CONGO-BRAZZA SASSOU DIT TOUT (OU PRESQUE)
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2616•du 27 février au 5 mars 2011
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TUNISIE SUR LA PISTE DU CLAN BEN ALI BÉNIN BONI YAYI PEUT-IL PERDRE? CÔTE D’IVOIRE AU CŒUR D’ABOBO
Kaddafou Pourquoi et comment le dictateur libyen en est venu à massacrer son peuple.
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CE QUE JE CROIS BÉCHIR BEN YAHMED bby@jeuneafrique.com
Samedi 26 février
Même un demi-Kaddafi, cʼest trop !
L
a semaine dernière, à cette même place, j’ai pris la responsabilité d’écrire ceci : « La Libye ? Depuis près de quarante-deux ans (!), ce malheureux pays végète sous la dictature de Kaddafi et de son clan. J’espère pour les Libyens – sans trop y croire, je dois le dire – que la révolution s’infiltrera chez eux, des deux côtés, par simple et double osmose. Si Kaddafi pouvait rejoindre Ben Ali et Moubarak, ses deux « amis », dont il a eu la franchise de regretter publiquement le départ, les Libyens auraient, enfin, un nouvel avenir. Les Tunisiens et les Égyptiens seraient, eux, plus tranquilles. »
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Une semaine plus tard, ébranlée, chassée d’une partie du pays, la dictature de Kaddafi, de sa famille et de son clan est en lambeaux. Elle est devenue un problème mondial. Elle l’a toujours été, et l’on a eu tort d’accepter les Kaddafi comme partenaires : souvenons-nous de l’époque où, avec leurs acolytes, ils commanditaient des attentats à la bombe, traquaient leurs opposants dans les capitales mondiales, les assassinaient, ou les enlevaient pour les faire disparaître… Le ministre libyen de la Justice (démissionnaire) vient de révéler que c’est Kaddafi lui-même qui a ordonné de mettre la bombe dans l’avion américain qui a explosé en 1988 au-dessus de Lockerbie, en Écosse. Ce témoignage confirme, si besoin, que le « Guide » libyen est bien le terroriste en chef. Ses derniers crimes perpétrés en ce moment même contre son peuple – avoués après coup ou cyniquement annoncés – sont d’une exceptionnelle gravité. Ils placent leur auteur dans la catégorie des dictateurs les plus sanguinaires. Et le distinguent des dictateurs « soft » qu’étaient Ben Ali et Moubarak.
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Par son absence pathologique de tout sens moral, par ses débordements criminels et par sa longévité au pouvoir (près de quarante-deux ans), Mouammar Kaddafi se rattache en effet à la catégorie des grands criminels politiques de l’histoire contemporaine : Kim Il-sung (Corée du Nord, quarante-six ans au pouvoir), Saddam Hussein (Irak, trente-cinq ans), Sékou Touré (Guinée, vingt-six ans), Francisco Franco (Espagne, trente-six ans), António de Oliveira Salazar (Portugal, trente-six ans), Alfredo Stroessner (Paraguay, trente-cinq ans). J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
Certains de ces monstres ont mal fini ; d’autres sont morts au pouvoir et dans leur lit. C’était, il est vrai, à une autre époque. La fin du XXe siècle a vu, en 1989, la chute du mur de Berlin, qui a conduit, à partir de 1990, à la libération des pays du centre et de l’est de l’Europe. Ils se sont alors affranchis, l’un après l’autre, de la domination soviétocommuniste. Depuis le début de cette année, nous assistons à une nouvelle libération, celle d’une autre série de peuples. Ils sont cette fois arabo-musulmans et ont pour caractéristique d’être tous… membres de la Ligue des États arabes*.
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Mais il y a désormais une communauté et une justice internationales. Elles ont acquis un poids moral et un pouvoir de dissuasion dont il faut tenir compte. Il y a près de trois mois, elles ont décidé qu’un Laurent Gbagbo, battu à l’élection présidentielle, ne devait pas se maintenir illégitimement au pouvoir en Côte d’Ivoire. Leur décision tarde à se traduire dans les faits, mais elle finira, sans aucun doute, par prévaloir.
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Mouammar Kaddafi offre aujourd’hui à la communauté et à la justice internationales la possibilité d’aller plus loin, car ses crimes contre son peuple ont été commis et le sont encore, au grand jour, sous nos yeux, en plein centre de la Méditerranée, au nez de l’Europe, par une clique et son chef, qui s’en vantent. Lorsqu’elle en sera saisie, la justice internationale pourra s’appuyer sur des centaines de témoignages, dont ceux de ses proches collaborateurs : un grand nombre d’entre eux – c’est là un signe qui ne trompe pas – se sont enfin décidés à déserter le clan Kaddafi pour rejoindre le camp de l’insurrection populaire.
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Les insurgés libyens n’ont pas manqué de courage et ont enregistré des succès, notamment dans la moitié orientale du pays, qu’ils ont libérée. Mais ils n’ont pas de chef reconnu, pas de fédérateur, et cela ne pardonne pas ! Nous allons voir qu’il s’agit non pas d’une révolution mais – et cela est très préoccupant – d’un anarchisme révolutionnaire sur fond de tribalisme. Personne ne doit oublier ou sous-estimer le fait que l’unité de la Libye est récente et factice : ce pays est en train de se morceler. Les insurgés libyens ont, à mon avis, crié victoire trop tôt et il y a lieu de craindre pour la Libye et pour ses
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CE QUE JE CROIS voisins que leur soulèvement ne débouche pas, à court terme, sur la fin de Kaddafi. Au dixième jour de ce soulèvement, nous risquons encore de voir ce Kaddafi hier « guide de la révolution » se muer en chef implacable d’une contre-révolution qui ne fera pas de quartier. Humilié, ayant senti passer tout près de lui et des siens le vent du boulet, il se comporterait en animal blessé et redeviendrait le chef terroriste qui a sévi un peu partout à la fin du siècle dernier. Par milliers, des Libyens seraient pourchassés, emprisonnés et torturés, voire liquidés ; beaucoup d’autres n’auraient la vie sauve qu’à la faveur de l’exil. Les voisins de la Libye, Tunisie et Égypte en particulier, devraient se préoccuper en permanence des manigances des résidus d’un régime dictatorial qui ne supporterait pas de voir la démocratie fleurir à ses frontières.
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Que ferions-nous de ce récidiviste, qui, même s’il ne contrôle plus qu’une partie de son pays, continue de disposer de moyens militaires et financiers non négligeables? Que feraient les Euro-Américains, les Russes, les Chinois ? Laisseraient-ils un déséquilibré contrôler le pétrole et le gaz libyens et utiliser ses pétrodollars pour polluer l’Afrique subsaharienne ? Auraient-ils des relations diplomatiques avec lui ? Lui vendraient-ils à nouveau des armes ? L’accepteraient-ils dans leurs circuits commerciaux et financiers ? Ils jurent que « non », affirment qu’ils en ont fini avec lui. Attendons de voir.
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À l’heure où j’écris ces lignes, l’issue du soulèvement libyen contre Kaddafi et son clan est encore indécise, et il me paraît prudent d’imaginer le pire : au prix d’une guerre civile intertribale et d’une répression débridée, Kaddafi et son clan maintiennent leur pouvoir, ou à tout le moins une autorité, sur une partie du pays.
Des milliers d’étrangers – Euro-Américains, Palestiniens, Tunisiens, Égyptiens et autres Arabes-Africains – ont quitté la Libye à la hâte. Comme ce sont eux qui la faisaient fonctionner, leur départ va aggraver le chaos chez un grand producteur de pétrole et de gaz au cœur de la Méditerranée. Ce ne seront ni les Arabes, ni les Africains, ni même les Chinois qui s’en occuperont ; les Euro-Américains vont se saisir du problème et prendre les principales décisions. La communauté et la justice internationales devraient exercer leur devoir d’ingérence pour ne pas encourir le reproche de non-assistance à peuple – et à révolutions – en danger. Le peuple est celui de Libye; les révolutions sont celles, toute neuves et encore jeunes, de Tunisie et d’Égypte : elles seraient mises en péril par la restauration d’une néodictature à leurs frontières.
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Même s’il ne rétablissait son pouvoir que sur une partie du pays, ce demi-Kaddafi serait encore dangereux ! Son maintien, fût-il limité à une petite partie de ce qu’a été la Libye, donnerait un coup d’arrêt à l’instauration de la démocratie dans le monde arabo-africain. Et inciterait les dictateurs de la région à tenir bon en espérant des jours meilleurs. De même pour Laurent Gbagbo, qui s’accroche à la présidence de fait de la Côte d’Ivoire après avoir perdu l’élection. Chaque jour qui passe sans que les Ivoiriens et la communauté internationale aient mis un terme à cette incongruité est pour eux synonyme de défaite, et pour l’Afrique de l’Ouest source de préoccupation. ■ * Algérie, Bahreïn, Djibouti, Égypte, Irak, Jordanie, Libye, Maroc, Mauritanie, Soudan, Syrie, Tunisie, Yémen.
HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. ■ Impossible de vous dire mon âge, il change tout le temps. ALPHONSE ALLAIS ■ Mettez tous vos œufs dans le
même panier – et surveillez le panier. MARK TWAIN ■ Expliquer
quoi que ce soit par Dieu, c’est céder à une solution de facilité. Dieu n’explique rien, c’est là sa force. CIORAN ■ Les femmes ressemblent aux girouettes: elles se fixent quand elles rouillent. VOLTAIRE ■ La guerre de 14-18 avait fait un civil tué pour dix militaires. La guerre de 39-40, un civil pour un militaire. Le Vietnam, 100
civils pour un militaire. Pour la prochaine, les militaires seront les seuls survivants. Engagez-vous ! COLUCHE ■ Il n’est point de bonheur sans
liberté, ni de liberté sans courage. PÉRICLÈS ■ L’alcoolisme, c’est bien, si on
exagère pas. LES NOUVELLES BRÈVES DE COMPTOIR ■ Celui
qui excelle à employer les hommes se met au-dessous d’eux. LAO-TSEU
■ Mieux vaut faire confiance à son
âne qu’au chameau du voisin. PROVERBE AFRICAIN
■ Sois heureux d’aujourd’hui! Ne
parle pas d’hier. OMAR KHAYYAM
■ La publicité est à la consommation ce que l’érotisme est à l’amour. Le plaisir ne suit pas toujours. PHILIPPE BOUVARD ■ Le pouvoir de l’auteur, c’est de rendre les choses nouvelles familières. WILLIAM THACKERAY ■ N’allez
pas encourager les triangles à rompre les trois barreaux de leur prison. Si un triangle s’échappe de ses trois côtés, alors sa vie finit lamentablement. G.K. CHESTERTON ■ Si tu veux être aimé, aime.SÉNÈQUE
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SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Quai des brumes
CÔTE DʼIVOIRE LʼHORREUR FRAPPE LES TROIS COUPS
La commune dʼAbobo est le théâtre de combats à lʼarme lourde entre les soldats fidèles à Gbagbo et les partisans de Ouattara. Cʼest peutêtre, hélas ! le laboratoire dʼune bataille qui sʼannonce impitoyable.
14 TUNISIE SUR LA PISTE DU CLAN BEN ALI
PHOTOS DE COUVERTURE : VIOUJARD ; VINCENT FOURNIER/J.A. ; PIUS UTOMI EKPEI/AFP ; MARC ASNIN/REDUX-REA
PARDONNEZ-MOI DE TIRER ainsi sur l’ambulance, mais il est des clous qui méritent d’être enfoncés. L’ambulance en question ? Cette diplomatie française au bord de la crise de nerfs, décriée comme jamais, au point désormais de se demander chaque jour quel sera le prochain MARWANE BEN YAHMED avatar de ses turpitudes. De Michèle Alliot-Marie, la future ex-ministre des Affaires étrangères, qui ne devrait plus résister longtemps à son passif tunisien, à son compagnon Patrick Ollier, accusé de « Kaddaphilie » chronique, en passant par un ancien ambassadeur en poste à Tunis (Pierre Ménat), visiblement sourd et aveugle au point de prévenir le Quai, quelques heures avant la fuite de Ben Ali, que celui-ci « avait repris le contrôle de la situation », ou par son remplaçant, Boris Boillon, appelé en renfort depuis Bagdad pour dépoussiérer l’institution de l’avenue Habib-Bourguiba et qui, trois jours à peine après son arrivée, est déjà voué aux gémonies par les Tunisiens, la diplomatie française semble avoir perdu le nord. Mais que diable se passe-t-il sous les lambris du Quai d’Orsay et de l’Élysée en ce début 2011 ? À l’origine, quand il n’était que candidat à la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy voulait inaugurer une nouvelle politique étrangère placée sous le signe de la modernité et de la moralité. Volonté louable, sacrifiée en un tournemain sur l’autel de la realpolitik et des points de croissance à arracher ici et là, quitte à multiplier les entorses aux positions de principe affichées, en Afrique surtout. En juillet 2010, Alain Juppé et Hubert Védrine avaient tiré la sonnette d’alarme. « L’instrument diplomatique est sur le point d’être cassé », analysaient-ils. Une prémonition que les révolutions arabes se sont fait un plaisir de réaliser. Cohérence, lisibilité, efficacité et discrétion ont rejoint dans les placards du Quai d’Orsay et du Château le cadavre, parmi d’autres, d’une Union pour la Méditerranée dont l’échec aurait dû servir de leçon. Et les règlements de comptes, par journaux et tribunes interposés, entre diplomates critiques et défenseurs zélés de la méthode Sarkozy ne sont pas pour améliorer l’image de ce champ de ruines. Le fond du problème, c’est que la politique étrangère de la France est à l’image, comme cela a toujours été le cas, de son chef. Or la diplomatie ne supporte pas, par définition, l’impulsivité – qui conduit parfois à l’amateurisme et à l’improvisation –, l’absence de réflexion globale, le souci permanent de la médiatisation, doublé d’une quête incessante d’effets d’annonce. L’affaire Boris Boillon, quelles que soient les qualités supposées de notre athlétique et fougueux « sarkoboy », est, hélas! la caricature la plus regrettable de ce grand malaise. Et peut-être aussi l’illustration des origines du mal: Sarkozy n’a jamais caché le peu d’estime qu’il portait aux (vrais) diplomates. Ceci explique cela… ■
DANS JEUNE AFRIQUE ET NULLE PART AILLEURS
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Les uns ont réussi à prendre la fuite. Les autres ont été arrêtés et incarcérés. Certains ont été assignés à résidence. Le point sur lʼenquête visant les membres des anciennes familles au pouvoir.
03 08
CE QUE JE CROIS Par Béchir Ben Yahmed CONFIDENTIEL
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FOCUS
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Côte dʼIvoire Lʼhorreur frappe les trois coups ONU Lʼîlot de la discorde Afrique du Sud-France Le fond de lʼair est frais Chine Quand mille jasmins fleuriront... Algérie Il était une fois lʼétat dʼurgence France-Tunisie Combien tu me soutiens ?
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LʼÉVÉNEMENT
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Libye Le crépuscule dʼun tyran
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE
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Bénin La guerre des trois Côte dʼIvoire Blé Goudé : Gbagbo jusquʼà la lie Interview Denis Sassou Nguesso Mali Maouloud fatal Sénégal-Iran Wade voit rouge RD Congo Un procès pour lʼexemple Ouganda Et maintenant, lʼéconomie
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SOMMAIRE 7
LIBYE
CONGO-BRAZZA
LE CRÉPUSCULE DʼUN TYRAN
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La révolution en marche est le dernier coup porté à un dictateur à la dérive. Aux abois, Mouammar Kaddafi nʼa quʼune seule réponse : la folie meurtrière avant une chute inéluctable. Spécial 8 pages.
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LʼÉVÉNEMENT
FRANCE
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BÉNIN LA GUERRE DES TROIS
DSK OU LA STRATÉGIE DU SPHINX Dominique Strauss-Kahn sera-t-il candidat à la présidentielle de 2012 ? Ses fonctions au FMI lui imposent le silence. Alors il répond par des énigmes.
Le 6 mars, lors du premier tour de la présidentielle, Boni Yayi affrontera deux adversaires de poids : Adrien Houngbédji et Abdoulaye Bio-Tchané.
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MAGHREB & MOYEN-ORIENT
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Tunisie Sur la piste du clan Ben Ali Palestine Moussa Bezaz et les Chevaliers du ballon rond Tunisie On a retrouvé une partie du magot Méditerranée Le forum YML nʼaura pas lieu Abou Dhabi Pas de révolution chez les marchands dʼarmes États-Unis Notre homme à Tel-Aviv
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INTERNATIONAL
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France DSK ou la stratégie du sphinx Allemagne Un (faux) Noir chez les Germains Parcours Hassan Mouti États-Unis - Pakistan Quand lʼallié « crucial » regimbe Japon Sur la pente savonneuse Russie Gorbatchev allume Poutine
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ECOFINANCE
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Transparence Un chantier pavé de bonnes intentions
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SASSOU DIT TOUT... OU PRESQUE Côte dʼIvoire, biens mal acquis, révolutions arabes, RD Congo, famille, francs-maçons... Interview.
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TRANSPARENCE UN CHANTIER PAVÉ DE BONNES INTENTIONS Seuls deux pays africains répondent aux exigences de lʼInitiative pour la transparence dans les industries extractives. Mais lʼidée fait son chemin.
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L E D E VO I R D ʼ I N FO R M E R , L A L I B E R T É D ʼ É C R I R E
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La semaine dʼEcofinance Justice Imbroglio guinéen pour Geocoton Banques Face aux crises, BNP et Sogé font le dos rond SCB Yaoundé ne lâche rien Sénégal Sea Plaza : un temple cherche ses adeptes Portrait Mohamed Aitri, patron inoxydable Télécoms Au Maroc, Inwi fait des convertis
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LIRE, ÉCOUTER, VOIR
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Musique Tiken Jah Fakoly : « LʼAfrique doit faire sa révolution » Lettre ouverte à Abdoulaye Wade par Jean-Pierre Bekolo, réalisateur camerounais Mécénat Pétrole contre œuvres dʼart Théâtre Niangouna connection Livres Yeux ouverts sur les ténèbres
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VOUS & NOUS
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Forum La seconde indépendance de la Tunisie Courrier des lecteurs Post-scriptum
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CONFIDENTIEL
POLITIQUE
LIBYE QUI SONT LES MERCENAIRES ? LES INSURGÉS LIBYENS affirment que le « Guide » a recruté des mercenaires subsahariens. Et exhibent, à l’appui de leurs dires, des militaires noirs faits prisonniers ou lynchés par la foule. À Benghazi et à El-Beïda, ces mercenaiDes Subsahariens accusés d’être des mercenaires, res étaient reconnaissables, selon des le 23 février, à Benghazi. témoignages, à leurs bérets jaunes. À Tripoli et dans l’Ouest, ils auraient pris part aux lent faire croire que l’armée a lâché le “Guide”. combats aux côtés des « bataillons de sécurité », Mais nous n’avons pas besoin de l’aide de queldirigés par Khamis Kaddafi, l’un des fils du colo- ques centaines de mercenaires étrangers pour nel. De source concordante, Kaddafi aurait reçu tenir. » De fait, plusieurs Noirs faits prisonniers le renfort de rebelles du Darfour – notamment du parlent arabe. Mais, dans le Sud libyen, beaucoup Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) de d’habitants – Arabes, Toubous, Touaregs, etc. – Khalil Ibrahim –, de rebelles tchadiens recyclés sont noirs. Et si la Légion islamique libyenne, qui et de Touaregs nigériens déjà installés dans le comportait un grand nombre de Subsahariens, a Sud libyen. été officiellement dissoute en 1999, une partie Réaction d’un officier fidèle au régime: « C’est de ses effectifs a été, depuis, réintégrée au sein de la propagande des gens de Benghazi. Ils veu- d’une légion étrangère. ASMAA WAGUIH/REUTERS
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LES RAISONS D’UNE DÉFECTION HAUT MAGISTRAT devenu ministre de la Justice, Mustapha Abdeljelil a démissionné dès les premiers jours de la révolte et rejoint la ville d’ElBeïda, dans l’est du pays. Sa disgrâce était proche:
il était devenu la bête noire des services spéciaux et des Comités révolutionnaires pour avoir rouvert le dossier du massacre de 1270 détenus politiques dans la prison d’Abou Salim, à Tripoli, en 1996.
NIGER SIX OFFICIERS DANS LE VISEUR DE DJIBO Le chef de la junte nigérienne a la rancune tenace. Avant de quitter le pouvoir – la transition militaire s’achevant bientôt (le second tour de la présidentielle aura lieu le 12 mars) –, le général Salou Djibo entend bien faire radier de l’armée six officiers accusés d’avoir
voulu déstabiliser le pays et incarcérés depuis mi-octobre. Sont visés les colonels Abdoulaye Badié (ex-numéro deux de la junte), Amadou Diallo et Abdou Issa Sidikou, le lieutenant-colonel Aboubacar Amadou Sanda, le capitaine Yayé Saley et le lieutenant
Issa Adamou. Le ministre de la Défense vient d’autoriser leur comparution devant un conseil d’enquête, le 6 mars. Mais, à Niamey, certains se demandent pourquoi, si les preuves réunies sont suffisantes, ils ne sont pas plutôt traduits devant un tribunal militaire.
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TUNISIE IMED ET SES MONTRES
RWANDA
RÉFUGIÉS EN VOIE DE DISPARITION
Le dossier d’accusation d’Imed Trabelsi, détenu à la caserne d’El-Aouina, à Tunis, s’alourdit. Arrêté le 14 janvier, puis inculpé pour infractions à la législation sur les devises et à la législation douanière, le « neveu préféré » de Leïla Ben Ali, qui était à la tête de douze sociétés, fait l’objet de deux nouveaux chefs d’inculpation : trafic d’armes et trafic de stupéfiants. Et ce n’est peutêtre pas terminé. Lors de son arrestation au salon d’honneur de l’aéroport Tunis-Carthage, Imed Trabelsi avait sur lui deux cartes de crédit – dont une française –, ainsi que trente-six montres, qu’il collectionne. Déduisant qu’il avait l’intention de les sortir du territoire sans autorisation, la Direction générale des douanes rédige actuellement un rapport. Le « neveu » est défendu par les Français Jemal Ould Mohamed (volet civil) et Olivier Metzner (volet pénal). Ces derniers sont également les avocats de Mona Haragui, fille de l’un des collaborateurs d’Imed Trabelsi – arrêté puis relâché – et sa conseillère spéciale. Elle est accusée de trafic d’armes. En vertu d’accords judiciaires entre la France et la Tunisie, rien ne s’oppose, contrairement à la rumeur qui a couru, à ce que les deux Français défendent un Tunisien. Olivier Metzner sera à Tunis avec son client pour des audiences avec le juge d’instruction le 28 février et le 1er mars.
C’est désormais clair. Dans une lettre envoyée, à la fin de février, au gouvernement de Kigali, le HautCommissariat pour les réfugiés (HCR) annonce qu’il fera jouer la « clause de cessation » en ce qui concerne les réfugiés rwandais au 31 décembre 2011. D’ici là, les quelque 70 000 Rwandais (hutus dans leur quasi-totalité) vivant à travers le monde devront soit être rentrés au Rwanda, soit s’être conformés aux règles standard d’immigration des pays hôtes – étant entendu qu’ils ne bénéficieront plus de la protection du HCR. Selon l’organisme onusien, le Rwanda, qui offre à chaque réfugié de retour chez lui trois mois de nourriture, des soins gratuits, du matériel de cuisine et le droit de réclamer la terre et la maison qu’il a abandonnées il y a dix-sept ans (à l’époque du génocide), est désormais un pays de droit. Le HCR estime également que ceux d’entre eux qui pourraient être poursuivis pour des crimes commis en 1994 auront affaire à un système judiciaire offrant des garanties suffisantes d’impartialité. Une bonne nouvelle pour Paul Kagamé…
CAMEROUN LA « RÉVOLUTION » FAIT PSCHITT… Le 23 février, des activistes de la diaspora et quelques seconds couteaux de l’opposition ont voulu profiter de la commémoration des émeutes de 2008 pour lancer une série de manifestations visant à faire tomber le régime de Paul Biya. Mais l’initiative a été un flop en raison de divisions intestines, d’une faible mobilisation et de l’efficacité du dispositif sécuritaire mis en place. Absents, la plupart des poids lourds de l’opposition ont préféré garder leurs distances avec cette nouvelle génération d’acteurs politiques regroupés au sein de la Nouvelle Opposition camerounaise (NOC), une coalition créée dans la foulée. L’autre « leader » de la diaspora, l’entreprenant Mila Assouté, ne s’est pas joint au mouvement. Il a préféré assigner l’État pour obtenir le droit de vote des Camerounais de l’étranger. Il envisage également de lancer une campagne de manifestations en mars.
Me Affoussy Bamba, porte-parole des Forces nouvelles.
VINCENT FOURNIER/J.A.
CÔTE D’IVOIRE UNE ÉMISSAIRE DE SORO AUX ÉTATS-UNIS PROGRAMME CHARGÉ pour Me Affoussy Bamba, porte-parole des Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro, qui a effectué une visite discrète aux États-Unis du 22 au 26 février. À Washington, l’avocate a rencontré le sénateur démocrate John Kerry, les cadres de la direction Afrique au département d’État et le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire, Daouda Diabaté, qui a présenté ses lettres de créance à Barack Obama le 23 février. À New York, elle a eu des entretiens avec trois ambassadeurs auprès de l’ONU – Li Baodong (Chine), Vitaly Churkin (Russie) et Susan Rice (ÉtatsUnis) – et avec le Français Alain Le Roy, secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix. Au menu des discussions : l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire et le soutien à toutes les actions entreprises par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), y compris une éventuelle intervention armée.
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CONFIDENTIEL
ÉCONOMIE
JOBAFEMI/APA
GABON DUPUYDAUBY PORTE PLAINTE CONTRE BONGO ONDIMBA L’HOMME D’AFFAIRES FRANÇAIS Jacques Dupuydauby, grand rival de Vincent Bolloré dans la « guerre des ports » en Afrique francophone, a déposé une plainte, le 22 février, pour « détournement d’actions à des fins de profit personnel » auprès du Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), organisme dépendant de la Banque Jacques Dupuydauby. mondiale. Cette requête vise nommément le président gabonais Ali Bongo Ondimba, en sa qualité d’ancien président du conseil d’administration de l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag). Dupuydauby, qui réside en Espagne, d’où il dirige la société Progosa, n’a toujours pas digéré de s’être fait souffler, en 2007, l’exploitation partielle des ports d’Owendo et de Port-Gentil (dont il avait obtenu la concession quatre ans plus tôt), au profit du Groupe Bolloré, après un nouvel appel d’offres décidé à l’époque par Ali Bongo. À cette occasion, une partie des actions de la Sigeprag, filiale locale de la galaxie Dupuydauby, avait changé de mains. Le patron de Progosa a pour avocat dans cette affaire un pénaliste classé à gauche, Me Jean-Pierre Mignard. Celui du chef de l’État gabonais est un spécialiste du Cirdi, Me Emmanuel Gaillard.
TUNISIE L’APPEL DES 200 Pour promouvoir le capital confiance de la Tunisie, des entrepreneurs tunisiens ont lancé, à travers leurs différents réseaux, dont l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), un manifeste baptisé « l’appel des 200 », qui a déjà recueilli la signature de trois cents personnalités internationales des mondes politique, financier, économique et culturel. Parmi elles, François Bourguignon, directeur de l’École d’économie de Paris, Jean-Paul Fitoussi, économiste et professeur à Sciences-Po Paris, Radhi Meddeb, président de l’Ipemed, Slim Othmani, PDG de NCA-Rouiba, ou encore Monique Cerisier-Ben Guiga, sénatrice représentant les Français établis hors de France. Toutes souscrivent au fait que « les opportunités d’investissement, les restructurations, le niveau de qualification de la main-d’œuvre, la maîtrise des nouvelles technologies et la proximité géographique avec l’Europe font de la Tunisie un partenaire économique, qui, de plus, partagera désormais avec l’Europe les mêmes valeurs démocratiques et de transparence ».
TÉLÉCOMS ERICSSON AJUSTE SA VISION AFRICAINE L’équipementier suédois a confié sa communication continentale à l’agence sud-africaine Arcay Communication. Dans les pays où cette dernière n’est pas directement représentée, Ericsson a sollicité d’autres partenaires, comme Mediacom au Sénégal. Des ateliers organisés en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria et au Sénégal recueilleront les attentes des régulateurs, des clients de l’équipementier et des utilisateurs. Les résultats seront communiqués lors du rendez-vous africain des télécoms, organisé au Cap en novembre.
CÔTE D’IVOIRE
GBAGBO PRIVÉ DE RESSOURCES
Depuis la mise en place de l’embargo portuaire et l’arrêt des exportations de cacao, les services douaniers ivoiriens ne perçoivent plus que 100 millions à 900 millions de F CFA (de 150 000 à 1,3 million d’euros) par jour, contre quelque 2 milliards de F CFA en janvier. À moins d’une aide extérieure, Laurent Gbagbo ne sera vraisemblablement pas en mesure de verser aux fonctionnaires les salaires de février. ÉLEVAGE
NIAMEY MISE SUR LE NIGERIA Le Niger, qui, avec 14 millions de têtes de bétail (13 % du PIB), est l’un des principaux pays d’élevage d’Afrique de l’Ouest, mise sur le Nigeria voisin pour doper ses exportations. Selon Mamane Malam Annou, ministre nigérien de l’Économie et des Finances, « un dossier a été introduit à la Banque africaine de développement (BAD) pour le financement d’infrastructures de transport nécessaires au développement de ce commerce ». Le gouvernement vient, en outre, d’inaugurer la Banque agricole du Niger, dotée d’un capital de 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros). J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
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les dernières idées adorent la tradition
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CONFIDENTIEL
CULTURE & SOCIÉTÉ
MUSIQUE SEUN KUTI, DEUXIÈME
CINÉMA
Après un premier album réussi (Many Things), Seun Kuti s’apprête à sortir, le 4 avril, From Africa with Fury : Rise (chez Because Music), un second opus enlevé réalisé avec Egypt 80, le groupe de son père, Fela Anikulapo Kuti, le célèbre inventeur nigérian de l’afrobeat. Refrains accrocheurs, tempos extrêmement rapides, textes engagés inspirés par l’actualité, From Africa with Fury : Rise a été enregistré entre Rio de Janeiro et Londres. « Rise », titre phare de l’album, appelle les peuples africains à résister « aux compagnies pétrolières », qui « utilisent notre pétrole et détruisent nos terres », « aux compagnies diamantaires », qui « se servent de nos frères comme des esclaves », et « aux sociétés comme Monsanto et Halliburton », qui « utilisent leurs aliments pour affamer mon peuple ». Seun Kuti sera en tournée en Europe à partir du 29 mars, et notamment en France en juin, pour le lancement de cet album.
ART AFRICAIN VENTE DE LA COLLECTION ROBERT RUBIN DÉCÉDÉ EN 2009 à l’âge de 75 ans, l’Américain Robert Rubin avait fait fortune dans l’industrie textile avant de vendre son entreprise, au début des années 1980, pour se consacrer à sa passion : l’art tribal africain. Collectionneur exigeant, il fut l’un des donateurs qui permirent la création du Museum for African Art de New York, en 1983. Exposée du 12 au 15 avril à Sotheby’s Paris, sa collection sera mise en vente le 13 mai, à New York, par le même Sotheby’s. La pièce la plus importante de la collection est une sculpture d’ancêtre dogon (entre 800 000 et 1,2 million de dollars) attribuée au « Maître des yeux obliques », dont le musée du Louvre (Paris) possède un pendant féminin. Autre œuvre majeure mise à l’encan : une sculpture d’ancêtre baoulé de Côte d’Ivoire (entre 600 000 et 900 000 dollars). Valeur totale estimée de la vente : 4 millions de dollars. Sculpture d’ancêtre dogon.
AU MENU DE CANNES 2011 À trois mois de l’ouverture du Festival de Cannes, le 11 mai, les pronostics vont bon train sur la liste des films qui seront sélectionnés. Beaucoup de très grands noms sont attendus cette année avec leur nouvelle réalisation : Terence Malick, Pedro Almodóvar, Nanni Moretti, Lars Von Trier, les frères Dardenne, Gus Van Sant, David Cronenberg, Alexandre Sokourov, Francis Ford Coppola, Brillante Mendoza… Mais on cite aussi la Libanaise Nadine Labaki – qui avait enflammé la Croisette il y a deux ans avec son premier film, Caramel, et qui présenterait cette fois Et maintenant on va où ? –, ainsi que le Franco-Algérien Rabah Ameur-Zaïmeche, dont Les Chants de Mandrin sont au stade final du montage, et le Franco-Marocain Ismaël Ferroukhi, qui pourrait présenter Les Hommes libres. On parle aussi du film de Roschdy Zem, Omar m’a tuer – sur l’affaire Omar Raddad –, de L’Ordre et la Morale, de Mathieu Kassovitz – sur la tuerie d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie –, et du nouveau film d’animation de la dessinatrice iranienne Marjane Satrapi, Poulet aux prunes, réalisé avec Vincent Paronnaud.
CE QUE PRÉPARE BOUCHAREB Rachid Bouchareb débutera, entre avril et juin prochains, le tournage aux ÉtatsUnis, dans le Michigan et au Nouveau Mexique, de Just Like a Woman. Le rôle principal de ce road movie mettant en scène une Américaine et une Nord-Africaine traversant le Middle West sera tenu par Sienna Miller. Il tournera ensuite, au début de 2012, avec Queen Latifah et Jamel Debbouze, une comédie – un « buddy movie », dit-il – intitulée Belleville Cop. Puis il reviendra en France pour réaliser, sans doute fin 2012 ou en 2013, un polar dont le titre de travail est French Connection et qui évoquera les liens entre l’histoire du trafic d’opium et celle de la France au lendemain de la guerre d’Indochine. Enfin, malgré le relatif échec public de Hors-la-Loi, le cinéaste franco-algérien entend bien conclure sa trilogie, commencée avec Indigènes, par un troisième chapitre consacré à l’immigration.
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4ème COLLOQUE “AFRIQUE SA” 31 MARS 2011 - PALAIS DU LUXEMBOURG - PARIS
Thème 1▼ Quelles perspectives pour le développement durable de l’Afrique : Enjeux économiques et financiers. Enjeux politiques Thème 2▼ Comment améliorer l’employabilité des cadres africains en France et en Afrique
Colloque Afrique SA
Jeudi 31 mars 2011, de 8h30 à 19h30 Palais du Luxembourg, 15 rue Vaugirard, 75006 Paris Pour plus d’informations: www.afriquesa.com
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14 FOCUS
LES DERNIÈRES NOUVELLES DU MONDE
COTE DʼIVOIRE
LʼHORREUR FRAPPE La commune déshéritée dʼAbobo, à Abidjan, est le théâtre de combats à lʼarme lourde entre unités de lʼarmée fidèles à Laurent Gbagbo et partisans dʼAlassane Ouattara. Le début de la guerre civile ?
THÉOPHILE KOUAMOUO, envoyé spécial
communiqués signés par des porteparole recourant à des pseudonymes sont ainsi diffusés dans les médias. Ils portent l’emblème de groupes à ce jour inconnus, comme le Mouvement de libération des populations d’Abobo Anyama (MLP2A). COMMANDO INVISIBLE
Y a-t-il un lien entre ce nouveau groupe armé et les FN ? Ahoua Don Mello, le porte-parole du gouvernement Gbagbo, en est convaincu et évoque une « infiltration » d’Abobo par des « rebelles » venus du Golf Hôtel. Un site internet proche du camp Ouattara a annoncé que Guillaume Soro était « prêt » à envoyer des « renforts » à Abobo… avant de supprimer sa dépêche.
Combien de victimes ? Des centaines ? Des milliers ? Impossible à dire.
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« Il n’y a pas de commando invisible, ce sont les populations qui se défendent. Il y a aussi une fraction des Forces de défense et de sécurité. Éprises de paix et de justice, elles ne peuvent plus supporter cette situation »: telle est la version officielle sur laquelle campe le capitaine Léon Alla Kouakou, ancien officier loyaliste rallié à Ouattara, et porte-parole de son ministère de la Défense.
ISSOUF SANOGO
I
l y a des noms tragiquement prémonitoires. Quand, en 1976, le chansonnier Daouda le Sentimental évoqua pour la première fois, dans une de ses balades, « Abobo la Guerre », il ne pouvait évidemment pas savoir que, trente-cinq ans plus tard, cette commune allait devenir un haut lieu de la guérilla urbaine en plein Abidjan. Et pourtant… Depuis le début de la crise postélectorale qui déchire la Côte d’Ivoire, c’est Abobo qui détient le triste record du nombre de civils et de combattants tués au cours d’affrontements entre les Forces de défense et de sécurité (FDS), fidèles à Laurent Gbagbo, et les sympathisants, armés ou pas, d’Alassane Ouattara, son rival, toujours retranché au Golf Hôtel. Les morts se comptentils en dizaines ou en centaines ? Difficile à dire, tant la vérité a du mal à émerger de la guerre des communiqués que se livrent les deux camps. Une chose est sûre: les unités d’élite de la police, de la gendarmerie et de l’armée affrontent à Abobo une mystérieuse colonne baptisée le « commando invisible » par la presse pro-Ouattara. Un « commando » qui se donne désormais une visibilité médiatique et utilise des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles des Forces nouvelles (FN) aux premiers jours de l’insurrection armée, fin 2002. Des
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FOCUS 15
LES TROIS COUPS
Un corps sans vie dans une rue de la commune d’Abobo, le 23 février. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
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Pourquoi Abobo est-il l’épicentre de la bataille qui s’annonce ? D’abord parce que cette commune, voisine du grand marché d’Adjamé mais aussi de Cocody, la « commune du pouvoir », où logent les principaux dignitaires du pays, est géographiquement stratégique. Son prolongement naturel est Anyama, ville à partir de laquelle on peut gagner le Nord, tenu par les FN, par une route certes secondaire mais qui demeure praticable. Surtout, Abobo a été de tous les combats contre Gbagbo depuis son arrivée au pouvoir, en octobre 2000. De nombreux jeunes ont l’habitude d’y affronter les forces de police, lorsque celles-ci entreprennent des descentes musclées, qui, du coup, se terminent souvent dans le sang. C’est la commune la plus déshéritée de la métropole abidjanaise. On y trouve un cocktail politiquement explosif : une forte concentration de populations musulmanes originaires du nord du pays, vivier naturel de la cause « ouattariste », à laquelle s’ajoute une terrible désespérance sociale, conséquence d’une insécurité galopante, mais aussi de taux records de chômage et de séroprévalence. Martyres d’une guerre des chefs qui les dépasse, les populations civiles se retrouvent prises entre deux feux. Dans un récent rapport (également consacré aux exactions des FN dans l’ouest du pays), Amnesty Inter-
DERNIÈRES NOUVELLES DES FRONTS SI LES DEUX CAMPS SE REJETTENT la responsabilité de la violation du cessez-le-feu et de l’embrasement du front ouest, il faut noter que les premiers combats ont eu lieu à proximité de la mine d’or d’Ity, dans le département de Zouan-Hounien, près de la frontière avec le Liberia. Dans cette partie du pays où le corps social est fragilisé par plus de huit ans d’affrontements sporadiques entre milices « autochtones » et « allogènes », le contrôle des ressources naturelles – cacao, bois – a toujours constitué un enjeu majeur. Longtemps convoitée par les Forces nouvelles (FN), la ville de San Pedro, principal port d’exportation du cacao, suscite toutes les convoitises. Le centre du pays demeure très important pour les deux camps. Surtout sur le plan symbolique. C’est là que se trouve Bouaké, deuxième ville du pays et QG des FN, mais aussi Yamoussoukro, la capitale politique, qui abrite le commandement des opérations de l’armée régulière. De durs affrontements armés y ont commencé entre les FDS et des T.K. partisans de Ouattara. ■ national accuse les FDS d’avoir commis des exécutions extrajudiciaires. Les victimes auraient été abattues « aussi bien au cours de manifestations qu’à leur domicile ». « La nuit, nous entendons des échanges de tirs à l’arme lourde. Le matin, quand nous nous réveillons, des morts jonchent les rues », témoigne Sabine. LACÉRÉ AU COUTEAU
Les pro-Gbagbo vivent dans la hantise d’être dénoncés. « Sous mes yeux, un homme en civil a été présenté à la foule comme un militaire au service de Gbagbo. Il a été lacéré au couteau, puis poignardé », raconte
Idrissa. Comme beaucoup d’autres, il a choisi de « s’exiler » ailleurs à Abidjan, en attendant que la bourrasque passe. L’impossibilité de se ravitailler en vivres et en unités téléphoniques accélère le dépeuplement de la commune insurgée. L’objectif des groupes pro-Ouattara semble évident : couper la grande métropole en deux en « récupérant » les zones où leur champion est politiquement majoritaire, comme Treichville et Koumassi, au sud. Après s’être jouée dans les urnes, la bataille d’Abidjan pourrait bien s’achever dans le fracas des armes. Au risque d’un cauchemar humanitaire. ■
Le sergent-chef Ibrahim Coulibaly: un itinéraire sinueux.
