JA2622DU10AU16AVRIL2011

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TUNISIE LES FEMMES, LES ISLAMISTES ET LA RÉVOLUTION jeuneafrique.com

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e année • N° 2622 • du 10 au 16 avril 2011

LE PLUS

de Jeune Afrique

LLE E V NOURMULE FO

Alger D Dans tous ses états Spécial 16 pages

SÉNÉGAL BANLIEUES : «Y EN A MARRE ! » LIBYE QUI SONT LES INSURGÉS ?

SPÉCIAL CÔTE D’IVOIRE

Fin de partie Cet exemplaire vous est offert et ne peut être vendu.

| Not for sale.


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Ce que je crois BÉCHIR BEN YAHMED • bby@jeuneafrique.com

SAMEDI 9 AVRIL

Le poids du passé

T

OUT AU LONG DES DERNIÈRES SEMAINES, notre attention a été accaparée par une actualité haletante, désordonnée, pleine de bruit, de fureur – et de promesses. Elle a surgi en Tunisie à la mi-décembre 2010, comme on le sait, et s’est propagée ensuite, telle une traînée de poudre, en Égypte, en Libye et au-delà : Yémen, Bahreïn, Syrie… Ce soulèvement populaire contre les dictatures répond désormais au doux nom de « printemps arabe » ; les Anglo-Saxons l’ont baptisé, eux, « réveil arabe »… ■

Depuis le 4 décembre 2010, dans un registre différent, mais simultanément, la Côte d’Ivoire a été le théâtre d’une sanglante épreuve de force que ni les Africains ni la communauté internationale ne sont parvenus à empêcher, ni même à circonscrire. Elle a atteint son paroxysme au 120 e jour avec l’intervention militaire des forces de l’ONU et de la France stationnées dans le pays ; le plus dramatique des épilogues va s’écrire sous les yeux des Ivoiriens et du reste du monde aux alentours et dans la résidence du président de la République ivoirienne, où s’est muré Laurent Gbagbo à partir du 6 avril (voir pp. 24 à 31). Dès demain, le pays de Félix Houphouët-Boigny, qui a connu depuis la mort de son premier président (en décembre 1993) une interminable suite de soubresauts, va pouvoir s’atteler – enfin – à panser ses blessures. Il faut espérer que les passions s’y apaiseront peu à peu pour que les Ivoiriens puissent se consacrer à la reconstruction de leur pays et s’employer à lui faire reprendre le chemin de la prospérité. Ils en ont grand besoin, et toute l’Afrique de l’Ouest aussi. ■

En Libye, l’épreuve de force continue de plus belle et la sortie de crise n’est sûrement pas pour demain. À mon avis, on passera par une séquence où l’on verra les fils Kaddafi s’écharper pour la succession de leur JEUNE AFRIQUE

père… avec zéro chance pour l’un ou l’autre d’entre eux d’obtenir l’héritage, en tout cas de le garder. ■

À ce stade, il me faut traiter du problème que nous pose l’intervention étrangère dans les affaires de notre continent. En Libye d’abord, en Côte d’Ivoire ensuite, sont en effet intervenus militairement et avec des moyens sophistiqués ceux qu’on appelle « les Occidentaux ». Pas tous et pas les mêmes dans les deux cas. Mais au moment choisi par eux, pour le temps et les missions qu’ils se sont fixés. Au lieu d’être accueillies avec faveur et même reconnaissance puisqu’elles sont utiles aux deux pays, effectuées à la demande des Nations unies et sur la base de résolutions votées par les pays africains et arabes, ces interventions ont suscité un malaise perceptible et même beaucoup de réactions hostiles. Avec des arguments que je rappelle ci-dessous et dont la portée est réelle. ■

Pourquoi cette hostilité déclarée à Laurent Gbagbo que les présidents français se transmettent l’un à l’autre ? s’interrogent ceux que révulse l’intervention française. Pourquoi vouloir tout d’un coup le départ de Kaddafi après l’avoir reçu avec faste et honoré de tant de visites ? demandent ceux qui rejettent les bombardements par l’Otan des troupes du dictateur libyen. Comment se fait-il que ces Euro-Américains soutiennent aujourd’hui des soulèvements populaires, après avoir si longtemps adoubé et protégé nos pires dictateurs ? De quel droit et selon quels critères choisissent-ils parmi nos dirigeants ceux qu’ils aident et pourquoi les suivrionsnous dans leur détestation d’un Mugabe, d’un Gbagbo ou d’un Kaddafi ? Peut-on croire qu’ils dépensent de l’argent en temps de crise économique, engagent des hommes et du matériel par altruisme, pour nous aider à nous libérer de nos tyrans ? Ceux-là mêmes qui n’avaient qu’égards et compliments pour Ben Ali, Moubarak, Assad et consorts sont-ils crédibles lorsqu’ils débordent de sympathie pour les jeunes N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


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Ce que je crois de Tunisie et d’Égypte qui ont chassé les deux premiers, pour le peuple de Benghazi en révolte contre Kaddafi ? Et ces agents de la CIA, de la DGSE, du MI6 ou du Mossad qui se sont répandus en grand nombre en Côte d’Ivoire et en Libye, que manigancent-ils ? Et que trament les services anglais et américains avec un Moussa Koussa, qu’ils ont absous de ses crimes et dont ils ont refait leur agent ? Comment croire qu’ils œuvrent dans l’intérêt de la nouvelle Libye en cajolant l’âme damnée de Kaddafi – « son bras droit et son bras gauche » – qu’a été ce Moussa Koussa pendant plus de vingt ans ? ■

Ces interrogations, et quelques autres, hantent l’esprit d’un grand nombre d’Africains et d’Arabes, heurtés par le spectacle d’avions et de navires euro-américains engagés en Libye et en Côte d’Ivoire. Leur oppose-t-on que, cette fois, c’est pour la bonne cause, ils répondent : peut-être, sans doute. Mais tout de même, cela reste en travers de la gorge. L’opération des Occidentaux, même si elle est souhaitée par beaucoup d’Africains et beaucoup d’Arabes, même si elle procède d’une bonne intention et profite aux pays concernés, souffre, en vérité, du plus lourd des héritages : les nombreuses interventions militaires qui l’ont précédée depuis plus d’un demi-siècle ont toutes été postcoloniales, agressives, destructrices. Il faut que ces Occidentaux comprennent et acceptent

la réaction de méfiance, voire de rejet, que suscitent leurs interventions militaires d’aujourd’hui et la façon dont ils sélectionnent nos dirigeants, répartis entre ceux qu’ils adoubent et ceux qu’ils récusent. ■

Quant aux Africains, aux Arabes et aux autres peuples de l’ancien tiers-monde, ils doivent, de leur côté, chercher et trouver la position juste, efficace, par rapport à l’Occident. Il n’est ni le diable ni le bon Dieu, ni malfaisant ni pervers par essence, ni, à l’inverse, généreux ou angélique par nature. Un intellectuel français qui se situe très à gauche, Alain Gresh, a balisé la voie en préconisant : « Ni contre l’Occident ni à son service. » Je nuancerai et compléterai ainsi : l’Occident n’est pas un, mais multiple ; ceux qui le constituent ne sont pas toujours bien intentionnés à notre égard, mais ils peuvent l’être, et il est de notre intérêt de faire en sorte qu’ils le soient et y trouvent leur compte. Riches et puissants, ils ont tendance à nous considérer comme d’infortunés et lointains cousins et à nous traiter comme tels. Alors ? Oui, ne soyons ni contre l’Occident ni à son service. Soyons les amis de ceux qui nous proposent une amitié entre égaux telle que définie par Talleyrand : « Les amis se conservent avec du soin, de la considération, des ménagements et des avantages réciproques… » ●

Humour, saillies et sagesse Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. Ð Le but n’est pas le but, c’est la voie. Lao-tseu Ð Seul un écrivain médiocre est toujours à son meilleur niveau. Somerset Maugham Ð Souvent, ceux qui sont au pouvoir se croient invulnérables. Françoise Giroud Ð Combien généreuse est la vie pour l’homme, mais combien l’homme se tient éloigné de la vie ! Khalil Gibran Ð Il ne sert à rien d’être jeune sans être belle, ni belle sans être jeune. La Rochefoucauld N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Ð Le patron, c’est à la sueur de son front qu’il crée son empire, l’ouvrier, c’est à la sueur sous les bras qu’il reste dans sa merde. Les Nouvelles Brèves de comptoir

Ð Un psychiatre est un monsieur qu’on paie très cher pour qu’il vous pose des questions qu’une femme nous pose, elle, gratuitement. Paul Guth

Ð Vous savez, les idées, elles sont dans l’air. Il suffit que quelqu’un vous en parle de trop près pour que vous les attrapiez ! Raymond Devos

Ð Quand on vole du miel, on supporte les piqûres d’abeilles. Proverbe africain

Ð Les moments les plus pénibles ne sont pas ceux que l’on passe avec des gens inintéressants, mais plutôt ceux passés avec des gens inintéressants qui font tout pour être intéressants. Nassim Nicholas Taleb

Ð Le père qui n’enseigne pas ses devoirs à son fils est autant coupable que ce dernier s’il les néglige. Philippe Bouvard Ð La modération est une qualité qu’il ne faut jamais pousser à l’extrême. Georges Elgozy JEUNE AFRIQUE


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Sommaire

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Éditorial

Marwane Ben Yahmed

Sarkozy et le casse-tête africain

L

A FRANCE, encore et toujours. Ses ingérences dans les affaires africaines, les arrière-pensées qu’on lui prête, ses amis dictateurs qu’elle jette comme des kleenex… Le débat fait rage et cristallise les passions. Les interventions militaires françaises, en Libye et surtout à Abidjan, choquent, voire révulsent nombre d’Africains. Comment ne pas entendre leurs voix et ne pas les comprendre ? La France traîne comme un boulet cette image de Machiavel occidental manœuvrant constamment pour défendre ses intérêts au détriment de ceux du continent. Le doute est donc plus que permis… Mais soyons clairs : le « coup de main » français à Alassane Ouattara (lire pp. 24-31), qui s’inscrit dans le cadre de la nouvelle doctrine onusienne visant à protéger les civils par tous les moyens – dont on ne sait pas très bien où elle commence ni où elle s’arrête –, était la moins mauvaise des solutions. On a suffisamment reproché à Paris, à juste titre, d’avoir laissé un génocide se dérouler au Rwanda, en 1994, ou de ne pas être intervenu pour mettre fin aux tueries pendant la guerre civile au Congo-Brazzaville, en 1997, pour ne pas examiner d’un œil objectif son immixtion dans la guerre que se livrent Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Fallait-il rester les bras croisés face au bain de sang qui se profilait ?

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N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

sur redaction@jeuneafrique.com

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SÉNÉGAL « Y’EN A MARRE! » Trois millions de personnes s’entassent à la périphérie de Dakar. Des quartiers délaissés par les pouvoirs publics, mais convoités par les partis traditionnels. Reportage.

PHOTOS DE COUVERTURES : AFP PHOTO/FETHI BELAID ; VINCENT FOURNIER ; OMAR SEFOUANE POUR J.A.

À son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy s’était évertué à rompre avec l’héritage Chirac. Une volonté patente, illustrée par le rapprochement, entre autres, avec le Rwanda ou l’Angola. Ce fut aussi le cas dans le dossier ivoirien. Sarkozy avait souhaité repartir d’un bon pied avec Laurent Gbagbo, qu’il a rencontré brièvement et auprès de qui il a dépêché ses hommes de confiance, Claude Guéant et Robert Bourgi en tête. Sarkozy, vieil ami de Ouattara, a longtemps pensé que ce dernier ne pourrait l’emporter, même si les sondages Sofres favorables à Gbagbo ne l’avaient pas vraiment convaincu. Pour ne rien gâcher, ce dernier, réputé, à tort, viscéralement anti-Français, ne s’est jamais opposé aux intérêts hexagonaux. Les « amis » de Sarkozy ne se sont d’ailleurs jamais aussi bien portés qu’avec le leader du FPI: Bolloré, Bouygues, Veolia, Vinci, France Télécom ou Total peuvent en témoigner… C’est donc plutôt l’impuissance ou l’inertie de l’Union africaine, de la Cedeao et de l’ONU qui ont incité Paris à monter en première ligne, visiblement à reculons. Et s’il en est un qui ne devait pas souhaiter cette intervention, c’est bien Ouattara lui-même, lequel arrive enfin au pouvoir dans des conditions calamiteuses, comme son adversaire, d’ailleurs, en 2000. Aujourd’hui, même si la responsabilité en incombe à Gbagbo, rien n’est réglé, surtout pas cette satanée succession d’Houphouët… Le plus dur ne fait que commencer. ●

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MIGRATIONS LES TUNISIENS SONT LIBRES... DE RESTER CHEZ EUX! L’arrivée massive de clandestins à Lampedusa inquiète les autorités européennes. Il est loin, le temps des réjouissances post-révolutionnaires.

03 08

Ce que je crois Par Béchir Ben Yahmed Confidentiel

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LA SEMAINE DE JEUNE AFRIQUE

10 14 16 18 19 22

Migrations Les Tunisiens sont libres… de rester chez eux ! Tour du monde Pétrole La « gabonisation » en marche Royaume-Uni Quatre Kényans contre l’empire Éthiopie Martiale rhétorique Haïti Ne l’appelez plus « Sweet Micky »

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G RA N D A N G L E

24

Côte d’Ivoire Gbagbo, fin de partie

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

32 35 36

Banlieues sénégalaises « Y’en a marre ! » Remaniement au Mali La surprise du chef Gabon Pierre Mamboundou, l’obsession du pouvoir Opinion Kaddafi et moi, par Yoweri Museveni Centrafrique Le dernier voyage de Patassé Polémique Un prince au Congo

39 40 41

JEUNE AFRIQUE


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LE PLUS

de Jeune Afrique

24

CÔTE D’IVOIRE Gbagbo, fin de partie Le plus dur commence pour Ouattara, son successeur : réconcilier un pays en guerre, divisé et traumatisé. GRAND AN ANGLE

Alger D Dans ttous ses états

LE PLUS ALGER, DANS TOUS SES ÉTATS • Du spleen à l’idéal ? • La baie en 2030 • Comment sauver la Casbah Spécial 16 pages.

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50

42

TUNISIE LES FEMMES, LES ISLAMISTES ET LA RÉVOLUTION Elles ont joué un rôle majeur mais s’inquiètent de voir leurs acquis remis en question.

42

MAGHREB & M OYE N - O R I E N T

42 46 47 48 50

Tunisie Touche pas aux droits de la femme Israël-Palestine Juliano Mer-Khamis, à la paix, à la mort Chiisme La leçon bahreïnie Syrie Bachar dos au mur Libye Qui sont les rebelles du CNT ?

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EUROPE, AMÉR I Q U E S, ASIE

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France La PME Hollande va son chemin Football Bin Hammam défie Blatter Espagne Gracias y adiós Opinion Merci, Aimé Césaire, par Ségolène Royal Parcours Abou Sofiane Lagraa, renouer avec l’Algérie Chine Le retour de Maître Kong États-Unis Grande Migration à l’envers

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LE PLUS DE J E U N E A FR I Q U E

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Alger Dans tous ses états

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ÉCONOMIE

82 86

Finance Après la crise, Ecobank à la relance Télécoms Bharti, un chantier de longue haleine

JEUNE AFRIQUE

88 90

ONS ABID

GABON MAMBOUNDOU, L’OBSESSION DU POUVOIR Après trois défaites à la présidentielle, il négocie aujourd’hui son entrée au gouvernement.

63

LIBYE QUI SONT LES INSURGÉS? Le Conseil national de transition rassemble des personnalités diverses venues de tous horizons, y compris d’anciens dignitaires de la Jamahiriya qui ont fait défection.

91 91 92 94 95

Maroc Le logement social, plan béton Automobile Deux joyaux de la couronne sauvés par Tata Motors Mines Le chinois Minmetals fond sur Equinox Analyse Le cycle de Doha tourne en rond Interview Herman Carpentier, Brussels Airlines Bourse CFAO navigue entre les crises Baromètre Assurances

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C U LT U RE & M ÉD IA S

96 98 100 102 104 106 120 120 122

Exposition Le dessous des cartes Documentaire Sur les traces des assassins de Kabila Tribune Abdou Diouf va-t-il sauver le cinéma africain ? par Ferid Boughedir Photographie Cotonou entre dans la danse En vue La semaine culturelle de J.A. Biographie Alioune Diop, vers l’homme universel VOUS & NOUS Le courrier des lecteurs Post-scriptum

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Confidentiel

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LE MÉMORIAL DU GÉNOCIDE RWANDAIS, inauguré le 9 avril à Cluny, dans l’est de la France.

France-Rwanda Juppé fait un geste

L

E PREMIER MÉMORIAL DU GÉNOCIDE des Tutsis du Rwanda érigé en France a été inauguré le 9 avril à Cluny, en Bourgogne, ville où a grandi Sonia Rolland, l’actrice et exMiss France, née de mère rwandaise et que l’on sait active dans l’humanitaire à Kigali, où elle a vu le jour. La commémoration du 17e anniversaire du génocide, à laquelle assistaient dans la capitale du Pays des Mille Collines les Français Bernard Kouchner (à titre privé) et François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’homme, a par ailleurs permis un certain dégel des relations entre Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, et l’exécutif rwandais – lequel avait vivement critiqué le retour au Quai d’Orsay d’un homme qui occupait le même poste lors des massacres de 1994. Dans une lettre remise à son homologue Louise Mushikiwabo via l’ambassadeur Zimeray, Juppé souligne que « la France se tient aux côtés des Rwandais et partage leur souffrance », qu’elle est « engagée dans le devoir de justice, de mémoire et de vérité, qui doivent aller de pair » et invite le président Paul Kagamé à se rendre en visite officielle à Paris – un projet qui avait été repoussé sine die suite à la nomination… d’Alain Juppé. Un message plutôt encourageant, mais qui reste loin du ton de Barack Obama, qui s’est adressé à Kagamé à cette même occasion. Le président américain félicite le Rwanda pour avoir publiquement approuvé l’intervention alliée contre Kaddafi et ne tarit pas d’éloges concernant « les efforts » de ce pays « pour améliorer le bien-être de ses citoyens, renforcer l’esprit de responsabilité et promouvoir la paix, la stabilité et le développement ». ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

PHOTOGRAPHIE ARTHUSBERTRAND À LIBREVILLE

D.R.

