifestation était la levée de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1992 à cause justement de l’appel à la désobéissance lancé par le FIS d’Ali Benhadj. Or, le 3 février, une dizaine de jours après la constitution de la CNCD, le président Abdelaziz Bouteflika, sans doute échaudé par l’actualité tunisienne et égyptienne, a annoncé la levée de l’état d’urgence. Prise de court, et euphorie révolutionnaire aidant, la

Certes, l’échec de la marche peut être mis sur le compte de la forte mobilisation des forces de l’ordre, mais pas seulement. « Si l’initiative avait réellement été portée par la population, aucun dispositif policier n’aurait pu l’empêcher », a déclaré Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, d’obédience trotskiste et première force de l’opposition). Deux raisons peuvent expliquer la faible mobilisation. La première est liée à la composition de la Coordination, la seconde, au flou entourant ses revendications. La CNCD apparaît comme un attelage improbable entre laïcs du RCD, islamistes d’Ennahda et militants de formations politiques virtuelles, comme le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD, non agréé) ou encore le Parti socialiste des travailleurs

SAMIR SID

FAIBLE MOBILISATION

Mustapha Bouchachi (veste bleue), président de la LADDH, s’adressant aux manifestants lors du rassemblement du 12 février, à Alger.

libre et démocratique ! » répondaient ainsi des « Dawla islamiya » (« un État islamique »). Venu participer à la manifestation en compagnie d’une vingtaine de compagnons, Ali Benhadj, ancien vice-président du FIS, chantre de l’insurrection armée, ne désespère pas de retrouver l’influence qu’il avait au début des années 1990. Salafistes et laïcs unis dans le même combat ? La démarche de la CNCD se

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CNCD a changé de slogan pour adopter un « Bouteflika, dégage ! » Mais « Boutef » n’est ni Ben Ali ni Moubarak. L’aspiration au changement, aussi importante en Algérie qu’ailleurs dans le monde arabe, vise un système mis en place dès l’indépendance, et non le seul chef de l’État, qui est loin de susciter la même aversion que nombre de ses pairs. ■ CHERIF OUAZANI , envoyé spécial à Alger


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Lʼaffabulateur passe aux aveux Lʼhomme qui a fabriqué de toutes pièces lʼexistence dʼun programme dʼarmes bactériologiques irakien tombe le masque.

L

DAVID LEVENE/GUARDIAN NEWS & MEDIA LTD 2011

régime, et j’en suis fier », déclare es informations fournies aujourd’hui Janabi. par l’ingénieur irak ien Les démentis apportés par son Rafid Ahmed Alwan alancien patron dès la fin de 2000 Janabi sur les armes bacne semblent pas avoir retenu l’attériologiques de Saddam Hussein tention des Américains, qui ont sortaient tout droit de son imagiopportunément exhumé l’intox à nation. C’est l’intéressé lui-même, la fin de 2002 pour justifier l’invasurnommé par les services secrets sion de mars 2003. Colin Powell, occidentaux Curveball (de l’anglais secrétaire d’État au moment des to throw a curveball : « prendre par faits, qui avait qualifié ces inforsurprise »), qui l’a reconnu, le 14 fémations de « preuves de première vrier, dans les colonnes du quotiRafid Ahmed Alwan al-Janabi. main » dans un discours à l’ONU, dien britannique The Guardian. Si le 5 février 2003, a été le premier l’absence d’armes de destruction à réagir aux aveux du transfuge irakien. Le 16 février, il a massive en Irak est avérée de longue date, c’est aujourd’hui nié avoir jamais su que l’informateur n’était pas fiable et l’affabulateur en chef, installé en Allemagne depuis 1999, réclamé des explications à la CIA. qui révèle pourquoi et comment il a réussi à berner les serDans ses Mémoires parus le 8 février, Donald Rumsfeld, vices secrets américains. alors secrétaire à la Défense, admet avoir commis des « erInterrogé à partir de 2000 par des agents allemands, reurs de langage » en parlant de l’existence d’armes de desJanabi décide de fabriquer de toutes pièces l’existence d’un truction massive… Janabi, quant à lui, a obtenu la citoyenprogramme d’armes bactériologiques irakien. Ainsi invenneté allemande en 2008. « Mais je ne vous cache pas que j’ai te-t-il un accident chimique qui aurait tué douze personnes des problèmes, a-t-il confié au Guardian. Les services secrets en 1998, ou encore des séances de travail nocturnes orgaallemands m’ont repris l’appartement et le téléphone qu’ils nisées le vendredi, jour chômé, afin d’échapper aux insavaient mis à ma disposition. » ■ pecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique. CONSTANCE DESLOIRE « J’ai eu l’occasion de monter une histoire pour renverser le

Grâce présidentielle pour les militants antiesclavagistes

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e 15 février, à l’occasion de la fête célébrant la naissance du Prophète, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, a gracié six militants de la lutte contre l’esclavage, pratique restée courante dans le pays malgré sa criminalisation par la loi, en août 2007. Parmi eux, Biram Ould Abeid, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et chargé de mission auprès de SOS Esclaves. Ce dernier et deux autres militants avaient été condamnés, le 6 janvier, à un an de prison, dont six mois ferme, notamment pour « agression de la police ». Les trois autres graciés avaient écopé quant à eux de six mois de prison avec sursis. Tous avaient été arrêtés en décembre dernier, après s’être

rendus, en compagnie d’un commissaire de Nouakchott, dans une maison où deux jeunes filles de 9 ans et 14 ans travaillaient comme domestiques pour plusieurs femmes. La situation aurait ensuite dégénéré entre policiers et militants. Mais ces derniers ont toujours affirmé ne pas avoir agressé les forces de l’ordre. Depuis son élection, en juillet 2009, Mohamed Ould Abdelaziz a déjà usé de sa prérogative de grâce à l’occasion de fêtes religieuses, notamment en faveur de détenus impliqués dans des affaires de terrorisme et considérés comme modérés. La mobilisation déclenchée par l’incarcération de Biram Ould Abeid peut en partie expliquer son geste. Pendant la détention du militant, le président du Groupe d’ami-

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MAURITANIE

Biram Ould Abeid à sa sortie de prison, le 15 février, à Nouakchott.

tié France-Mauritanie à l’Assemblée nationale, l’ancien ministre socialiste Michel Sapin, a transmis une lettre à « Aziz ». L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme – lié à la Fédération internationale des droits de l’homme – avait, quant à lui, prévu d’envoyer une mission d’observation judiciaire à Nouakchott pour assister au procès en appel, qui devait se tenir le 20 février. ■ MARIANNE MEUNIER

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É TAT S - UNIS

AU SECOURS, CALA Colistière de John McCain en 2008, Sarah Palin est aujourdʼhui lʼicône des ultraconservateurs. Et le cauchemar des dirigeants républicains, tant ses chances de victoire face à Obama en 2012 paraissent faibles.

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JEAN-ÉRIC BOULIN, à New York

ara h Palin sera-t- elle candidate aux primaires républicaines? Cette perspective donne des sueurs froides aux responsables du parti. Si elle était désignée pour affronter Barack Obama lors de la présidentielle de 2012, ce serait le scénario catastrophe tant les chances de victoire de l’ex-colistière de John McCain en 2008 – aujourd’hui égérie du Tea Party – paraissent minces. Pour le Grand Old Party, Palin, qui n’a plus de mandat depuis qu’elle a démissionné, en 2009, de son poste de gouverneure de l’Alaska, c’est un peu Calamity Jane. De tous les présidentiables potentiels – ils sont une dizaine –, c’est elle qui recueille dans les sondages le plus d’opinions défavorables, les mieux placés étant, à ce jour, Mitt Romney, un ancien gouverneur du Massachusetts, et, surtout, Mike Huckabee, qui fut gouverneur de l’Arkansas jusqu’en 2007. Son personnage de « Mama Grizzly », comme elle s’est elle-même surnommée – elle joue à la rude Américaine de l’Ouest, bigote, chauvine et en guerre ouverte contre les intellectuels efféminés de la côte Est –, fascine sa base conservatrice, mais révulse le reste du pays. Il est trop marqué à droite pour séduire les électeurs indépendants, qui, aux États-Unis comme ailleurs, font souvent gagner une élection. Surtout, Sarah Palin accumule les faux pas. Le dernier en date s’est produit au mois de janvier, après la tuerie de Tucson. Palin a été accusée d’avoir, par ses outrances, contribué à la détériora-

La madone du Tea Party, en décembre 2009. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


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MITY JANE REVIENT! tion du climat politique et, indirectement, d’avoir incité l’assassin, un déséquilibré nommé Jared Loughner, à passer à l’acte. Un exemple ? Une carte des circonscriptions clés pour les élections de la mi-mandat a été publiée sur son site internet. Les candidats démocrates y étant représentés par des cibles à abattre. Parmi elles, Gabrielle Giffords, la représentante de l’Arizona, qui, de fait, a reçu une balle en pleine tête. FAIRE-VALOIR IDÉAL

Palin a répliqué à ces attaques – certes, un peu excessives – de manière virulente. Mais sans vraiment convaincre. Selon un sondage du Washington Post, seuls 30 % des Américains ont approuvé sa réaction à la tragédie de Tucson. Contre 78 % pour Obama. Éditorialiste au New York Times, Matt Bai en vient même à penser que, pour le président sortant, elle constituerait en 2012 le faire-valoir idéal. Pourtant, aucun homme ou femme politique – à l’exception, bien sûr, d’Obama – n’a connu une ascension aussi météorique que cette native de l’Idaho originaire d’un milieu modeste, qui, en 2006, devint la plus jeune gouverneure de l’A la sk a – e l le av a it 42 ans. Deux ans plus tard, elle faisait une entrée fracassante sur la scène nationale, en étant, à la surprise générale, désignée comme candidate à la vice-présidence… Dans un premier temps, son physique avantageux (c’est une ancienne reine de beauté), son profil de mère courage (elle a cinq enfants, dont un trisomique) et sa posture anti-establishment ont captivé l’imaginaire américain. Las, ses bourdes à répétition (« je m’y connais en politique étrangère, je vois la Russie depuis mon jardin ») et ses dissensions avec McCain ont fini par plomber la campagne républicaine. Incompétente, imprévisible et définitivement fâchée avec la langue anglaise (elle a tweeté le mot « refudiate », qui n’existe pas),

Palin ne manque pourtant pas d’atouts pour remporter les primaires. Et c’est bien ce qui inquiète. Dans les médias, elle est omniprésente. Cela lui permet de s’incruster dans les foyers américains et, accessoirement, d’amasser une petite fortune (13 millions de dollars en 2010). Recrutée comme éditorialiste en 2008, elle intervient chaque semaine sur Fox News. On sait que la chaîne du multimilliardaire australo-américain Rupert Murdoch est le principal relais des thèses du Tea Party à travers le pays… Sur le câble, elle vient de participer à un reality show sur mesure, « L’Alaska de Sarah Palin », où ses fans ont pu l’admirer en train de chasser le caribou ou de descendre une rivière en kayak. Huit épisodes ont été diffusés. Coût à l’unité: 1 million de dollars, dont 250 000 dollars dans la poche de l’héroïne. Enfin, Mrs Palin est l’auteure de deux best-sellers, dont le dernier, L’Amérique au cœur : réflexions sur la foi, la famille et le drapeau, lui a permis de soigner son profil de pasionaria conservatrice au cours d’une longue, longue tournée

MIKE THEILER/REUTERS

« Je m’y connais en politique étrangère : je vois la Russie depuis mon jardin, en Alaska. »

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de promotion. Et lorsqu’elle n’occupe pas le devant de la scène, c’est sa fille aînée qui s’y colle : mère célibataire à 18 ans, la prénommée Bristol a été finaliste d’un très populaire radio crochet… Mais ne nous y trompons pas : Sarah Palin est une vraie bête politique, dotée d’un instinct très sûr pour capter les frustrations des Américains. Depuis son virage ultraconservateur de 2008, elle surfe allègrement sur la vague populiste qui déferle sur le pays. Elle est aujourd’hui l’icône absolue du Tea Party, le grand vainqueur des midterm. En novembre, une centaine de candidats se sont ouvertement réclamés


d’elle. Et la plupart ont été élus. Parmi eux, Susana Martinez, la nouvelle gouverneure du Nouveau-Mexique, qui pourrait être précieuse pour rallier le vote latino en 2012. On peut en outre imaginer que les partisans de Palin ne seront pas les derniers à se déplacer pour voter lors des primaires… 2,5 MILLIONS D’AMIS

Bref, si elle n’est pas l’opposante la plus crédible, Sarah Palin est, de loin, la plus bruyante. Nul besoin de discours ni de tribunes, il lui suffit de comptes Twitter et Facebook (2,5 millions d’amis). La Palin addiction d’une partie des médias fait le reste. Ses tweets sur la politique étrangère d’Obama (« faible avec les ennemis de l’Amérique, dure avec ses alliés ») ou sur le budget démocrate, qui laisse filer une dette « aussi élevée que le mont McKinley » (le plus haut sommet d’Amérique du Nord, en Alaska), sont largement repris. Pressée de questions sur ses intentions pour 2012, elle élude. Le 10 février, à Washington, elle s’est abstenue de prendre la parole lors de la conférence des jeunes conservateurs du Parti républicain, sorte d’étape obligée pour tout candidat aux primaires (mais Huckabee était lui aussi absent). Quelques jours auparavant, en Californie, elle s’était exprimée lors d’un dîner destiné à commémorer le centième anniversaire de la naissance de Ronald Reagan, mais uniquement pour fustiger Obama et son « big government » qui mènent le pays « à la ruine ». Elle n’a rien dévoilé de ses intentions électorales. Dans les coulisses du Parti républicain, en attendant l’émergence d’un leader d’envergure, un « tout sauf Palin » est en train de se mettre en place. C’est Barbara Bush, mère de « GW » et gardienne du temple républicain, qui a planté la première banderille : « Palin se trouve très bien en Alaska ? J’espère qu’elle y restera. » D’autres ont suivi, mais Calamity Jane n’en a cure. Pour l’instant, c’est elle qui a la main. Elle continue de jouer la base contre l’establishment, et les médias contre les jeux d’appareil. Si elle choisit finalement de se présenter, « la Maison Blanche pourra sabler le champagne et les leaders républicains n’auront plus que leurs yeux pour pleurer », commente un observateur. Les primaires ne débuteront qu’en janvier 2012. Pour le Grand Old Party, l’attente va être longue. ■

ROGER HUTCHINGS/CAMERAPRESS/GAMMA/EYEDEA PRESSE

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Pendant la campagne législative de 1988, à Islamabad.

PAKISTAN

Qui a tué Benazir? La justice enquête sur lʼassassinat, en 2007, de lʼhéritière du clan Bhutto. Le 12 février, lʼancien président Pervez Musharraf a été cité à comparaître. Mais toutes les hypothèses restent ouvertes.

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epuis trois ans, le plus grand traumatisme polit ique de l’ h i stoi re du Pakistan reste une énigme. Qui a assassiné Benazir Bhutto, le 27 décembre 2007 ? Seule certitude : le kamikaze de 15 ans, qui, à l’issue d’un meeting électoral, a ouvert le feu sur l’égérie du Parti du peuple pakistanais (PPP) avant de se faire exploser au milieu de la foule, n’a pas agi pour son propre compte. Manifestement victime d’un complot, la flamboyante « Pinky » gênait beaucoup de monde : les islamistes radicaux, qu’elle combattait ; le président Pervez Musharraf, qu’elle était en passe de battre aux législatives ; le puissant état-major de l’armée et l’Inter-Services Intelligence (ISI), qui ne s’étaient jamais soumis à son autorité à l’époque où elle était Première ministre et avaient contribué à l’évincer en 1990, puis en 1996. Certains, à l’instar de sa nièce, Fatima (lire interview ci-après), vont jusqu’à accuser le mari de Benazir, l’ineffable Asif Ali Zardari, d’avoir profité de ce drame pour s’accaparer l’héritage politique de la famille Bhutto et devenir chef de l’État.

Jusqu’à présent, l’enquête était au point mort. Dans un rapport d’avril 2010, l’ONU avait conclu que l’assassinat, perpétré dans la ville garnison de Rawalpindi au nez et à la barbe des forces de sécurité, aurait pu être évité. Pis, le rapport dénonçait les manigances de l’ISI pour entraver l’enquête. Au lendemain du meurtre, Musharraf s’était empressé – de concert avec la CIA – d’accuser les fondamentalistes du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Baitullah Mehsud, leur chef, avait catégoriquement démenti : « Il n’est pas dans nos traditions de nous en prendre à des femmes… » Le sanguinaire barbu n’en était pourtant pas à un crime près. À l’époque, on attribuait à ses hommes 80 % des attentats commis dans le pays. Aujourd’hui, alors que le très impopulaire Musharraf a quitté le pouvoir depuis deux ans et demi, il est plus facile de l’accuser officiellement de complicité passive. Le 12 février, un tribunal de Rawalpindi spécialisé dans les affaires de terrorisme a franchi le Rubicon en lançant un mandat d’arrêt contre lui. L’ancien dirigeant, qui vit entre Londres et

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INTERNATIONAL 51 Dubaï, n’avait pas daigné répondre aux courriers qui lui avaient été adressés. Et sans doute refusera-t-il de comparaître, le 19 février, devant les juges. Ces derniers se sont appuyés sur les conclusions de la Federal Investigation Agency (FIA), la plus haute instance policière du pays, pour qui Bhutto a été tué par deux hommes du TTP venus du Sud-Waziristan, sans que Musharraf, informé de l’opération, ait rien fait pour

les en empêcher. « Il a facilité la mise en œuvre de cet assassinat, estiment les enquêteurs du FIA. Il n’a pas fourni à Bhutto les mesures de protection qu’elle avait exigées à deux reprises. » « S’il m’arrive quelque chose, j’en rendrai Musharraf responsable. Ses sbires me font me sentir en danger, écrivait Benazir, le 26 octobre 2007, à un ami américain, citant les mesures que le président avait refusé de lui accorder :

utilisation de voitures pourvues de vitres teintées, escorte de quatre véhicules de police pour la protéger de tous les côtés, etc. Aujourd’hui, deux anciens chefs de la police de Rawalpindi, emprisonnés depuis décembre dernier, affirment que Musharraf leur avait demandé de retirer une équipe chargée de la sécurité juste avant le meeting, puis de nettoyer JOSÉPHINE DEDET la scène du crime. ■

Fatima Bhutto NIÈCE DE LʼANCIENNE PREMIÈRE MINISTRE

ZAHID HUSSEIN/REUTERS

« Cʼest Asif Ali Zardari qui a le mieux tiré son épingle du jeu »

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atima Bhutto (28 ans) est la petite-fille de Zulfikar Ali Bhutto, l’ancien président du Pakistan exécuté en 1979. Benazir, sa tante, fut deux fois Première ministre, avant de tomber sous les balles d’un assassin. Mir Murtaza, son père, fut tué par la police, à l’époque (1996) où sa sœur Benazir dirigeait le gouvernement. C’est en hommage à ce père adoré que Fatima a écrit Le Chant du sabre et du sang, qui a paru le 3 février en français (chez BuchetChastel). Elle y retrace l’épopée familiale, inextricablement mêlée à l’histoire du Pakistan. Et la malédiction qui frappe le clan Bhutto : tous les dix ans, l’un de ses membres est tué.

JEUNE AFRIQUE : Votre père a été assassiné en 1996. Dans votre livre, vous accusez Benazir, votre tante, d’avoir commandité ce meurtre… FATIMA BHUTTO : Je n’avais que 14 ans quand mon père a été tué. Ce livre est avant tout une manière de retrouver ce père tendre et aimant, dont je m’étais un peu éloignée. Ce n’est qu’en 2004, au terme de mes études, que je me suis mise à faire des recherches, à contacter des gens qui ont connu mon père. La mort de Benazir a été traumatisante pour moi. Un autre membre du clan Bhutto disparaissait dans des circonstances violentes… Je l’ai pleurée, mais sa mort n’a rien à voir avec l’écriture de mon livre. Vous soulignez les ressemblances entre les deux assassinats… L’un et l’autre ont été tués par balle. Il semblerait que celle qui a tué Benazir l’ait touchée au cou. Mon père avait une blessure à la nuque. Les circonstances de leur mort n’ont pas encore été élucidées. Aucun juge, aucun tribunal ne s’est jamais prononcé sur les responsabilités de la police ou de l’administration pakistanaise dans l’assassinat de mon père. Les policiers impliqués dans la fusillade ont même obtenu de l’avancement. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

Qui a tué Benazir ? Je ne sais pas, tout est tellement confus… À première vue, on est tenté d’incriminer les islamistes, qui, certes, ne voyaient pas le retour de Benazir d’un très bon œil. George W. Bush les a immédiatement montrés du doigt… Étaient-ce les nervis de Musharraf, comme le prétendent les ténors du parti de Benazir? Il faut se demander à qui a profité le crime. À mon avis, certainement pas à Musharraf, qui avait besoin d’elle pour rester au pouvoir. C’était le deal qu’il avait négocié avec les Américains. Celui qui a le mieux tiré son épingle du jeu, c’est le veuf [Asif Ali Zardari]. Personne n’a jamais vu le testament dont il a argué pour succéder à son épouse. Je n’en dirai pas plus. Physiquement, vous ressemblez beaucoup à votre tante, qui avait pour vous une grande affection… Je l’ai beaucoup aimée, moi aussi. Mais, en réalité, tout nous séparait. J’ai grandi en exil; elle, au Pakistan, aux côtés de son père Premier ministre. C’est ce qui explique qu’elle privilégiait la dynastie par rapport à la démocratie. Pour ma part, je ne crois pas au droit de naissance en politique. La dynastie est, par nature, intolérante, exclusive. C’est le contraire de la démocratie. Avez-vous des ambitions politiques ? Je m’intéresse à la politique comme tout citoyen responsable, mais je ne suis membre d’aucun parti. J’aime trop mon indépendance. ■ Propos recueillis par TIRTHANKAR CHANDA


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ILS VIENNENT D’AFRIQUE, ILS ONT RÉUSSI AILLEURS

PARCOURS

Ahmedoune Dida DIAGNE & Terence NIBA Installé à Genève, ce tandem sénégalo-camerounais a créé Money Cash, service international de transfert de fonds. Et travaille aujourdʼhui sur dʼautres projets...