G.TOURTE/MAXPPP
Le mystère IB IMPLIQUÉ DANS LES COUPS D’ÉTAT de décembre 1999 et de septembre 2002, puis utilisé par le camp Gbagbo pour déstabiliser les Forces nouvelles (FN), qui l’avaient écarté, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit IB, refait surface à la faveur de la crise postélectorale ivoirienne. Plusieurs sites d’information ont d’abord fait état, fin janvier, d’un rapprochement entre l’ancien putschiste et le chef d’état-major de l’armée, le général Mangou, avant qu’un des proches collaborateurs d’IB, Timité Ben Rassoul, ne démente l’information. IB, 47 ans, qui vivait en exil entre l’Europe et l’Afrique, affirme être à la tête d’un mouvement, les Forces de défense et de sécurité impartiales, qui met en déroute les forces fidèles à Laurent Gbagbo dans le quartier d’Abobo. Une information que ne confirment ni le camp Ouattara ni les FN. IB conserve toutefois un réseau de déserteurs des FN à Anyama, Yopougon et Abobo, qui cohabitent avec des jeunes de ces quartiers et des militaires favorables à Ouattara. Il a par ailleurs repris langue avec les hommes de Guillaume Soro. Va-t-on vers un rapprochement des deux anciens « frères » rebelles ? Ces deux-là peuvent-ils s’unir pour chasser Gbagbo du pouvoir ? ■ PASCAL AIRAULT J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
FOCUS 17
ONU
ILS ONT DIT
ILS NE S’APPRÉCIENT GUÈRE, mais, invités par Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, Ali Bongo Ondimba et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, les présidents gabonais et équato-guinéen, se sont quand même retrouvés au siège de l’ONU, à New York, les 24 et 25 février. Il s’agissait de relancer les négociations en vue de régler le conflit territorial qui oppose leurs deux pays à propos de Mbanié, un îlot de 20 ha situé à 16 km au large de Libreville. Les tensions nationalistes que suscite ce différend compliquent singulièrement les négociations bilatérales engagées en 2006 et, deux ans plus tard, placées sous l’égide de l’ONU. POURPARLERS EN PANNE
Les exper ts mandatés par les deux parties avaient pris l’habitude de se concerter, à New York, avec le médiateur désigné par les Nations unies afin de finaliser les termes d’un traité susceptible de conduire à la saisine de la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ). Hélas, depuis juillet 2010, les pourparlers achoppent sur l’article 1er du traité, ce qui a entraîné leur suspension. Cet article est censé formuler la question centrale à laquelle les juges de la CIJ devront répondre. « À qui appartient Mbanié? » propose Malabo. Question inappropriée, répondent les Gabonais, qui, ne doutant pas une seconde de leur souveraineté, suggèrent de s’interroger sur la force exécutoire des conventions de 1900 et 1974, qui, selon eux, établissent la « gabonité » de l’îlot. « Ce sont les Équato-Guinéens qui ont voulu porter ce différend devant la CIJ. Ils doivent donc accepter d’aller à La Haye sur la base que nous proposons », estime le Gabonais Guy Rossatanga-Rignault. Ban Ki-moon espère que la rencontre des deux présidents permettra de renouer le dialogue. La pression des opinions dans les deux pays étant ce qu’elle est, ce n’est pas gagné. ■
ANITA CORTHIER
« Nous avons hérité d’un pays et non d’un État. Toutes les usines qui existaient avant ont été fermées, il n’y a pas de production agricole, il n’y a que le négoce. » ALPHA CONDÉ Président de la Guinée
« En rendant visite à Kaddafi, je lui avais offert De l’esprit des lois, de Montesquieu. Visiblement, il ne l’a pas lu. » PATRICK OLLIER Secrétaire d’État français (et compagnon de Michèle Alliot-Marie)
« Le berlusconisme est l’équivalent postmoderne du fascisme, fondé sur la légalisation des privilèges et sur la domination de l’image. » PAOLO FLORES D’ARCAIS Philosophe italien
« Il est clair que la diplomatie française n’existe plus. On confond les contrats et la diplomatie, et c’est pour ça que la France se rétrécit dans le monde, que sa voix ne porte plus. » MARTINE AUBRY Première secrétaire du Parti socialiste français
« Nicolas Sarkozy m’a prise pour une enfant, c’est chiant. Il n’a pas vu la femme politique qui pense, qui a des idées personnelles. » RAMA YADE Ambassadrice de France à l’Unesco et ancienne secrétaire d’État aux Droits de l’homme
« Israéliens et Iraniens, c’est comme si nous appartenions à la même nation. Les Iraniennes sont plus élégantes, c’est la seule différence. » RON LESHEM Écrivain israélien
LE DESSIN DE LA SEMAINE
GEORGES DOUGUELI J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
DANZIGER
MONSIEUR LE PRÉSIDENT, SMITH, QUI EST UN SPÉCIALISTE, PRÉTEND QUE NOUS POURRIONS NOUS RETIRER DE CET ENFER SANS QUE PERSONNE S’EN APERÇOIVE. Envoyé depuis mon Blackberry.
THE NEW YORK TIMES SYNDICATION
Lʼîlot de la discorde
18 FOCUS
CHIFFRES QUI PA RL EN T
10 milliards de
dollars: le montant des contrats de ventes d’armes conclus entre la Russie et les pays arabes en proie à des soubresauts révolutionnaires. Et donc celui des pertes potentielles pour l’industrie russe de l’armement.
2,4 millions
Le nombre des jeunes Afghanes inscrites à l’école, selon un rapport rendu public par une quinzaine d’ONG.Elles n’étaient que 5 000 en 2001, au moment de la chute des talibans.
50 milliards
C’est le nombre de planètesquecompte notre galaxie, selon la Nasa. Près de 500 millions d’entre elles seraient propices à l’apparition de la vie.
44 millions de
personnes dans le monde sont passées sous le seuil de l’extrême pauvreté (1,25 dollar par jour et par personne) entre juin et décembre 2010, à la suite de l’augmentation des prix alimentaires.
AFRIQUE DU SUD-FRANCE
Le fond de lʼair est frais
LA PREMIÈRE FOIS qu’ils se sont rencontrés, c’était en février 2008. Quelques mois plus tôt, le premier était devenu le nouveau le chef de l’État français. Tout juste nommé à la tête de l’ANC, le parti au pouvoir, le second se voyait déjà succéder à Thabo Mbeki à la tête de l’Afrique du Sud. L’entretien avait duré moins d’une demiheure dans la suite d’un grand hôtel du Cap, mais, entre les deux hommes, le courant était bien passé. « Monsieur Sarkozy, avait déclaré Jacob Zuma, tient des propos rafraîchissants. »
Longtemps, Paris a soutenu Andry Rajoelina, auteur, en mars 2009, d’un coup d’État contre Marc Ravalomanana, le président démocratiquement élu, qui avait pour sa part l’appui de Pretoria. La France et l’Afrique du Sud ont mis du temps à accorder leurs violons. Et puis il y a le dossier ivoirien. Officiellement, l’Afrique du Sud « n’a pas de favori ». Maite Nkoana-Mashabane, la ministre des Relations internationales, a pris soin de le rappeler, le 17 février. Mais on aurait tort d’y voir un revirement. Alors que la communauté internationale a globalement reconnu la victoire d’Alassane Ouattara, Zuma s’obstine à considérer que les résultats de l’élection sont « peu concluants » et a, un temps, milité pour un nouveau décompte des bulletins. Bref, c’est un allié de poids pour Laurent Gbagbo. Les diplomates africains le tiennent d’ailleurs pour l’un des principaux responsables du très probable échec du panel des chefs d’État mis sur pied par l’Union africaine. À Pretoria, on fait peu de cas de ces soupçons. Les 2 et 3 mars, a d’ailleurs fait savoir le ministère sud-africain des Affaires étrangères, le chef de l’État ne manquera pas « d’exposer ses vues » sur la Côte d’Ivoire à Nicolas Sarkozy. Voilà qui promet des échanges… rafraîchissants. ■
Madagascar, Côte d’Ivoire… Les deux pays ne sont pas sur la même longueur d’onde. Trois ans plus tard, les relations ont perdu de leur simplicité. Le président français aime toujours s’afficher aux côtés de son alter ego anglophone, comme pour marquer qu’il prend de la distance vis-à-vis de l’ancien pré carré, mais l’intérêt mutuel s’est teinté d’une pointe de défiance. Il n’est pas sûr que la visite de Zuma à Paris, les 2 et 3 mars (la première depuis qu’il est, à son tour, parvenu au sommet de l’État), suffise à inverser la tendance. Commercialement, la France et l’Afrique du Sud ont tout pour se plaire. La France dirige le G20, l’Afrique du Sud en fait partie. Cette dernière est l’un des rares marchés au sud du Sahara où la première puisse vraiment s’exporter. Les derniers mois de la présidence Mbeki avaient été marqués par une grave crise énergétique. Zuma veut donc moderniser – et élargir – son parc de centrales thermiques et nucléaires, une opportunité que Paris ne veut pas laisser passer. C’est sur le volet diplomatique que les choses se compliquent. Certes, Sarkozy soutient la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, dont l’Afrique du Sud attend un siège de membre permanent, mais Jacob Zuma s’irrite souvent de l’interventionnisme français. Exemple, le dossier malgache. GRÉGOIRE ÉLODIE/ABACA
CES
ANNE KAPPÈS-GRANGÉ
Nicolas Sarkozy et Jacob Zuma, à Nice, en mai 2010.
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JAMES LAWLER DUGGAN/REUTERS
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ARRÊT SUR IMAGE
ALLÉGRESSE, PLACE DE LA PERLE
Manama, Bahreïn, le 23 février. Place de la Perle, les manifestants exultent et jettent en l’air l’un des leurs, tout juste libéré par la police en compagnie de vingt-deux de ses camarades. Par cette mesure de clémence, l’émir Cheikh Hamad Ibn Issa Al Khalifa souhaitait désamorcer la contestation chiite,qui menace de plus en plus vigoureusement son régime, de stricte obédience sunnite. Sera-t-elle suffisante ? C’est une autre histoire.
CHINE Quand mille jasmins fleuriront... « LA CHINE A BESOIN d’une révolution du jasmin », peut-on lire sur le site boxunblog.com, tenu par des dissidents chinois en exil. La semaine dernière, ledit site avait relayé un appel à manifester le 20 février. Mot d’ordre : « Nous voulons manger, nous voulons du travail, des logements et un système équitable. » À Pékin, Shanghai et dans une dizaine de grandes villes chinoises, les manifestants étaient au rendez-vous, au jour dit. La police aussi, qui a procédé à l’arrestation d’une dizaine de personnes. À l’évidence, les autorités redoutent la contagion : pas question de laisser le vent de révolte qui balaie la « rue arabe » atteindre la Chine. Surtout avant l’ouverture de la session annuelle du Parlement, le 5 mars. Un contrôle strict des réseaux sociaux et des sites de microblogs a été instauré. Sur Sina, l’équivalent chinois de Twitter, des mots tels qu’« Égypte », « démocratie » ou « jasmin » J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
sont aujourd’hui bloqués. Cela suffira-t-il à réduire au silence les aspirations démocratiques des Chinois? Déjà, sur internet, un nouveau message appelle la population à manifester tous les dimanches dans les grandes villes. Malgré la forte croissance de son économie, la Chine n’est pas à l’abri de la contestation. Dans une tribune intitulée « Pourquoi l’Égypte devrait inquiéter la Chine », l’économiste américain Barry Eichengreen souligne les ressemblances entre les deux pays, où le mécontentement est alimenté par la corruption, le désespoir de la jeunesse et l’absence de libertés politiques. « Si les responsables chinois n’agissent pas rapidement pour canaliser les doléances populaires, explique-t-il, ils pourraient, à terme, se trouver confrontés à un soulèvement bien plus important et déterminé que les manifestations de la place Tiananmen, en 1989. » ■ TIRTHANKAR CHANDA
20 FOCUS
ALGÉRIE Il était une
FAYEZ NURELDINE/AFP
fois lʼétat dʼurgence
Par ailleurs, il va falloir adapter le code de procédure pénale aux exigences de la lutte antiterroriste. Et notamment instaurer une nouvelle catégorie de détenus. Selon les termes du communiqué du Conseil des ministres, certains inculpés, « en raison des informations qu’ils détiennent et qui sont de nature à aider la justice à approfondir ses investigations et à prévenir des actes terroristes », devraient être placés dans des « résidences protégées » choisies par le juge d’instruction. La mise en œuvre de cette disposition devra être entourée de toutes les garanties prévues par la Constitution et les instruments internationaux ratifiés par l’Algérie. Ainsi, l’inculpé en résidence protégée pourra consulter son avocat et recevoir des visites, mais aussi disposer d’une voie de recours contre cette procédure. VIEILLE REVENDICATION
aura-t-il enfin droit à un procès?
AFP
Mesure exceptionnelle, le placement en résidence protégée est limité à une période de quatre-vingtCOMME IL S’Y ÉTAIT ENGAGÉ, la le massif du Djurdjura et les dunes dix jours, renouvelable deux fois par veille, en Conseil des ministres, le sablonneuses de l’Erg occidental le magistrat instructeur. Deux déteprésident Abdelaziz Bouteflika a, (près des frontières avec le Mali et nus célèbres, Hassan Hattab, fondale 23 février, signé un décret abrola Mauritanie), la levée de l’état d’urteur du Groupe salafiste pour la prégeant l’état d’urgence en vigueur gence s’accompagnera d’une batterie dication et le combat (GSPC, ancêtre depuis le… 9 février 1992. À l’épode mesures coercitives. D’abord, un d’Aqmi), et Amara Saïfi, alias Abderque, la mesure avait été présentée projet d’ordonnance permettant à rezak el-Para, ancien émir du Sahel, comme très provisoire. Elle a donc l’armée de participer à « des missions devraient en bénéficier. Le premier duré près de vingt ans. Cela signide sauvegarde de l’ordre public hors est incarcéré depuis 2007 ; le second fie que près d’un tiers des Algériens situation d’exception ». Ensuite, un depuis 2004. Ni l’un ni l’autre n’ont n’ont jamais connu que ce dispositif décret présidentiel confiant à l’étatjamais été remis aux autorités judid’exception. major la charge de conduire et de ciaires par leurs geôliers militaires. Instauré par feu le président Mohacoordonner la lutte antiterroriste. Les Les affaires les concernant étaient med Boudiaf au nom de la lutte antimodalités d’exécution de cette dispoautomatiquement renvoyées par les terroriste, l’état d’urgence a servi de sition devront faire l’objet d’un arrêté juges, s’abritant derrière les disposicadre législatif à l’intrusion de l’arministériel conjoint entre le ministère tions de l’état d’urgence. Ce ne sera mée dans les opérations de mainde la Défense et celui de l’Intérieur. désormais plus le cas. tien de l’ordre. Il a en outre La levée de l’état d’urgenlégalisé la mise en détention ce était une vieille revendihors de tout cadre judiciaire, cation d’une partie de la les prisons secrètes, l’interclasse politique, notamnement administratif (le ment les islamistes du Mouwali pouvait emprisonner vement de la société pour la tout citoyen censé menacer paix (MSP, membre de l’All’ordre public), ou encore liance présidentielle), et de la perquisition au domicile la société civile. Elle a égad’un suspect, de jour comme lement été bien accueillie à de nuit, en l’absence de tout l’étranger. Les États-Unis mandat ou réquisition du et le Royaume-Uni ont été parquet. les premiers à s’en féliciter. A l - Q a ï d a a u M a g hr e b Pour eux, cette réforme va islamique (Aqmi) et autres dans la bonne direction : la phalanges salafistes contidémocratisation de la vie Fondateur du GSPC (l’ancêtre d’Aqmi), Hassan Hattab nuant de prospérer dans publique. ■ CHERIF OUAZANI Le décret d’abrogation a été signé le 23 février par Abdelaziz Bouteflika.
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FOCUS 21 EN HAUSSE
Faute d’une aide massive, le risque de récession, avec poussée du chômage, est réel.
PHILIPPE PERDRIX J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
AMR DALSH/REUTERS
RAHM EMANUEL
FRANK POLICH/REUTERS
L’ancien secrétaire général de la Maison Blanche (51 ans) a été élu maire de Chicago, troisième ville des États-Unis et fief de Barack Obama. Steven Spielberg et Steve Jobs ont contribué au financement de sa campagne.
SHANNON STAPLETON/REUTERS
MARY KEITANY
1 h, 5 min et 50 s : record mondial féminin du semi-marathon battu par la jeune (29 ans) Kényane, lors d’un meeting aux Émirats arabes unis. Elle empoche du même coup 50 000 dollars.
ALEXANDRE LOUKACHENKO
GLEB GARANICH/REUTERS
APRÈS AVOIR RATÉ LE TRAIN DE LA RÉVOLUTION, Paris tente de raccrocher les wagons. Le 22 février, Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, les ministres de l’Économie et des Affaires européennes, ont été dépêchés à Tunis pour tenter de faire oublier certains errements passés : de l’escapade tunisienne en jet privé de Michèle Alliot-Marie aux emportements contre des journalistes de l’ambassadeur Boris Boillon (diffusés sur internet). La France ayant beaucoup à se faire pardonner, il était sans doute préférable que la ministre des Affaires étrangères soit ce jour-là au Brésil, pour tenter de conclure la vente d’avions Rafale… Arrivés par un vol commercial, Lagarde et Wauquiez ont joué les super VRP. Mais, s’ils ont « réaffirmé l’amitié et le soutien » de la France, premier partenaire commercial de la Tunisie, ils n’ont avancé aucun chiffre quant au montant de l’aide que Paris pourrait être amené à verser. L’économie tunisienne donne pourtant d’inquiétants signes de faiblesse. Des estimations tablent sur une croissance inférieure à 2 % en 2011 (contre 3,8 % l’an dernier). Ce qui est encore optimiste. « Faute d’un soutien massif et immédiat, il y a un risque de récession, qui s’accompagnerait d’une forte montée du chômage, explique le représentant d’une institution financière. Il faudrait verser immédiatement entre 500 millions et 1 milliard d’euros pour c omp e n s er la c hu t e des recettes de l’État et des rentrées en devises. » « L’af faire MAM complique notre positionnement, commente pour sa part un haut fonctionnaire. Quand le Quai d’Orsay se trompe sur un pays, il a toujours du mal ensuite à changer les fusibles. » Christine Lagarde s’est bornée à insister sur « la confiance qui n’a pas été rompue » et l’accélération des programmes de partenariat, avant d’exprimer son « admiration pour le peuple tunisien ». Quant à Wauquiez, il a promis de tout faire, à Bruxelles, pour que la Tunisie obtienne le statut avancé de l’Union européenne. Avec, à la clé, la mise en place d’un véritable « plan Marshall ». Une conférence des bailleurs de fonds est prévue à Carthage, fin mars. Le gouvernement tunisien espère lever au moins 5 milliards de dollars. L’Union européenne a annoncé une enveloppe de 17 millions d’euros. La France n’a, pour l’instant, débloqué en urgence que 350 000 euros. ■
YAHIA ELGAMAL
Ce professeur de droit constitutionnel très respecté a été nommé vice-Premier ministre dans le nouveau gouvernement égyptien. Déjà aux affaires sous Moubarak, il avait critiqué le manque de démocratie.
Le président biélorusse « n’aime pas les pédés ». Il se vante même d’avoir suggéré à Guido Westerwelle, le chef de la diplomatie allemande, homosexuel déclaré, de « mener une vie normale ».
LEONARD CHUENE
L’ancien président de la Fédération sud-africaine d’athlétisme a été jugé coupable de détournement de fonds et de fraude par le Comité olympique international. Pas de quoi redorer le blason déjà bien terne du sport sud-africain.
SIPHIWE SIBEKO/REUTERS
Combien tu me soutiens?
ROBERT MUGABE
GRANT NEUENBURG/REUTERS
FRANCE-TUNISIE
Le président zimbabwéen a fêté ses 87 ans le 21 février, peu après avoir été investi par son parti pour la prochaine élection. Les dictateurs maghrébins sont rejetés par leurs peuples. Lui est surtout menacé par le poids des années. Pour l’instant...
EN BAISSE
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AMR DALSH/REUTERS
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LIBYE LE CRÉPUSCULE DʼUN TYRAN La révolution en marche est le dernier coup porté à un dictateur à la dérive. Aux abois, Mouammar Kaddafi nʼa quʼune seule réponse : la folie meurtrière avant une chute inéluctable.
E
FRANÇOIS SOUDAN
rection n’a pas libérés, figurent autant d’otages aux mains d’un psychopathe – même si, parmi eux, certains sont encore consentants. La folie, donc. Cet homme est fou, sans qu’il s’agisse chez lui d’une circonstance atténuante mais d’un état mental à l’œuvre depuis des décennies, dont le point d’orgue actuel ne surprend pas ceux qui, comme nous, croyaient déjà le connaître. De ce dérèglement des sens, nous savions en effet tous les symptômes. Le côté hypocondriaque, la peur de survoler la mer au point qu’il se droguait pour ne pas céder à la panique, ces yeux qui fuient sans cesse et ne se posent que sur l’horizon, ces tirades hallucinées de poète médiocre
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Un manifestant devant l’ambassade de Libye au Caire, le 21 février.
lle est apparue tel un masque sépulcral sur son visage hagard, bouffi, ravagé, lors des discours incohérents qu’il a ânonnés sur fond de décombres, au cours de la dernière semaine de février. La folie meurtrière qui envahit les dictateurs aux abois n’aura pas épargné Mouammar Kaddafi, ce boucher d’hommes, cannibale de son propre peuple, guide dévoyé mué en cavalier de l’Apocalypse. À côté de la révolution libyenne, ses sœurs tunisienne et égyptienne ressemblent à des promenades de santé au jardin des Hespérides. Ici, le chef ne fuit pas, il tue. Et les Libyens, ceux que l’insur-
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FIDÉLITÉS ET DÉFECTIONS AU SEIN DE LA GARDE RAPPROCHÉE
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décrivant ses escapades en enfer, ses longues périodes de silence au milieu d’une phrase, son obsession du flamenco et des courses de chevaux, sa mégalomanie galopante, sa garderobe affolante de chanteur d’opérette, son attirance incontrôlée pour les femmes, amazones de sa garde moulées dans leurs treillis, nurses ukrainiennes, journalistes girondes prêtes à tout pour une interview, ses humeurs de vizir et de roi des rois des tribus d’Afrique, sa tente caïdale climatisée et son troupeau de chamelles au lait viagresque qui le suivaient aux quatre coins du continent, ses caprices de vieille star botoxée, sa violence enfin,
ABDALLAH SENOUSSI
HO/AFP
On a signalé la présence du chef de la Garde personnelle de Kaddafi aux côtés de Mootassem, le fils du « Guide », lors de la répression à Benghazi. Depuis, il s’est replié auprès du dictateur dans la caserne de Bab el-Azizia, véritable camp retranché à Tripoli.
LOUAFI LARBI/REUTERS
CRIS BOURONCLE/AFP
AHMED IBRAHIM Cousin de Kaddafi, le patron du Mouvement des comités révolutionnaires (MCR) – la matrice de la révolution – a obtenu gain de cause. Son ennemi intime, Seif el-Islam, s’est rangé aux côtés de la vieille garde. Mais un problème se pose pour celui qui se voyait en successeur: les membres des Comités sont nombreux à quitter le navire et certains se sont même joints aux manifestants.
GÉNÉRAL ABOU BAKR JABER YOUNES Compagnon de Kaddafi dans le coup d’État de 1969 et patron officiel de l’armée, il garde le silence. Son nom est cité parmi ceux qui pourraient organiser la transition.
Le ministre de l’Intérieur a démissionné, annoncé son ralliement à « la révolte du peuple » et demandé à l’armée de le suivre. Sacré coup dur pour le régime. Le général est populaire au sein de la troupe et se trouve à Benghazi. Dans son discours du 22 février, Kaddafi a annoncé sa « disparition ». En fait, on lui aurait tiré dessus sans le toucher.
FETHI BELAID/AFP
GÉNÉRAL ABDELFATTAH YOUNES
Cousin de Kaddafi, il était l’homme des « missions secrètes », avec la haute main sur les relations avec l’Égypte, où il se trouvait au début de l’insurrection. Il a cherché à mobiliser des tribus frontalières. En vain. Il a alors fait défection et demandé l’asile au Caire.
MOUSSA KOUSSA Apprécié des Américains, l’ex-patron des services secrets et ministre des Affaires étrangères – écarté, semble-t-il – se tait. Il était bien placé pour jouer un rôle de premier plan dans la succession dynastique, mais sa santé l’aurait handicapé.
LOUAFI LARBI/REUTERS
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GÉNÉRAL AHMED KADDAF EDDAM
La jeunesse regardait avec dégoût une mafia se vautrer dans l’argent du pétrole. omniprésente, consubstantielle. Tous, à l’instar des chefs d’État qui l’ont fréquenté, nous le savions « erratic » – comme l’écrivent les diplomates américains dévoilés par WikiLeaks – et potentiellement dangereux. Pourtant, Mouammar Kaddafi n’a pas toujours été ce spectre cauchemardesque et confus, éructant de haine, saisissant d’une main tremblante des brouillons de notes éparpillées, appelant ses partisans à « dératiser » la Libye « maison par maison », menaçant son peuple d’un bain de sang, visiblement dépassé par les événements et sonné par l’humiliation, que les téléspectateurs ont reçu comme un uppercut au soir du 22 février. Le jeune officier nassérien de 27 ans qui s’empare du pouvoir le 1er septembre 1969 a le regard ardent, la beauté svelte et le nationalisme panarabe chevillé au corps. Ce n’est que vingt ans plus tard, lorsqu’il se proclame guide éternel d’une révolution qui a commencé à dévorer ses propres enfants, que l’on se prend à douter de son équilibre. Certes, depuis le discours de Zwara en 1973 et la création des Comités populaires, on sait que le personnage est capable de tuer. En particulier les « chiens errants », ces opposants en exil dont une vingtaine seront assassinés dans les rues des capitales européennes. Mais le tueur a de si beaux
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LE TOURNANT DU 11 SEPTEMBRE
Les années 1990 seront celles des sanctions et de l’embargo imposés par la communauté internationale. La Libye en sort exsangue, et son « Guide », blessé à deux reprises lors d’attentats, définitivement paranoïaque. Parano mais suffisamment malin pour saisir au bond la balle du 11 septembre 2001. Afin d’éviter le sort de Sa0ddam Hussein, dont les images l’obsèdent, il se rend aux Américains, livre ses armes de destruction massive ainsi que les noms et adresses de tous les mouvements terroristes qu’il a hébergés et financés. C’est au prix de la trahison de ce qui lui restait d’idéal qu’il négocie sa survie: « Nous devons nous conformer à la légalité internationale même si elle est truquée, expliquait-il déjà le 1er septembre 2002, sinon, nous serons tous égorgés. » Tous ? De plus en plus nombreux sont les Libyens qui renâclent à suivre le colonel dans sa folie. Car la levée des sanctions a mis à nu l’incurie d’un régime qui n’a plus le prétexte de l’embargo pour masquer sa gestion désastreuse de secteurs clés comme l’économie, la santé et l’éducation. Peu à peu, le pacte de l’État providence et la synthèse fragile entre les tribus, les multiples services de sécurité et la fonction publique (qui emploie plus du tiers des Libyens), sur fond de redistribution de la rente pétrolière, s’effritent. Le petit Livre vert et la troisième théorie universelle deviennent objet de dérision. Plus personne ne croit en la révolution.
HO/AFP
yeux que sa révolution fascine encore les tiers-mondistes. C’est à partir du début des années 1980 que la machine s’emballe. Au cours de cette décennie sanglante marquée par le bombardement américain de Tripoli, Kaddafi et ses proches seront directement liés à environ 150 actions de type terroriste à travers le monde, dont deux avions commerciaux abattus avec leurs passagers (Pan Am et UTA), qui se solderont par un millier de morts. Décennie meurtrière, mais aussi décennie d’échecs cinglants pour le tyran sur le plan militaire : en Ouganda et au Tchad, sa légion expéditionnaire est mise en déroute. Rendu furieux par l’humiliation, Kaddafi se venge partout où il le peut, surtout contre ceux qui, à l’époque, osent dénoncer ses crimes. Le siège de Jeune Afrique est ainsi visé par un colis piégé en plein cœur de Paris, en mars 1986.
Portrait
LIBYE LE CRÉPUSCULE D’UN TYRAN 25
LE VRAI VISAGE DE SEIF EL-ISLAM AVEC SES AIRS DE JEUNE HOMME bien éduqué, le « Glaive de l’islam » (traduction de son nom) – conseillé à grands frais depuis 2003 par des cabinets de communication anglo-saxons – incarnait, à 38 ans, l’aile modérée et réformatrice de la Jamahiriya. Homme d’affaires policé, il a mené une véritable diplomatie parallèle pour obtenir la normalisation des relations avec l’Occident et le retour des grandes compagnies pétrolières. Via la Fondation Kaddafi, qu’il présidait, c’est lui qui a négocié le règlement des attentats de Lockerbie et du DC-10 de la compagnie française UTA. Son discours martial du 20 février, avec ses menaces de « guerre civile » et de « rivières de sang », a fait tomber le masque. À Benghazi, en entendant cette diatribe révolutionnaire diffusée sur écran géant, les manifestants lui ont jeté leurs chaussures. Comme à Bagdad pour Bush. Quarante-huit heures après, le « Guide » a tenu, en substance, le même discours. Du « copié-collé ». Le fils de son père n’a qu’une obsession : la survie du régime. La méthode : violence et terreur pour les Libyens et voyages de presse clés en main organisés par des communicants italiens. ■ ABDELAZIZ BARROUHI
Surtout pas la jeunesse, dont les aspirations deviennent de plus en plus individualistes et mondialisées : voyager, s’exprimer, travailler. Et qui, avec dégoût, regarde une mafia tribale (les Gueddafa) et surtout familiale se vautrer sans limites dans l’argent du pétrole. Dans un premier temps, cette fracture se traduit par un effondrement moral : les jeunes Libyens se noient dans l’alcool illicite, la drogue, le foot à la télé et les rêves de sexe interdit dans les bordels de Malte ou de Beyrouth. Dans le racisme aussi, comme un dérivatif empoisonné à l’absence totale de libertés politiques : le début des années 2000 sera
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marqué par de nombreux pogroms contre les immigrés africains, venus d’un continent que le peuple libyen dans sa majorité rejette précisément parce qu’il symbolise à ses yeux les ambitions délirantes du « Guide » honni. Cette révolte autodestructrice, il a fallu les révolutions tunisienne et égyptienne pour lui donner un sens et une pureté. Privé de l’un et de l’autre, Mouammar Kaddafi n’a plus que la mort à distribuer, avant, peut-être, de la retourner contre lui. À 68 ans, son destin et les images de catacombes que nous recevons en rappellent irrésistiblement un autre : celui de Hitler dans son bunker. ■
SUHAIB SALEM/REUTERS
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Manifestation à Benghazi, le 24 février.
Au cœur du chaos Liberté et dignité. Ce sont les ressorts du soulèvement populaire dans un pays totalement cadenassé depuis plus de quarante et un ans.
Comment la mobilisation 1 s’est-elle étendue à tout le pays ? L’opposition au régime est traditionnellement concentrée en Cyrénaïque, au Nord-Est. En fait, les habitants de la région tripolitaine (Nord-Ouest) ont déjà manifesté dans le passé. Mais dans un climat de terreur. En 1986, au matin du 16 avril, après le bombardement nocturne des Américains sur Tripoli, beaucoup ont cru que le « Guide » était mort. À pied, en voiture, ils sont sortis dans la ville en klaxonnant et en manifestant leur joie. Mais à 11 heures du matin, quand Kaddafi est apparu en direct à la télévision, tout le monde est vite rentré chez soi. En 1997, le 18 novembre, lors d’un match de football dans le grand stade de la capitale, les spectateurs se sont mis à conspuer Saadi Kaddafi, le footballeur raté. Le sang du fils Kaddafi n’a fait qu’un tour. Sa garde a tiré sur la foule. Bilan : 17 morts.
Cette fois-ci, la victoire des insurgés de Benghazi (Nord-Est) et le formidable effet multiplicateur d’internet ont libéré beaucoup de gens de cette peur. Misratah, Mezda, Zenten, Zawiyah, Zouara… Plusieurs villes de la Tripolitaine se sont soulevées. Le 20 février, le vent de la révolte a atteint deux quartiers de la capitale, Fachloum et Tajoura. Plusieurs bâtiments officiels ont été incendiés. En riposte, le régime n’a pas hésité à faire mitrailler la foule à partir d’hélicoptères. Le 25 février, les insurgés se rapprochaient de Tripoli, où des tirs retentissaient…
La région orientale 2 prend-elle sa revanche face au régime de Tripoli ? Le drapeau rouge, noir et vert brandi par tous les insurgés de Cyrénaïque, c’est l’oriflamme de la Libye du temps du roi Idriss Ier (qui a régné de 19511969). À Benghazi, à Tobrouk, tout le
monde idéalise cette époque. Normal : la région est le berceau de la confrérie des Senoussi, ancien pilier de la monarchie libyenne. Depuis 1969, la liste des victimes du régime Kaddafi est longue : les onze pendus d’avril 1984 à Benghazi, les milliers de maquisards tués dans le Djebel al-Akhdar dans les années 1990, les 1 270 morts de la mutinerie de la prison Abou Salim en juin 1996… Autant de martyrs dont les jeunes de Cyrénaïque brandissent aujourd’hui les effigies. C’est une revanche, bien sûr. « Ni Est, ni Ouest, seulement la Libye », clament de nombreux manifestants. L’unité nationale est un legs de la monarchie. Elle est aussi la promesse d’un meilleur partage des revenus du pétrole, qui coule dans le Sud. Routes pas goudronnées, ordures pas ramassées… La Cyrénaïque a beaucoup moins profité de l’or noir que la Tripolitaine.
Quel a été le rôle 3 de la jeunesse et des facteurs sociaux ? Fer de lance du soulèvement, ce sont les 15-29 ans (près de 30 % de la population) qui ont brisé le « pacte du Livre vert ». Exaltés par l’exemple des deux voisins et pour beaucoup sans emploi (le pays compte 30 % de chômeurs), ils ne supportent plus l’idéologie d’un régime en complet décalage avec une
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Comment expliquer l’embarras des capitales d’Afrique subsaharienne ? Le 21 février, le « Guide » fait savoir que, la veille, il a reçu des appels de soutien de la part de cinq de ses pairs : l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz,
Les principales tribus contrôlent les régions pétrolières Nettement moins nombreux, les Meghara sont toutefois influents car ils forment l’ossature de l’appareil sécuritaire et administratif du régime. Le plus illustre d’entre eux est Abdessalam Jalloud, ex-numéro deux de la Jamahiriya.
tribal 4 Lea-t-ilpacte éclaté ?
Dans son discours halluciné et surréaliste du 22 février, Kaddafi a appelé à l’unité tribale pour rétablir l’ordre. Deux jours plus tôt, Seif el-Islam avait également insisté sur l’équilibre clanique du pays. De fait, depuis sa prise du pouvoir en 1969 et malgré l’habillage idéologique de la Jamahiriya à partir de 1977, le « Guide » s’est appuyé sur sa famille et les Comités révolutionnaires mais aussi sur les tribus pour asseoir son régime. En jouant évidemment sur les rivalités. Facile dans un pays qui compte près de 140 tribus, clans et sous-clans. La légitimité de la dynastie royale des Senoussi, jusqu’au putsch du 1er septembre 1969, reposait sur l’allégeance des tribus les plus importantes. Les « officiers libres », menés par le lieutenant Mouammar Kaddafi, avaient fait le serment d’en finir avec ces allégeances d’un autre âge. Mais, pour se débarrasser de ses compagnons d’armes, Kaddafi a repris à son compte et exalté les affiliations tribales tout en favorisant le clan Gueddafa (Sud), dont il est issu. « Aujourd’hui, l’urbanisation et le développement font que les chefs de tribu ont moins d’influence sur leurs membres », explique Mohammad Fadel, un chercheur libyen indépendant basé à Londres. « Cette structure de pouvoir est en train de s’effondrer. Certaines tribus lâchent Kaddafi », ajoute Delphine Perrin, de l’Institut universitaire européen de Florence.
le Malien Amadou Toumani Touré, le Sénégalais Abdoulaye Wade et le Guinéen Alpha Condé – les deux derniers dans un entretien téléphonique commun. Deux jours plus tard, on apprend que des hélicoptères ont tiré sur la foule. Grand embarras à Dakar et à Nouakchott. Le Sénégal dément tout « soutien à la répression des manifestations
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réalité qui a profondément changé ces dernières années. Même si l’accès à internet est contrôlé, l’arrivée des expatriés des grandes compagnies pétrolières, notamment, a contribué ouvrir le pays. Le développement économique, né de la richesse pétrolière, a permis de construire des écoles et d’alphabétiser 88 % de la population tout en accentuant l’urbanisation et donc le délitement des appartenances claniques. Voir et comprendre ce qui se passe ailleurs, observer le détournement de la manne pétrolière par un clan, le tout sans perspective réelle alors que Tripoli détenait, fin 2009, 139 milliards de dollars de réserves financières… Les jeunes Libyens se sont dressés et ont repris le slogan du printemps arabe : « liberté, dignité, travail ».
C’est le groupe le plus important (1 million de personnes). Nostalgique de la monarchie, il a souvent exprimé son opposition au régime. Le premier pilote d’avion de chasse ayant fait défection, le 21 février, après avoir refusé de bombarder les manifestants, s’appelle Meftah Warfali. Tout un symbole.
Mer Méditerranée
Tripoli
TUNISIE
Tripolit Tripolitaine
Syrte
Cyrénaïque ÉGYPTE
Es Sidra ra
MEGHARA
ALGÉRIE
Tobrouk
Benghazi
Sabha GUEDDAFA
WARFALA RFALA
MEGHARA
Ghât
Fezzan
NIGER TCHAD
Zones pétrolières
Koufra ce ne Avec quelque 130 000 membres, sont pas les plus nombreux, mais bien les plus puissants. Pour cause, Kaddafi est un Gueddafa. Cette tribu – ne serait-ce que par la famille – monopolise la plupart des postes de l’appareil sécuritaire. La fidélité du clan.
Principales tribus
100 km
SOURCE : NATIONAL OIL CORPORATION
Destination des exportations pétrolières libyennes (en % du total)
Divers Europe 14 Brésil 3 États-Unis 5
Divers Asie 3 Italie 32
Espagne 9 France 10 SOURCES : EIA, OPEP, BP
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Allemagne 14 Chine 10
1,6
de barils de pétrole million par jour (2009)
SOUDAN
44
de barils de réserves, milliards 8e rang mondial (2009)
70%
du PIB libyen et 80 % des recettes de l’État proviennent du pétrole
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travaillent 6 lesComment journalistes ?
Il aura fa llu at tendre jusqu’au 22 février pour que les journalistes étrangers puissent pénétrer en Libye, par l’Égypte. C’est que le « Guide » n’est pas un ami de la presse. L’Agence France Presse (AFP) n’a été autorisée à ouvrir un
REUTERS TV/REUTERS
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populaires », mais pas le coup de fil lui-même… Nouakchott demande « l’arrêt de l’usage excessif de la force ». La vérité, c’est que de nombreux chefs d’État du continent sont les obligés du « Guide ». Outre les leviers d’influence – Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), Marché commun d’Afrique orientale et australe (Comesa) –, la Libye finance de nombreux chantiers via son fonds d’investissement Laico. À la manœuvre: les deux Monsieur Afrique de Kaddafi depuis des lustres, Ali Triki et Béchir Salah Béchir. Elle entretient aussi des centaines de medersas et leurs enseignants – au Mali, par exemple, ils touchent 35 000 F CFA (53 euros) par mois. Quant à l’Union africaine, elle apprécie les aides de Kaddafi pour les événements exceptionnels. Difficile de voir partir un si généreux donateur… Surtout quand on sait qu’il y a 1,5 million de Subsahariens actuellement en Libye. Autant de cibles en cas de représailles. Moins frileuse, la Ligue arabe a pris les devants et décidé la suspension de la Libye.
Mouammar Kaddafi à la télévision nationale, dans la nuit du 21 au 22 février.
bureau à Tripoli qu’en novembre 2008. Ce bureau compte aujourd’hui deux journalistes, dont un Libyen. Et ce n’est qu’en février 2009 que 90 publications étrangères ont reçu une autorisation de diffusion. Mais le pays reste cadenassé. Les sites d’information basés à l’étranger – Libya Al-Youm, Jeel Libya – ainsi que YouTube sont censurés depuis janvier 2010. Les journalistes libyens sont soumis à une surveillance accrue depuis la création, en 2009, d’un nouvel organe, Niyaba As-Sihafa (« la députation de la presse »). La même année, la nationalisation de la chaîne El-Libiya puis, en 2010, l’arrêt forcé de la publication des journaux Oea et Quryna ont parachevé
KADDAFI INC. C’EST AINSI QU’UN DIPLOMATE AMÉRICAIN qualifiait en 2006 le clan Kaddafi, profondément impliqué dans les secteurs économiques lucratifs du pays. Malgré l’opacité autour des activités de ses membres, un télégramme diplomatique révélé par WikiLeaks affirme qu’ils ont « de puissants intérêts dans les secteurs du pétrole et du gaz, les télécommunications, les infrastructures, les hôtels, les médias et la grande distribution ». Le « Guide », tout en pourfendant la corruption dans ses discours, « donne à l’élite politique, et notamment sa famille, un accès direct à de juteux contrats d’affaires ». Ses enfants semblent particulièrement voraces. Ils ont, selon ce document, des participations dans la compagnie pétrolière nationale, qui génère plusieurs dizaines de milliards de dollars. Mohammed, le fils aîné du colonel, contrôle la poste et les télécommunications nationales. Le cadet, Seif el-Islam, a de son côté un accès direct à l’or noir grâce à la filiale pétrolière de son entreprise One Nine Group – dont le nom fait référence au coup d’État de son père le 1er septembre 1969. La fille de Kaddafi, Aïcha, a d’importantes relations dans les secteurs de l’énergie et de la construction. Quant à Saadi, le troisième fils, il avait le projet de construire une ville dans l’ouest du pays. Et comme si le gâteau n’était pas assez gros, les diplomates américains font aussi référence à une lutte entre Saadi, Mohammed et Mootassem, un autre fils, autour de la franchise FINANCIAL TIMES et JEUNE AFRIQUE 2011. Tous droits réservés. Coca-Cola. ■
le recul. Détenus par El-Ghad, la société de Seif el-Islam, ces trois médias étaient considérés comme les moins partiaux. Avant le début des derniers événements, Reporters sans frontières (RSF) ne recensait cependant aucun journaliste en prison (mais restait sans nouvelles d’un journaliste incarcéré en 1973). « Le régime libyen étant fondé sur la peur, le niveau d’autocensure est tel qu’il rendait la répression inutile », indique Soazig Dollet, responsable du Maghreb et du Moyen-Orient à RSF.