HENRI COLLOT/PANORAMIC

Ý L’ACTRICE SONIA ROLLAND : native de Kigali, l’ex-Miss France est très impliquée dans l’humanitaire au Rwanda.

Le photographe, reporter, documentariste et écologiste français Yann Arthus-Bertrand exposera le 5 juin une série de photographies dans le hall de l’Assemblée nationale gabonaise, à Libreville. Intitulée « Des forêts et des hommes », cette exposition est organisée par GoodPlanet, sa fondation, en partenariat avec l’ONG gabonaise Brainforest, fondée par Marc Ona Essangui. Il tentera de montrer aux Gabonais la variété, le rôle et les ressources des forêts du monde ainsi que les menaces auxquelles ces dernières – et leurs habitants – sont confrontées.

LE CHIFFRE QUI EN DIT LONG

181

C’est le nombre de personnes venues accroître la population indienne au cours de la dernière décennie, selon les chiffres du dernier recensement (2010). Les Indiens sont aujourd’hui 1,21 milliard, soit autant que les habitants des États-Unis, de l’Indonésie, du Brésil, du Pakistan et du Bangladesh réunis.

MILLIONS

NIGER L’« AMI » FRANÇAIS

Invité à l’investiture de Mahamadou Issoufou, le 7 avril, à Niamey : Arnaud Montebourg. Le député socialiste français, qui préside le conseil général de Saône-etLoire (Est), est depuis 2008 lié par un accord de coopération décentralisée avec la ville de Tahoua, fief du nouveau chef de l’État nigérien. Montebourg, qui a critiqué les tentatives de Mamadou Tandja de s’accrocher au pouvoir, n’hésite pas à parler d’Issoufou comme d’un « ami » JEUNE AFRIQUE


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Politique, Économie, Culture & Société

Guinée Quand Alpha rencontre Dadis ALPHA CONDÉ A FAIT ESCALE à Ouagadougou, quelques heures durant, le 7 avril, après avoir assisté à l’investiture du Nigérien Mahamadou Issoufou. Il y a rencontré Blaise Compaoré, son homologue burkinabè, mais aussi Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte au pouvoir à Conakry, à qui il a rendu visite dans la soirée, dans sa villa de Ouaga 2000… Dadis, qui semble penser que le chef de l’État guinéen ne montre que peu d’empressement à le faire rentrer au pays. ●

en septembre 2008 à l’issue d’un appel d’offres international) au profit de Bolloré Africa Logistics (BAL), a saisi le tribunal de Nanterre pour obtenir en référé une copie de la convention de concession signée, le 11 mars, entre BAL et l’État guinéen. Prévue le 7 avril, l’audience a été repoussée au 3 mai. Necotrans souhaite avoir la confirmation que son concurrent a de surcroît récupéré la gestion du port conventionnel (vrac, automobiles, etc.), qui ne figurait pas dans l’appel d’offres initial.

et se souvient que, depuis quelques années, ce dernier avait coutume de lui rendre visite lorsqu’il se rendait en France. Voici une « amitié » qu’il fait bon ménager. NUCLÉAIRE BILL GATES OPTIMISTE Commentaire de Bill Gates, le tycoon américain de l’informatique, après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon : « La situation est terrible, mais je suis persuadé que, dans six à neuf mois, nous serons en mesure de tirer les leçons de cette catastrophe difficilement prévisible et d’améliorer la conception des futurs réacteurs nucléaires », a-t-il confié à Jeune Afrique, lors de son récent passage à Paris pour promouvoir les activités de sa fondation. L’ancien patron de Microsoft, qui détient des parts dans TerraPower, une société qui s’efforce de développer des réacteurs nucléaires à bas coût, reste optimiste sur le futur du nucléaire civil.

Le groupe français Necotrans, qui a perdu la gestion du terminal à conteneurs du port de Conakry (obtenue JEUNE AFRIQUE

D’ordinaire, il ne manque jamais l’investiture d’un chef d’État de la sous-région, surtout s’il s’agit de l’un de ses voisins. Mais le président

CÔTE D’IVOIRE GUERRE DES AVOCATS

DéfenseurdeLaurentGbagbo, Me Jacques Vergès menace de porter plainte contre les responsables français – coupables à ses yeux de soutenir Alassane Ouattara – pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le président ivoirien sortant peut également compter sur le très médiatique Me Gilbert Collard, qui dénonce sur son blog le « silence assourdissant », selon lui, de la communauté internationale sur les massacres de civils dont se seraient rendues coupables, à Duékoué, les forces du président élu. De leur côté, les avocats d’AD O, M es Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoit, ont adressé, début mars, un mémorandum à la Cour pénale internationale afin que celle-ci ouvre une enquête sur les crimes commis par le camp Gbagbo.

RFI NDAYISHIMIYE À ABIDJAN

Correspondant de Radio France Internationale (RFI) à Abidjan depuis trois ans, Norbert Navarro a rejoint début avril la rédaction parisienne. Il sera remplacé, en septembre, dans la capitale économique ivoirienne par Stanislas Ndayishimiye. Le poste est évidemment très sensible. On se souvient qu’en 2003 la station avait fermé son bureau régional à Abidjan après la mort du journaliste Jean Hélène, tué d’une balle dans la tête par un policier. ALGÉRIE LES CIVILS EN RENFORT

Pour sécuriser la frontière avec la Libye, le gouvernement algérien a renforcé son déploiement militaire dans le sud-est du pays, où se trouvent les principaux gisements pétroliers.Apparemment,c’est insuffisant. Ordre a donc été donné d’associer les populations locales à la surveillance de la zone, notamment en ce qui concerne les mouvements de véhicules suspects. C’est dans cet objectif – éviter toute infiltration d’éléments armés en provenance de la Libye et du Niger – que Dahou Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur, s’est rendu, le 6 avril, à In Guezzam, poste-frontière avec le Niger, pour tenter de convaincre les tribus nomades.

LE PARCOURS À L’HONNEUR

TÉVOÉDJRÈ DÉCORÉ PAR HESSEL VINCENT FOURNIER/J.A.

PORT DE CONAKRY LE BRAS DE FER CONTINUE

BURKINA PRUDENT, BLAISE RESTE À LA MAISON

burkinabè n’est allé ni à PortoNovo, le 6 avril, ni à Niamey, le lendemain, pour les investitures du Béninois Boni Yayi et du Nigérien Mahamadou Issoufou. Prudemment, Blaise Compaoré a préféré rester à Ouagadougou. Preuve que la crise dans les casernes et les universités du Burkina n’est sans doute pas terminée. Et que l’issue de la bataille d’Abidjan le préoccupe au plus au point.

Le 23 mai à Paris, le médiateur de la République du Bénin, Albert Tévoédjrè, sera élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur, l’une des plus hautes distinctions françaises. C’est son vieux complice genevois, l’ex-ambassadeur de France Stéphane Hessel (Indignez-vous !, éditions Indigène, 2010, 300 000 exemplaires vendus), qui lui remettra les insignes. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


La semaine de Jeune Afrique

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Les Tunisiens de rester

ROCCO RORANDELLI/ PICTURETANK

MIGRATIONS

chez

AU PORT DE LAMPEDUSA, ces clandestins attendent leur départ pour la Sicile, le 27 mars. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


L’événement

libres... eux!

sont

Après la révolution, l’afflux massif de candidats au départ provoque des réactions différentes en Europe. Certains optent pour le dialogue, d’autres pour la surenchère électoraliste.

P

à Tunis

lus de 250 des 300 clandestins qui tentaient d’atteindre, le 7 avril, l’île de Lampedusa ne verront jamais cette terre promise. Ils ont rejoint les innombrables anonymes engloutis paruneMéditerranéepeuclémente. Ce naufrage, fait divers hélas banal, ne fait que peu de remous au regard de l’afflux de migrants sur les côtes italiennes, consécutif à la révolution tunisienne et aux affrontements en Libye. Jusqu’à présent, les autorités de la péninsule pouvaient compter sur la coopération des gouvernements de ces deux pays pour endiguer les tentatives d’immigration clandestine, mais depuis la chute de Ben Ali, le 14 janvier, la surveillance du littoral par les autorités tunisiennes s’est relâchée. Résultat : en deux mois, plus de 20 000 personnes, faisant fi de conditions météorologiques aléatoires – les embarcations attendaient d’habitude la belle saison pour tenter de passer entre les mailles du filet des gardes-côtes italiens –, ont gagné cette antichambre de l’Europe. Des arrivées massives qui déstabilisent cette petite île (20 km2) où vivent 5 000 habitants, et qui dépassent de loin la capacité du centre d’accueil local, conçu pour 850 personnes. Beaucoup des nouveaux arrivants tunisiens sont très jeunes, parfois mineurs. Ils quittent un pays où ils n’ont guère de perspectives d’avenir. Mais d’autres fuient le pays par crainte de représailles : ce sont les seconds couteaux de l’ancien régime, rouages anonymes de la machine répressive de la dictature. Tous débarquent à Lampedusa, entretenant la crainte européenne d’un raz-de-marée d’indésirables. Et les images du centre d’accueil de l’île au bord de l’implosion et de pauvres hères exténués à la mine patibulaire, relayées par les médias, épouvantent l’opinion publique, de la péninsule jusqu’à l’Hexagone. JEUNE AFRIQUE

CHARLES PLATIAU/REUTERS

FRIDA DAHMANI,

« Ni l’Italie ni la France n’ont vocation à accueillir les migrants tunisiens. » CLAUDE GUÉANT, ministre français de l’Intérieur, le 8 avril, à Milan

De fait, face à cette crise, le ministre italien de l’Intérieur, Roberto Maroni, a été rejoint en première ligne par Claude Guéant, son homologue français. Mais leur souci n’est pas humanitaire. Le 8 avril, les deux pays ont « décidé d’un commun accord d’organiser des patrouilles communes sur les côtes tunisiennes […] pour bloquer les départs ». « Ni l’Italie ni la France n’ont vocation à accueillir les migrants tunisiens », a estimé Claude Guéant. Pourtant, elles s’étaient émues de la détresse de Mohamed Bouazizi, contraint de gagner sa vie comme marchand ambulant malgré ses diplômes, dont l’immolation, le 17 décembre 2010, et avait provoqué le soulèvement populaire tunisien. Coïncidence ou volonté politique ? La France et l’Italie avaient figuré parmi les derniers pays européens à exprimer leur soutien à la révolution tunisienne. Les liens étroits savamment tissés avec l’ancien régime leur ouvraient l’accès à des marchés lucratifs et leur permettaient de contrôler les tentatives migratoires à la source. Aujourd’hui, les gouvernements français et italien, tous deux en période préélectorale, s’accordent pour refuser d’accueillir des immigrés. Mais leurs approches sont très différentes. PERMIS DE SÉJOUR. En bon manager, Berlusconi,

après avoir fait mine de s’indigner lors de sa visite à Lampedusa, a ouvert des négociations avec le gouvernement transitoire de Tunis. En visite dans la capitale le 4 avril, il s’est engagé à régulariser 22000 Tunisiens en situation irrégulière en échange du rapatriement systématique des occupants du centre d’accueil de Lampedusa et à apporter une aide logistique aux gardes-côtes tunisiens. Les débats se poursuivent sur ce sujet brûlant de part et d’autre de la Méditerranée. En misant ainsi sur le dialogue, le chef de l’exécutif italien fait d’une pierre deux coups; il consolide la position italienne comme partenaire de la Tunisie et s’attire les bonnes grâces de l’Union européenne, qui lui reprochait sa politique protectionniste en matière de réfugiés. En effet, l’état d’urgence étant toujours en vigueur en Tunisie, ceux qui fuient le territoire pourraient être considérés comme des réfugiés. Or, si elle est une porte d’entrée dans l’Europe, l’Italie décourage les demandeurs d’asile. En 2010, 15 100 migrants ont déposé un dossier (soit 40 pour 1 million d’habitants, contre 260 aux Pays-Bas). ●●● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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La semaine de J.A. L’événement

EMILIO MORENATTI/AP/SIPA

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DES GHANÉENS FUYANT

LA LIBYE arrivent dans Mais en accordant aux migrants un permis de un camp de réfugiés à séjour provisoire leur permettant de se déplacer Ras el-Jdir, en Tunisie. dans l’espace Schengen, l’Italie s’attire les foudres de la France, qui soutient être la destination finale de la majorité des clandestins tunisiens. Pour circuler « à l’intérieur de l’espace Schengen, il ne suffit pas d’avoir une autorisation de séjour » dans l’un des États membres, « encore faut-il avoir des documents d’identité et, surtout, justifier de ressources », a signalé Claude Guéant. S’il affiche aujourd’hui son inquiétude, le gouvernement français a mis un certain temps à se saisir du dossier. Il a fallu la visite, très médiatisée, de Marine Le Pen La politique arabe de à Lampedusa, le 14 mars, pour la France est de plus faire de la récente vague d’immigration un problème prioritaire en plus controversée. pour les autorités, mais surtout pour l’UMP (majorité), qui n’a qu’une idée en tête : les élections de 2012. Claude Guéant a alors endossé son armure et est parti en campagne pour défendre l’intégrité du territoire français. « La France se réjouit que la Tunisie entre dans une ère de liberté et de démocratie, mais elle n’entend pas subir une vague d’immigration de Tunisiens justifiée strictement par des considérations économiques », a-t-il martelé.

ont été jugées scandaleuses. « Que Claude Guéant en soit réduit à s’immiscer dans la liberté de pratique d’un culte révèle la grande confusion de la classe politique française, qui prend ainsi des positions scandaleuses, voire ubuesques, pour un pays laïc, affirme ainsi un proche du gouvernement tunisien. Il est étonnant que les Français ne réagissent pas vraiment aux propos xénophobes d’un ministre de l’Intérieur, censé défendre les valeurs républicaines. » Par ses déclarations tapageuses, Guéant cherche sans nul doute à récupérer la sympathie d’un certain électorat qui, après avoir contribué à la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, s’en est détourné au cours du quinquennat. Mais ce mélange des genres ternit singulièrement l’image de la France, dont la politique étrangère en direction des pays arabes est de plus en plus controversée.

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DÉRAPAGES VERBAUX. Hasard du calendrier,

cette prise de position intervient peu de temps après une autre petite phrase du ministre de l’Intérieur, qui a provoqué un tollé. Il avait affirmé que « l’accroissement du nombre de fidèles musulmans et un certain nombre de comportements [posaient] problème ». Une déclinaison toute personnelle sur un thème classique des périodes préélectorales – en 2007, le candidat Sarkozy avait pointé « le trop grand nombre de musulmans en Europe », dans une déclaration passée inaperçue. Quatre ans après, l’immigré arabe demeure le grand méchant loup du débat politique. En Tunisie, ces déclarations de « l’ami français » N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

REFUS DES CONSÉQUENCES. À Tunis, nul n’est

dupe. On estime que la politique arabe de la France est en berne, voire incohérente. « Il ne faut pas se leurrer, tous les ministres français qui sont venus depuis le 14 janvier veulent juste nous vendre leurs produits. La France nous reprochait le non-respect des libertés et des droits de l’homme. Maintenant que nous les avons conquis, elle en refuse une des conséquences », déplore l’opinion publique. Certains trouvent franchement ridicules les remarques de Claude Guéant sur les prières dans les rues. « Bien sûr, cela fait désordre ! Il suffirait, comme nous l’avons fait ici, d’un arrêté municipal pour régler ce qui est une simple question d’ordre public, plutôt que de l’instrumentaliser et de se mettre à dos les Français d’origine maghrébine, qui constituent aussi un électorat potentiel, analyse un journaliste tunisien. On peut se demander si, pour devenir citoyen du pays des droits de l’homme ou y résider, il faudra bientôt renoncer à sa foi et s’engager à gommer ses valeurs, à devenir invisible. » Le premier dommage collatéral de cette énième bourde française est la perte de crédibilité de Paris auprès des démocraties arabes naissantes. ●

TERMINUS DES OPPRIMÉS À L’HEURE OÙ LA FRANCE ET L’ITALIE veulent rapatrier les clandestins tunisiens débarqués à Lampedusa, laTunisie, en dépit d’une situation interne encore instable, a accueilli, depuis début mars, près de 90 000 réfugiés en provenance de Libye. Elle s’est mobilisée pour éviter une crise humanitaire, mettant à contribution aussi bien son armée que sa société civile, en attendant l’aide de pays amis et celle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), arrivées dans un second temps. « L’afflux massif de réfugiés venus de Libye est un problème de plus, mais nous faisons notre devoir », a déclaré Béji Caïd Essebsi, Premier ministre du gouvernement de transition tunisien. Le contraste avec l’Europe est saisissant. ● F.D. JEUNE AFRIQUE


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La semaine de J.A. Tour du monde KAZAKHSTAN

ITALIE

Mascarade

Le procès qui n’aura jamais lieu

IL A FAIT ENCORE MIEUX – ou pire – qu’en 2005. Avec 95,5 % des suffrages exprimés, le président Noursoultan Nazarbaïev (70 ans) a été triomphalement réélu, le 3 avril, à la présidence du Kazakhstan. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) déplore de « graves irrégularités » dans le déroulement d’un scrutin que l’opposition, qui l’a boycotté, qualifie pour sa part de « farce ».

À

peine ouvert, le 6 avril, le procès de Silvio Berlusconi, accusé de relations sexuelles avec une prostituée mineure – la célèbre Karima El Mahroug, alias « Ruby » – et d’abus de pouvoir, a été reporté au 31 mai. En théorie, le président du Conseil risque de lourdes peines de réclusion. En fait, son procès n’aura sans doute jamais lieu. Le 8 avril, la Chambre des députés, dominée par ses amis, a adopté une motion demandant à la Cour constitutionnelle de dessaisir de l’affaire le tribunal pénal de Milan au profit d’un « tribunal des ministres », ce qui aurait pour effet d’annuler toute la procédure en cours. De manœuvres dilatoires en tractations oiseuses, le « Rubygate » a donc toutes les chances de s’enliser dans les sables mouvants. Et si, par miracle, la procédure arrivait à son terme, il faudrait encore que le Parlement donne son feu vert à la convocation du tribunal des ministres. Vous avez dit impunité ? ●

LE CHIFFRE

2

MILLIARDS

C’EST LE NOMBRE DE TÉLÉSPECTATEURS ATTENDUS pour le « mariage du siècle » entre le prince William, numéro deux dans l’ordre de succession au trône d’Angleterre, et Kate Middleton, le 29 avril, à l’abbaye de Westminster. Plusieurs centaines de chaînes retransmettront l’événement.