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eptembre 1999 : rentrée universitaire à la cité U de Genève. D’un côté du couloir : Ahmedoune Dida Diagne le noceur, avec ses dîners et soirées à répétition. De l’autre : Terence Niba le réservé, qui, excédé par les décibels de son voisin ou peut-être désireux de se joindre à la fête, vient un soir frapper à la porte 108. À peine trois ans plus tard, Terence Niba et Dida Diagne, associés, montent leur entreprise. Drôle de tandem que ces deux anciens étudiants en économie qui n’ont, a priori, pas grand-chose en commun, si ce n’est un sens presque inné du commerce. « C’est comme ça, explique Terence Niba, je suis un homme d’affaires par excellence. Toujours en train de chercher à créer de la plus-value. À 11 ans, j’avais déjà monté un business de vente de glaces pour me payer de nouveaux pantalons. » Élevé dans le quartier très commerçant de Ndogbati 2, à Douala, Terence Niba avait en effet de qui tenir : un père banquier, marié à une brodeuse qui disposait de son propre atelier. À 3 000 km de là, à Dakar, Ahmedoune Dida Diagne, élevé par un frère aîné n’ayant pas hésité à démissionner d’un poste prestigieux – directeur national de la Régie des chemins de fer – pour monter son entreprise, ne s’imaginait pas autrement qu’en « self-made-man ». C’EST DONC TOUT NATURELLEMENT que Terence Niba et

Ahmedoune Dida Diagne se sont lancés dans des études d’économie, l’un à Yaoundé, l’autre à Saint-Louis du Sénégal. Mais tandis qu’après les cours Terence Niba se retirait au calme pour pratiquer le yoga auquel l’avait initié un camarade de lycée, Ahmedoune Dida Diagne, lui, se faisait tribun et lobbyiste. « J’appartenais à la Coordination des jeunesses panafricaines, un mouvement étudiant, se souvient Diagne. On lisait Senghor, Cheikh Anta Diop. On est allés jusqu’au Mali, au Niger, en Guinée-Bissau, en train et en bus, de nuit et de jour, pour parler du panafricanisme. Ça n’était pas une mince affaire : même aujourd’hui, il est plus facile d’aller de Dakar à Paris que de Dakar au Mali ! Mais on avait des convictions. Nous pensions qu’une Afrique qui se présente sur la scène internationale en ordre dispersé ne pèse pas grand-chose. Aujourd’hui encore, j’attends la création des États-Unis d’Afrique ! » Faute d’États-Unis, ce sont en quelque sor te des « comptes unis » d’Afrique que le tandem Niba-Diagne

a mis sur pied en créant Money Cash, un service qui permet à la diaspora d’envoyer de l’argent au pays à moindre coût. L’entité est créée à Genève en 2004 dans le cadre de la SARL qu’ils ont montée deux ans plus tôt, Osmose Finances, spécialisée dans la comptabilité. C’est bien entendu en faisant la queue au guichet de Western Union que l’idée de Money Cash est venue. « Étudiant, je travaillais chez McDonald’s pour arrondir les fins de mois. C’était rageant de payer des commissions élevées quand j’envoyais de l’argent à la famille, alors que chaque franc comptait », raconte Diagne. 8 janvier « Western Union et MoneyGram 1968 Naissance étaient pour ainsi dire les seuls d’Ahmedoune dans ce secteur, alors ils pouDida Diagne vaient se permettre de grosses à Sakas, Sénégal marges, poursuit Terence Niba. On s’est dit qu’il y avait un marché 20 mai 1974 à développer si nous arrivions à Naissance casser les prix. » de Terence Niba Pour f aire f ac e aux géant s à Bafut, Cameroun q u e s o n t We s t e r n U n i o n e t MoneyGram, Niba e t Diagne 1996 Arrivée jouent sur les tarifs. Mais ils des deux étudiants exploitent aussi un second en Suisse, où ils atout : l’identité africaine. « On intègrent HEC Genève a fait un marketing ethnique. Cela nous a aidés, mais seule2002 Création ment parc e que nous propo de la société sions un produit intéressant, crédible », estime Terence Niba. Osmose Finances Pour asseoir cette crédibilité et 2004 Création du étendre leur réseau, les deux entrepreneurs voient rapide service Money Cash ment la nécessité de s’unir à une 2008 Money Cash grande institution bancaire. En 2008, c’est chose faite : Osmose s’allie au groupe Finances vend 54 % des parts de Banque Atlantique Money Cash au groupe Banque Atlantique, présent dans huit 2011 Terence Niba pays africains. L’accord ouvre la lance Buro+, une porte à 300 guichets supplémengamme de matériel de bureautique vendue taires. Pourtant, convaincre les banques africaines n’est pas touen Suisse jours facile. « On rencontre souJ E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


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Terence et Dida, le 30 avril 2010 à Genève.

vent un certain protectionnisme, explique Diagne. On est une structure jeune, alors, face à des banques qui ont 50 ou 60 ans et souhaitent protéger leurs investisseurs, il est parfois difficile de se positionner. » AVEC 400 GUICHETS DANS LE MONDE , le jeune Money Cash est bien loin derrière le « vieux » leader Western Union, avec ses cent cinquante ans d’histoire et ses quelque 435 000 points de vente. Pas facile de se faire une place dans un contexte de crise économique et face à une concurrence féroce. Mais Kone Nanga, directeur général de la compagnie, affirme sa confiance : « L’appartenance de Money Cash à un groupe financier africain est un véritable avantage sur le continent. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une compagnie venue du Colorado ! Cette proximité avec la clientèle africaine est un véritable atout. » À Genève, Terence et Dida apprécient un « climat économique propice aux affaires » et l’ouverture d’esprit d’une nation cosmopolite. Ils veulent « créer de l’emploi et de la richesse », une manière de répondre à ceux qui « cantonnent l’Afrique à un rôle d’exportatrice d’immigrés profiteurs ». « Créer de l’emploi et de la richesse, participer à ce qui se passe de bien en Suisse » : tel est le credo du duo qui, parallèlement à Money Cash, explore d’autres secteurs. Le premier a ouvert une boîte de

nuit, le second deux bagageries avant de lancer, dans les semaines qui viennent, Buro+, une gamme de matériel de bureautique vendue dans les commerces de proximité. Mariés en Suisse et pères de familles nombreuses, Terence Niba et Ahmedoune Dida Diagne ne se voient plus vivre en Afrique. « En revanche, je prévois d’y emmener mes trois filles, souligne Terence Niba. Il faut voir comme elles ont les yeux qui brillent quand je leur raconte des histoires camerounaises ! » Quand il rentre au pays, il aime partir à la pêche en pirogue, à

« C’est rageant de payer des commissions élevées pour envoyer de l’argent à la famille ! »

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Sakbayeme, près de Pouma, où il a vécu. Mais les deux associés entendent aussi participer à l’économie de leurs pays. Diagne a créé il y a trois ans une boulangerie à Dakar qui emploie une quarantaine de personnes. Quant à Niba, il prévoit d’ouvrir une savonnerie près de Pouma, entre Yaoundé et Douala. « C’est une zone qui se vide parce qu’il n’y a pas d’industries. Il faut y créer de l’emploi ! » Un projet que le businessman entend ensuite dupliquer dans d’autres pays africains… tout en continuant à étendre le réseau Money Cash. ■ CHRISTINA LIONNET

Photo : OLIVIER VOGELSANG pour J.A.


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Mascarade judiciaire

ne fois par semaine, au moins, le juge Viktor Danilkine se rendait discrètement au tribunal de Moscou. Pour y recevoir les ordres de ses supérieurs. S’il subsistait le moindre doute, il vient d’être dissipé par les révélations de Natalia Vassilieva, l’attachée de presse du tribunal : oui, le procès de l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski a été une mascarade. En 2003, l’ancien PDG de Ioukos et son bras droit, Platon Lebedev, ont été arrêtés, puis, en décembre 2010, condamnés à quatorze ans de réclusion pour vol de pétrole. « J’ai compris que la belle histoire selon laquelle le juge ne se soumet qu’à la loi est une fable », a confié Vassilieva, le 14 février, au cours d’un entre-

NATIONS UNIES

L

tien de dix-sept minutes avec le quotidien en ligne libéral gazeta.ru et la chaîne de télévision privée Dojd. Selon son assistante, le juge Danilkine n’a pas écrit son arrêt tout seul, en toute liberté. « Avant même qu’il ne passe à l’énoncé du jugement, le contrôle était permanent, expliquet-elle. Lorsque les choses n’allaient pas dans le sens souhaité, il devait informer le tribunal central de Moscou. En retour, il recevait des instructions sur la conduite à tenir. » Selon la jeune femme, le juge avait commencé à rédiger le verdict, mais c’est un autre qui lui a été imposé. Prévu le 15 décembre, l’énoncé du jugement a été reporté au 27, sans explication. « Toute la communauté judiciaire est parfaitement consciente qu’il s’agit d’un procès arrangé », explique-t-elle. Arrangé par qui? Khodorkovski avait bâti un empire pétrolier en profitant des privatisations de l’ère Eltsine. Depuis 2005, il est incarcéré dans des conditions extrêmes, au fin fond de la Sibérie, près de la frontière chinoise. À son propos, le Premier ministre Vladimir Poutine s’est toujours montré très clair : « Les voleurs doivent rester en prison. » Sans doute l’oligarque lui apparaissait-il comme un rival redoutable dans la perspective de la présidentielle de 2012… Si le tribunal de Moscou dénonce « une provocation », Vadim Kliouvgant, le principal avocat de Khodorkovski, ne se montre pas surpris : « On découvre aujourd’hui ce que nous disons depuis longtemps. » Quant à Natalia Vassilieva, elle risque de payer le prix fort son goût pour la vérité. Dans le pays de Vladimir Poutine, on ne révèle pas impunément JUSTINE SPIEGEL l’envers du décor. ■

Grosse gaffe à la tribune

e 11 fév r ier à New York , Somanahalli Mallaiah Krishna, le ministre indien des Affaires étrangères, qui, il est vrai, n’est plus dans la fleur de l’âge (il a 78 ans), a soulevé l’hilarité générale en lisant par erreur devant le Conseil de sécurité des Nations unies le discours de… son confrère portugais, qui venait de prendre la parole et dont le texte se trouvait malencontreusement devant lui. C’est Hardeep Singh Puri, l’ambassadeur de l’Union indienne auprès de l’ONU, qui, le premier, s’est aperçu de la méprise. Il est vrai que son ministre venait de se féliciter que le Conseil compte désormais, et pour la première fois, deux pays lusophones, le Portugal et le Brésil, dans ses rangs. Krishna est alors passé à la lecture du bon texte,

le sien, mais toute la presse indienne en a fait des gorges chaudes – sans parler de la blogosphère ! Au moment où l’Inde, qui postule à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité, s’efforce de donner une impression de sérieux, de compétence et de responsabilité, cette bévue pouvait difficilement plus mal tomber. Mais on oublie un peu vite que semblable mésaventure est déjà arrivée à un certain Barack Obama, qui, en 2009, avait entrepris de lire à la tribune le discours du Premier ministre irlandais, Brian Cowen. Il s’était interrompu en découvrant qu’il était en train de prononcer un vibrant éloge… du nouveau président américain ! ■ ANDRÉ PAYENNE

S.M. Krishna, le ministre indien des Affaires étrangères.

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SHANNON STAPLETON/REUTERS

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L’ancien PDG du groupe pétrolier Ioukos, pendant son procès.

DENIS SINYAKOV/REUTERS

Les révélations de lʼattachée de presse du tribunal de Moscou le confirment : le procès de lʼex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, en décembre, a été totalement arrangé.


ECOFINANCE |

INDUSTRIE

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COMMUNIC ATION

En Zambie, les entreprises de l’empire du Milieu, confrontées à des conflits sociaux à répétition, sont mal acceptées par la population.

MINES

La fin du rêve chinois? ABSENTES DU SALON MINING INDABA EN AFRIQUE DU SUD, LES FIRMES CHINOISES HÉSITENT À EXPLOITER ELLES-MÊMES DES GISEMENTS ET DÉÇOIVENT LES JUNIORS EN QUÊTE DE CAPITAUX. OU QUAND L’IDYLLE « CHINAFRICAINE » TOURNE AU DÉSAMOUR. CHRISTOPHE LE BEC, envoyé spécial au Cap

L

grande réunion (« indaba », en zoulou) ne compte pas un seul investisseur chinois. Les rares Asiatiques présents sont indiens et japonais. Absents physiquement, les Chinois n’en sont pas moins dans toutes les conversations. « Ils font ici un silence assourdissant », s’amuse, en vieil habitué du salon, un géologue français du Bureau de recherches géologiques et

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es absents ont-ils toujours tort ? À Mining Indaba, le salon africain le plus important du secteur minier, près de 4 500 cadres, selon les organisateurs, se sont donné rendez-vous du 7 au 10 février au Cap. Mais alors que l’appétit insatiable de la Chine pour les matières premières du continent n’est plus un secret pour personne, la

minières (BRGM). « En fait, ils sont là sans être là. Ils ne sont pas à l’aise dans ce type de rencontres, ils préfèrent les négociations intergouvernementales. Cela dit, ils ont délégué ici des Africains qui leur rapportent des informations », indique Aziz Sy, vice-président d’Oromin Sénégal. Les majors présentes en Afrique, comme l’australien Rio Tinto ou le suisse Xstrata, se frottent les mains en évoquant la « voracité » en fer, cuivre, nickel et zinc des industriels de la deuxième puissance économique mondiale. Les spécialistes sud-africains de Randgold Resources et d’AngloGold Ashanti s’extasient devant le boom de leur consommation en métaux précieux, pour les bijoux de la classe aisée

BIBBY/FINANCIAL TIMES-REA

MARCHÉS


56 ECOFINANCE

MONIKIA FLUECKIGER

LES PATRONS NOIRS DE SOCIÉTÉS MINIÈRES sont encore rares, les cadres blancs ultramajoritaires. Le magnat sud-africain des mines Patrice Motsepe, bâtisseur d’African Rainbow Minerals (22 776 salariés), fait figure d’excepPatrice Motsepe Aziz Sy tion, même si son ascen(African Rainbow (Oromin Sénégal). Minerals). sion est contestée en raison de ses liens avec l’ANC, le parti au pouvoir. C’est dans le secteur de l’exploration, moins capitalistique que l’exploitation, que les entrepreneurs noirs sont le plus nombreux, tel Lelau Mohuba, patron de Sephaku Holdings, qui explore des gisements de platine dans le nord de l’Afrique du Sud. « L’accession des Africains à de hauts postes est lente car l’activité minière nécessite des compétences pointues, mais aussi des capitaux massifs. Des talents africains émergent, mais ils ne sont pas nombreux », indique Aziz Sy, ingénieur géologue formé à Dakar, vice-président d’Oromin Sénégal. Pour renverser la vapeur, l’Afrique du Sud a mis en place le National Empowerment Fund (NEF), qui investit dans des sociétés minières créées par des Noirs. Mais dès que celles-ci se développent, des capitaux doivent être levés en Occident, ce qui dilue leurs parts. Cela étant, des majors comme AngloAmerican, Randgold Resources ou Rio Tinto investissent dans la formation de cadres africains, qu’ils n’hésitent pas à faire progresser en interne. ■ C.L.B.

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ou les réserves en or des banques chinoises. Les patrons de juniors évoquent, les yeux brillants, la possibilité de s’associer avec eux pour réaliser les infrastructures dont ils manquent. Un enthousiasme partagé parmi les sinophiles : Niall Ferguson, professeur à Harvard, présente la « Chinafrique » comme un mariage idyllique entre un pays assoiffé de minéraux – et doté d’une trésorerie bien fournie – et un continent regorgeant de gisements inexploités: soit 30 % du volume des réserves mondiales connues de minerais, pour seulement 10 % de la production mondiale actuelle. LE TEMPS DE LA DÉSILLUSION

Mais voilà, la « Chinafrique des mines » est séduisante sur le papier, certes, mais dans les faits l’alliance a bien du mal à prendre forme. Ces deux dernières années, les investissements chinois dans le sous-sol africain se sont multipliés (plus de 7,4 milliards d’euros en 2010), mais il s’agit davantage de prises de participations minoritaires dans des gisements de fer ou de cuivre que de la

D.R.

TIMIDE AFRICANISATION DES CADRES MINIERS

traduction d’une réelle volonté d’implantation. D’ailleurs, la plupart des sociétés chinoises actives sur le continent sont des sidérurgistes – comme Wuhan Iron and Steel Company (Wisco) – désireux de sécuriser leur approvisionnement en fer pour fabriquer de l’acier chez eux, ou des sociétés de BTP – comme China Railway Group (CRG) – qui réalisent des routes ou des voies ferrées. Et dans les rares cas où les Chinois exploitent eux-mêmes un gisement, ils suscitent des réactions vigoureuses. En Zambie, les mines de cuivre gérées par China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC) subissent des grèves à répétition en raison des mauvaises conditions de travail (50 ouvriers sont morts dans une explosion en 2005). À tel point que le président Hu Jintao a préféré éviter le site lors de sa visite dans le pays en 2007. Au Gabon, fin 2009, les ONG ont poussé le gouvernement à renégocier le contrat de China Machinery & Equipment Company (CMEC) sur le gisement de fer de Belinga, qui prévoyait de tracer une route au cœur d’un parc national.

De plus, la Chine n’a plus la cote auprès des miniers. Les juniors d’exploration, qui espéraient bénéficier d’appuis capitalistiques pour mettre au jour de nouveaux gisements, déchantent: « J’ai perdu trop de temps avec les Chinois », peste Michael Hopley, PDG de Sunridge Gold, présent en Érythrée et à Madagascar. « Leur temps de décision est trop lent, alors qu’une petite compagnie comme la mienne a besoin de saisir vite les opportunités », regrette l’Australien. « Les Chinois ne veulent prendre aucun risque. Leur souci n’est pas de gérer un gisement minier, mais d’obtenir un accès garanti à 100 % à du minerai pas cher », déplore Hugo Schumann, di-

« Leur seul souci est d’obtenir un accès garanti à 100 % à du minerai pas cher. » recteur du développement d’Equatorial Resources, qui explore les gisements de fer de Badondo, au Congo. Cet Australien envisageait de s’associer avec un repreneur chinois. Il préfère dorénavant nouer un accord avec une major « plus expérimentée et prête à prendre davantage de risques ». Des Chinois qui ne se révèlent pas toujours très fiables non plus. « Une fois un accord noué, encore faut-il réussir à leur faire tenir leurs engagements, ce qui n’est pas de tout repos », estime Hugo Schumann, au vu des difficultés rencontrées depuis huit mois par son concurrent African Minerals pour finaliser l’investissement de Shandong Iron and Steel Group à Tonkolili, en Sierra Leone (1,3 milliard d’euros). Autre désillusion : la constitution de coentreprises dans l’espoir de lever des capitaux en Bourse. « La plupart des sociétés minières sont cotées à Toronto, Sydney ou Londres. Or il est beaucoup plus facile de lever des fonds en coentreprise avec Rio Tinto ou BHP Billiton, bien connus des investisseurs présents là-bas, qu’avec un partenaire chinois, jugé plus risqué », indique Lance Hooper, vice-président de Kilo Goldmines, une société présente en RD Congo. D’un autre côté, le même reconnaît la « nette amélioration des routes » grâce aux travaux réalisés par des Chinois dans le cadre du méga-accord « Mines contre

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ECOFINANCE 57 infrastructures » entre CRG, Sinohydro et la Gécamines, surnommé le « contrat du siècle », avec 6,7 milliards d’euros d’investissements annoncés.

Sept mégacontrats chinois à problèmes Pays

Gisement

Sociétés

Points de litige

Guinée

Simandou (fer)

Chinalco avec lʼaustralien Rio Tinto

Lʼinvestissement reste à confirmer. Désaccords entre Rio Tinto et Pékin.

Sierra Leone

Tonkolili (fer)

Shandong Iron and Steel Group et China Railway Group (CRG) avec le britannique African Minerals

Lʼopération dʼaudit préalable à la prise de participation de CRG a été extrêmement longue (sept mois).

Côte dʼIvoire

Lauzoua (manganèse)

China National Geological & Mining Corporation avec lʼivoirien Sodemi

Lʼexploitation de la mine nʼa pas encore démarré. Situation politique bloquée.

Niger

Azelik (uranium)

China National Uranium avec le nigérien Somina

Conflits sociaux.

Gabon

Belinga (fer)

China Machinery & Equipment Company

Conflit avec des ONG environnementales.

RD Congo

Katanga (cuivre et cobalt)

CRG et Sinohydro avec le congolais Gécamines

Délabrement de la Gécamines. Contrat dénoncé par lʼopposition.

Zambie

LuanshyaChambeshi (cuivre)

China Nonferrous Metal Mining Company

Conflits sociaux à répétition depuis la mort de cinquante ouvriers en 2005.

Les Chinois se contenteront-ils toujours de consommer du minerai africain et de construire des infrastructures, sans véritablement gérer des mines ? Pour Deborah Bräutigam, universitaire américaine spécialiste des stratégies de l’empire du Milieu en Afrique, « les sociétés chinoises sont peu expérimentées et en sont conscientes. Si elles ont commis des erreurs sur le continent à la fin des années 1990, quand elles y débutaient leurs activités, aujourd’hui leur stratégie a évolué. Elles préfèrent désormais nouer des accords avec des compagnies occidentales, plutôt que de se risquer seules. Elles se montrent aussi plus prudentes dans les pays instables politiquement : en témoigne la suspension des négociations sino-zimbabwéennes en 2010. Mais on est loin d’un abandon du sous-sol africain par la Chine! » D’ailleurs, le désamour des miniers avec les Chinois n’est pas total. Des sociétés de taille moyenne croient toujours à une alliance avec eux: « Dans le fer, les trois majors qui occupent 70 % du marché, Rio Tinto, BHP Billiton et Vale, ne leur laisseront jamais la maîtrise des gisements, car elles veulent les garder comme clients dépendants. Avec

FOTOLIA

CE N’EST PAS UN ABANDON

nous en revanche, ils peuvent prendre la majorité du capital et casser l’oligopole », estime Frank Timis, président d’African Minerals. Pour Masa Sugano, secrétaire économique de l’ambassade du Japon à Pretoria, « les groupes miniers anglo-saxons, qui dominent le secteur, feraient bien de ne pas sous-estimer la capacité d’apprentissage des Chinois. À l’instar du Japon

des années 1970, qui a bâti des sociétés minières et sidérurgiques performantes en dix ans [comme Jogmec, NDLR], on verra d’ici à cinq ans l’émergence de puissants miniers chinois en Afrique », affirme-t-il. Ces futurs géants pourraient s’appuyer sur les actifs de sociétés minières publiques africaines en difficulté, comme la Gécamines en RD Congo. Mais il faudra attendre encore un peu. ■

PRÉSENT À MINING INDABA, JAMES SMITHER, directeur associé chez Control Risks, un cabinet d’analyse politique et sécuritaire, fait le bilan: « La Guinée est le pays sur lequel on nous a posé le plus de questions. Elle vient d’élire un nouveau président et recèle des gisements attrayants de fer, d’or, de diamants et de bauxite. Les sociétés se disent qu’elles ont une carte à y jouer, mais veulent être rassurées sur la stabilité du pays. » Principaux défis pour la Guinée : adopter un nouveau code minier (annoncé pour avril 2011) qui doit, selon Lamine Fofana, le nouveau ministre des Mines, « rééquilibrer les forces en faveur de l’État » sans faire fuir les nouveaux investisseurs; et réaliser des infrastructures portuaires et ferroviaires pour démarrer enfin l’exploitation des gisements de fer du massif du Simandou, qui doivent faire du pays le troisième producteur mondial. Seconde star de la manifestation minière, la RD Congo, au sous-sol oriental immensément riche en cuivre, zinc et cobalt. Après la fin de l’audit de 63 contrats et le retrait de deux permis à First Quantum, le ministre Martin Kabwelulu a tenté de rassurer les investisJ E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

D.R.

GUINÉE, RD CONGO : LES STARS DU SALON DU CAP

Mine de fer du Simandou (Guinée), exploitée par Rio Tinto.

seurs. Il a indiqué que l’audit « appartenait désormais au passé » et précisé que l’interdiction de l’exploitation minière artisanale au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au Maniema était maintenue. D’autres pays ont aussi été très courtisés: Madagascar pour son nickel, son cobalt et son ilménite (oxyde de fer et de titane), le Liberia pour son fer et la Tanzanie pour son uranium. ■ C.L.B.