Quel point de chute pour 7 Kaddafi ?
Deux problèmes. D’abord, en quarante et un ans de pouvoir, le numéro un libyen s’est fait beaucoup d’ennemis. Le régime saoudien ne le supporte pas. L’émir du Qatar est un ami, mais pas Al-Jazira. Ensuite, après ses nombreux forfaits (Lockerbie, DC-10, massacres de ces derniers jours, etc.), il ne peut pas aller dans un pays ami où la justice internationale risque de le rattraper. Exit donc le Maroc ou l’Afrique du Sud. Restent les pays qui défient les Occidentaux, comme le Zimbabwe de Robert Mugabe ou le Venezuela de Hugo Chávez. Mais ces régimes sont précaires. En homme avisé pour lui-même, Mouammar Kaddafi préférera sans doute un pays communiste pur et dur. La Corée du Nord a participé à son éphémère programme nucléaire. La Chine peut résister à toutes les pressions. On soupçonne le « Guide » d’avoir une propriété à Hong Kong. ■ CHRISTOPHE BOISBOUVIER, MARIANNE MEUNIER, CHERIF OUAZANI, PHILIPPE PERDRIX
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INTERVIEW
Luis Martinez DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CENTRE DʼÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES (CERI)*
« Seul un État fédéral est viable » Pour ce chercheur spécialiste de la Libye, le régime ne peut pas survivre à son dirigeant. JEUNE AFRIQUE : Quelles sont les raisons de la colère ? LUIS MARTINEZ : La première raison est sociale. Près de la moitié de la population a moins de 20 ans et son immense majorité n’a connu que Kaddafi. Cette génération a indirectement bénéficié de la rente pétrolière, par l’alphabétisation, l’urbanisation, de nouveaux modes de communication. Elle s’est donc trouvée en décalage par rapport à un régime qui, lui, a raté les occasions d’ouverture et de réforme. Pour elle, les révolutions tunisienne et égyptienne se sont présentées comme salutaires. Deux hommes forts ont été renversés par la rue, et non par une guérilla ou une intervention étrangère. La perspective est devenue possible. Mais si la révolte s’est propagée audelà de la région de Benghazi – qui n’a jamais accepté la révolution de Kaddafi –, c’est que le régime a lui-même créé les conditions de sa généralisation. Pour éviter les scénarios tunisien et égyptien, il a voulu terroriser en ayant d’emblée recours à la force contre des manifestations pacifiques. C’était une erreur monumentale. Beaucoup s’étaient déjà affranchis de la peur. Autour de cette insurrection se sont alors greffés tous ceux qui attendaient d’en finir, y compris dans l’appareil d’État. De quels moyens de pression sur le régime la communauté internationale dispose-t-elle ? Il y a un ensemble d’instruments théoriques. L’interruption des achats de pétrole, le gel des avoirs de Kaddafi et de sa famille, la création d’une commission d’enquête, la saisie de la Cour pénale internationale par le Conseil
de sécurité des Nations unies. Mais en période de crise économique, il est difficile d’imaginer que l’Italie et l’Allemagne renoncent à leurs approvisionnements en pétrole ou que les banques, qui manquent de liquidités, gèlent les avoirs. Et il ne faut pas oublier que la Libye est un véritable arsenal et que Kaddafi a une capacité de nuisance hors de ses frontières. Quelle opposition pourrait prendre la relève ? Compte tenu de la nature du régime, il est difficile d’évaluer son poids politique. Mais je dirais qu’il y a cinq forces. Des forces monarchistes, descendantes du roi Idriss, aujourd’hui en Suisse et en Grande-Bretagne. Des forces constituées des nationalistes des années 1970 déçus de l’accaparement de la révolution par Kaddafi et son clan. Il y a des forces dites islamistes, divisées en deux groupes : les unes sont de tendance politique et religieuse, comme les Frères musulmans, et les autres de tendance djihadiste. Et il y a l’Alliance démocratique libyenne de Mansour el-Kikhia [opposant disparu au Caire en 1993, NDLR], qui avait un vrai projet démocratique pour la Libye et représentait une alternative, relayée par les défenseurs des droits de l’homme. Certains sont aux États-Unis, comme Abdel Hafiz Ben Sreiti, secrétaire général du mouvement national libyen. Depuis la Louisiane, il cherche aujourd’hui à coordonner l’opposition de l’étranger. Enfin, il faut maintenant compter avec cette force qu’est la jeunesse, qui considère qu’on ne peut pas se faire tirer dessus parce qu’on manifeste. Elle a bouleversé la donne.
État démocratique fédéral est viable. Cela implique une maturité politique très forte. Pour ceux de l’étranger, le défi consistera d’abord à faire accepter par ceux qui ont fait la révolution une légitimité acquise hors du pays. Vous parlez de fédération. Est-ce la forme que l’État devrait prendre après un départ de Kaddafi ? La région de Benghazi ne se laissera pas imposer l’unité nationale telle que l’a conçue Kaddafi. Son appartenance à un État post-Kaddafi sera conditionnée par un rapport de force. L’Est dira : « Si vous êtes libres aujourd’hui, c’est grâce à nous. » En Tunisie, on craint que le système Ben Ali continue de tourner sans lui. Serait-ce possible en Libye ? Non, car le système est inefficace. Le système Ben Ali était répressif et inégalitaire, mais il a permis à la Tunisie d’avoir une classe moyenne et une éco-
« Le système Kaddafi était inefficace. L’héritage est catastrophique. »
Comment une opposition aussi disparate peut-elle se coordonner ? L’expérience de l’opposition a dû faire naître la conviction que seul un
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nomie développée. Celui de Kaddafi a permis à un pays potentiellement riche de rester sous-développé ! Jusqu’en 2002, le PIB de la Libye était inférieur à celui de la Tunisie. Et ce n’est qu’avec le troisième choc pétrolier, entre 2003 et 2008, que le pays a vu sa richesse intérieure s’accroître. Rien n’a été produit. L’héritage est catastrophique. Il est même impossible de mettre l’unité nationale au crédit de Kaddafi, car c’est la colonisation italienne qui l’a fabriquée. ■ Propos recueillis par MARIANNE MEUNIER
* Auteur de Violence de la rente pétrolière, éditions Les Presses de Sciences Po, 2010.
EGE RABAT
LIBYE LE CRÉPUSCULE D’UN TYRAN 29
30 AFRIQUE SUBSAHARIENNE
BÉNIN LA GUERRE Le premier tour de la présidentielle a été fixé au 6 mars, sans consensus sur la liste électorale. Une épreuve pour Boni Yayi, qui affrontera dans les urnes deux adversaires de poids : Adrien Houngbédji et Abdoulaye Bio-Tchané.
L
es Béninois aiment à dire que chaque « élection présidentielle est une fête ». Il est vrai que depuis la con férence nat iona le en 1990, la plupart des rendez-vous aux urnes se sont traduits par des scrutins pluralistes, des campagnes à suspense, des débats contradictoires devant des téléspectateurs finalement assez peu crédules car informés, et même parfois des alternances non feintes (voir chronologie). Les esprits grincheux pourront toujours relever des coups de canif aux standards d’une démocratie pleine et entière. Exemple avec la réélection de Mathieu Kérékou, en 2001, entachée de soupçons d’irrégularités. Mais il suffit de survoler le continent – même à très haute altitude et à grande vitesse – pour saisir ce qui s’apparente à une exception. Ou, tout du moins, à un exemple à suivre, car les 8,9 millions de Béninois n’ont jamais failli. Certains barons locaux flirtent sans sourciller avec le régionalisme, des députés négocient sans vergogne le vote des lois, des hommes d’affaires sans scrupule vont chercher à l’Assemblée nationale une immunité bien commode. Tout cela est su, amuse ou scandalise, mais les électeurs restent inflexibles sur l’essentiel : le respect de la Constitution, que l’on ne bricole pas
YVES TROUNGNI
PHILIPPE PERDRIX
dans l’ancien Dahomey, et la tenue à bonne date de l’élection présidentielle. En 2006, Mathieu Kérékou a, semble-til, envisagé de jouer les prolongations après avoir effectué ses deux mandats successifs. Les syndicats ont mobilisé leurs troupes, et des leaders de la société civile ont protesté micro à la main. La rue a grondé. Le général a finalement cédé et convoqué le corps électoral à l’avant-veille du scrutin.
Cinq ans plus tard, l’incertitude ne porte plus sur les intentions du président sortant. Officiellement candidat à sa succession depuis le 29 janvier, Boni Yayi a préféré prendre les devants pour mener campagne d’ici au 6 mars et présenter le bilan d’un premier quinquennat placé sous le signe du « changement et de la rupture », de la lutte contre la corruption et de l’émergence économique après plusieurs années
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DES TROIS
Le président en campagne à Djougou, le 19 février.
d’immobilisme et de clientélisme qui avaient fini par asphyxier la petite cylindrée béninoise. « GRAVES ANOMALIES »
Néanmoins, la « fête », avec ses quatorze « ambianceurs », est quelque peu gâchée. En cause, l’imbroglio sur la liste électorale permanente informatisée (Lepi), présentée le 20 février, mais vigoureusement contestée par
l’opposition, qui estime que 1,3 million de personnes (âgées de 12 ans et plus) ont disparu des statistiques officielles. Il est vrai qu’à première vue il est surprenant de voir un pays perdre autour de 700 000 électeurs. Le nombre d’inscrits est passé de 4,2 millions en 2006 à 3,5 millions. « C’est inadmissible. Depuis le début du processus, nous dénonçons de graves anomalies. Résultat, la partie septentrionale du
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pays, qui ne représentait que 20 % de l’électorat, est passée à 40 % », dénonce Léhady Soglo, le président de la Renaissance du Bénin (RB), qui soutient le champion sudiste, Adrien Houngbédji. Après trois batailles pour la magistrature suprême, à 68 ans, le candidat de l’Union fait la nation (Un) joue sa dernière carte, limite d’âge constitutionnelle oblige, avec de réelles chances de l’emporter. Avant la Lepi, le Sud représentait plus de 65 % de l’électorat, tandis que tous les candidats de 2006 regroupés aujourd’hui sous la bannière Un affichent un score dépassant les 55 %. « Nous pouvons l’emporter dès le premier tour », UNE ALTERNANCE expliquait HoungEXEMPLAIRE bédji il y a quelques Février 1990 semaines. Conférence Cet te nouvel le nationale. l i s t e é le c t or a le , accompagnée d’un Avril 1991 logiciel centralisant L’opposant et compi la nt le s Nicéphore Soglo résultats, a quelque est élu président peu douché l’optide la République. misme des opposants à Boni Yayi. Avril 1996 Houngbédji plaide Mathieu Kérékou avec virulence pour remporte la la prise en compte présidentielle. Il de ces « exclus » est réélu en 2001. afin d’assurer « des élections propres » Mars 2006 et éviter que cette Victoire de Boni Lepi ne soit synonyYayi, avec 74,5 % me de « régression des suffrages. dé mo c r at ique ». Pour l’heure, personne n’ose avancer l’idée d’un boycott, mais à Cotonou l’atmosphère est tendue. « Que tous ceux qui vitupèrent et prétendent que 1,3 million de personnes ont disparu disent la vérité. Avec les anciennes listes manuelles, il y avait beaucoup de fraudes avec des doubles inscriptions en pagaille, des morts, des enfants et des étrangers qui votaient. Tout le monde en profitait », affirme un proche conseiller du
32 AFRIQUE SUBSAHARIENNE chef de l’État, dont le parcours traduit néanmoins une réelle indépendance d’esprit. Il en veut pour preuve les fortes variations du nombre d’inscrits entre les législatives de 2007 (4,7 millions) et les élections locales de 2008 (3,6 millions). « Avec l’enregistrement et l’identification biométriques, cette époque est révolue », conclut-il. En règle générale, sur le continent, les oppositions réclament en vain l’informatisation des fichiers électoraux afin de limiter les risques de tripatouillage. Les pouvoirs en place tergiversent, lambinent, invoquent des contraintes budgétaires… et sont réélus. Au Bénin, les rôles se sont inversés. Pourquoi ? BLOQUER LE PROCESSUS
Au sortir de la conférence nationale, la classe politique a conclu une sorte de Yalta électoral. Un accord tacite qui a ouvert la porte à une série de petits arrangements, tout en donnant une
légitimité aux principaux leaders régionaux capables d’assurer la stabilité du pays. Cela a fonctionné. Mais depuis, la démographie a évolué. Cotonou compte plus de 1 million d’habitants, mais combien d’électeurs, une fois soustraits les résidents occasionnels ? La commune voisine d’Abomey-Calavi est vraisemblablement devenue la deuxième ville du pays, alors que la capitale politique, Porto-Novo (le fief de Houngbédji), est en perte de vitesse. Par ailleurs, les manœuvres dilatoires de certains caciques de l’opposition, qui ont cru pouvoir bloquer le processus d’identification en appelant discrètement leurs militants à ne pas s’enrôler, relèvent de la bouderie dans une cour de récréation. À présent, il est trop tard. Les barons de l’Un ont beau reprendre leurs calculettes, ils ont sous-estimé l’« effet Lepi »
POUR QUI VOTE KÉRÉKOU ?
CHARLES PLATIAU/REUTERS
« AVEC KÉRÉKOU, il faut rester sur ses gardes, car il conserve une réelle influence », explique un conseiller au Palais de la marina, faisant notamment allusion à la présence de proches de l’ancien chef de l’État aux côtés du candidat Abdoulaye BioTchané (ABT). Ce dernier n’a jamais caché sa sympathie et sa fidélité au « Caméléon » dont il a été le ministre de l’Économie et des Finances en 1998. Cela suffit-il à faire du général un soutien d’ABT ? L’ancien président (ici en 2003) prend Pas sûr, même si tout porte plaisir à entretenir le mystère. à croire qu’il n’est guère en phase avec son successeur, Boni Yayi, et sûrement pas membre du comité de soutien du sudiste Adrien Houngbédji. « Fondamentalement, Kérékou, goguenard et cynique, ne roule pour personne, mais il adore compliquer le jeu », explique une vieille connaissance du général. C’est sans doute à l’aune de ce goût pour la manœuvre souterraine qu’il faut comprendre les candidatures de deux « Kérékou boys »: Issa Salifou et Christian Enock Lagnidé, deux hommes d’affaires qui ont prospéré sous son règne. Le premier a obtenu le feu vert de Kérékou avant d’entrer en piste, assure un témoin direct. « On n’a pas d’inquiétude sur le choix et l’attitude de Kérékou », assure un proche de Bio-Tchané persuadé que le militaire originaire de Natitingou donnera le coup de main nécessaire au candidat natif de Djougou, une localité située à quelques kilomètres. Cela peut compter. ■ PH.P.
sur leur pactole de voix. « Notre liste est propre, et la natalité dans le Nord est plus élevée que dans le Sud », réplique le superviseur de la Lepi, Nassirou Arifari Bako. Outre qu’elle ouvre la voie à une série de contestations au lendemain du scrutin, avec tous les risques de dérapage que cela comporte, cette
L’opposition a beau refaire ses comptes, son pactole de voix a fondu. séquence traduit une nouvelle fois le déficit politique du chef de l’État. Adepte de la rupture avec les partis traditionnels, le nouveau venu de 2006 a toujours préféré le coup de menton à la palabre consensuelle. Sans majorité à l’Assemblée, il gouverne le plus souvent par ordonnance. Sûr de son fait, il a taillé en pièces l’alliance qui lui avait permis de rafler 74,5 % des suffrages au second tour. Déterminé à asseoir son emprise, il est parti à l’assaut de fiefs historiques de l’opposition, dont la ville de Cotonou, tenue par la famille Soglo. « Au pays où le pouvoir se partage », pour reprendre l’une des maximes d’Adrien Houngbédji, cette gouvernance a montré ses limites. Et n’a pas protégé le locataire du Palais de la marina de virulentes attaques lorsque des scandales financiers ont éclaté. Au Bénin, un chef d’État en exercice s’est vu menacé d’être traduit devant la Haute Cour de justice dans la foulée du dernier scandale d’ICC Services, monstrueuse arnaque dont le montant a été estimé à 90 milliards de F CFA (137 millions d’euros). Aujourd’hui, l’affaire a fait « pschitt ». Les députés ne sont jamais parvenus à réunir les signatures suffisantes, et une partie des épargnants floués par ces « Madoff béninois » ont été remboursés. « Mais cette procédure lancée, même avortée, a affaibli la fonction », estime un ancien ministre, qui reconnaît toutefois à son ex-patron « la sincérité et la volonté d’améliorer la vie des gens ». « On voit l’argent descendre du sommet vers la population », résume un fonctionnaire international, citant la microfinance, la gratuité de l’école primaire et des césariennes. De fait, sous Yayi, des routes ont été bitumées,
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des chantiers dans l’énergie lancés, l’équilibre des finances publiques rétabli, et la production céréalière aura été en constante progression. En revanche, lorsqu’il s’agit de mener à bien des réformes d’envergure, la machine se grippe. C’est le cas pour le port de Cotonou, toujours englué dans les méandres de la corruption (5 directeurs généraux des douanes et du port se sont succédé depuis 2006), et dans la filière coton. « La rupture méritait plus de méthode », admet l’un des conseillers les plus influents du chef de l’État. « Au Palais, la gestion des hommes pose problème », ajoute un visiteur régulier. Le message a été entendu puisque le président-candidat s’est engagé à refonder la République en créant notamment un Premier ministre. BARONNIES SUDISTES
En attendant, ses deux principaux adversaires – Adrien Houngbédji et Abdoulaye Bio-Tchané (ABT) – critiquent sans relâche les erreurs de pilotage du commandant Yayi. « Je veux remettre de l’ordre dans les affaires et renouer avec un bon fonctionnement institutionnel. Le reste suivra », explique Houngbédji, qui mise plus sur sa stature d’homme d’État et son expérience que sur son programme économique. « Avec une politique volontariste et de la méthode, il est possible de générer 8 % de croissance, de créer 250 000 emplois et de financer 2 000 milliards de F CFA d’investissements sur cinq ans », assure pour sa part l’ancien président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et expatron Afrique du Fonds monétaire international (FMI). Mais ces deux-là ont aussi leurs faiblesses. Il n’est pas certain que les différentes baronnies sudistes votent sans rechigner pour Houngbédji. Quant à ABT, natif du Nord, il se présente comme un « indépendant », cherchant à transcender les réflexes communautaires dans l’isoloir, mais son espace politique semble réduit face au président sortant originaire de la même région. Qui plus est, Boni Yayi a des élus locaux dans tous les recoins du pays depuis les municipales de 2008. Et il est le seul. ■
Depuis la privatisation de la filière coton, la production s’est effondrée.
ÉCONOMIE
Un bilan en demi-teinte
« MIEUX VAUT LA FIN D’UNE CHOSE QUE SON COMMENCEMENT. » Fervent lecteur de la Bible, le président béninois, Boni Yayi, doit regretter que cette parole de l’Ecclésiaste ne s’applique pas au taux de croissance de l’économie béninoise durant son premier quinquennat. En progression de 2005 à 2008 – passant de 2,9 % à 5 % – ce taux a piqué du nez de manière préoccupante en 2009 (2,5 %), ne parvenant pas à se redresser significativement en 2010 (2,8 %). Dans un tel contexte, l’opposition a beau jeu de rappeler les vieux slogans de campagne du président sortant. Dans l’euphorie de la campagne électorale de 2006, Boni Yayi, du haut de la légitimité économique que lui conférait son statut de président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), promettait à ses compatriotes une croissance à deux chiffres ! Un engagement quelque peu audacieux dans un pays où, depuis vingt ans, le cap de 6 % de croissance n’a été atteint que deux fois – en 1995 et en 2001. Les faiblesses structurelles de l’économie béninoise ne se sont pas corrigées ces dernières années, et la conjoncture n’a pas toujours été favorable. Le pays demeure très dépendant de ses deux mamelles : la culture du coton, qui représente 80 % de ses recettes d’exportation, et les réexportations (de riz, notamment) vers le grand voisin nigérian. « La production cotonnière est passée de 400 000 tonnes en 2005 à 150 000 t en 2010. La filière, privatisée par étapes depuis 1999, a connu un vrai problème de gestion des intrants, ce qui l’a plombée », explique l’agroéconomiste Gabriel Lawin, en fonction au ministère de l’Économie et des Finances. La flambée des cours des denrées alimentaires a poussé le gouvernement nigérian à baisser la fiscalité sur le riz dès 2008, ce qui a encouragé les commerçants locaux à importer directement depuis les pays producteurs plutôt que de continuer à passer par le port de Cotonou, jusque-là plus avantageux. Et cela a eu un impact non négligeable sur les recettes engrangées par les douanes béninoises. Un certain nombre d’impairs en matière de gouvernance n’ont rien arrangé. Au-delà du scandale politique qu’a constitué l’affaire ICC, le phénomène des « maisons de placement d’argent » a durablement déstabilisé le secteur financier, notamment les institutions de microfinance, victimes du transfert de l’épargne publique vers ces éphémères « banques volantes ». Le port de Cotonou, dont le groupe Bolloré a obtenu la concession en août 2009, a souffert de multiples changements à sa tête. Il n’a pas pu devenir ce cœur névralgique de la « plateforme multimodale de transport » régionale qu’ambitionne de devenir le pays. Les années Yayi n’ont pas pour autant été des années perdues. Des travaux d’infrastructures ont été lancés ou parachevés, ce qui fait dire à de nombreux Béninois que « le président travaille ». L’agriculture vivrière a enregistré de belles performances – la production céréalière a ainsi crû de 44,75 % entre 2008 et 2009, selon des données gouvernementales. Et le volontarisme manifesté au sommet de l’État en matière d’octroi de microcrédits a eu un certain effet en THÉOPHILE KOUAMOUO matière de redistribution de la richesse nationale. ■
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On est loin de la croissance à deux chiffres promise il y a cinq ans.
CHARLES PLACIDE
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34 AFRIQUE SUBSAHARIENNE CÔTE DʼIVOIRE
Blé Goudé : Gbagbo jusqu'à la lie
C
e soir, Charles Blé Goudé affiche son large sourire de conquérant. Quelques heures plus tôt, lors d’un meeting à Yopougon, à la périphérie d’Abidjan, il s’en est violemment pris au président burkinabè : « Blaise Compaoré a entretenu la rébellion et pille les richesses de la Côte d’Ivoire, accuse-t-il. Le Burkina Faso compte parmi les pays producteurs de cacao, bien qu’aucun pied de cacao ne pousse sur ses terres. » L’influent leader des Jeunes patriotes – et tout nouveau ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo – sait user d’accents ultranationalistes pour mobiliser les foules. La journée a été longue, et Charles Blé Goudé s’est installé à l’Allocodrome, un maquis à ciel ouvert du quartier de Cocody réputé pour son choukouya, sa viande braisée. Aux trois journalistes qu’il a conviés à sa table, en ce début du mois de février, il promet de tout dire : « Avec vous, il n’y a jamais de off ! » Casquette noire vissée sur la tête, polo Ralph Lauren, jean, baskets, « le général de la rue » est toujours l’un des plus fidèles soutiens au président sortant, dont il vante le charisme, le sens politique et les connaissances historiques. COSTUME DE SYNDICALISTE
Mais la leçon de 2004 a été retenue. À l’époque, il avait appelé des milliers de personnes à descendre dans la rue pour protester contre la destruction de l’aviation militaire ivoirienne par la France dans une formule restée célèbre : « Si vous êtes en train de manger, arrêtez-vous. Si vous dormez, réveillez-vous. L’heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité ! »
Aujourd’hui, à 39 ans, l’homme a lissé son discours et abandonné son costume de syndicaliste intrépide pour celui de leader politique. Il s’en prend toujours au chef de l’État français, qu’il accuse d’ingérence postcoloniale, mais appelle à protéger les ressortissants de l’Hexagone. Comme Laurent Gbagbo, son mentor, il aime entonner le refrain de l’agression extérieure à laquelle il s’opposera au péril de sa vie. Les deux hommes ne sont-ils pas les garants d’un esprit et d’une manière de vivre à l’ivoirienne ? Un nationalisme que l’on retrouve jusque dans leurs assiettes. Bété né à Niagbrahio, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, il se régale d’un beau machoîron piqué, accompagné d’attiéké. Il est marié à une Ivoirienne, vit à Yopougon, parle le nouchi (l’argot d’Abidjan), danse à merveille le zouglou et dévore tous les plats en sauce. En cette soirée très étoilée, il est particulièrement en verve. Là, en terrain conquis, non loin de la Cité rouge, où logent les membres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), il livre pêle-mêle ses souvenirs de fac, ses combats d’étudiant et son ambition suprême. « Si je ne dev iens que P rem ier ministre, je n’aurai pas réussi ma vie », assène l’audacieux, avant de donner rendezvous à Guillaume Soro, le chef du gouvernement d’Alassane Ouattara, dans cinq ans pour la prochaine présidentielle. Entre les deux anciens patrons de la Fesci, les relations ont toujours été compliquées. En 1995, Gbagbo n’est pas encore président, mais c’est lui qui tire les ficelles du syndicat étudiant, et
STEFAN MEISEL/DEMOTIX/ABACAPRESS.COM
Le discours est toujours volontiers nationaliste, mais les invectives ont perdu de leur virulence. Pur produit du système Gbagbo, qui lʼa fait ministre, lʼancien leader étudiant se rêve un destin national. Rencontre.
il préfère en confier les rênes à Soro. Amer, Blé Goudé ronge son frein avant de lui succéder trois ans plus tard. Un engagement qui lui vaudra d’être emprisonné à plusieurs reprises sous la présidence d’Henri Konan Bédié. En 2002 et 2004, Blé Goudé met son charisme et son influence au service du régime des « refondateurs », menacé
Visé par des sanctions de l’ONU, il ne peut pas voyager et ses avoirs ont été gelés. par la rébellion des Forces nouvelles, et se retrouve, en 2006, sur la liste des sanctions onusiennes. On lui reproche, bien qu’il s’en défende, ses déclarations répétées appelant à la violence contre les installations et le personnel des Nations unies. Il est aussi accusé d’avoir participé à des actes commis par les milices de rue, incluant des passages à tabac. Aujourd’hui encore,
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BIO EXPRESS
1972 Naissance à Niagbrahio 1990 Adhère à la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) 1998 Prend la tête de la Fesci 2002 Crée l’Alliance des jeunes patriotes et devient le fer de lance des manifestations anti-Français 2006 Mis sur la liste des personnes visées par des sanctions de l’ONU Décembre 2010 Devient ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi. Lors d’un meeting, le 23 janvier à Abidjan.
il est dans la ligne de mire du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo. Il n’a pas le droit de voyager et ses avoirs à l’étranger sont gelés. « Lesquels ? » plaisante-t-il. Pendant ce temps, Guillaume Soro, son frère ennemi, enchaîne les postes de ministre et les honneurs qui vont avec. En 2007, Gbagbo lui propose de prendre la tête du gouvernement s’il signe les accords de Ouagadougou. Blé Goudé a depuis longtemps compris qu’on le cantonnait au mauvais rôle. Il doit absolument redorer son image s’il veut un jour avoir un destin national. Oubliées les formules pousse-aucrime. Il est nommé ambassadeur de la paix, se compare à Nelson Mandela et fait, en 2009, son mea culpa dans les colonnes de Jeune Afrique. À plusieurs reprises, il demande la levée des sanctions – en vain – et se rapproche de « [son] ami Guillaume ». Mais les temps ont changé. Blé Goudé a beaucoup mouillé la chemise lors de la campagne électorale et doit
à nouveau battre le pavé pour Laurent Gbagbo, dont le pouvoir vacille. Le ton se fait narquois : « J’ai emmené Soro chez Simone Gbagbo, se souvient Blé Goudé. Il s’est mis à genoux, ce jour-là, pour lui demander pardon. Le problème avec lui, c’est qu’un jour il est avec nous dans le gouvernement, le lendemain il est dans la rébellion. » RESTAURANTS ET BOÎTES DE NUIT
Blé Goudé, lui, est devenu « un homme d’affaires très prospère, avec des intérêts conséquents dans des hôtels, boîtes de nuit, restaurants, stations-service et dans l’immobilier en Côte d’Ivoire », selon un télégramme diplomatique américain récemment révélé par WikiLeaks. En 2006, il crée Leaders Team Associated (LTA), une société de communication qui va rapidement capter de nombreux marchés auprès des grandes entreprises publiques aux mains des piliers du régime. D’ailleurs, le leader pat r iote a d’abord refusé le maroquin que lui proposait Gbagbo. Peut-être craignait-il
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une durée de vie limitée… Mais le président a beaucoup insisté et Blé Goudé fait impeccablement son job. Que pense-t-il d’Alassane Ouattara ? « Il n’est pas courageux, sinon il irait lui-même dans la rue avec les manifestants, explique-t-il en ressortant la théorie du complot ourdi par l’ancienne puissance coloniale. Ouattara, c’est quelqu’un que les Occidentaux veulent imposer aux Ivoiriens. Mais mes compatriotes ne le suivent pas dans ses appels à la désobéissance civile et ses mots d’ordre de grève. » Il suit de près aussi ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte : « Si je n’étais pas sous sanction, j’irais partout sur le continent pour éveiller les consciences. » En attendant, il nous donne rendezvous à son prochain meeting. Quant à lui, sa soirée n’est pas terminée. Il part rejoindre l’actuel secrétaire général de la Fesci, Mian Augustin. Blé Goudé sait trop le poids de la fédération pour oser la négliger. ■ PASCAL AIRAULT,
envoyé spécial à Abidjan
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INTERVIEW
Denis Sassou
« Ce sont les peuples qui font les révolutions. Pas les politiciens. » Chute des dictatures arabes, crise en Côte dʼIvoire, élections en RD Congo, biens mal acquis... Du haut de son quart de siècle au pouvoir (en deux épisodes distincts), le chef de lʼÉtat analyse avec flegme les aléas de lʼactualité africaine et congolaise. Entretien exclusif.
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 37 l’ont accueilli, compter les ponts et les kilomètres de voies bitumées inaugurés, narrer telle une épopée la progression de l’autoroute Pointe-Noire - Brazzaville, retracer la généalogie de chaque tribu, décortiquer le message de chaque danse traditionnelle, évaluer avec précision le nombre de kilowatts gagnés sur l’obscurité… Dans un pays qui, à en juger par l’omniprésence des projets lourds de développement, semble enfin décoller après deux décennies de quasi-stagnation, porté par les cours du pétrole et un taux de croissance euphorique à deux chiffres, l’heure pourrait être à l’optimisme raisonné – et au repos mérité du chef. Pourtant, rien n’est encore acquis. La paix est là, certes, et les forces de l’ordre, tout particulièrement la police, ont beaucoup progressé en professionnalisme et en efficacité. Mais la sécurité ne règne pas encore partout, comme le démontrent de récents incidents résiduels dans la région du Pool. Plus les effets de la manne pétrolière deviennent visibles et palpables, plus les exigences de sa redistribution immédiate se font entendre au sein d’une population volontiers frondeuse et prompte à critiquer les enrichissements sauvages. Enfin, et surtout, le Congo ne saurait faire abstraction d’un environnement continental éruptif où les crises postélectorales et les révolutions mettent à mal les équilibres politiques quand ils reposent sur des injustices sociales. De tout cela, Denis Sassou Nguesso, 67 ans dont vingt-six au sommet de l’État (en deux épisodes distincts) parle sans détour. Cet entretien a été recueilli le 18 février, dans les jardins de sa résidence d’Oyo.
Sur les berges du fleuve Alima, à Oyo, département de la Cuvette, en février 2011.
affaire internationale, avec l’accord de toutes les parties ivoiriennes. Il y a eu des négociations à Marcoussis, Accra, Lomé, Pretoria. La Cedeao [la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR], l’Union africaine, l’ONU s’en sont saisies. Moi-même, en 2006, lorsque je présidais l’UA, je me suis rendu à plusieurs reprises à Abidjan. C’est dans ce cadre et à la suite de ce long processus que l’élection présidentielle a eu lieu. Tout le monde a accepté les résultats du premier tour et nous nous attendions à ce que le second mette un terme définitif à la crise en élisant un président. Ce qui a été le cas sur le fond. Il n’y a pas deux chefs de
VINCENT FOURNIER/J.A..
« Les Ivoiriens, dans leur majorité, ont élu Ouattara. Ce choix doit être respecté. »
Nguesso PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CONGO
Propos recueillis à Oyo par FRANÇOIS SOUDAN
D
enis Sassou Nguesso n’est jamais aussi serein qu’au bord des rives de l’Alima, le fleuve nourricier qui traverse sa terre d’Oyo, et jamais aussi heureux qu’au retour d’une tournée d’inspection au chevet de ses grands travaux. De l’un et de l’autre, il peut parler des heures, énumérer les villages qui
JEUNE AFRIQUE : À l’instar de vos pairs d’Afrique francophone, on ne vous a guère entendu à propos de la grande crise ivoirienne – si ce n’est pour exprimer votre « vive préoccupation ». Alors soyons clairs : y a-t-il un ou deux présidents en Côte d’Ivoire ? DENIS SASSOU NGUESSO : Cela fait plus d’une décennie maintenant que le dossier ivoirien est devenu une
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l’État ivoirien, mais un seul. En d’autres termes, ma position est celle de l’UA: le peuple ivoirien s’est prononcé dans sa majorité en faveur d’Alassane Dramane Ouattara, et ce choix démocratique doit être respecté. Cela étant dit, tout doit être fait pour préserver la paix civile, d’où la médiation en cours du panel des chefs d’État. Êtes-vous favorable à une intervention militaire si les négociations échouaient ? Cette hypothèse est pour l’instant suspendue aux résultats du panel. S’il échoue, l’Afrique saura ce qu’il y a lieu de faire. Que pensez-vous des sanctions prises à l’encontre de l’entourage de Laurent Gbagbo ? Ce n’est pas un phénomène nouveau. Je souhaite simplement que ceux qui en décident les appliquent avec la même vigueur ailleurs qu’en Afrique. Les faits, hélas, ne vont pas dans ce sens. Quelles leçons tirez-vous des changements de régime en Tunisie, en Égypte et peut-être demain en Libye ? Tous les peuples ont besoin de liberté, de démocratie et de justice sociale. C’est une leçon qui vaut pour l’Afrique sans doute, mais aussi pour tous les pays du monde, y compris les plus développés.
38 AFRIQUE SUBSAHARIENNE Chez vous, au Congo, les dirigeants de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale [Upads], principal parti de l’opposition, vous ont exhorté à vous inspirer de ces événements pour « décadenasser » la vie politique. Les écoutez-vous ? Je ne suis pas sûr que des gens qui ont contribué à plonger ce pays dans la nuit noire soient les mieux placés
Lors du dernier sommet de l’UA, à Addis-Abeba, une résolution a été adoptée demandant que soient suspendues les poursuites engagées par la Cour pénale internationale contre le président soudanais Omar el-Béchir. J’imagine que vous êtes d’accord… Absolument. J’ai eu à m’occuper, en 2006, du dossier du Darfour et j’ai toujours été très réservé quant à l’opportunité de cette procédure. Il n’est ni sérieux ni responsable de vouloir résoudre cette affaire en s’attaquant ainsi de front aux autorités de Khartoum. À la limite, c’est du sabotage.
« Je suis surpris que la Cour de cassation française ne dise pas le droit. » pour donner des conseils de ce genre. En toute hypothèse, des mouvements comme ceux que nous avons observés en Afrique du Nord n’émanent pas des politiciens mais du peuple. Or le peuple congolais a le sens des réalités. Il a connu et payé le prix de la guerre civile. Il est d’autant moins disposé à récidiver que tous les moyens d’expression démocratique sont à sa disposition. Comme vous le savez, les révolutions ne tombent pas du ciel. Elles surviennent quand il n’y a ni espace de liberté, ni élections concurrentielles. Or le Congo est un État de droit, où les partis politiques sont actifs et où les élections arrivent à leur terme.
En revanche, vous êtes pour le jugement au Sénégal du Tchadien Hissène Habré. Tout à fait. C’est une décision de l’UA. Une élection présidentielle vient d’avoir lieu chez votre voisin centrafricain. Votre sentiment ?
Je crois que le processus démocratique s’y est déroulé correctement sous la supervision de la Commission électorale indépendante. La Cour constitutionnelle a proclamé la victoire du président Bozizé. Reste le second tour des législatives. Bien évidemment, les contestations ne manquent pas, comme partout d’ailleurs, y compris en Europe ou aux États-Unis. Le gros morceau, c’est la République démocratique du Congo, où le scrutin est prévu pour novembre. Êtes-vous inquiet ? Difficile d’être indifférent. La communauté internationale a déployé de très importants moyens lors de la présidentielle de 2006, qui s’est bien déroulée. Renouvellera-t-elle son concours et à quel niveau ? Je l’ignore pour l’instant. Mais je suis attentif. À ce propos, l’ancien chef d’étatmajor de l’aviation de la RD Congo, le général Faustin Munene, qui est recherché depuis plusieurs mois par la justice militaire de son pays, a été interpellé mi-janvier à Pointe-Noire.
Ben Ali et Moubarak, deux membres du club des chefs d’État africains, viennent d’être chassés du pouvoir. Éprouvez-vous de la compassion pour eux ? Je ne sais pas de quel club vous parlez et il n’est pas question de sentiments en la matière. Qu’on le veuille ou Visite du futur hôtel non, c’est toujours Alima le peuple qui a le Palace, der n ier mot, et i l à Oyo. f aut é v i de m m e n t l’accepter. Lorsqu’en 1992 j’ai moi-même dû quitter le pouvoir pour le remettre au président élu, Pascal Lissouba, vous ne m’avez pas entendu crier à l’injustice. J’ai souhaité plein succès à mon successeur et je suis rentré chez moi, accompagné par la foule de mes partisans. Puis je me suis retiré à Oyo pendant deux ans, sans pratiquement mettre les pieds à Brazzaville. Cela, tous les Congolais le savent. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
AFRIQUE SUBSAHARIENNE 39
B.BALANGA/PRESIPHOTO
Avec Guillaume Soro, Premier ministre d’Alassane Ouattara, le 24 janvier à Brazzaville.
le fleuve pour se réfugier chez nous. Ce phénomène existe pratiquement depuis l’indépendance de nos deux pays. À chaque fois, nous les interceptons et nous en informons les autorités de Kinshasa. Reste le problème de l’extradition, sur lequel nous observons depuis plus de quarante ans une position négative de principe. En 1968, souvenez-vous, le chef rebelle Pierre Mulele, ancien ministre de Lumumba, s’était réfugié à Brazzaville à sa sortie des maquis. Le président Mobutu nous avait aussitôt dépêché son ministre des Affaires étrangères muni de toutes les garanties possibles quant au sort qui lui serait réservé. Mulele lui a été remis. Trois jours plus tard, il était exécuté à Kinshasa. Nous nous sommes promis de ne plus jamais nous tromper de la sorte. Cette position est toujours la nôtre aujourd’hui. Elle vaut d’ailleurs aussi pour le chef tribal Odjani de la milice Enyele de l’Équateur, que nous avons arrêté l’an dernier à Impfondo et qui est depuis retenu à Brazzaville.
VINCENT FOURNIER/J.A..
Kinshasa demande son extradition. La lui accorderez-vous ? C’est une question délicate à laquelle j’apporterai une réponse claire. Ce n’est pas la première fois que telle ou telle personnalité de la RD Congo traverse
Selon certaines informations, le président angolais José Eduardo dos Santos vous reprocherait votre manque de fermeté à l’égard des indépendantistes cabindais. Est-ce exact ? C’est faux. Il peut certes y avoir des méprises, mais nos relations sont bonnes avec tous nos voisins, a fortiori avec l’Angola. Le président dos Santos et le MPLA savent très bien que notre solidarité à leur égard n’a jamais varié
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depuis l’époque de la lut te a nt icolo niale, quand Brazzaville leur offrait l’hospitalité.
Vous êtes le président en exercice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, la Cemac. Un an et demi après le scandale qui a secoué votre banque centrale commune, seuls trois des 140 responsables et bénéficiaires de ces détournements de fonds sont sous les verrous. Pourquoi cette impunité ? Toutes les réformes internes de la Beac décidées lors du sommet de Bangui, en janvier 2010, sont réalisées ou en voie de l’être, ce qui n’est pas peu. Vous parlez de l’aspect judiciaire : les enquêtes se poursuivent, rien n’est enterré et des procès auront lieu. Y aura-t-il d’autres arrestations ? Ce n’est pas à moi d’en décider. Mais il n’y a, en tout cas à mon niveau, aucune complaisance. L’enquête sur les biens mal acquis, qui vous vise avec d’autres, est rouverte depuis novembre 2010 à Paris grâce à un arrêt de la Cour de cassation. Votre ligne de défense a-t-elle changé ? Non. Je suis simplement étonné qu’une juridiction a priori aussi respectable que celle-là ne dise pas le droit et qu’il y ait une telle divergence de vues entre le procureur général auprès de la Cour de cassation et la cour ellemême. C’est un cas d’école inédit. Il est clair à nos yeux que le plaignant, Transparency International France, n’a aucune qualité pour agir. La Cour de cassation aurait dû se conformer aux procédures pénales françaises et rejeter cette plainte, ainsi que l’avait fait le Tribunal de grande instance. Pour le reste, en ce qui concerne le fond, tout de notre part a déjà été dit : nous n’avons strictement rien à nous reprocher, ni aucune leçon à recevoir. Deux nouveaux juges d’instruction ont été nommés. Il va bien falloir vous défendre… Écoutez, je vais être net. Ces magistrats instructeurs vont, je l’imagine, vouloir se transporter à Brazzaville da n s le cadre d’u ne com m ission rogatoire. Croyez-vous qu’ils seront
40 AFRIQUE SUBSAHARIENNE en mesure de dépasser le seuil de l’aéroport de Maya-Maya, au cas où, bie n sû r, i l s au r a ie nt auparavant obtenu les visas obligatoires pour se r e nd r e au C ongo ? Poser la question, c’est y répondre…
VINCENT FOURNIER/J.A.