AFGHANISTAN

Pasteur pyromane

CUBA

Le bébé et l’eau du bain

AHMAD MASOOD/REUTERS

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MANIFESTATION ANTIAMÉRICAINE à l’université de Kaboul, le 5 avril. IL A SUFFI DE LA PROVOCATION D’UN IMBÉCILE – l’autodafé d’un exemplaire du Coran par le pasteur évangélique Terry Jones, le 20 mars, en Floride – pour qu’aussitôt l’Afghanistan s’embrase. De Mazar-e Charif (Nord) à Kandahar (Sud), au moins vingt-quatre personnes, dont sept employés onusiens, ont été N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

tuées, début avril, dans des manifestations d’une extrême violence, organisées par des fondamentalistes musulmans. Hamid Karzaï a demandé à Barack Obama de condamner le geste « obscène » du pasteur, ce que son interlocuteur s’est empressé de faire, sans réussir à apaiser les esprits.

MAINTES FOIS REPORTÉ, le 6e Congrès du Parti communiste se tiendra du 13 au 19 avril. Il sera consacré à l’économie, ce qui se conçoit : après plus d’un demi-siècle d’incurie, celle de Cuba est à l’agonie. Depuis l’effacement relatif de Fidel Castro (84 ans), Raúl, son frère, a engagé de prudentes mais douloureuses réformes, qu’il s’agira donc de confirmer et, peut-être, d’amplifier, mais sans remettre en question le régime lui-même. L’objectif est en somme de ne pas jeter le bébé (castriste) avec l’eau du bain (communiste et bureaucratique). La direction devrait être assez largement renouvelée lors d’une conférence nationale qui se tiendra au cours du second semestre. JEUNE AFRIQUE


ARRÊT SUR IMAGE

JACQUES WITT • AFP

FRANCE

Césaire au Panthéon NUL NE SAIT CE QU’IL EN AURAIT PENSÉ, mais les faits sont là : le 6 avril, Aimé Césaire, le grand poète martiniquais disparu en 2008, est entré au Panthéon, sanctuaire de ceux que la France considère comme ses fils les plus illustres. C’est la reconnaissance officielle d’un homme de convictions, rebelle à toute compromission, dont le combat pour son peuple n’avait qu’un but : l’accomplissement de l’homme (lire aussi p. 59).

CHINE

Artiste à l’ombre

ARCHITECTE internationalement reconnu (il fut le conseiller artistique du cabinet suisse chargé de la construction du stade olympique de Pékin), Ai Weiwei a été arrêté le 3 avril à l’aéroport international de la capitale chinoise, alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Hong Kong. Une enquête a été ouverte contre lui pour « crimes économiques » – ironie qui n’a sans doute rien d’involontaire puisque l’artiste qualifie volontiers certains caciques du régime de « gangsters ». Ai Weiwei, dont on est à ce jour sans nouvelles, est le fils du poète Ai Qing, lui-même persécuté pendant la Révolution culturelle. ÉTATS-UNIS

Exception

PROMESSE DE CAMPAGNE non tenue pour Barack Obama. Le président américain n’est pas

JEUNE AFRIQUE

parvenu à surmonter l’opposition républicaine et à imposer que les responsables présumés des attentats du 11 Septembre soient jugés par un tribunal de droit commun, à New York. Khaled Cheikh Mohammed et ses quatre coïnculpés le seront donc par un tribunal militaire d’exception, sur la base navale de Guantánamo, à Cuba. Ce dernier a été autorisé à prendre en compte certaines déclarations faites sous la contrainte, et certaines preuves non confirmées par un témoin. GUATEMALA

Divorcer pour mieux régner QUITTER SON PRÉSIDENT de mari pour lui succéder en 2012. C’est le stratagème imaginé par Sandra Torres, l’épouse d’Álvaro Colom, chef de l’État guatémaltèque depuis huit ans. La Constitution de ce pays interdisant en effet à tout

membre de la famille d’un président de lui succéder, elle est résolue à sacrifier son couple pour « se marier avec le peuple ». Le 4 avril, un groupe d’avocats a déposé un recours devant la Cour suprême. ALLEMAGNE

Les hasards de l’adoption GUIDO WESTERWELLE a annoncé le 3 avril son intention de renoncer à ses fonctions de vicechancelier et de président du FDP, le parti libéral associé à la CDU au sein de la coalition au pouvoir. Il souhaite, en revanche, conserver son poste ministériel, alors qu’il est le chef de la diplomatie le plus contesté depuis bien longtemps. Pour le remplacer, le FDP a choisi Philipp Rösler (38 ans), un chirurgien, qui, comme son nom ne l’indique pas, est né au… Vietnam, où, orphelin, il a été adopté à l’âge de 9 mois par un couple d’Allemands. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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WILFRIED MBINAH/AFP

Ý UNE STATIONSERVICE de Libreville, le 5 avril, jour de la reprise du travail et des livraisons de carburant.

Pétrole La «gabonisation» en marche

Au terme d’une grève lancée par le syndicat majoritaire, l’État s’est engagé à mieux contrôler le recours aux travailleurs étrangers. Et menace d’expulser les employés en situation irrégulière.

A

vis de gros temps pour les salariés étrangers du secteur pétrolier gabonais. Certains pourraient être rapatriés dans les semaines à venir, au frais du pays d’Ali Bongo Ondimba. C’est la menace que fait planer l’accord conclu entre le gouvernement et l’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep), mettant fin à une grève de quatre jours. Le mouvement, qui a déclenché des pénuries de carburant dans la capitale, Libreville, a fait perdre, selon l’Onep, 60 milliards de F CFA (plus de 91 millions d’euros) à l’État et aux compagnies pétrolières. Le syndicat majoritaire du secteur – avec 4 000 adhérents sur un total d’environ 8 000 employés – réclamait l’application d’une disposition votée en octobre : la « gabonisation » des effectifs. Dans le procès-verbal de conciliation, signé dans la soirée du 4 avril et dont

Jeune Afrique a eu copie, l’État s’engage à prendredesmesurespourmieuxcontrôler l’emploi d’expatriés. Étrangers surpayés par rapport à des Gabonais au profil comparable, absence de transfert de compétences, recours à des sociétés de services dirigées par des « amis » sont autant de griefs. Le gouvernement a donc demandé aux trente-six sociétés pétrolières opérant dans le pays de recenser avant le 8 avril tous leurs employés étrangers. La liste sera étudiée par le cabinet d’Angélique Ngoma, ministre du Travail, pour débusquer d’éventuelles infractions. Parmi les 3 000 employés non gabonais du secteur, quelque 1 300 ne respecteraient pas le règlement, qu’il s’agisse de la limite d’âge (60 ans), ou plus simplement du renouvellement des visas. « Cela apparaît un peu comme une chasse à l’étranger, mais nous voulons simplement mettre de l’ordre », explique

Séverin Poaty, responsable juridique de l’Onep. À travers ces revendications, le syndicat attaque un gouvernement accusé depuis longtemps de privilégier l’intérêt des entreprises au détriment de l’emploi local. « L’État est déterminé à mettre fin à ces situations, assure une source gouvernementale. Les contrevenants sont identifiés depuis longtemps. »

DURCISSEMENT DES RÈGLES. Du côté des entreprises, on avance à pas feutrés. Il s’agit surtout de ne pas vexer un syndicat puissant et connu pour sa susceptibilité. Si toutes assurent respecter la loi et ne pas se sentir menacées dans l’immédiat, elles s’attendent cependant à un durcissement des règles de recrutement et d’obtention de visas. « Les sociétés de services risquent d’être fortement impactées car elles ont besoin de beaucoup de compétences », pense Jean-François Hénin, PDG du groupe français Maurel & Prom. Ce point n’est pas oublié par l’accord conclu entre l’État et l’Onep, qui entérine notamment la refonte de l’Office national de l’emploi (ONE). Tombé en désuétude faute de moyens, cet organisme a pour mission première de dénicher des Gabonais dont le profil correspond aux besoins du marché. S’il n’y parvient pas, il est chargé de fournir les « autorisations de carence », sésames pour qui veut employer un étranger. Un procédé qui était devenu « anarchique », assure l’Onep. La volonté de serrer la vis est manifeste. Pour autant, l’État mettrat-il à exécution sa menace d’expulsion ? « Si les sociétés ne jouent pas le jeu », la police pourrait intervenir dans les semaines qui viennent, « dans le respect de la dignité humaine », assurent les autorités. ● MICHAEL PAURON

À SUIVRE LA SEMAINE PROCHAINE

25 AVRIL

18 AVRIL

Après s’être déclaré compétent pour juger du caractère raciste de la BD Tintin au Congo, le tribunal de première instance de Bruxelles doit déterminer le calendrier des débats. N 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011 O

VINCENT FOURNIER/J.A.

Le président Idriss Déby Itno brigue un quatrième mandat dans cette élection reportée deux fois. Face à lui, entre autres, Saleh Kebzabo et Wadal Abdelkader Kamougu.

25 AVRIL

Lors de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, l’OMS mettra l’accent sur les progrès déjà réalisés, afin d’encourager de futurs investissements. JEUNE AFRIQUE


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La semaine de J.A. Décryptage

Royaume-Uni Quatre Kényans contre l’empire Victimes de la répression coloniale contre les rebelles mau-mau, ces ex-détenus demandent réparation.

N

diku Mutua est kényan. Il a 78 ans. En 1957, il a été arrêté pour avoir fourni de la nourriture à la rébellion mau-mau. Prisonnier, il a été battu, déshabillé, menotté et castré. Paulo Nzili a 83 ans. Après son arrestation en 1957, il a reçu des coups de bâtons tous les jours – et on lui a arraché le sexe avec des tenailles. Wambugu wa Nyingi a 82 ans : resté neuf ans en prison, il a été battu jusqu’à perdre conscience et a vu seize de ses compagnons de cellule tabassés à mort. Jane Muthoni Mara, 71 ans, a été torturée, fouettée, abusée… Susan Ngondi, elle, ne connaîtra jamais l’issue de l’action en justice que ces Kényans ont entreprise à l’encontre du gouvernement britannique: elle est morte avant l’ouverture du procès, ce 7 avril, devant la Haute Cour de justice de Londres. ARCHIVES DÉVOILÉES. Face aux atrocités

évoquées par les plaignants, les avocats du Foreign Office campent sur une position simple. Pour eux, la responsabilité juridique de l’ancien pouvoir colonial a été transférée au gouvernement kényan après l’indépendance du pays, en 1963. Il

discrètement rapportées au Royaume-Uni en 1963 ont été versées au dossier. Elles permettront de mieux connaître le conflit sanglant qui opposa, entre 1952 et 1960, l’administration coloniale à un mouvement indépendantiste kikuyu plus radical que l’Union africaine du Kenya (KAU) de Jomo Kenyatta. Et peut-être de préciser le nombre de victimes. Les chiffres officiels fontétatde11000mortscôtéMau-Mau–et 32 côté colons –, les plus hautes estimations dépassent les 50000… La répression fut particulièrement brutale. Quoi qu’il en soit, pour les avocats Ý PAULO NZILI, du cabinet Leigh Day & l’un des Co, qui représente les plaignants, plaignants, ce procès est devant la Haute Cour «uneopportunitépourle de justice gouvernement britannide Londres, quedeseréconcilieravec le 7 avril. le passé et de présenter des excuses aux victimes et au peuple du Kenya ». « Je veux la justice pour mourir en paix », affirme de son côté Wambugu wa Nyingi. Quelque 1400 détenus kényans de l’époque sont encore vivants. S’il présente in fine ses excuses aux Kényans et si d’autres archives secrètes voient le jour, le Royaume-Uni devra sans doute faire acte de contrition auprès des Chypriotes, des Malaisiens, des Nigérians et des Palestiniens. Le Premier ministre David Cameron pourrait s’y résoudre. N’a-t-il pas reconnu, lors d’une visite au Pakistan le 5 avril, que les Britanniques étaient « responsables » d’un « grand nombre de problèmes dans le monde » ? ●

LEFTERIS PITARAKIS/AP/SIPA

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n’empêche: pendant plus d’une semaine, les exactions britanniques en Afrique de l’Est seront largement évoquées. Les historiens peuvent déjà se réjouir. L’affaire a en effet permis la découverte, dans les archives du Foreign Office, de documents que l’on pensait perdus. Des pièces

NICOLAS MICHEL

LE DESSIN DE LA SEMAINE

Glez ÉTATS-UNIS RÉCIDIVISTE

LE 4 AVRIL, Barack Obama, 49 ans, a annoncé qu’il serait candidat à la présidentielle de 2012. « J’ai un peu vieilli, j’ai pris des cheveux blancs, des poches sous les yeux, et mon apparence juvénile s’est sans doute quelque peu estompée, a-t-il plaisanté le lendemain. Il y a cependant une chose que je n’ai jamais perdue, c’est ma croyance en vous. » « Et mon sens de l’humour », aurait-il pu ajouter. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


ILS ONT DIT

«

Sénégal Bientôt les visas chez nombre de ses voisins. Mais les brimades subies par ses citoyens demandant un visa auprès des ambassades occidentales et le souverainisme d’une partie de la classe politique semblent désormais primer sur les intérêts économiques. Si la mesure est accueillie avec satisfaction par la population, ce n’est pas le cas dans le secteur touristique. Mamadou Racine Sy, patron des hôteliers, craint qu’elle ne détourne les touristes vers l’Afrique du Nord : « Les gens décident de plus en plus de leur destination au dernier moment. Avec les délais d’obtention d’un visa, son coût, ils vont privilégier les destinations plus faciles. » ●

RAMA YADE Ambassadrice de la France auprès de l’Unesco

« Si l’Égypte ou la Tunisie ont réussi à renverser les gangsters de leur gouvernement, c’est que les gens sont informés, éduqués, voilà la différence. Au Nigeria, l’école et les études sont bien trop chères. » SEUN KUTI Chanteur nigérian

MALIKA GROGA-BADA

Éthiopie Martiale rhétorique LE PREMIER MINISTRE ÉTHIOPIEN MÉLÈS ZENAWI EST FÂCHÉ. Très fâché. Alors qu’il s’apprête à fêter, le 28 mai, son vingtième anniversaire à la tête de l’État, certains de ses compatriotes souhaiteraient qu’il « dégage » – et l’écrivent sur leur profil Facebook : « Beka ! » (« Ça suffit ! »). L’Éthiopie étant voisine du Yémen, de Djibouti et de l’Égypte, le mouvement est à prendre au sérieux. Furieux, Zenawi tente de détourner l’attention. Le 5 avril, au Parlement, il a été interpellé par l’unique député de l’opposition, Girma Seifu Maru, à propos de l’arrestation de militants du Medrek, l’alliance à laquelle ce dernier appartient. La réponse a été cinglante : Zenawi a accusé cette coalition, et plus particulièrement l’Union pour la démocratie et la justice, de servir de « couverture » à des membres du Front de libération Oromo. FACE À L’ÉRYTHRÉE. Dans la foulée, il a annoncé que la politique éthiopienne vis-à-vis du voisin érythréen allait changer. « Jusqu’à présent, notre stratégie a été de défendre notre souveraineté en accélérant notre développement. Nous estimons aujourd’hui que nous ne pouvons plus nous contenter de cette défense passive. […] Nous devons aider le peuple érythréen à renverser la dictature », a affirmé Zenawi. « Nous n’avons pas l’intention d’envahir ce pays, mais nous devons y étendre notre influence », a-t-il précisé. Le Premier ministre a aussi accusé l’Égypte d’être une puissance déstabilisatrice soutenant l’Érythrée et opposée au projet de barrage sur le Nil bleu… Un discours martial que Girma Seifu Maru relativise : « Nous ne le prenons pas trop au sérieux, dit-il. Le Premier ministre veut surtout apparaître comme un rempart. » ● NICOLAS MICHEL JEUNE AFRIQUE

Cela fait trente ans que les Français subissent la crise. Le serrage de ceinture ne peut servir d’horizon permanent. On ne construit pas l’avenir d’une société sur le découragement. »

«

Nous ne pouvons pas rester indifférents, nous avons 800 km de frontière avec la Syrie. J’ai conseillé au président Bachar al-Assad d’écouter les revendications de son peuple. » RECEP TAYYIP ERDOGAN Premier ministre turc

« En Italie, la situation est catastrophique. Que voulez-vous faire dans un pays où le ministre des Finances dit : “La culture ne fait pas manger” ? » DANIEL BARENBOÏM Chef d’orchestre et pianiste

«

Nos concitoyens musulmans payent pour l’entretien des cathédrales. Il faut trouver des solutions pour contribuer à résoudre le problème des lieux de culte. » EVA JOLY Députée européenne (sur la laïcité et l’islam en France) N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

ERIC GAILLARD/REUTERS/STEPHANE MAHE/REUTERS/OSMAN ORSAL/REUTERS

A B D O U L AY E WA D E Y TENAIT. C’est désormais (presque) une réalité. Le 5 avril, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, a annoncé que son pays appliquerait la réciprocité des visas d’ici « 30 à 45 jours ». Les ressortissants d’États exigeant des Sénégalais un visa devront s’en procurer un pour entrer au pays de la Teranga. Prix du sésame : entre 80 et 120 euros. Avec plus de 400 000 touristes par an, la manne pour Dakar pourrait avoisiner les 26 à 39 milliards de F CFA (40 à 60 millions d’euros). Pour ne pas décourager ces visiteurs, le Sénégal a longtemps hésité à adopter cette mesure, déjà en vigueur

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La semaine de J.A. Décryptage

Retrouvez l’interview vidéo de Bill Gates : « Les pays riches ont été généreux. Ils voudraient avoir un retour sur le succès de ces opérations. »

SONDAGE Le débat sur la laïcité et l’islam organisé par l’UMP en France est : 1. Utile et légitime 13 % 2. Nauséabond et dangereux 66 % 3. Intéressant mais pas en période électorale 21 % 2 1

3

(365 votes*) Sans surprise, une majorité écrasante d’entre vous regrette l’utilisation politique d’une « réflexion » sur la deuxième religion de France. CETTE SEMAINE SUR LE SITE :

Les forces de l’ONU devaientelles intervenir militairement contre Gbagbo ? À LIRE AUSSI : Comment ATT a nommé la première Malienne chef du gouvernement.

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

HO NEW/REUTERS

VINCENT FOURNIER/J.A.