58 L A S E M A I N E D ’ E C O F I N A N C E CÔTE DʼIVOIRE

TUNISIE

Système financier en danger

Clan Ben Ali: des créances à risques

NABIL ZORKOT POUR J.A.

D’ABORD BICICI, filiale de BNP Paribas, puis Citibank, Access Bank, Standard Chartered, Société générale de banques en Côte d’Ivoire (SGBCI), Banque Atlantique et Banque internationale pour l’Afrique occidentale… Jusqu’où ira la vague de fermeture des institutions financières opérant en Côte d’Ivoire, toutes prisonnières de l’engrenage de la crise postélectorale (suspension de la Commission bancaire, problèmes de compensation, de sécurité et de liquidités)? Au moment où nous mettions sous presse, la Banque régionale de solidarité et Ecobank Côte d’Ivoire s’apprêtaient à leur emboîter le pas. Et les assurances commencent elles aussi à être touchées: Nouvelle Société interafricaine d’assurances (NSIA) et Colina ont déjà fermé leurs portes. Pour contrer cette vague de fermetures, le gouvernement du chef de l’État sortant, Laurent Gbagbo, a annoncé, le 17 février, avoir pris le contrôle de certaines de ces banques, notamment la SGBCI et la Bicici. « L’objectif est de préserver les emplois et d’assurer l’accès des citoyens et des opérateurs économiques à leurs avoirs », a-t-il expliqué. Sept banques ont déjà fermé, dont Banque Surtout, il s’agit pour Gbagbo Atlantique (photo), SGBCI, Citibank… d’assurer les émoluments des fonctionnaires. À elle seule, SGBCI paierait la moitié des 70 milliards de F CFA (106,7 millions d’euros) de salaires versés par l’État ivoirien chaque mois aux fonctionnaires. La Bicici, elle, débourse 7 milliards de F CFA. La fin du mois s’annonce néanmoins tendue pour les particuliers et les entreprises. « Certaines sociétés s’apprêtent à payer leurs employés en espèces », affirme un cadre de la Bicici. Les grandes entreprises se retrouvent aussi dans une situation compliquée. Par exemple, Citibank est le principal financier des opérateurs des secteurs pétrolier et cacaoyer. ■ STÉPHANE BALLONG, avec BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan

LA BANQUE CENTRALE de Tunisie a effectué un diagnostic des crédits contractés par le clan Ben Ali-Trabelsi auprès des banques : 182 entreprises sont concernées, pour un montant de 1,3 milliard d’euros. Plus de la moitié de cette somme a financé quatre projets : Carthage Cement et la Société tunisienne du sucre, de Belhassen Trabelsi, les parts (25 %) de Sakhr el-Materi dans Tunisiana, et la participation de Marwane Mabrouk dans Orange Tunisie. Les risques réels peuvent entraîner pour les banques tunisiennes des pertes s’élevant à 221 millions d’euros.

MAROC

Une manne de subventions LE PREMIER MINISTRE Abbas El Fassi a annoncé le 15 février que son pays injectait 15 milliards de dirhams (1,3 milliard d’euros) supplémentaires dans la Caisse de compensation, chargée de redistribuer cette manne sous forme de subventions aux producteurs de sucre, d’huile, de farine et de gaz de cuisine. Si l’on ajoute ce montant au budget déjà prévu par la loi de finances 2011, la Caisse de compensation dispose désormais de 32 milliards de dirhams, ce qui représente environ 4 % du PIB prévu pour 2011.

EN BREF NIGERIA CONOCOPHILLIPS MET LES GAZ Le pétrolier américain a annoncé vouloir investir 1,3 milliard d’euros dans l’exploration et la production en 2011, dont une partie au Nigeria pour l’utilisation des gaz de torchère.

ALGÉRIE NAISSANCE D’UN GÉANT MINIER Cinq sociétés publiques (Ferphos, ENG, Enof, Enasel et Enamarbre) seront regroupées pour n’en faire qu’une seule, dotée d’un capital social de 5 milliards de dinars (49,4 millions d’euros).

TANZ ANIE AFRICAN BARRICK BRILLE Le producteur d’or coté à Londres, qui exploite quatre gisements tanzaniens, a triplé ses profits en 2010 : 161,2 millions d’euros, a-t-il annoncé, avec une production de 700 934 onces.

MAROC UN INDIEN DANS LE SODA Partenaire de Pepsi dans son pays d’origine, l’indien RJ Corp a racheté au groupe Holmarcom la franchise marocaine du géant américain des sodas. Prix estimé : 75 millions d’euros.

AFRIQUE DU SUD TIGER BRANDS LORGNE DAVITA Le groupe sud-africain de biens de consommation a montré son intérêt pour le rachat du fabricant de boissons Davita, pour 137 millions d’euros. Davita est présent dans 28 pays africains.

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Oceanic Bank et Intercontinental Bank vont changer de mains.

BANQUES

Braderie nigériane PLUSIEURS ÉTABLISSEMENTS, SAUVÉS IN EXTREMIS DE LA CRISE QUI A TOUCHÉ LE SECTEUR EN 2009, DEVRAIENT ÊTRE RACHETÉS DANS LES SEMAINES QUI VIENNENT. PARMI LES CANDIDATS DÉCLARÉS : DES GROUPES LOCAUX ET SUD-AFRICAINS.

L

a saison des fusions-acquisit ion s est of f ic iel lement ouverte au Nigeria. Des neuf banques sauvées de la faillite par la Banque centrale au second semestre 2009 (Afribank, Bank PHB, Equitorial Trust Bank, FinBank, Intercontinental Bank, Oceanic Bank, Spring Bank, Wema Bank et Union Bank of Nigeria), quatre devraient officialiser dans les semaines qui viennent leurs projets de rapprochement avec d’autres établissements. Ce qui marquera le début d’une nouvelle ère, après la sévère remise en ordre du secteur bancaire initiée mi-2009 par Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale. Parmi la multitude de réformes mises en œuvre depuis, quelquesunes ont fait date : la limitation de la durée des mandats des directeurs généraux, la séparation entre activités bancaires classiques et risquées (banque d’investissement, gestion d’actifs, etc.) et, surtout, la création d’une structure de défaisance destinée à accueillir les actifs bancaires pourris – l’Asset Management Company of Nigeria (Amcon) doit récupérer environ 15 milliards de dollars d’actifs (11 milliards d’euros)… « La création de l’Amcon est la décision la plus importante, souligne Jonathan Chew,

directeur d’Imara Asset Management. L’idée est de remettre à zéro la valeur de l’actif net des banques, dans le but de leur trouver des acheteurs. » Adesoji Solanke, analyste à la banque d’investissement Renaissance Capital, a son idée quant aux acquéreurs potentiels : « Access Bank, First City Monument Bank, Fidelity Bank et First Bank of Nigeria nous ont ouvertement annoncé être parties prenantes du processus de cession. » D’après la presse locale, First Bank of Nigeria, premier établissement du pays par le

PHOTO12.COM/ALAMY

ECOFINANCE 59 total de bilan, et Access Bank, septième, seraient respectivement candidats à la reprise d’Oceanic Bank et d’Intercontinental Bank. Plusieurs sociétés de capital-investissement locales seraient également sur les rangs pour l’acquisition d’entités plus modestes (Spring Bank et Afribank), mais aussi d’un autre grand groupe, Union Bank of Nigeria. RETOUR DES BÉNÉFICES

Du côté des acquéreurs étrangers potentiels, la situation est encore confuse, bien que Lamido Sanusi leur ait clairement ouvert les portes du Nigeria. Deux établissements sudafricains, Standard Bank et FirstRand, ont annoncé leur intention de poursuivre ou d’amorcer leur développement. « Stanbic IBTC [filiale de Standard Bank, NDLR] semble décidé à poursuivre sa croissance organique agressive, faisant suite à l’intégration de IBTC Chartered Bank en 2007, explique Adesoji Solanke. Mais la question de savoir si les opportunités actuelles l’intéressent n’a pas de réponse claire. » FirstRand, aujourd’hui absent du pays, est également candidat à l’achat, mais il serait très risqué de commencer son implantation au Nigeria par le rachat d’un groupe en mauvaise santé. D’autant que, globalement, la situation des autres s’améliore nettement : l’effort de provisionnement de 2009 et les nouvelles contraintes en matière de gouvernance portent leurs fruits. Pour l’année 2010, la plupart des grandes banques nigérianes devraient annoncer à nouveau des bénéfices. ■ FRÉDÉRIC MAURY

UBA VOIT TOUJOURS PLUS GRAND RASHEED OLAOLUWA peut ajouter une nouvelle croix à son tableau. Le patron de la division Afrique de United Bank for Africa (UBA) a en effet inauguré, fin janvier, une filiale en RD Congo. Après le Mozambique il y a quelques mois, cette ouverture porte à dix-huit le nombre de pays africains dans lesquels le groupe est actif. Malgré les difficultés connues à domicile, rares sont les banques nigérianes à avoir renoncé à leur politique de développement hors des frontières. Ainsi, Diamond Bank semble bien résolu à inaugurer en 2011 les activités de trois nouvelles filiales, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Togo. Access Bank a quant à lui levé le pied : le groupe, qui a rencontré de nombreuses difficultés en Côte d’Ivoire, ne parvient pas à percer à l’étranger. Enfin, parmi ceux qui ont jeté l’éponge figure Oceanic Bank, qui a annoncé récemment la liquidation de sa filiale en Gambie. Seule la stratégie d’UBA, qui s’appuie notamment sur des manageurs locaux, semble réellement fonctionner. ■ F.M.

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60 ECOFINANCE MALI

Le coton file côté privé TROIS GROUPES SONT EN PASSE DE REPRENDRE DES FILIALES DE LA

COMPAGNIE MALIENNE POUR LE DÉVELOPPEMENT

DES TEXTILES. ILS DEVRONT POUR RELANCER LE SECTEUR.

J

amais le cours de la fibre de coton n’avait atteint des niveaux aussi élevés depuis plus d’un siècle. Le 17 février à New York, il a même dépassé le seuil inédit des 2 dollars la livre. Et il devrait rester élevé pour la prochaine campagne. Ce contexte très favorable est-il de bon augure pour la privatisation du secteur au Mali, dans les cartons depuis 2001? La dernière tentative, amorcée en 2010, vient de franchir l’étape décisive des offres financières. Elle conduira à la désignation des adjudicataires provisoires parmi les candidats à la reprise des filiales de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT). En 2007, après plusieurs essais infructueux, l’État a réorganisé la société publique en holding, avec quatre filiales régionales (Sikasso, Koutiala, Kita et Fana), et réduit les effectifs d’un peu de plus de 300 emplois, les ramenant à un millier, pour rendre leurs cessions plus aisées. Chacune des quatre filiales devra être vendue pour 61 % à des investisseurs privés, 20 % revenant aux pro-

La production nationale pour la campagne 2010-2011 est estimée à 261000 tonnes.

Coton, Yuemei, Olam et Famab), trois sont en passe d’acquérir des filiales. Le chinois Yuemei est intéressé par les entités de Koutiala (Sud-Est), de Sikasso (Sud) et de Kita (Ouest). Le singapourien Olam et le malien Famab (créé par d’anciens cadres de la CMDT et de l’Huilerie cotonnière du Mali) sont en lice pour le site de Sikasso, considéré comme le plus grand. La filiale de Fana (Centre), dont le potentiel est aussi important mais dont l’outil de production est vétuste, n’a séduit aucun investisseur. « On espère boucler l’opération d’ici à avril et permettre aux repreneurs de démarrer la nouvelle campagne en mai », indique Fagnanama Koné, le responsable de la Mission de restructuration du secteur coton, chargée de piloter le processus de privatisation. L’État se défend de brader à des privés une grande partie de la filière. « Nous souhaitons que les filiales cédées soient mieux gérées, mais surtout que l’objet social que nous assignons à la filière coton soit perpétué, voire renforcé », affirme Tiéna Coulibaly, l’actuel PDG de la CMDT, qui rappelle que le secteur (dont 97 % de la production est exportée) fait vivre quelque 3,5 millions de personnes au Mali.

Le singapourien Olam, le chinois Yuemei et le malien Famab sont en lice. ducteurs, 17 % à l’État et 2 % aux salariés de la filière. L’opération achevée, les pouvoirs publics entendent mettre en place une autorité de régulation chargée notamment de contrôler le prix d’achat aux producteurs. Sur les six groupes préqualifiés en octobre (Dagris, Geocoton, Ivoire

Pour couronner de succès la privatisation du coton malien, « il est nécessaire de bien définir le cahier des charges et de préférer parmi les investisseurs ceux qui sont des références dans le coton », conseille de son côté Célestin Tiendrébéogo, directeur général de la Société des fibres et textiles du Burkina Faso (Sofitex). LE BURKINA FASO Y SONGE AUSSI

Car dans le pays voisin aussi, des réflexions sont en cours pour céder à des privés 51 % des 65 % que l’État burkinabè détient dans cette société. Le gouvernement a dû intervenir deux fois depuis 2007 pour soutenir le secteur. D’abord en injectant 34 milliards de F CFA (52 millions d’euros) pour reprendre les parts de Dagris (30 %), puis en recapitalisant une deuxième fois en juin 2010 à hauteur de 16,4 milliards de F CFA. Avec une production estimée à 450 000 tonnes pour la campagne 2010-2011, le Burkina Faso devance désormais le Mali, autrefois leader en Afrique de l’Ouest. De fait, les 261000 t que le pays prévoit pour 2010-2011 – et qui devraient générer des recettes supérieures à 150 millions d’euros – sont nettement en deçà des 625 000 t récoltées en 2000. La privatisation des filiales de la CMDT changera-t-elle la donne? ■ STÉPHANE BALLONG

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RICCARDO VENTURI/CONTRASTO-REA

MASSIVEMENT INVESTIR


Avec la concession du terminal à conteneurs du port de Conakry, nous sommes engagés pour 25 ans dans le développement économique de la Guinée.

Nous en sommes fiers.

Getma International :

Nous croyons en la Guinée


62 ECOFINANCE ACQUISITIONS

Maroc Télécom étend son royaume MAURITANIE, BURKINA, MALI, GABON ET PEUT-ÊTRE BÉNIN… LE GROUPE, QUI PUBLIE SES RÉSULTATS LE 22 FÉVRIER, N’HÉSITE PAS À SIGNER DE GROS CHÈQUES POUR PRENDRE LE CONTRÔLE

D’OPÉRATEURS PUBLICS QU’IL REDRESSE AVEC SUCCÈS.

U

n opérateur public à privatiser ? Si l’appel d’offres concerne un pays d’Afrique francophone, il y a de fortes chances que Maroc Télécom soit sur les rangs des repreneurs. En janvier, le groupe chérifien a confirmé cette stratégie en proposant 45 millions d’euros pour 57 % du capital de Bénin Télécoms, selon nos sources. La compagnie, en grande difficulté, ne compte qu’environ 200 000 abonnés à ses offres GSM et 110 000 pour le téléphone fixe. Désigné comme adjudicateur temporaire, le groupe d’Abdeslam Ahizoune doit encore être confirmé dans son statut d’acquéreur définitif par le président Boni Yayi (voir encadré). Cette offensive arrive quelques semaines après l’accord trouvé avec Libreville pour conclure une fois pour

toutes le rachat de 51 % de Gabon Télécom, pour 61 millions d’euros. Au terme de trois années de négociations, l’État gabonais a finalement accepté de compenser les différentes dettes et créances de l’opérateur public. Après audit, Maroc Télécom avait en effet constaté un endettement de 336 millions d’euros. UNE STRATÉGIE DE PETITS PAS

Le groupe marocain est désormais présent dans quatre pays subsahariens (Mauritanie, Mali, Burkina Faso et Gabon), toujours via un opérateur historique. « La façon dont Maroc Télécom se développe tient à son histoire, décrypte Guy Zibi, du cabinet AfricaNext. D’abord publique, l’entreprise a ensuite été cédée à Vivendi, l’État ne conservant que 30 % du capital. Elle a

MANŒUVRES AUTOUR DE BELL-BÉNIN ARRIVÉ À PARIS le 17 février pour négocier les derniers détails de la vente de Bell-Bénin (quatrième opérateur du pays avec 1 million d’abonnés), son PDG Issa Salifou devrait annoncer sous peu le nom de l’acquéreur. En lice : Maroc Télécom et France Télécom. Le montant de la transaction devrait avoisiner 50 millions d’euros, l’homme d’affaires conservant une minorité de blocage de 33 %. Un dénouement inattendu il y a encore quelques semaines, quand les autorités voulaient le forcer à céder sa société dans un lot incluant Bénin Télécoms. Cette manœuvre, en fusionnant les deux opérateurs, permettait d’augmenter la valorisation de l’entreprise publique et de réduire à quatre le nombre d’acteurs sur le marché du mobile. Nul doute que l’homme d’affaires, également candidat à la prochaine élection présidentielle, a su monnayer chèrement sa liberté. C’est désormais lui qui, en prenant l’initiative, fait figure de faiseur de rois des télécoms. Quel que soit son choix, Boni Yayi, qui n’a pas encore confirmé Maroc Télécom dans son statut d’acquéreur définitif de l’opérateur public, pourrait en effet être tenté de faire son maximum pour que Bell-Bénin et Bénin Télécoms finissent in fine dans les mêmes mains. Reste que, contrairement au groupe chérifien, France Télécom ne semblait pas, encore récemment, convaincu de l’intérêt J.C. d’un « package » regroupant les deux opérateurs. ■

dans ses gènes l’expérience et le savoirfaire pour réussir une privatisation. Si beaucoup d’opérateurs redoutent d’avoir un État comme coactionnaire, ce n’est pas son cas. » Notamment parce que Maroc Télécom sait tirer profit des bons rapports qu’entretiennent le royaume et Mohammed VI avec les pays africains. « Son développement international s’explique par la concurrence accrue à laquelle l’opérateur doit faire face au Maroc, où le taux de pénétration du mobile est supérieur à 100 % », explique Guillaume Touchard, de Sofrecom, le cabinet de conseil de France Télécom. Initiée en 2001 avec la prise de contrôle du mauritanien Mauritel, cette expansion s’inscrit dans une stratégie de petits pas, en fonction des opportunités. « Cela a plus de sens que le coup d’éclat du koweïtien Zain qui, cinq ans après l’achat des filiales de Celtel, a tout vendu à l’indien Bharti », estime Isabelle Gross, du cabinet Balancing Act. Reconnu pour son savoir-faire, Maroc Télécom a gagné tous ses marchés à la suite d’appels d’offres. Une stratégie qui l’a souvent obligé à payer le prix fort pour l’emporter : 220 millions d’euros

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ECOFINANCE 63 cadres. « Les dirigeants marocains ne sont pas toujours préparés aux spécificités subsahariennes. Dans la culture arabe, le management est plus autoritaire, et le respect dû aux aînés moins important », admet un consultant en ressources humaines. Des différences qui, selon lui, expliquent en partie les grèves et les résultats mitigés connus par Onatel en 2008.

Le patron Abdeslam Ahizoune (ici en février 2010, à Casablanca) est un habitué des appels d’offres, qu’il remporte au prix fort.

pour Onatel au Burkina Faso, 275 millions pour Sotelma au Mali. « Deux pays qui possèdent encore un fort potentiel de croissance, avec respectivement 28 % et 36 % de taux de pénétration du mobile », signale Jean-Michel Huet, du cabinet BearingPoint. COUPES CLAIRES

Ces filiales africaines, si elles sont moins rentables que des opérateurs créés à partir de nouvelles licences, sont toutes profitables. Au premier semestre 2010, leur chiffre d’affaires consolidé – 243 millions d’euros – représentait 17,8 % du total du groupe et leur contribution à la marge opérationnelle, 13,3 %. Et les résultats annoncés au troisième trimestre 2010 (les chiffres de l’année écoulée sont communiqués le 22 février) sont plus que corrects aux yeux des experts. Au Burkina Faso, Onatel revendique 44 % de part de marché et une marge opérationnelle de 26,3 %. En Mauritanie, où Mauritel a profité d’un duopole jusqu’en 2006, l’entreprise occupe le fauteuil de leader, avec 53 % de part de marché et une marge de 31,8 %. Au Mali, Sotelma affiche des résultats plus

modestes, avec 26 % de part de marché et une marge de 12,8 %, mais son nombre d’abonnés au mobile a bondi de 185 % en un an. Même Gabon Télécom a pu être redressé et ne perd plus d’argent, avec une marge de 8,9 % pour 35 % de part de marché. Mais le retour aux bénéfices est passé, invariablement, par une coupe claire dans les effectifs. Au Gabon, l’audit a révélé que les charges de personnel représentaient 65 % des coûts de l’opérateur, quand elles se limitent habituellement à 20 % en Afrique subsaharienne. Env iron 800 emplois sur les 1 300 que comptait l’entreprise ont été inscrits dans un plan de licenciement pris en charge par l’État. Même régime draconien au Burkina Faso, avec plus de 200 suppressions de poste, et au Mali, avec 610 départs. Bénin Télécoms n’échappera pas à cette règle, quel que soit son acquéreur. C’est près d’un salarié sur deux qui devrait être poussé vers la sortie. Ces restructurations ont pu laisser des traces, y compris au sein des

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RAFAEL MARCHANTE/REUTERS

MISER SUR LA FIBRE OPTIQUE

Reste que, porté par des succès parfois inespérés, Maroc Télécom devrait poursuivre sa stratégie de croissance externe. D’autant que l’opérateur investit en parallèle dans des réseaux terrestres. Mi-2010, Abdeslam Ahizoune a annoncé la construction de câbles en fibre optique pour relier à partir du Maroc les pays de la région. Des infrastructures qui permettront d’éviter l’achat de bande passante à Sonatel (groupe France Télécom). Les filiales du Gabon, et peut-être bientôt du Bénin, lui offrant par ailleurs un accès direct au câble sous-marin Sat-3, et en 2012 un raccordement au projet ACE (Africa Coast to Europe). Si peu d’observateurs voient Maroc Télécom partir à l’assaut de l’Afrique anglophone, le nom du groupe est évoqué en cas de privatisation de Sotelgui en Guinée. Les parts détenues (25 %) par Sakhr el-Materi, gendre de Ben Ali, dans Tunisiana pourraient aussi devenir un objectif si l’État tunisien venait à les proposer à la vente. Même si l’opérateur chérifien assure ne rechercher que des participations majoritaires. En revanche, la capacité d’endettement de Maroc Télécom, limitée à environ 1 milliard d’euros, selon un analyste financier marocain, ne lui permet pas d’envisager

Sotelgui, Tunisiana et Millicom – avec le soutien de Vivendi – pourraient être des objectifs. de grosses acquisitions comme les actifs africains du luxembourgeois Millicom. Sauf si l’opération devait se faire avec le soutien de sa maison mère. Mais depuis cinq ans, c’est Maroc Télécom qui joue le rôle de vache à lait pour Vivendi, lui redistribuant 100 % de son résultat. Et il n’est pas certain que le groupe français souhaite lui rendre la pareille. ■ JULIEN CLÉMENÇOT


AMINE LANDOULSI/WWW.IMAGESDETUNISIE.COM

Entre le 1er et le 17 janvier, l’indice Tunindex a reculé de près de 11 %.