En réaction à la réouverture de l’enquête, vos partisans du Parti c ongola i s du t rav a i l [PCT] ont appelé à sanctionner la France « dans tous les doma i nes ». C’est une menace ? Non, c’est une prise de position, laquelle n’émane d’ailleurs pas que du PCT mais de l’ensemble du peuple, qui a été choqué. Si vous voulez en savoir plus, demandez-le-leur. Comme vous le savez, je ne gère plus directement ce parti, la Constitution me l’interdit. Tout de même, n’avez-vous pas un peu suscité cette réaction ? Pas du tout, en aucun cas puisqu’elle n’était pas, dans le fond, nécessaire. Mais je ne peux pas empêcher les citoyens de s’indigner. Vot re ancien m inist re Mat hias Dzon, candidat contre vous à la présidentielle de 2009, a déclaré il y a quelques semaines ne pas être en mesure de circuler librement hors de Brazzaville sans autorisation spéciale. A fortiori de se rendre à l’étranger. Pourquoi cette discrimination ? Je ne suis pas au courant de cette déclaration et je suis persuadé qu’elle ne repose sur rien. Tout Congolais, sauf s’il est en prison, est libre d’aller et de venir. Ce monsieur serait-il le seul à ne pas être dans ce cas ? Ce n’est pas crédible. L’enquête de police ouverte à la suite de la manifestation de juillet 2009, dans laquelle Mathias Dzon était impliqué, est donc close… Év idemment, il n’y a d’ailleurs jamais eu de procédure judiciaire ouverte dans le cadre de cette affaire. Personne n’empêche Dzon de se rendre chez lui, à Gamboma, ou à l’étranger.
Ses amis politiques font le tour de l’Europe et reviennent ici sans problème. Un bon conseil : ne prenez pas pour argent tout ce qui se dit.
Chantier de construction d’une salle omnisports: les Chinois sont de plus en plus présents au Congo.
comptant
À l’occasion du cinquantième anniversa i re de l’i ndépenda nce du Congo, en août dernier, vous avez eu cette phrase : « Le maillon le plus faible de notre action collective est de n’avoir pas pu, au plan économique et social, réaliser l’équivalent du peu que nous avons réussi au plan politique. » Bel exercice d’autocritique ! Oui, pourquoi le cacher? Notre expérience d’étatisation de l’économie s’est soldée par un échec et sa liquidation a eu de lourdes conséquences sur le plan social. La libéralisation qui a suivi n’a pas été une mince affaire et elle n’est d’ailleurs toujours pas achevée. Alors oui, il faut avoir le courage de dire les choses. Mais reconnaissons que si l’État n’était pas intervenu pour doter ce pays d’un minimum d’infrastructures, il n’y aurait rien. En 1960, le Congo ne comptait aucune route bitumée en dehors des villes, 15 mégawatts de puissance électrique installés, une demi-douzaine d’écoles secondaires et
une ligne de chemin de fer. Si l’on mettait en parallèle les résultats d’un siècle de colonisation et d’un demi-siècle d’indépendance, la comparaison serait cruelle…
Sans doute. Mais on ne comprend toujours pas pourquoi le septième producteur africain de pétrole – et le quatrième au sud du Sahara – est encore en 2011 un pays pauvre très endetté. L’endettement dont vous parlez a eu deux causes : la volonté étatique de créer les bases et les infrastructures économiques nécessaires au développement, et l’effondrement des cours
« Ce n’est pas ma succession qui m’intéresse, c’est l’avenir du Congo. » du pétrole à la fin du siècle dernier. La conjonction de ces deux phénomènes, dont seul le premier relevait de notre responsabilité, a été désastreuse. Aujourd’hui, ce problème est géré et traité avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Si notre taux de croissance est désormais de 10 %, et si les programmes ambitieux
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 41 se multiplient à travers le pays, c’est bien parce que nous ne sommes pas restés les bras croisés. On estime à environ dix mille le nombre de ressortissants chinois présents au Congo, ce qui en fait la première communauté étrangère non africaine… Ah bon ? Je n’ai pas ce chiffre. Pourquoi devrais-je les compter ? Parce que certains opérateurs économiques congolais commencent à parler de concurrence déloyale. La plupart des Chinois sont ici dans le cadre de grands projets réalisés par des entreprises chinoises de droit congolais. Il existe certes à la marge un certain nombre de privés, de boutiquiers chinois. Pourquoi les interdire d’activité ? Pourquoi un Chinois, un Français, un Portugais ou un Indien ne pourrait-il pas ouvrir un commerce de proximité ? On voit mal un Français tenir une qu i nca i l ler ie au fond de Poto Poto… À tort. C’est ainsi que l’on abandonne le terrain à la concurrence.
Transparence pour qui et pour quoi ? Je vous le répète : c’est strictement privé. Je ne vous retire pas le droit de m’observer. Mais j’ai aussi le droit de ne pas donner suite à votre curiosité.
La question demeure donc ouverte… C’est possible.
Votre fils Denis Christel a été nommé en décembre au sein de la direction
Votre succession vous préoccupe-t-elle ? Nous sommes en démocratie, c’est donc le peuple qui décidera. Mon seul souhait est que ce peuple qui a beaucoup souf fer t cont i nue de vivre dans la paix et la sécurité, avec les perspectives palpables de développement qui sont plus que jamais à notre portée. En d’autres termes, ce n’est pas ma succession qui m’intéresse, c’est l’avenir du Congo.
« Pourquoi refuserait-on à mes enfants le droit de travailler, comme tous les Congolais ? » de la puissante société pétrolière nationale, la SNPC. Vous savez bien que ce type de nomination familiale est toujours critiqué. Peu vous importe ? Soyons objectifs. Jamais, depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui, le directeur général de la SNPC n’a été un membre de ma famille. Réduire toute l’activité de cette société à la simple structure intermédiaire, en l’occurrence la direction aval, que dirige mon fils, relève donc de la mauvaise foi. Mon fils n’est pas le patron de la SNPC, il y occupe une fonction technique. Sauf à refuser aux enfants du président le droit de travailler comme tout Congolais, ce qui serait à la fois abusif et injuste, je ne vois absolument pas où est le problème.
Vous êtes, chacun croit le savoir, un haut dignitaire franc-maçon. Mais vous n’en parlez jamais, ce qui nourrit bien des fantasmes. Pourquoi cette discrétion ? Peu m’importent les fantasmes. C’est une affaire qui relève de ma vie privée, tout comme la religion. Est-ce que je cherche à savoir si vous êtes chrétien, musulman ou bouddhiste ? Cela ne me regarde pas. Mais vous êtes chef d’État. Vos faits et gestes sont scrutés. Pourquoi ne pas jouer le jeu de la transparence, afin de faire la part du mythe et celle de la réalité ? VINCENT FOURNIER/J.A..
Au terme de votre mandat, en 2016, la Constitution telle qu’elle existe aujourd’hui vous interdira en principe de vous représenter. Et vous aurez par ailleurs dépassé la limite d’âge pour être candidat, fixée à 70 ans. Que comptez-vous faire ? Je ne suis pas Dieu. J’ai cinq années
pleines de travail devant moi. Je conçois que cette question puisse préoccuper certains. Elle ne m’empêche pas de dormir.
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Êtes-vous favorable à ce que vos enfants fassent de la politique ? Rien a priori ne les en empêche. Mais ce doit être leur choix, pas celui du président. Vous venez de quitter votre résidence de Mpila, où vous avez vécu au total pendant près de dix-huit ans, pour emménager dans la présidence restaurée du Plateau. Avec un pincement au cœur ? Oui, un peu. Mpila me manque déjà, comme Oyo me manque quand je n’y suis pas. Je retourne parfois y travailler, les après-midi, dans mon petit bureau encombré, avec au mur ce grand tableau qui m’inspire où figurent les pères historiques du panafricanisme. Tout est resté en place. Mais que voulezvous, il fallait bien mettre un terme à la confusion entre ma résidence privée et l’État. Les présidents Lors de n’ont pas le droit à la l’entretien, nostalgie. ■ le 18 février.
42 AFRIQUE SUBSAHARIENNE MALI
Maouloud fatal
L
e 21 fév r ier, 36 per sonnes sont mortes lors d’une bousculade au stade Modibo-Keita, à Bamako, et plus de 70 autres ont été blessées. Elles venaient d’écouter le prêche d’Ousmane Madani Haidara à l’occasion de la fête musulmane du Maouloud, qui commémore la naissance du prophète Mohammed. En février 2010, à Tombouctou, un mouvement de foule avait fait près de 30 morts lors de la même célébration. Malgré ses 25 000 places, le stade Modibo-Keita comptait plus de 50000 fidèles ce 21 février. Considérée comme non islamique en Arabie saoudite notamment, la célébration du Maouloud est très populaire au Mali. Depuis 2005, elle figure comme fête nationale au calendrier officiel. La généralisation du rite revient précisément à Haidara, le prêcheur du stade Modibo-Keita. « Il a réussi à l’imposer sur le plan national et a fait des émules », dit Gilles Holder, anthropologue au CNRS, en accueil à l’Institut de recherche pour le développement de Bamako. En 1983, ce religieux charismatique, qui s’adresse aux foules en langues nationales, crée Ançar Dine, un mouvement fondamentaliste et réformiste. Outre des activités destinées aux plus démunis, « le Maouloud est devenu la raison sociale d’Ançar Dine », poursuit Gilles Holder. L’association affiche plus de 100 000 membres, au Mali mais aussi au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. À 55 ans, Haidara – qui a le titre de guide spirituel et non d’imam – a acquis grâce au Maouloud une aura digne d’un homme politique. Chaque année, la célébration est l’occasion d’une critique du gouvernement sur les thèmes de l’injustice, de la corruption… L’homme est vénéré. Selon plusieurs témoins, c’est d’ailleurs quand des fidèles ont cherché à s’en approcher que la bousculade s’est déclenchée. D’autres avancent que c’est au niveau des grilles de sortie que tout a commencé. Le débat n’est pas vain. La première version revient à faire peser la responsabilité sur Haidara, dont la popularité lui vaut des inimitiés au sein même de l’establishment islamique. ■ MARIANNE MEUNIER
SÉNÉGAL-IRAN
Wade voit rouge
E
l le e st loi n l’ép oque où Abdoulaye Wade et Mahmoud Ahmadinejad se donnaient l’accolade à la une des journaux. Loin aussi l’époque où le chef de l’État sénégalais défendait le programme nucléaire de son homologue iranien. Le 22 février, Dakar a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran, « indigné de constater que des balles iraniennes ont pu causer la mort de soldats sénégalais ». Pour comprendre la brouille, il faut revenir à octobre 2010 et à l’interception d’une cargaison d’armes iraniennes au port de Lagos (Nigeria). Destinées à la Gambie, elles ont rapidement alimenté les soupçons sur l’approvisionnement des rebelles casamançais. Et lorsqu’un rapport du chef d’état-major sénégalais souligne la « sophistication » des armes qui ont tué trois soldats lors d’affrontements avec les rebelles, en décembre 2010, Abdoulaye Wade voit rouge. « Les recoupements de plusieurs informa-
tions laissent à penser que ces armes proviendraient d’Iran. Le Sénégal ne peut pas continuer à entretenir des relations diplomatiques avec un pays qui œuvre à le déstabiliser et à remettre en cause sa stabilité intérieure », a expliqué le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang. Au cours des cinq dernières années, les liens commerciaux entre les deux pays s’étaient pourtant intensifiés. Industrie, énergie, agriculture… Le fleuron de la coopération entre les deux pays est sans aucun doute Seniran Auto, l’usine de montage de voitures détenue à la fois par le constructeur automobile Iran Khodro (60 %), par l’État du Sénégal et par des investisseurs privés. « Nous parlons des relations diplomatiques, cela ne veut pas dire que l’usine va fermer ses portes, a tenté de rassurer Madické Niang. Mais si l’Iran n’est plus à nos côtés sur le plan énergétique, nous avons d’autres moyens et d’autres possibilités avec d’autres partenaires. » ■ MALIKA GROGA-BADA
SOUDAN PAS D’AUTRE MANDAT POUR EL-BÉCHIR Les officiels de son parti, le NCP, sont formels : le président soudanais, réélu il y a moins d’un an, ne briguera pas un nouveau mandat en 2015. C’est sûr « à 100 % », affirme-t-on à Khartoum. El-Béchir, au pouvoir depuis 1989, aurait-il senti le vent des révoltes arabes ? Rien à voir, rétorque-t-on au NCP. Mais le démenti est un peu trop vif pour être convaincant. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
PETE MULLER/AP/SIPA
AFRIQUE SUBSAHARIENNE 43
Le principal accusé, le colonel Daniel Kibibi Mutware, à sa sortie du tribunal, le 21 février.
RD CONGO
Un procès pour lʼexemple Des hauts gradés de lʼarmée ont été condamnés à des peines de prison ferme pour des viols commis dans lʼEst. Une première.
C
ondamnation inédite dans l’est de la R D Congo. Le 21 février, un tribunal militaire siégeant à Baraka, dans le Sud-Kivu, a reconnu Daniel Kibibi Mutware, colonel des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), coupable de crimes contre
l’humanité. Au terme d’une procédure particulièrement rapide, il a écopé de vingt ans de prison. Les faits qui lui sont reprochés remontent à janvier dernier. À la suite d’une rixe entre des civils et des militaires à Fizi, un soldat est tué. Le colonel Kibibi Mutware aurait alors ordonné une
expédition punitive contre la population. Au cours de ce raid, 35 femmes sont violées, en plus d’autres exactions contre les habitants de Fizi. Face à l’émotion provoquée par cette affaire, 11 membres des FARDC, dont le colonel Kibibi Mutware, sont mis aux arrêts et présentés devant un tribunal militaire. Le procès, financièrement pris en charge par des organisations internationales, s’ouvre le 10 février. Au cours des audiences, il s’avère que le colonel était bien le donneur d’ordres. Lorsque le verdict tombe, trois de ses collègues sont condamnés, comme lui, à une peine de vingt ans de prison. Cinq soldats se voient, quant à eux, infliger des peines allant de dix à quinze ans de prison. Ces condamnations sont une première dans l’est de la RD Congo. Elles sont perçues par diverses organisations comme un bond en avant dans la lutte contre l’impunité dont jouissent les militaires congolais. Depuis une décennie, le viol est utilisé par différents groupes armés et par l’armée régulière comme une véritable arme de guerre. Selon Juma Balikwisha, ministre dans le gouvernement provincial du Nord-Kivu, les sentences rendues montrent qu’« il n’est jamais trop tard pour mieux faire ». Il estime que cela permettra à toutes les femmes violées de ne plus souffrir en silence et de traduire leurs bourreaux en justice. ■ TSHITENGE LUBABU M.K.
MOT CHOISI
OUGANDA
S
Et maintenant, lʼéconomie
ans surprise. Le 18 février, Yoweri Museveni a remporté l’élection présidentielle ougandaise, avec 68,38 % des voix. L’homme, au pouvoir depuis 1986, n’avait pas lésiné sur les moyens : avec des dépenses de campagne cinquante fois supérieures à celle de l’opposition, il a sillonné le pays, abreuvé les électeurs de SMS et même fourni aux plus nécessiteux de la farine, du sucre et du savon… Si ses dérives autocratiques sont souvent montrées du doigt, Museveni peut se targuer d’avoir apporté paix et stabilité au pays. Dernière victoire en date : l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui terrorisait le nord du pays, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les futurs défis du chef de l’État seront donc économiques. Les Ougandais attendent des emplois, un meilleur système de santé et un secteur éducatif plus performant. Même si la croissance est soutenue – environ 7 % cette année –, elle doit être évaluée à l’aune d’une croissance démographique supérieure à 3 % par an. Pour répondre aux attentes de ses concitoyens, Museveni compte sur le développement du commerce avec le Sud-Soudan, son plus gros marché d’exportation (185 millions de dollars), et sur les revenus du pétrole. Tullow Oil PLC pourrait commencer l’extraction du brut l’année prochaine pour atteindre 200 000 barils/jour en 2015. Mais d’ici à 2016, les Ougandais seront environ 40 millions, dont 10 millions âgés de 18 à 30 ans. Cette jeunesse, de plus en plus connectée et n’ayant connu qu’un seul président, sera sans nul doute encore plus regardante sur son niveau de vie et ses espaces de liberté. ■ NICOLAS MICHEL
J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
ARNAQUE
Gabriel Poncet est un honorable député, suisse de son état. Contacté en octobre 2010 par un homme qui prétendait pouvoir lui confier la gestion de la fortune d’un membre de sa famille, décédé à Lomé douze ans plus tôt, ledit Poncet s’est envolé pour le Togo mi-janvier. L’arnaque est vieille comme le net, mais ça n’a pas alerté notre naïf parlementaire, kidnappé dès son arrivée à Lomé. Des 12 millions de dollars promis, il n’a plus été question. Les ravisseurs – béninois, togolais et nigérians – exigeaient une rançon, et il aura fallu l’intervention de la gendarmerie togolaise pour le libérer.
PETE MULLER/AP/SIPA
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Le principal accusé, le colonel Daniel Kibibi Mutware, à sa sortie du tribunal, le 21 février.
RD CONGO
Un procès pour lʼexemple Des hauts gradés de lʼarmée ont été condamnés à des peines de prison ferme pour des viols commis dans lʼEst. Une première.
C
ondamnation inédite dans l’est de la R D Congo. Le 21 février, un tribunal militaire siégeant à Baraka, dans le Sud-Kivu, a reconnu Daniel Kibibi Mutware, colonel des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), coupable de crimes contre
l’humanité. Au terme d’une procédure particulièrement rapide, il a écopé de vingt ans de prison. Les faits qui lui sont reprochés remontent à janvier dernier. À la suite d’une rixe entre des civils et des militaires à Fizi, un soldat est tué. Le colonel Kibibi Mutware aurait alors ordonné une
expédition punitive contre la population. Au cours de ce raid, 35 femmes sont violées, en plus d’autres exactions contre les habitants de Fizi. Face à l’émotion provoquée par cette affaire, 11 membres des FARDC, dont le colonel Kibibi Mutware, sont mis aux arrêts et présentés devant un tribunal militaire. Le procès, financièrement pris en charge par des organisations internationales, s’ouvre le 10 février. Au cours des audiences, il s’avère que le colonel était bien le donneur d’ordres. Lorsque le verdict tombe, trois de ses collègues sont condamnés, comme lui, à une peine de vingt ans de prison. Cinq soldats se voient, quant à eux, infliger des peines allant de dix à quinze ans de prison. Ces condamnations sont une première dans l’est de la RD Congo. Elles sont perçues par diverses organisations comme un bond en avant dans la lutte contre l’impunité dont jouissent les militaires congolais. Depuis une décennie, le viol est utilisé par différents groupes armés et par l’armée régulière comme une véritable arme de guerre. Selon Juma Balikwisha, ministre dans le gouvernement provincial du Nord-Kivu, les sentences rendues montrent qu’« il n’est jamais trop tard pour mieux faire ». Il estime que cela permettra à toutes les femmes violées de ne plus souffrir en silence et de traduire leurs bourreaux en justice. ■ TSHITENGE LUBABU M.K.
MOT CHOISI
OUGANDA
S
Et maintenant, lʼéconomie
ans surprise. Le 18 février, Yoweri Museveni a remporté l’élection présidentielle ougandaise, avec 68,38 % des voix. L’homme, au pouvoir depuis 1986, n’avait pas lésiné sur les moyens : avec des dépenses de campagne cinquante fois supérieures à celle de l’opposition, il a sillonné le pays, abreuvé les électeurs de SMS et même fourni aux plus nécessiteux de la farine, du sucre et du savon… Si ses dérives autocratiques sont souvent montrées du doigt, Museveni peut se targuer d’avoir apporté paix et stabilité au pays. Dernière victoire en date : l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui terrorisait le nord du pays, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les futurs défis du chef de l’État seront donc économiques. Les Ougandais attendent des emplois, un meilleur système de santé et un secteur éducatif plus performant. Même si la croissance est soutenue – environ 7 % cette année –, elle doit être évaluée à l’aune d’une croissance démographique supérieure à 3 % par an. Pour répondre aux attentes de ses concitoyens, Museveni compte sur le développement du commerce avec le Sud-Soudan, son plus gros marché d’exportation (185 millions de dollars), et sur les revenus du pétrole. Tullow Oil PLC pourrait commencer l’extraction du brut l’année prochaine pour atteindre 200 000 barils/jour en 2015. Mais d’ici à 2016, les Ougandais seront environ 40 millions, dont 10 millions âgés de 18 à 30 ans. Cette jeunesse, de plus en plus connectée et n’ayant connu qu’un seul président, sera sans nul doute encore plus regardante sur son niveau de vie et ses espaces de liberté. ■ NICOLAS MICHEL
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ARNAQUE
Gabriel Poncet est un honorable député, suisse de son état. Contacté en octobre 2010 par un homme qui prétendait pouvoir lui confier la gestion de la fortune d’un membre de sa famille, décédé à Lomé douze ans plus tôt, ledit Poncet s’est envolé pour le Togo mi-janvier. L’arnaque est vieille comme le net, mais ça n’a pas alerté notre naïf parlementaire, kidnappé dès son arrivée à Lomé. Des 12 millions de dollars promis, il n’a plus été question. Les ravisseurs – béninois, togolais et nigérians – exigeaient une rançon, et il aura fallu l’intervention de la gendarmerie togolaise pour le libérer.
Aviation Handling Services, la référence de l’assistance en escale en Afrique et au Moyen-Orient LE RÉSEAU MONDIAL AHS/MENZIES AVIATION, LES CHIFFRES : Présent dans plus de 124 aéroports dans 28 pays sur les 5 continents. Plus de 15 000 employés. Plus de 500 compagnies aériennes clientes. Plus de 70 millions de passagers assistés chaque année.
Communiqué
L’assistance en escale est une activité un peu méconnue du grand public. Pouvez-vous nous parler de votre activité ? L’assistance en escale ou Ground Handling (en anglais) représente l’ensemble des opérations qui sont accomplies avant et durant le séjour dans l’escale d’un aéronef. Il s’agit par exemple : de l’enregistrement des voyageurs , de leur embarquement et de leur débarquement ; de la préparation et de l’exécution du chargement, du déchargement et de la livraison des bagages et du fret ; du poussage et du tractage des avions ; de la mise à disposition de groupe de démarrage avion et d’air conditionné avion ; du ravitaillement et du service toilette ; de la maintenance en ligne (l’entretien et les éventuelles réparations mineures de l’avion), etc.. Pour parler de manière encore plus simple, les agents qui font l’enregistrement et vous remettent votre carte d’embarquement, les agents qui positionnent les escaliers pour permettre aux passagers de débarquer ou d’embarquer, ceux qui positionnent les bagages et le fret en soute selon un schéma précis appelé load sheet (plan de chargement). Tout cet ensemble d’actions représente l’activité d’assistance en escale. Pouvez-vous nous parler du groupe AHS ? Notre groupe Aviation Handling Services, AHS, fait partie intégrante du réseau mondial de Menzies Aviation. Menzies Aviation est la troisième société d’assistance en escale au monde. Pour son développement en Afrique et au MoyenOrient, deux continents à fort potentiel de croissance, Menzies a décidé en 2002 de faire du groupe AHS, son véhicule de développement. Aujourd’hui, après moins d’une dizaine d’années d’existence, notre réseau est leader de l’assistance en escale en Afrique avec une présence dans plus de 20 aéroports en Afrique du Sud, au Bénin, en Guinée-Bissau, en Guinée Équatoriale, au Ghana, au Niger, en République Centrafricaine et au Sénégal. Fin 2008, AHS a entamé son implantation au Moyen-Orient après avoir notamment remporté l’appel d’offres international pour l’octroi de la seconde licence d’assistance en escale à l’aéroport International Queen Alia à Amman en Jordanie.
Plus de 650 000 vols traités chaque année Environ 1,5 million de tonnes traitées par an. Comment avez-vous réussi une ascension aussi fulgurante ? L’ascension de AHS repose sur deux fondamentaux qui constituent la colonne vertébrale de notre groupe : Sûreté, Sécurité et Qualité d’une part et culture de l’excellence d’autre part. Tout d’abord, dans ce secteur pointu et à fort risque, il n’y a pas de places à l’à-peu-près: Sûreté, Sécurité et Qualité ; toujours et encore toujours. Fort de cette culture de constance dans la précision, nous nous efforçons à tout moment de porter notre plus grande attention au moindre détail. Nos agents et leur équipement approchent et opèrent sur des avions qui coûtent plusieurs millions de dollars, sans compter la vie inestimable des enfants, des femmes et des hommes qui sont amenés à voyager dans ces avions que nous assistons. Nous nous assurons donc que : nos agents reçoivent les meilleures formations conformes aux standards de notre réseau mondial et bénéficient d’une formation continue pour maintenir à jour
M. Pierre AGBOGBA, PCA de AHS
Au-delà de l’impact sur l’amélioration des standards, comment votre groupe contribue-t-il positivement dans l’économie des pays où il est présent ? Notre groupe contribue de manière significative dans les économies nationales des pays où nous sommes implantés. L’impact du groupe AHS sur les économies de l’Afrique Centrale et l’Afrique de l’Ouest, peut être estimé à plus de 67 milliards de FCFA injectés. A noter également que notre rôle ne se limite pas uniquement à l’enceinte de l’aéroport. Dans l’ensemble des pays ou nous sommes présent, nous accompagnons un certain nombre de projets sociaux qui répondent à notre charte de contribution au développement.
Comment voyez-vous votre avenir en Afrique et au Moyen Orient ? Nous restons pour l’avenir, engagés dans notre dynamique de développement. Mais nous ne le répèterons jamais assez : quand on est un groupe tel que le notre au cœur d’un secteur d’activité tel que le transport aérien avec les enjeux financiers et humains que l’on connaît, il est important d’évoluer dans un environnement normé et sécurisé et qui protège également les investissements importants que requièrent l’assistance en escale. Cela veut dire que non seulement les acteurs de l’aviation, que nous sommes, doivent garantir aux Autorités en charge de l’Aviation Civile de rendre aux compagnies aériennes et leurs passagers un service, sans faille ni compromis, mais qu’il est primordial que les États s’entourent de toutes les garanties en désignant, au terme de processus de sélection clairs et transparents, des sociétés d’assistance en escale jouissant de l‘envergure opérationnelle et financière ainsi que de l’expérience requise. Notre continent, vous conviendrez a malheureusement déjà fortement contribué à la longue liste d’incidents aéronautiques. Entretien avec M. Pierre AGBOGBA, Président du Conseil d’Administration
LE RÉSEAU EN AFRIQUE ET AU MOYEN ORIENT : Présents dans près de 20 aéroports et une dizaine de pays. Près de 3 000 employés. Près de 28 milliards de F CFA investis en matériel et équipement. Plus de 67 milliards de F CFA injectés dans les économies de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
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Sûreté, Sécurité et Qualité
AHS est un groupe du réseau Menzies Aviation, troisième opérateur mondial d’assistance en escale
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leurs compétences et connaissances ; que nos équipements de la dernière génération soient bien maintenus et que nos pratiques opérationnelles soient délivrées dans le plus strict respect des normes de Sûreté et de Sécurité. D’ailleurs, il est fréquent d’apercevoir les auditeurs opérationnels du groupe AHS MENZIES qui arpentent sans relâche les tarmacs des aéroports où nous sommes présents pour apporter les actions correctives à toute défaillance identifiée. En étant au cœur du transport aérien, nous avons une responsabilité et nous mettons tout en œuvre pour ne pas y faillir. Le deuxième fondement étant les standards d’excellence que nous nous efforçons d’établir dans le domaine des services aéroportuaires. Nos services d’assistance en escale et les investissements en matériel neufs contribuent à la modernisation et à la transformation des aéroports où nous sommes présents. La constance de nos performances (99,8 % en terme de taux de ponctualité soit 0,02 % de retard des vols dû à AHS sur l’ensemble du réseau Afrique et 98,3 % en terme de satisfaction de nos clients) témoigne de notre professionnalisme et de la flexibilité de nos équipes. Cette constance dans la qualité et l’intégrité nous vaut aujourd’hui une solide réputation. Grâce à ces performances, la plupart de nos stations, ont obtenu les certifications ISO 9001, IATA AHM 804 et Airport Handling Standard 1000, un fait rare sur notre continent. Nous avons également à l’étude la certification ISAGO de nos stations. La certification ISAGO (IATA Safety Audit for Ground Operations) a été développée par l’Association internationale du transport aérien (IATA) et a pour but de maîtriser davantage la sécurité des opérations. Nous pensons avoir donné pleine satisfaction aux pays et aux compagnies aériennes qui ont eu à nous faire confiance. Nous avons d’ailleurs fréquemment des sollicitations de compagnies clientes qui nous poussent à nous implanter, quand nous n’y sommes pas encore, dans des pays qu’elles desservent.
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TUNISIE SUR LA
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ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis
e p u i s l a c hu t e e t la fuite de Zine elAbidine Ben A li, le sort réser vé aux membres de son clan et de celui de son épouse, Leïla Trabelsi, intéresse tout particulièrement les Tunisiens, qui, méfiants et sourcilleux, veulent absolument savoir ce qu’ils sont devenus. Les deux clans comptent pas moins de 142 membres, y compris par filiation et par alliance. En tête des prédateurs figurent les frères et sœurs de Zine et de Leïla, une dizaine chacun, et leurs enfants. L a Ba nque cent ra le (BCT) a ainsi recensé c e n t q u a t r e -v i n g t s entreprises appartenant aux deux clans. Celles-ci ont bénéficié de 2 ,5 m i l l ia rds de dinars (1,3 milliard d’euros) de crédits bancaires, la plupart du temps sans garanties, soit 5 % des financements du secteur. Au cours des derniers mois, quatre grands projets ont mobilisé plus de la moitié de ces crédits : Carthage Cement, propriété de Belhassen Trabel-
Belhassen Trabelsi, son épouse Zohra Djilani et trois de leurs quatre enfants. Le petit dernier est à gauche avec la nounou. EN FUITE AU CANADA
si; une sucrerie lancée par le même Belhassen Trabelsi; l’acquisition par Sakhr el-Materi de 20 % de l’opérateur mobile Tunisiana ; le financement des 51 % de participations du couple Cyrine Ben Ali et Marouane Mabrouk dans le capital de l’opérateur Orange Tunisie, lancé en partenariat avec France Télécom. Le grand déballage n’en est cependant qu’à ses débuts, les familles gravitant autour de Ben Ali ayant acquis des positions dominantes dans tous les secteurs de l’économie : concessions automobiles, télécommunications, banque et assurance, transport aérien,
Autorisations indues, crédits sans garanties, marchés publics… Ils avaient tous les droits. immobilier, médias, grande distribution, agriculture et agroalimentaire. Sur les 3 300 dossiers reçus à ce jour par la Commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversations, présidée par Abdelfattah Amor, une centaine seulement ont été exami-
nés. Mais déjà, Amor est catégorique : les familles entourant Ben Ali « avaient tous les droits : autorisations indues, crédits sans garanties, marchés publics, terres domaniales… […] Le mode de gouvernement n’était ni présidentiel ni présidentialiste, mais bel et bien totalitaire ». Aux yeux de Ben Ali, il y avait d’un côté « ses » familles, de l’autre les Tunisiens. Rien qu’à l’étranger, sans parler de Dubaï, où ils avaient l’habitude de placer leur argent, les avoirs du clan Ben Ali jusque-là identifiés sont estimés à 80 millions de francs suisses (62 millions d’euros) à Genève, et entre 10 et 20 millions de dollars canadiens (7,4 et 14,8 millions d’euros) au Canada. Mais quid de leurs détenteurs? Lesquels d’entre eux ont réussi à s’enfuir pour échapper aux poursuites ? Lesquels ont été arrêtés et sous quels chefs d’inculpation ? Qui est en résidence surveillée ? Qui n’a pas été inquiété ?
EN FUITE Outre Zine el-Abidine Ben A li (74 ans) et son épouse Leïla Trabelsi (53 ans), qui ont profité de la voie de sortie que leur a offerte l’ar-
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Les uns ont réussi à prendre la fuite. Les autres ont été arrêtés et incarcérés. Certains ont été assignés à résidence. Le point sur lʼenquête visant les membres des familles Ben Ali et Trabelsi, et leurs principaux affidés.
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FETHI BELAID/AFP
PISTE DU CLAN
Zine el-Abidine Ben Ali et Leïla Trabelsi. EN FUITE EN ARABIE SAOUDITE
avant la fuite de Ben Ali, embarquer in extremis avec son épouse, Zohra Djilani, et leurs quatre enfants, ainsi que leur nounou asiatique, à bord de son yacht, le Sophie, amarré dans le port de plaisance de Sidi Bou Saïd, à quelques minutes du domicile fami-
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lial. La veille, il avait chargé le commandant du yacht, Ilyes Ben Rebeh, de faire le plein de carburant. Le matin du 14 janvier, après les formalités d’usage, le Sophie quitte le port. À peine sorti du golfe de Tunis, Belhassen ordonne au
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mée le 14 janvier (lire encadré p. 50), deu x barons du clan se trouvent aujourd’hui à l’étranger : Belhassen Trabelsi, le très inf luent frère de Leïla, et Sakhr el-Materi, gendre de l’ex-président. Le premier, surnommé « le parrain », a pu, quelques heures
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commandant de couper la radio et de ne pas répondre aux appels sur son téléphone portable, avant de lui enjoindre de mettre le cap sur le port de Trapani, en Sicile. Une fois arrivé à destination, il renverra le yacht et Ben Rebeh en Tunisie. On ne retrouvera la trace des fuyards que le 21 janvier, à l’aéroport de Montréal, au Canada, où ils atterrissent à bord d’un jet privé. Belhassen et les siens s’installent au Château Vaudreuil Suites Hôtel, dans les environs de la métropole québécoise. Mais à la suite de manifestations hostiles d’étudiants tunisiens dans la ville, ils sont obligés de quitter les lieux et résident depuis dans un lieu resté secret dans la région de Montréal. La Tunisie a demandé le gel des avoirs de Belhassen au Canada, ce qui a été fait, mais aussi son extradition, ce qui est plus long à obtenir, l’intéressé étant titulaire d’un permis de séjour permanent. Hamadi Touil, son bras droit et prête-nom dans les affaires, a quitté Tunis le 15 janvier muni d’un passeport diplomatique pour se rendre également – via Paris – à Montréal, où il est arrivé le 17 janvier. Mohamed Sakhr el-Materi, 29 ans, était au Canada le 11 janvier pour une échographie de sa femme, Nesrine, enceinte. Après avoir déposé en route son épouse et leur fille dans un hôtel proche de Disneyland, dans la région parisienne, il est retourné à Tunis le 13 janvier pour assister à la session plénière de la Chambre des députés convoquée pour apporter son soutien à Ben Ali face à la révolte populaire. Ce jour-là, Sakhr jure qu’il est prêt à rendre des comptes devant la justice
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Sakhr el-Materi avec sa femme, Nesrine Ben Ali. EN FUITE À DUBAÏ
à propos de son enrichissement, jugé indécent, depuis son mariage avec la fille de Ben Ali. Mais dans la matinée du 14 janvier, il quitte le pays pour Dubaï à bord du jet privé d’Aziz Miled. Après la fuite de Ben Ali en fin de journée, Materi rejoint son épouse et sa fille à Paris pour les emmener vers une destination inconnue. Ils se trouveraient aujourd’hui à Dubaï, le séjour au Canada, où ils possèdent une propriété, se révélant hasardeux.
ARRÊTÉS ET/OU POURSUIVIS La plus grosse prise est l’arrestation, le 14 janvier au soir, juste après la fuite de Ben Ali, du général Ali Seriati, patron de la garde présidentielle, et de quatre de ses comparses. Seriati est aujourd’hui détenu dans une cellule individuelle à la base aérienne d’El-Aouina, mitoyenne de l’aéroport de Tunis-Carthage. Il est accusé de « complot contre la sûreté nationale, agressions préméditées, incitation à la violence et utilisation d’armes, meur tres et pillages sur l’ensemble du territoire ». Il était notamment le chef des snipers de triste mémoire qui ont abattu de sang-froid des manifestants désarmés à Sidi Bouzid, Kasserine et Thala, au plus fort de la révolte populaire. Il est par ailleurs soupçonné d’être le planificateur d’une série d’attaques destinées à semer le chaos dans le pays, notamment contre des édifices publics et des propriétés privées.
Deux semaines plus tard, c’était au tour de Rafik Belhaj Kacem d’être interpellé à son domicile, où il était en résidence surveillée. L’ancien ministre de l’Intérieur, qui avait conduit la répression sanglante de la contestation, est réputé proche de Seriati, Leïla, Abdelwahab Abdallah et Abdallah Kallel, un clan dans le clan dont on devrait reparler. D’autres arrestations ont été opérées. Le jour même de la fuite de Ben Ali, une trentaine de membres du clan, alertés par Leïla, ont tenté de prendre le premier vol pour l’étranger, mais n’ont pu embarquer faute de place. Ils ont été « cueillis » dans le salon VIP de l’aéroport de Tunis-Carthage, où l’armée les avait opportunément regroupés. Vingtcinq d’entre eux ont été maintenus en détention à la caserne d’El-Aouina pour tentative d’exportation illicite de devises. Parmi eux figurent le neveu terrible de Leïla, Imed, l’un de ses frères, Mourad Trabelsi, ainsi que deux de ses sœurs, Samira épouse Meherzi et Jalila épouse Mahjoub. Ont également été arrêtés Kaïs et Sofiène Ben Ali, fils de feu Moncef Ben Ali, le frère de l’ex-président, condamné en France pour trafic de drogue (dans l’affaire de la « couscous connection »). Neuf membres du clan sont poursuivis pour « trafic, possession et commerce d’armes », dont Belhassen Trabelsi, Sakhr el-Materi (tous deux en fuite), Mourad Trabelsi et Hayet Ben Ali, la sœur du président déchu, qui réside en Allemagne. Enfin, douze autres sont accusés d’« acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers en Tunisie et à l’étranger » : Ben Ali, son épouse Leïla et des frères, sœurs et neveux de celle-ci – Belhassen, Moncef, Imed,
Le 13 janvier, Materi jure qu’il est prêt à rendre des comptes. Le 14, il quitte le pays. Naceur, Adel, Moez, Jalila, Houssem et Samira. Sakhr el-Materi est également cité.
EN RÉSIDENCE SURVEILLÉE Les trois principaux collaborateurs politiques de Ben Ali ont été assignés à résidence, et le bureau politique de l’ex-parti au pouvoir, le Rassemble-
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FETHI BELAID/AFP
Imed Trabelsi, le neveu préféré de Leïla. ARRÊTÉ
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Ali Seriati, ex-chef de la garde présidentielle et sécurocrate de l’ancien régime. ARRÊTÉ
finalement localisé dans la banlieue de Tunis une semaine plus tard et placé en résidence surveillée, mais il demeure injoignable à son numéro habituel de téléphone portable. Son épouse, Alya, a été littéralement chassée de la présidence de la Banque de Tunisie, à la tête de laquelle son mari l’avait propulsée avant qu’elle n’introduise d’autorité Belhassen Trabelsi dans le capital de
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la banque afin de lui permettre d’en prendre le contrôle. Abdallah Kallel, autre faucon du régime de Ben Ali, a été « démissionné » de la présidence de la Chambre des conseillers (Sénat) pour être assigné à résidence. Maître de la « cuisine politique », Abdelaziz Ben Dhia, qui se trouvait au palais de Carthage le 14 janvier, a appris la fuite de
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ment constitutionnel démocratique (RCD), dont ils étaient membres, a été dissous. Abdelwahab Abdallah, le « ministre de la propagande », n’était déjà plus à son bureau le jour de la fuite de Ben Ali. Il s’est caché plusieurs jours chez l’un ou l’autre de ses proches et a même fait courir le bruit qu’il avait pu fuir en France et se trouvait chez l’un de ses amis parisiens. Il sera
HICHEM
Sofiène Ben Ali, neveu de l’ex-président (ici avec son épouse Daddou Djilani). ARRÊTÉ
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Deux des sœurs de Leïla, Samira épouse Meherzi et Jalila épouse Mahjoub (les deux brunes). ARRÊTÉES
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Rafik Belhaj Kacem, ancien ministre de l’Intérieur. ARRÊTÉ
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Ben Ali devant son écran de télévision. Depuis, il est chez lui sous étroite surveillance.