JEUNEAFRIQUE.COM

* SONDAGE RÉALISÉ AUPRÈS DES INTERNAUTES DE JEUNEAFRIQUE.COM ENTRE LE 31 MARS ET LE 7 AVRIL 2011

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L’ACTRICE DANS UN CAMP DE RÉFUGIÉS DE RAS EL-JDIR, près de la frontière entre la Tunisie et la Libye, le 5 avril. Sur son bras, un nouveau tatouage…

People Angelina, le Maghreb et les tatouages PENDANT QUARANTEHUIT HEURES, le Maghreb a frémi pour Angelina Jolie. Ambassadrice de bonne volonté du HautCommissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’actrice américaine s’est rendue le 5 avril à la frontière tunisienne pour rencontrer des réfugiés libyens et subsahariens – dont 177 ont pu regagner leur pays d’origine grâce à un avion affrété par la Fondation Jolie-Pitt. Acclamée par une foule agitée, c’est sous escorte militaire tunisienne qu’elle a visité le camp de Choucha à Ras el-Jdir – en débardeur. Elle a alors laissé voir sur son bras gauche un tout nouveau tatouage au bas des six lignes de coordonnées géographiques qui indiquent les lieux de

naissance de ses enfants : le Cambodge pour Maddox, 9 ans ; le Vietnam pour Pax, 7 ans ; l’Éthiopie où Zahara, 6 ans, a vu le jour ; la Namibie de Shiloh, 4 ans ; et la France pour Vivienne et Knox, ses jumeaux de 2 ans. Et le nouveau ? Sur la photo, on ne distinguait que 35° Nord (la longitude est invisible). Les tabloïds anglo-saxons ont aussitôt cru confirmés un engouement soudain de Jolie, 35 ans, pour le Maghreb… et l’adoption d’un septième enfant, algérien ! Mais à y regarder de plus près, l’encre indiquerait N 35°10’44 : un hommage à Brad Pitt, son mari – né aux États-Unis, dans le nettement moins oriental Oklahoma… ● CONSTANCE DESLOIRE

Aide Gonflette à la française À PREMIÈRE VUE, la France est généreuse en matière d’aide publique au développement (APD). En 2010, ce sont 9,75 milliards d’euros (soit 0,5 % du revenu national brut et une enveloppe en progression de 7,3 % par rapport à 2009) qui ont été versés aux pays du Sud – dont 68 % à destination de l’Afrique. « La France a été le troisième bailleur mondial », se félicitent le ministère de l’Économie et celui de la Coopération. Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiés le 6 avril, la mobilisation des pays riches a atteint 90 milliards d’euros en 2010 – dont 20 milliards d’aide bilatérale vers l’Afrique –, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré. Outre la France, les principaux contributeurs sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon. Problème, les statistiques françaises masquent un savoir-faire « made in Bercy » qui relève de la « cour des miracles », dénonce Jean-Louis Vielajus, le président de l’ONG Coordination Sud. De fait, l’APD française englobe les allègements de dette, le coût d’accueil des étudiants et réfugiés étrangers, et surtout les dépenses allouées à l’outre-mer. Au final, les budgets réels sont ainsi ramenés à moins de 7 milliards d’euros – dont une large part en prêts et non en dons. ● PHILIPPE PERDRIX JEUNE AFRIQUE


TION C E L É S E N IS, U NDE. O O M M E U U D Q S A CH ICLE te de l’actualité T R A S R U E lè dien L L I E cture comp s parus dans le quoti M le re S e n u E D avait ffre icle te qui vous de » v o u s o eilleurs art

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La semaine de J.A. Les gens

Haïti Ne l’appelez plus « Sweet Micky »

Martelly fut même l’un de ses opposants les plus farouches. Membre des milices du régime Duvalier durant sa jeunesse, il fraya, dans les années 1990, lorsque sa carrière de chanteur explosa, avec les auteurs du putsch de 1991 contre « Titid ». Aujourd’hui encore, il tient un discours conservateur et place le retour à l’ordre en tête de ses priorités. Durant sa campagne, il a été conseillé par l’agence Ostos & Sola, liée au Parti populaire espagnol (droite), et a été soutenu par un diplomate américain, Stanley Schager, proche des néo-duvaliéristes dans les années 1990.

L’ancien chanteur Michel Martelly a été élu à la présidence en promettant le changement. Mais a-t-il les moyens de ses ambitions ?

DIEU NALIO CHERY/AP/SIPA

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évocation de son nom de scène – « Sweet Micky » – avait le don de l’énerver. Désormais, il faudra l’appeler « Monsieur le Président ». Avec 67 % des voix selon les résultats provisoires dévoilés le 4 avril, Michel Martelly, 50 ans, a écrasé sa rivale, l’universitaire Mirlande Manigat, au second tour de la présidentielle. Il succède ainsi au très effacé René Préval. En quelques mois, Martelly, cette bête descènecapabledesetrémousserhabillée enfemmeoud’exhibersesfessesenpublic, a réussi une mutation à laquelle bien peu croyaient lorsqu’il s’est lancé dans la course à la présidence. C’était en juillet dernier. Partie au plus bas dans les sondages, la star du kompa, sorte de calypso haïtien, a progressivement grignoté du terrain sur ses adversaires à force de meetings à l’américaine, de formules qui font mouche dans un pays où les politiques ont longtemps déçu, d’un programme

Après sa CONFÉRENCE DE PRESSE du 5 avril, à Port-au-Prince.

séduisant – l’éducation et la santé gratuites, la sécurité et la solidarité – et d’un « plan com’ » bien ficelé. Si, lors des meetings, il pouvait se lâcher, multipliant bons mots pas forcément très amènes à l’égard de ses concurrents, devant les caméras, Martelly se muait en homme d’État : costumes sobres, regard noir et discours sur mesure pour séduire les bailleurs. « Micky est un animal politique. L’establishment n’a pas réalisé à quel point il était un phénomène », analyse l’éditorialiste de The Haitian Times, Gary Pierre-Pierre. Élu par les jeunes sur le thème du changement, porteur d’un véritable espoir pour les plus démunis, Martelly a souvent été comparé au JeanBertrand Aristide des années 1980, lorsque le curé enflammait les bidonvilles. À vrai dire, les deux hommes n’ont rien en commun. Issu de la bourgeoisie métisse,

SITUATION CRITIQUE. Pourtant, il se présente désormais comme un homme neuf. Lors de sa première conférence de presse après l’annonce de sa victoire, il a assuré vouloir être « le président de tous les Haïtiens ». « Vous avez voté pour le changement de nos pratiques politiques, de nos choix économiques, de notre organisation sociale », a-t-il observé. Réussira-t-il là où Aristide a échoué ? Déjà, certains observateurs craignent un retour à un régime autoritaire. Durant la campagne, Martelly n’a pas hésité à menacer des journalistes. Nerveux, il a eu du mal à se maîtriser face à la contradiction. Surtout, il hérite, plus d’un an après le séisme du 12 janvier 2010, d’une situation critique, à laquelle « viendront s’ajouter, s’est inquiété le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le début de la saison des ouragans, le manque de compétences dans le secteur public et la désillusion de la population ». Il aurait pu ajouter que Martelly devra cohabiter (dans un régime parlementaire) avec une Assemblée dominée par le parti de son prédécesseur, qu’il devra composer avec une communauté internationale omniprésente qui a pesé de tout son poids dans le processus électoral, et, surtout, qu’il aura à gérer la présence forcément pesante des « ex » revenus au pays : son ancien guide, Jean-Claude Duvalier, et son pire ennemi, Jean-Bertrand Aristide. ● RÉMI CARAYOL

NOMINATIONS

DR BEATRICE WABUDEYA OUGANDA L’ex-députée a été nommée ministre de Kampala, un poste tout juste créé par le N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

présidentYoweri Museveni en réaction à la victoire d’un opposant aux municipales de mars.

MONA KHAZINDAR CULTURE Cette Cett Saoudienne Sa de 51 ans,

spécialiste des arts plastiques, a été nommée, le 1er avril, directrice générale de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. JEUNE AFRIQUE

MATHIAS STICH

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EN HAUSSE

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DAVID PETRAEUS

SALVATORE DI NOLFI/AP/SIPA

Le général quatre étoiles américain, commandant des forces internationales en Afghanistan, est pressenti pour prendre la tête de la CIA, l’agence de renseignements des États-Unis, l’été prochain.

Le journaliste iranien est le lauréat du Prix mondial de la liberté de la presse, que lui a décerné l’Unesco. Emprisonné depuis la présidentielle de 2009, il est accusé d’avoir fomenté une « révolution en douceur ».

Israël-Palestine Goldstone modère son réquisitoire Le juge sud-africain reconsidère les conclusions de son rapport sur l’offensive militaire de l’État hébreu à Gaza en 2009.

Ce Touareg d’Agadez, membre du Rassemblement pour la démocratie et le progrès, de l’ex-président Baré Maïnassara, assassiné en 1999, est le nouveau Premier ministre du Niger.

AGITIL D’UN MEA CULPA ? Dans une lettre ouverte publiée le 1er avril par le Washington Post, le juge sud-africain Richard Goldstone a suscité une nouvelle controverse en appelant à « reconsidérer » les conclusions du rapport qu’il avait établi après l’offensive israélienne menée contre la bande de Gaza en janvier 2009, laquelle avait coûté la vie à quelque 1400 Palestiniens. « Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant, le rapport aurait été un document bien différent », écrit-il dans sa tribune. Le magistrat précise qu’Israël a diligenté des enquêtes au sein de l’armée sur plus de quatre cents allégations de mauvaise conduite et que les « civils n’étaient pas ciblés intentionnellement ». PRESSIONS. Ces déclarations tranchent avec la tonalité du rap-

port qui servit de base à une résolution de l’ONU condamnant Israël, et dans laquelle Tsahal – comme le Hamas, du reste – était accusé d’avoir commis des « actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité ». À l’époque, l’État hébreu s’était indigné d’un tel réquisitoire, responsable, selon lui, d’avoir accentué sa délégitimation sur la scène internationale. Inattendue, la volte-face du juge Goldstone constitue une aubaine pour les Israéliens, soucieux de « jeter ce rapport dans les poubelles de l’Histoire », dixit Benyamin Netanyahou. Le Premier ministre de l’État hébreu a demandé à sa diplomatie de mener une offensive discrète afin d’obtenir l’annulation pure et simple du document. Son conseiller à la sécurité nationale, Yaakov Amidror, vient de constituer un groupe d’experts chargés d’étudier les recours juridiques possibles à la lumière de l’article de Goldstone. L’ancien procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, dont certaines sources indiquent qu’il aurait subi des pressions de ses coreligionnaires juifs, a confirmé qu’il se rendrait cet été en Israël. Richard Goldstone a toutefois exclu d’agir en faveur d’un retrait du rapport, affirmant que son unique préoccupation était « la justice, la vérité et les droits de l’homme ». ● MAXIME PEREZ, à Jérusalem JEUNE AFRIQUE

EN BAISSE

GAMAL MOUBARAK Convoqué par la commission chargée d’enquêter sur la corruption de l’ancien régime, le fils cadet de l’ex-président égyptien devra répondre d’accusations d’enrichissement illégal. TOUT-PUISSANT MAZEMBE Quatre arbitres égyptiens accusent le club de foot congolais, vainqueur de la Ligue des champions, de tentative de corruption; il leur aurait proposé 10000 dollars chacun pour le favoriser en 16e de finale. BRICE HORTEFEUX Les administrés sont mécontents de son retour au Parlement européen. Le 5 avril, l’un d’entre eux a porté plainte devant le Conseil d’État français. Motif : l’ex-ministre avait démissionné de ce poste en 2009. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

VINCENT FOURNIER/J.A. - DR - AMR DALSH/REUTERS

S

BRIGI RAFINI

TAGAZA DJIBO - STRINGER IRAN - JASON REED/REUTERS

AHMAD ZEIDABADI


Grand angle

EMMANUEL BRAUN/REUTERS

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Ð LES FORCES RÉPUBLICAINES DE CÔTE D’IVOIRE (FRCI), PRO-OUATTARA, lors de « l’assaut final » sur les derniers bastions de Gbagbo,à Abidjan, le 4 avril. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


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CÔTE D’IVOIRE

Gbagbo

fin de partie

Si la chute du président sortant est acquise, le plus dur commence pour son successeur Alassane Ouattara : réconcilier un pays en guerre, divisé et profondément traumatisé.

FRANÇOIS SOUDAN

C

est un dessin cruel de Chappatte, caricaturiste suisse habitué des pages de l’International Herald Tribune, du Temps de Genève, de J.A. et de quelques autres publications. On y voit le président Ouattara sortant d’un pick-up blindé pour entrer au palais présidentiel du Plateau, à Abidjan. Il avance, mais semble hésiter: sous le tapis rouge, qui mène au portail d’honneur, ses gardes ont caché hâtivement une douzaine de cadavres d’Ivoiriens entassés dans une mare de sang. Va-t-il leur marcher dessus ? Va-t-il les contourner? Sans doute est-ce pour éviter le cauchemar d’une accession au pouvoir aussi calamiteuse qu’Alassane Dramane Ouattara a prononcé, le

JEUNE AFRIQUE

7 avril, son premier véritable discours de chef de l’État. Une allocution à la fois consensuelle, maline (le blocus de son adversaire est effectivement le meilleur moyen de le banaliser), compassionnelle, sans triomphalisme déplacé, mais aussi révélatrice de certaines fragilités. L’exhortation lancée par le président élu à ses propres troupes de « s’abstenir de tout crime, de toute violence ou de tout pillage » et l’annonce de punitions sévères à l’encontre de « tous ceux qui seront impliqués dans de tels actes » signifient en filigrane ce que nul n’ignore : tout cela a déjà été commis, notamment lors de la conquête de l’Ouest, par des éléments mal contrôlés des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Même si son entourage proche jure que la seule voie de sortie possible pour Laurent Gbagbo ● ● ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


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Grand angle Côte d’Ivoire ● ● ● est un aller simple pour la Cour pénale internationale, Ouattara n’ignore pas que l’enquête ouverte par le procureur Moreno-Ocampo peut être à double tranchant, et qu’il lui sera difficile de gérer politiquement les poursuites dont pourraient faire l’objet certains de ses chefs de guerre. Autre fragilité: l’ingérence militaire de la France et, dans une moindre mesure, celle de l’Onuci, déterminantes dans la défaite militaire du clan Gbagbo. Si Alassane Ouattara félicite, dans son discours, ses partenaires Henri Konan Bédié et Guillaume Soro (à qui il « renouvelle » sa « confiance » et qui pourrait, à terme, selon certaines sources, être gratifié du poste à créer de vice-président), seuls

Une partie des électeurs ayant voté Gbagbo pense encore que Ouattara n’est pas ivoirien. quelques mots sont consacrés à la « communauté internationale », terme générique s’il en est. On sait que l’ex-colonisateur, dont l’implication dans la guerre était souhaitée – pour des raisons radicalement opposées – par les deux camps (Gbagbo en attendait un « sursaut patriotique » en Côte d’Ivoire et un surcroît de réprobation en Afrique), ne s’est finalement engagé qu’à reculons. Mais on imagine aussi que la tendance de l’Élysée à faire savoir qu’un coup de fil de Nicolas Sarkozy avait précédé chaque tournant de la crise (y compris le discours du 7 avril), tout comme la démonstration plutôt maladroite d’Alain Juppé dévoilant devant les députés français une note de quatre pages consacrées aux priorités de l’après-Gbagbo, ont dû gêner, si ce n’est agacer, Alassane Ouattara. Reste que, non sans habileté, le président élu a décidé de retourner contre son frère ennemi la stratégie du pourrissement et de transposer au bunker de Cocody l’encerclement du Golf Hôtel. Plus les jours passent et moins l’option idéale de sortie un moment espérée par Laurent Gbagbo

– demeurer à Abidjan et continuer d’y faire de la politique en jouissant de toutes les garanties d’impunité – apparaît envisageable. Encore une semaine de ce traitement, et le président sortant inspirera à ses partisans plus de pitié que de solidarité sans qu’il soit besoin d’en faire ce que son successeur mais aussi Nicolas Sarkozy souhaitent éviter à tout prix : un martyr. SEIGNEURS DE GUERRE. Pourtant,aussilongtemps

que cette hypothèque ne sera pas levée et quoi qu’il en ait dit dans son allocution, Alassane Ouattara sait qu’une normalisation – a fortiori un début de vraie réconciliation nationale – sera impossible en Côte d’Ivoire. La société y est encore plus clivée qu’en 2002, la problématique de la citoyenneté est toujours une plaie ouverte, une bonne partie des 46 % d’électeurs ayant voté Gbagbo en novembre dernier continue de penser que Ouattara n’est tout simplement pas ivoirien, l’essentiel de la hiérarchie des Églises chrétiennes (catholique, pentecôtiste, évangélique…) a basculé dans l’islamophobie, et la prédation a désarticulé les tissus administratif et économique du Sud, littéralement pris en otage par Gbagbo après son hold-up électoral, mais aussi du Nord, abandonné aux mains des seigneurs de guerre. Alassane Ouattara, à qui Français, Américains, « Elders » et hauts fonctionnaires de l’ONU dispensent ces jours-ci d’encombrantes leçons de bonne gouvernance, saura-t-il faire oublier qu’il fit aussi, pendant près de deux décennies, partie intégrante du problème ivoirien? Pourra-t-il endosser l’habit de président de tous les Ivoiriens, que nul n’a su revêtir depuis la mort d’Houphouët? Son discours du 7 avril peut le laisser croire. Mais seul l’avenir dira s’il a vraiment compris le sens de cette phrase d’Aimé Césaire, citée la veille au Panthéon par un certain Nicolas Sarkozy : « Une nation, ce n’est pas une invention, c’est un mûrissement. » ●