BOURSE

La panique passée, Tunis fait les comptes A PRÈS UNE SÉVÈRE DÉGRINGOLADE LIÉE AUX TROUBLES POLITIQUES EN DÉBUT D’ANNÉE, LA PLACE FINANCIÈRE

MONTRE DES SIGNES DE REPRISE DEPUIS SA RÉOUVERTURE,

LE

31 JANVIER. M AIS DES INCERTITUDES DEMEURENT.

L

a Bourse de Tunis est dans l’œil du cyclone. Après huit années de croissance, un cru 2009 record couronné par la meilleure performance du continent, et une année 2010 marquée par cinq introductions, les premiers jours de 2011 ont ressemblé à une brutale descente aux enfers. Emportée par une mini-panique boursière déclenchée par la protestation populaire et la perspective du renversement du président Ben Ali, la Place de Tunis a dû en partie son salut à la suspension de ses activités, le 17 janvier. L’indice principal du marché, Tunindex, affichait alors un recul de près de 11 % depuis le début de l’année, les valeurs les plus liées à la famille de l’ancien président (le concessionnaire automobile Ennakl et le cimentier Carthage Cement) accusant des pertes respectives de 21,7 % et 16 %. La fermeture semble avoir calmé les esprits. Depuis la réouverture le 31 janvier, la tendance reste certes hésitante d’un jour à l’autre, mais la dégringolade a cessé – sauf pour les sociétés liées au

clan Ben Ali (voir tableau). Dégâts liés aux pillages, conséquences de la crise sur l’activité, exposition des banques… La situation économique des entreprises commence à se clarifier. Les opportunistes profitent du début de reprise pour solder leurs positions : « Certains ont fait de belles affaires et soldent depuis une dizaine de jours des titres qu’ils avaient achetés à bas prix début janvier », souligne un intermédiaire. Les investisseurs étrangers observent la situation dans le calme. Tel Nicolas

Clavel, gérant du fonds panafricain Scipion Capital : « Les événements ne nous ont pas incités à réduire notre encours sur le pays, mais plutôt à voir dans quelle mesure il était opportun d’augmenter nos positions. » INTRODUCTIONS COMPROMISES

Les perdants potentiels commencent à être connus : les assureurs, qui devraient payer une lourde facture à la suite des dégâts ; les banques, dont les risques liés aux crédits accordés à des membres du clan Ben Ali restent incertains ; enfin, les sociétés dont l’activité a un lien direct avec la consommation. « C’est le cas du secteur de la distribution organisée, qui pourrait pâtir du ralentissement de la consommation lié à la perte de pouvoir d’achat, souligne Aymen Ben Zina, analyste financier chez Attijari Intermédiation. Les concessionnaires sont aussi impactés par l’arrêt actuel des importations de véhicules pour une durée indéterminée et restent dans l’incertitude quant aux nouveaux quotas d’importation qui leur seront accordés. » Dans les sociétés liées aux membres de la famille Ben Ali en exil, des changements sont intervenus au niveau des directions, et les investisseurs se réjouissent de la perspective d’un holding qui récupérerait les actifs du clan dans les sociétés cotées. Reste désormais à donner aux épargnants davantage de visibilité quant au programme d’introductions en Bourse fixé pour 2011. La cotation de Tunisie Télécom a été purement et simplement annulée. Celle de Tunisiana paraît invalidée par la présence au capital de Sakhr el-Materi, gendre de l’ancien président. L’introduction de Telnet semble en revanche toujours sur les rails. De quoi donner un coup de fouet au marché ? ■ FRÉDÉRIC MAURY

LES VALEURS FAMILIALES À L’AMENDE Entreprise

Famille

Variation depuis le début de l’année (en %, au 16.2)

Banque internationale arabe de Tunisie (Biat)

Mabrouk

– 10,2 %

Banque de Tunisie

Trabelsi

– 14,4 %

Monoprix

Mabrouk

– 19,1 %

Trabelsi

– 28,9 %

El-Materi

– 32,5 %

Carthage Cement Ennakl

Source : BVMT J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


LE DOSSIER AGROALIMENTAIRE

Nestlé doit investir 1 milliard de dollars sur le continent d’ici à 2013, aussi bien dans des usines de transformation que dans des filières de production.

MARCHÉ

LʼAfrique aiguise les appétits FUSIONS-ACQUISITIONS, ACHATS DE TERRES, COENTREPRISES… LE CONTINENT ATTIRE DES INVESTISSEURS VENUS DE

TOUTE LA PLANÈTE, ASSURÉS D’Y TROUVER LA RÉPONSE

À DES BESOINS MONDIAUX EN NOURRITURE QUI NE CESSENT

D’AUGMENTER.

TOUR D’HORIZON D’UN GRENIER EN DEVENIR.

MICHAEL PAURON

S

ucre, huile, cacao… pas une matière première produite sur le continent n’échappe aux appétits des grands groupes mondiaux. Fusions-acquisitions, achats de terres, coentreprises… Le secteur est en pleine mutation. ADM, Nestlé, Olam, Wilmar, Cargill, Bunge… A méricains, Européens, Asiatiques… tous sont présents et, pour certains d’entre eux, 2010 a été l’année de la conquête africaine. Parmi les dernières opérations en date, celle du leader de la bière en Afrique, le français Castel, qui a ra-

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cheté le 3 janvier 45 % du capital du groupe agro-industriel Somdiaa, présent dans l’activité sucrière au CongoBrazzaville, au Cameroun et au Tchad. Objectif : constituer un champion de l’agro-industrie en zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). De fait, le sucre, porté par des cours à la hausse, fait l’objet d’une série d’opérations depuis quelques mois sur le continent (voir p. 70). Le français Cristal Union a ainsi réalisé son premier investissement africain en Algérie, en lançant la construction

© NESTLÉ

DE JEUNE AFRIQUE


66 DOSSIER AGROALIMENTAIRE d’une raffinerie près d’Alger avec son homologue local La Belle. Face à une surproduction européenne, investir hors du Vieux Continent permet notamment au groupe français d’échapper à la quasi-interdiction d’exportation imposée par Bruxelles. DES BESOINS COLOSSAUX

Les opportunités de business sont réelles et répondent autant à des besoins d’investissement locaux qu’à une nécessité de trouver de nouvelles ressources pour satisfaire une demande mondiale croissante. Selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), rien qu’au sud du Sahara, le montant global cumulé des investissements agricoles devrait s’élever à 940 milliards de dollars d’ici à 2050 (environ 700 milliards d’euros), dont 66 % affectés à l’agro-industrie : 207 milliards pour le premier stade de transformation, 159 milliards pour les installations de s m a r c hé s r u r au x et de g r o s, 115 milliards pour les sources d’énergie et matériels divers, 78 milliards pour les dispositifs de chaîne de froid et d’entreposage, et 59 milliards pour la mécanisation. Les besoins sont colossaux. « Le développement de l’agro-industrie en Afrique exigera une injection massive d’investissements en capital fixe et de fonds de roulement », relève dans son programme-cadre l’Initiative pour le développement de l’agrobusiness et des agro-industries en A frique (ID3A). En ligne de mire : les investisseurs privés. Le leader mondial de l’alimentaire Nestlé a pris acte. Non seulement le groupe suisse (2,6 milliards d’euros de

chiffre d’affaires en Afrique) compte sécuriser ses approvisionnements afin de baisser et de stabiliser le prix de ses matières premières, mais il veut aussi pouvoir bénéficier de la montée en puissance des classes moyennes pour écouler ses produits. Conséquences : le groupe investira 1 milliard de dollars d’ici à 2013, tant dans des usines de transformation (Ghana, Algérie, Nigeria, RD Congo, Angola, Mozambique…) que dans les filières de production (« plan Nescafé » et « plan cacao »). Avec pour objectifs de f idéliser les planteurs et de leur acheter en direct (Cargill étant aujourd’hui s o n p r i n c i p a l f o u rnisseur), d’ici à 2015, près de la moitié de ses approv isionnements, soit 23 000 t sur 50 000. Sa dernière ouverture d’usine, en février au Nigeria, a nécessité un investissement de 94 millions de dollars. Et la prochaine, à la fin du mois en RD Congo, représente un coût de 40 millions de dollars. Face au groupe suisse, l’offensive la plus impressionnante vient à n’en pas douter d’Asie. Avec huit opérations en un an, le singapourien Olam (voir p. 79) réalise déjà près de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires sur le continent. Dans son sillage, son compatriote Wilmar (près de 30 milliards de dollars de capitalisation boursière) tente aussi de s’imposer comme acteur de premier plan en Afrique. En décembre 2010, le groupe spécialisé dans l’huile de palme a annoncé la création de deux coentreprises au Nigeria avec l’anglais PZ Cussons. Une raffinerie

d’huile de palme et une branche de distribution (notamment de margarine) mobiliseront quelque 27,5 millions de dollars côté Wilmar et 27 millions côté PZ Cussons. En février, la multinationale s’est en outre payé le ghanéen Benso Oil Palm Plantation (détenu à 58,45 % par l’américain Unilever), pour 14 millions d’euros. Et ce n’est pas fini. C’est dans le Liberia voisin que le malaisien Sime Darby est venu s’installer – pour la première fois en Afrique – pour planter 10 000 ha (sur une concession de

Le singapourien Wilmar vient de se payer Benso Oil Palm Plantation, au Ghana.

AU CAMEROUN, CADYST-INVEST LANCE UNE USINE DE SEMOULE LE HOLDING CADYST-INVEST, dirigé par le Camerounais Célestin Tawamba et diversifié dans l’industrie pharmaceutique et l’agroalimentaire, inaugurera au début du quatrième trimestre 2011 une usine de semoule de blé dur, qui emploiera quelque 120 personnes. D’un montant de 2 milliards de F CFA (environ 3 millions d’euros), l’investissement porte sur une capacité de production de 130 t de semoule par jour, destinée à approvisionner toute la sous-région. Déjà propriétaire de deux usines de pâtes alimentaires (Panzani Cameroun et La Pasta) et de 14 minoteries, la branche agroalimentaire de Cadyst-Invest dégage annuellement un chiffre d’affaires de 30 milliards de F CFA. Le groupe détient également une usine de médicaments génériques. ■ M.P.

220 000 ha d’une durée de soixantetrois ans) et investir plus de 16 millions d’euros. UN RÉSERVOIR POUR LA CHINE

Le géant chinois ne pouvait rester inactif. Olives tunisiennes, café ougandais, huile d’arachide sénégalaise, graines de sésame éthiopiennes… Pékin, dont la demande intérieure de produits alimentaires ne cesse de croître et les surfaces de production, de se raréfier au profit de zones industrielles, est dans un premier temps devenu un client glouton. Mais l’idée de l’empire du Milieu est aujourd’hui de profiter des besoins africains en financements et en technologies pour s’imposer comme producteur, et s’affranchir ainsi des intermédiaires tout en augmentant ses approvisionnements made in Africa. Aujourd’hui, les ressources primaires – pétrole et mines – représentent 90 % des importations chinoises en provenance du continent, contre seulement 3 % pour l’agrobusiness. « L’Afrique peut devenir un réservoir de nourriture pour les 1,3 milliard de Chinois », estime Andrew Leung Kinpong, analyste du quotidien South China Morning Post (Hong Kong). De fait, le mouvement est déjà amorcé : les exportations agroalimentaires de l’Afrique du Sud (deuxième pays africain partenaire de Pékin après l’Angola) vers la Chine ont plus que doublé en 2010 par rapport à 2009, pour atteindre plus de 65 millions de dollars. Européens et Américains n’ont qu’à bien se tenir. ■

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EXPERTISE

PA RT E N A R I AT


68 DOSSIER AGROALIMENTAIRE

INTERVIEW

Aliou Tomota

PDG DU GROUPE TOMOTA

« LʼHuilerie cotonnière du Mali peut être rentabilisée »

E

n 2005, Aliou Tomota rachetait pour 9 milliards de F CFA (13,7 millions d’euros) l’Huilerie cotonnière du Mali (Huicoma). Son ambition: faire de son groupe un acteur agro-industriel de premier plan dans la sous-région. Cinq années se sont écoulées et l’homme d’affaires malien n’est jamais parvenu à relever l’ancienne entreprise publique. Pis, ses trois usines sont désormais à l’arrêt total, faute de matière première. Pour relancer la machine, Aliou Tomota, 53 ans, déjà présent dans l’imprimerie, la distribution et le BTP, mise désormais sur la production d’oléagineux. JEUNE AFRIQUE : Pourquoi n’avezvous pas réussi à faire véritablement tourner Huicoma depuis son rachat ? ALIOU TOMOTA : D’abord, la dette de l’entreprise quand nous l’avons rachetée était de près de 20 milliards de F CFA, largement plus que les 6 milliards annoncés lors de la signature du contrat. De plus, la baisse des cours mondiaux du coton au cours des cinq dernières années a fait chuter la production. De fait, la Compagnie malienne de développement des textiles, qui a le monopole de la commercialisation du coton, ne nous a livré que 91 000 tonnes de graines pour la campagne 20052006, alors que notre capacité totale de trituration est de 350000 t. Conséquence : en cinq ans, nos trois usines n’ont tourné que six mois à temps plein.

À 53 ans, il est à la tête d’un groupe présent notamment dans le BTP et l’imprimerie.

Pourquoi ne pas vous être désengagé de l’entreprise ? Parce que nous croyons en l’agriculture et que nous pensons que cet investissement peut être rentabilisé. Nous disposons pour cela d’un atout certain : les marques et les produits Huicoma jouissent d’une bonne image au Mali, notamment dans l’huile alimentaire. Votre investissement avait été qualifié de très ambitieux en 2005, et on vous reprochait de ne pas connaître le métier d’huilier… Depuis plus de trente ans, j’ai toujours réussi ce que j’ai entrepris. Si Huicoma s’est retrouvé dans la situation de faillite qui a conduit à sa cession, c’est parce que l’entreprise, bien que dirigée par des professionnels, était mal gérée. Une bonne gestion, telle est la clé du succès que nous comptons apporter pour rendre l’entreprise bénéficiaire. Comment comptez-vous relancer Huicoma ? Pour alimenter les usines, nous investissons dans la production d’oléagineux. Nous produisons déjà du tournesol, de

l’arachide et du coton, en expérimentation sur 2 000 ha dans la zone de l’Office du Niger. Nous envisageons, si les tests sont concluants, de nous étendre progressivement sur 140 000 ha. Combien cela vous a-t-il coûté ? Quelque 15 milliards de F CFA pour l’achat des systèmes d’irrigation, des machines, des tracteurs et des intrants. Nous nous sommes appuyés sur l’expertise technique d’ingénieurs indiens, qui forment par ailleurs nos propres employés. Nos investissements se font notamment sur fonds propres, mais nous négocions actuellement l’appui d’investisseurs institutionnels. Quel impact l’échec du rachat de Huicoma a-t-il eu sur vos autres activités ? La digestion de cet investissement a été difficile. Mais nous nous appuyons sur les autres filiales du groupe, qui se portent bien, pour couvrir une partie des 20 milliards de F CFA de pertes générées par Huicoma depuis son rachat. ■ Propos recueillis par STÉPHANE BALLONG et MAHAMADOU CAMARA, à Bamako

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DAOU BAKARY EMMANUEL POUR J.A.

CINQ ANS APRÈS LE RACHAT DE HUICOMA, SES USINES SONT À L’ARRÊT. POUR LES ALIMENTER, L’HOMME D’AFFAIRES INVESTIT DANS LA PRODUCTION D’OLÉAGINEUX.



70 DOSSIER AGROALIMENTAIRE de satisfaire le marché national, mais aussi de saisir les opportunités offertes par la hausse de la demande mondiale. Alors que le déficit annuel du Sénégal en sucre tourne autour de 60 000 t, Aliko Dangote compte produire plus de 100 000 t par an à partir des 40 000 ha qu’il a obtenus du gouvernement sénégalais.

DOUCOURE/APA

EN ALGÉRIE AUSSI

Raffinerie de la Compagnie sucrière sénégalaise, à Richard-Toll.

SUCRE

Yes we canne! DES PAYS AFRICAINS AUJOURD’HUI DÉFICITAIRES POURRAIENT DEVENIR, D’ICI À QUELQUES ANNÉES, EXPORTATEURS. C’EST LA CONSÉQUENCE DE LA FLAMBÉE DES COURS : LES INVESTISSEMENTS AFFLUENT ET LES PLANTATIONS S’ÉTENDENT.

E

n 2030, la demande mondiale de sucre devrait avoir augmenté de 50 % par rapport à aujourd’hui, soit 90 millions de tonnes supplémentaires, selon le négociant Czarnikow. Principale raison : la hausse de la consommation dans les pays émergents et les pays en développement. De fait, depuis plusieurs mois déjà, des tensions sont perceptibles sur les cours : le sucre a atteint 845 dollars la tonne début février, son plus haut niveau depuis 1987, début de sa cotation à Londres. Du coup, de nombreux investissements affluent en Afrique, afin de combler le déficit des marchés intérieurs mais aussi de développer l’exportation. Au Mali, outre le projet sucrier de Markala, financé par la Banque africaine de développement (BAD) à hauteur de 65 millions d’euros (190 000 t de sucre et 15 millions de litres d’éthanol), deux grosses unités de culture et de transformation de la canne à sucre sont en cours de réalisation dans la région de Ségou : Sukala, avec l’appui de la Chine, et Sosumar, avec le sud-africain

Illovo, leader africain du secteur. Au total, ces deux complexes mobiliseront 35 000 ha de terres irriguées à partir du fleuve Niger et pourront produire jusqu’à 250 000 t de sucre par an, alors que le déficit actuel du Mali n’est que de 115 000 t. Illovo, filiale du conglomérat britannique Associated British Foods, ne compte d’ailleurs pas que sur le Mali pour développer sa présence sur le marché mondial, avec un accroissement prévu de s e s e x p or t at i o n s depuis le Mozambique, le Malawi, le Swaziland et la Zambie. Au Sénégal, la vallée du fleuve et ses possibilités d’irrigation attirent les planteurs de canne à sucre. Le monopole de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) du « roi du sucre », le Français JeanClaude Mimran, est en train d’être remis en cause par l’arrivée d’un concurrent d’envergure, l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote, entrepreneur le plus riche d’Afrique. Là aussi, il ne s’agit pas simplement

Même l’A lgérie, qui ne produit pourtant ni betterave ni canne à sucre – au contraire, le pays figure parmi les dix premiers importateurs de sucre au monde –, s’intéresse au marché mondial. Dans un pays réputé pour avoir multiplié depuis 2009 les obstacles à l’entrée des investisseurs étrangers, le groupe sucrier français Cristal Union s’est associé, après dix-huit mois de négociation, avec son homologue privé algérien La Belle, un acteur de l’agroalimentaire présent dans la production et le négoce de pâtes, de semoule, de café… Fin janvier, les deux partenaires ont officialisé leur accord pour la construction d’une raffinerie de sucre de canne à Ouled Moussa, dans la région de Boumerdès, à 50 km à l’est d’Alger, qui emploiera 250 personnes et produira 350 000 t de sucre par an. Un investissement de 70 millions d’euros. Cristal Union détient 35 % du capital de la raffinerie, contre 65 % pour le groupe La Belle. Il n’empêche : c’est le groupe français qui pilotera et gérera l’investissement. Sur place, les travaux de génie civil sont quasiment terminés. Le démarrage de l’activité est prévu au début de 2012, mais le projet comporte d’ores et déjà une deuxième phase, qui pré-

Au Mali, deux nouveaux complexes pourront produire jusqu’à 250 000 t par an. voit de porter la production annuelle à 700 000 t de sucre d’ici à quatre ans. L’association Cristal Union-La Belle rejoindra alors dans la cour des grands le premier groupe privé algérien, Cevital, qui a déjà annoncé qu’il augmentera la capacité de production de sa raffinerie de sucre de Béjaïa de 1,8 million à 2 millions de tonnes en 2011. ■ ANTOINE LABEY et JEAN-MICHEL MEYER

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DOSSIER 71

DAMOURETTE/SIPA

60 % pour l’achat de bateaux, il semble que l’argent ait été utilisé à d’autres fins. Si bien que les autorités algériennes ont lancé une action en justice contre onze propriétaires de thoniers, qui pourraient être condamnés à rembourser 20 % de la subvention.

La Libye a opté pour une cession de ses droits à des navires étrangers. Les nouvelles autorisations de pêche dans l’est de l’Atlantique et en Méditerranée (ici au large des îles Baléares) ont baissé de 5 % par rapport à 2010.

THON ROUGE

Des quotas qui fâchent

LES RESTRICTIONS DE PÊCHE PROVOQUENT LA COLÈRE D’A LGER. MAIS, CALCULÉES SELON LES PRISES DE L’ANNÉE PRÉCÉDENTE, ELLES RÉVÈLENT SURTOUT UN SECTEUR AU POINT MORT.

P

olémique à Alger. Le pays a vu son quota de thon rouge se réduire comme peau de chagrin, soit 1 % des prises dans l’est de l’Atlantique et en Méditerranée. Dans cette zone, les autorisations de pêche s’élèvent à 12 900 tonnes pour 2011 (soit 5 % de moins qu’en 2010), dont 56,3 % pour l’Union européenne, 9,5 % pour le Maroc, 7,9 % pour la Tunisie… L’Algérie est ainsi privée des quatre cinquièmes de son quota de 2010, attribués principalement à la Libye et à la Turquie, qui voient en conséquence leurs parts augmenter respectivement à 7 % et 4,1 %. Cette réduction découle de l’absence de pri-

ses par l’Algérie l’an dernier. « On ne voit jamais les Algériens dans les groupes de travail ni dans les grandes réunions de la Cicta [Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, qui gère aussi les quotas en Méditerranée, NDLR], et ils ne disposent pratiquement d’aucune flottille de pêche », estime un observateur indépendant. ASSISES NATIONALES

Le ministre algérien de la Pêche, Abdallah Khenafou, ne l’entend pas de cette oreille. Alors que le secteur de la pêche s’est vu octroyer une subvention publique de 248 millions d’euros, dont

L’affaire met en exergue un secteur algérien en souffrance. En octobre dernier, à l’occasion des Assises nationales de la pêche organisées à Alger, le ministère a fixé des objectifs ambitieux pour les quatre prochaines années. Cependant, malgré cette prise de conscience, rien n’indique que l’Algérie récupérera ses quotas. Pour la Cicta, les restrictions de pêche sont indispensables si l’on ne veut pas assister à court terme à la disparition totale de l’espèce, alors que la capture illégale de thon rouge aurait représenté environ 2,7 milliards d’euros entre 1998 et 2007. En Libye, le problème a été abordé différemment. Le pays a opté depuis longtemps pour une cession de son quota global à des navires étrangers. La plus grosse compagnie de pêche libyenne, contrôlée par un fils de Kaddafi, a créé des coentreprises avec des pêcheurs européens, japonais et turcs. Ses bateaux, immatriculés en Libye, sont exploités par les pêcheurs étrangers associés, rétribués avec une partie de la pêche. ■ ANTOINE LABEY et MICHAEL PAURON


72 DOSSIER AGROALIMENTAIRE MAROC

Vin trois étoiles, potentiel mondial

LES PRODUCTEURS SOIGNENT LE MARCHÉ CHÉRIFIEN EN METTANT L’ACCENT SUR LA QUALITÉ. AVEC POUR OBJECTIF, À TERME, DE SE FAIRE UNE PLACE DE CHOIX À L’INTERNATIONAL.

res de l’ordre de 450 000 euros en 2010. Là aussi, la qualité constitue le maître-mot, avec notamment une cuvée « spéciale » (20 000 bouteilles par an à 150 dirhams, soit environ 13 euros) déclinée en blanc, en rouge et en rosé. Miser sur le haut de gamme a permis à Val d’Argan de conquérir

royaume, également propriétaire des Celliers de Meknès. Une acquisition qui permet à ce dernier de compléter sa gamme par le haut, avec, en plus du tandem, des vins fins tels qu’aït souala, S de siroua ou CB initiales. Aujourd’hui, la consommation « hors domicile » haut de gamme – grands restaurants et chaînes hôtelières internationales en tête – représente environ 30 % des 9 millions d’euros de chiffre d’affaires de Thalvin. Face au poids lourd Brahim Zniber, qui accapare près de 80 % de part de marché au plan national, d’autres vignobles tirent progressivement leur épingle du jeu, à l’image de Val d’Argan, dans la région d’Essaouira, dans le sud du pays. Créé en 1994 par le Français Charles Mélia, propriétaire du Château de la Font du Loup, à Châteauneuf-duPape (dans le Vaucluse, en France), le domaine a donné en 2000 sa première cuvée. Il en sort quelque 120 000 bouteilles par an, pour un chiffre d’affai-

Les Celliers de Meknès, propriété du Monsieur Vin marocain, Brahim Zniber.