EN LIBERTÉ D’autres personnalités proches de Ben Ali ont été simplement relevées de leurs fonctions, à l’instar des membres du cabinet présidentiel, dont notamment Iyadh Oueder ni, ministredirecteur du cabinet présidentiel, qui était aussi au service de Leïla. Les trois filles de Ben Ali nées de son premier mariage avec Naïma, fille d’un ex-général, ainsi que leurs maris, n’ont pas été inquiétées : Dorsaf épouse de Slim
Marouane Mabrouk et sa femme, Cyrine Ben Ali, née de la première union de son père. EN LIBERTÉ
Chiboub, Ghazoua épouse de Slim Zarrouk et Cyrine épouse (en état de séparation depuis un an) de Marouane Mabrouk. Néanmoins, Slim Chiboub, qui se trouvait en Libye au moment de la fuite de Ben Ali, n’est toujours pas rentré au pays. Si les principaux barons du clan et leurs proches affidés sont bien connus, les personnes qui se sont enrichies à la faveur de leurs liens avec les Ben Ali et les Trabelsi, ou qui ont été leurs complices actifs au sein des institutions, de l’administration, des banques et de l’appareil d’État le sont moins ou pas du tout. Il appartiendra à la justice de déterminer la respon-
sabilité des uns et des autres. C’est pourquoi Mohamed Ghannouchi, Premier ministre du gouvernement provisoire, a rappelé que, conformément aux règles du droit et au principe de la séparation des pouvoirs, les autorités ne pouvaient pas livrer des noms en pâture sans décision judiciaire. Du coup, nombreux sont les Tunisiens qui, gagnés par la suspicion, se demandent si ceux qui ont failli à leur mission ou profité de leur position auront à s’expliquer un jour devant la justice pour que le « système Ben Ali » ne puisse plus renaître de ses cendres, pas même sous une forme déguisée. ■
LES MYSTÈRES DE DJEDDAH DANS LES JOURS QUI ONT SUIVI son arrivée, le 15 janvier au petit matin, à Djeddah, accompagné de son épouse Leïla, de leur fille Halima (18 ans), du fiancé de celle-ci, Mehdi Ben Gaied, et de leur fils Mohamed Zine el-Abidine (6 ans), l’ex-président a téléphoné à deux reprises à son ancien Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, en se faisant passer auprès de son secrétariat pour un émir du Golfe. Il lui a dit qu’il comptait revenir au palais de Carthage. « Impossible, l’intérim à la présidence est assuré », lui aurait répondu Ghannouchi. Le président déchu s’est également entretenu au téléphone avec Hosni Moubarak et Mouammar Kaddafi, lequel lui a immédiatement apporté son soutien dans une allocution télévisée. Depuis, c’est le black-out total autour de l’ex-président, renforcé par le devoir de réserve auquel sont astreints les réfugiés politiques en Arabie saoudite, d’où les folles rumeurs qui ont circulé sur son état
de santé. Le gouvernement tunisien n’en a pas moins officiellement demandé son extradition à l’Arabie saoudite, ainsi que celle de Leïla Trabelsi. Pour Tunis, Ben Ali porte la responsabilité directe de la répression sanglante des manifestations pacifiques et des actes de violence qui ont émaillé la révolte populaire. Il est notamment accusé d’« incitation à l’homicide volontaire » et de « complot visant à semer la discorde entre les citoyens en les poussant à s’entretuer ». Il est aussi poursuivi, à l’instar des membres de son clan, pour « possession de comptes bancaires et de biens immobiliers à l’étranger acquis par voie illégale dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent » et « détention et exportation illicites de devises ». Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui à travers Interpol, et une demande de gel de ses avoirs – et de ceux d’une cinquantaine de ses proches – a été AZ.B. adressée par Tunis à plusieurs pays. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
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Slim Chiboub, qui serait à l’étranger, et son épouse, Dorsaf Ben Ali (à dr.), née du premier mariage de l’ex-chef de l’État. EN LIBERTÉ
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BERNAT ARMANGUE/AP PHOTO
Moussa Bezaz et les Chevaliers du ballon rond douze ans, les Chevaliers n’ont évolué qu’une seule fois devant leur public. C’était à la fin d’octobre 2008, à AlRam, à l’occasion d’un match amical face à la Jordanie (1-1). Une petite parenthèse au milieu de plusieurs années d’errance entre le Qatar et les Émirats arabes unis, où la Palestine recevait. Bezaz doit aussi composer avec les humeurs de l’administration israélienne quand il dresse une liste de joueurs à la veille d’un match international. « En Mauritanie, en août dernier, dix avaient pu sortir. Les autres étaient restés bloqués. J’avais complété ma sélecAvant la rencontre amicale face à la tion avec ceux qui jouent à l’étranger », Jordanie (1-1), en 2008, à Al-Ram. explique le sélectionneur, marqué par le cas de cet international bloqué deux mois à la frontière au retour d’un Depuis juillet 2009, le Franco-Algérien est le sélectionneur match. « C’est pour cela que je recense des Fursan, lʼéquipe nationale de football, qui dispute, les joueurs d’origine palestinienne le 9 mars, son premier match officiel à domicile. évoluant à l’étranger. Ils n’ont pas de problèmes pour nous rejoindre quand ertains de ses amis lui avaient d’Al-Aïn (Émirats arabes unis), n’a pas nous sommes à l’extérieur. » Certains déconseillé d’accepter cette grand-chose à voir avec celle qu’il vit viennent d’Europe, d’autres d’Égypte, mission atypique. Moussa avec les Fursan (les « Chevaliers », du Golfe ou de Jordanie. Et même de Bezaz (né à Grarem Gouga, surnom de l’équipe nationale palestiSantiago du Chili, où le club Palestino en Algérie), 53 ans, s’était finalement nienne). « Ici, explique Bezaz, il faut a été fondé en 1920 par la diaspora laissé séduire. « Du travail, cela ne se tenir compte de la situation politique, palestinienne installée dans le pays. refuse pas. » C’était en juillet 2009. qui a des répercussions « J’espère que la Fifa et Un an et demi plus tard, le Francosur la vie de la sélecle CIO [Comité interAlgérien est toujours à la tête de l’équition. Par exemple, il y national olympique] pe nationale de Palestine, qui pointait a deux championnats, vont agir pour que ces en janvier à la 178 e place (sur 207) u n en C i sjorda n ie, problèmes d’entrée et du classement Fifa. Et qui s’apprête à l’autre à Gaza, lequel de sortie du territoire disputer son premier match officiel à v ient de reprendre soient réglés », plaide domicile, le 9 mars, à Al-Ram, près de après plusieurs années Bezaz, qui sera en fin Jérusalem, face à la Thaïlande, dans le d’inter r upt ion. Et de contrat le 30 juin cadre des qualifications du groupe Asie aller là-bas, c’est très prochain. pour les JO 2012, à Londres. compliqué. Il faut des La Palestine, qui n’a La Palestine, grande consommatrice autorisations spéciaplus gagné depuis le de coachs (quatorze depuis son affiliales. Pour savoir s’il y 3 avril 2006 (4-0 face tion à la Fifa en 1998), a usé bien des a des joueurs suscepau Cambodge), a réusMoussa Bezaz. patiences, mais pas celle de Bezaz, tibles de m’intéresser, si quelques « coups » pourtant habitué à évoluer dans des je recueille les infos de sous son ère lors de environnements plus stables : « J’ai certains de mes internationaux nés à matchs amicaux disputés aux Émirats joué à Épinal, Sochaux, Rennes et Gaza. De plus, on manque de terrains : (1-1), au Soudan (1-1), en Mauritanie Chaumont, rappelle-t-il, et j’ai entraîné seulement 8 pour plus de 200 clubs. » (0-0) et à Moscou face au Dynamo Épinal, Nancy et Charleville. Alors, la Depuis qu’il a posé les pieds à Ramal(1-1). Et aura à cœur de briller devant Palestine, c’est différent. » lah, où il réside – à l’hôtel – quand il son public lors du rendez-vous historiSa première expérience arabe, au est en Palestine, Bezaz n’a jamais pu que du 9 mars. ■ ALEXIS BILLEBAULT centre de formation du paisible club disputer un seul match à domicile. En DELORME/PRESSE SPORT
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On a retrouvé une partie du magot Liasses de billets, devises, bijoux... La valeur du trésor caché dans le palais de Sidi Dhrif appartenant à lʼex-couple présidentiel sʼélève à quelque 21 millions dʼeuros.
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ABACAPRESS.COM
qui retournent dans l’escarcelle de près l’annonce, le 19 fél’État. vrier, de la découverte Passés les premiers moments de du « trésor caché de Ben stupeur, les Tunisiens se sont interAli » dans le palais de rogés, via les médias, sur la proveSidi Dhrif, l’une des propriétés du nance de ce magot et la manière président déchu, à Sidi Bou Saïd, dont il a pu être prélevé vu que les à 15 km au nord de la capitale, les liasses portent principalement le spéculations allaient bon train à Tusceau de la BCT. Échaudés par les nis. C’est une opération de détection manipulations du système Ben Ali, d’armes effectuée par l’armée qui a d’aucuns pointent l’effet de diverpermis la mise au jour de coffression créé par cette découverte au forts copieusement garnis, dissimumoment où cinq mille personnes se lés derrière une bibliothèque imporendaient à la Casbah pour réclamer sante aux portes coulissantes. Une parure de bijoux découverte dans un la chute du gouvernement de tranRetransmises par la télévision nacoffre-fort dissimulé derrière une bibliothèque. sition. D’autres s’interrogent sur la tionale, les images de cette caverne légitimité de la commission à opérer d’Ali Baba, tournées en présence la saisie du magot en l’absence du procureur de la République. d’Abdelfattah Amor, président de la Commission d’investigaL’opinion publique s’étonne également du fait que la résidence tion sur les faits de corruption et de malversations, ont marqué de Ben Ali n’ait été fouillée que récemment. Enfin, certains les esprits. Les coffres regorgeaient de liasses de billets de banjubilent en voyant là une petite revanche sur un pouvoir qui que portant le sceau de banques tunisiennes, mais aussi celui avait la mainmise sur 40 % du PIB du pays à travers quelque de la Banque centrale (BCT), de liquidités importantes en 180 entreprises, même si ce trésor caché n’est rien en regard devises provenant de banques étrangères, ainsi que d’innomde la fortune des Ben Ali, estimée à 5 milliards de dollars par brables bijoux de valeur. En première estimation, outre les FRIDA DAHMANI, Tunis le magazine américain Forbes. ■ parures, ce sont 41,2 millions de dinars (21 millions d’euros)
Rectificatif Dans « Le pharaon est nu » (J.A. no 2613), nous avons écrit par erreur que Sayyed Qotb était le chef des Frères musulmans, alors qu’il n’en était que l’un des cadres, qui plus est en rupture avec la direction. Dans « Le printemps des frères » (J.A. no 2614), nous avons mal orthographié le nom du successeur de Hassan el-Banna, lequel s’appelait Hodeiby et non Hobeidy. En outre, il n’existe pas de filiation directe entre les Frères et l’AKP turc. Enfin, Ayman al-Zawahiri a été arrêté à la fin des années 1970 et non au milieu des années 1950. Toutes nos excuses à nos lecteurs.
MÉDITERRANÉE
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N
Le forum YML nʼaura pas lieu
ous en sommes très attristés, mais nous avons finalement décidé d’annuler le forum des Young Mediterranean Leaders [YML] cette année. Nous avons jugé indécent de tenir des conférences et d’organiser des débats dans une ville aussi festive que Marrakech, alors que des hommes et des femmes meurent par centaines en Libye et que la région est en proie à de tels changements. » C’est en ces termes que Jérôme Cohen, codirecteur des YML, explique sa décision de reporter, sine die, le forum qui devait se tenir à Marrakech du 10 au 12 mars. Créés en 2008 par le banquier d’affaires français d’origine tunisienne Hakim elKaroui, les YML sont un réseau de jeunes décideurs qui ont pour ambition de rapprocher les deux rives de la Méditerranée. Alors que le monde arabe est secoué par des mouvements de révolte, les organisateurs craignaient de ne pas être dans le ton
et de choquer leurs intervenants comme le public marocain. De nombreux participants avaient d’ailleurs déjà annulé leur venue. « Ces événements seront pour nous l’occasion de repenser en profondeur notre forum et d’en redéfinir l’utilité. J’espère de tout cœur que nous pourrons organiser un nouveau rendez-vous dans les mois qui viennent », conclut Jérôme Cohen. L’image des YML a également souffert de la campagne de presse extrêmement agressive dont est victime Hakim el-Karoui depuis le début de la révolution. Le site Mediapart a en effet publié deux notes, en date du 12 et du 14 janvier, que le banquier a adressées à l’ancien dictateur tunisien. Depuis, blogs et réseaux sociaux ne cessent de le dépeindre sous les traits d’un conseiller occulte de Ben Ali. Si Karoui a reconnu être l’auteur de ces notes, il a affirmé n’avoir jamais rencontré le dictateur, ni travaillé pour lui. ■ LEÏLA SLIMANI
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53 ÉTATS-UNIS
Notre homme à Tel-Aviv
Stand d’une entreprise chinoise, à l’Idex, le 21 février.
ABOU DHABI
Pas de révolution chez les marchands dʼarmes Le 10e Salon international de défense (Idex) a été un franc succès. Comme si de rien nʼétait... ou presque.
L
es décideurs militaires arabes n’ont manifestement pas d’états d’âme. Lors du 10e Salon international de défense (Idex), qui s’est tenu, du 20 au 24 février, à Abou Dhabi, les pays du Golfe ont confirmé leur fringale d’équipements militaires. En 2010, quatre d’entre eux ont dépensé 123 milliards de dollars pour du matériel américain – dont 90 milliards pour la seule Arabie saoudite, un chiffre record. Theodore Karasik, de l’Institute for Near East and Gulf Military Analysis (Inegma) de Dubaï, qui a animé la conférence introductive de l’Idex, a déclaré à Jeune Afrique que « l’environnement est dangereux pour ces pays » et qu’il est « normal qu’ils se protègent », notamment face à la menace iranienne. L’essayiste libanais René Naba, lui, s’inquiète : « Ils s’équipent au-delà de leur capacité d’absorption et d’assimilation. » L’emploi, ces dernières semaines, de moyens de répression disproportionnés contre les manifestants en Libye, au Yémen et à Bahreïn semble lui donner raison. Les responsables de l’Idex affirment que les révoltes actuelles n’ont pas eu d’incidence sur le salon. Mais, selon plusieurs observateurs, les délégations
étaient moins fournies que d’habitude ou ont écourté leur présence. Autre conséquence possible de la conjoncture révolutionnaire : certains États pourraient délaisser les armements lourds au profit d’équipements antiémeute. Les compagnies britanniques ont exposé toute une gamme de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc, quelques jours seulement après que Londres eut retiré 44 licences de ventes à Bahreïn et 8 à la Libye. Pour les Émirats arabes unis, le salon a été un succès. « Ils confortent leur position de producteur, a déclaré le général français Jean-Albert Epitalon, directeur international du Groupement des industries françaises de défense terrestre et de sécurité (Gicat), présent au salon. Ils développent des engins de taille moyenne ou des drones, mais aussi des systèmes complets de gestion de crise. » Les entreprises de défense émiraties ont signé, en quatre jours, des contrats d’un montant total de 1 milliard de dollars. Ce qui est prometteur quand on sait que les dépenses de leurs voisins du Golfe sont susceptibles d’atteindre, en 2015, entre 100 et 130 milliards de dollars en équipements militaires. ■
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CONSTANCE DESLOIRE
C.D.
Daniel Shapiro (cravate rouge), à la Maison Blanche, le 1er septembre 2010.
SIPA USA/SIPA
XINHUA/ZUMA/REA
P
ressenti pour être le prochain ambassadeur des États-Unis en Israël, Daniel Shapiro, 41 ans, semble faire l’unanimité. Selon le site américain politico.com, qui cite des sources diplomatiques, il devrait prendre ses fonctions au cours de l’été prochain. Actuellement directeur du bureau Moyen-Orient du Conseil de sécurité nationale, Shapiro est une figure de la communauté juive américaine – il parle couramment l’hébreu et fréquente une synagogue traditionaliste – et il est proche de l’ensemble de la classe politique israélienne. Ancien assistant parlementaire démocrate, Shapiro, qui fut également diplomate aux Émirats arabes unis, est l’artisan du ralliement de la communauté juive américaine au candidat Obama, qu’il avait rejoint en 2007. Les leaders juifs américains – mais aussi ceux de la communauté arabe-américaine – ont salué sa possible nomination, louant son excellente connaissance des dossiers du Moyen-Orient et son sens de la diplomatie. Avec l’envoyé spécial George Mitchell, il a effectué d’innombrables voyages dans la région, où il a défendu la ligne du président Barack Obama: création d’un État palestinien, défense du caractère juif de l’État d’Israël, marginalisation des « terroristes » du Hamas et du Hezbollah ainsi que de l’Iran. « Il mérite un poste sur une jolie plage méditerranéenne », a commenté Nathan Diament, de l’Union des congrégations juives orthodoxes. ■
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FRANCE DSK OU LA STRATÉGIE DU SPHINX Dominique Strauss-Kahn sera-t-il candidat à la présidentielle de 2012 ? Ses fonctions au FMI lui imposent le silence. Alors il répond par des énigmes. Pour lʼinstant, sa cote de popularité reste stratosphérique.
I
Sa mission à Washington s’achève en novembre 2012. Enfin, en principe…
ALAIN FAUJAS
l a volé la vedette à Nicolas Sarkozy lors du G20 Finances de Paris, les 18 et 19 février. Il a fait un joli score d’audience au journal de France 2, le lendemain, où il ne s’est pas départi de sa posture de directeur général du FMI qui se sent « utile » là où il est. Tout juste Dominique Strauss-Kahn a-t-il consenti à répondre aux lecteurs du Parisien qui le pressaient de dire s’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2012 : « La France me manque, comme à tous les
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expatriés. » Pour tout le monde et malgré ce mutisme, « DSK » sera assurément sur les rangs de la primaire organisée par le Parti socialiste, à l’automne, pour désigner son champion face à un président sortant qui n’a, lui non plus, toujours pas dit s’il se représenterait. Pourquoi ce silence persistant ? Parce que rendre publique sa candidature obligerait Strauss-Kahn à démissionner séance tenante de son mandat au FMI, qui ne s’achève qu’en novembre 2012. Parce qu’il concentrerait illico sur sa
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CORENTIN FOHLEN/FEDEPHOTO
INTERNATIONAL
56 INTERNATIONAL personne les tirs croisés de la gauche de la gauche, de la majorité et de l’extrême droite. Parce qu’il ne sait peutêtre pas encore s’il a vraiment envie de troquer la fréquentation des « maîtres du monde » pour la montagne de problèmes qui l’attendent à l’Élysée. Pourquoi ce tohu-bohu (on dit « buzz », aujourd’hui) autour de lui ? DSK a acquis une stature d’homme d’État parce qu’à la tête du FMI il a coordonné avec succès la politique anticrise de la communauté internationale. Son éloignement et sa sérénité lui valent des sondages flatteurs dont il ressort qu’il écraserait Nicolas Sarkozy au second tour du scrutin. Le pacte que, dit-on, il a conclu avec Martine Aubry, la première secrétaire du PS, prévoit que le moins bien placé des deux pour l’emporter s’effacera devant l’autre. Mais les sondages du mois de janvier ont laissé apparaître un début d’érosion de la popularité de DSK. Voilà pourquoi sa femme, la journaliste Anne Sinclair, qui, elle, n’est astreinte à aucun droit de réserve, a déclaré à
l’hebdomadaire Le Point (du 10 février) qu’elle « ne souhaite pas qu’il fasse un second mandat » à la tête du FMI. Le message subliminal de ce retour presque annoncé a été instantanément décrypté et amplifié par les médias en folie. La droite a qualifié DSK de « bobo » peu représentatif de la France profonde; la gauche de la gauche a jugé que la candidature du patron du FMI, cet « affameur des peuples », serait un « désastre ». Sachant que DSK devra annoncer au plus tard le 12 juillet sa candidature à la primaire socialiste, quelle va être sa tactique pour ne pas se faire oublier des Français pendant ces quatre mois et demi de silence obligé ? Deux hypothèses. 1. Il se montre le plus souvent possible au chevet des États européens malades de leur dette : la Grèce, bien sûr, mais aussi l’Irlande, le Portugal et l’Espagne. Cette sollicitude annulerait en partie les critiques de l’UMP concernant son « éloignement » supposé du quotidien des Français. Ce serait une
Comment le FMI a renoncé à jouer au gendarme MORCEAU CHOISI
Dans un livre récent, la journaliste Stéphanie Antoine évoque la manière dont Strauss-Kahn a révolutionné lʼaction de lʼinstitution. En Afrique comme ailleurs. AVRIL 2008, WASHINGTON. […] Au 700 de la 19e Rue, DSK réunit quelques collaborateurs au sujet de l’organisation d’une conférence qu’il souhaite tenir en Afrique. Il propose de programmer l’événement à Dar es-Salaam, en Tanzanie, le chef de l’État du pays, Jakaya Kikwete, assurant alors la présidence tournante de l’Union africaine. “D’accord, on invite quelques personnalités académiques et quelques ministres, comme d’habitude, répond Mark Plant, le numéro trois du département Afrique. – Non, non. Je veux changer la façon dont on parle aux Africains. Je ne veux pas d’une conférence académique type, il faut quelque chose de différent.” “Que voulait-il dire exactement ? Nous nous sommes gratté la tête sans être sûrs de bien comprendre où il voulait en venir”, confiera plus tard Mark Plant. Réconcilier le FMI avec les pays qui perçoivent l’institution comme un despote, tel sera l’axe stratégique de StraussKahn. Les États d’Afrique, “bénéficiaires” de programmes récurrents d’ajustement structurel, rejettent la méthode du Fonds. Mark Plant […] se souvient d’une conversation entre Horst Köhler, l’ancien directeur général du FMI, et Ellen
façon de dire : je suis là pour le cas où la France, elle aussi, ferait peur aux marchés et aurait du mal à boucler ses fins de mois. 2. Il laisse parler pour lui le bilan de trois ans et demi passés à la tête du FMI, qui démontre qu’il y a un avant- et un après-Strauss-Kahn. C’est d’ailleurs ce qui ressort du livre de Stéphanie Antoine, DSK au FMI, dont on lira ciaprès un extrait. Même si la technicité des sujets abordés le rend un peu aride, l’ouvrage montre que, la crise aidant, l’ancien ministre des Finances de Lionel Jospin est parvenu à réformer la politique ultralibérale de l’institution financière. Sous sa houlette, celle-ci se soucie désormais des conséquences sociales des sacrifices qu’elle demande ; quand c’est nécessaire, elle préconise le déficit, l’inflation et le contrôle des changes, qui étaient jugés naguère comme autant de crimes de lèse-orthodoxie. Pas sûr que cela suffise à convaincre, à gauche, que le père des 35 heures est socialiste. ■
DSK au FMI, enquête sur une renaissance, par Stéphanie Antoine, Le Seuil (2011), 203 pages, 17,50 euros.
Johnson-Sirleaf, la future présidente du Liberia : le Fonds est une institution triste, secrète, arrogante et dominatrice, lui aurait-elle dit. Il est efficace, mais la façon dont il mène son affaire est injuste et erronée. La démarche du Fonds doit donc être modifiée. Il faut expliquer son action, corriger l’image d’une institution cachottière, décidant du sort de pays en crise derrière les portes blindées des banques centrales, celle du gendarme arrogant et ultralibéral. […] Une chevelure d’un blond vénitien, habillée d’une veste classique sur une robe droite, le pas assuré, Anne Hommel est conseillère en communication chez Euro RSCG, l’une des trois agences à avoir signé un accord avec le FMI. Pour un budget de 1,1 million d’euros par an, Euro RSCG se charge de l’organisation des événements, des conférences, ainsi que des déplacements de DSK avec la presse. Arrivée à Washington avec deux de ses collaborateurs, elle dispose de six mois pour mettre sur pied la conférence de Dar es-Salaam. La stratégie sera bâtie en quelques semaines : l’institution fait son mea culpa pour les erreurs commises dans la gestion des crises passées, elle écoutera les élites africaines et instaurera un dialogue en vue d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. Le FMI quitte l’uniforme du gendarme pour J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
INTERNATIONAL 57
STEPHEN JAFFE/IMF
[…] Deux mois plus tard, le 25 mai 2009, DSK atterrit à Kinshasa. Un emploi du temps chargé l’y attend. Deux pays en trois jours : la République démocratique du Congo, puis la Côte d’Ivoire. En RDC, il rencontre le président Joseph Kabila, des parlementaires et des membres de la société civile, puis, c’est désormais le rituel, une rencontre avec des étudiants est organisée à l’Université de Kinshasa. “Vous empêchez notre pays de bénéficier d’un prêt chinois de 5 milliards de dollars, alors qu’il nous permet de développer notre activité minière. – Les Chinois demandent une garanÀ Dar es-Salaam, la capitale tanzanienne, en mars 2009. tie d’État contre ce prêt qui rend la dette du pays insoutenable”, répond DSK. Cet accord permettrait à la RDC de développer ses mines, enfiler la blouse blanche du médecin. […] Anne Hommel mais la priverait de l’effacement de sa dette par le FMI dans suggère d’emmener le managing director sur le terrain : “Il le cadre de la procédure PPTE (pays pauvres très endettés). faut sortir le directeur général des salles de conférences, DSK dialogue, argumente, désamorce le conflit. penser à la portée émotionnelle de l’image.” “C’est de la communication au bon sens du terme. Il faut 10 mars 2009. […] Arrivés en pleine nuit dans la capitale que les Africains ressentent qu’ils sont membres à part entanzanienne, DSK et Anne Sinclair sont conduits à l’hôtel tière du FMI. Il faut leur donner le sens de l’appartenance à Kempinski. Le lendemain, trois cents personnalités africail’institution, le sens du ownership”, explique-t-il. nes, parmi lesquelles Kofi Annan, ancien secrétaire général Strauss-Kahn parviendra à convaincre Joseph Kabila que de l’ONU et Prix Nobel de la paix ; Antoinette Sayeh, direcl’accord leur était défavorable et persuadera les Chinois trice du département Afrique au FMI et ancienne ministre d’accepter une garantie non financière du prêt. Résultat, des Finances du Liberia ; Ngozi Okonjo-Iweala, directrice la RDC obtiendra le prêt chinois tout en bénéficiant d’une générale de la Banque mondiale et ex-argentière du Nigeria ; annulation de la dette. plusieurs banquiers centraux mais aussi le chanteur Bob Le lendemain, escale de vingt-quatre heures à Abidjan. Geldof ou encore l’Américain Jeffrey Sachs entrent dans La Côte d’Ivoire, dont l’aide du FMI avait été suspendue l’immeuble de la banque centrale. Plus d’une centaine de pendant la guerre civile, vient d’obtenir un prêt préférentiel journalistes de la presse internationale couvrent la confédu Fonds à hauteur de 566 millions de dollars sur trois ans, rence. Les débats sont animés, mais le ton a changé. à titre de PPTE. DSK a rendez-vous avec le président Lau“Avant, les leaders africains devaient dire merci, tout ça rent Gbagbo, son Premier ministre Guillaume Soro et son c’est formidable, parce que le FMI représente parfois leur ministre des Finances Charles Diby Koffi, mais aussi avec unique source de financement. Quel que soit le coût social ses opposants politiques, Alassane Ouattara et Henri Konan de l’intervention, c’était : le FMI sait mieux que vous ! DSK a cassé cette tradition en reconnaissant que le Fonds a besoin de consulter les intéressés et de discuter avec eux des solutions possibles”, confiera Trevor Manuel, le ministre des Finances sud-africain. Bob Geldof, la star irlandaise du rock, Bédié. DSK retrouve ensuite l’estrade d’un amphithéâtre : engagé depuis les années 1980 dans la lutte contre la famine celle de l’Université de Cocody-Abidjan. Dans la salle, les en Éthiopie, insiste pour que les pays du G8 tiennent leur élèves et les professeurs s’agitent sur les gradins. À peine promesse du Millenium de Gleneagles de doubler l’aide aux DSK a-t-il eu le temps de s’asseoir que s’élève un bruit incespays pauvres d’ici à 2010. […] Strauss-Kahn et lui devaient sant de pieds frappant le sol. rapidement devenir des buddies. “Dominique est très ouvert. “Nous avons besoin de plus de professeurs ! Il veut responsabiliser le FMI alors que l’institution est per– Moi aussi, j’ai été syndicaliste, comme vous. Aujourd’hui, çue comme la main invisible de l’Occident. Le FMI a ruiné il ne faut pas seulement penser à vous mais à votre pays.” l’économie en Afrique. Lui, il est là pour écouter et cela est Plus personne ne bouge. très nouveau”, dira Geldof. “Le FMI est un bouc émissaire, et il nous faut bien l’assuLe lendemain matin, […] c’est une première : DSK visite, mer. Mais ce sont vos gouvernements qui nous demandent en présence de la presse, un hôpital où il fait une donad’intervenir. Nous ne sommes pas responsation au nom de son institution, il se rendra ensuite dans bles de la crise. Je comprends le drame de la un orphelinat et se promènera dans l’un des marchés de pauvreté pour vos pays, mais ce n’est pas de la capitale. Les photos de DSK déambulant au milieu des la faute du FMI. Nous sommes là pour vous Tanzaniens, petits et grands, donnent l’image d’un direcaider. Mais le FMI ne peut pas tout faire non teur général du FMI humanisé, allant à la rencontre d’une plus.” » ■ population qu’il désire aider.
« Avant, les Africains devaient se contenter de dire merci. DSK a cassé cette tradition. »
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58 INTERNATIONAL ALLEMAGNE
Un (faux) Noir chez les Germains
L
« ’
Afrique est aux singes, l’Europe est aux Blancs! » C’est par ces propos d’un autre âge proférés à l’entrée d’une discothèque que débute Noir sur Blanc, le nouveau documentaire de Günter Wallraff. Vingt-cinq ans après Tête de Turc, dans lequel il dénonçait les conditions de vie des travailleurs immigrés en Allemagne, le journaliste de 68 ans s’est de nouveau, avec l’aide d’une habile maquilleuse française, glissé dans la peau d’un autre, celle de Kwami le Somalien. Remarques xénophobes, menaces physiques émanant de supporteurs d’un club de football, impossibilité de louer un appartement, méfiance d’une vendeuse de bijoux… Au cours d’un périple de un an à travers le pays, il a scrupuleusement enregistré les réactions suscitées par le personnage qu’il a choisi d’incarner. Diffusé récemment sur la chaîne franco-allemande Arte, son film constitue une inquiétante chronique du racisme ordinaire. Coïncidence ? Noir sur Blanc sort dans un contexte tendu. Depuis la parution, l’an dernier, de L’Allemagne court à sa perte, un brûlot anti-immigration, le débat fait rage sur la place des étrangers dans la société. Thilo Sarrazin, son auteur, est un ancien responsable de la Banque centrale – révoqué depuis. À l’en croire, son pays « s’abrutit sous le poids des immigrés, notamment musulmans, qui refusent de s’intégrer et vivent aux crochets de l’État ». Vendu à plus de un million d’exemplaires, le livre, et le débat qui s’est ensuivi, a laissé des traces. Le gouvernement prépare d’ailleurs pour le mois d’avril de nouvelles règles sur les conditions d’accueil des étrangers et leur apprentissage de l’allemand.
JEUNE AFRIQUE: Avez-vous été surpris par le débat sur l’intégration? GÜNTER WALLRAFF : Ce débat a déjà eu lieu dans le passé, mais la crise économique l’a exacerbé. C’est typique : les gens désignent des responsables, plutôt que de chercher les causes du problème. Dans le même temps, le livre de Sarrazin a eu un rôle d’amplificateur. En disant tout haut ce qui ne l’était jusqu’ici qu’à demi-mot, il a rendu certaines personnes et certains propos respectables. Ce qui est également nouveau, c’est qu’il a trouvé un écho dans toutes les catégories de la population, et pas seulement les plus défavorisées. Mais le rôle de la presse dans ce débat – et dans le succès du livre – a été primordial. Une véritable opération de propagande ! Certains journaux – Bild-Zeit ung, Der Spiegel, Focus, etc. – parlaient du livre presque chaque semaine. S’ils avaient fait la même chose avec Tête de Turc, je n’en aurais pas vendu 5 millions, mais 50 millions d’exemplaires ! Depuis des décennies, certaines thèses racistes et créationnistes prospèrent ouvertement au sein des élites. Je ne veux pas dire que cette idéologie soit dans toutes les têtes, mais, sous une forme adoucie, elle se propage jusque dans certains journaux. Qu’en est-il de l’Allemand « moyen »? La majorité des Allemands n’est pas raciste. Ce qui manque aujourd’hui, c’est le courage civique. Quand il se passe quelque chose, les gens détournent le regard, ne prennent aucun risque et s’efforcent de rester à l’écart. Je remarque quand même qu’il y a une opposition à tout cela. Chez les jeunes comme chez les vieux, à droite comme à gauche, un nouveau mouvement social
LEA CRESPI AGENCE VU
Une année durant, pour les besoins dʼun documentaire, le journaliste Günter Wallraff a sillonné son pays déguisé en Africain. Insidieusement xénophobes ou carrément racistes, les réactions quʼil a suscitées en disent long, hélas, sur lʼétat de la société.
Günter Wallraff au naturel…
est en train d’émerger. Cela rend mon travail encore plus important. Au plus fort du débat sur l’intégration, la chancelière Angela Merkel a estimé que le modèle multiculturel allemand était un échec total… Je ne pense pas que ce soit son opinion. C’était une tactique électoraliste, détestable, pour tenter de reconquérir des voix à droite. Tout cela est d’autant plus paradoxal, voire grotesque, que nous allons avoir un besoin urgent d’immigrés, notamment dans les métiers techniques comme l’informatique. Il y a des années, l’Allemagne a été un pays d’immigration. Mais la société est devenue tellement dure, tellement hermétique, que les étrangers qui quittent le pays sont aujourd’hui plus nombreux que ceux qui s’y installent. Les critiques se concentrent sur la maîtrise de la langue allemande et le communautarisme. Est-ce vraiment un problème ? Il faut faire une différence. Au début, lorsque les premiers immigrés sont venus pour travailler, personne n’était très favorable à ce qu’ils apprennent l’allemand. Sinon, ils auraient eu leur mot à dire ! Et maintenant qu’ils sont à la retraite, on leur demande de prendre des cours d’allemand, c’est inhumain ! Quant aux plus jeunes, il leur est effectivement demandé de suivre des cours d’intégration. Or il y a bien
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INTERNATIONAL 59
… et métamorphosé en Kwami le Somalien dans Noir sur Blanc.
plus de demandes d’inscription que de places disponibles ! Soyons clairs : ceux qui refusent de s’intégrer sont une toute petite minorité – pas plus de 5 %. Quant au communautarisme, on ne peut pas reprocher aux gens de vivre entre eux dans des quartiers qui, bien souvent, sont les seuls qui leur soient financièrement accessibles. Avant de jouer le rôle de Kwami l’Africain, vous attendiez-vous à être confronté à autant de racisme?
X VERLEIH AG
LE ROI DE L’IMMERSION APRÈS UN DÉBUT de carrière dans l’écriture, la librairie puis le journalisme (avec une série de reportages sur l’industrie), Günter Wallraff, né le 1er octobre 1942 près de Cologne, réalise son premier coup d’éclat en 1977, sous le pseudonyme de Hans Esser, en dénonçant les pratiques du journal Bild-Zeitung (Le Journaliste indésirable). Suivent diverses immersions dans le monde des travailleurs immigrés (Tête de Turc, 1985), des SDF (2009), des chefs d’entreprise peu scrupuleux, des employés précaires de la grande distribution, des call centers… Son dernier livre, Parmi les perdants du meilleur des mondes, retrace huit de ses expériences. ■ GW.D.
orientale, comme on le croit souvent. Reste que le risque de violences physiques est quand même plus important dans l’Est, où il y a encore beaucoup de groupes néonazis. Et où les Noirs évitent de se promener seuls dans la rue. Est-ce plus difficile pour Kwami aujourd’hui que pour Ali il y a vingtcinq ans? Difficile de comparer. Dans le rôle d’Ali, je travaillais. Là, ça n’a pas été possible. Je dirais que j’ai rencontré une autre forme de racisme, d’autres menaces. Il me semble qu’à l’époque d’Ali les choses étaient plus ouvertes. Aujourd’hui, chez la plupart des gens, c’est plus caché, plus sournois. Il y a une sorte de consensus pour ne pas montrer ouvertement son racisme. Ce que disent les Noirs en Allemagne, c’est que lorsqu’ils n’arrivent pas à obtenir un logement ou un travail, rien ne leur est dit directement. Mais ils sentent très bien le rejet.
« C’est devenu plus sournois. On s’efforce de ne pas montrer ouvertement son racisme. » Non, je pensais que la situation s’était détendue. Et puis, j’ai été confronté à tout cela. Bien sûr, il y a eu des réactions positives, mais les négatives sont très loin d’être des exceptions. Ce qui m’a le plus surpris, c’est le manque total de honte de la part de ceux qui avaient tenu des propos racistes. Ils se sentaient vraiment dans leur bon droit. Quand on leur demandait l’autorisation de les montrer à l’image, ils disaient : « Génial, quand est-ce que ça passe à la télé ? Je vais le dire à mes amis. » Par ailleurs, j’ai pu constater que le problème concerne l’Allemagne dans son ensemble, et pas seulement la partie
Si c’est plus difficile pour les Noirs, n’est-ce pas aussi parce qu’ils sont bien moins nombreux que les Turcs? Vous avez raison. Bien souvent, lorsqu’ils parlent à des Allemands, ils entendent : « Mais qu’est-ce que tu parles bien allemand… » Or ils sont allemands ! Ils ne subiraient probablement
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pas ce genre de remarques à Londres ou à Amsterdam. Et pour les Allemands d’origine turque, pensez-vous que la situation se soit améliorée depuis Tête de Turc? Elle a changé. Il y a aujourd’hui énormément de Turcs qui ont réussi, qui ont des postes importants, notamment dans le monde de l’entreprise. Il existe de nombreux exemples d’intégration réussie. Mais les Turcs d’Allemagne ont encore des problèmes liés à leur patronyme. Et de même pour leurs enfants. Ils se sentent discriminés, notamment sur le marché du travail. Tête de Turc avait suscité énormément de réactions jusque dans les sphères politiques. Qu’en est-il de Noir sur Blanc? Le pouvoir politique, à l’échelon national, n’a pas réagi. Il y a certes eu des personnalités locales, comme à Cologne, qui ont voulu attaquer en justice certains auteurs de propos racistes, mais j’ai refusé. Ce que je préfère, c’est parler avec les gens, quand c’est possible. Je pense à cette vendeuse de bijoux présente dans le film. Elle n’avait encore jamais vu de Noir. Alors je lui en ai présenté quelques-uns, des médecins, des étudiants… Depuis, elle a totalement changé d’opinion. Ce qui signifie qu’on peut encore faire évoluer les mentalités. ■ Propos recueillis à Berlin par GWÉNAËLLE DEBOUTTE
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ILS VIENNENT D’AFRIQUE, ILS ONT RÉUSSI AILLEURS
PARCOURS
Hassan MOUTI Plonger dʼune falaise de 27 mètres, impensable ? Ce jeune Franco-Marocain le fait. Cʼest du cliff diving et il occupe la cinquième place mondiale de cette discipline.
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l est des sauts périlleux… plus périlleux que d’autres. La plupart du temps, les saltos se réalisent sur les praticables de gymnastique ou affublé d’une paire de patins à glace. Pour corser l’affaire, on peut tenter la prouesse sur une poutre de 10 cm de large à un mètre du sol. Et ajouter une vrille ou deux. Mais on peut aussi s’élancer d’une falaise de 27 m pour briser, à près de 100 km/h, une eau aux apparences tranquilles mais qui, sous l’effet de la vitesse, se transforme en véritable mur de béton. Deux secondes de chute, frisson garanti. Le cœur s’emballe, les muscles se contractent, le corps plane un instant, puis la pointe des pieds se redresse automatiquement au contact – plutôt brutal ! – de l’eau. Il faut alors s’enfoncer droit comme un I dans le trou que vos pieds ont creusé afin d’éviter toute pression verticale sur un bout de membre qui dépasserait. Vous avez laissé traîner votre bassin et vos fesses vers l’arrière ? « C’est le coccyx ou le sacrum cassé à tous les coups, assure le plongeur Hassan Mouti. Ça nous est tous arrivé ! » Imaginez les frayeurs vécues par la mère de ce jeune homme à l’allure svelte et au sourire charmeur.