LA GUERRE, VUE DE (ET PAR) J.A. LE DRAME HUMAIN qu’aura été, avant toute autre chose, la bataille d’Abidjan ne pouvait qu’être vécu passionnément (et parfois douloureusement) par la rédaction de J.A. À Paris, trois de nos collaborateurs ont suivi à distance cette sale guerre fratricide avec une angoisse particulière. Malika Groga-Bada, dont la famille réside à Cocody, a été la plus directement touchée. Sa belle-sœur, mère de quatre enfants, a été fauchée le 2 avril d’une balle en pleine tête dans la cour de sa concession et sa grand-mère n’a supporté ni ce choc ni celui des tirs de roquettes : crise N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

cardiaque foudroyante. À Cocody toujours, Cité des Arts, non loin du siège de la radio-télévision, la belle-famille de Séverine KodjoGrandvaux a vécu d’interminables journées de claustration au milieu des combats. Quant àThéophile Kouamouo, dont la fille vit à Abidjan, il n’est guère besoin de décrire l’inquiétude qui était la sienne. Sur place, avec autant de risques assumés que de professionnalisme, notre correspondant Baudelaire Mieu n’a cessé de nous informer en toute objectivité. Notre site jeuneafrique. com, qui a ouvert un « direct live » Côte d’Ivoire quotidien dès le

31 mars, a enregistré jusqu’à 13 000 internautes connectés simultanément. Un extraordinaire flux de commentaires, de réactions, d’appels à l’aide et de solidarité interactive, émanant de tous les quartiers d’Abidjan et géré nuit et jour depuis Paris par une équipe de six collaborateurs. Enfin, parmi les victimes collatérales de cette guerre civile absurde figure notre diffuseur en Côte d’Ivoire, Edipresse, dont les locaux d’Adjamé ont été incendiés le 3 avril et dont l’un des chauffeurs a été tué. À Abidjan, la psychose n’épargne pas le monde de la F.S. communication. ● JEUNE AFRIQUE


Gbagbo, fin de partie

REBECCA BLACKWELL/AP

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La bataille d’Abidjan Les frappes aériennes de la France et de l’Onuci ont fait la différence. Mais elles n’ont pas suffi. Terrés chez eux, les habitants espèrent la fin des combats. PASCAL AIRAULT

D

et

PHILIPPE PERDRIX

écidément, Laurent Gbagbo a le cuir épais. Pas grand monde ne pensait qu’il allait tenir, durant le week-end du 2-3 avril, face àlafoudroyanteoffensivedesForces républicainesdeCôted’Ivoire(FRCI) lancée en début de semaine. En quelquesjours,ellesavaientconquis les principales localités du sud du pays (voir J.A. no 2621) et s’apprêtaientàcueillirleprésidentsortant,à Abidjan. L’homme semblait acculé, isolé, perdu. Sauf que le dernier carré des fidèles a farouchement résisté pendant que les « Jeunes patriotes » et de nouvelles recrues armées faisaient régner la terreur dans certains quartiers. Après s’être cassé les dents, les pro-Ouattara ont opté pour un repli stratégique au nord de la capitale économique, attendu des renforts

JEUNE AFRIQUE

et réclamé un soutien militaire aux Nations unies et à Paris (lire pp. XX). Dans le même temps, les soldats de l’opération Licorne mettaient à l’abri un maximum de ressortissants français, notamment à la base de Port-Bouët. Quant aux pro-Gbagbo, ils regroupaient une partie de la population du quartier du Plateau – où se trouve le palais présidentiel – dans la cathédrale Saint-Paul. L’explication finale approchait.L’accalmiededimanche n’était qu’une veillée d’armes.

Lundi 4 avril Déluge de feu

En début d’après-midi, les FRCI lancent « l’assaut final ». Sous les ordres du général Soumaïla Bakayoko – ex-chef d’état-major des Forces nouvelles (FN) –, basé dans le village de Zanoua, 4000 hommes

L’ARMÉE DU PRÉSIDENT ÉLU a fait de nombreux prisonniers, comme ici dans une stationservice, le 6 avril.

marchent sur Abidjan tandis que d’autres colonnes arrivent par le sud. En tout, 9000 combattants sont mobilisés.L’opérationestdirigéepar le Premier ministre du président Alassane Ouattara, Guillaume Soro. Objectifs : le quartier de Cocody, où se trouvent la résidence de Laurent Gbagbo et le siège de la Radio Télévision ivoirienne (RTI), et celui du Plateau, où est situé le palais. Des dizaines de véhicules

Les Forces républicaines avancent, mais les pro-Gbagbo ne flanchent pas. équipés de mitrailleuses avancent. Les zones sont sécurisées au fur et à mesure de la progression. Mais, en face, les pro-Gbagbo ne flanchent pas. Il s’agit notamment de soldats de la Garde républicaine et du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos). Des explosions retentissent, notammentauPlateau.Uneépaissefumée N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


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Grand angle Côte d’Ivoire feu. Des tentatives de négociations pour une reddition de Gbagbo sont entreprises durant la nuit.

s’échappe également du camp de gendarmerie d’Agban. Dans une interview à la BBC, le représentant dusecrétairegénéraldel’ONU,Choi Young-jin, prévient : « Nous allons utilisernotreavantageaérienetnous allons bientôt passer à l’action. » Vers 16 heures, heure d’Abidjan, quatre personnes, dont deux Français, sont enlevées à l’hôtel Novotel par des hommes portant l’uniforme des Forces de défense et de sécurité (FDS). Parmi les deux Français figurent Yves Lambelin, le président du groupe agro-industriel ivoirien Sifca. Peu après 18 heures, les hélicoptères Mi-24 de l’Onuci et les Puma et les Gazelle de Licorne décollent pour « neutraliser les armes lourdes » du camp Gbagbo, retranché dans sa résidence avec ses proches. Ses derniers bastions sont pilonnés sans relâche (voir carte). Canons, blindés, stocks d’armes explosent dans un vacarme assourdissant et sous une pluie battante. « Le ciel nous est tombé sur la tête. Mes enfants sont effrayés et se sont cachés sous leur lit », raconte un habitant du quartier de Koumassi, pourtant assez éloigné du déluge de

Mardi 5 avril

Touché mais pas coulé

De nouveaux tirs sont entendus en début de matinée autour du palais présidentiel, mais les appareils de l’Onuci et de Licorne restent au sol. Sur RFI, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France nommé par Ouattara, Ally Coulibaly, en est persuadé : « L’affaire est pliée. Gbagbo serait en négociations pour se rendre. » À voir. Après avoir diffusé un dernier message appelant les Ivoiriens à « réciter l’Apocalypse », la RTI, touchée par un missile, n’émet plus, l’arsenal lourd des FDS est totalement parti en fumée…, mais Gbagbo s’obstine. Et son porte-parole, Ahoua Don Mello, affirme que l’heure n’est pas à la reddition. À la mi-journée, le chef d’étatmajor de l’armée revenu après une éclipse à l’ambassade d’Afrique du Sud, le général Philippe Mangou, annonce un « arrêt des combats » et demande « un cessez-le-feu » à l’Onuci. Reconnaissance d’une

L'INTERVENTION L'ONU L’INTERVENTION MILITAIRE DE L’ONU Camp de gendarmerie d’Agban ATTÉCOUBÉ

ADJAMÉ

DEUX-PLATEAUX COCODY

Camp militaire d’Akouédo

Radio-TV d’État RTI

Golf Hôtel

LE PLATEAU

Palais présidentiel

Hôtel Novotel

KOUMASSI

Aéroport international contrôlé par Licorne Camp militaire français

Les sites bombardés par les hélicoptères de l’Onuci et de Licorne

PORT-BOUËT 0

2

4 km

* La résidence de Laurent Gbagbo est contiguë à celle de l'ambassadeur de France et se trouve aux abords de celle de l'ambassadeur du Japon, exfiltré par les soldats de Licorne. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

cain. À la manœuvre, le ministre des Affaires étrangères de Gbagbo, Alcide Djédjé. Mais, reclus dans le sous-sol fortifié de sa résidence, le président sortant – convaincu par son épouse Simone, semble-t-il – refuse de se soumettre, récuse son ministre émissaire. Et déclare le soir sur RFI : « Je dis que j’ai gagné les élections. Mon adversaire dit qu’il a gagné les élections. Je dis OK, asseyons-nous et discutons. C’est tout ce que je demande. Il faut régler cela. » Retour à la case départ.

Reprise des combats

Hôtel Le Wafou PETIT BASSAM

Gbagbo veut rester au pays et refuse de reconnaître la victoire d’ADO.

Mercredi 6 avril

Résidence de Laurent Gbagbo* MARCORY

Lagune Ébrié

défaite, ultime diversion ou gain de temps pour se réorganiser ? En tout cas, les diplomates à New York, Paris et Abidjan s’activent. Àl’Assembléenationalefrançaise, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, exige que le départ de celui qu’on surnomme « le Boulanger » soit précédé de la publication d’un document signé dans lequel il renonce au pouvoir et reconnaît la victoire de Ouattara. L’Afrique du Sud puis la Mauritanie font partie des points de chute cités. La neutralisation par l’Onuci des derniers éléments restés fidèles, la mise à l’écart de l’inquiétante Cour pénale internationale (CPI), la protection des proches du président sortant, la récupération de leurs avoirs… « Tout est en discussion », assure un diplomate ouest-afri-

Des tirs sporadiques sont entendus dans différents quartiers d’Abidjan, particulièrement à Yopougon et près de la base maritime de Locodjoro. Dès 8 h 30, les FRCI repartent à l’assaut de la citadelle présidentielle sous la direction du commandant Adama Yéo, un proche de Guillaume Soro. « On va sortir Gbagbo de son trou et le remettre au président Ouattara », déclare Sidiki Konaté, bras droit du Premier ministre. Les combattants parviennent à faire voler en éclats le portail de la résidence JEUNE AFRIQUE


Gbagbo, fin de partie

Jeudi 7 avril

Opération blocus

Changement de stratégie. Après avoir essayé de déloger Laurent Gbagbo par la force, le camp Ouattara opte pour son isolement total. Dans la journée, la force onusiennevaprogressivementencercler la résidence présidentielle pour en contrôler tous les accès. Trois jours plus tôt, Choi Young-jin avait fait cette proposition au président sortant : « Si vous voulez rester, on va vous protéger. Si vous désirez partir, on peut aussi vous aider. » En fait, le blocus vise à exiler ou à capturer un Gbagbo assiégé mais vivant. Ouattara veut éviter à tout prix d’en faire un martyr. Toute la journée, le président élu prépare une grande adresse à la nation. Il s’entretient avec les généraux Kassaraté (patron de la gendarmerie) et Brindou (directeur général de la police nationale). Il leur demande ● ● ● JEUNE AFRIQUE

CAROLINE POIRON

mais doivent ensuite rebrousser chemin. Au quartier du Plateau, les blindés de Licorne tentent de sécuriser l’ambassade de France en repoussant des soldats fidèles au président sortant. « On n’ose même plus sortir la tête par les fenêtres, explique un habitant du quartier. Il y a des snipers sur les toits. » En débutd’après-midi,deuxsoldatsdes FDS pénètrent dans le Novotel du Plateau. Les journalistes occidentaux présents craignent le pire après l’enlèvement de l’homme d’affaires Yves Lambelin. En fait, les militaires viennent s’approvisionner en vivres et repartent rapidement. Au niveau diplomatique, les discussions sont aupointmort.Partout,lapopulation est victime de pillages de miliciens et patriotes des deux camps. Dans la soirée, les soldats français interviennent à nouveau pour évacuer de sa résidence de Cocody l’ambassadeur du Japon et ses collaborateurs. Des mercenaires libériens pro-Gbagbo s’étaient installés sur le bâtiment. « Les négociations achoppent sur deux points, affirme un diplomate français. Gbagbo veut rester en Côte d’Ivoire et refuse de reconnaître la victoire de son adversaire. »

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CORVÉE D’EAU À HAUT RISQUE dans le sud d’Abidjan, en zone 4. Les snipers rôdent.

« Je sens que je vais craquer » Otages d’une guerre qui les dépasse, les Abidjanais s’organisent, tentent de sauver des vies, prient le ciel… La peur au ventre.

A

llongédanssonappartementd’Adjamé, Manassé Dehe était au bord delacrisedenerfsencettematinée du jeudi 7 avril: « Je sens que je vais craquer. » Les roquettes et les obus tonnent, et font régulièrement vaciller son immeuble. Malgré la peur, le manque d’eau et souvent d’électricité,cedéveloppeurinformatiquede 25anstientàserendreutile.Dansl’ambiance apocalyptiqued’unemétropolede5millions d’habitants où marchés, hôpitaux, banques et transports ont cessé de fonctionner, il met en relation, avec l’aide d’amis blogueurs, des personnesendétresseaveccellesquipeuvent leur apporter un secours. Une initiative qui sauve des vies. Celle de Joël, par exemple, qui a reçu une balle dans le cou. Alerté, un internaute est venu le récupérer chez lui, au péril de sa vie, et l’a tout de suite conduit dans une clinique, où il a pu être opéré. Tout le monde n’a pas eu cette chance. Faute de soins, des personnes vivant sous dialyse meurentàpetitfeu.Certainsaccouchements difficiles, qui ont lieu à domicile, se transforment souvent en tragédies, notamment par manque de poches de sang pour les transfusions. Dans des cliniques réputées, les malades n’ont plus rien à manger. Sur Facebook, la patronne d’une agence de publicité propose à ceux qui le peuvent d’aller leur donner des vivres, mais surtout d’y aller en convoi…

Aucune solidarité ne semble en tout cas de nature à faire reculer les hordes de pillards. « Ils sont venus cogner à ma porte. Ils faisaient un boucan énorme. Puis j’ai entendu quelqu’un dire que nous n’avions pas de 4x4. Ils sont partis », raconte Linda, qui vit à la Riviera Golf, à cinq minutes en voiture du Golf Hôtel, quartier général des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), fidèles à Alassane Ouattara. La libération par les membres du « commando invisible » pro-Ouattara des 6 000 prisonniers de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) n’a rien arrangé… ÉPIDÉMIES. « Qui peut appeler pour l’en-

lèvement des morts dans les rues ? » s’interroge Lancina, qui redoute – comme la communautédeshumanitaires,totalement impuissante – l’apparition d’épidémies, alors que les ordures ménagères s’amoncellent depuis plusieurs mois déjà. Abandonnés à leur sort, otages d’une guerre qui les dépasse, de nombreux Abidjanais tournent leur regard vers le ciel, scrutant des signes annonciateurs d’une éventuelle délivrance. Dans les quartiers, des prières collectives sont organisées. Et le pasteur-vedette Mohammed Sanogo réunit des centaines de fidèles chaque jour par le biais d’une Web TV improvisée… ● THÉOPHILE KOUAMOUO N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Grand angle Côte d’Ivoire

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Vendredi 8 avril Faire comme si…

PATRICK ROBERT

Ý AVANCÉE DES PRO-OUATTARA dans le quartier de Yopougon, favorable à Gbagbo, le 4 avril.

de reprendre le maintien de l’ordre en collaboration avec les forces impartiales. Pendant ce temps, les évacuations continuent. Plus de 1 000 Français sont récupérés par les soldats de Licorne. Environ 200 Libanais se rendent également à l’hôtel Le Wafou, zone de ralliement proche de l’aéroport, sous la double protection d’une société de sécurité et de soldats pro-Ouattara, avant de prendre un vol pour Beyrouth. Au « palais intérimaire » du Golf ●●●

Hôtel, ADO reçoit dans l’après-midi les ambassadeurs de France et des États-Unis ainsi que le représentant spécial de Ban Ki-moon. « Il n’y a aucune négociation avec monsieur Laurent Gbagbo. Monsieur Laurent Gbagbo n’existe plus, il est enfermé dans sa cave », déclare, à sa sortie, Jean-Marc Simon, l’ambassadeur de France. À 20 heures précises, Ouattara apparaît sur les écrans de la Télévision Côte d’Ivoire (TCI) pour un discours à la nation.

Pour qui roule « IB »? L’entrée en action de l'un des chefs de l’insurrection de 2002, Ibrahim Coulibaly, a singulièrement compliqué la tâche des Forces républicaines de Ouattara.

A

près avoir pris la tête du « commando invisible » dans les quartiers d’Anyama et d’Abobo et harcelé avec un certain succès les Forces de défense et de sécurité (FDS) de Gbagbo, Ibrahim Coulibaly (« IB ») est passé à la vitesse supérieure. En solo et animé par sa propre ambition. Sans concertation avec les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’ennemi intime de Guillaume Soro a pris les devants le 30 mars, soit la veille de l’assaut final sur Abidjan. Sa première cible : la caserne de la Brigade anti-émeute (BAE), située à Yopougon, un quartier pro-Gbagbo. Ensuite, ses hommes ont mis le cap sur le camp des commandos de Koumassi avant d’attaquer plusieurs commissariats. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Tout s’est joué dans la nuit du 31 mars au 1er avril. Un bataillon du « général autoproclamé » réussit à prendre le contrôle du siège de la RTI, à Cocody. Des éléments des FRCI font alors mouvement vers le site pour le sécuriser, mais rencontrent un refus des hommes d’IB. Les deux forces « alliées » se seraient même livré bataille. BATAILLE ENTRE FRÈRES. Une aubaine pour la Division mobile d’intervention rapide (DMIR), le Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos) et la Garde républicaine (GR) – les trois unités d’élite de l’armée de Gbagbo – qui lancent une contreoffensive et reprennent la RTI, cet outil précieux de propagande.

Abidjan s’est réveillé encore une fois au son des tirs à Agban et à Cocody. Au Golf Hôtel, on travaille à la sécurisation du territoire en redéployant policiers et gendarmes. « Il faut vite remettre le pays au travail », explique Patrick Achy, le ministre des Infrastructures économiques. Le président Ouattara demande la levée des sanctions de l’Union européenne sur les ports d’Abidjan et de San Pedro, la remise en route de la Société ivoirienne de raffinage pour l’approvisionnement en gaz et en carburant. Le gouvernement s’apprête aussi à réautoriser les exportations de cacao. Près de 400 000 tonnes pourraient être embarquées rapidement. « Nous souhaitons organiser dans les deux prochains mois une conférence internationale des bailleurs de fonds à Abidjan sur le financement postcrise, conclut Achy. Les attentes des populations sont grandes. Il ne faut pas perdre de temps ». ● Un sacré coup de frein à l’avancée des FRCI. Le camp Gbagbo reprend confiance. « IB a foutu le bordel », regrette un expert ouest-africain des questions militaires qui va jusqu’à l’accuser d’avoir pactisé avec Gbagbo. Des officines proOuattara sollicitent alors la médiation des imams et chefs traditionnels de la ville de Séguéla d’où est originaire Ibrahim Coulibaly. Cette initiative est fructueuse et permet le retrait d’IB et de ses hommes dans leur base d’Anyama. « Je reconnais avoir attaqué la BAE et libéré des prisonniers car je devais récupérer deux de mes hommes emprisonnés depuis plusieurs années. Nous avons appris que les FRCI descendaient sur Abidjan après notre entrée en action. Mes hommes ont voulu s’opposer, je leur ai dit que c’était des frères. Mais il est vrai qu’il n’y a pas eu d’actions combinées entre nos deux états-majors. J’ai ensuite parlé au président Ouattara et à son épouse, le dimanche soir 3 avril. Je n’ai aucun problème avec Soro », explique IB, joint par Jeune Afrique. ● BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan JEUNE AFRIQUE


Gbagbo, fin de partie

CAROLINE POIRON

Ý PATROUILLE DE L’OPÉRATION LICORNE en zone 4, dans le sud d’Abidjan, le 4 avril. Objectif : récupérer des ressortissants français.