Miser sur le haut de gamme permet de conquérir une clientèle « hors domicile ». une clientèle « hors domicile » comme le groupe Accor, avec ses hôtels Sofitel d’Essaouira, de Fès et de Marrakech. ENCORE PEU D’EXPORTATIONS

BERTRAND RIEGER/HEMIS.FR

S

i leur réputation internationale reste encore à asseoir, les vins marocains (100 millions d’euros de chiffre d’affaires) ont déjà eu l’occasion de faire leurs preuves en s’invitant à quelques tables gastronomiques. « Pendant longtemps, le tandem a figuré sur notre carte », confirme ainsi le sommelier du Plaza Athénée, restaurant trois étoiles du 8 e arrondissement de Paris. Le tandem, un syrah dont le premier millésime date de 2005, est le fleuron de la société Thalvin, qui exploite un certain nombre de vignobles au Maroc, dont l’historique domaine des Ouled Thaleb, à Ben Slimane, à 50 km à l’est de Casablanca. Le potentiel commercial haut de gamme des vins marocains n’a pas échappé longtemps aux grands groupes. En 1991, Thalvin est racheté en totalité par son compatriote Ebertec, distributeur de vins et spiritueux. Dix ans plus tard, Ebertec tombe à son tour dans l’escarcelle de Diana Holding, présidé par l’incontournable Brahim Zniber, le Monsieur Vin du

La qualité des vins marocains est de surcroît un atout qui pourrait leur permettre de se faire une place de choix à l’export. De plus, confronté à une croissance du marché national qui s’effrite (+ 1 % en 2010), Ebertec fait de l’international un « axe de développement prioritaire », selon Jean-Pierre Dehut, son responsable export. Mais la capacité de production est pour l’heure insuffisante. « Il est inutile d’avoir une croissance de 100 % en Chine si, derrière, notre production ne peut pas suivre », explique Nicolas Chain, responsable marketing chez Ebertec. De fait, le marché marocain accapare aujourd’hui la majeure partie des productions haut de gamme de Brahim Zniber : sur les 4 millions de bouteilles produites annuellement par Thalvin, les exportations se limitent à environ 500 000 bouteilles. Mais l’obtention récente d’un bail emphytéotique de 2 500 ha (portant son total à 4 000 ha) pourrait permettre à la société d’atteindre les objectifs ambitieux qu’elle s’est fixés: + 30 % d’exportation par an d’ici à 2017. Les pays de l’Est (Pologne, Estonie, Lituanie) et d’Asie (Japon, Chine) sont les principaux relais de croissance en ligne de mire. ■ IDIR ZEBBOUDJ

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Nous avons grandi avec l’Afrique Le groupe Advens est le partenaire agroalimentaire de l’Afrique depuis plus de 20 ans. Avec ses filiales Suneor et Geocoton, Advens valorise les filières agricoles de l’arachide et du coton, deux ressources essentielles pour le continent. Premier groupe à s’appuyer sur des partenariats gagnantgagnant avec tous les acteurs, du cultivateur au consommateur, Advens participe activement à l’essor de l’Afrique.

Partenaire de l’essor de l’Afrique


74 ECOFINANCE OLÉICULTURE

Maghreb: la course à lʼolive FACE AU PLAN D’EXPANSION MAROCAIN BASÉ SUR UNE

VALORISATION DES TERROIRS, LA TUNISIE, PREMIER

PRODUCTEUR DE LA RÉGION,

REVOIT SON POSITIONNEMENT.

A

vec 1,7 million d’hectares d’oliveraies – soit un tiers de ses terres agricoles – et une production de 110 000 tonnes d’huile d’olive en 2010 (dont 75 % à destination de l’Europe), la Tunisie demeure le premier producteur maghrébin et le quatrième au niveau mondial, derrière l’Espagne, l’Italie et la Grèce, mais devant le Maroc (cinquième) et l’Algérie (septième, voir encadré). Vendue pendant des décennies en vrac comme huile de coupe, la production tunisienne est en quête de positionnement et, pour se valoriser, mise notamment sur le conditionnement. Les premiers résultats indiquent que ce créneau est porteur: 7570 t d’huile mise en bouteille ont été exportées en 2010, contre 1 600 t en 2006. Toutefois, si l’objectif qualité est atteint, la commercialisation souffre encore de l’absence d’appellation d’origine contrôlée et de label. La Tunisie a pris le virage alors que, dans son rétroviseur, un outsider affiche des objectifs pour le moins ambitieux. Le Maroc, avec ses 680 000 ha d’oliveraies, ne produit que 3 % de l’or vert mondial, mais entend doubler sa surface

À Tebourba, non loin de Tunis, les Moulins Mahjoub ont misé sur le bio.

d’exploitation à l’horizon 2020, à plus de 1,2 million d’hectares. En consacrant à la plantation d’oliviers une majeure partie des fonds alloués par le programme américain Millennium Challenge Corporation (plus de 500 millions d’euros sur cinq ans), l’Agence du partenariat pour le progrès compte imposer le pays, à moyen terme, comme un producteur mondial incontournable. Surtout, le royaume veut faire de l’oléiculture un secteur stratégique pour son développement. « Certaines régions présentent

EN ALGÉRIE, UNE FILIÈRE À RÉORGANISER AVEC 100 000 EXPLOITANTS qui se partagent plus de 300 000 ha, l’Algérie, qui ambitionne de couvrir 500000 ha d’ici à cinq ans, recourt aux plantations intensives et vise un fort rendement – une stratégie que la Tunisie avait fini par abandonner, face à l’appauvrissement des sols et la perte de variétés locales. Septième producteur mondial, l’Algérie produit en moyenne 50000 tonnes d’huile d’olive, absorbées principalement par le marché local. Outre ses méthodes de production, Alger entend revoir aussi ses capacités de transformation et de conditionnement, une première étape avant de s’attaquer aux exportations. ■ F.D.

POL GUILLARD/LES MOULINS MAHJOUB

ET CHERCHE DE NOUVEAUX DÉBOUCHÉS À L’EXPORT.

des atouts considérables pour faire de cette activité un pôle de développement économique et social et de promotion des exportations », indique, un peu convenu, Noureddine Ouazzani, directeur de l’Agro-pôle Olivier de Meknès. En renouant avec la culture de l’olivier, le Maroc a d’emblée axé sa politique sur une valorisation des ter roirs. Un marketing haut de gamme, même si pour l’instant les méthodes de production restent souvent artisanales (95 % du process est encore traditionnel) et que seules les nouvelles exploitations, comme celles des fermes de Béni Mellal, à 200 km au sud-est de Casablanca, répondent aux normes de qualité exigées pour l’export.

LA BATAILLE DE LA QUALITÉ

La bataille entre Tunis et Rabat pourrait se faire sur le plan de la qualité. « Le Maroc a déjà une longueur d’avance, affirme un grossiste italien. La Tunisie doit davantage songer à valoriser sa production qu’à l’augmenter. Cela passe par la création de labels et de marques d’huile emballée pour l’export. » Selon Mourad Ben Slama, spécialiste tunisien du secteur oléicole, « avec un produit de qualité et le préjugé favorable dont jouit actuellement le pays, l’huile d’olive tunisienne a toute sa place sur les marchés internationaux ». De fait, alors que l’huile marocaine s’attaque à son tour à l’Europe – où elle se fait notamment connaître à travers des filières bio comme Oliviers & Co –, la Tunisie explore désormais de nouveaux marchés : les États-Unis, mais aussi le Japon. Avec deux ambassadeurs comme ceux-ci, l’huile d’olive maghrébine n’a pas fini de faire parler d’elle. ■ FRIDA DAHMANI , à Tunis

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76 DOSSIER AGROALIMENTAIRE JUS DE FRUITS

Des PME en manque de liquidités

PASSER À UNE PRODUCTION INDUSTRIELLE RESTE UNE GAGEURE POUR LES MARQUES OUEST-AFRICAINES, QUI PEINENT À DÉCROCHER DES FINANCEMENTS POUR SE DÉVELOPPER.

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réé en 1986 au Sénégal, Zena Exoticfruits est surtout réputé pour ses confitures. Mais dans la zone industrielle de Dakar, la PME produit aussi, entre autres, des sirops de bissap, gingembre, bouye et tamarin – distribués à quelque 150 clients réguliers, dont des hôtels, des compagnies aériennes, des enseignes de grande distribution, des mini-marchés, des stations d’essence, des épiceries… « Notre ancienneté fait que nous sommes devenus u ne référence i ncontou r nable », raconte Randa Filfili, gérante. Prospère, la société affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 250 millions de F CFA (381 000 euros). Le secret de cette réussite ? « Nous sommes la seule industrie organisée et structurée de transformation de jus de fruits au Sénégal. » Ivorio en Côte d’Ivoire, Délicio au Burkina Faso, Bravo au Bénin… Les jus de fruits africains, quand ils résistent à l’assaut des marques internationales, peinent encore à dépasser le cadre de leur marché local. Car mis à part en Afrique du Sud, passer à une production industrielle reste une gageure. Conditionnement, packaging, normes internationales pour l’export, formations… Autant d’investissements lourds que peu de PME-PMI peuvent encore se permettre seules. Des sites internet comme EspaceAgro.com ou Africa-Trade.ci offrent même, entre autres, de mettre en relation les pourvoyeurs de fonds et les entreprises dans le besoin.

ou au Ghana – qui se ravitaillent chez lui, Zena Exoticfruits, régulièrement contrôlé par des laboratoires extérieurs, pénètre « timidement » mais sûrement les marchés d’Europe et des États-Unis, et entend s’attaquer au Canada, à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le burkinabè Délicio (82,5 millions de F CFA de chiffre d’affaires), qui produit nectars et cocktails depuis 2004, s’est quant à lui vu exonéré de taxes douanières par l’État lorsqu’il importe du matériel industriel. Les banques lui ont fourni le reste des financements nécessaires à son développement. Sans ces aides, la patronne, Alice Thérèse Ouedraogo-Yaro,

HABIBOU BANGRÉ

EN PASSANT PAR L’HEXAGONE…

MORIBA

TIMIDE PERCÉE EN EUROPE

« Pendant longtemps, nous avons fonc t ion né su r fond s pr opre s », témoigne Randa Filfili, qui, grâce à l’aide du West Africa Trade Hub, un organisme financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), espère décrocher prochainement un emprunt de 1 million d’euros auprès des banques. En plus de quelques marchands étrangers – installés en Mauritanie, au Mali

aurait peut-être dû licencier sa vingtaine d’employés de Ponsomtinga, à 20 km de Ouagadougou. Il lui restait à trouver une stratégie de communication convaincante. Laquelle ? Assurer la promotion de la marque en livrant gratuitement et « en exemptant du paiement de la consigne », explique Sâ Simon Traoré, chargé du marketing et des ventes. Résultat : 360 000 bouteilles par an de jus de mangue, tamarin, tangelo, grenadille et bissap trouvent leur place dans des restaurants, maquis, hôtels et autres boutiques d’alimentation, aux côtés des grandes marques internationales. ■

POUR MORIBA OUENDENO, un Malien installé en France qui fabrique des jus portant son prénom, « les pays africains producteurs de fruits ne sont pas encore prêts à les transformer en jus ou n’en ont pas les moyens ». Fa c e a u x b i è r e s e t a u x sodas étrangers, il regrette que « les jus de fruits locaux [soient] considérés à tort comme la boisson du pauvre ». Lui a choisi l’Hexagone pour produire, lancer et développer ses jus, élaborés à partir de fruits importés du Mali et du Sénégal. Avec un chiffre d’affaires d ’environ 6 50 000 euros par an (objectif : 5 millions Des produits à base de fruits venus d’euros d’ici à trois ans), la du Mali et du Sénégal. société créée en 1996 a fait appel à des fonds de développement pour emprunter 500 000 euros et « passer à la vitesse supérieure ». Aujourd’hui, 30 % de sa clientèle en France est africaine. La marque est en outre déjà timidement présente au Mali, et devrait l’être cette année au Sénégal et au Burkina Faso (hôtels de standing, supermarchés…). L’ambition de son fondateur : « Produire en Afrique après avoir imposé Moriba comme une référence africaine H.B. haut de gamme. » ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


Communiqué

RELEVER LE DÉFI DE L’AGRICULTURE AFRICAINE Arysta Lifescience implanté depuis plus de 30 ans, continue son développement. Q : Les ravageurs, les mauvaises herbes restent un fléau majeur en Afrique. En tant que firme multinationale, comment répondez-vous à ces spécificités ?

John BARNES Directeur Général Arysta LifeScience Afrique et Moyent-Orient

Q : Vous êtes leader en Afrique, quelle est la clé de votre succès ? JB : Pour moi, tout repose sur une solide organisation et une forte présence sur le terrain. C’est primordial ! Nos 5 filiales implantées en Afrique de l’Ouest depuis plusieurs dizaines d’années nous permettent aujourd’hui d’asseoir notre position de leader sur le business coton. L’acquisition de Tsunami, acteur majeur en Afrique du Sud, nous place à plus de 20% de parts de marché dans ce pays clé. Cependant de nombreux progrès restent à faire dans la zone Afrique du Nord Moyen-Orient. L’ouverture de bureaux en Iran et plus récemment au Maroc, nous permet d’étendre notre activité sur le modèle de l’Afrique de l’Ouest et du Sud. Q : Dans un contexte d’augmentation des prix des denrées agricoles, quelles sont pour vous les principales cultures ? JB : Le riz est en plein essor sur tout le continent et cette culture sera essentielle à l’avenir pour répondre au besoin alimentaire croissant. De nombreux projets nationaux sont en cours et nous les soutenons autant que possible. Le cacao est également en plein développement. La Côte d’Ivoire et le Ghana à eux seuls subviennent à plus de 65% de la production mondiale de fèves. De même, le bon niveau des cours mondiaux du sucre et du coton, permet l’accroissement des surfaces à plus d’1 500 000 ha de canne à sucre et 3 000 000 ha de coton. Pour moi, il était essentiel que nous soyons en phase avec ces spécificités africaines. En terme d’organisation, des équipes d’experts ont été créées sur chacune des cultures majeures.

JB : Beaucoup de travail reste à faire dans la lutte anti parasitaire. Nous œuvrons pour adapter nos produits aux besoins du marché. Encore une fois, tout commence par le terrain. Je peux vous citer l’exemple du désherbage de la canne à sucre. Notre expertise de terrain et nos travaux de recherche nous ont permis de développer des programmes de traitements avec en particulier notre spécialité herbicide, le DINAMIC, aujourd’hui très apprécié des planteurs. Q : Comme dans beaucoup de secteur de l’économie africaine, la contrefaçon est récurrente sur la zone. Est-elle également présente dans votre secteur d’activité ? JB : Je suis très sensible à cette question. Oui, la contrefaçon et les importations illégales sont fortement présentes. Les produits contrefaits sont dangereux. Leurs compositions et concentrations en matières actives ne sont pas garanties, et ce n’est qu’un exemple. Ils constituent dans tous les cas une véritable menace et ont des impacts négatifs sur les cultures, la qualité des récoltes et la santé des utilisateurs. En outre, les produits passent de pays en pays sans forcément respecter les homologations territoriales et les contraintes douanières : c’est un frein important pour le bon développement des politiques agricoles nationales ou régionales. Q : On parle de contrefaçon. Comment assurez-vous le suivi de vos produits? JB : La mise sur le marché d’un produit ne s’arrête pas à la vente! Ma responsabilité au quotidien est d’accompagner les utilisateurs et de les former aux bonnes pratiques agricoles. Ceci inclut la sécurité des applicateurs, le respect de l’environnement et le bon usage du produit. Par une application encadrée, le respect de la dose et de l’intervalle minimum entre le traitement et la récolte par exemple, nous garantissons la qualité de la récolte. J’ai souhaité créer une nouvelle activité prenant en compte l’ensemble de ces questions et permettant de répondre aux exigences des consommateurs en terme de qualité et de traçabilté des aliments, la «Food Chain».

Afrique & Moyen Orient


78 ECOFINANCE STRATÉGIE

historiques (noix de cajou, sucre, café) et se déployer vers d’autres filières, en tout une vingtaine de produits agricoles. Certes, Olam reste un grand importateur de denrées alimentaires sur le continent, mais il y cultive aussi du riz, y coupe du bois, y construit des usines de transformation de cacao ou d’huile de palme, de raffinage de sucre ou de fabrication de pâtes alimentaires…

Olam lʼafricain

Usine de coton, au Mozambique. Le groupe veut être présent du champ au produit fini.

PLANTATIONS DE PALMIERS EN CÔTE D’IVOIRE, MINOTERIES NIGERIA, FORÊTS AU CONGO… L A MULTINATIONALE ASIATIQUE INVESTIT TOUJOURS PLUS SUR LE CONTINENT, SOUVENT EN ASSOCIATION AVEC DES GROUPES LOCAUX.

AU

Q

ui arrêtera Olam? Début 2011, le géant asiatique du négoce a bouclé une nouvelle opération en Afrique subsaharienne, la huitième en un an. Cette fois, c’est TT Timber International, dont les filiales exploitent 1,6 million d’hectares de forêts au Congo et au Gabon, qui, pour 29,6 millions d’euros, est tombé dans l’escarcelle du singapourien, déjà bien garnie depuis l’acquisition en 2010 du nigérian Crown Flour Mills et du ghanéen Wheat Mill. Céréales, cacao, bois, palmiers à huile… Olam développe peu à peu sa présence dans la plupart des grands produits agro-industriels et s’est engagé l’année dernière à sortir de sa poche environ 600 millions d’euros dans différents projets. De quoi renforcer sa position de leader dans l’agrobusiness africain, notamment autour du golfe de Guinée. Peu le savent, mais en 2010 Olam réalisait déjà sur le continent un chiffre d’affaires d’environ 900 millions d’euros, deux fois plus qu’en 2005. Avec les opérations annoncées cette même année, et qui porteront leurs fruits d’ici à quel-

ques mois – ou quelques années –, le bilan devrait joliment grimper… Car, à l’image de plusieurs de ses concurrents, dont ADM, Wilmar et Louis Dreyfus Commodities, Olam a fait de l’Afrique une priorité stratégique pour les années qui viennent. Et il y applique à la lettre sa stratégie de développement : remonter la chaîne de valeur, être présent du champ agricole jusqu’au produit fini, étendre la gamme des productions

FRED HOOGERVORST/PANOS-REA

PENSER LOCAL

Né en Afrique (lire encadré) avant de s’installer à Singapour, le groupe a vite compris une spécificité africaine: être et penser local. « Olam a eu l’intelligence de s’allier avec des groupes locaux plutôt que d’y aller seul, explique un agroindustriel ouest-africain. Il apporte ses méthodes de management, ses compétences techniques et ses synergies internationales. L’associé local amène sa connaissance du terrain et celle du monde politique, un élément fondamental dans notre région. » Au Nigeria, Olam s’est ainsi allié à la famille Lababidi, qui détient un groupe diversifié présent dans la minoterie, les télécoms et les infrastructures portuaires. En Côte d’Ivoire, son allié est JeanLouis Billon, patron du groupe Sifca (palmiers à huile, caoutchouc, sucre). En association avec Wilmar, Olam a pris en 2008 une série de participations dans le holding, mais aussi dans ses filiales Palmci (qui récolte l’huile de palme) et Sania (qui la transforme). Son idée forte : être présent à la fois dans les produits d’import-export mais aussi dans la transformation de denrées pour la demande locale. Dans certains pays comme le Nigeria, la demande est en effet promise à une véritable explosion, portée par une classe moyenne en plein FRÉDÉRIC MAURY boom. ■

DU NIGERIA À SINGAPOUR TRENTE PAYS et des usines dans treize d’entre eux. Le poids d’Olam sur le continent ne date pas d’hier. Le groupe y est même né à la fin des années 1980. Il n’était alors qu’un exportateur nigérian de noix de cajou, filiale de l’indien Kewalram Chanrai. En dix ans, il s’est transformé en leader du négoce de produits agricoles et de denrées alimentaires, affichant 6,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010. Pour se développer sur l’ensemble de la chaîne de valeur agro-industrielle, Sunny Verghese, le cerveau qui a bâti le succès d’Olam, a quitté le Nigeria pour rejoindre les centres financiers mondiaux : Londres jusqu’en 1996, puis Singapour. Il a aussi insufflé avec quelques autres groupes asiatiques comme Wilmar un peu de transparence dans un secteur qui adore l’opacité. Coté en Bourse, Olam communique sur toutes ses opérations. ■ F.M. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11



Au Burkina Faso, 80 % des cultures cotonnières sont des organismes transgéniques.

OGM

Marché ouvert pour les leaders LES SEMENCES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉES PASSENT

AU STADE DE L’EXPLOITATION À GRANDE ÉCHELLE DANS PLUSIEURS PAYS.

L’AMÉRICAIN MONSANTO ET LE SUISSE SYNGENTA SONT LES PREMIERS À EN BÉNÉFICIER.