SPORT DE L’EXTRÊME, le cliff diving tire son origine d’une tradition hawaïenne. Au XVIIIe siècle, les rois de Maui testaient la bravoure de leurs guerriers, qui devaient réaliser les plus beaux lele kawa (que l’on peut traduire par « sauts pieds en avant depuis une falaise sans faire d’éclaboussures »). Depuis, cette épreuve s’est popularisée. Et les premiers championnats du monde ont été organisés à Brontallo, en Suisse, en 1997. Pour autant, ce sport demeure confidentiel. « Nous sommes assez peu à le pratiquer », confie Hassan Mouti. Seuls douze plongeurs sont sélectionnés chaque année. « Du coup, malgré la compétition et les rivalités, nous formons une petite famille. C’est tellement dangereux qu’on ne peut pas espérer que nos concurrents ne réussissent pas leur figure », affirme le champion francomarocain, qui ne concourt que sous le passeport français, « parce que c’est plus facile pour voyager ». Né à Strasbourg en 1980 de parents marocains, Hassan Mouti a découvert ce sport en 2003 alors qu’il était champion de France de plongeon à 10 m. « Je plonge depuis mon enfance, raconte-t-il. Quand j’avais 10 ans, mon père nous a emmenés, mes sœurs et moi, à la piscine. Mais la
natation ou le water-polo ne m’intéressaient pas trop. » Enfant casse-cou et turbulent, Hassan préfère le plongeon, davantage acrobatique, qui nécessite un entraînement de gymnastique. Un bon moyen de canaliser son énergie. CHEZ LES MOUTI, LE SPORT est une discipline de vie. Le père, mécanicien marocain venu en Alsace trouver du travail à une époque où la France avait besoin de maind’œuvre, court deux à trois fois par semaine. « Ma mère n’était pas du tout sportive, mais elle a fini par suivre mon père, raconte Hassan Mouti. Mes sœurs ont aussi fait du plongeon. » Pourtant, pas question de faire passer le sport avant le reste. « Il fallait que l’école suive. Quand j’ai décidé d’arrêter la fac parce que les études m’ennuyaient, mes parents ont été très inquiets. Mais heureusement, l’université de Colmar proposait aux sportifs de haut niveau un DUT adapté : quelques heures de cours le matin et entraînement l’après-midi. Ça m’a permis de préparer mes compétitions et de décrocher un diplôme », poursuit Mouti. Pour arrondir ses fins de mois, l’étudiant se déniche un job d’été original. Quand d’autres font du baby-sitting ou livrent des pizzas, lui plonge depuis 25 m pour émerveiller les visiteurs des parcs d’attractions. Le jeune homme apprend à repousser ses limites: « Chaque saut est un défi que l’on s’impose. » Et à dompter un corps qu’il faut sans cesse écouter : « À cette hauteur, la peur est omniprésente, confesse-t-il. Elle est nécessaire :
« C’est tellement dangereux qu’on ne peut pas espérer que nos concurrents échouent ! » elle permet de se concentrer et de prendre conscience du danger. À l’entraînement, il m’est arrivé de renoncer à sauter. Quand c’est comme ça, il ne faut pas forcer, sinon c’est la blessure assurée. Mais en compétition, c’est différent. L’enjeu est tel que l’adrénaline surpasse la peur. » En 2003, un ami le coopte pour qu’il participe à sa première compétition à 25 m, à Acapulco. « C’était difficile, se souvientil. Nous nous élancions de la falaise et non depuis une plateforme. C’est plus compliqué, les appuis ne sont pas les mêmes. Et surtout, il fallait se caler sur la houle, attendre le bon moment pour s’élancer et arriver dans l’eau en même temps que la vague, sinon la profondeur n’était pas J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
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1980 Naissance à Strasbourg 2001 et 2002 Champion de France de plongeon olympique à 10 m 2003 Découvre le cliff diving 2010 5e au classement mondial suffisante. » La prestation de Hassan Mouti est remarquée. Depuis, le plongeur enchaîne les compétitions. En 2010, il est arrivé cinquième au classement mondial. Étalées sur une année, les épreuves du championnat du monde se déroulent aux quatre coins du monde (Chili, Mexique, Grèce, Italie, États-Unis, Ukraine…). « Il n’y a jamais eu d’épreuve en Afrique, mais je rêverais de faire une démonstration de cliff diving au Maroc, avoue Hassan Mouti. Enfant, j’y allais chaque été avec mes parents pour rendre visite à ma famille, à Rabat et à Sefrou, près de Fès. J’y suis resté très attaché. » LE CLIFF DIVING SÉDUIT de plus en plus de specta-
teurs. Jusqu’à 50 000 personnes à La Rochelle (France) en 2010. De quoi attirer peu à peu les sponsors. Une marque de boisson énergisante finance et organise le championnat depuis 2009. Et Hassan Mouti a réussi à en convaincre d’autres de le soutenir; pas suffisamment toutefois pour le nourrir. Mais les représentations qu’il J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
donne notamment chaque été à Europa Park, un parc d’attractions en Allemagne, lui permettent de profiter du statut d’intermittent du spectacle et de s’entraîner régulièrement à 25 m. Hassan Mouti, les pieds sur terre, sait qu’il ne pourra pas pratiquer le cliff diving toute sa vie. « Tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Pour le moment, je me concentre sur la saison 2011, qui débutera le 12 mars à Rapa Nui, au Chili. J’espère pouvoir faire un podium et finir quatrième au classement général. Et je profite au maximum, car je sais que ça ne durera pas éternellement. » Une idée de reconversion plus posée ? « Oui, je suis assez tenté par le base jump [du parachutisme depuis des falaises, NDLR] ou du wingsuit [du parachutisme… sans parachute, mais avec une combinaison en forme d’aile]. » C’est effectivement plus tranquille… On vous l’a dit, Hassan Mouti garde les pieds sur terre ! ■ SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX
Photo : ROMINA AMATO/RED BULL
62 INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS - PAKISTAN
L’interpellation de Raymond Davis (à dr.), le 27 janvier à Lahore.
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l n’y a pas si longtemps, Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, faisait l’éloge du Pakistan, « allié crucial » de l’Amérique dans sa guerre contre les talibans. Une visite officielle de Barack Obama à Islamabad est prévue au cours des prochains mois. Bref, pour les États-Unis, 2011 devait être l’« année du Pakistan ». On en est loin. Depuis un mois, l’affaire Davis, du nom d’un employé du
JAPON
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HAMZA AHMED/AP/SIPA
Après lʼarrestation, puis lʼinculpation pour meurtre dʼun agent de la CIA, les deux pays sont au bord du clash. consulat américain à Lahore – en fait, un agent de la CIA – accusé d’un double meurtre par la justice pakistanaise et placé en détention préventive, empoisonne les relations entre les deux pays: c’est le temps des invectives. Invoquant le statut diplomatique de leur ressortissant, les États-Unis exigent sa libération immédiate. Sous la pression de son opinion, le gouvernement pakistanais entend coûte que coûte le juger. Le département d’État a annulé tous les contacts de haut niveau avec son allié, notamment une rencontre entre responsables américains, pakistanais et afghans qui devait se tenir à la fin du mois. Au Congrès, on parle de suspendre l’aide civile et militaire – plusieurs milliards de dollars par an – si Davis n’est pas libéré. Enfin, coïncidence troublante, les attaques de drones dans les régions tribales ont repris, après une interruption de près d’un mois. Vécues comme une humiliation par les Pakistanais, ces violations répétées de leur territoire, qui font beaucoup de morts dans la population civile, ne peuvent que renforcer l’antiaméricanisme ambiant. ■ TIRTHANKAR CHANDA
Sur la pente savonneuse
épassé depuis peu par la Chine, désormais deuxième puissance économique mondiale, en termes de PIB, le Japon est loin de voir le bout du tunnel. Ses deux principaux handicaps : un déficit budgétaire abyssal et un endettement équivalant à 200 % de son produit intérieur brut – le pire résultat de tous les pays développés. Le 22 février, l’agence de notation financière Moody’s a réduit la perspective de sa note : celle-ci était « stable », elle devient « négative ». Ce qui signifie que la note (et non plus seulement sa « perspective ») attribuée à sa dette à long terme devrait être prochainement abaissée. Elle est actuellement de Aa2, soit le troisième degré sur une échelle qui en compte dix-neuf. Fin janvier, une autre agence, Standard & Poor’s, avait de même revu à la baisse la note japonaise. Bref, personne ne semble croire que le gouvernement de Naoto Kan (centre gauche) soit en mesure d’assainir les finances publiques. D’autant que l’opposition conservatrice se montre très virulente et bloque toute volonté réformatrice, notamment en matière fiscale. ■ J.-M.A.
MICHAELA REHLE/REUTERS
Quand lʼallié « crucial » regimbe RUSSIE
Gorbatchev allume Poutine
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l se sait peu écouté en Russie, mais Mikhaïl Gorbatchev a quand même décidé de donner de la voix. En grande forme à la veille de son 80 e anniversaire, le dernier dirigeant soviétique a profité d’une conférence de presse, à Moscou, le 21 février, pour dire, ou plutôt rappeler, tout le mal qu’il pense du duo au pouvoir. Selon lui, le Premier ministre, Vladimir Poutine, a fait preuve d’une « arrogance incroyable » en annonçant qu’il déciderait avec Dmitri Medvedev qui, de l’un ou de l’autre, sera candidat à la présidentielle de 2012. « Ce n’est pas l’affaire de Poutine, c’est celle de la nation. C’est l’affaire de ceux qui vont voter », a-t-il estimé. Par ailleurs, Gorbatchev déplore que Russie unie, le parti de Poutine, contrôle en totalité le Parlement : « Le monopole, dit-il, ne donne pas la possibilité aux processus démocratiques de se développer. Russie unie me fait penser à une mauvaise copie du PCUS [Parti communiste de l’Union soviétique]. » Sans doute sait-il de quoi il parle. Ne fut-il pas le principal fossoyeur du communisme en Russie ? Le 16 février, dans Novaïa Gazeta, un journal d’opposition dont il est copropriétaire, Gorbatchev avait déjà dénoncé l’« élite dépravée » qui, selon lui, dirige le pays. Toujours en quête de fonds pour ses œuvres humanitaires (en 1997, il n’hésita pas à figurer dans un spot télévisé pour Pizza Hut), le Prix Nobel de la paix se heurte aux pires difficultés pour faire enregistrer son parti social-démocrate. Ses dernières déclarations ne devraient pas l’y aider. ■ JUSTINE SPIEGEL
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COMMUNIC ATION
Mine de cuivre au Katanga. La RD Congo a adhéré à l’ITIE en février 2008, mais sa candidature n’a pas encore été validée.
TRANSPARENCE
Un chantier pavé de bonnes intentions SEULS DEUX PAYS AFRICAINS RÉPONDENT AUX EXIGENCES DE L’INITIATIVE POUR LA TRANSPARENCE DANS LES INDUSTRIES EXTRACTIVES. MAIS L’IDÉE DE PUBLIER LES COMMISSIONS VERSÉES PAR LES FIRMES AUX ÉTATS FAIT DE PLUS EN PLUS CONSENSUS. CHRISTOPHE LE BEC, avec STÉPHANE BALLONG
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u beau monde est attendu à Paris les 2 et 3 mars : des chefs d’État africains, dont le Centrafricain François Bozizé et le Togolais Faure Gnassingbé ; de grands patrons d’entreprises, parmi lesquels l’Américain George Soros (Soros Fund Management) et le Français Chris-
tophe de Margerie (Total); et des représentants d’ONG et de la société civile. Ce qui les réunit: le sommet annuel de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Proposée en 2002 par le groupe d’ONG Publish What You Pay (Transparency International, Global Witness,
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Secours catholique…) et promue par le gouvernement britannique de Tony Blair à partir de 2003, l’ITIE recommande aux entreprises de publier ce qu’elles versent aux États. Et ces derniers sont tenus de faire de même sur ce qu’ils reçoivent. Objectif : favoriser une meilleure gestion et un accroissement des revenus que les pays peuvent tirer de l’exploitation de leurs ressources minières. Le think-tank américain Global Financial Integrity a montré par exemple que, chaque année, entre 600 milliards et 800 milliards d’euros s’évaporent clandestinement des pays en développement, du fait de la corruption et de l’évasion fiscale.
JIMMY KETS/REPORTERS-REA
MARCHÉS
64 ECOFINANCE À ses débuts, l’Initiative était critiquée comme étant une idée du Nord imposée au Sud. Mais avec l’adhésion de la Norvège en 2009 et la possible candidature de l’Australie, la donne a changé. Désormais, le principe de l’ITIE, qui a pour originalité de mettre autour de la table États, société civile et entreprises (lire encadré p. 65), est accepté par la plupart des gouvernements d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. À l’échelon mondial, ce sont environ 300 milliards d’euros qui ont ainsi été déclarés à travers une cinquantaine de rapports ITIE depuis 2003, dont 125 milliards d’euros pour le continent. Le Nigeria, avec 110 milliards d’euros, représente encore l’écrasante majorité des montants supervisés, contre 3,8 milliards pour le Gabon et seulement 295 millions pour la RD Congo. UN LABEL VENDEUR
Pour les États africains, être en conformité avec l’ITIE est devenu un argument pour attirer les sociétés minières les plus expérimentées. Un exemple : début février, le ministre libérien des Mines, Roosevelt Jayjay, ne se privait pas d’afficher le label « ITIE » lors du salon Mining Indaba, au Cap, pour séduire les majors. Selon un avocat de Kinshasa spécialisé dans le secteur minier, « l’adhésion de la RD Congo, en février 2008, a ravivé l’intérêt des majors et freiné l’ardeur de juniors moins regardantes sur la bonne gouvernance ». Il faut dire que les États voient dans cet exercice un intérêt financier. En
préparant ses rapports nationaux, le Nigeria a pu identifier en 2005 un manque à gagner de 3,67 milliards d’euros de taxes et royalties non perçues, lié à des détournements ou à déclarations erronées. Le pays a ainsi pu réorganiser ses agences de contrôle. Reste que, depuis 2002, seuls deux États africains (cinq dans le monde) ont été jugés conformes aux exigences de l’ITIE : le Liberia (en octobre 2009) et le Ghana (en octobre 2010). Alors que 23 se sont lancés dans la course (33 dans le monde). Mais l’issue du s om met de Pa r i s pourrait voir le nombre de pays « conformes » augmenter. Le conseil d’administration international de l’ITIE statuera à cette occasion sur le cas du Nigeria et du Niger, qui auront mené un processus de candidature sur près de trois ans. Côté entreprises, la démarche séduit les grands producteurs. « Nous soutenons ce processus car il est réalisé à l’échelon national, à la demande d’un État, avec l’ensemble des acteurs autour de la table. Cela nous semble la bonne démarche, à la différence d’une publication unilatérale des chiffres par une compagnie », indique David Eglinton, représentant d’ExxonMobil à l’ITIE. Une position similaire à celles de majors pétrolières comme Total et Shell, ou minières comme Rio Tinto et Areva. Autre motif de satisfaction : tout le monde est logé à la même enseigne.
« Comme les principes de l’Initiative s’insèrent progressivement dans les lois locales, même les sociétés chinoises ou russes, dont les pays ne sont pas adhérents à l’ITIE, doivent publier leurs chiffres et participer aux discussions à l’échelon national », se félicite Yolla Zongré, d’Esso Tchad. Les règles de l’ITIE ont en effet été intégrées aux corpus législatifs du Tchad, du Niger, du Nigeria et de la RD Congo, mais aussi des États-Unis : la loi Dodd-
À ses débuts, l’Initiative était critiquée comme étant une idée du Nord imposée au Sud. Frank, votée par le Sénat le 15 juillet 2010, exige que les entreprises cotées à New York publient pays par pays les commissions qu’elles versent aux gouvernements. LA SOCIÉTÉ CIVILE PAS SATISFAITE
Mais si États et multinationales s’accordent à soutenir le processus dans les discours, des organisations de la société civile se plaignent de la lenteur des travaux : sur les 23 pays africains candidats, sept piétinent depuis plus de deux ans – le délai normalement accordé pour passer du statut de « candidat » à celui de « conforme » (voir carte). « Les autorités gabonaises ont ralenti volontairement le processus ITIE pour ne pas avoir à s’expliquer trop vite », estime Marc Ona Essangui, le représentant de Publish What You Pay dans le pays,
KIMBERLEY MONTRE SES LIMITES
SIPHIWE SIBEKO/REUTERS
MIS EN PLACE EN 2003 PAR 2009. Le président Mugabe DES PAYS PRODUCTEURS, est notamment accusé d’utides entreprises et des ONG, liser les recettes de la vente le système de certification du des pierres de cette mine processus de Kimberley, une pour financer son maintien au initiative similaire à l’ITIE, vise pouvoir et le fonctionnement à mettre fin au commerce des de son parti. Malgré tout, Kim« diamants du sang » qui aliberley a autorisé l’État à venmentent guerres et dictatures, dre une partie de son stock de en retraçant l’origine des gemgemmes, estimé à 4,5 millions Objectif de la certification: lutter contre mes. Si le dispositif fonctionne de carats. le commerce des « diamants du sang ». plutôt bien (notamment dans En 2006, un rapport du Conseil des pays comme l’Angola, le de sécurité de l’ONU avait noté Liberia et la Sierra Leone), il a cependant montré ses la présence sur le marché de « diamants du sang » en limites à plusieurs reprises. provenance de Côte d’Ivoire. Les gouvernements dont Au Zimbabwe, par exemple, les conditions d’exploita- les systèmes de contrôles sont jugés inefficaces appation de la mine de Marange et l’utilisation des revenus raissent souvent comme les responsables désignés des qui en sont tirés font l’objet de vives critiques depuis dysfonctionnements de ce processus. ■ S.B. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
ECOFINANCE 65 Tunisie
Maroc
ENCORE PEU DE BONS ÉLÈVES
Algérie
Mer Méditerranée
Libye Égypte
Mauritanie
Mali
e oug rR Me
Cap-Vert
Niger
Sénégal Tchad Burkina Gambie Soudan Faso GuinéeGuinée Bénin Bissau Togo Nigeria Côte Sierra d’Ivoire Ghana Centrafrique Leone Liberia Cameroun Ouganda Guinée équatoriale São Tomé e Príncipe Congo Gabon Océan Atlantique RD Congo Rwanda Burundi
qui souhaiterait que, au-delà du pétrole et des mines, les ressources forestières soient également inclues dans la démarche. Même constat au Tchad. « Notre pays a adhéré à l’ITIE en avril 2010, et le président ne se prive pas de le rappeler dans ses discours. Mais dans les faits, le processus est bloqué. Le gouvernement n’a toujours pas déboursé les crédits nécessaires pour payer les spécialistes en charge de rapprocher les chiffres », dénonce Gilbert Maoundonodji, membre du comité de pilotage de l’ITIE. En RD Congo, un avocat spécialiste du droit minier affirme que « la transparence parfois brutale de certaines entreprises a entraîné un retour de bâton de certains élus, qui préfèrent l’obscurité à la lumière ». D’après lui, le retrait de deux licences d’exploitation à First Quantum par l’État congolais n’est pas sans lien avec la communication déployée par cette société canadienne autour de la transparence. ET LE MONDE ARABE ?
L’ITIE a donc des limites. Selon certains observateurs, elle n’est pas adaptée à l’exploitation des ressources naturelles dans des zones instables comme l’est de la RD Congo. Plusieurs représentants de la société civile proposent que des dispositifs coercitifs sur la traçabilité des minerais, similaires au processus de Kimberley pour les diamants (lire encadré p. 64), soient adoptés. « Pour faire la lumière sur les attributions de licences d’exploration, qui peuvent donner lieu à des rétrocommissions, il faut aussi d’autres outils », ajoute Diarmid O’Sullivan, de Global Witness.
Pays conformes
Érythrée Djibouti Éthiopie Somalie Kenya
Tanzanie Angola Zambie
Malawi
Pays candidats disposant d’un délai de mise en conformité Pays candidats dont le délai de mise en conformité est écoulé Pays candidat suspendu pour cause de crise politique Pays dont la candidature a été rejetée Pays non adhérents
Seychelles Comores
Maurice
Mozambique
faire progresser l’ I T IE , les gouverMadagascar nements, la société Botswana civile et les entreprises devront améliorer la gouSwaziland vernance plutôt que d’en Lesotho faire un fourre-tout », estime Océan Indien Afrique le ministère français des Affaires du Sud étrangères. Ils devront surtout séduire d’autres États producteurs de pétrole et de minerais, notamment ceux du En somme, si l’ITIE est considérée monde arabe. Au Maghreb, pas un comme une démarche de dialogue seul pays producteur de pétrole et de tripartite positive, elle s’avère insufminerais n’a adopté les principes de fisante pour résoudre tous les problèl’Initiative. ■ mes de transparence. « S’ils veulent Namibie
Zimbabwe
L’ITIE, COMMENT ÇA MARCHE ? POUR FAIRE VALIDER SA CANDIDATURE, un pays doit proposer un plan d’action visant la transparence de son secteur extractif. Ce pays sera jugé conforme une fois prouvée l’efficacité de son dispositif de supervision et de publication des revenus miniers et/ou pétroliers. LE CONSEIL D’ADMINISTRATION INTERNATIONAL (présidé par Peter Eigen, fondateur de Transparency International), valide les nouvelles règles, la candidature et la conformité d’un pays. Il est composé de 20 membres tournants issus de trois collèges: les entreprises (48 multinationales), la société civile (coalition Publish What You Pay, Oxfam, Secours catholique, Global Witness…) et les États. LE COMITÉ LOCAL de l’ITIE est responsable de la mise en place du processus de publication des revenus à l’échelle d’un pays ; il nomme un auditeur indépendant pour s’assurer de la concordance entre les revenus publiés par les entreprises et ceux de l’État. Le comité est tripartite, incluant l’ensemble des entreprises, organisations de la société civile et ministères du pays concernés par les secteurs d’activité. ■ C.L.B.
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66 L A S E M A I N E D ’ E C O F I N A N C E LIBYE
Inquiétudes italiennes
STRINGER ITALY/REUTERS
L’ITALIE A-T-ELLE DES RAISONS de s’inquiéter des événements qui se déroulent en Libye? Les rapports entre les deux États se sont en effet nettement réchauffés depuis la signature en 2008 d’un traité d’amitié et de coopération. Au point que Rome est aujourd’hui le premier partenaire commercial de Tripoli. En matière d’approvisionnement énergéwtique, la Libye est ainsi le premier fournisseur de pétrole de la péninsule (23,3 % de ses besoins) et le troisième en gaz (12 %). Après l’arrêt la semaine dernière des exportations libyennes, les autorités italiennes ont toutefois assuré que la situation était sous contrôle. L’inquiétude majeure concerne surtout l’avenir des investissements libyens (3,6 milliards d’euros selon certaines estimations) en La société pétrolière est Italie, principalement gérés au travers d’un détenue à 2 % par Tripoli. fonds souverain. L’absence totale de transparence dans sa gestion au niveau mondial (de 22 à 50 milliards d’euros engagés selon les estimations) pourrait alimenter les rumeurs sur les risques de difficultés en cas de ventes précipitées d’actifs. Un scénario cependant peu probable, car beaucoup de ces investissements ne peuvent être cédés du jour au lendemain (sociétés cotées, immobilier…). Parmi les participations les plus importantes de Tripoli côté italien: la banque UniCredit (7,5 % du capital), le géant de la défense Finmeccanica (2 %), le club de football de la Juventus de Turin (7,5 %), la compagnie pétrolière ENI (2 %) ou encore le constructeur automobile Fiat (2 %). L’impact le plus fort pourrait finalement concerner les 180 entreprises italiennes présentes en Libye. Le pétrolier ENI est sans conteste le plus exposé, le pays représentant 15 % de sa production. Autres victimes collatérales potentielles : Finmeccanica et Fiat, qui y ont installé des usines d’assemblage, ou encore le numéro un du BTP dans la péninsule, Impregilo, retenu pour la construction d’une autoroute. ■ JULIEN CLÉMENÇOT
Raffarin, maigre bilan ALGÉRIE
ALORS QUE LES PROJETS industriels français piétinent en Algérie, JeanPierre Raffarin était à Alger les 20 et 21 février pour tenter de débloquer la situation. Au cœur des discussions avec le président Abdelaziz Bouteflika et le ministre de l’Industrie, Mohamed Benmeradi : le projet d’usine du groupe Renault à Rouiba, en alliance avec SNVI ; le complexe pétrochimique Total-Sonatrach à Arzew, dans l’Ouest; et l’implantation de cimenteries par Lafarge. Trois dossiers qui représenteraient quelque 20 000 emplois. À la fin de sa mission, l’ancien Premier ministre français a annoncé que les discussions étaient à « mi-chemin ».
Nitel ne sera pas chinois NIGERIA
LAGOS VIENT D’ANNULER le contrat de 1,8 milliard d’euros signé en octobre avec un consortium mené par le chinois Unicom, pour la cession de l’opérateur national Nitel. Le nouvel acquéreur, qui devait verser un acompte de 550 millions d’euros au plus tard en novembre dernier, n’a pas tenu son engagement malgré plusieurs extensions de ce délai, explique le Bureau nigérian des entreprises publiques, qui pilote cette privatisation. L’offre d’Omen International, qui était également en course avec 700 millions d’euros, devrait être reconsidérée.
EN BREF RWANDA REVENUS MINIERS EN HAUSSE Avec de nouvelles découvertes d’or, de coltan et d’étain notamment, le secteur minier rwandais devrait générer plus de 75 millions d’euros en 2011, contre 70 millions en 2010.
MAROC BONS RÉSULTATS POUR MT Maroc Télécom vient d’annoncer un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros pour 2010. Une progression de 4,3 % sur un an. Le résultat net progresse de 1,2 %, à 840 millions d’euros.
ALGÉRIE DU BRUT À EL-MERK EN 2013 Le groupement Berkine (Sonatrach, Anadarko, ENI, Maersk) investira 3,3 milliards d’euros pour développer son gisement saharien d’El-Merk, qui doit produire 160 000 b/j en 2013.
MAURITANIE LE KOWEÏT EN SOUTIEN Le Fonds koweïtien pour le développement a accordé 29,6 millions d’euros à la Mauritanie pour la réhabilitation du réseau d’eau de Nouakchott et des programmes agricoles.
AFRIQUE DU SUD CONTRAT INDIEN Afripalm Resources a conclu avec l’indien Steel Authority un protocole d’accord pour la construction d’une aciérie d’une capacité de 3 millions à 5 millions de tonnes d’acier par an. Coût du projet: 2,1 milliards d’euros.
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De 40 000 t en 1998, la production de coton est tombée à environ 1 000 t par an.
JUSTICE
Imbroglio guinéen pour Geocoton L A SOCIÉTÉ, PROPRIÉTÉ DEPUIS 2008 DU GROUPE A DVENS, TRAÎNE DERRIÈRE ELLE UNE VIEILLE QUERELLE AVEC UN ENTREPRENEUR LOCAL.
DERNIER ÉPISODE EN DATE : LA SAISIE DES TITRES DE PARTICIPATION DANS SA FILIALE SÉNÉGALAISE.
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ranle-bas de combat à la direction de Geocoton, la première entreprise cotonnière de l’espace francophone. Pour un très vieux différend juridique, le groupe, filiale d’Advens, du Franco-Sénégalais Abbas Jaber, s’est fait saisir, le 17 février, ses titres de participation dans sa filiale sénégalaise, la Sodefitex. Envoyé d’urgence à Dakar, Yannick Morillon, le nouveau directeur général, a fait déposer une requête au tribunal civil pour faire arrêter cette procédure. Depuis sa prise de fonctions, en janvier, il tente de dénouer les fils d’une affaire complexe qui oppose son groupe à un entrepreneur guinéen. « Nous sommes victimes d’une escroquerie », estime-t-il. Tout commence en avril 1985. Fraîchement nommé, le ministre guinéen du Développement agricole, Alhousseiny Fofana, signe un contrat avec la Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT, aujourd’hui rebaptisée Geocoton) pour introduire la culture du coton en Haute-Guinée. Financée par des bailleurs de fonds européens, la CFDT organise
alors le monde paysan, installe des usines d’égrenage et fournit de l’assistance technique… Dans ce cadre, elle passe un petit marché avec l’Entreprise générale des solutions relaissées (Egesor), de Cheick Mohamed Kaba, qui fournit de la main-d’œuvre pour la construction de 65 entrepôts de stockage (coton, intrants…). Le contrat s’élève à 27,8 millions de francs guinéens (22283 euros). Un peu plus de 25 millions seront versés, le solde de 2,8 millions (2 228 euros) faisant l’objet d’une retenue de garantie. Selon la CFDT, les travaux n’ont pas été entièrement et correctement exécutés. C e que conte ste vigoureusement Kaba. Il va alors porter l’affaire devant le Tribunal de première instance de Conakry, qui condamne, le 30 novembre 1995, la société - qui n’a pas pu se défendre, n’ayant pas été assignée - à lui verser pas moins de 1,2 milliard de francs guinéens de dommages et intérêts (943 000 euros) ! L’État guinéen,
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MARKA/ALAMY
ECOFINANCE 67 véritable maître d’ouvrage des travaux, intervient alors dans la procédure en faisant appel et gagne, avant que la Cour suprême ne casse cette décision en 2003. Étonnamment, Kaba ne cherchera pas à faire exécuter son jugement. A-til eu peur de s’attaquer à l’État français, actionnaire majoritaire de la société ? Ce n’est qu’après la privatisation de l’ex-CFDT, en janvier 2008, qu’il reprend la procédure. Il obtient finalement, en 2010, le droit de faire exécuter le jugement initial en France et au Sénégal. Pour un litige initial de 2 228 euros, il réclame aujourd’hui 4,9 millions d’euros de dommages et intérêts et de frais de recouvrement, soit près de 2 200 fois plus. MÉDIATISER L’AFFAIRE
Sur le front guinéen, Geocoton a attaqué Kaba au pénal pour escroquerie, et son actionnaire Advens a initié une procédure civile en dénonçant le mode aberrant d’établissement des dommages et intérêts. « Nous avons aussi alerté le ministère français de la Coopération, l’ambassade de France à Conakry et transmis un message au nouveau président, Alpha Condé », précise Yannick Morillon. Pour l’avocat de Kaba, Me Mohamed Houssein Mounir, Geocoton ne cherche qu’à médiatiser l’affaire en interpellant l’exécutif guinéen pour faire pression sur la justice. En attendant, les cultivateurs de Haute-Guinée ne produisent guère plus de 500 à 1 000 tonnes de coton par an contre 40 000 t en 1998. En janvier, plusieurs cadres agricoles de la région de Kankan ont adressé une lettre ouverte au nouveau chef de l’État, plaidant pour une redynamisation des activités. « Les premiers semis de coton débutent à la fin mai. Il faut cependant
Pour un litige initial de 2 228 euros, Geocoton est condamnée à payer 4,9 millions d’euros. organiser d’abord des états généraux de la filière, recenser les intentions des paysans, commander les intrants et assurer l’encadrement », souligne le collectif de cadres. En attendant, la justice guinéenne doit se prononcer à nouveau cette semaine. Affaire à suivre… ■ PASCAL AIRAULT
68 ECOFINANCE BANQUES
Face aux crises, BNP et Sogé font le dos rond
LES DEUX GROUPES FRANÇAIS S’INQUIÈTENT POUR LEURS FILIALES IVOIRIENNES ET NORD -AFRICAINES, MENACÉES PAR L’INSTABILITÉ POLITIQUE QUI SECOUE CES RÉGIONS. LE POINT SUR LES RISQUES QU’ILS COURENT RÉELLEMENT.
stratégiques pour les établissements français. D’abord du fait de leur proximité avec l’Europe, ensuite à cause des perspectives de croissance à court terme, réelles, de cette zone ». En Afrique subsaharienne, les filiales de Société générale et de BNP Paribas devraient, plus ou moins volontairement, continuer à céder des parts de marché. Elles ont d’ailleurs déjà été rattrapées par leurs concurrents dans plusieurs pays, notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Objectif probable : privilégier la rentabilité à moindre coût en diminuant les crédits, pour miser surtout sur des services à moindres risques et générateurs de commissions, comme le mobile banking.
LUC GNAGO/REUTERS
UNE EXPOSITION LIMITÉE
La SGBCI, en Côte d’Ivoire, a fermé ses portes le 17 février.
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ilence radio chez BNP Paribas et Société générale. Les états-majors des deux banques françaises, très présentes en Afrique, suivent avec la plus grande attention les événements qui secouent le continent, d’Abidjan à Tripoli en passant par Tunis et Le Caire. Mais elles préfèrent pour l’instant ne rien en dire. La situation est délicate : les filiales ivoiriennes ont été réquisitionnées par le gouvernement Gbagbo, qui menace de les nationaliser ; en Afrique du Nord, l’insurrection a gagné la Libye, où BNP Paribas gère Sahara Bank, le deuxième établissement du pays ; et, d’après certaines prév isions, la Tunisie et l’Ég y pte devraient connaître une croissance économique en berne en 2011. Il ne manquerait plus que l’instabilité politique s’installe au Maroc et en Algérie… Pour Société générale et BNP Paribas, ces événements soulèvent une seule vraie question : quel avenir pour leurs stratégies respectives sur le continent ? Dans le cadre de son
plan « Ambition SG 2015 », la banque rouge et noir a annoncé vouloir donner la priorité à l’Égypte et au Maroc ainsi que, plus marginalement, à la Côte d’Ivoire et au Sénégal. « Mais les crises sociopolitiques peuvent faire basculer la stratégie, et une banque peut décider qu’être présente dans certains pays n’en vaut plus la chandelle eu égard aux risques associés », nuance un expert. L’enjeu est d’autant plus prégnant qu’au-delà des beaux discours la vraie priorité géographique des banques françaises est ailleurs. « Les annonces faites par Société générale autour de l’Afrique avaient surtout pour objet de redresser son image, continue la même source. En fait, le groupe mise surtout sur l’Europe de l’Est et la Russie. » Certes, mais pour Alain Le Noir, ancien directeur général de l’association Finances sans frontières, « les pays du bassin méditerranéen, dont ceux d’Afrique du Nord, demeurent
Selon la Banque des règlements internationaux, l’exposition des deux groupes en Côte d’Ivoire, en Tunisie et en Égypte s’élevait fin septembre 2010 à 19 milliards d’euros (40 milliards en incluant le Maroc et l’Algérie). Cela représente à peine 0,7 % de leurs engagements internationaux (1,5 % avec le Maroc et l’Algérie). « Il est certain que si les événements en Afrique du Nord et en Côte d’Ivoire perdurent, cela n’aura rien de positif pour les banques françaises, mais l’effet restera marginal par rapport à leur taille, explique Christophe Nijdam, spécialiste du secteur bancaire au bureau d’analyse français AlphaValue. Cela est moins grave, par exemple, que la situation en Grèce. »
La filiale égyptienne de Société générale représente 12 % des bénéfices du groupe. À l’exception notable de la filiale égyptienne de Société générale, qui a contribué en 2008 et 2009 à hauteur de 12 % aux bénéfices du groupe français, les filiales africaines pèsent peu dans la rentabilité totale des deux banques. À peine 0,3 % de leurs bénéfices cumulés en Tunisie, 0,8 % en Côte d’Ivoire, 2,8 % au Maroc… Les groupes hexagonaux n’ont finalement pas tant à craindre que cela, du moins financièrement. ■ FRÉDÉRIC MAURY,
avec STÉPHANE BALLONG
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ECOFINANCE 69 exigence : monter au capital. Les parties se sont donc mises d’accord pour lui céder 14 % supplémentaires, ce qui laisserait à Attijariwafa Bank le contrôle de SCB, avec 51 % du capital. Restait à s’accorder sur le prix. Pour les 65 % du capital initialement prévus, le groupe marocain comptait payer une cinquantaine de millions d’euros. L’État devrait donc en verser une dizaine pour les 14 %. Trop cher, rétorque le ministère des Finances, qui estime que la valorisation retenue par Crédit agricole et Attijariwafa Bank ne concerne qu’eux. Depuis, la procédure est grippée et le gouvernement ne cesse de repousser la conclusion de l’opération.
L’État détient 35 % de la filiale de Crédit agricole.
ACQUISITION
Yaoundé ne lâche rien
LA SOCIÉTÉ CAMEROUNAISE DE BANQUE AURAIT DÛ PASSER ENTRE LES MAINS DU MAROCAIN ATTIJARIWAFA FIN 2008. MAIS LES AUTORITÉS BLOQUENT LA CONCLUSION DE L’OPÉRATION.
Q
ue se passe-t-il entre Crédit agricole, Attijariwafa Bank et Yaoundé ? Plus de deux ans après la signature de l’accord de cession de cinq filiales subsahariennes du groupe français en faveur de la banque marocaine (pour un montant de 250 millions d’euros), le cas camerounais pose un problème. Si les quatre autres établissements (Crédit du Congo, Union gabonaise de banque, Société ivoirienne de banque et Crédit du Sénégal) ont effectivement changé de propriétaire, jusqu’à la mi-février 2011 le sort de la Société camerounaise de banque (SCB) était toujours dans l’impasse. « Le ministère des Finances n’a pas du tout apprécié de ne pas avoir été mis au courant plus tôt de la transaction entre Crédit agricole et Attijariwafa Bank, explique un proche du dossier. Depuis, il le fait payer au groupe français. » Pourtant, les deux banques n’avaient guère le choix : toutes deux cotées en Bourse (à Paris et à Casablanca), elles avaient l’obligation légale de communiquer sur leur accord
de cession au même moment pour tout le monde, et ce notamment afin d’éviter toute fuite préalable et tout risque de délit d’initié. Malgré cela, la pilule n’est pas passée du côté de Yaoundé, qui détient 35 % de SCB. Aussitôt l’opération annoncée, l’État a mis la pression en posant une première
MABOUP
TOUJOURS PLUS GOURMAND
De son côté, Attijariwafa Bank fait le dos rond mais reste dans les starting-blocks : depuis l’audit de SCB, au premier semestre 2010, un Marocain est présent dans les couloirs de la banque. La Commission bancaire a rendu un avis favorable un peu plus tard. Et, sans doute pour plaire aux autorités, le groupe chérifien a même poussé, en coulisses, sa future filiale à souscrire une part très importante de l’emprunt d’État camerounais lancé fin 2010. Jusqu’à quand Attijariwafa Bank attendra-t-il ? Yaoundé n’aurait pas l’intention de relâcher la pression si vite. Selon nos informations, l’État souhaiterait même désormais le contrôle du capital, avec l’idée d’en introduire une partie en Bourse. Une solution pourtant difficilement imaginable : Attijariwafa Bank a toujours exclu ne pas détenir plus de 50 % de ses filiales F.M. bancaires à l’étranger. ■
LE SORT DE CBC BIENTÔT SCELLÉ ? PLACÉ SOUS ADMINISTRATION PROVISOIRE en novembre 2009, Commercial Bank-Cameroun (CBC), majoritairement détenu par YvesMichel Fotso, cherche à s’adosser à un partenaire bancaire. Un avis d’appel à manifestation d’intérêt a été lancé il y a quelques mois. Bank of Africa-BMCE serait sur les rangs, tout comme Financial Bank, qui vient de reprendre un petit établissement local (First Trust Savings and Loan). D’autres candidats sont attendus, tels que NSIA, voire le géant sud-africain Standard Bank. Mais la finalisation du processus reste suspendue à une incertitude: l’issue du litige entre CBC et la Guinée équatoriale, qui avait empêché il y a quelques années la banque camerounaise de s’implanter sur son territoire. Le pays a été condamné mi-2009 par la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), basée à Abidjan, à payer 76 millions d’euros, mais refuse d’obtempérer. Malabo négocierait un accord transactionnel. De quoi renflouer largement les caisses de CBC. ■ F.M.
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70 ECOFINANCE
SÉNÉGAL
Sea Plaza: un temple cherche ses adeptes OUVERT EN JUILLET 2010, LE PREMIER MALL DU PAYS ATTIRE DES MILLIERS DE CURIEUX CHAQUE SEMAINE, MAIS SEULS LES PLUS AISÉS SE TRANSFORMENT EN ACHETEURS.
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LE DÉFI : SÉDUIRE LA CLASSE MOYENNE.
eux jeunes femmes intriguées, devant une vitrine bien garnie où trônent des chaussures aux prix bien supérieurs à ceux qu’elles ont l’habitude de rencontrer à Dakar : « Tu crois qu’on peut entrer ? » demande l’une d’elles, avant de pousser maladroitement la porte en verre. Bienvenue au Sea Plaza, le premier mall sénégalais. Situé sur la corniche, à côté de la place du Souvenir, le complexe de 14 000 m2 est un ovni dans le paysage dakarois : deux parkings (l’un souterrain, l’autre à l’extérieur, soit 236 places), baies vitrées donnant sur l’océan, marbre, escalators, 84 boutiques réparties sur deux niveaux… Depuis un peu plus de six mois, deux cultures se croisent et s’apprivoisent. « Pour la première fois, les Sénégalais ont tout à proximité pour faire du shopping », résume le directeur général, Éric Gueye.
« Shopping ». Le mot est lâché. Une petite révolution dans les habitudes de consommation. Jusque-là, le lèche-vitrines, pour le plaisir des yeux ou l’achat coup de cœur, n’était guère possible. Mieux valait aller de quartier en quartier, de marché en marché, pour une paire de chaussures, un jean, un teeshirt ou un bout de tissu. Et changer de quartier, le soir venu, pour trouver un bar branché. À chaque fois, les bouchons et un mal fou pour trouver une place de stationnement. Aujourd’hui, « on peut se garer, se promener, se divertir, manger, consommer » au même endroit. L’EMBARRAS DU CHOIX
Ce samedi, vers 16 heures, sous un ciel bleu azur, les badauds affluent dans l’enceinte climatisée, en couple, entre amis ou en famille. Les yeux s’attardent sur les enseignes internationales (Celio, Mango, Hugo Boss, Apple, etc.,
soit 60 % des boutiques) et sénégalaises (Africa Kids, Missaka, etc.). Des queues se forment aux fast-foods pour une boule de glace ou une boisson. Un petit creux ? Il y a l’embarras du choix : six fast-foods et un restaurant proposent des délices d’Asie, des hamburgers ou un bon vieux tiéboudienne. Des chalands sortent du supermarché Casino, le caddie plein de courses, direction le parking. Vers 18 heures, la garderie La Récré commence à se remplir. Les bambins s’occupent sous l’œil des mamans de substitution, moyennant 12 000 F CFA (18,30 euros) pour trois heures, le temps d’aller s’essayer sur l’une des huit pistes du bowling et à son bar lounge (ambiance tamisée, musique internationale). En mai, un Bouddha Bar et un Bouddha Spa enrichiront encore la palette des loisirs. Depuis son ouverture en juillet 2010, la fréquentation moyenne du mall est estimée entre 10 000 et 12 000 personnes par semaine. Accolé à l’hôtel de luxe Radisson Blu (relié par un passage), incontournable sur la route entre l’aéroport et le centre-ville, Sea Plaza séduit en priorité une clientèle haut de gamme, locale ou internationale de passage. « Cette clientèle connaît les malls de Paris, de Dubaï ou de New York. Pour elle, ce n’est pas une surprise, ce n’est que la normalité des choses. Expatriés, membres d’ONG ou d’organismes internationaux, tous attendaient un produit comme Sea Plaza », assure Éric Gueye. La classe moyenne émergente, celle qui peut dépenser 20 000 à 30 000 F CFA
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Garderie, boutiques, bowling… Le centre commercial est un ovni dans le paysage dakarois.
en achat « plaisir », est l’autre cible. Pour le directeur général, « Sea Plaza répond aux attentes des Sénégalais, et plus largement aux Africains de la sous-région ». Pourtant, côté consommateurs, le mall laisse encore perplexe. D’aucuns s’indignent contre les constructions en bord de mer (hôtels Terrou-Bi et Radisson Blu, aujourd’hui ce centre commercial) : « Bientôt, nous ne la verrons plus! » « Nous avons essayé de conserver le littoral, mais il faut savoir que cette partie n’était pas fréquentée, car trop rocailleuse », se défend Éric Gueye. D’autres, les jeunes générations, principalement, s’interrogent : « Qui peut bien venir se payer une paire de chaussures à 300 000 F CFA ? » alors que le salaire mensuel moyen tourne autour de 200 000 F CFA. PRIX ÉLEVÉS
Difficile en effet de faire des affaires. Beaucoup des produits proposés par les marques internationales (Apple par exemple) sont de 20 % à 40 % plus chers qu’à Paris ou New York. Et plus rares sont les griffes qui, comme Benetton, adaptent leurs prix au pouvoir d’achat local. « Nous ne nous adressons pas à une certaine élite, car il y a plusieurs types de commerces, à tous les prix. Le panier mensuel moyen visé est de 55 000 F CFA, bowling inclus », affirme le directeur général. D’autres attractions viendront tenter les consommateurs. Le chantier n’est
en fait pas complètement terminé. À l’extérieur, des engins s’affairent à renforcer la côte, chaque jour un peu plus grignotée par la houle, avec de gros blocs en béton de 8 tonnes (fabriqués par le français Seamar Engineering). Coût de l’opération : 1 milliard de F CFA (environ 1,5 million d’euros), qui s’ajoutent aux 15 milliards d’inves-
23 millions d’euros d’investissement initial
Un complexe commercial de
14 000 m2 84 boutiques 10 000 à 12 000 visiteurs comprenant
par semaine
Panier mensuel moyen attendu
84 euros
tissement qu’a nécessités le complexe. « Il s’agit d’un des premiers malls au monde construit en contrebas d’une falaise, une prouesse », ne se lasse pas d’admirer Éric Gueye. Côté mer, en arc de cercle, séparé de la galerie marchande par une place circulaire autour de laquelle des spectacles vivants pourraient être programmés, un cinéma de sept salles tout juste sorti de terre devrait ouvrir en juin. Une gageure dans une ville qui, depuis
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bien longtemps, a délaissé le septième art. « Les Dakarois sont nostalgiques. Nous leur proposerons des sorties de films internationaux, la technologie 3D… Nous sommes au maximum de ce qui se fait. » L’espagnol Yelmo Cineplex ou le groupe Miramar pourraient être les gestionnaires. Enfin, un nouveau parking de 129 places a ouvert le 26 février sur un terrain adjacent prêté par l’État. Ce n’est pas uniquement le signe du succès : une partie de l’aire de stationnement initiale a été finalement utilisée pour la construction de sept appart-hôtels, qui seront proposés à la location d’ici à deux mois. Le groupe Teylium Properties (également propriétaire du Radisson) prévoit un retour sur investissement de dix ans. Le pari n’est pas gagné. Pour y arriver, une fréquentation moyenne de 4 500 personnes par jour, soit trois fois plus qu’aujourd’hui, est nécessaire. Quelque 200 millions de F CFA seront d’ailleurs consacrés à une offensive marketing. Car le challenge n’est pas que sénégalais. Si le Sea Plaza est un succès, le groupe espère voir aboutir de nouveaux projets : « On ambitionne d’autres ouvertures, au Sénégal et dans la région. » En séduisant cette fois, pourquoi pas, les grandes marques de luxe que l’établissement dakarois n’a pas su convaincre. Seul insuccès à peine avoué. ■ MICHAEL PAURON,
envoyé spécial à Dakar
ANTOINE TEMPÉ/PICTURETANK POUR J.A.