Pourquoi la France y est allée

Paris a tourné le dos à la doctrine en vigueur depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Après la Libye, la Côte d’Ivoire : l’armée française n’hésite plus à ouvrir le feu en Afrique. CHRISTOPHE BOISBOUVIER

I

ntervenir ou pas ? Pendant quelques jours, Nicolas Sarkozy hésite. Normal. Depuis son arrivée au pouvoir, en mai 2007, le président français a une formule magique : « La France n’est plus le gendarme de l’Afrique. » En février 2008, au lendemain de la bataille de N’Djamena, il lance même fièrement: « Je n’ai pas autorisé à ce qu’un seul soldat français tire sur un Africain. » Quelques jours plus tard, lors d’un discours au Cap, il en fait une doctrine. Mais en Côte d’Ivoire, le président français veut crever l’abcès. En décembre, il a lancé un ultimatum maladroit à Laurent Gbagbo. Et le 17 mars, quand les Forces de défense et de sécurité (FDS) tirent à l’arme lourde sur un marché de la commune d’Abobo, au nord d’Abidjan – plus de trente morts –, il saisit tout de suite le bâton que lui tend Gbagbo pour se faire battre. Le 30, avec le Nigeria, il fait passer une résolution musclée. À l’unanimité, le Conseil de sécurité de l’ONU donne son feu vert à l’Onuci. Elle peut utiliser « tous les moyens nécessaires » pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre les populations civiles. JEUNE AFRIQUE

Pour Alassane Ouattara, la synchronisation est parfaite. Deux jours plus tôt, ses forces ont lancé leur grande offensive. Très vite, dans le centre d’Abidjan, elles se heurtent à la formidable puissance de feu des FDS. Le dimanche 3 avril, Ouattara appelle Sarkozy. Il lui demande l’aide de Licorne – le dispositif militaire français à Abidjan. « Ce n’est pas à nous de faire le job, c’est à l’Onuci », répond d’abord le président français. Son homologue ivoirien lui rétorque que les deux hélicoptères de combat de l’Onuci sont incapables de détruire toutes les armes lourdes du camp Gbagbo. « Dans ce cas,

il faut que l’ONU nous fasse une demande formelle, par écrit », dit Sarkozy. Peu de temps après, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, appelle Sarkozy et lui promet qu’il recevra une lettre dans la soirée. Ouattara fait bien les choses… LIGNE ROUGE. Ce 3 avril à 16 h 30,

Nicolas Sarkozy hésite encore. Il consulte. Autour de lui, à l’Élysée : le ministre de la Défense, Gérard Longuet, celui de la Coopération, Henri de Raincourt, les deux chefs de l’armée française, l’amiral Guillaud et le général Puga, plus le patron de la cellule diplomatique, Jean-David Levitte, et les directeurs de cabinet de François Fillon et d’Alain Juppé. Pendant deux heures, il écoute. Des désaccords ? « Pas vraiment, confie un homme du sérail. Globalement, à partir du moment où nous avions la couverture de l’ONU, tout le monde était d’accord pour y aller. Mais on a fixé une ligne rouge. » À la fin de la réunion, Sarkozy rappelle Ouattara. Il lui précise que les forces françaises ne « traiteront » que les armes lourdes de Gbagbo, et que ce dernier doit avoir la vie sauve. « Il faut que tu y veilles personnellement », lui dit-il. Changement de doctrine ? « Non, la Côte d’Ivoire, c’est vraiment une situation exceptionnelle », répond un décideur français. Affaire à suivre… ●

Les forces en présence Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) Environ

Forces de défense et de sécurité (FDS)

combattants dont au moins

au début des hostilités. Les derniers fidèles de Gbagbo sont estimés à un millier, dont 200 autour de sa résidence.

10000 5000

mobilisés à Abidjan.

60000 hommes

Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI)

9000

casques bleus, dont

2250

Opération française Licorne Les effectifs ont été portés à

1650 soldats.

à Abidjan. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Afrique subsaharienne

BANLIEUES SÉNÉGALAISES

«Y’en a marre! »

Pikine, Guédiawaye, Rufisque, Parcelles assainies… Trois millions de personnes s’entassent à la périphérie de la capitale. Des quartiers délaissés par les pouvoirs publics, mais convoités par les partis traditionnels. C’est là que naissent les associations les moins dociles. C’est aussi là que tout pourrait commencer. RÉMI CARAYOL,

C

envoyé spécial

est une discussion à bâtons rompus dans la villa de l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade devenu l’un de ses opposants les plus acerbes, MoustaphaNiasse.Lademeure donne sur la corniche ouest de Dakar, où se côtoient ambassades, résidences de diplomates et maisons de hauts responsables politiques. Dans son salon au goût exquis, le président de l’Alliance des forces du progrès (AFP) livre son sentiment sur la « malgouvernance » du régime actuel, puis marque N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

un arrêt. Il se lève lentement, disparaît quelques secondes et revient avec un tee-shirt noir dans les mains. Niasse sourit, comme sur cette photo qui, dans un coin du salon, le montre en train de serrer la main de Bill Clinton. Sur le tee-shirt, neuf lettres blanches, quatre mots, un slogan: « Y’en a marre ». « Ce mouvement va dépasser de loin le “Sopi” de 2000 », affirme-t-il. C’est une autre discussion, non loin de là, toujours sur la corniche, à la terrasse de l’un des hôtels les plus luxueux de la capitale sénégalaise, le Radisson Blu. Depuis dix minutes, Cheikh Diallo, un proche de Karim Wade qui se présente comme un observateur indépendant de la vie politique sénégalaise, devise sur les qualités du fils du président. Puis s’interrompt. « “Y’en a marre”: voilà un mouvement intéressant. » Il regroupe « des primo-votants », « des jeunes désœuvrés de la banlieue », que le chercheur a baptisé « la vache folle du scrutin de 2012 ». LOIN DES BEAUX QUARTIERS. Les Parcelles assainies, unité 16. Rues ensablées, carrefours obstrués par les Tata, ces cars surchargés qui relient JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne

ELISE FITTE-DUVAL

la banlieue à Dakar, carrioles tirées par de vieux Diallo, un brin admiratif. S’ils se structurent, ils chevaux, immeubles surpeuplés, appartements peuvent faire mal. Ils représentent une bonne sous-équipés…Onestloindesbeauxquartiers.Dans partie de l’électorat. » les années 1970, « c’était une cité-dortoir », explique Mamadou, 73 ans. Aujourd’hui, c’est une ville à part DIFFICILE À CANALISER. Barro, Kilifeu, Thiat et entière, d’où les habitants sortent peu. les autres ont déjà entrepris de pousser les jeunes C’est ici que le mouvement « Y’en a marre » a vu des banlieues à s’inscrire sur les listes électorales. le jour. C’était un dimanche du mois de janvier – un C’est de là que partira la révolte, assurent les trois de ces innombrables jours sans électricité. Il était hommes. C’est de là, déjà, que naissent les mouve3 heures du matin. Dans le salon de leur petit troisments de la société civile les moins dociles, comme pièces qu’ils louent 100000 F CFA (152 euros), Fadel le Collectif des imams et résidents des quartiers de Barro, journaliste à La Gazette, Kilifeu (« chef de Guédiawaye et de la banlieue de Dakar, fondé en 2008 pour protester contre la hausse des tarifs de famille ») et Thiat (« le cadet »), tous deux membres du groupe de rap Keur Gui (« la Maison »), s’impal’électricité. « La banlieue polarise tout ce que le tientaient dansle noir, devant un Sénégal compte de démunis. verre de thé. Le délestage de la Ici, si on passe dans cinq maiDes mouvements Société nationale d’électricité du sons, on trouvera peut-être un spontanés qui, s’ils se Sénégal (Senelec), en situation salarié. Si on n’agit pas, un jour structurent, pourraient tout explosera. Nous-mêmes, de quasi-faillite depuis plusieurs mois,duraitdepuisplusdevingtles imams, avons du mal à peser aux élections. quatre heures… « On s’est dit : canaliser les jeunes », nous c’est pas possible, il faut faire quelque chose. Des expliquait il y a quelques mois le porte-parole du gens perdent leur emploi à cause de ces délestages. collectif, Youssoupha Sarr. Des bébés meurent dans les hôpitaux. Il faut agir », CesbanlieuesontpournomsPikine,Guédiawaye, raconte Barro. les Parcelles assainies et Rufisque – Rufisque où, Très vite, les trois buveurs de thé appellent les pour la quatrième fois en un mois, un jeune s’est autres rappeurs de la place et publient un comimmolé par le feu, le 6 avril. Pour atteindre le cœur muniqué invitant tous les jeunes du pays à les historique de Dakar, ces quartiers furent longtemps MANIFESTATION rejoindre. Depuis, ils parcourent la banlieue pour un passage obligé quand on venait de l’extérieur. ORGANISÉE À DAKAR, LE faire signer des pétitions comme celle-ci : « Je suis « Quand on vit en banlieue, on vit dans un entre19 MARS, onze ans jour mère de famille, mon panier est dégarni, pourtant, deux », explique Daouda, un étudiant qui habite pour jour après on m’a fait rêver en 2000… » Guédiawaye. « C’est la loi des papas. Un père de l’arrivée d’Abdoulaye famille a dix gosses dociles et obéissants. Quand il Le 19 mars, jour anniversaire de la victoire du Wade au pouvoir. ditdevoterpourquelqu’un,lesenfantss’exécutent», « Sopi » en 2000, célébré chaque année par le camp Wade, « Y’en a marre » vole la vedette aux ajoute Thiat, au QG de « Y’en a marre ». partis traditionnels. Le régime et l’opposition ont Mais la banlieue, ce sont aussi les tentations de chacun organisé une marche à Dakar, mais c’est la capitale, si loin, si proche. Le soir, certaines filles quittent la maison pour aller vendre leur corps dans vers la banlieue que les regards se tournent. Ce les hôtels de « la ville » – nom donné au centre de jour-là, « on a rassemblé 10 000 à 15 000 personnes rien qu’à Dakar », revendique Barro. Depuis, Dakar. La journée, les hommes passent leur temps à « Y’en a marre » fascine autant qu’il inquiète les boire du café ou du thé. Ils n’ont rien à faire. Et puis, partis traditionnels, à l’image de cette banlieue il y a cette frustration. « On construit des autoroutes que les candidats s’évertuent à parcourir avant les toutes neuves, un aéroport, des immeubles. Il y élections, puis qu’ils ignorent ensuite. « C’est un a de l’argent, on le voit. Mais nous, on reste dans mouvement spontané apolitique, explique Cheikh notre misère », pestent les rappeurs. Ils seraient aujourd’hui près de 3 millions à vivre dans les banlieues de Dakar – plus d’un cinquième de la population sénégalaise… Y vivre ? Y survivre Guédiawaye DAKAR Lac Rose plutôt. « La banlieue concentre tous les problèmes du pays : un chômage endémique, les coupures Parcelles assainies d’électricité et l’insécurité », dénonce Babacar Mbaye Ngaraf, président de la Saaba, un regroupement d’associations des différentes banlieues de Dakar. Il y a aussi ces inondations, récurrentes ces dernières années. Les premières remontent à Pikine la fin des années 1980, « mais depuis six ans, c’est un véritable fléau », estime Ngaraf. Chaque année, des milliers d’habitations sont détruites. En pleine Rufisque saison des pluies, des quartiers entiers de Rufisque 2 km et Guédiawaye sont dans l’eau. ●●● JEUNE AFRIQUE

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ÉMILE RÉGNIER POUR J.A.

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« À Fann, au point E [des quartiers résidentiels cossus, NDLR], il pleut autant qu’ici. Mais là-bas, il n’y a pas d’inondations, car il y a un assainissement. Ici, il reste des milliers de maisons abandonnées, dans lesquelles croupit une eau pleine de microbes, ajoute Ngaraf. Il suffirait de se donner les moyens. C’est une question de volonté. » ●●●

À L’ORIGINE DU MOUVEMENT « Y ’EN A MARRE », CRÉÉ EN JANVIER, trois hommes : Thiat, Fadel Barro et Kilifeu (de g. à dr.).

PROGRAMMES SOCIAUX. Ces critiques, Boubacar

Ba ne les accepte pas. Cet enfant de Pikine dirige depuis deux ans l’Office pour l’emploi des jeunes de banlieue (Ofejban). Directement rattachée à la présidence, cette structure a l’ambition de résorber le chômage dans ces contrées pas si lointaines (les données officielles évoquent un taux de chômage de 15 %, un chiffre qui fait sourire les banlieusards). « Jamais un président, avant Abdoulaye Wade, n’avait autant pris en compte la banlieue. Je défie quiconque de trouver un gouvernement qui a construit autant de routes, mis en place autant de programmes sociaux. On parle de coupures, mais en 1998, il n’y avait pas d’électricité là-bas. En 1999, il y avait un lycée en banlieue ; aujourd’hui, il y en a cinq ! » Pour Boubacar Ba, tous les efforts ont été sapés par les inondations de 2005. « Elles ont dévasté une bonne partie des commerces et des ateliers. Elles ont accentué la pauvreté. » Le président avait alors lancé le plan « Jaxaay » : un projet d’un montant de 52 milliards de F CFA qui devait permettre de

Depuis 2005, les inondations ont sapé tous les efforts publics et accentué la pauvreté.

reloger des milliers de familles. Mais, dénonce Babacar Mbaye Ngaraf, « beaucoup de familles attendent toujours. Certaines sont retournées dans leurs maisons inondées. D’autres vivent dans des abris de fortune. Il faut reconnaître que l’État, depuis deux ans, s’est emparé de la question. Mais on n’a pas mis les moyens nécessaires. » L’Ofejban n’échappe pas à la règle. Quand on parle finances, Boubacar Ba est gêné. Il préfère ne pas s’étendre. Dans les couloirs de l’Office, un agent se fera plus loquace : « Nous avons travaillé les six premiers mois sans budget. Aujourd’hui, c’est un peu mieux… » Début avril à Guédiawaye. La saison des pluies est derrière nous, mais les traces d’inondations sont encore visibles. Pas seulement celles de cette année, mais aussi celles de 2005. Moustapha Da Silva, 35 ans, nous guide entre les marais d’une eau verdâtre et les maisons abandonnées. « La plupart ont été inondées en 2005 », explique-t-il. Sur une montagne de détritus, il nous montre une pompe offerte par l’État il y a quelques mois, située à proximité d’un point d’eau putride, recouverte d’une bâche. Voilà plusieurs semaines qu’elle n’a pas fonctionné. Ce père de trois enfants n’a jamais travaillé. Il préside le comité de vigilance de Wakhinane, un arrondissement de Guédiawaye. Ce comité est né en 2000 pour contrer la recrudescence des vols et des violences. « La police ne fait rien. On nous a promis une police de proximité, on a construit les locaux, mais il n’y a pas de policiers. On est obligés de se défendre nous-même », explique-t-il. Lui et ses 35 hommes, des jeunes âgés de 21 à 35 ans, patrouillent chaque nuit, par groupes de deux, sans arme. « On surveille 1000 maisons. Normalement, chaque maison doit payer 1000 F CFA le 31 du mois. Mais aujourd’hui nous sommes le 5 et aucune n’a payé. Les gens disent qu’ils n’ont pas l’argent. La nuit, on n’a même pas de lampe pour nous éclairer. On ne peut pas payer les piles. » Moustapha a reçu plusieurs coups de couteau. Au biceps, à l’épaule, à la poitrine. Mais il ne se décourage pas. « Aujourd’hui, il y a moins de vols et d’agressions. » L’année prochaine, il votera. Il ne sait pas encore pour qui, mais lui aussi veut que ça change. « Y’en a marre », dit-il avec un large sourire. C’est le premier qu’il nous offre. ●

« GUÉGUERRE » DANS LES BANLIEUES LES BANLIEUES DE DAKAR ont longtemps pâti de la guerre que se mènent le pouvoir et l’opposition. « En 2008, la victoire aux élections locales du Benno Siggil Sénégal [la coalition des partis de l’opposition, NDLR] a compliqué les choses », regrette Babacar Mbaye Ngaraf, le président de la Saaba, un N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

regroupement d’associations des banlieues de Dakar. La plupart des communes de la banlieue sont en effet dirigées par l’opposition. « Longtemps, État et collectivités ont été incapables de s’entendre. Des projets menés par les collectivités locales étaient ralentis par l’État, et vice versa. » Depuis quelques mois

toutefois, Ngaraf – lui-même est membre de l’opposition – note un changement. « On doit reconnaître les efforts effectués par le président Wade. On sent un début de collaboration. On a réussi à leur faire comprendre que ces petites guéguerres ne nous intéressent pas. » ● R.C. JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne Traoré, dont Mariam Kaidama Cissé est une conseillère. Il choisit de la nommer au ministère du Plan et de la Coopération internationale. En 1993, elle devient secrétaire exécutive du Ý MARIAM ComitépermanentinterKAIDAMA SIDIBÉ États de lutte contre la devant la sécheresse dans le Sahel primature à (CILSS) et s’installe à Bamako, le Ouagadougou (Burkina 4 avril. Faso). C’est avec fierté que son mari, qui a accepté de l’y suivre, souligne aujourd’hui qu’elle a su restructurer l’organisation, « à la grande satisfaction des bailleurs de fonds ».

EMMANUEL DAOU BAKARY

« UN PEU TATILLONNE ». Retour au pays

REMANIEMENT AU MALI

La surprise du chef

Tout un symbole. Le 3 avril, c’est une femme qu’Amadou Toumani Touré a nommée à la tête du gouvernement. Mariam Kaidama Cissé succède à Modibo Sidibé, démissionnaire.