L

e débat sur les OGM est-il encore d’actualité ? Les biotechnologies sont désormais soutenues par de nombreux organismes et fondations qui veulent promouvoir les dernières découvertes scientifiques pour initier une « révolution verte ». Et nombreux sont les pays à se lancer. L’ancien secrétaire général des Nations unies, Koffi Annan, qui préside l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), estimait récemment que le continent « ne doit pas se détourner du potentiel des biotechnologies ». Un business énorme s’ouvre aux deux géants mondiaux déjà bien implantés, l’américain Monsanto et le suisse Syngenta. Leader mondial sur le marché des semences et numéro deux des biotechnologies, Monsanto s’est fait connaître sur le continent avec l’introduction de son coton Bt, génétiquement modifié pour résister aux insectes. Au Burkina Faso, l’autorisation de culture à grande échelle du coton transgénique a été accordée en 2008, à la suite d’études menées sept ans durant par l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles et Monsanto. Pari gagné

pour l’américain : le gouvernement burkinabè annonçait récemment que 80 % des cultures cotonnières de la campagne 2010-2011 étaient des OGM. Le coton Bt de Monsanto est également cultivé en Afrique du Sud et en Égypte, et les essais sont autorisés depuis 2009 au Mali. Le groupe américain a également mis au point un maïs résistant à la sécheresse, qui sera introduit gratuitement entre 2013 et 2017 au Kenya, au Mozambique, en Ouganda (Kam-

XAVIER ROSSI/REA

80 DOSSIER AGROALIMENTAIRE pala a annoncé en outre le démarrage d’essais en plein air de cultures transgéniques de bananes et de manioc), en Tanzanie et en Afrique du Sud, via le programme international Water Efficient Maize for Africa – financé par les fondations de Bill Gates et de Warren Buffett, il est doté d’un budget de 35 millions d’euros. Avec l’espoir d’accroître la productivité de 20 % à 35 %. La fondation de Gates est désormais une alliée de poids : elle vient d’acquérir 500 000 actions du leader mondial des OGM pour 27 millions de dollars. NOUVELLES VARIÉTÉS HYBRIDES

Face au rouleau compresseur Monsanto, Syngeta mise sur un organisme à but non lucratif, la Fondation Syngenta pour une agriculture durable, dont l’objectif est d’« améliorer les conditions de vie des petits agriculteurs », dit la firme suisse. Elle collabore depuis longtemps avec des centres de recherche africains comme l’Institut d’économie rurale du Mali – pour les céréales – ou AfricaRice à Cotonou – pour le riz –, afin de mettre au point de nouvelles variétés hybrides. Mais le cœur des activités de la fondation, en matière de biotechnologies, se situe au Kenya. Le groupe suisse y finance, à raison de 750 000 euros par an, le Biosciences Eastern and Central Africa Hub, une structure scientifique destinée à accueillir et fédérer des programmes de recherches africains sur les biotechnologies animales et végétales. Surtout, elle travaille avec l’Institut kényan de recherche agricole sur la mise au point d’un maïs doté de gènes de résistance aux insectes. La firme suisse n’est jamais loin du géant américain. ■ ANTOINE LABEY et MICHAEL PAURON

UNE LÉGISLATION APPROPRIÉE POUR QUE LES OGM SORTENT DES CENTRES DE RECHERCHE, le feu vert des autorités est indispensable. En Afrique de l’Ouest, la Banque mondiale finance depuis 2006, dans le cadre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), un projet régional sur la biosécurité qui doit créer une vaste zone où la culture des OGM sera autorisée. Si le Burkina Faso a été le premier pays d’Afrique de l’Ouest à adopter en 2006 une telle législation (mise en application deux ans plus tard), d’autres l’ont suivi depuis, comme le Mali en 2008, malgré la vive opposition de certaines organisations de la société civile, tandis que le Bénin a reconduit son moratoire sur les OGM jusqu’en 2013. En Afrique de l’Est, les 19 pays du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) ont adopté en octobre dernier un projet qui libéralise de fait la culture des OGM. ■ A.L. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


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JODI BIEBER/INSTITUTE FOR TIME

82 LIRE, ÉCOUTER, VOIR

Photographie

BEAUTÉS RÉVÉLÉES La Sud-Africaine Jodi Bieber a reçu le World Press Photo of the Year pour son portrait dʼune Afghane mutilée. Un travail qui lui a été commandé après sa série Real Beauty consacrée aux femmes de son pays.

E

NICOLAS MICHEL

lle a osé fuir les mauvais traitements d’un mari taliban : pour la punir, ce dernier lui a tranché le nez et les oreilles. Elle s’appelle Bibi A isha ; elle est afghane ; elle a été photographiée par la Sud-Africaine Jodi Bieber. L’image, controversée, a fait la une du Time le 29 juillet 2010, et son auteure a été récompensée, le 11 février 2011, par le World Press Photo of the Year 2010. Le regard de la jeune femme,

d’une grande dignité, rappelle celui – vert et or – de Sharbat Gula, saisi en 1984 par le photographe américain Steve McCurry. Image choc, image nécessaire pour dénoncer la brutalité talibane, ce cliché à la limite du soutenable ne doit pas occulter l’œuvre subtile d’une artiste de 43 ans. « Cette photo, on se la prend dans la gueule, déclare le directeur de Visa pour l’image, JeanFrançois Leroy. Mais elle ne résume pas bien la carrière de Jodi Bieber,

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LIRE, ÉCOUTER, VOIR 83 Page de gauche: l’image, controversée, de Bibi Aisha, fit la une du Time le 29 juillet 2010. Ci-contre : cliché de la série Real Beauty, réalisée en Afrique du Sud.

violences domestiques, Between Dogs and Wolves, sur l’évolution de son pays depuis 1994, ou Soweto, sur le fameux township – ont une dimension politique forte, tempérée par un regard attentionné et délicat. « L’écriture du quotidien est un exercice difficile, soutient Jean-François Leroy. Jodi travaille pendant plusieurs années sur un sujet. Elle ne se contente pas du sensationnel ; elle montre des choses d’apparence anodine mais qui ne le sont pas. »

JODI BIEBER/INSTITUTE

CRÉER LE REGARD

dont le travail est tout en finesse et en profondeur. » Mat t Shon feld, le directeur de l’agence Institute qui la représente, voit de son côté un lien fort entre ce portrait de Bibi Aisha et la série intitulée Real Beauty. « Jodi est une incroyable portraitiste – et elle adore ça ! dit-il. Lorsqu’elle a eu 40 ans, elle s’est pour la première fois sentie mal à l’aise dans son corps. Notamment à cause des images de femmes que l’on peut voir sur les affiches publicitaires. Les mannequins ne représentent pas la vraie beauté… Partant de ce constat, elle a photographié chez elles des femmes “ordinaires” qui ont chacune leur histoire et leur beauté. Et je pense que c’est parce qu’elle a cette capacité à casser les barrières qu’on lui a commandé ce travail parti-

culier sur l’Afghanistan. » Jodi Bieber confirme l’analyse : « Je pense que le symbolisme de cette image est représentatif de mon travail. J’essaie de modifier la perception des gens. Je ne veux pas qu’ils voient ce que les médias voudraient qu’ils voient. J’ai beaucoup de difficultés à faire des compromis avec moi-même. » Si elle a été choisie pour réaliser le portrait de la jeune Afghane, c’est aussi parce qu’elle est familière des situations difficiles. « J’ai été le témoin de l’Histoire en marche, affirme celle qui a vu mourir l’apartheid. J’ai vécu beaucoup de choses dures. Je me considère comme une photographe documentaire. » Ses séries – Survivors, sur les

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L’essentiel, pour elle, est de créer une relation avec son « sujet », afin que la photo naisse d’une véritable collaboration. « Je m’éloigne du photojournalisme, trop superficiel à cause des délais, confie Jodi Bieber. Ce n’est pas possible d’être créatif, original, de cette manière. Je travaille le plus lentement possible, avec un trépied. J’ai besoin de discuter. Je n’étais pas la première à photographier Bibi Aisha… Mais il n’est pas possible de créer le regard que vous voyez sur l’image sans un vrai contact. » Plutôt discrète, réservée, sérieuse, pédagogue, très attachée à son pays, « pas du tout grande gueule » mais « très directe », Jodi Bieber s’oriente désormais vers la photographie plasticienne. « Je ne veux jamais refaire ce que j’ai déjà fait », affirme-t-elle. Avant

« J’ai été le témoin de l’Histoire en marche. J’ai vu mourir l’apartheid. » JODI BIEBER de confier qu’elle envisage de se mettre à la vidéo. Mais pour l’heure, au-delà de l’agitation médiatique autour de l’image de Bibi Aisha, elle prépare deux expositions liées à ses projets personnels. L’une à la galerie Goodman du Cap, fin mars, et l’autre au V&A Museum de Londres (« Figures & Fictions: Contemporary South African Photography », du 12 avril au 17 juillet). ■


84 LIRE, ÉCOUTER, VOIR

Interview MICHEL OUÉDRAOGO

« Je ne crois pas au cinéma low cost » En plein préparatifs de la 22e édition, le directeur du Fespaco appelle les États africains à faire de la culture un facteur de développement.

M

algré la multiplication des festivals en Afrique depuis une vingtaine d’années, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) reste la manifestation cinématographique de référence sur le continent. Pour sa 22e édition, la biennale attirera du 26 février au 5 mars des milliers de festivaliers – professionnels ou cinéphiles – et des centaines de milliers de spectateurs dans les salles de cinéma ou les centres de conférence de Ouagadougou. Mais comment se présente l’avenir de cet événement prestigieux, alors même que le cinéma africain a beaucoup perdu de son aura depuis la fin des années 1990 ? Dans la plupart des pays du continent, nombre de salles ont disparu et, sur la scène internationale, très peu de films africains font l’événement. Le souriant Michel Ouédraogo, l’homme de communication qui dirige depuis 2008 le Fespaco, se veut rassurant à la veille de l’édition 2011. Optimiste et combatif de nature, il n’a pourtant guère de bonnes nouvelles très concrètes à annoncer.

JEUNE AFRIQUE : Le Fespaco s’est imposé depuis longtemps comme le plus important festival consacré au cinéma africain. Mais ne faudrait-il pas le faire évoluer ? MICHEL OUÉDRAOGO : Quand j’ai été nommé à la tête du Fespaco, mon ambition était précisément de l’amener à un niveau supérieur. Cela reste d’actualité. On doit parvenir à faire reconnaître le Fespaco comme une réelle institution internationale. Par l’ensemble des États africains d’abord. Mais aussi par l’Union européenne, et par toutes les institutions liées au cinéma, comme la Fédération internationale des critiques de cinéma [Fipresci] ou les autres grands festivals. À commencer par Cannes. Qu’est-ce qui manque encore au Fespaco pour obtenir cette reconnaissance ? Rien, en réalité. Si ce n’est que l’implication de tous ceux, décideurs ou partenaires, qui nous entourent est insuffisante. Ils ne donnent pas à la culture – et en particulier au cinéma – la place qu’elle mérite. Il faut qu’une volonté politique se manifeste. Surtout de la part des États. N’est-ce pas un espoir un peu chimérique, alors que le cinéma africain a beaucoup perdu de sa visibilité internationale depuis une quinzaine d’années ?

Combatif, cet optimiste de nature dirige le Fespaco depuis 2008.

Mais quand le cinéma africain était à son apogée, était-ce si différent ? Le problème vient de loin. Au moment des indépendances, on a considéré qu’il y avait d’autres priorités, et la culture a été totalement oubliée. Et c’est resté ainsi, malgré les efforts de certains, notamment de grands écrivains, pour alerter les gouvernements sur l’importance de la culture. Ils n’ont pas été entendus. Raison de plus pour se mobiliser, surtout pour le cinéma. Ce que vous dites n’est pas très encourageant… Peut-être. Mais il y a heureusement de nombreux exemples partout dans le monde qui montrent que la culture peut être au centre d’un modèle de développement. On peut donc espérer que l’Afrique ne restera pas un cas à part. Prenons l’exemple de la Chine, de l’Inde, du Japon, sans parler d’Hollywood et des États-Unis, bien sûr, où la culture, et particulièrement le cinéma, joue un rôle majeur pour créer du développement. L’Afrique peut et doit faire de même, fonder en grande partie son développement sur sa culture. Car il s’agit d’un domaine transversal, qui concerne aussi bien l’économie que la préservation de l’environnement ou l’éducation. Il est essentiel que l’Afrique fabrique ses propres images, se confron-

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LIRE, ÉCOUTER, VOIR 85

EF/AFRIMAGES/MAXPPP

qui représentait 25 % de notre budget environ – que très tardivement, pour des raisons administratives qui ne concernaient pas le festival lui-même. C’est en voie de résolution.

te à son imaginaire. Les populations le réclament. Les gouvernements doivent en prendre conscience, en aidant à la constitution de cinématographies fortes par des financements directs ou par des incitations indirectes. Et il ne s’agit pas là de quémander : la culture, c’est un droit ! Quelle est la priorité ? Créer des écoles de cinéma, rouvrir des salles, aider la production de films ? Ce qui manque le plus, ce sont des opérateurs. Qu’on accompagne ceux qui veulent agir ! On a, par exemple, créé des banques spécialisées pour l’agriculture, pourquoi ne pas donner pour mission à des banques d’État d’aider les projets culturels ? D’aider notamment les réalisateurs qui sont à la recherche de financements, ou les entrepreneurs qui voudraient ouvrir des chaînes de salles ? Comme l’État, bien sûr, ne peut pas tout faire, il faut stimuler par diverses mesures les initiatives privées. Tout le prouve : le public existe, le consommateur de culture existe. Donc le privé peut s’y intéresser. Mais il faut l’encourager. Car, en matière de culture, il s’agit d’investissements à long terme, lesquels ont besoin d’être soutenus par des politiques de développement culturel.

Que peut faire concrètement le Fespaco pour promouvoir de telles politiques ? Le Fespaco actuellement ne peut pas grand-chose, il faut être réaliste. On n’a d’ailleurs jamais été invités à une conférence de l’Union africaine. C’est bien pourquoi il faudrait qu’on devienne une véritable institution panafricaine, pour pouvoir porter légitimement la voix des cinéastes auprès des ministres et de tous les responsables. Africains et aussi européens bien sûr. Vouloir grandir et élargir l’influence du Fespaco, alors même que boucler

D’un point de vue artistique, en particulier pour la compétition phare des longs-métrages de fiction, le Fespaco 2011 s’annonce-t-il comme un grand cru ? Ce que j’ai vu me laisse penser que ce sera une bonne année, avec des films bien réalisés, sur des sujets importants. Les films de la compétition principale retenus par le comité de sélection, en tout cas, me semblent d’une qualité assez homogène. Cette fois, le reproche qu’on nous a fait en 2009 de présenter des films de second plan voire des navets au milieu d’œuvres beaucoup plus réussies ne pourra pas, je crois, nous être adressé. Mais il y a toujours des critiques. Même à Cannes ! Il y a quelques grands noms dans la compétition – le Tchadien Haroun, l’Égyptien Nasrallah… –, mais la plupart des anciens, même quand ils ont tourné depuis 2009, comme Souleymane Cissé, sont absents. Pourquoi ? Qu’ils n’aient pas présenté leurs films au comité de sélection a permis de faire de la place à la génération qui monte ! Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est que les grands réalisateurs qui se sont un peu écartés de la réalisation, comme Gaston Kaboré ou Idrissa Ouédraogo par exemple, reprennent la caméra pour que le cinéma africain bénéficie de leur talent. Et que par ailleurs, on cesse de penser que le cinéma africain peut se passer de moyens. La plupart des films qu’on tourne aujourd’hui sur le continent ont un budget inférieur à celui d’un spot de communication d’une grande banque, ce n’est pas normal. Je ne crois pas au modèle low cost pour le cinéma. Les réalisateurs africains doivent avoir les moyens de faire des œuvres importantes. La croyance dans les vertus du numérique a parfois véhiculé un mauvais message à cet égard. D’autant qu’elle peut conduire à faire disparaître des métiers, comme ceux liés aux décors. ■

« Il est essentiel que l’Afrique fabrique ses propres images et se confronte à son imaginaire. » son budget semble de plus en plus difficile au fil des années, n’est-ce pas présomptueux ? Il y a eu des difficultés il y a deux ans, certes, mais je crois que c’était un mauvais concours de circonstances. Certains partenaires européens, notamment ceux en rapport avec l’État burkinabè et non pas directement avec le Fespaco, n’ont apporté leur concours –

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Propos recueillis par RENAUD DE ROCHEBRUNE


Le dramaturge togolais, Prix Kourouma en 2009 pour Solo d’un revenant.

Kossi Efoui : le juste mot Inventif, le nouveau roman de lʼécrivain togolais sʼécoute comme une complainte et se regarde comme une pièce de théâtre dans laquelle il dissèque lʼabsurdité du pouvoir et dénonce la rhétorique avilissante des politiques.

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e titre, déjà, donne le la d’une mélodie riche en harmoniques: L’Ombre des choses à venir. Inventif, poétique, le nouveau roman de Kossi Efoui s’écoute comme une complainte et se regarde comme une pièce de théâtre. Ceux qui connaissent le travail de l’écrivain et dramaturge togolais, Prix Kourouma et Prix des Cinq Continents de la Francophonie pour Solo d’un revenant, ne seront certes pas surpris par les thèmes abordés. Comme souvent, Efoui dissèque l’absurdité du pouvoir, questionne le libre arbitre d’individus écrasés par des lois stérilisantes, pulvérise la notion de frontière et explore ces moments de grâce – la comédie, la fête, le carnaval – qui éclairent parfois la « catastrophe » du réel. Mais alors que son texte précédent se ramifiait en échos complexes, L’Ombre des choses à venir prend la forme d’une démonstration implacable. « Dans mes autres romans, le récit fait des bonds, c’est un cheval fou, reconnaît Efoui. Pour Solo d’un revenant, il y avait comme une ligne droite qui conduisait le récit, mais elle était en pointillés. Ici, c’est une ligne claire, lisible à tout moment. Un monologue, une expérience théâtrale. »

En effet. Le récit naît de quelques musicien de père. Et quand ce dernier objets, une bassine, une bouteille, un est revenu, la housse vide de son instabouret, comme autant de didascalies. trument sous le bras, il ne pouvait plus Dans une pièce à peine éclairée par la prononcer un mot. La mère, elle, a été lune, un homme se cache. Il attend happée par la folie… L’enfant n’a pu dans l’ombre ceux qui lui permettront survivre que grâce à la générosité de de s’enfuir – les mystérieux « Maman Maïs », qui venhommes-crocodiles – et dait son corps pour nourrir redoute l’arrivée intempesdes gosses esseulés. Avec la tive des représentants de Renaissance, aussi appelée l’ordre qui voudraient l’emLibération ou Indépendanprisonner, ou pis. C’est lui, ce, est venu le temps des « l’orateur », qui va raconter illusions. son histoire, qui pourrait L’État a soutenu l’enfant, être aussi celle de son pays, son père et son frère ; l’État voire celle de l’A frique. a construit des écoles. Mais « J’accepte cette idée, opine une antienne, « La réapprol’auteur de La Fabrique de priation du territoire est un L’Ombre des choses cérémonies, même si je la idéal sans fin », attisée par à venir, de Kossi déborde. » À travers les soula présence de « la matière Efoui, éd. du Seuil, 162 pages, 17 euros. venirs du jeune homme se première » dans le sousdessinent les grandes étapes sol, a finalement conduit ce politiques qui ont marqué une nation même État à envoyer ses jeunes subir dont le nom restera tu. « l’épreuve de la frontière », sous peine L’enfant a d’abord vécu les « temps d’être accusés de « désertion en temps de l’Annexion » au cours desquels de paix ». hommes et femmes étaient parfois Avec un tel sujet, le risque de som« éloignés » de leur famille afin que brer dans le cliché existe. Combien de « la Plantation » puisse bénéficier de fois l’a-t-on racontée, cette histoire de leur force de travail. Pendant de loncolonisation, d’indépendance trahie gues années, l’enfant a été privé de son et d’émigration létale ? Le romanJ E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU

Livres

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cier chante et danse avec élégance autour de l’écueil. Si le récit paraît par moments rongé par le pessimisme, une poésie virulente l’éclaire de bout en bout. « La réalité est désespérante, et l’on ne peut pas faire comme si l’on n’affrontait pas les rugosités de l’existence, affirme Efoui. Mais les individus développent toujours des ruses dans les situations extrêmes… » En contrepoint de « la catastrophe », il existe toujours des failles de liberté où, s’ils acceptent de se transformer, les hommes peuvent s’engouffrer. Kossi Efoui cite ainsi volontiers deux exemples pour éclairer sa démarche : les musiciens handicapés du Staff Benda Bilili peuvent faire danser les foules – un homme seul, place Tiananmen, peut arrêter une colonne de chars. Une anecdote emblématique : un musicien prisonnier de la Plantation – le père peut-être – répond à un autre détenu qui lui reproche de jouer pour ses bourreaux : « […] Tous mes gestes, comme tous tes gestes, sont contrôlés.

Si le récit paraît rongé par le pessimisme, une poésie virulente l’éclaire. Mais il y a un geste que moi seul, je peux décider de faire, le seul geste qui dépend de moi, et rien que de moi. Et de personne d’autre, même pas eux, jamais. Et l’autre, un cran plus haut. – Et c’est quoi ce geste ? – Jouer la note juste. » Quant à Kossi Efoui, il n’est pas démuni. « Moi, je ne fais pas de cadeaux. Jamais de la vie. Je me donne le droit de désigner les gougnafiers et les chauffards qui font un mauvais usage de la langue ! » tempête-t-il, assortissant chacune de ses phrases d’un grand éclat de rire. Pour lui, les hommes politiques font trop souvent un usage « tuant » de la rhétorique : ils disent « événements » ou même « paix » en temps de guerre, ils parlent des « bienfaits » du colonialisme… Contre ces bonimenteurs et ces menteurs qui dévalorisent la langue, Kossi Efoui dispose d’une arme : le mot juste. ■ NICOLAS MICHEL

Réflexion GASTON KELMAN Écrivain

Senghor, Fanon : inoubliables !

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e 6 décembre prochain, nous commémorerons le cinquantième anniversaire de la mort de Frantz Fanon. Et quelques jours plus tard, le 20, le dixième anniversaire du décès de Léopold Sédar Senghor. Tout semblait opposer ces deux figures de l’humanisme universel et de l’émancipation du Noir, et pourtant une profonde filiation les relie. Peut-être n’a-t-on pas assez souligné le fait que c’est Senghor qui a permis à Césaire – qui fut l’un des professeurs de Fanon en Martinique – de s’ouvrir à ses origines africaines lorsqu’il le croise dans les couloirs du lycée Louis-le-Grand, à Paris. L’auteur du Cahier d’un retour au pays natal dira plus tard qu’en rencontrant Senghor il a trouvé l’Afrique et il a perçu, ensuite, d’une nouvelle manière ce continent que l’on voulait sauvage, sans Histoire ni culture. La négritude, premier mouvement intellectuel noir francophone, naîtra de cette rencontre, avec son idée d’unité et d’identité culturelle nègres, véritable révolution en ces temps où l’Antillais était formé à considérer l’Africain comme sauvage, inférieur. Fanon sera le premier à théoriser la condition noire en France à une époque où, si l’on admettait que le Noir puisse faire œuvre de poésie ou de fiction romanesque, il était mal perçu qu’il s’érigeât en essayiste donneur de leçons. Il dépassera alors le concept de l’unité nègre, pensant qu’il faut aller au-delà de la dimension colorielle pour rétablir l’homme dans des groupes d’appartenance moins passionnels, plus rationnels. Ces groupes sont la nation et l’humanité. Car, disait-il, il n’y a pas de Noir, il n’y a pas de Blanc, il y a l’humain. SA VISION ET CELLE DE SENGHOR ne

Dans des circonstances où le cri de haine aurait été légitime, ils n’ont pas sacrifié à la facilité d’un racisme à rebours.

sont pas contradictoires, mais s’inscrivent dans une complémentarité contextuelle. Chacun a été révolutionnaire pour son temps. Mais ce qui les réunit profondément, c’est leur humanisme forcené. Dans des circonstances où le cri de haine aurait été légitime, ils n’ont pas sacrifié à la facilité d’un « panégrisme » émotionnel ou d’un racisme à rebours. Senghor revendiquera son métissage, et Fanon sa francité. Ensuite, l’un et l’autre fustigeront cette France qui renie sa tradition humaniste, Senghor en se rebellant contre le massacre de Thiaroye et Fanon en se ralliant à la cause algérienne contre sa « mère » la France. Ces deux hommes pour lesquels j’ai toujours eu une dévotion quasi filiale ont été souvent incompris – Senghor accusé d’assimilationnisme et Fanon de promouvoir la violence –, c’est avec bonheur, plaisir et frénésie que j’annonce ce double anniversaire bien avant terme, afin que dans les esprits de tous, et plus encore dans ceux des lecteurs de Jeune Afrique, cette année leur soit dédiée. ■

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VINCENT FOURNIER/J.A.