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72 ECOFINANCE PORTRAIT
elles n’ont pas reconnu mon expertise technique malgré mon parcours. Et aujourd’hui leur attitude n’a guère changé », s’indigne-t-il. Et de regretter le peu d’intérêt des autorités pour l’industrie lourde, au seul profit des secteurs à faible valeur ajoutée (textile, électronique…).
Mohamed Aitri, patron inoxydable EN TRENTE-DEUX ANS D’EXISTENCE, PROMINOX EST DEVENU UNE RÉFÉRENCE DANS LE TRAVAIL DES MÉTAUX, AU M AROC ET AU-DELÀ. DERRIÈRE CE SUCCÈS SE CACHE UN ENTREPRENEUR PUGNACE, ANCIEN OUVRIER IMMIGRÉ EN A LLEMAGNE.
D
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aussi loin que je me souune société d’ingénierie dans le textile vienne, j’ai toujours eu et la chimie », explique-t-il. envie d’être mon propre En 1977, son entreprise l’envoie patron. Mais je ne m’imacomme consultant – il a alors 27 ans – ginais pas réaliser ce rêve au Maroc. » auprès de la Société des dérivés du À bientôt 60 ans, Mohamed Aitri est un sucre (Soders), à Fès. « J’ai été frappé entrepreneur dans l’âme. Depuis 1978, par l’absence de compél’ancien ouvrier spécialisé immigré en tences dans l’inox. Il y Allemagne a lentement bâti Prominox avait une niche à déve(Promotion marocaine d’inox), une lopper. J’avais accumulé société de 650 employés affichant un un savoir-faire industriel chiffre d’affaires de 19 millions d’euros et des économies, et je en 2010, malgré la crise. connaissais le terrain. Je Aujourd’hui, rares sont les usines me suis dit que je pouchimiques, agroalimentaires ou autovais réaliser mon rêve et voler de mes mobiles installées au Maroc qui ne font propres ailes. » pas appel à l’expertise de sa société En octobre 1978, il s’installe à Casadans le travail de l’inox (fabrication blanca. Les cinq premières années et installation de cuves stériles, de sont rudes. « Les banques marocaines tubes et d’autres pièces métalliques ne m’ont pas prêté un seul dirham, complexes). Parmi ses clients : les grandes entreprises marocaines comme l’Office chérifien des phosphates (OCP) ou la Compagnie sucrière marocaine et de raffinage (Cosumar), mais aussi des groupes internationaux tels Renault, CocaCola ou Henkel. Pour en arriver là, le chemin a été sinueux. En mai 1968, à 17 ans, Mohamed Aitri quitte Fès, sa ville natale, pour l’Europe. Il atterrit en France, mais préfère l’Allemagne, plus calme à cette époque… « C’est à Stuttgart que l’aventure a commencé, comme ouvrier spécialisé pour un fabricant de matér iels de brasser ie. L’apprentissage professionnel à l’allemande m’a offert une possibilité d’évolution que j’ai saisie. J’ai pris du galon, changé d’entreprise, devenant À bientôt 60 ans, il dirige 650 employés et en 1974 cadre technique pour
Bon an mal an, pourtant, grâce à l’appui de ses anciens patrons et clients allemands, Mohamed Aitri remplit son carnet de commandes. « Dans mon métier, on fait des affaires en douceur, en montrant son expertise et en saisissant les opportunités », affirme-t-il. Prudent dans sa gestion et dans ses développements, il noue des partenariats de sous-traitance (pour réduire les risques financiers) avec de grandes sociétés internationales comme le
« Quand le marché chérifien ne suffit pas, direction le Maghreb ou l’Afrique de l’Ouest! »
« pèse » 19 millions d’euros de chiffre d’affaires.
canadien SNC-Lavalin ou le français Air Liquide. Depuis 1993, Prominox part à l’international dans le sillage de ses donneurs d’ordres : « Nous avons désormais une capacité de production équivalant à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et quand le marché marocain n’est pas suffisant pour atteindre cet objectif, nous n’hésitons pas à partir ailleurs, au Maghreb ou en Afrique de l’Ouest, pour chercher des contrats », indique son patron. Dernier marché à l’export : la mise en place, début février, d’une chaîne de production pour une laiterie au Niger (3 millions d’euros), une première dans ce pays. Prévoyant, Mohamed Aitri a pensé depuis longtemps à sa succession : son fils unique, Tarik, 30 ans, diplômé d’un Bachelor en management de la prestigieuse Université de Columbia (New York), est dans l’entreprise depuis 2002. Il en prend progressivement les rênes, sous le regard vigilant de son fondateur. ■ D.R.
«
PRÉSENT JUSQU’AU NIGER
CHRISTOPHE LE BEC
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ECOFINANCE 73 TÉLÉCOMS
Au Maroc, Inwi fait des convertis L A MARQUE DE WANA PROGRESSE FORTEMENT SUR LE
MARCHÉ DU MOBILE.
L ANCÉE
IL Y A UN AN, ELLE SÉDUIT LES NOUVEAUX UTILISATEURS…
MAIS AUSSI LES CLIENTS DES
U
n an après le lancement de la marque Inwi, le 23 février 2010, Frédéric Debord, un ancien de France Télécom nommé DG de Wana en 2009 pour initier l’activité GSM du troisième opérateur marocain, peut être fier de son succès. Fini le rôle de faire-valoir sur un marché de la téléphonie mobile (32 millions d’utilisateurs fin 2010) dominé par Maroc Télécom et son dauphin Méditel. Plus de 4 millions d’abonnés font désormais confiance à la filiale du holding Société nationale d’investissement (SNI), selon les chiffres de l’opérateur. Soit 13,5 % des utilisateurs de mobile du royaume. Fin 2009, ils n’étaient que 2,4 % à être inscrits chez Wana. En un an, « Inwi a conquis plus de 80 % des nouveaux utilisateurs de GSM », explique Hicham Saadani, directeur adjoint du département analyse et recherche de la banque d’affaires BMCE Capital. Mais l’opérateur parvient également à séduire des clients de ses concurrents, Maroc Télécom en tête.
PRIX DE LA « MEILLEURE MARQUE »
Parmi les services les plus appréciés: la facturation des communications à la seconde, ou encore la possibilité d’appeler vers les autres opérateurs nationaux sans surcoût. Cette approche marketing a d’ailleurs été récompensée en décembre dernier, lors des Morocco Awards, par le trophée de la « meilleure marque de services ». Rançon du succès: Frédéric Debord ne nie pas certains problèmes d’encombrement du réseau. Et il lui faut également améliorer la qualité de son centre d’appels, concède-t-il. Comment expliquer cet engouement pour Inwi ? « Il y a toujours un effet nouveauté lorsqu’un acteur arrive sur un marché », justifie Jean-Michel Huet,
SAMY EL MEKKOUI POUR J.A.
OPÉRATEURS CONCURRENTS.
13,5 % des abonnés GSM du royaume sont inscrits chez Wana.
du cabinet BearingPoint. Mais il faut surtout mentionner le changement de cap concrétisé en 2009 par l’obtention de la troisième licence GSM, en échange d’une redevance de 1,5 % sur son chiffre d’affaires annuel sur quinze ans. En 2006, la compagnie avait misé sur la téléphonie en mode CDMA, une technologie qui limite le champ d’action à un rayon de 35 km. L’échec de la formule a coûté sa place à Saad Bendidi, ex-patron de l’Omnium nord-africain (ONA, absorbé depuis par SNI), puis à son protégé Karim Zaz, alors PDG de Wana. Malgré tout, « pour poursuivre son développement, Wana a pu compter sur son actionnaire », explique Hicham Saadani. SNI demande par exemple à ses hauts cadres, qui sont des clients à haute valeur ajoutée, de souscrire des abon nement s auprès de l’opérateur. À cela, il faut ajouter l’arrivée, en mars 2009, de l’opérateur Zain dans le capital. Associé au fonds marocain Al Ajial, le groupe koweïtien a été un élément moteur dans le retour au premier plan de Wana. Autant par l’argent injecté (250 millions d’euros pour 31 % du capital) qu’en raison du savoir-faire apporté. Enfin, Wana a bénéficié d’une réglementation qui lui a permis d’avoir des coûts d’intercon-
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nexion (prix payé pour finir un appel sur un réseau concurrent) moins chers que pour ses rivaux. Mais cette mesure prendra fin en 2013. Avant cette échéance, Wana devrait accroître un peu plus sa part de marché. Mais le véritable défi sera de confirmer ses performances. Et celui-ci pourrait se révéler ardu. Notamment parce que Méditel, son concurrent direct, profite désormais de l’appui du groupe France Télécom (actionnaire à hauteur de 40 %). La compétition devrait être encore plus intense du fait du ralentissement prévisible de la croissance du nombre d’utilisateurs GSM. Au Maroc, le taux de pénétration du téléphone mobile dépasse en effet, depuis quelques mois,
Le troisième opérateur réfléchit à des offres « triple play » pour renforcer sa position. les 100 %. C’est donc sans doute davantage en misant sur des services à valeur ajoutée que l’opérateur va chercher à renforcer sa position : de fait, son PDG a déjà indiqué réfléchir à des offres « triple play » incluant internet, téléphone et télévision. ■ JULIEN CLÉMENÇOT
74 LIRE, ÉCOUTER, VOIR
Musique
TIKEN JAH FAKOLY
« LʼAFRIQUE DOIT FAIRE SA RÉVOLUTION » En tournée en Europe et en Amérique du Nord avec son nouvel album, le reggaeman revient sur lʼélection présidentielle inaboutie en Côte dʼIvoire. Ému par les événements tunisiens et égyptiens, il appelle les peuples du continent à prendre en main leur destin.
A
Propos recueillis par PASCAL AIRAULT
près quinze années de carrière, dix albums, des salles bien remplies, Tiken Jah Fakoly prend toujours ses quartiers dans un petit hôtel de Clichy (au nord-ouest de Paris) lors de ses séjours en France. D’une simplicité déconcertante, l’Ivoirien, 42 ans, se dit ému par les révolutions tunisienne et égyptienne. Deux révoltes telles qu’il les imagine dans son nouvel album, African Revolution, subtil mélange de reggae jamaïcain et de blues mandingue. Dans cette œuvre aux accents prémonitoires, il appelle à un éveil des consciences: « Go to school brothers… intelligent revolution is African education » (« allez à l’école, mes frères… la révolution intelligente, c’est l’éducation africaine »). C’est d’ailleurs l’appel qu’il lancera le 18 juin prochain, lors d’un mégaconcert au Palais omnisports de Paris-Bercy. En attendant,
Tiken Jah enchaîne les interviews et les tournées en Europe et en Amérique du Nord. Une occasion de revenir sur une élection inaboutie, celle de la présidentielle ivoirienne. Cet apôtre de la non-violence demande aujourd’hui à Laurent Gbagbo de rendre le pouvoir pacifiquement afin de ne pas stopper l’élan démocratique en marche sur le continent. ■
pacifique doit passer par l’éducation. La majorité des Africains ne sait ni lire ni écrire. Nos dirigeants et les grandes puissances profitent de l’ignorance des peuples pour les exploiter.
Vous menez un combat panafricain en vous référant à une date importante de l’histoire de l’ancienne puissance coloniale, le 18 juin… En matière de liberté, le peuple franJEUNE AFRIQUE : À qui s’adresse çais a mené des combats qui méritent l’appel que vous lancerez le 18 juin d’être soulignés, comme la révolution prochain ? de 1789 ou le soulèvement de mai 1968. TIKEN JAH FAKOLY: Mais la France n’est C’est un appel à la jeupas mon seul modèle. nesse et à la diaspora du Les combats de Patrice continent pour un éveil Lumumba, Sékou Touré, des consciences. PerKwame Nkrumah, Thosonne ne viendra chanm a s Sa n k a r a m’ont ger l’Afrique à notre beaucoup inspiré. J’ai place. Les peuples du aussi aimé le courage de continent doivent faire Nelson Mandela et plus leur révolution comme récem ment celui du d’autres l’ont fait avant président malien, AmaAfrican Revolution, eux. Cette révolution dou Toumani Touré. Il a de Tiken Jah Fakoly (Barclay). J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
LIRE, ÉCOUTER, VOIR 75 La Tunisie et l’Égypte sont des fiertés. Leurs peuples nous donnent beaucoup d’espoir. Ils se sont levés pour se battre contre les injustices mises en place par leurs dirigeants et changer leurs conditions. Au sud du Sahara, l’émancipation sera malheureusement plus lente, car nos populations ne sont pas encore assez éduquées et éveillées. C’est pourquoi je parle, dans un premier temps, d’accès à l’éducation et à la culture. Elles permettront aux Africains de se réveiller face à leurs oppresseurs. Ces révolutions montrent, en tout cas, que quand le peuple veut, le peuple peut. L’avènement de Barack Obama aux États-Unis n’est pas anodin. Il encourage les peuples à prendre leur destin en main.
Le chanteur se produira au Palais omnisports de ParisBercy, le 18 juin.
rendu un pouvoir acquis militairement avant de le reconquérir par les urnes. Il s’apprête à le quitter à nouveau. J’ai également apprécié le travail d’Alpha Oumar Konaré lors de son passage à l’Union africaine. Il a bousculé ses pairs pour faire valoir la notion de démocratie. Hélas, le continent ne compte plus aujourd’hui de
leaders qui disent non à l’impérialisme, non au pillage des richesses africaines, non à l’iniquité des marchés des matières premières, responsable de l’appauvrissement de nos paysans. Comment avez-vous accueilli les révolutions tunisienne et égyptienne?
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VINCENT FOURNIER/J.A.
Vous aimez les révolutions des peuples africains, mais lorsque l’on vous propose de célébrer le cinquantenaire des indépendances africaines, vous refusez. Pourquoi ? C’est une idée venue de Paris. L’indépendance ne se négocie pas, elle s’arrache. La France a demandé aux nègres de danser encore une fois… J’ai refusé d’y participer car je ne me sens pas indépendant. On ne pourra dire non au système occidental que lorsque les pays du continent auront trouvé une unité au niveau politique et économique. Si la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui représentent 60 % de la production mondiale de cacao, s’entendaient au niveau commercial, ils pourraient imposer leurs vues au marché. En 2050, l’Afrique comptera 2 milliards d’habitants et de grandes réserves de matières premières. On a une bonne carte à jouer. Laurent Gbagbo n’incarne-t-il pas cette résistance face à l’ancien maître ? Il est même partisan d’une seconde indépendance… Il résiste, mais son combat n’a aucune retombée pour son peuple. Ses luttes pour la souveraineté nationale, l’indépendance monétaire, le panafricanisme sont bien tardives. Elles ne visent que la seule préservation du pouvoir. Selon vous, il a bel et bien perdu cette élection présidentielle… Ça ne fait aucun doute. Et Ouattara a essentiellement gagné grâce à son alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Les électorats de Bédié et de Ouattara pèsent plus que celui de Gbagbo.
76 LIRE, ÉCOUTER, VOIR Dans le Nord, il y a eu des scores staliniens en faveur de Ouattara… Ce n’est pas surprenant. La population du Nord a connu beaucoup d’injustices ces dernières années. On lui a arraché ses papiers d’identité, les autorités lui ont même coupé l’électricité en plein mois de carême. C’est une population qui a aujourd’hui envie de changement. La France s’ingère-t-elle dans le dossier ivoirien ?
N’avez-vous pas peur qu’Alassane Ouattara joue aussi le jeu de l’ancien maître ? Si Ouattara devient cet ambassadeur de la France, nous le combattrons.
Sarkozy m’a choqué en affirmant que Gbagbo devait quitter le pouvoir sous trois jours. Il a fait une grave erreur qui a poussé de nombreux intellectuels à soutenir Laurent Gbagbo. J’ai toujours dénoncé l’ingérence des pays occidentaux. Mais, dans le cas de l’élection ivoirienne, c’est différent. Ce sont les politiques ivoiriens qui ont demandé la médiation de Paris et des Nations unies ainsi que leur aide financière.
Êtes-vous pour une intervention militaire ? En tant qu’artiste et partisan de la non-violence, je ne la souhaite pas. Ce continent a déjà vu couler trop de sang. C’est une affaire qui doit être réglée par les Africains. La Cedeao et l’UA doivent tout faire pour obtenir un départ pacifique de Laurent Gbagbo. Ce serait un bon signe puisque le continent organise une quinzaine d’élections dans les prochains mois. Si on ne parvient pas à imposer la volonté du peuple, on risque de stopper l’élan démocratique en marche sur le continent.
VINCENT FOURNIER/J.A.
Le père du reggae ivoirien.
QUAND ALPHA BLONDY VEUT SAUVER LE SOLDAT GBAGBO CLUB DE L’ÉTOILE, Paris, le 9 février. Une standing ovation conclut la projection en avant-première du documentaire Alpha Blondy, un combat pour la liberté, réalisé par Antoinette Delafin et Dramane Cissé. 95 minutes d’images inédites, d’interviews, de concerts de la légende vivante du reggae ivoirien. Dix ans de recherches et de voyages, dans les pas de Seydou Koné, alias Alpha Blondy, pour montrer l’homme, ses combats, ses passions, ses contradictions aussi. En toile de fond : la dégradation progressive du climat politique ivoirien. Alpha Blondy ne renie rien. Ni les « deux taffes » de marijuana et de poudre d’ange qui l’ont conduit en hôpital psychiatrique pendant cinq ans. Ni son soutien indéfectible à Laurent Gbagbo, le président non sortant de Côte d’Ivoire. « Il faut sauver le soldat Gbagbo ! » martèle la star du reggae. « C’est un grand frère qui m’a fait l’honneur de devenir mon ami et c’est pour ça que je lui lance un appel : laisse la place, reviens dans cinq ans. » Justifiant la position de Laurent Gbagbo par les pressions dans son entourage, Alpha Blondy fustige ceux qui le « poussent à rester au pouvoir » pour assouvir leur propre ambition. « Ils se fichent pas mal de sa vie à lui, mais pas moi ! » L’ex-messager de l’ONU pour la paix en Côte d’Ivoire connaît bien le dossier. Nordiste, prônant l’unité des religions et des peuples, il avait été l’un des premiers à attirer l’attention des pouvoirs successifs sur l’ethnicisation des débats politiques et la crispation des ressortissants MALIKA GROGA-BADA du Nord. ■ Alpha Blondy, un combat pour la liberté, réalisé par Antoinette Delafin et Dramane Cissé, ADCP Productions, 95 minutes.
« Je suis contre une intervention armée à Abidjan. Trop de sang a déjà coulé. » Seriez-vous prêt à retourner vivre en Côte d’Ivoire ? Je me sens très bien au Mali. Ce sera très difficile de quitter ce pays où il règne une réelle démocratie et une grande sociabilité. Mais si les conditions sécuritaires sont réunies et si une nouvelle classe dirigeante s’engage à promouvoir les libertés, j’y réfléchirai. Alpha Blondy était proche de Gbagbo, mais il a reconnu, comme vous, le choix du peuple ivoirien. Pourriezvous enfin vous rapprocher ? Je suis ouvert à tout rapprochement, car quand on parle de réconciliation, il est important que les artistes donnent l’exemple. Je salue son courage. Il a pris position pour la démocratie alors qu’il était en concert pour Gbagbo deux jours avant le second tour. Son geste est très fort, peu l’ont réalisé dans le camp du président sortant. J’ai beaucoup de respect pour lui. ■ Lire l’intégralité de l’interview de Tiken Jah Fakoly sur jeuneafrique.com
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Lettre ouverte à ... Abdoulaye Wade Réalisateur camerounais, membre du jury du Fespaco
À la recherche des héros perdus CHER PRÉSIDENT, Le 21 décembre, alors que vous clôturiez les travaux des rencontres cinématographiques qui se sont tenues à Dakar dans le cadre du 3e Festival mondial des arts nègres, vous avez enjoint aux cinéastes de réaliser « des films qui montrent et valorisent les héros de notre histoire… C’est ce qui amènera les jeunes à être fiers de leur histoire, l’histoire de leurs ancêtres ». L’Afrique est malade de sa mauvaise image et c’est à nous cinéastes que reviendrait la tâche de la soigner. Mais c’est vous, chefs d’État, qui êtes responsables de la réalité africaine qui alimente cette mauvaise image. Une image qui inspire Hollywood. Quand bien même nous nous évertuons à produire des films sur nos héros, vous péchez par votre désengagement financier. Vos États ne subventionnent pas le cinéma. Comment peut-on envisager d’exister dans cette guerre d’images que l’Afrique perd quand en face d’un Idi Amin (Le Dernier Roi d’Écosse, de Kevin Macdonald) elle peut difficilement imposer un Lumumba (réalisé par Raoul Peck) tant l’écart de budget est important ? SI CERTAINS DE VOS COLLÈGUES chefs d’État se demandent encore à quoi sert le cinéma, vous êtes désormais en position de leur répondre dans la mesure où vous vous êtes engagé à construire le Centre panafricain du cinéma et de l’audiovisuel. Le cinéma est cette identification et cette projection dont ont besoin nos peuples pour se créer un destin noble. Nous n’avons pas besoin de nous humilier auprès de donateurs qui nous offrent le « développement » sur un plateau d’argent. À travers votre appel de Dakar, vous prônez l’existence d’un cinéma au service du développement de l’Afrique, d’un cinéma qui corrige les mentalités, qui démontre que les choses peuvent, doivent et vont être différentes. Le cinéma peut être un guide pour nos sociétés africaines, et nous, cinéastes, acceptons cette noble mission. Mais est-ce l’affaire des seuls réalisateurs ? Non, le cinéma africain est l’affaire de tous ! Cher président Wade, au cinéma, un héros n’est pas un héros pour ses seules paroles ; il l’est sur la base de ses actions. C’est pourquoi nous, cinéastes, attendons des actes forts en faveur du septième art. À ce jour, J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
nos États n’ont pas de politique culturelle. Ils n’ont dégagé aucune ligne budgétaire pour le financement du cinéma, ils ne combattent pas le piratage. Les chaînes de télévision publiques ne produisent ni n’achètent de films africains. Pis, la majorité de nos pays n’a plus de salles de cinéma. LORSQUE L’ON SAIT QUE LE FILM LUMUMBA a été produit pour le prix de presque trois voitures d’un cortège présidentiel, l’on comprend que tout est question de choix. Vous et vos collègues préférez financer des équipements de guerres d’un autre temps. Les budgets des ministères de la Défense de nos États en témoignent. Pendant ce temps, les ennemis de l’Afrique étalent sur les chaînes de télévision du monde entier nos misères, nos massacres, nos viols, nos épidémies ; condamnant ainsi l’Afrique à être perçue comme un déchet de l’humanité. Sur notre propre sol, notre jeunesse est captive de cet imaginaire nauséabond. Si vous pensez que le cinéma coûte cher, l’absence d’un cinéma africain coûte encore plus cher à l’Afrique. Cher président Wade, l’Afrique est en guerre, une guerre de l’image dans laquelle nous, cinéastes, sommes en première ligne. Au-delà de la célébration des héros africains, cher président Wade, c’est tout un continent qu’il s’agit de galvaniser autour de son propre projet et non plus autour de plans établis depuis l’extérieur. Il nous faut façonner un projet de reconstruction de notre identité ancestrale et contemporaine, qui nous permette de mieux définir notre relation à l’autre en un monde où chaque peuple propose désormais son modèle. ■
Si vous pensez que le cinéma coûte cher, son absence coûte encore plus cher. L’Afrique est engagée dans une guerre d’images.
D.R.
JEAN-PIERRE BEKOLO
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Mécénat Pétrole contre œuvres dʼart La Fondation Total consacre 5 millions dʼeuros à la culture. Une aide sérieuse apportée aux musées mais aussi un excellent moyen de nouer des partenariats économiques au Proche-Orient et en Afrique.
C
rise financière, écroulement des budgets publics, l’époque est rude pour les musées. Même pour les plus prestigieux. Le soutien des fondations privées n’en paraît donc que plus essentiel. Fleuron de l’industrie pétrolière française, avec 130 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, le groupe Total a lancé sa fondation en 1992. Créée dans la foulée du sommet de Rio et d’abord consacrée à l’environnement, cette dernière englobe depuis 2008 des programmes culture et patrimoine. Exposition « Routes d’Arabie » au musée du Louvre, « Angola. Figures de pouvoir »* au musée Dapper, « Présence africaine » au Quai Branly, en 2010, la Fondation Total était partout où pétrole et culture peuvent faire bon ménage. Avec 18 salariés et un budget de 50 millions d’euros sur la période
un excellent moyen de soigner son image. Comme toutes les entreprises pétrolières, Total jouit d’une réputation sulfureuse : dégâts écologiques, relations avec des régimes peu recommandables, chiffres d’affaires insolents en pleine crise sociale… « Le bénéfice en termes d’image est très important », précise Charlotte Dekoker, responsable à l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical). « En période de crise, explique-t-elle, continuer de faire du mécénat culturel est aussi un moyen de prouver sa bonne santé économique et de lancer un signal fort à ses concurrents ! » À la Fondation Total, on veut croire que le mécénat culturel n’est pas seulement un vecteur de relations publiques. « Ce qui est intéressant, c’est d’utiliser la culture pour mieux comprendre les communautés avec lesquelles on travaille. L’action de Total sera d’autant plus pérenne que les communautés avec lesquelles nous traitons se sentiront respectées », avance Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation. L’exposition « Routes d’Arabie », à laquelle la Fondation Total a consacré 200000 euros et qui s’est tenue au Louvre de juillet à septembre 2010, est le parfait exemple de cette convergence d’intérêts. Fruit d’une volonté politique au plus haut niveau, elle illustre la coopération culturelle entre la Fran-
L’enjeu d’une exposition au Louvre? Une raffinerie sur les rives du golfe Persique. 2008-2012, elle est la plus richement dotée des fondations d’entreprise françaises. En 2009, elle a consacré près de 5 millions d’euros à la culture. Pour la multinationale, les bénéfices directs du mécénat culturel sont évidents. Soutenir financièrement des expositions ou des musées est d’abord
ce et l’Arabie saoudite. Avec, comme arrière-pensée, le resserrement des liens économiques entre les deux pays et, en particulier, le cofinancement par Total et Saudi Aramco (le premier producteur mondial d’or noir) d’une raffinerie de 9,6 milliards de dollars (7,2 milliards d’euros) sur les rives du golfe Persique. « Nos partenaires saoudiens se sont rendu compte qu’ils pouvaient valoriser leur culture, qu’on les reconnaissait comme une communauté avec laquelle on aimait partager l’Histoire, une esthétique, et pas seulement comme un pays pétrolier avec qui on faisait affaire », complète Catherine Ferrant. VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES
Avec la crise et la compression des dépenses publiques, « les musées ont de plus en plus besoin de mécènes privés », concède Béatrice André-Salvini, chef du département des antiquités orientales au Louvre. Aujourd’hui, la moitié du budget de ce musée est composée de fonds privés. Mais cette dépendance ne risque-t-elle pas d’avoir un impact sur la qualité des expositions ? Les musées ne prennent-ils pas le risque de devenir de simples relais
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LIRE, ÉCOUTER, VOIR 79 tude de s’investir ensuite dans leur mise en valeur. Mais elle soutient également des artistes et envisage de financer, à partir de 2012, des résidences d’artistes venant de pays extérieurs à l’OCDE, qui seraient formés en France. « Nous voulons entrer dans l’art contemporain et soutenir la création dans des pays avec lesquels on est en contact, et en particulier avec l’Afrique, où la création est particulièrement vivace », explique Catherine Ferrant.
Soutenir financièrement des expositions comme « Routes d’Arabie » permet de soigner son image.
dans des tractations économiques qui les dépassent ? « Il ne faut pas oublier que c’est toujours le musée qui a l’initiative des expositions. C’est lui qui a l’expertise, qui connaît ses collections et celles des autres musées. On ne commande pas d’expositions, on décide simplement de s’y associer ou pas », affirme Catherine Ferrant. « De manière générale, les mécènes sont très respectueux des choix des musées », confirme Charlotte Dekoker. Pour l’exposition « Angola. Figures de pouvoir », c’est le musée Dapper qui est entré en contact avec la Fondation Total. « La filiale sur place était très intéressée, et Total a donc pu jouer le rôle de facilitateur, notamment avec le ministre de la Culture en Angola », ajoute la déléguée générale. Car en plus d’asseoir son prestige à l’international, la collaboration avec une fondation comme celle de Total permet à un musée d’avoir accès aux plus hautes autorités culturelles et politiques du pays. Pour la construction du département consacré aux arts de l’islam, le Louvre a bénéficié du mécénat du roi du Maroc, Mohammed VI, mais aussi du prince saoudien Al-Walid Ibn Talal. Premier mécène industriel fran-
çais, Total a joué un rôle de facilitateur et a engagé près de 12 millions d’euros dans cette aventure. Autre crainte liée à la crise : que la culture ne soit délaissée au profit de mécénats à la fois plus visibles et plus « utiles » socialement. Pour Alain Seban, président du Centre GeorgesPompidou, « le mécénat culturel pourrait être durement affecté par la crise. Le prestige social qui s’y attache et le projet culturel soutenu deviennent suspects dans des temps difficiles où tout ce qui peut paraître ostentatoire est banni et tout ce qui n’est pas directement utile est mis en cause ». Dans les faits, les budgets dévolus à la culture par les entreprises ont tous été réduits. Mais à la direction de la Fondation Total, on est formel, la crise n’aura que peu d’impact sur son engagement. Au contraire, l’activité de la Fondation est appelée à se diversifier. Déjà, Total est partenaire sur de nombreux sites archéologiques, comme en Syrie ou au Yémen. Au cours de forages, il arrive que des vestiges archéologiques soient découverts, et la Fondation a pris l’habi-
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ANTOINE MONGOLIN/MUSÉE DU LOUVRE
BÉNÉFICE FISCAL
Mais si le mécénat culturel a pour but d’établir une relation apaisée avec la population des pays pétroliers, n’est-il pas regrettable que les expositions aient surtout lieu à Paris et qu’elles s’adressent donc, en priorité, au public français ? « Bien sûr, répond Catherine Ferrant. Il faut que nous puissions faire bénéficier les pays de cette richesse culturelle. En Afrique, ce n’est pas toujours facile parce qu’il y a peu de musées qui présentent les garanties nécessaires pour transporter les œuvres. » La Fondation va néanmoins faire voyager à Dakar (bibliothèque de l’Université CheikhAnta-Diop), du 11 mars au 26 juin, l’exposition « Présence africaine », présentée auparavant au Quai Branly. L’exposition « Angola. Figures de pouvoir » a elle aussi vocation à voyager dans quelques pays d’Afrique. Total envisage également d’offrir son expertise au Nigeria, un pays désireux d’in-
« Désormais, nous voulons soutenir la création africaine. » CATHERINE FERRANT, Fondation Total vestir dans la culture et de développer une véritable politique muséale. Une aide qui vient à point nommé dans ce pays stratégique où le groupe pétrolier envisage d’investir près de 20 milliards de dollars dans le gaz et l’exploration offshore. Sans compter que la loi relative au mécénat et aux fondations ouvre droit à une réduction d’impôts de 60 % du don, à hauteur de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. Un bénéfice fiscal non négligeable ! ■ LEÏLA SLIMANI
* À voir tous les jours, sauf le mardi, jusqu’au 10 juillet au musée Dapper, 35, bis rue Paul-Valéry, Paris 16e.
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Théâtre
Les deux frères, figures du renouveau dramatique congolais, retracent la descente aux enfers dʼun jeune immigré.
D
ans la famille Niangouna, il y a Dieudonné, acteur, metteur en scène et dramaturge, l’une des figures du renouveau dramatique africain. L’auteur remarqué de Attitude clando et L’acteur du Cœur des des Inepties volantes, deux pièenfants léopards. ces qui ont fait sensation à Avignon, respectivement en 2007 et tout de suite trouvé leur place dans l’univers en 2009. Et il y a Criss, l’aîné, qui travaille des Niangouna, ils se les sont appropriés pour régulièrement avec l’intransigeant « Dido ». les façonner, les tailler avec la vigueur et le Deux frères au caractère bien trempé. talent qu’on leur connaît », explique-t-il. La voix rauque envoûtante, Criss inter« Notre univers, commente Criss, c’est prète le personnage principal du Cœur des l’écriture de “Dido”, qui peut sembler déconsenfants léopards, l’adaptation théâtrale du truite dans la mesure où elle ne respecte pas roman éponyme du Congolais Wilfried nécessairement la syntaxe. Quand nous N’Sondé, mise en scène par Dieudonné Nianavons fondé notre compagnie en 1997, nous gouna. Une affaire de famille « congoloavions la prétention de nous démarquer de congolaise », donc ? Pas seulement. la pratique dramaturgique de l’époque, car « Africain installé en France, ce texte elle ne nous suffisait pas. Nous voulions nous me parle », explique Criss Niangouna, qui libérer des règles théâtrales. Avec Dido, il n’y livre dans cette pièce une prestation poia pas de code. » Un style dramaturgique bapgnante. Roman « autofictionnel », Le Cœur tisé « Big ! boum ! bah ! » en résonance à la des enfants léopards retrace la descente violence et au chaos qui s’abattirent sur le aux enfers d’un jeune homme qui, un soir Congo des années 1990. Et une liberté que d’ivresse, se retrouve en les deux frères qui ont survécu à cette décenprison. Né au Congo, nie d’horreur s’efforcent de transmettre. Criss i nsta l lé en ba n l ieue Niangouna anime régulièrement des ateliers parisienne, il renoue de théâtre à la prison de la Santé et à celle de les fils de son destin Fresnes, en région parisienne. « Les détenus durant sa garde à vue : m’apprennent la spontanéité dans le jeu, que ses amours déçues, son WILFRIED N’SONDÉ, écrivain ami Drissa qui a sombré nous, comédiens, avons un peu perdue. La plupart d’entre eux ne sont jamais allés au dans la folie, les préjuthéâtre. Apporter du théâtre en prison, c’est gés racistes des uns et des autres… et la voix offrir un peu de liberté. » ■ d’un continent magnifié. SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX « Les mauvaises langues diront que nous sommes en présence d’un regroupement Le Cœur des enfants léopards, d’après le roman de familial, les fils de Kongo se retrouveront Wilfried N’Sondé, mise en scène de Dieudonné pour faire leur numéro de texte, de mise Niangouna, avec Criss Niangouna, du 1er au en scène et de comédie », anticipe Wilfried 19 mars au Tarmac de la Villette (Paris), puis du N’Sondé, qui préfère évoquer plutôt « un 31 mars au 2 avril à l’Espace 1789, à Saint-Ouen. coup de foudre artistique ». « Mes mots ont
« Mes mots ont trouvé leur place dans l’univers des Niangouna. »
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CAMILLE MILLERAND POUR J.A.
Niangouna connection
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Livres Yeux ouverts sur les ténèbres
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résentée en 2009 au Festival d’Avignon, la pièce de théâtre de Jean-Luc Raharimanana (mise en scène par Thierry Bedard) n’était pas passée inaperçue. Applaudie, oui. Huée aussi. On ne sort pas indemne des Cauchemars du gecko et, passés des planches au papier, les mots de l’écrivain malgache (né en 1967 à Antananarivo) conser vent toute leur violence. Sur la forme, c’est un livre atypique, fragmenté, fait de courts textes en prose ou en vers libres, de longues citations (Sony Labou Tansi, Joseph
Ki-Zerbo, mais aussi Pline l’Ancien), de pastiches de flashs d’information (Reuters ou CNN), le tout entrecoupé de photos prises par l’auteur lui-même. La langue est bousculée, les mots déformés, le rythme saccadé. FACE-À-FACE FRONTAL
Sur le fond, c’est un réquisitoire contre les relations, faussées par les intérêts et les préjugés, entre l’Occident, « présenté comme ultime civilisation », et l’Afrique, « terre de barbarie ». Entre « nous », « damnés de la terre » ou « esclaves du capitalisme », et « vous », « investisseurs, bailleurs de fonds, négociateurs, financiers, clean, so good, staff and promoteurs de la démocratie ». Les rôles sont figés dans un face-à-face frontal. Pour le décor, quatre piliers : esclavage, colonisation, indépendance, mondialisation. Les cauchemars du gecko, lézard condamné, faute de paupières, à garder les yeux grands ouverts sur le chaos, glacent le sang. Le Rwanda ? « Le Nègre a massacré le Nègre », écrit l’auteur de Lucarne – son premier
recueil de nouvelles, paru en 1996 et qui, déjà, sondait les bas-fonds de l’humanité. La politique ? « Élections pour bêtes sauvages, Sassou, Kabila, Mugabe », égrène-t-il. Le pétrole ? « Ma flambée du baril et l’effondrement de vos libertés »… Mais Raharimanana voit plus loin : « Ce n’est pas la réalité qui nous isole du monde, mais la fiction sur nous plaquée, l’impossibilité de contredire malgré nos cris et dénégations. » Un constat d’impuissance sombre et fataliste, un mauvais rêve sur lequel nul n’a de prise. Vivement le réveil. ■ FABIEN MOLLON
Les Cauchemars du gecko, de Raharimanana, Vents d’ailleurs, 112 pages, 16 euros.
Une pièce qui n’est pas passée inaperçue à Avignon. Applaudie, oui, huée aussi. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
SERGE SAURET/CIT’EN SCÈNE
Façonné à partir du texte mis en scène à Avignon en 2009, le dernier ouvrage de Raharimanana est atypique, fragmenté. Un réquisitoire contre les rapports faussés entre lʼAfrique et lʼOccident.