À

n’en pas douter, Amadou Toumani Touré (ATT) aime les symboles. Nommer une femme à la tête du gouvernement dans un pays qui peine à réformer son code de la famille (qui accorderait davantage de droits aux femmes) pourrait même lui valoir quelques solides inimitiés. Mais qu’importe ! Bientôt en fin de mandat, le président malien a nommé, le 3 avril, Mariam Kaidama Cissé au poste de Premier ministre. « ATT est comme les Américains, résume l’un de ses proches. Il veut être le premier partout. » Originaire de Tombouctou, Mariam Kaidama Cissé, 63 ans, devient donc la première femme Premier ministre au Mali. À son entourage, qui a renâclé en apprenant la nouvelle, le chef de l’État a rétorqué : « Je connais ses qualités, elle fera l’affaire. » Pour ATT, Cissé a d’abord JEUNE AFRIQUE

en 2000. Deux ans plus tard, le président Alpha Oumar Konaré, sur le départ, lui confie le ministère de l’Agriculture. Revenu aux affaires, ATT la place ensuite à la tête du conseil d’administration de la Société nationale de tabacs et allumettes du Mali (Sonatam) – poste qu’elle a occupé jusqu’au 3 avril. Peu connue du grand public, Mariam Kaidama Cissé est décrite comme « disponible et portée à l’écoute » par ses anciens collaborateurs, voire « perfectionniste et un peu tatillonne » par un de ses enfants. Voilà qui devrait lui être utile pour accomplir sa mission. Il y a les chantiers à boucler (routes, logements sociaux, le troisième pont de Bamako) ou à lancer (les autoroutes Bamako-Koulikoro et Bamako-Ségou), mais aussi les réformes à piloter : la révision constitutionnelle (qui, si elle est adoptée, devrait permettre une modernisation des institutions) et la réforme du code de la famille. ATT devrait également la charger des délicats dossiers du narcotrafic et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Elle devra aussi mener à bien les négociations avec les syndi-

l’immense avantage de n’être membre d’aucun parti, en cette période préélectorale (le prochain scrutin présidentiel aura lieu en 2012) où s’aiguisent les appétits et ambitions. Des ambitions qui seraient à l’origine, murmure-t-on à Bamako, de la démission du Le président a dû batailler précédent chef du gouverferme pour imposer son choix à nement, Modibo Sidibé. Et puis surtout, comme le son entourage, plutôt réticent. chef de l’État l’a lui-même souligné, Cissé et ATT se connaissent. cats et en surveillant l’inflation. Sait-elle Formée à l’École nationale d’adminisl’ampleur de la tâche qui l’attend ? « Oui, tration de Bamako, issue de la même nous répond-elle. Mais je suis fière de la confiance du président et je compte sur promotion que l’ancien Premier minisl’appui de tous. » Depuis le 3 avril, une tre Soumana Sacko, la nouvelle chef du foule de parents et d’amis se pressent gouvernement a passé plus de vingt ans à des postes de direction des entreprises à son domicile de Magnambougou, à d’État. La première fois que leurs chel’est de Bamako, pour la féliciter… et mins se croisent, c’est en 1991. Amadou prendre date. ● Toumani Touré vient de renverser Moussa ADAM THIAM, à Bamako N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Afrique subsaharienne POLITIQUE GABONAISE

Pierre Mamboundou, l’obsession du pouvoir Trois défaites consécutives à la présidentielle ne l’ont pas fait renoncer. Et c’est en habile tacticien qu’il négocie aujourd’hui son entrée au gouvernement.

É

ternel outsider, candidat à l’élection présidentielle à trois reprises (en 1998, 2005 et 2009), battu à chaque fois, Pierre Mamboundou tient sa revanche. Pressé d’entrer au gouvernement par ses ennemis d’hier, l’ancienne bête noire du Palais du bord de mer fait durer le plaisir. Fin 2010 déjà, tout Libreville bruissait des rumeurs de son ralliement. Le mariage n’a pas encore eu lieu, mais les pourparlers se poursuivent.

EN EMBUSCADE. Des élections législatives seront organisées fin 2011 (lire encadré). Le Parti démocratique gabonais (PDG) a beau être majoritaire, il s’inquiète des opinions peu favorables qui remontent du terrain. En embuscade, l’opposition s’est organisée autour des principaux candidats à la présidentielle du 30 août 2009. D’un côté, l’Union nationale (UN) d’André Mba Obame et de Zacharie Myboto, formation récemment dissoute, mais toujours active et soutenue par ses partis satellites. De l’autre, l’Alliance pour le changement et la restauration (ACR), créée en soutien à la candidature de Pierre Mamboundou il y a deux ans. UN, ACR… Deux blocs qui, en août 2009, ont totalisé plus de 50 % des suffrages. Le PDG s’est donc pris à rêver d’une alliance avec l’ACR pour les législatives.

Une stratégie qui lui permettrait d’isoler l’UN et d’étendre son emprise sur les bastions de ses alliés. À 65 ans, Pierre Mamboundou, devenu porte-voix de l’opposition après le ralliement de Paul Mba Abessole en 2002, est en position de force et essaie d’imposer ses exigences au pouvoir. Certes, il n’a pas oublié qu’en mars 2006, quand des unités de l’armée mettent à sac le siège de son parti, l’Union du peuple gabonais (UPG), et qu’il manque d’y laisser la vie, c’est Ali Bongo Ondimba qui est ministre de la Défense. Aujourd’hui encore, les deux hommes ne s’apprécient guère. Mais cela n’a pas empêché le chef de l’État d’emmener Mamboundou à New York, en février, pour discuter du sort de l’île de Mbanié, que se disputent le Gabon et la Guinée équatoriale. Pour l’instant, les caciques de la majorité excluent de lui céder le poste de Premier ministre. C’est pourtant le seul maroquin que l’ancien opposant, né à Mouila (province de la Ngounié), estime être à sa mesure. Mais dans les rangs du PDG, on insiste sur le fait que le poste de chef du gouvernement est traditionnellement réservé à un Fang de l’Estuaire, que Mamboundou est un Punu, et qu’il vise bien au-delà de la « modeste » primature. Son obsession de s’installer à la place de chef du gouvernement ne date pas d’aujourd’hui. En 2008 et 2009, devenu un visiteur régulier du palais présidentiel, il a multiplié les appels du pied à Omar Bongo Ondimba, qui lui proposa un poste de ministre d’État. Trop peu pour l’ambitieux Mamboundou, qui guignait déjà la primature. Toujours retors, le « Vieux » l’envoya poursuivre

LAURENT SAZY

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la négociation avec le titulaire du poste, Jean Eyéghé Ndong. Ulcéré par le cocasse de la discussion, ce dernier lui opposa une fin de non-recevoir. « Peut-être finira-t-il par accepter la vice-présidence de la République, qu’on lui propose », suggère un membre de l’ACR. Encore faudrait-il que ce strapontin, jusqu’ici réservé aux Punus, soit doté d’attributions à la hauteur des prétentions de l’intéressé.

Vingt ans d’opposition

1989

Mamboundou crée, en France, l’Union du peuple gabonais (UPG). Expulsé à la demande d’Omar Bongo Ondimba, il se réfugie à Dakar. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

1990

La justice gabonaise le condamne à dix ans de prison.

1993

Négocie son retour au Gabon.

1998

Se présente à la présidentielle et échoue, comme en 2005 et 2009. JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne Ý VOLONTIERS DOCTE ET PROVOCATEUR, le patron de l’UPG s’est fait des ennemis jusque dans les rangs de son parti.

trouvent désormais encombrants les compagnons de lutte », dénonce-t-il dans sa lettre de démission. Joint par Jeune Afrique, Moulomba se justifie : « Il fallait qu’enfin quelqu’un lui dise la vérité en face. J’ai vidé mon sac. » REVANCHE. Mamboundou prend aussi

Chantre du vote contre le système, Mamboundou est détesté dans les cercles du pouvoir, mais il n’en a cure. Son goût de la provocation, sa propension à se mettre en scène et ses discours au ton docte et moralisateur agacent. Même ceux qui l’apprécient critiquent cet homme caractériel qui ne supporte pas la contradiction. Ils raillent le politicien à l’ego « surdimensionné », qui veut toujours la « place du premier ». Ils moquent le goût prononcé de l’ancien ingénieur en télécommunications formé à Perpignan (France) pour les costumes sombres de bonne coupe et les cravates rouge écarlate. Personnalité écrasante, Mamboundou a tendance à reléguer ses partenaires de l’ACR au rang de simples collaborateurs. Au sein même de l’UPG, le parti qu’il a fondé en 1989, les critiques sont vives. Le 11 mars, Richard JEUNE AFRIQUE

Moulomba, compagnon de vingt ans et secrétaire général de l’UPG, a claqué la porte. « Vous avez une nouvelle attitude caractérisée d’irrespect, d’arrogance, d’insolence et de suffisance à l’égard de nous, vos collaborateurs. Attitude qu’adoptent généralement les gens qui ont atteint leurs objectifs et qui

vite ombrage d’une ambition autre que la sienne. Depuis que Jean-Félix Mouloungui, ex-porte-parole de l’UPG, a choisi d’entrer au gouvernement en 2009, grillant la politesse au patron du parti, Mamboundou ne lui adresse plus la parole. Lors des négociations avec le PDG, il aurait même exigé la tête de son ancien allié, devenu ministre des Petites et Moyennes Entreprises. Avec l’UN, Mamboundou demeure prudent. Fin tacticien, il prend soin de ménager les anciens du PDG passés à l’opposition. Il n’a pas non plus condamné l’autoproclamation d’André Mba Obame (qu’il déteste) à la présidence du Gabon. À une autre époque, pourtant, il n’aurait pas épargné l’ancien ministre de l’Intérieur, comme en février 2007, quand il l’a accusé d’avoir tenté de « vendre » l’île de Mbanié à la Guinée équatoriale. Une chose est sûre : Mamboundou, que la rumeur avait dit mourant en raison de problèmes cardio-vasculaires, est en train de prendre sa revanche. Il n’ira pas au gouvernement pour faire de la figuration. « Il ne veut surtout pas passer pour un faire-valoir du pouvoir à l’instar de Paul Mba Abessole », la plus belle « prise de guerre » d’Omar Bongo Ondimba, conclut un journaliste gabonais. ● GEORGES DOUGUELI

UN RALLIEMENT QUI FAIT GRINCER DES DENTS À COUP SÛR, ses camarades de l’Union nationale (UN) lui tiendront rigueur d’avoir empêché un raz-de-marée de l’opposition à l’Assemblée nationale. Négocié avec l’Alliance pour le changement et la restauration (ACR), que dirige Mamboundou, l’accord aurait dû permettre aux adversaires du chef de l’État de rafler la majorité des 120 sièges de députés lors des législatives de la fin de 2011. L’UN s’engageait à ne pas présenter de candidats dans les fiefs de l’ACR (Nyanga, Ngounié, OgoouéMaritime), tandis que Mamboundou et ses amis faisaient de même dans les bastions de l’UN (Estuaire, Woleu-Ntem, Moyen-Ogooué). L’accord a fait long feu. La faute à Mamboundou, qui, murmure-t-on à l’UN, « avait G.D. un deal avec Bongo père, qui va être parachevé par Ali ». ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Afrique subsaharienne

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OPINION Opin Op inions & éditoriaux

Kaddafi et moi

LUKE MACGREGOR/REUTERS

Q Yoweri Museveni Président de la République d’Ouganda depuis 1986.

UAND MOUAMMAR KADDAFI a pris le pouvoir, en 1969, j’étais étudiant en troisième année à l’université de Dar es-Salaam. Nous avons salué l’arrivée de cet homme qui se plaçait dans la tradition nationaliste et panarabe du colonel égyptien Gamal Abdel Nasser. Mais Kaddafi a vite commencé à poser problème à l’Ouganda et à l’Afrique noire. Il a soutenu Idi Amin Dada. Idi Amin Dada a pris le pouvoir en Ouganda avec l’aide d’Israël et du Royaume-Uni. Ces deux pays pensaient que, parce qu’il était peu éduqué, il serait facilement manipulable. Mais Amin s’est retourné contre ses anciens alliés et c’est à ce moment-là que le colonel Kaddafi a décidé de lui apporter son soutien. Simplement parce qu’Amin était un « musulman » et que l’Ouganda était un « pays musulman », où les croyants étaient « opprimés » par les chrétiens. Amin a tué beaucoup de gens sans aucune forme de procès et Kaddafi a été associé à ces erreurs. Il a brusqué l’Union africaine (UA). Sa deuxième erreur a été de vouloir imposer rapidement un gouvernement continental à l’Union africaine – un point de vue qu’il défend depuis 1999. Les Africains sont toujours polis. Ils ne cherchent pas à offenser les autres peuples et s’adressent avec attention et respect aux étrangers. C’est ce que l’on appelle chez nous l’obufura (en runyankore), le mwolo (en luo). Nous avons essayé d’expliquer poliment au colonel Kaddafi que les États-Unis d’Afrique n’étaient pas réalisables, ni à court ni à moyen terme. Nous avons préféré soutenir l’idée d’une communauté économique d’Afrique et, lorsque cela était possible, de fédérations régionales. Kaddafi n’a pas cédé. Il n’a pas respecté les règles de l’Union.

que notre Constitution l’interdit. En Éthiopie, j’ai insisté pour supprimer toute référence aux chefs traditionnels qui s’étaient exprimés au sein de l’UA, après y avoir été invités illégalement par Kaddafi. Il a sous-estimé le problème du Sud-Soudan. Kaddafi est comme la plupart des dirigeants arabes. Il a soit provoqué, soit ignoré les souffrances des Noirs du Sud-Soudan, même s’il a, par la suite, demandé à El-Béchir de reconnaître les résultats du référendum. Cette injustice a créé des tensions et des frictions entre nous et les Arabes. Il n’a pas dit non au terrorisme. Encore une fois, Kaddafi est comme certains dirigeants du Moyen-Orient qui ne prennent pas suffisamment leurs distances par rapport au terrorisme, même quand ils se battent pour une juste cause. Le terrorisme, c’est utiliser la violence de manière indiscriminée, sans faire de distinction entre cible militaire et cible civile. Les radicaux du Moyen-Orient, assez différents des révolutionnaires d’Afrique noire en cela, semblent penser que tous les moyens sont bons tant qu’il s’agit de combattre l’ennemi. Ils détournent des avions, commettent des assassinats, placent des bombes dans des bars. Nous sommes aux côtés des Arabes pour combattre le colonialisme. Mais les mouvements de libération africains se sont développés différemment : nous avons fait

Avec les Occidentaux, il y a toujours deux poids, deux mesures. Pourquoi sont-ils intervenus en Libye et pas à Bahreïn ?

Il a voulu doubler les autres chefs d’État. Sa troisième erreur a été d’utiliser l’argent de la Libye pour interférer dans les affaires internes de nombreux pays africains. Un exemple : son implication auprès des chefs traditionnels d’Afrique noire. Parce que les dirigeants politiques avaient refusé de soutenir son idée d’États-Unis d’Afrique, Kaddafi a cru pouvoir les doubler et travailler avec ces rois pour parvenir à ses fins. Je l’ai prévenu, à AddisAbeba, que tout roi ougandais qui s’impliquerait en politique aurait à répondre de ses actes, parce N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

usage des armes, combattu des soldats, saboté des infrastructures, mais jamais visé des civils. Ceci étant dit, force est de constater que le colonel a parfois aussi agi de manière positive, notamment en faveur de l’Afrique, de la Libye et des pays en développement. Voici pourquoi. C’est un vrai nationaliste. Le colonel Kaddafi a toujours mené ses politiques intérieure et extérieure de manière indépendante. Je ne comprends pas la position des dirigeants occidentaux qui supportent mal les dirigeants indépendants d’esprit et qui leur préfèrent des marionnettes. Une marionnette ne fait jamais de bien à un pays. La plupart des pays qui ont quitté le statut de pays du tiers-monde pour atteindre celui de pays développés depuis 1945 ont eu des responsables indépendants. Et en Afrique JEUNE AFRIQUE


MAHMUD TURKIA/AFP

Afrique subsaharienne

aussi, nous avons eu un certain nombre de dirigeants indépendants: Nasser en Égypte, Nyerere enTanzanie, Samora Machel au Mozambique. C’est ainsi que l’Afrique du Sud a été libérée. C’est ainsi que nous nous sommes débarrassés d’Idi Amin Dada. La fin du génocide au Rwanda, le renversement de Mobutu… tout cela a été obtenu grâce aux efforts de dirigeants indépendants. Quelles que soient ses erreurs, Mouammar Kaddafi est un vrai nationaliste. Il a fait monter les prix du pétrole. Avant que Kaddafi ne parvienne au pouvoir, en 1969, le baril de pétrole coûtait 40 cents américains. Il a lancé une campagne visant à stocker le pétrole arabe jusqu’à ce que l’Occident se décide à payer plus. Je crois savoir que le pétrole est alors monté à 20 dollars le baril. Quand la guerre israélo-arabe de 1973 a éclaté, le baril est monté à 40 dollars. Je suis, du coup, surpris d’entendre que de nombreux producteurs de pétrole dans le monde, y compris des pays du Golfe, n’apprécient pas le rôle historique de Kaddafi sur ce sujet. L’immense richesse dont jouissent certains de ces producteurs est due, au moins en partie, au colonel. La Libye lui doit beaucoup. Je n’ai jamais pris le temps d’analyser les conditions socio-économiques qui prévalent en Libye. La dernière fois que j’y suis allé, j’ai pu voir de bonnes routes depuis le ciel. À la JEUNE AFRIQUE

LE CHEF DE L’ÉTAT OUGANDAIS (EN COSTUME GRIS) et le colonel Kaddafi (au premier plan), le 27 juillet 2010, au dernier jour d’un sommet de l’Union africaine, à Kampala.

télévision, on voit des rebelles qui se déplacent dans des pick-up sur de très bonnes routes, accompagnés par des journalistes occidentaux. Qui les a construites ? Qui a construit la raffinerie de Brega et ces usines où l’on se bat aujourd’hui? Ces équipements ont-ils été mis en place sous le règne du roi et de ses alliés américains et britanniques, ou bien par Kaddafi? En Égypte et enTunisie, des jeunes se sont immolés parce qu’ils n’avaient pas trouvé de travail. Et en Libye, le conflit est-il économique ou purement politique? C’est là un sujet sur lequel seuls les Libyens sont à même de trancher. Avec les pays occidentaux, il y a toujours deux poids, deux mesures. En Libye, ils ont très vite imposé une zone d’exclusion aérienne. À Bahreïn, comme dans d’autres pays pro-occidentaux, ils ont fermé les yeux sur des situations identiques. Nous avons demandé aux Nations unies d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Somalie, pour empêcher le déplacement des terroristes liés à Al-Qaïda, qui ont tué des Américains le 11 septembre 2001, des Ougandais en juillet dernier et qui ont causé tant de mal aux Somaliens. Sans succès. Pourquoi? N’y a-t-il pas d’êtres humains en Somalie comme il y en a à Benghazi ? Ou bien est-ce parce qu’il n’y a pas de pétrole en Somalie ? ● Extraits d’une tribune publiée dans son intégralité par le quotidien ougandais New Vision. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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BAUDOIN MOUANDA POUR JA

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CENTRAFRIQUE

Le dernier voyage de Patassé L’ancien chef de l’État s’est éteint, le 5 avril, à Douala (Cameroun). Il était arrivé en deuxième position à la présidentielle du 23 janvier.