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Il était une fois le Cameroun

Kamerun!, une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, La Découverte, 744 pages, 25 euros.

Deux journalistes et un historien reviennent sur la lutte que le pays a menée pour son indépendance. Une période sombre aux origines de la Françafrique. les propos révisionnistes de François Fillon refusant de reconnaître, lors d’une visite officielle à Yaoundé, que des « forces françaises aient participé […] à des assassinats au Cameroun ». PIÈGE ARMÉ

Cette mise au point faite, les auteurs font revivre au lecteur une période sombre dont les intrigues ont été « aux origines de la Françafrique ». Ils racontent comment, face à un adversaire – l’Union des populations du Cameroun (UPC), branche locale du Rassemblement démocratique africain – cherchant à profiter du statut de « territoire sous mandat » du Cameroun français pour demander très tôt une émancipation politique totale, le colonisateur a d’abord réagi en utilisant les méthodes de la « guerre révolutionnaire » théorisée lors des conflits algérien et vietnamien. Avant de mettre en scène une « indépendance » factice, à travers la fabrication d’une classe politique qui n’a pu prospérer que par l’interdiction de l’UPC et sa relégation au maquis et à la clandestinité.

Ruben Um Nyobe (au centre) et le bureau politique de l’UPC, en 1955.

Les auteurs de Kamerun !, qui ont compilé une somme incroyablement riche de documents et interrogé les derniers survivants de cette période de feu, permettent au lecteur d’entrer dans la tête des administrateurs coloniaux, habiles manœuvriers jamais avares de sentences définitives sur les « tares » insurmontables des différentes « races » de Camerounais. Ils donnent aussi la possibilité d’entrevoir la personnalité de Ruben Um Nyobe, le charismatique leader de l’UPC. Ils racontent comment le piège armé s’est

Des nationalistes contraints de mener une guerre incontrôlée ont servi la propagande coloniale. refermé sur les nationalistes camerounais, quasi obligés de mener une guerre incontrôlée servant la propagande de leurs adversaires. Kamerun! permet de la sorte de comprendre les « figures de style » fondatrices qui ont structuré pour longtemps le champ politique camerounais. Ainsi de la fraude électorale déjà organisée, avant les indépendances, avec l’appui des chefs traditionnels. Ainsi de l’ethnicisation à outrance du débat partisan, qui a été très tôt utilisée par les administrateurs coloniaux dans le cadre de l’exploitation des « oppositions africaines », arme fatale contre l’activisme de la « jeunesse détribalisée » des grandes villes. En plus d’être un livre d’histoire toujours captivant, Kamerun ! pourrait bien servir aussi de manuel de sciences politiques à l’usage des jeunes Camerounais. ■ ARCHIVES SIMON NKEN

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est l’histoire d’une guerre refoulée. Jusqu’à une époque récente, la contestation pacifique puis violente de la tutelle coloniale et néocoloniale française au Cameroun, qui s’est étalée sur plus de deux décennies (de 1948 à 1971), a relevé du sujet tabou à Paris comme à Yaoundé. La mémoire censurée a refait surface ces dernières années. De manière confuse, elle a mélangé des faits réels – déjà très graves – et des écrits relevant plus ou moins de la « fiction », comme si certains acteurs avaient cherché à brouiller durablement les pistes… Cinquante ans après ce que les nationalistes de l’époque ont appelé « les indépendances octroyées », le livre Kamerun !, coécrit par deux journalistes français, Thomas Deltombe et Manuel Domergue, et un historien camerounais, Jacob Tatsitsa, vient apporter un éclairage à la fois scientifiquement charpenté et accessible au grand public sur ces « années de braise ». D’entrée de jeu, il met dos à dos la thèse d’un « génocide bamiléké », excessive en dépit des dizaines de milliers de morts enregistrées à l’occasion des « événements » camerounais, et

THÉOPHILE KOUAMOUO

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Le Salon, une installation conçue comme un espace d’évasion.

Hassan Hajjaj, créateur sans frontières Installé à Marrakech et à Londres, celui que lʼon surnomme Andy Wahloo, pour son inspiration pop art, aime varier les références et détourner les symboles. Il construit un pont original entre lʼOrient et lʼOccident.

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l y a un canapé construit avec des casiers de Coca-Cola, une table dont les pieds sont faits d’un entassement de théières rutilantes, des poufs en tissu et des lampes orientales. Bienvenue dans Le Salon de Hassan Hajjaj ! Le designer d’origine marocaine figure parmi les huit finalistes du prix Jameel (dédié aux artistes contemporains inspirés par la tradition islamique, il a été lancé en 2009 par le Victoria & Albert Museum à Londres). Et fait donc partie de l’exposition itinérante qui s’est posée jusqu’au 26 février à la Villa des arts de Casablanca. Le Salon, une installation entièrement décorée par Hassan Hajjaj, peut prendre plusieurs formes, mais il est toujours conçu comme un espace de rencontre et d’évasion. Les productions sont artisanales et impliquent souvent amis, voisins, badauds… « Le visiteur est plongé dans un espace social interactif, où le mobilier et les objets du quotidien sont recyclés. Il y a de la couleur et une atmosphère

qui rappelle celle du souk », explique l’artiste multiforme, qui a commencé par être designer (meubles, ligne de t-shirts en sérigraphie), avant de se mettre aussi à la photo. On lui doit notamment la décoration intérieure du restaurant Andy Wahloo à Paris, qui a reçu en 2003 le prix Fooding du meilleur design. « Andy Wahloo, c’était mon surnom », précise Hassan Hajjaj en rigolant. « Mes amis m’appelaient comme ça, en référence à Andy Warhol, car je suis inspiré par le pop art. Et puis, c’est un jeu de mots, car en arabe ça veut dire “je n’ai rien”. Ce qui colle bien à ma démarche ! » KITSCH DÉCALÉ

Hassan Hajjaj aime les couleurs, le kitsch décalé et les détournements de symboles. « Il pastiche, avec humour et distance, les objets de la grande consommation populaire », explique Michket Krifa, codirectrice artistique des Rencontres de Bamako, qui y a exposé une série de photographies

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encadrées et Le Salon, en 2009. « Hassan s’est mis à la photo en faisant poser son entourage, à Marrakech. Il s’est dit : “Les Occidentaux débarquent avec des mannequins qui portent de grandes marques. Moi, je prends le contrepied, en photographiant des gens dans leur quartier, avec leurs vêtements traditionnels que je détourne, comme les babouches Louis Vuitton de toutes les couleurs.” » « À travers mon travail, je souligne le pouvoir de l’image et de la marque, en juxtaposant l’imagerie de la culture contemporaine et du consumérisme, avec des références classiques », explique-t-il. « L’encadrement fait vraiment partie de l’œuvre. J’aime cette idée de répétition, comme dans l’art décoratif islamique. Mon travail rassemble les deux parts de mon histoire, moi qui ai grandi entre le Maroc et l’Angleterre. » Né à Larache, en 1961, il part à l’âge de 13 ans rejoindre son père, immigré en Angleterre. Il vit aujourd’hui entre Londres et Marrakech, proche du milieu musical underground des deux pays (il a notamment réalisé la pochette de l’album de Hindi Zahra, avant son énorme succès). Dreadlocks et accent british pointu : pas de doute, Hassan Hajjaj est un pont à lui tout seul entre Orient et OLIVIA MARSAUD Occident. ■

INSTITUT DES CULTURES D’ISLAM

Design


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ANNONCES CLASSÉES

Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 – Fax : 01 44 30 18 77 – f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique - 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris –France

République Togolaise Travail - Liberté - Patrie

MINISTERE DE LA SANTE DIRECTION GENERALE DE LA SANTE CELLULE D’EXECUTION DU PROJET SANTE / BID II

PROJET SANTE / BID II CONSTRUCTION, EXTENSION ET EQUIPEMENT DE 34 FORMATIONS SANITAIRES DANS LES REGIONS DES SAVANES, DE LA KARA, CENTRALE, DES PLATEAUX ET MARITIME

Avis de Marché - Appel d’offres

Equipement des formations sanitaires

AVIS D’APPEL D’OFFRES FINANCEMENT : BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT 100% 1- Le Gouvernement de la République Togolaise a obtenu de la Banque Islamique de Développement un prêt en différentes monnaies pour financer l’équipement des Centres Hospitaliers Préfectoraux et des Centres de Santé dans les régions Maritime, des Plateaux, Centrale, de la Kara et des Savanes. Il est prévu qu’une partie des sommes accordées au titre de ce prêt sera utilisée pour effectuer les paiements prévus au titre des marchés issus du présent appel d’offres. 2- Le Ministre de la santé (MS) invite, par le présent appel d’offres international, les candidats éligibles à présenter sous pli fermé leurs offres en hors TVA (H.TVA) et en toutes taxes comprises (T.T.C) pour la fourniture et l’installation dans les régions Maritime, des Plateaux, Centrale, de la Kara et des Savanes, du mobilier et des équipements médico-techniques de 10 Dispensaires, 11 Centres médico-sociaux, 3 Maternités, 1 Pédiatrie, 2 Polycliniques, 2 Laboratoires, 1 service de Kinésithérapie, 1 Unité d’Ophtalmologie, 5 Unités d’Imagerie médicale et 1 Bloc chirurgical selon les lots ci-après : Lot N° 1 : Equipements de Radiodiagnostic Lot N° 2 : Equipements d’Anesthésie, de Réanimation et de Fluides médicaux Lot N° 3 : Equipements de Laboratoire et d’Exploration Fonctionnelle Lot N° 4 : Equipements de Bloc Opératoire, d’Hygiène et de Stérilisation Lot N° 5 : Mobilier 3- Seules sont admises à soumissionner les sociétés originaires des pays membres de la Banque Islamique de Développement.

4- Les sociétés éligibles intéressées peuvent soumissionner pour un, plusieurs ou la totalité des lots. Ils peuvent obtenir des informations complémentaires et examiner le dossier d’appel d’offres auprès de la Cellule d’Exécution du Projet Santé/BID à la Direction Générale de la santé BP : 336 - LOME-TOGO Tél : (228) / (228) 221 89 48 / 220 44 10 / 222 61 90 Fax : (228) 221 89 48 / 222 20 73 5- Le Dossier d’Appel d’Offres pourra être acheté sur demande écrite au service ci-dessus et moyennant le paiement d’une somme d’un montant non remboursable de 100 000 F CFA par lot. En cas d’envoi par poste ou autre mode de courrier, l’acquéreur ne peut être tenu responsable de la non réception du dossier du soumissionnaire. 6- Toutes les offres, accompagnées d’un acte de cautionnement de soumission d’un montant forfaitaire égal à Trois millions (3 000 000) F CFA, doivent parvenir sous pli recommandé à la : Personne Responsable des Marchés Publics. Cabinet du Ministre de la Santé B.P. : 386 - LOME (TOGO) Tél. : (228) 222 41 61 ; Fax : (228) 222 20 73 Ou être déposées au Cabinet du Ministre de la Santé au plus tard le Mercredi 13 Avril 2011 à 14 Heures 30 minutes TU. 7- Les offres techniques et financières seront ouvertes en présence des représentants des soumissionnaires qui souhaitent être présents à l’ouverture le Mercredi 13 Avril 2011 à 15 Heures TU dans la salle de Conférence du Ministère de la Santé.

Retrouvez

AVIS DE MARCHÉ DE FOURNITURES

toutes nos

Titre : Fourniture et montage d’équipements électromécaniques de distribution pour l’électrification rurale de Mutwanga, Province du Nord-Kivu, RD Congo.

annonces sur le site : www.jeuneafrique.com

Africa Conservation Fund-Uk

Réf. : 02/2011/ACF-UK/9ACP ZR/Microcentrale Mutwanga Financement : 9e Fonds Européen de Développement (FED9) Description du marché : Le marché consiste à fournir et monter les équipements électromécaniques de distribution pour l’électrification rurale de Mutwanga, Province du Nord-Kivu, RD Congo. Le marché est à lot unique. Le DAO est à obtenir sur : http://projetmutwanga.gorillacd.org/ Emmanuel de Merode, Chef de Projet

JEUNE AFRIQUE N°2615 – DU 20 AU 26 FÉVRIER 2011


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AGEROUTE SENEGAL

(Agence des Travaux et de Gestion des Routes) REPUBLIQUE DU SENEGAL Ministère de la Coopération Internationale, de l’Aménagement du Territoire, des Transports Aériens et des Infrastructures

Banque Ouest Africaine de Développement

Avis d’appel d’offres international

n° D/727/A3

pour les travaux de Bitumage de la Route Tivaouane -Touba Toul – Khombole (environ 37 km) située dans la Région de Thiès

1. Cet Avis d’appel d’offres fait suite à l’avis général de passation des marchés publié dans les journaux « sud Quotidien » du 29 janvier 2010 « le soleil » du 30 janvier 2010. 2. Le Gouvernement de la République du Sénégal a reçu un prêt de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) pour financer les travaux d’aménagement et de bitumage du tronçon Tivaouane -Touba Toul - Khombole d’environ 37 Km situé dans la région de Thiès et à l’intention d’utiliser une partie de ce prêt pour effectuer des paiements au titre du Marché des travaux. 3. Le Ministère de la Coopération Internationale, des Transports Aériens, des Infrastructures et de l’Energie du Sénégal représenté par l’Agence des travaux et de Gestion des Routes (AGEROUTE), sollicite des offres sous pli fermé de la part de soumissionnaires éligibles et répondant aux qualifications requises pour exécuter les Travaux d’aménagement et de bitumage du tronçon Tivaouane -Touba Toul - Khombole. 4. La passation du Marché sera conduite par Appel d‘offres international (AOI) tel que définit dans les « Directives : passation des marchés financés par les Prêts de la BIRD et les Crédits de l‘IDA » et ouvert à tous les soumissionnaires de pays éligibles tels que définis dans les Directives. Les directives applicables sont celles de la Banque mondiale de mai 2004, révisées en octobre 2006. 5. A tire indicatif, les travaux projetés comprennent essentiellement : Unités

Terrassement Assises de Chaussée Béton bitumineux Enduit superficiel Béton armé (dosage 350 et 300 kg/m3)

m3 m3 m2 m2 m3

Quantités approximatives 13 260 178 465 345 000 92 572 3 500

Le délai d’exécution des travaux est de Douze (12) mois et toute offre proposant un délai supérieur sera considérée comme non conforme et écartée. 6. Les soumissionnaires éligibles et intéressés peuvent obtenir des informations auprès de l’Agence des Travaux et de Gestion des Routes (AGEROUTE) (Noms des responsables : Ibrahima Ndiaye – Courriel : indiaye@ageroute.sn ou Papa Diallo NDIAYE – Courriel : pdndiaye@ageroute.sn) et prendre connaissance des documents d’Appel d’offres à l’adresse mentionnée ci-dessous pendant les heures d’ouverture : 8 heures - 13 heures 30 minutes et 14 heures 30 minutes - 17 heures (heures locales). 7. Les exigences en matière de qualifications sont : (i) avoir réalisé au cours des dix (10) dernières années trois projets de nature et de complexité similaire (construction/réhabilitation/entretien périodique de routes revêtues ayant au moins un linéaire de 30 Km) ; (ii) avoir au minimum un chiffre d’affaires moyen annuel des activités de construction de Quinze Milliards (15 000 000 000) de Francs CFA au cours des cinq dernières années à compter de 2005 ; (iv) disposer de facilité de crédits auprès d’un établissement financier de premier ordre d’un montant équivalent à Deux Milliards (2 000 000 000) de Francs CFA. Une marge de préférence ne sera pas octroyée aux soumissionnaires éligibles. Voir le document d’Appel d’offres pour les informations détaillées. 8. Les soumissionnaires intéressés peuvent obtenir le Dossier d’Appel d’Offres complet en langue Française en formulant une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-dessous contre paiement d’un montant non remboursable de Cent cinquante mille (150 000) Francs CFA ou de sa contre-valeur dans une monnaie librement convertible à verser au compte n° 022007105706.54 ouvert au nom de l’AGEROUTE auprès de la S.G.B.S. sise à l’Avenue du Président Léopold Sédar SENGHOR à Dakar ou par chèque barré à l’ordre de l’AGEROUTE. Le Dossier d’Appel d’Offres peut être retiré au siège de l’AGEROUTE sise à l’adresse indiquée ci-dessous à compter du 22 février 2011. 9. Les offres devront être soumises à l’adresse ci-dessous, au plus tard le 28 avril 2011 à 10 heures 30 minutes précises (heure locale). Les offres remises en retard ne seront pas acceptées. Elles seront ouvertes en présence des représentants des soumissionnaires qui souhaitent y assister à l’adresse mentionnée ci-dessous le 28 avril 2011 à partir de 10 heures 30 minutes précises (heure locale). Les offres doivent comprendre une garantie de soumission d’un montant de Deux Cent Cinquante Millions (250 000 000) de F CFA et rester valides pour une durée de 120 jours à compter de la date limite de leur remise. 10. La visite du site du projet est facultative, chaque soumissionnaire étant libre d’en décider la date et sa propre organisation. (Voir article 7 des instructions aux soumissionnaires). Néanmoins une visite de site groupée afin de recueillir éventuellement les observations formulées par les candidats se tiendra comme suit : Lieu : Antenne régionale de l’AGEROUTE à Thiès - Date : 23 mars 2011. Le Directeur des Travaux et des Ouvrages d’Art, dont l’adresse est mentionnée ci-dessous, sera la personne de contact pour confirmer la participation : Mr Oumar Sy : osy@ageroute.sn A l’issue de la visite, le soumissionnaire se fera établir une attestation de visite facultative. L’adresse à laquelle il est fait référence ci-dessus est : Agence des Travaux et de Gestion des Routers, sise à la rue David Diop x Rue F, Fann Résidence – Dakar - BP : 25 242 Dakar – Fann - Téléphone : 33 869 07 51 Le Directeur Général

JEUNE AFRIQUE N° 2615 – DU 20 AU 26 FÉVRIER 2011

Appel d’offres

Désignation des travaux


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REPUBLIQUE DU CAMEROUN

REPUBLIC OF CAMEROON

SERVICES DU PREMIER MINISTRE

PRIME MINISTER’S OFFICE

SECRETARIAT GENERAL

SECRETARIAT GENERAL

Paix – Travail – Patrie

Peace – Work – Fatherland

Yaoundé, le 09 février 2011

AVIS D’APPEL A MANIFESTATION D’INTERET

N° 001 SG/PM

relatif à la sélection des partenaires stratégiques

Manifestation d’intérêt

pour la construction et l’exploitation au Cameroun d’une usine de production d’engrais. 1. Contexte et Objet de l’Avis Le secteur agricole est d’une importance vitale pour l’économie camerounaise et constitue l’un des piliers du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE). Il contribue à hauteur de 42 % du PIB et occupe plus de 60 % de la population active. Dans le cadre de la nouvelle politique agricole dite de deuxième génération impulsée par le Président de la République du Cameroun, le Gouvernement entend mettre en œuvre un vaste programme d’accroissement de la production agricole en vue de satisfaire non seulement les besoins alimentaires des populations, mais également des agro-industries. Dans cette optique, il procèdera à la modernisation de l’appareil de production. Celle-ci consistera : (i) à rendre accessibles et disponibles les facteurs de production notamment la terre, l’eau et les intrants agricoles ; (ii) promouvoir l’accès aux innovations technologiques à travers notamment le renforcement de la liaison recherche/vulgarisation ; et (iii) développer la compétitivité des filières de production. En marge des programmes spécifiques, le Gouvernement compte spécialement mettre l’accent sur le développement d’hyper extensions agricoles dans les différentes régions du pays selon leur spécificité agro-écologique afin de réaliser des rendements d’échelle et d’accroître substantiellement la production. La production des engrais et autres intrants agricoles de qualité et à des coûts compétitifs est un facteur déterminant pour la mise en œuvre de cette vision. Par ailleurs, sur un plan multilatéral, la déclaration du sommet africain d’Abuja en 2006, ainsi que la Concertation des Chefs d’Etats réunis à Maputo au Mozambique en Juillet 2003, a recommandé qu’au moins 10 % du budget des Etats soient consacrés à l’agriculture et surtout que les matières premières entrant dans la composition des engrais (Ammoniac, Urée, phosphates, etc.) soient considérés comme « biens de première nécessité ». De même, le Programme détaillé pour le Développement de l’Agriculture Africaine (PDAA), a recommandé la création dans chaque sous région d’une usine de production d’engrais en fonction des avantages comparatifs en termes de ressources naturelles disponibles. La construction d’une usine d’engrais au Cameroun répond à ce double souci et vise à approvisionner la sous-région Afrique centrale qui ne dispose pour l’instant pas de ce type d’industrie. Aussi, le présent avis d’appel à manifestation d’intérêt a-t-il pour objet la sélection des partenaires en mode BO (Build and Operate) pour l’étude, la construction et l’exploitation d’une usine de production des engrais chimiques au Cameroun à partir des matières premières locales. 2. Nature et consistance des prestations Le ou les partenaires retenus piloteront la mise en œuvre de ce projet. Pour ce faire, elles se chargeront : - de constituer une société d’engrais de droit camerounais ; - de réaliser ou faire réaliser les études de faisabilité de ce projet, de même que toutes les autres études y afférentes, notamment les études d’ingénierie de détail, en tenant compte des process techniques et des types d’engrais les plus indiqués au regard des zones agro-écologiques camerounaises ; - de conduire les études d’impact environnemental nécessaires ; - de rechercher les financements de ce projet, tant sur le plan local qu’à l’international ;