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ANNONCES CLASSÉES
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RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL
MINISTÈRE DE LA SANTE ET DE LA PRÉVENTION - PHARMACIE NATIONALE D’APPROVISIONNEMENT « PNA » Section 0. Avis d’Appel d’offres (AA0) - Avis d’Appel d’Offres – Cas sans pré qualification
Appel d’Offres International : « AOI PNA N°11/2011 » 1. Cet Avis d’appel d’offres fait suite à l’Avis Général de Passation des Marchés paru dans le quotidien « le Soleil » du 25 janvier 2011. 2. La Pharmacie Nationale d’Approvisionnement « PNA » a obtenu dans le cadre de son budget de fonctionnement pour les exercices budgétaires 2011 - 2012 des fonds, afin de financer l’approvisionnement en médicaments, matériels et consommables médico – pharmaceutiques, et à l’intention d’utiliser une partie de ces fonds pour effectuer des paiements au titre du Marché « AOI PNA N°11/2011 »
Appel d’offres
3. La PNA sollicite des offres sous pli fermé de la part de candidats éligibles et répondant aux qualifications requises pour fournir des médicaments, sous Dénomination Commune Internationale (DCI), matériels et consommables médico-pharmaceutiques ; des variantes pourront être prises en considération. 4. La passation du Marché sera conduite par Appel d‘offres ouvert tel que défini dans le Code des Marchés publics, et ouvert à tous les candidats éligibles. 5. Les candidats intéressés peuvent obtenir des informations auprès de la PNA ; Cellule de Passation des Marchés ; Madame Marième Cherif DIOP, mcdiop@pna.sn ; et prendre connaissance des documents d’Appel d’offres à l’adresse mentionnée ci-après : Route du Service Géographique, BP 4015 Dakar-Hann, Sénégal, de 8 heures à 17 heures, heures locales. 6. Les exigences en matière de qualification sont : (1) être une personne morale habilitée à fabriquer, distribuer, importer ou exporter des médicaments, des réactifs et du matériel de laboratoire, destinés à l’usage de la médecine humaine, et respecter la réglementation pharmaceutique en vigueur au Sénégal et dans son pays d’origine ; (2) et possédant les conditions techniques et les capacités financières nécessaires à l’exécution du marché. Une marge de préférence applicable à certaines fournitures fabriquées dans les États membres de l’UEMOA sera octroyée aux candidats éligibles. Voir le document d’Appel d’offres pour les informations détaillées. Toutefois, dans le cadre de l’assurance qualité, les médicaments antituberculeux et antirétroviraux doivent satisfaire aux exigences cidessous : • être pré-qualifiés par le Programme de pré-qualification de l’OMS ou autorisés par une autorité de réglementation des médicaments rigoureuse (SRA) ou, • être recommandés pour utilisation par un comité expert d’examen ERP. Pour tous les produits autres que les médicaments antituberculeux et antirétroviraux, seule la conformité aux normes de qualité applicables établies par l’autorité nationale de réglementation des médicaments du pays d’utilisation est requise. 7. Les candidats intéressés peuvent obtenir un dossier d’Appel d’offres complet en formulant une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-après : Route du Service Géographique, BP 4015, Dakar Hann, Sénégal, contre un paiement non remboursable de 25.000 (vingt cinq mille) FCFA. La méthode de paiement sera soit en espèces déposées à l’ordre de la PNA contre reçu dans le compte bancaire de la PNA ouvert dans les livres du CREDIT DU SENEGAL, sis Boulevard Djily Mbaye, BP 56, Dakar Sénégal, sous le numéro RIB : K0060 01030 608 71 054 000 68, soit par chèque au niveau de l’Agence comptable de la PNA. Sur demande, le document d’Appel d’offres sera adressé par courrier express contre le versement d’une somme complémentaire non remboursable de 50.000 (cinquante mille) FCFA. 8. Les offres devront être soumises à l’adresse ci-après : Route du Service Géographique, BP 4015 Hann, Dakar-Sénégal, au plus tard le mercredi 27 avril 2011 à 9 heures. Les offres remises en retard ne seront pas acceptées. Les offres seront ouvertes en présence des représentants des candidats présents à l’adresse ci-après Route du service Géographique, Hann, Dakar Sénégal, à 9 heures, le mercredi 27 avril 2011. Les offres doivent comprendre une garantie de soumission d’un montant de 1% du montant en FCFA du prix de l’offre, suivant l’avis n° 001/10/ARMP/CRD du 17 février 2010 accordant la dérogation de fixer la garantie de soumission en valeur relative. La période de validité de la garantie de soumission sera de cent cinquante (150) jours à compter de la date de l’ouverture des offres. Les offres devront demeurer valides pendant une durée de 120 jours à compter de la date limite de soumission. Pour les offres inférieures à 30 millions de francs CFA, la garantie n’est pas exigée. Le Directeur Docteur Papa Birama NDIAYE
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REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO - MINISTERE DES FINANCES - BUREAU CENTRAL DE COORDINATION
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AVIS A MANIFESTATION D’INTERET
N°Avis : AMI 260/INT-GOUV/DGI/BCECO/DG/DPM/PM/2011 - Pays : République Démocratique du Congo Source de financement : Fonds Intervention du Gouvernement Services de consultant : Services de consultant (cabinet) pour la certification des immobilisations des entreprises Tenke Fungurume Mining et Kamoto Copper Company Date de publication : 18 / 02 / 2011 - Date de clôture : 10 / 03 / 2011
nente dans la gestion et l’audit des entreprises du secteur minier ; avoir déjà réalisé au moins cinq (5) missions de certifications des immobilisations des sociétés minières, avoir une équipe clé composée au moins d’un expert fiscaliste spécialisé en matière d’audit des entreprises minières (BAC plus 5 ans) avec au moins 10 ans d’expérience dans le domaine d’audit ou de certification des comptes des entreprises du secteur minier et un expert comptable (BAC plus 5 ans). Le Bureau Central de Coordination (BCECO), pour le compte de la DGDA, invite les candidats admissibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les consultants intéressés doivent fournir les informations indiquant qu’ils sont qualifiés pour exécuter les services demandés (brochures et références concernant l’exécution des contrats analogues, expériences antérieures pertinentes dans des conditions semblables, disponibilité des connaissances nécessaires parmi le personnel avec un curriculum vitae du personnel clé, équipe disponible pour la mission, la méthodologie pour conduire la mission etc.). Un Consultant sera sélectionné en accord avec les procédures définies dans le manuel des procédures édité le 02 juin 2010 du code des marchés publics en République Démocratique du Congo d’avril 2010. Les firmes intéressées peuvent obtenir des informations supplémentaires au sujet des documents de référence à l’adresse ci-dessous, de lundi à vendredi aux heures suivantes : de 9h00 à 16h00 (heure locale). Les manifestations d’intérêt rédigées en langue française doivent parvenir, par courrier ou par E-mail, à l’adresse ci-dessous au plus tard le jeudi 10 mars 2011 et porter clairement la mention « AMI N° 260/INTERV- GOUV/ BCECO/DG/DPM/PM/2011/SC – Recrutement d’un Consultant (firme) chargé de la certification des immobilisations des entreprises TENKE FUNGURUME MINING ET KAMOTO COPPER COMPANY. Bureau Central de Coordination (B.Ce.Co) A l’attention de Monsieur MATONDO MBUNGU, Directeur Général a.i 372, Avenue Colonel Mondjiba, Concession Utexafrica, Kinshasa / Gombe (RDC) Tél. : (243) 09 98.58.45.60 ou (243) 09.98.17.64.80 - E-mail : bceco@bceco.cd, dpm@bceco.cd MATONDO MBUNGU Directeur Général a.i
AVIS D’APPEL A LA CANDIDATURE
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MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ELEVAGE
PROJET D’APPUI A L’INTENSIFICATION ET A LA VALORISATION AGRICOLES DU BURUNDI (PAIVA-B)
Le Projet d’Appui à l’Intensification et à la Valorisation Agricoles du Burundi (PAIVA-B) co-financé par le FIDA, l’Union Européenne, le Programme Alimentaire Mondial et le Gouvernement de la République du Burundi et placé sous la Tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage invite, par le présent Appel d’Offres, les soumissionnaires admis à concourir à présenter leurs offres sous pli fermé, pour le recrutement d’un bureau d’études / groupe de consultants chargé de conduire une étude des marchés des produits agricoles et un diagnostic des services financiers dans les zones pilotes du projet en vue de cibler les filières potentielles à développer. Le présent avis d’appel d’offres s’adresse indistinctement à toutes les personnes physiques ou morale remplissant les conditions décrites dans le Dossier d’Appel d’Offre y relatif. Celui-ci peut être consulté au siège du PAIVA-B sis Quartier Kinindo, Avenue du Large, Rez de chaussée de l’Immeuble abritant les programmes et projets du FIDA au Burundi, près du Pont MUHA Ouest. Il peut également être transmis par courrier électronique sur demande. La date limite de dépôt des offres est fixée au 7 avril 2011 à 9h00.
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Manifestation d’intérêt - Appel à candidature
1. Contexte général Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, à travers le Ministère des Finances, envisage de recruter un Cabinet d’expertise international en vue d’assister les services de la Direction Générale des Impôts (DGI) en matière de contrôle fiscal, précisément en ce qui concerne l’évaluation des immobilisations des entreprises du secteur minier, en l’occurrence, les sociétés TENKE FUNGURUME MINING (TFM) et KAMOTO COPPER COMPANY (KCC). Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, par délégation de maîtrise d’ouvrage, a chargé le Bureau Central de Coordination, en sigle BCECO, de la mise en ?uvre du processus de sélection dudit Consultant. Dans ce contexte, le Bureau Central de Coordination (BCECO), sollicite maintenant des propositions en vue de la fourniture des Services de Consultants (firme) chargé de la certification des immobilisations des entreprises TENKE FUNGURUME MINING ET KAMOTO COPPER COMPANY. 2. Objectif de la mission La mission du consultant consiste d’une part à effectuer une identification exhaustive de toutes les immobilisations concernées (équipements industriels importés, bâtiments construits sur place pour abriter les usines, cités de travailleurs, etc.) en s’assurant qu’il s’agit des biens neufs. D’autre part, le Consultant (firme) devra certifier la valeur des immobilisations reprises aux bilans clos au 31 décembre 2008 et 2009, en s’assurant que lesdites immobilisations ont été correctement évaluées et que l’application de la méthode d’amortissement exceptionnel a été fidèle, et ce conformément à la Loi en vigueur et aux textes réglementaires en la matière. 3. Etendue de la mission La certification sera réalisée conformément aux normes internationales et portera sur toutes les immobilisations reprises aux bilans au 31 décembre 2008 et 2009 de TENKE FUNGURUME MINING (TFM) et KAMOTO COPPER COMPANY (KCC) La durée de la mission est estimée à 30 jours calendaires 4. Profil du Consultant Le Consultant doit être une firme ou un cabinet international n’ayant pas procédé dans le passé, directement ou indirectement à la certification des comptes de deux sociétés visées ; être une firme (cabinet) internationale ; ayant au moins 10 ans d’expérience dans le domaine d’audit et de certification des comptes, tant dans son pays d’origine qu’à l’extérieur ; avoir au moins 5 ans d’expérience perti-
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Manifestation d’intérêt
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MINISTERE DES MINES SECRETARIAT GENERAL
AVIS A MANIFESTATION D’INTERET
Pays : République du Mali Projet : Ministère des Mines Financement : Fonds de Promotion et de Formation de l’AUREP Intitulé des Services : Etude pour la Réforme Institutionnelle de Secteur Pétrolier 1. Le Ministère des Mines envisage d’utiliser une partie du fonds de Promotion et de Formation de l’AUREP pour financer l’Etude pour la Réforme Institutionnelle du Secteur Pétrolier. 2. Objectif global : Le but de l’étude est de proposer le schéma institutionnel le mieux adapté à la recherche, à l’exploitation, au transport et à la commercialisation des hydrocarbures. 3. Objectifs spécifiques : Les objectifs spécifiques sont : - définir la nature et les missions des structures à mettre en place et leur ancrage institutionnel ; - identifier les profils des ressources humaines nécessaires pour le bon fonctionnement des structures. 4. Résultats attendus : Les résultats attendus concernant les points ci-après : - La nature et les missions des structures à mettre en place et leur ancrage institutionnel sont définies ; - Les ressources humaines nécessaires à leur bon fonctionnement sont identifiées 5. Calendrier et durée des prestations La durée de réalisation des prestations est de trois (03) mois calendaires incluant les temps pour l’approbation du rapport provisoire. 6. Profil et qualification du consultant Le consultant devra avoir les qualifications suivantes : - une expérience d’au moins dix (10) ans concernant les études relatives aux réformes institutionnelles ; - une maîtrise des typologies des services publics et une bonne connaissance des sociétés pétrolières. 7. La langue de la consultation : La langue de la consultation est le Français 8. Les instructions aux soumissionnaires Chaque soumissionnaire devra fournir les documents suivants : • Les documents administratifs suivants, mis à jour, certifiés conformes à l’original délivré par l’autorité compétente ;
MINISTERE DES MINES SECRETARIAT GENERAL
REPUBLIQUE DU MALI Un Peuple - Un But - Une foi
- Pour les bureaux étrangers : Attestation de non faillite, et agrément ; - Pour les bureaux maliens : Quitus fiscal, certificat de non faillite, attestation de INPS, Attestation de l’Office Malien de l’Habitat et Agrément. • Une présentation générale de Bureau d’études, faisant apparaître la date de sa création et son expérience dans l’éxecution de prestations similaires à celles demandées dans le présent projet, en particulier en Afrique ; • La liste des références du Bureau d’études dans le domaine de la Réforme Institutionnelle du Secteur Pétrolier et dans tous les domaines connexes. Ces références seront classées de la manière suivante : 1) Afrique, 2) Pays émergents en général 3) Autres pays. Ces références devront permettre d’établir la nature et le volume des prestations exécutées ; • La liste des moyens en personnel permanent du bureau d’études avec leur qualification et leur CV et copie légalisée des diplômes pour chaque expert ; • Les chiffres d’affaires et des bilans du Bureau d’études pour les 3 derniers exercices (2007, 2008,2009) ; • Les références bancaires et le montant du capital social ; • Les statuts du Bureau d’études ; 9. Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations complémentaires au sujet de la mission au secrétariat Général du Minitères des Mines, au quartier du Fleuve, Marché Dibida, face au siège ex COCAN B.P. 1909 - Tél. 20 22 42 38, site web : www.mines.gouv.ml 10. les manifestations d’intérêts doivent être déposées au plus tard le 05 mars 2011 à la Direction Administrative et Financière du Ministère des Mines, B.P. 1909 - Tél. 20 22 42 38, au CRES à Badalabougou. L’ouverture des plis est prévue le même jour à 10 heures à la Direction Administrative et Financière du Ministère des Mines, B.P. : 1909 - Tél. 20 22 42 38 ; au CRES à Badalabougou P/Le Ministre P.O. Le secrétaire Général Mme BARRY Aoua SYLLA Chevalier de l’ordre National
AVIS A MANIFESTATION D’INTERET
REPUBLIQUE DU MALI Un Peuple - Un But - Une foi
Pays : République du Mali Projet : Ministère des Mines Financement : Budget National, Exercice 2011 Intitulé des Services : Etudes Architecturales, Techniques et Supervision des travaux des projets de construction de deux sièges : le siège de l’Autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière (AUREP) au Mali et le siège de la Direction Générale du Pétrole sur les anciens sites sis à Médina - Coura Bamako, République du Mali - une expérience d’au moins dix (10) ans concernant les études architecturales, techniques et la supervision des 1. Le Ministère des Mines à travers la Direction de l’Autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière (AUREP) travaux des projets de construction ; au Mali a prévu dans son programme opérationnel 2011, la construction de deux bâtiments pour le compte de - être inscrit à l’ordre des bureaux d’architecture agrées. l’Autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière (AUREP) sur les anciens sites sise à Médina - Coura 7. La langue de la consultation : Bamako, République du Mali. Pour cela, elle dispose d’une dotation sur le Budget national, exercice 2011 dont La langue de la consultation est le Français une partie est utilisée pour financer les études ci-dessus citées en intitulé. 8. Les instructions aux soumissionnaires Le Ministère des Mines invite les bureaux d’architectes intéressés à manifester leur intérêt à fournir les services écrits Chaque soumissionnaire devra fournir les documants suivants : ci-dessus. Ils doivent fournir les informations indiquant qu’ils sont qualifiés pour exécuter les services indiqués. Les documents administratifs suivants, mis à jour, certifiés conformes à l’original délivré par l’autorité compétente ; 2. Objectifs : Quitus fiscal, certificat de non faillite, attestation de INPS, Attestation de l’Office Malien de l’Habitat et Agrément. 2.1 Objectif de la mission : Le Ministère des Mines à travers la Direction Administrative et Financière (DAF) envisage de faire les études archi• Une présentation générale de Bureau d’études, faisant apparaître la date de sa création et son expérience dans tecturales, techniques et la supervision des travaux des projets de construction de deux bâtiments pour l’Autorité l’éxecution de prestations similaires à celles demandées dans le présent projet ; pour la Promotion de la Recherche Pétrolière au Mali (AUREP) sur les anciens sites sis à Médina-coura ; Bamako • La liste des références du Bureau d’architecture dans le domaine des études architecturales, techniques et la - République du Mali, par un bureau d’architecture disposant de l’expérience nécessaire pour mener à bien les supervision des travaux des projets de construction. tâches qui lui seront confiées. C’est dans ce cadre que le présent avis de manifestation d’interêt est lancé afin de Ces références devront permettre d’établir la nature et le volume des prestations exécutées ; sélectionner les bureaux d’Archictecture capables de mener à bien les prestations ci-dessus. • La liste des moyens en personnel permanent du bureau d’architecture avec leur qualification et leur CV et copie 2.2 Etendue de la mission : légalisée des diplômes pour chaque expert ; Les prestations concernent les Etudes Architecturales, Techniques et la Supervision des travaux des projets de • Les chiffres d’affaires et des bilans du Bureau d’architecture pour les exercices (2007, 2008,2009) ; construction de deux bâtiments pour l’autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière au Mali (AUREP) • Les références bancaires et le montant du capital social ; sur les anciens sites sis à Médina-coura ; Bamako - République du Mali. • Les status du Bureau d’architecture ; 3. Résultats attendus : 9. Les bureaux d’architectures intéressés peuvent obtenir des informations complémentaires à la Direction de - un Avant Projet Sommaire produit et accepté pat l’Administration ; l’Autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière au Mali (AUREP) sise à Médina-coura, rue : 28, porte - un Avant Projet Détaillé produit et accepté par l’Administration ; 189 B.P. : 4306 - Tel. : 20 21 28 39/20 21 29 35 - Fax : 20 21 28 82. - un Dossier d’Appel d’Offres produit et accepté par l’Administration ; 10. Les manifestations d’intérêt doivent être déposées au plus tard le 05 mars 2011 à la Direction - suivi et Contrôle des travaux. Administrative et Financière du Ministère des Mines, B.P. 1909 - Tel 20 22 42 38, au CRES à Badalabougou. 4. Calendrier et durée des prestations L’ouverture des plis est prévue le même jour à 10 heures à la Direction Administrative et Financière du Ministère La durée de la mission pour les différentes phases : des Mines, B.P. 1909 - Tel 20 22 42 38, au CRES à Badalabougou. - Phase d’études des travaux : 03 mois ; P/Le Ministre P.O. - Phase supervision des travaux : 12 mois Le secrétaire Général 5. Profil et qualification du consultant Mme BARRY Aoua SYLLA Le bureau d’architecture devra avoir les qualifications suivantes : Chevalier de l’ordre National
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COTE D'IVOIRE
Dans le cadre du programme de lutte contre le VIH/SIDA en Côte d’Ivoire financé par le PEPFAR et le CDC
Le Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS) recherche 1 expert en Informatique et 1 expert Qualité
(STRUCTURES ou CONSULTANTS)
Pour une Assistance Technique de 1 an renouvelable après évaluation et si le financement est toujours disponible Mission 1 : Assistance informatique pour la migration du CNTS vers eProgesa (i) finaliser le design des architectures réseau et hardware de eProgesa, (ii) aider à leur mise en œuvre ainsi qu’à la mise en place de leur sécurisation, (iii) participer à la rédaction des documents qualité en phase de déploiement et de production de eProgesa, (iv) apporter un soutien pour le paramétrage du logiciel dans sa phase d’implémentation ainsi que tout au long de sa mise en production, (v) assurer un transfert des compétences par la formation et la mise à niveau des superutilisateurs et utilisateurs, (vi) apporter tout autre appui en rapport avec l’implémentation de eProgesa. Profil requis pour la mission 1 : Expérience professionnelle de 5 ans au moins avec pratique avérée dans la gestion de projets d’implémentation de eProgesa. Bonne connaissance de l’activité transfusionnelle et capacité d’interrelation institutionnelle de haut niveau et de relation avec partenaires et bénéficiaires sur le terrain. Disponible pour des déplacements fréquents en Côte d’Ivoire. Parfaite maîtrise de la langue française. Avoir déjà assuré une fonction d’assistance technique dans le domaine de la transfusion sanguine est un atout. Mission 2 : Assistance en management de la qualité (i) conseiller la Direction du CNTS sur la qualité et normes des services offerts (élaborer et mise à jour des normes), (ii) accompagner la certification du CNTS, (iii) assistance au management général du CNTS (organiser activités et structures, réflexion sur les activités transversales et interfaces entre les processus, former les personnels), (iv) développer des stratégies pour l’approvisionnement en produits sanguins (v) valider la qualification des dons, (vi) appui au contrôle qualité du CNTS et au système de Management global de la Qualité, (vii) appui à la mise en place et renforcement de l’hémovigilance. Profil requis pour la mission 2 : Expérience professionnelle de 3 ans au moins dans les démarches d’amélioration, de management (principes, normes, outils) et d’accompagnement de la qualité et des systèmes de santé en général et de la transfusion sanguine en particulier. La maîtrise de la langue française est exigée.
Conditions de soumission
18 BP 1107 ABIDJAN 18 COTE D'IVOIRE, TEL (225) 21 25 06 44 / 21 25 87 81
Raynal & Fadika RH
RECRUTEMENT - ESTIMATIONS DE POTENTIELS - FORMATION
Join CIFOR and make a difference THINKING BEYOND THE CANOPY Vacancy Announcement Director, Human Resources The Center for International Forestry Research (CIFOR) is one of the leading forestry research centres in the world. We are one of 15 centres within the Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR). Our headquarters are in Bogor, Indonesia, and we have over 80 scientists and associates conducting research in the forests of Asia, Africa and South America. We are a growing organisation that is making a difference. And, we are now seeking a dynamic and visionary
Human Resources Director
to join our management team.
The Job The Director will provide overall strategic Human Resources leadership to the organization and will contribute to centre-level initiatives. The Director will ensure the development and implementation of global best practices in human resources management and will foster a workplace environment consistent with the organization’s values and mission. The Director will lead the Human Resources team in the provision of proactive, results-oriented services. The Director reports to the Director General. Minimum Qualifications • Relevant degree in human resources management, business administration or related studies and progressive experience in international HR management preferably in an international organization. • Extensive human resources knowledge, with experience in change management and organizational development. • Values the sharing of information and continuous improvement in a cooperative atmosphere of constructive evaluation and learning, and is committed to staff development. • Outstanding English writing and speaking skills and proficiency in other international languages is desirable. To learn more about CIFOR, the position and how to apply, please visit our web site at http://www.cifor.cgiar.org/Careers CIFOR is an equal opportunity employer. Staff diversity contributes to excellence.
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Recrutement
Les consultants individuels ou cabinets soumissionnant à cet appel à candidatures doivent fournir : Méthodologie de travail (offre technique), modalités organisationnelles de l’intervention (plan d’action), chronogramme, contributions des intervenants pour chaque étape de la mission, CV des intervenants, compétences et références des structures sur ce type de mission, devis détaillé intégrant l’ensemble des coûts, y compris déplacements et perdiems. Merci d’envoyer vos candidatures avant le 15 mars 2011 par email : recrutement@rfrh.net
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AC Constructeur de semi-remorques, plateaux et citernes implanté à Epernay (Marne), nous sommes présents depuis plus de 60 ans en Afrique. Nous poursuivons notre développement auprès de nos clients spécialisés en Agro-industrie et Transports et recrutons notre :
Recrutement - Divers
La Banque Islamique de Développement (BID) annonce ses prix annuels Science&Technologie au titre de 1432 H (2011G)
Les Prix de la Science et de la Technologie de la Banque Islamique de Développement (BID) ont été créés en 1422H (2001G) en reconnaissance du rôle crucial de la Science et de la Technologie comme moteur du développement économique et social des pays membres de la BID et pour encourager la poursuite de l’excellence par les institutions scientifiques de recherche et d'enseignement supérieur dans les pays membres. Trois prix distincts seront décernés aux institutions lauréates pour récompenser respectivement (i) leur impact sur le développement économique et social, (ii) leur excellence dans une spécialité particulière, et (iii) la réussite d’une institution d’un des pays membres les moins avancés; chaque prix est doté d’un trophée et d'un montant de 100.000 dollars E.U. La date limite d’acceptation des candidatures à la BID est fixée au 10 Rabii Thani 1432H correspondant au 15 Mars 2011G. Les prix seront remis au cours de la 36 ième Réunion Annuelle du Conseil des Gouverneurs de la BID qui se tiendra à Sana'a, République du Yemen, les 27-28 Rajab 1432H (29-30 Juin 2011G). Les manuels, brochures et formulaires de candidatures sont accessibles en ligne sur le site Web de la BID (www.isdb.org).
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VOUS & NOUS 87
Forum Politologue et journaliste
La seconde indépendance de la Tunisie
L
e 20 mars 1956, jour de la signature de l’acte d’indépendance par le président du Conseil français Edgar Faure et le Premier ministre tunisien d’alors, Tahar Ben Ammar, est une date très importante dans l’Histoire de notre pays. Mais il est indéniable que la date réelle à laquelle les Tunisiens ont obtenu une véritable démocratie, les libertés individuelles et publiques est le 14 janvier 2011. Car durant les régimes de Bourguiba et de Ben Ali, nous n’étions ni des citoyens libres ni des citoyens à part entière. Comme dit l’adage, tout vient à point à celui qui sait attendre. Grâce à ses martyrs, à sa jeunesse et à la volonté de tout un peuple, la Tunisie a changé de visage. Elle a banni à tout jamais un régime dictatorial et corrompu. Déterminée dans sa volonté de changement, notre jeunesse a refusé de continuer à subir ce que les aînés avaient accepté pour toutes sortes de raisons. MAIS, ON NE LE RAPPELLERA JAMAIS ASSEZ,
révolution ne rime pas avec anarchie. Prôner le désordre et participer au chaos, c’est, a contrario, une contre-révolution menée avant et après le 14 janvier par des partisans de l’ancien régime. Sans doute en vue de préserver leurs privilèges et de continuer à faire partie de la classe dirigeante. Quitte à retourner leur veste, à opérer des virages à 180° à recourir à toutes sortes de combines (confusion, camouflage, récupération). Ce que politologues et sociologues appellent phénomènes démagogiques. S’il n’est pas question de chasse aux sorcières, il faut se dire que le retournement de veste n’est plus de mise dans la Tunisie libérée d’aujourd’hui. Plus rien ne sera comme avant. Rien ne pourra, désormais, arrêter la marche de la liberté. À plusieurs reprises, la classe politique, composée essentiellement de cadres d’État, a confisqué à son seul profit la démocratie, les libertés publiques et individuelles des Tunisiens. Tel fut le cas des oligarques du Parti socialiste destourien (PSD), détestable parti unique devenu Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), sous l’autorité du président Habib Bourguiba. Puis il y a eu particulièrement les oligarques du régime dictatorial et mafieux du général Ben Ali, promu chef de l’État à la faveur du coup d’État de « santé » du 7 novembre 1987. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
Le passage de la dictature à la démocratie, inimaginable il y a quelques semaines à peine, est devenu une réalité dans notre pays. En moins d’un mois, le paysage politique tunisien a totalement changé. Cela dit, en plus de la gestion des affaires courantes de l’État, il y a un impératif urgent : la reconstruction patiente, sur des bases solides et démocratiques, du champ politique tunisien. Toutes les forces et sensibilités doivent être associées à ce processus, y compris les mouvements politiques exclus et marginalisés jusqu’ici. Il faut également instaurer des espaces d’expression, de dialogue et de débats publics. FORCE EST DE CONSTATER QU’IL Y A, au niveau
du président de la République par intérim, Fouad Mebazaa, et du Premier ministre du gouvernement provisoire, Mohamed Ghannouchi, l’absence d’une feuille de route rationnelle, claire et précise, en vue d’une gouvernance efficace. On note aussi un nonrespect des doléances du peuple tunisien, en l’occurrence la dissolution pure et simple du RCD, le principal instrument de la dictature du général Ben Ali. À quoi s ’a j o u t e u n e t r è s mauvaise communication de la présidence de la République et du gouvernement provisoire. Cela est t r è s p r é ju d i c ia b l e à notre pays et à ce que nos deux hauts dirigeants intérimaires qualifient de « merveilleuse révolution ». Dans leur ensemble, les Tunisiens ne cessent de se poser des questions. Pourquoi tout n’a-t-il pas été dit sur la fuite du président déchu ? Ils se demandent pourquoi ce dialogue de sourds entre eux et les actuels dirigeants et jusqu’à quand cela va durer. Les Tunisiens ont droit à l’information. Il ne doit pas y avoir de non-dits au niveau de la présidence et de la primature intérimaires. La démocratie et la révolution s’en accommodent mal. Plus rien ne sera plus comme avant. ■
Notre jeunesse a refusé de continuer à subir ce que les aînés avaient accepté pour toutes sortes de raisons.
DR
KHALED MONGI TEBOURBI
88 VOUS & NOUS
GABON «ALI» ET «ANDRÉ», FRÈRES ENNEMIS
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2615•du 20 au 26 février 2011
COURRIER DES LECTEURS France : une diplomatie déroutante
■ Descendant de trois générations de Français nés en Tunisie et fréquentant très régulièrement mon pays, où je possède bien plus d’amis que j’en ai en France, j’ai salué la révolte du peuple tunisien avec beaucoup de joie mais aussi avec beaucoup d’inquiétude dans les premières semaines alors que j’étais moi-même sur place. Je suis écœuré de la façon dont la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a traité cette affaire tout en profitant des largesses de l’ancien régime. J’ai été écœuré de la façon dont le nouvel ambassadeur, Boris Boillon, a traité les journalistes tunisiens. Cette démarche n’a rien de diplomatique, mais elle ne m’étonne pas tant l’élève a voulu adopter la posture de son maître (était-il aux ordres ou a-t-il dérapé ?). Je voudrais dire à tous mes frères et sœurs tunisiens que les Français ne sont pas à l’image de ceux qui les dirigent et que la Tunisie est dans le cœur de tous les Français. Il faut que vous structuriez vite votre nouvel État et prouviez au monde entier votre détermination d’accéder enfin à la liberté. PIERRE RIPOLL, JONQUIÈRES, FRANCE
Un régime parlementaire pour la Tunisie
■ J’ai lu avec intérêt la réflexion de Mansour Moalla (voir J.A. no 2612), qui traite brillamment de l’organisation future des pouvoirs publics en Tunisie. M. Moalla préconise à juste titre l’abolition du régime présidentiel et la mise en place d’un système parlementaire à partir de solides bases démocratiques. Un tel système serait de nature à prévenir les soubresauts et les vicissitudes qui ont prévalu sous les deux régimes présidentiels précédents. L’idée est lumineuse, mais la solution n’est pas aussi évidente. Tant il est vrai que le système
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Exclusif
Le dernier jour de Ben Ali en Tunisie
parlementaire comporte luimême ses propres faiblesses. L’histoire de la IVe République, en France, et celle de la Mohamed BOUAZIZI République italienne en Un héros arabe apportent d’innombrables preuves. Reste qu’en Tunisie le régime présidentiel a été à deux reprises J.A. n° 2615 catastrophique. Il est donc tout à fait légitime de se tourner vers un régime parlementaire, tout en apportant les garanties requises tant sur le plan de la séparation des pouvoirs et de l’organisation de la société civile que sur celui de la liberté d’expression. Cela est d’autant plus vrai que ce qui a coulé les deux régimes présidentiels précédents, c’est le déficit démocratique. L’Intifada des jeunes Tunisiens s’explique, en effet, aussi bien par des considérations socioéconomiques que par un désir de liberté et de dignité. ABDELJÉLIL MOUAKHER, TUNIS, TUNISIE ÉGYPTE FAUT-IL FAIRE CONFIANCE À L’ARMÉE?
CÔTE D’IVOIRE UNE JOURNÉE AU GOLF HÔTEL
Son geste désespéré est à l’origine de la révolution tunisienne et du vent de liberté qui souffle sur toute la région. Enquête sur un fils du peuple devenu une icône.
ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT
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In memoriam
■ Le nom de Mohamed Bouazizi, l’homme qui s’est immolé par le feu en Tunisie le 17 décembre 2010, est désormais associé à la révolution tunisienne. C’est lui qui en a été le déclencheur et c’est indéniable. Tout le monde sait aussi que l’onde de choc de cette révolution a eu raison de la dictature de Hosni Moubarak. Je suggère que les Égyptiens, en signe de solidarité avec le peuple tunisien, décident de baptiser du nom de Mohamed Bouazizi une rue ou une place du Caire. DALENDA CHCKIR, TUNIS, TUNISIE
Gratitude et précision
■ Je vous remercie d’avoir choisi les photos du carnaval que mon équipe et moi avons réalisées durant le comice
AGENDA MARS 2011 ANITA CORTHIER
JUSQU’AU 7 SÉNÉGAL Foire internationale de Dakar (Fidak). 2-3 PARIS, FRANCE Visite du président sud-africain Jacob Zuma. 5 OUAGADOUGOU, BURKINA FASO Clôture du festival du film Fespaco. www.fespaco.bf 6 BÉNIN 1er tour de l’élection présidentielle. 7 PARIS, FRANCE Procès de l’ancien président français Jacques Chirac dans l’affaire
des emplois présumés fictifs de la ville de Paris.
20 HAÏTI 2nd tour de l’élection présidentielle.
12 NIGER 2nd tour des élections présidentielle et législatives.
20 ET 27 FRANCE Élections cantonales.
16-17 CHARM EL-CHEIKH, ÉGYPTE 12e sommet de l’Organisation de la conférence islamique.
22 MONDE Journée internationale de l’eau. www.un.org
18-21 PARIS, FRANCE Salon international du livre.
23 PARIS, FRANCE Visite du président guinéen Alpha Condé.
20 TUNISIE Fête nationale. 20 MONDE Journée mondiale de la Francophonie. http://www.francophonie.org
26 MALI Journée des Martyrs. 29 BAGDAD, IRAK Sommet de la Ligue arabe.
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VOUS & NOUS 89 agropastoral d’Ebolowa, au Cameroun (J.A. n°2614). C’est toujours avec un grand plaisir qu’on découvre son pays à la une d’un journal comme le vôtre. Je tiens cependant à vous apporter quelques précisions. La légende de la photo sur la couverture parle d’un « défilé lors du comice agropastoral d’Ebolowa ». Il s’agit en réalité du carnaval Elalua (sud du Cameroun), dans une chorégraphie de ma conception, lors de son passage au comice. ÉLISE MEKA MBALLA, YAOUNDÉ, CAMEROUN Réponse: Merci de votre lecture attentive et de la précision que vous donnez sur la légende en question.
Une vision juste du conflit israélo-palestinien
■ Après avoir lu dans J.A. du 13 au 19 février l’éditorial de Béchir Ben Yahmed intitulé « Est-ce bon pour nous ? », je tiens à vous dire combien, une fois encore, j’ai apprécié votre analyse. Ce que vous écrivez à propos de l’attitude des dirigeants occidentaux – et israéliens – envers le régime de Moubarak est tellement vrai… Puisse votre message être enfin entendu par ceux qui nous gouvernent (si mal !) : l’Élysée, le Quai d’Orsay, mais également les partis politiques, en particulier l’Union pour un mouvement populaire (UMP) et le Parti socialiste (PS), aussi peu courageux l’un que l’autre face au conflit israélo-palestinien. PÈRE MICHEL LELONG, PARIS, FRANCE
À côté du sujet sur la crise ivoirienne
■ Je suis un fervent lecteur de J.A. depuis des lustres et je continue d’aimer ce journal. Toutefois, je suis dérouté depuis quelques jours par le fait que ce journal panafricain n’ait pas encore compris que ce qui se passe en Côte d’Ivoire est très loin d’être un simple conflit électoral entre deux candidats. J’avoue que, dans cette grisaille, je ne reconnais plus mon J.A., cet hebdomadaire qui a guidé mes premiers pas dans la vie. Il n’est pas trop tard pour changer de cap et défendre l’Afrique contre l’impérialisme. Les pions de Sarkozy sont des collabos, exactement comme la France en a connu face à l’Allemagne. Les souffrances imposées actuellement aux Ivoiriens par la communauté internationale, que la France manipule, sont le désert qu’il faut traverser pour atteindre le pays où coulent le lait et le miel. Les Ivoiriens ne faibliront pas. Vous, pensez à l’Algérie et agissez ! Éclairez l’opinion avec justesse pour ne pas rester à côté de l’Histoire et de la marche de la nouvelle Afrique, celle qui ne sera plus exploitée, celle dont la monnaie ne sera plus gérée par le Trésor français mais par une vraie banque centrale, celle qui décidera pour elle-même. N’oublions pas que le prochain cinquantenaire sera différent du précédent. Cela ne mérite-t-il pas qu’on se batte pour son pays ? PAUL D. TAYORO, ABIDJAN, CÔTE DʼIVOIRE
Non à une nouvelle guerre en Côte dʼIvoire
■ J’ai lu avec beaucoup d’émotion votre éditorial du no 2609 sur la crise postélectorale ivoirienne. De grâce,
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que les Africains prennent conscience, qu’ils mobilisent toute leur énergie afin d’éviter le déclenchement d’une nouvelle guerre en Côte d’Ivoire. Les conséquences peuvent déstabiliser et fragiliser une grande partie du continent. Comme on dit en Afrique, « la maladie vient rapidement, mais la guérison est très lente ». Autrement dit, « la guerre est très facile à déclencher, mais la paix est encore plus difficile à rétablir ». FÉLIX ENKALOM, YAOUNDÉ, CAMEROUN
La légitimité a changé de camp à Abidjan
■ Je reste foncièrement opposé à une intervention armée sur le sol ivoirien. Je suis pour une solution négociée. Ce que tout « digne fils d’Houphouët-Boigny » préconiserait invariablement. En revanche, ce qui me gêne dans cette crise, c’est que Gbagbo a perdu l’élection. C’est un fait : il le sait lui-même, tout comme son cercle d’amis. Fondamentalement, le combat idéologique qu’il mène est légitime. Mais le peuple qu’il gouverne a confié la légitimité à un autre : Alassane Ouattara. C’est aussi un fait. Que faire ? Le woody (« garçon », en bété) de Mama brandit la légalité constitutionnelle. Pour légaliser quoi ? Le faux ? Objectivement, cautionner un tel braquage serait suicidaire pour l’avenir de la démocratie en Côte d’Ivoire. Les prochains jours nous édifieront sur le sujet. BOMÔFOU BÔLÊSSI, ABIDJAN, CÔTE DʼIVOIRE
Analyse pertinente sur la RD Congo
■ Je voudrais simplement vous remercier et, surtout, vous encourager du fait d’avoir eu l’audace de dire la vérité sur ce qui se passe dans notre pays, la RD Congo, dans votre no 2612. Chez nous, les journalistes ne font que flatter les hommes au pouvoir, alors que rien n’est entrepris pour améliorer le sort des populations. L’insécurité règne, les tueries se multiplient, l’emploi est rare, il n’y a ni eau ni électricité. Courage, et que J.A. continue de prospérer. PASCAL WAGANZA, BUKAVU, RD CONGO
Victime à double titre à Conakry
■ Je vous écris à la suite de la publication de ma photo dans votre édition n° 2594, du 26 septembre au 2 octobre 2010, dans la rubrique Focus, page 13. J’avoue que je suis très heureuse de la couverture par votre journal des événements du 28 septembre 2009 dans mon pays. Les victimes se sont constituées en associations pour se défendre. Malheureusement, les autorités actuelles, qui nous ont fait tant rêver, ne semblent pas vouloir en parler. Comme vous le savez, j’ai perdu mon époux dans ces douloureux événements. Pire, son corps n’a jamais été retrouvé. Je suis donc une double victime. Nous sommes une quarantaine dans cette situation. Et nous avons fondé l’Association des familles des disparus du 28 septembre 2009 (Afadis). Dieu merci, l’affaire est maintenant suivie par la Cour pénale internationale (CPI). K ADIATOU BARRY, CONAKRY, GUINÉE
POST-SCRIPTUM
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL
P O L I T I Q U E , É C O N O M I E , C U LT U R E Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51 e année)
Édité par SIFIJA
Cissé, Socrate et les singes IL FUT UNE ÉPOQUE où, jeune lecteur assidu, je remplissais des cahiers de citations d’auteurs que je prenais pour de grands esprits. Jusqu’au jour où souris et cafards en ont fait un festin gargantuesque. Depuis, plus de citations, je pense par moi-même. Mais savourez quand même celle-ci: « Je ne reprocheTSHITENGE LUBABU M.K. rai même pas à nos nègres et négresses de mâcher du chewing-gum. J’observerai seulement… que ce mouvement a pour effet de mettre les mâchoires bien en valeur et que les évocations qui vous viennent à l’esprit vous ramènent plus près de la forêt équatoriale que de la procession des Panathénées. » L’auteur de cette pensée profonde (je suppose)? Jules Romains, écrivain français (1885-1972, paix à son âme, s’il en avait une). Pour ma part, voilà des décennies que je le boycotte. Ce n’était pas n’importe qui, ce Jules Romains. Il a créé l’unanimisme – à en croire le dictionnaire, il s’agit d’une « doctrine littéraire selon laquelle l’écrivain doit exprimer la vie unanime et collective, l’âme des groupes humains et ne peindre l’individu que pris dans ses rapports sociaux ». Et l’Académie française l’accueillit en son sein. Aux nègres originaires ou habitants de la forêt équatoriale qui verraient dans ses propos une manifestation de racisme, je dis: circulez! Quel racisme? Et les panathénées? Nous voici en Grèce. Pour ceux qui n’ont pas fait les humanités, les panathénées étaient, dans l’Antiquité, des fêtes célébrées chaque année en juillet, en l’honneur de la déesse Athéna. Jules Romains ne s’était sans doute jamais imaginé qu’un jour, en Grèce, un nègre mâcherait du chewinggum dans un stade. Ce nègre s’appelle Djibril Cissé. Il n’est pas mâcheur de chewing-gum professionnel, mais footballeur à Panathinaïkos, un club de première division. Meilleur buteur du championnat, le nègre Cissé a affirmé, le 19 février, qu’il en a marre d’entendre « des cris de singe » fuser de certaines tribunes chaque fois qu’il touche le ballon. Et de voir des bananes en plastique s’agiter dans les mêmes tribunes, telles des trophées. Il a juré de plier bagage. Les faits dénoncés par Cissé ne sont pas nouveaux dans les stades européens, où se retrouvent les « amoureux du ballon rond ». Des supporteurs égarés – pas tous, heureusement – passent leur temps à jouer aux singes. J’aime bien les singes. Ils sont charmants, ingénieux, habiles, espiègles, intelligents. Cependant j’ignorais qu’ils pouvaient jouer au football, courir, tels des fous, derrière un ballon rond pendant quatre-vingtdix minutes, marquer des buts… Pauvre Cissé. À ces supporteurs grecs inqualifiables, qui confondent un terrain de football avec un jardin zoologique, qui ne savent pas que tout homme est homme et qu’on ne peut tout ramener à la couleur, je me permets un petit conseil. Revenez, brebis égarées, aux fondamentaux. Revenez à votre ancêtre Socrate, qui disait: « Connais-toi toi-même. » ■
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