- de construire une usine susceptible de produire des engrais en qualité et en quantités suffisantes pour l’approvisionnement du marché camerounais voir sous-régional ; - de réaliser toutes constructions ou installations annexes ; - de concevoir un système approprié de gestion ; - de mettre en route et de gérer effectivement l’unité. 3. Conditions de participation La participation au présent avis à manifestation d’intérêt est réservée aux entreprises nationales ou étrangères possédant de bonnes connaissances en matière de conception, de construction et de gestion des unités de production d’engrais ou appartenant à un consortium d’entreprises ayant une expérience avérée dans la construction et l’exploitation de telles unités. Les entreprises ou groupement d’entreprises participants doivent justifier d’une surface financière suffisante pour le financement d’un tel projet, ou être en mesure de mobiliser de tels financements et disposant des capacités techniques avérées dans le process. 4. Composition du Dossier de Candidature Le dossier de candidature comprend un dossier technique et financier constitué ainsi qu’il suit : - une lettre de motivation ; - une note de présentation de l’entreprise ; - les références ou tous autres informations permettant de juger des compétences techniques et financières de l’entreprise concernée ; - chiffres d’affaires des cinq dernières années ; 5. Langue opérationnelle Toutes les communications par écrit pour la présente préqualification doivent être en français ou anglais. 6. Dépôt des soumissions Les dossiers de la présente manifestation d’intérêt devront parvenir en format papier ou par message électronique aux Services du Premier Ministre et/ou au Ministère de l’Industrie, des Mines et du Développement Technologie du Cameroun, au plus tard le 31 mai 2011. 7. Renseignements complémentaires Tous renseignements complémentaires relatifs au présent avis d’appel à manifestation d’intérêt peuvent être obtenus auprès des structures ci-après : SERVICES DU PREMIER MINISTRE YAOUNDE-CAMEROUN Tél : 00237.22.23.92.66 - Fax : 00237.22.23.92.66 E.mail : iyokalati@yahoo.fr/yepmoujj@yahoo.fr MINISTERE DE L’INDUSTRIE, DES MINES ET DU DEVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE DIRECTION DE L’INDUSTRIE YAOUNDE-CAMEROUN Tél : 00237.22.22.38.71 - Fax : 00237.22.22.38.71 E.mail : mauricemouafo@yahoo.fr/myankwa@yahoo.fr MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL DIRECTION DU DEVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE SOUS-DIRECTION DES ENGRAIS ET SOLS YAOUNDE-CAMEROUN Tél : 00237.22.23.11.90 - Fax : 00237.22.22.50.91 E.mail : metenou_paul@yahoo.fr

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SHELTER-AFRIQUE est une institution régionale de financement à l’habitation créée par les gouvernements Africains et la Banque Africaine de Développement et dédiée à investir dans le secteur du développement urbain et de l’habitat au sein des pays Africains. L’actionnariat actuel est constitué de 42 pays Africains, la Banque Africaine de Développement et la Société Africaine de Réassurance. En vue de renforcer sa gouvernance d’entreprise, l’institution, ayant son siège à Nairobi voudrait combler les postes vacants ci-après à son conseil d’administration avec des ressortissants de ses pays membres : POSTE : DIRECTEUR INDEPENDANT (2 POSTES) Mandat : 1. Participer activement aux comités du Conseil d’Administration et aux réunions et délibérations du Conseil d’Administration comme tout autre Directeur ; 2. Fournir de l’expertise technique, financière, et d'autres expertises indépendantes au conseil d'administration ; 3. Réduire les conflits potentiels entre la direction et l’intérêt général de la Société et des actionnaires ; 4. Fournir leur expérience et connaissance aux processus de prise de décisions du Conseil ; 5. Diriger certains comités du Conseil d’Administration ; 6. Les Directeurs Indépendants exerceront leurs fonctions pour un mandat de 3 ans renouvelable une seule fois ; Qualifications Minimales et Expériences : 1. Les candidats intéressés doivent avoir au moins cinq ans d'expérience en tant que Directeur du Conseil d'Administration d'une organisation locale ou internationale bien réputée ; L’un des Directeurs doit avoir des qualifications et de l’expérience dans l’analyse d’investissement et dans le financement des projets/constructions. Il/elle doit avoir une maîtrise en gestion des affaires (MBA) ou un diplôme avancé en gestion des affaires, avec 10 ans d’expérience professionnelle, pendant que l’autre Directeur doit avoir une grande expérience en gestion des risques et l’audit. Il/elle doit avoir une expérience d’au moins 10 ans dans une entreprise d’audit ou comme chef de gestion des risques ou auditeur interne d’une institution réputée. 2. Le Directeur indépendant n’aura aucune relation substantielle avec l'institution au-delà de son mandat de Directeur et doit être une personne qui : • N’a été ni un employé, ni un cadre de Shelter-Afrique pour les cinq derniers exercices financiers ; • N’a été ni un employé, ni un cadre d’une société directement ou indirectement contrôlée par l’institution. • N’a été ni un client, ni un agent financier aux affaires en rapport avec l’institution ; • N’a aucun lien familial avec les hauts cadres de l’institution ; • N’a pas, pendant les cinq dernières années travaillé pour l’institution en qualité de consultant professionnel, par exemple comme auditeur ou avocat de la société ; • N’a pas été un Directeur de l’institution pendant les douze dernières années ; • Ne représente aucun actionnaire ou groupe d’actionnaires ; REMUNERATION : Shelter-Afrique offrira une rémunération concurrentielle et attrayante aux Directeurs indépendants y compris les coûts divers de voyage ainsi que les indemnités de séance et/ou les allocations des Directeurs pour les réunions à la fois du comité et du conseil. DEMANDE : Les candidats sont invités à envoyer une lettre de demande illustrant leur pertinence par rapport aux qualifications ci-dessus énumérées et un curriculum vitae détaillé ainsi que les noms et adresses des personnes en référence à jobs@shelterafrique.org Les candidats doivent indiquer le poste demandé dans la section de l’objet de leur courrier électronique. La date limite de soumission des demandes est le 4 Mars 2011. Seuls les candidats présélectionnés qui répondent aux qualifications ci-dessus seront contactés. Pour de plus amples informations concernant Shelter-Afrique, nous vous invitons à visiter notre site web : http://www.shelterafrique.org

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Réponse : Votre cri d’alarme est très juste. Nous avons d’ailleurs consacré un article à ce sujet su dans Jeune Afrique no 2614, p. 44).

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■ Facebook a joué un rôle très important durant les mois de décembre 2010 et janvier 2011 en Tunisie. Grâce à ce réseau, les internautes ont pu connaître rapidement des faits de plus en plus graves. Du nord au sud du pays, la population a réagi majoritairement de façon impressionnante. Les jeunes manifestants ont contourné la censure au moyen de Facebook. C’est par cette voie que les consignes et les convocations aux manifestations ont été transmises. Une première mondiale en matière de révolution ! Mais quel sera l’avenir de la Tunisie ? Quel impact sa révolution aura-t-elle sur les autres pays arabes ? CHIRAZ ROUISSI, TUNIS, TUNISIE

Une Un dictature ne doit pas en remplacer une autre remp

■ Je me réjouis des changements survenus en Tunisie et en Égypte. Et surven j’espère voir d’autres pays du monde Jeune Afrique arabe suivre sans écueils le même no 2614, du 13 février. chemin. Évidemment, il ne suffit pas Vos réactions de chasser un dictateur pour que la aux révolutions démocratie s’installe. Il faut beaucoup tunisienne et de détermination pour tenir en échec égyptienne sont les profiteurs de l’ancien système et les nombreuses. autres fossoyeurs de la démocratie. Mon pays d’origine, la Somalie, pays musulman mais non arabe, bien qu’il soit membre de la Ligue arabe, a connu sa première révolte à la suite des exactions subies par la population du Nord, le clan Issaq de l’ex-Somaliland britannique, sous la dictature du général Mohamed Siad Barre, arrivé au pouvoir en 1969 à la faveur d’un coup d’État militaire. Une guerre de « résistance » fut menée par le Somali National Movement (SNM) de 1981 à 1991 contre le régime. Lasse d’être opprimée par sa propre armée, la population du Nord obtint par les armes le départ du dictateur, le 26 janvier 1991. Il prit le chemin du Kenya en emportant l’or de la Banque de Somalie. Par chance, les habitants du Somaliland vivent libres et en paix. Ce qui n’est pas le cas pour l’ex-Somalie italienne, malgré la triste aventure de George Bush père sur la réalisation d’un « nouvel ordre mondial » par la force. Depuis, nous savons qu’une dictature religieuse ne doit pas remplacer une dictature militaire. GALÉRY GOURRET HOUSSEN, CONSEILLER MUNICIPAL PS, BIARRITZ, FRANCE

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Un poids, deux mesures

■ De qui se moque-t-on? La politique française prônée par Nicolas Sarkozy en Afrique se résume à ceci: un poids, deux mesures. Il appelle au respect de la Constitution au Gabon, mais il incite à la déshonorer en Côte d’Ivoire. Cela peut paraître contradictoire dans le feu de l’action. C’est

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■ Citoyen tunisien, archéologue, spécialiste de Carthage, je suis dans le désarroi en voyant cette terre, gorgée de culture, de savoir et de trésors, livrée impunément à la voracité de rapaces. Par cupidité et par un désir de lucre, ils détruisent la mémoire d’un peuple généreux, salissant ainsi une révolution dont nous avons tous rêvé et qui, par le sacrifice et le martyre, s’est réalisée pour le bonheur de tous. Opposons-nous à ce crime perpétré contre Carthage, patrie d’Elissa, de Hannibal, de Tertullien, d’Augustin et de Sidi Mehrez (qui ne manqua pas de pleurer d’émotion en visitant les vestiges de la prestigieuse métropole, reine de la Méditerranée, et lui consacra un thrène dont les paroles et le rythme continuent de nous émouvoir). J’exhorte toutes les autorités à intervenir énergiquement et sans attendre pour mettre fin à l’œuvre criminelle de ceux qui, profitant de la conjoncture, se livrent nuit et jour à l’activation de chantiers illégaux. La destruction ou même la violation d’une simple parcelle de Carthage constitue un crime contre l’humanité. MʼHAMED HASSINE FANTAR, PROFESSEUR ÉMÉRITE, E-MAIL

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Facebook et la chute dʼun dictateur

Patrimoine mondial en péril ?

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COURRIER DES LECTEURS S Merci pour vos lettres. Nos colonnes restent ouvertes à vos messages, sʼils sont courts et quʼils nʼont pas déjà été publiés ailleurs.

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96 VOUS & NOUS pourtant d’une logique implacable pour tous ceux qui ont suivi la politique de la Françafrique pensée par Jacques Foccart. Il disait: « Pour les intérêts de notre pays, il ne faut pas avoir peur de mettre la main dans celle du diable. » Je ne suis pas étonné, pour ma part. Il faut être d’une naïveté inimaginable pour penser que c’est pour le bien des Africains que les puissances de ce monde mobilisent autant de moyens logistiques et humains pour superviser des élections. Les pays n’ont pas d’amis mais des intérêts. Il faut que les politiciens africains de tout bord revoient impérativement la pratique de la diplomatie avec le monde occidental. Ils doivent refuser que les pays occidentaux envoient des observateurs dits indépendants lors des scrutins organisés sur le continent le plus riche en ressources. BASSIROU LAMINE SAKHO, PARIS, FRANCE

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LES NON-DITS DE LA CRISE IVOIRIENNE

■ La presse occidentale n’aborde généralement que l’aspect politique de la crise qui touche la Côte d’Ivoire. Or la source profonde des problèmes tient aux domaines économique et social. Cet aspect ignoré explique clairement non seulement l’instabilité actuelle du pays, mais aussi les très grands risques d’une impasse qui mènera à la guerre civile. Oui, le Nord est musulman et le Sud est chrétien ou animiste. Mais cela a très peu à faire avec l’animosité actuelle. C’est une crise qui met en effet le Nord en butte au Sud. Toutefois, la raison profonde de la tentative de coup d’État orchestrée en 2002 par les rebelles du Nord n’est pas élucidée. On ne tente pas un coup d’État pour le plaisir. J’étais en Côte d’Ivoire en 1999, quelques mois avant la prise du pouvoir par Laurent Gbagbo, en tant que membre d’une équipe de la Banque mondiale. L’objectif était le démantèlement de la Caisse de stabilisation, une institution qui assurait une stabilité des prix du coton aux producteurs. Le coton est la principale production du Nord du pays et son unique production destinée à l’exportation. On voulait éliminer la corruption, car bon nombre de dignitaires du Sud utilisaient les fonds de la Caisse à des fins personnelles. Elle a fini par être démantelée. Le secteur privé, dominé par des marchands ivoiriens du Sud, appuyés par quelques Français et Libanais, a pris en main la collecte, la mise en marché, le transport, le stockage et l’exportation du coton, le seul produit pouvant offrir un niveau de vie décent aux habitants du Nord. Sans la protection d’une Caisse de stabilisation, où régnait sans doute une certaine corruption, les producteurs du Nord se sont retrouvés à la merci d’un secteur privé encore plus corrompu, accaparant une large part des millions générés par le commerce du coton. Une autre dimension qui n’a pas été suffisamment explorée, c’est qu’Alassane Ouattara a longtemps travaillé au FMI et à la Banque mondiale. Natif du Nord (ou du Burkina, disent certains), on s’en méfie dans le Sud. Mais il est aussi contesté dans le Nord où il est vu par les cotonculteurs comme l’un des acteurs du démantèlement de la Caisse de stabilisation. Il y a eu dans le Nord des violences qu’on n’a pas expliquées. Lors du dernier pèlerinage à La Mecque, les partisans de Ouattara et ses opposants se sont affrontés. On dit même que le vote a été manipulé dans le Nord, voire faussé, selon Laurent Gbagbo. Il est donc difficile de voir comment la Côte d’Ivoire s’en sortira sans s’embraser. Il faut un échange raisonné dans la communauté africaine et une prise de conscience de la façon dont elle est bafouée et méprisée par les institutions internationales, sous contrôle de l’Occident. Rien ne sert aux Africains de se déchirer entre eux. C’est d’ailleurs ce que recherchent les dirigeants des pays occidentaux pour maintenir l’Afrique dans une position de faiblesse et de soumission, pour mieux spolier les richesses de son sous-sol. BRUNO LAGACÉ, OTTAWA, CANADA

En finir avec la crise ivoirienne

■ Il est permis de douter des qualités de démocrates de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara. Le peuple, lui, reste souverain. Il faut se tourner vers lui pour lui demander son arbitrage. Car il n’échappe à personne qu’en démocratie le président et son gouvernement doivent s’appuyer sur une majorité parlementaire pour diriger le pays. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il s’agit de faire d’une pierre deux coups. En organisant des élections législatives (les dernières remontent à la première législature, de 2000 à 2005 !), le parti victorieux verra son leader confirmé pour de bon à la magistrature suprême pour les cinq prochaines années. Mais on ne doit pas oublier de l’écrire noir sur blanc, avec la signature des deux candidats, en prenant soin de confier le découpage des circonscriptions électorales à un organe indépendant. La résolution des contestations nées des élections devra être confiée à un juge indépendant prévu à cet effet. Ce dispositif sera mis à disposition par l’Union africaine (UA). SAM BEKA, E-MAIL

France-Tunisie : le temps de la réparation

■ Étant donné que la France est le premier partenaire économique de la Tunisie, ses multinationales doivent rendre des comptes. Pourquoi ne se sont-elles pas comportées comme Auchan et certaines autres entreprises qui auraient, selon le patronat français, refusé de se laisser corrompre par la famille Trabelsi ? Par leur attitude, elles ont engraissé le régime de Ben Ali et fait durer les souffrances du peuple tunisien. FATHI TOUNAKTI, HAMMAMLIF, TUNISIE

Le camp Gbagbo a raison

■ La présidentielle ivoirienne n’a pas été aussi transparente que le disent la presse internationale, l’ONU et d’autres instances. Il est important, après une élection de ce genre, que l’on prenne en compte toutes les plaintes et qu’elles soient analysées sans passion, avant de décider. Or cela n’a pas été fait, toutes les parties prenantes s’étant rangées immédiatement derrière le candidat Ouattara, comme si les choses étaient jouées et décidées d’avance. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11


VOUS & NOUS 97 Pour la liberté des peuples africains

Pourquoi le camp Ouattara redoute-t-il tant le recomptage des voix par une commission internationale ? Il y a anguille sous roche, comme si un forfait avait été commis et que l’on ne souhaitait pas que la vérité émerge. Or il est impossible de taire éternellement la vérité, elle explosera un jour à la face des « mécréants ». Pour éviter qu’on impose à la Côte d’Ivoire un coup d’État électoral, il est important de revoir le décompte des voix, afin d’infirmer ou de confirmer la fraude gigantesque réalisée par le camp Ouattara, dénoncée par son adversaire et confirmée par la Cour constitutionnelle. JEAN DE DIEU MOSSINGUE, E-MAIL

■ Pour certains pays occidentaux, Laurent Gbagbo est hors normes parce qu’il défend jalousement la souveraineté de son pays. Que les pays africains qui, sous l’égide de la France et des États-Unis, s’agitent pour attaquer et tuer leurs frères ivoiriens fassent attention. Le combat de Laurent Gbagbo est celui de la liberté des peuples africains. Aujourd’hui, parce qu’il n’est pas dans les logiciels des Occidentaux, on veut le chasser du pouvoir. GNAHORÉ DOUADJI, MAISONS-ALFORT, FRANCE

SPÉCIAL RD CONGO Lʼeffet dʼune bombe

■ Le titre et le contenu du dossier publié dans votre numéro 2612, daté du 30 janvier au 5 février 2011, a créé la stupeur auprès des intellectuels. Il a eu l’effet d’une bombe atomique dans la capitale, Kinshasa, un effet semblable à celui qu’ont connu les villes de Hiroshima et Nagasaki en 1945. Maintenant, nous savons clairement les raisons pour lesquelles les maisons des habitants de la capitale et d’autres villes de la RD Congo sont éclairées à la lampe à pétrole. Nous savons pourquoi la cuisine se fait au bois et au charbon. Et pourquoi nous continuons à boire de l’eau tirée de puits en ce XXIe siècle. Merci à François Soudan et à ses collègues pour leur bravoure. JOSÉ KIPWEME, KINSHASA, RD CONGO

La défense de lʼindéfendable

■ Après avoir lu le « Kabila = Mobutu light » de François Soudan dans J.A. no 2612 et le droit de réponse de Lambert Mende dans l’édition suivante, je ne peux qu’admirer les auteurs des deux articles. Le premier pour sa clairvoyance et son courage de dire ce que beaucoup de Congolais voient sans pouvoir l’exprimer. Le second pour ses talents de rhéteur à la plume facile. Comment ne pas être fier d’un tel ministre, qui s’est fait le défenseur de la RD Congo et surtout de ses gouvernants ? Seulement, il lui arrive assez souvent de défendre l’indéfendable : il se sent toujours l’obligation de

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Not enquête Notre uêt sur le président congolais Joseph Kabila (J.A. no 2612, du 30 janvier) vous a fait réagir.

défendre son pays chaque fois que celui-ci est critiqué, même sur la base de faits concrets. ARSÈNE K., KINSHASA, RD CONGO

Le parti pris de J.A.

■ François Soudan fait fausse route sous l’influence de la communauté internationale en traitant le président Joseph Kabila de dictateur à la manière de Mobutu. C’est tout simplement une manière d’entamer la campagne de diabolisation de Kabila afin de souiller son nom et de le discréditer avant les échéances électorales à venir. Pour qui François Soudan roule-til ? La question mérite d’être posée quand on sait que Jeune Afrique est la voix autorisée des Occidentaux, voire de la communauté internationale. Cette ingérence est dictée par les intérêts égoïstes et étrangers qui sont aux antipodes

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 15 • D U 2 0 A U 2 6 F É V R I E R 2 0 11

de la volonté des populations. Motif : certainement la perte de la RD Congo, pourtant indépendante depuis cinquante ans, et l’impossibilité de contrôler des secteurs sensibles du pays. Pour s’en convaincre, les cas sont légion: le Zimbabwe de Robert Mugabe; la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo; l’Iran d’Ahmadinejad. Vite, les animateurs de la communauté internationale trouvent tous les mots possibles pour s’acharner sur ces pays hostiles à leur cause: États voyous, corruption, mauvaise gouvernance, criminalité, assassinats… L’objectif étant de détourner l’attention des peuples épris d’un avenir radieux pour leurs pays respectifs. C’est dans cette catégorie que l’on classe la mauvaise plume et la mauvaise langue de François Soudan dans Jeune Afrique. BLAISE MAKASI ; RIGOBERT MUKENDI ; GUYLAIN TSHIBAMBA ; JASON MBO, GRIMBERGEN, BELGIQUE

Lʼarticle de la réconciliation

■ Le numéro 2612 de Jeune Afrique m’a réconcilié avec votre journal. Votre « Kabila = Mobutu light », c’est du vrai journalisme, indépendant et courageux. Mais vous avez par la suite gâché mon plaisir en reprenant intégralement le brûlot du ministre Lambert Mende, qui ne méritait pas tant d’honneur et pour lequel les règles sur le droit de réponse ne vous contraignaient pas. LÉOPOLD MOLO BONGILOH, BRUXELLES, BELGIQUE


POST-SCRIPTUM

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL

P O L I T I Q U E , É C O N O M I E , C U LT U R E Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51 e année)

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Le footeux et le tyran VOUS VOUS SOUVENEZ DE RUUD GULLIT ? Hein ? Mais si, Gullit ! Ce grand footballeur qui fit le bonheur de plusieurs clubs européens dont l’AC Milan de la grande époque… Gullit, voyons ! Deux fois sacré meilleur joueur du monde ! Gullit le Hollandais noir et sa chevelure rasFOUAD LAROUI ta, politiquement engagé puisqu’il alla offrir son ballon d’or de je ne sais plus quelle année à Nelson Mandela, qui le reçut chaleureusement… Les deux hommes s’affirmèrent fans l’un de l’autre et la photo fut réussie. Ça y est, vous le remettez ? OK ? Eh ben, vous en avez mis du temps… Donc, Gullit. Si on parle ici de ce monsieur talentueux, c’est qu’il est récemment devenu entraîneur d’une équipe de foute. Vous me dites : « Et alors ? C’est banal. Tout le monde devient entraîneur. » Certes. Mais ce qui est insolite, c’est que l’ami Ruud n’est pas devenu entraîneur d’une équipe belge, slovène ou danoise à mugir d’ennui, mais de l’infâme Terek, le club de la capitale tchétchène. Terek Grozny, qui évolue dans le championnat russe, appartient au président Ramzan Kadyrov, grand copain de Poutine et responsable, à ses heures perdues, de force enlèvements, meurtres, passages à tabac et éviscérations. Un grand humaniste, quoi. Que diable Gullit va-t-il faire dans cette galère ? Je ne le sais pas plus que vous. Et qui paie son salaire ? Mystère et boule d’oligarque. En tout cas, le dénommé Kadyrov se frotte les mains. La présence du grand Ruud à ses côtés lui donne un prestige et une légitimité dont il ne pouvait que rêver il y a quelques semaines. Et tout cela est bon pour les affaires. Certains Néerlandais sont déjà en train de s’enquérir du tourisme en Tchétchénie, de la gastronomie locale (borchtch aux pruneaux et claque dans la gu…) et de Grozny by night : si Gullit y entraîne l’équipe de foot, tout n’est pas perdu, y a peutêtre même des pépées after hours. En tout cas, cette affaire agite le pays : les Pays-Bas se sont toujours considérés comme un pays exemplaire et qui peut donc donner des leçons aux autres, l’œil réprobateur et l’index dressé. Mais aujourd’hui que l’extrême droite est quasiment au pouvoir à La Haye, avec le sinistre Wilders, et que Gullit s’est vendu à un tyranneau du Caucase, cette époque de rectitude morale semble bien révolue. Si seulement on avait gardé le footballeur et offert tous les fascistes à Kadyrov… On peut rêver. C’est même tout ce qui reste, quand tout est footu. ■

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