A

nge-Félix Patassé avait quitté rentré en décembre 2008, Patassé confiait Bangui le 2 avril, à bord d’un à Jeune Afrique, le 24 janvier : « Bozizé est mon petit frère, je prêche la repentance vol Kenya Airways. Il devait subir des soins pour son diaet la réconciliation. » bète dans une clinique de Malabo (Guinée Méfiant, François Bozizé aura empêché équatoriale). Mais l’ancien président à plusieurs reprises l’ancien chef de l’État centrafricain n’est jamais arrivé à desd’aller se faire soigner en Guinée équatination. Il est mort le 5 avril à Douala toriale. Le 2 avril, la pression populaire (Cameroun), où il avait fait escale trois et diplomatique – notamment celle du jours plus tôt. Il avait 74 ans. président congolais (Brazzaville) Denis Le 21 janvier dernier, cet ancien ingéSassou Nguesso – a finalement eu raison nieur agronome, formé en France, parade son obstination. La famille de Patassé dait dans Bangui, le buste dépassant du refuse néanmoins l’organisation d’obsèques nationales. toit ouvrant d’un Hummer. Le regard encore vif caché derrière de vieilles lunettes de soleil, affuIl fait son entrée en politique blé de son inséparable nœud sous Bokassa et organise, en papillon, il brandissait une bible 1977, le sacre de l’empereur. devant une foule de partisans. C’était l’avant-veille de la préNé à Paoua, dans le nord-ouest du sidentielle, à laquelle il était candidat. Deux fois élu chef de l’État – en 1993 et en pays, en 1937, Patassé entre en politique 1999 –, il arrivera en deuxième position, sous Jean-Bedel Bokassa. Ministre du avec 20,1 % des voix, face au président Développement rural, puis du Tourisme, sortant, François Bozizé, vainqueur dès il est nommé Premier ministre en décemle premier tour d’une élection dont les bre 1976. À ce poste, il organise le sacre de conditions ont été contestées par l’opposil’empereur, un an plus tard. Mais en 1979, tion et critiquées par les observateurs. il se retournera contre ce dernier en créant un parti d’opposition, le Mouvement EXIL AU TOGO. Les deux hommes étaient de libération du peuple centrafricain de vieux adversaires : le 15 mars 2003, le (MLPC). Bokassa est débarqué par la général Bozizé, alors chef d’état-major, France lors de l’opération Barracuda la renversait Patassé après une longue rébelmême année. En 1982, le chef du MLPC lion. Ayant « rencontré Dieu » pendant tente de renverser le chef de l’État, André cinq années d’un exil au Togo d’où il était Kolingba. Ses compagnons d’armes sont

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

UNE BIBLE À LA MAIN, LE 21 JANVIER, lors d’un meeting à Bangui.

alors deux généraux, François Bozizé et Alphonse Mbaïkoua. Tandis que le premier se réfugie au Tchad et le second dans son village natal, Patassé, vêtu d’un large boubou, se présente à l’ambassade de France qui, à l’époque, tire les ficelles à Bangui. Protégeant Kolingba, l’ancienne puissance coloniale est embarrassée. Sa solution : un exil de Patassé au Togo – déjà. ACCENTS MYSTIQUES. L’« Ange » revien-

dra dans le jeu politique avec le multipartisme. Il remporte la présidentielle de 1993, considérée comme démocratique, une première depuis l’indépendance. La suite est moins rose. Elle est marquée par des mutineries à répétition, un tribalisme exacerbé – au sein de sa garde notamment, dominée par sa famille ethnique – et de nombreuses tentatives de coups d’État. Les crimes des troupes du Congolais Jean-Pierre Bemba, qu’il appelle à la rescousse fin 2002, entacheront aussi son image. Les avocats de Bemba, actuellement jugé par la Cour pénale internationale, ont souvent réclamé la comparution de Patassé. À Bangui et dans son fief, il reste cependant populaire. D’éducation catholique, Patassé était rentré évangélique de son exil togolais. Arguant de sa stature d’homme d’État et d’expérience, il cherchait à se placer au-dessus de la mêlée. Dans des discours aux accents mystiques, il citait la Bible, promettait des miracles et assurait que la Centrafrique était « bénie des dieux ».● MARIANNE MEUNIER JEUNE AFRIQUE


Coulisses

Afrique subsaharienne

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POLÉMIQUE

Un prince au Congo À Lubumbashi, le fils cadet du roi des Belges aurait bénéficié des largesses d’un proche du pouvoir.

CINQ ÉTOILES. À son palmarès, l’héritier

vient d’ajouter une prouesse diplomatique : un voyage en RD Congo, mi-mars, effectué contre l’avis de son monarque de père et du Premier ministre Yves Leterme. Passionnelles, les relations entre Kinshasa et Bruxelles font toujours l’objet de savants calculs diplomatiques. Le prince Laurent a piétiné la règle. Sous prétexte d’une mission scientifique pour la fondation qu’il dirige (fondation dédiée à la gestion des forêts), il a profité de son séjour pour rencontrer le président Joseph Kabila et aurait même bénéficié des largesses de l’homme d’affaires belge établi à Lubumbashi, George Forrest, proche du pouvoir. Le groupe minier dirigé par ce dernier a réglé la note – 7 000 euros – du séjour princier à l’hôtel Karavia, un cinq étoiles dans la capitale du Katanga. Citée par deux journaux flamands – De Standaard et De Morgen –, l’entreprise a annoncé que le remboursement était prévu. En revanche, le prince Laurent, lui, ne songe pas à rembourser la « dotation » annuelle de 312 000 euros qu’il touche en tant que membre de la famille royale, et qui est régulièrement remise en question. ● MARIANNE MEUNIER JEUNE AFRIQUE

ERICK AHOUNOU/APANEWS

C

inquante ans après l’indépendance, le Congo continue de faire des remous en Belgique. Après les diamants offerts par le président Kabila à la reine Paola, en juin 2010, c’est un voyage du prince Laurent, 47 ans, qui agite le royaume. Le fils cadet d’Albert II ne s’est jamais distingué par sa discrétion. En août dernier, de retour de vacances en Italie avec sa famille, il a pris place dans l’avion en classe affaires tout en ayant acheté un billet de classe économique. Le personnel de bord a renoncé à déloger l’auguste marmaille. Il l’avait fait deux mois plus tôt, et essuyé au passage d’aimables réflexions du prince sur son manque de professionnalisme.

BÉNIN BONI YAYI REPART POUR UN TOUR L’opposition avait bataillé pour le respect des délais légaux. Eh bien, c’est chose faite ! Le 6 avril, cinq ans après sa première prestation de serment, Thomas Boni Yayi, 58 ans, a juré de respecter et de servir la Constitution et les Béninois. Le tout à Porto-Novo, en présence de présidents amis (dont Sassou Nguesso du

CAMEROUN LES DÉPUTÉS ONT DU PAIN SUR LA PLANCHE Réunis en séance extraordinaire, du 6 au 9 avril, les députés camerounais devaient adopter deux projets de loi en lien avec la présidentielle. Le premier vise à garantir la transparence de la commission électorale, en y nommant des membres de l’opposition. Le second devrait aboutir à la création d’un poste de vice-président, susceptible d’assurer la continuité de l’État en cas d’incapacité du chef de l’exécutif.

Congo-Brazzaville, Bongo du Gabon, Wade du Sénégal et Gnassingbé du Togo), d’un ex-président béninois (Mathieu Kérékou) et de deux candidats malheureux au premier tour, Issa Salifou et Antoine Dayori. Mais ce sont surtout les absents qui ont été remarqués: Abdoulaye Bio-Tchané et Adrien Houngbédji, dont les recours en annulation ont été rejetés par la Cour constitutionnelle, et qui contestent toujours la victoire de Boni Yayi. ●

NIGER RÉCOMPENSÉS

KENYA L’HEURE DES COMPTES

Quatre Nigériens ont reçu, le 5 avril, le prix des meilleurs journalistes pour la prévention des conflits et des violences électorales, concours organisé par le Conseil national de dialogue politique (CNDP) et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Il s’agit d’Ali Abdou (Radio Garkuwa, à Maradi), d’Amadou Yéro Ibrahim (Télévision Bonférey), de Siradji Sanda et de Maimouna Tchirgny (Sahel-Dimanche).

Trois hauts responsables kényans ont répondu à la convocation de la Cour pénale internationale (CPI), le 7 avril. Les anciens ministres William Ruto et Henry Kosgey et le journaliste Joshua Arap Sang étaient à La Haye pour s’expliquer sur leur rôle dans les violences postélectorales de 2007. Le lendemain, c’était au tour du vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta, de Francis Muthaura, bras droit du président Kibaki, et de Mohammed Hussein Ali, ex-chef de la police. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


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Maghreb & Moyen-Orient

TUNISIE

Touche pas aux droits de la femme

Inquiètes face au discours ambigu des islamistes, féministes et laïques redoublent de vigilance. Et interpellent les autorités provisoires et la société civile pour qu’elles leur garantissent la protection de leurs acquis.

FAWZIA ZOUARI,

I

envoyée spéciale à Tunis

explique l’avocate Bochra Belhaj Hmida, ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), autant je refuse aujourd’hui de croire que la menace islamiste est un leurre. » Faut-il attendre des formations dites libérales et laïques qu’elles fassent échec à ce courant religieux? « Les pourparlers actuels tournent plutôt en faveur de ce dernier, déplore Bochra. Les islamistes sont en train de s’exprimer, de réagir dans les mosquées, les médias,etcherchentànouerdesalliancespolitiques. Les partis dits progressistes courtisent Ennahdha, alors qu’ils devraient s’allier entre eux, étudier les moyens de combattre ce courant sur le plan culturel et politique, et dénoncer les contradictions de son discours.»C’estpourquoil’avocate,ainsiqued’autres militantes de l’ATFD, entend exiger de tous les partis qu’ils promettent dès à présent de maintenir et de renforcer le code du statut personnel (CSP) et la

ls sont là. Barbes et qamis, les yeux cerclés de khôl, regards incendiaires. « Mais où étaient-ils donc cachés? » se demande une blogueuse. Ces salafistes du parti El-Tahrir – non autorisé –, qui font figure d’extraterrestres au pays de Bourguiba, s’affichent désormais au grand jour, et leurs démonstrations musclées font la une des journaux. Une semaine à peine après la chute de Ben Ali, ils s’en prenaient déjà sans détours, dans leurs prêches ou dans leurs réunions publiques, à l’émancipation des femmes. Pour ces « talibans », comme on les appelle ici, la chose est claire : il faut rétablir la charia, donc la polygamie et le mariage religieux, et, pour résorber le chômage, forcer les femmes à retourner au foyer. Ce sont eux qui ont mis le feu à plusieurs maisons closes, arguant que l’islam interdit la prostitution. Tous les partis politiques doivent s’engager Eux qui fustigent les passantes non voilées, les femmes artistes. à maintenir le code du statut personnel. Eux, toujours, qui ont frappé une journaliste de la chaîne Nessma parce qu’elle a parité, et de s’attaquer à la question de l’héritage, animé une émission sur la laïcité. Autant d’alertes qu’il faudra rendre équitable. Elles se sont attelées qui ont poussé féministes et laïques à accentuer à préparer un pacte qui engagerait dans ce sens la leur vigilance, notamment à travers une manifessociété civile et la classe politique. Bochra se dit « inquiète, mais pas alarmée » : tation contre l’intégrisme, le 9 avril, à Tunis, et à « Chaque fois qu’il y a un changement, on croit interpeller les autorités provisoires. que le CSP risque d’être touché. Mais je crois qu’il Mais le danger ne vient peut-être pas tant des salafistes que des tenants d’un islam prétendument existe des forces qui feront en sorte que ces acquis « soft » affiché par les militants d’Ennahdha – parti soient protégés et renforcés. C’est en tout cas notre autorisé –, dont le discours demeure pour le moins mission en tant que militantes féministes. » La ambigu. « Autant je n’acceptais pas qu’on dise blogueuse Mona Ben Halima (lire pp. 44-45) est que Ben Ali était un rempart contre les islamistes, encore plus optimiste: « Je ne comprends même N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

À bord de LA CARAVANE DU REMERCIEMENT,

sur la route de Sidi Bouzid, le 6 février.

JEUNE AFRIQUE


ONS ABID

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REPRÉSENTATION. Seulement voilà, comment

les femmes réussiront-elles à se faire entendre si elles ne disposent pas d’une représentation dans les instances politiques? Car c’est là l’autre menace qui guette les Tunisiennes: la révolution risque de les laisser au bord de la route, comme naguère les moudjahidate algériennes. En effet, sitôt le soulèvement terminé, les femmes qui s’étaient fortement impliquées dans la révolution (lire pp. 44-45) ont, à quelques exceptions près, disparu de la scène politique et des réseaux médiatiques. Le gouvernement provisoire ne compte qu’une seule ministre – en dehors de celle chargée des Affaires de la femme. Idem pour les partis politiques, où la présence féminine à des postes de direction est quasi nulle, exception faite du Parti démocratique progressiste (PDP) d’Ahmed Néjib Chebbi, dont Maya Jribi est la secrétaire générale. Pas de figures connues dans les rangs de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), trois seulement à la Ligue de défense des droits de l’homme, une présence symbolique parmi les membres du Conseil de la révolution. Quant au dossier du droit des femmes, il ne figure ni sur JEUNE AFRIQUE

l’agenda du gouvernement provisoire ni sur celui des partis d’opposition. « Aujourd’hui, les femmes dérangent plus qu’elles ne dérangeaient avant, affirme Bochra. Chaque fois qu’on veut ramener la question féminine sur le tapis, les hommes nous sortent l’argument classique du “ce n’est pas le moment”, “ce n’est pas la priorité”, “c’est contreproductif”. En fait, ils ont peur que les femmes leur prennent leur place. Quand notre association des femmes démocrates parle de démocratie, elle rencontre un écho au sein des partis d’opposition. Mais dès qu’elle parle des femmes, ces derniers sont absents ou hostiles. À preuve, alors que le consensus est là pour ratifier les conventions internationales, on refuse de se prononcer sur les conventions qui ont trait aux droits des femmes, comme la non-discrimination entre les sexes ou l’héritage. » Et Bochra de conclure:«Lesfemmes, ils ont en besoin, ils les onttoujoursinstrumentalisées. Mais il faut que cela cesse ! » ●

Æ L’avocate Bochra Belhaj Hmida : « Les hommes ont PEUR qu’on leur prenne leur place. »

ONS ABID POUR J.A.

pas pourquoi on maintiendrait un ministère de la Femme ou une fête de la Femme. C’était en 1957, ça! Aujourd’hui, le CSP est un acquis. C’est à nous, membres de la société civile, d’être vigilants. Il n’y aura pas de retour en arrière. Nous combattons pour la modernité! »

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Maghreb Moyen-Orient

Elles ont fait la révolution Ce n’est pas parce que les Tunisiennes ont le triomphe modeste qu’il faut oublier leur rôle central dans la chute de la dictature. Journalistes, blogueuses, étudiantes, femmes du peuple… Elles étaient là le 14 janvier. Et témoignent.

P

our Racha Tounsi, le constat ne fait pas de doute : la révolution s’est faite avec et grâce aux femmes. De mère syrienne et de père tunisien, cette journaliste, figure incontournable de la scène culturelle locale, était sur l’avenue Bourguiba le jour où Ben Ali a fui. Ce sont des jeunes des quartiers pauvres auxquels elle venait en aide qui l’ont appelée à les rejoindre : « Ils m’ont dit, Tata, tu viens avec nous. J’y suis allée. Je me suis fondue dans la foule, j’ai aimé les slogans,j’écrivais,jephotographiais, j’étais dans le mouvement sans y être vraiment. » Parmi les manifestants, un grand nombre de jeunes filles, constate-t-elle, des avocates, des étudiantes. La veille, des intellectuelles avaient manifesté devant le Théâtre municipal, où elles avaient été prises à partie par la police, frappées ou traînées par les cheveux, comme la comédienne Raja Ben Ammar. « Les garçons ont protégé les filles contre les matraques. J’avoue que j’ai eu peur ! Les policiers n’étaient

ONS ABID POUR J.A.

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Racha Tounsi, journaliste. « Les policiers n’étaient pas dans leur état normal. Ils nous fonçaient dessus COMME DES CHIENS. »

pas dans un état normal, ils nous

fonçaient dessus comme des Elles représentent chiens. » Mais Racha n’oubliera

27,9 %

de la population active

34 %

des journalistes

pas les jours heureux de cette révolution : « Jamais je n’avais senti des moments aussi forts et émouvants, une telle démonstration de vérité et de solidarité. J’étais vraiment fière de m’appeler Racha Tounsi ! » Et la journaliste de saluer le courage des Tunisiennes, celles qui étaient dans les cortèges de Sidi Bouzid à partir du 17 décembre, au cœur des événements de Kasserine et de Thala, occupées à soigner les blessés, celles qui, aussi, ont passé leurs nuits à cuisiner pour nourrir les soldats de l’armée et les comités de quartier qui les protégeaient contre les milices et les pilleurs. Mona Ben Halima a été l’une des blogueuses les plus actives de

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la révolution. Elle raconte comment elle a rencontré un jour sur Twitter un groupe de jeunes qui se connaissaient virtuellement et se reconnaissaient dans les mêmes revendications. Cette femme bouillonnante de 38 ans, fille d’hôteliers, doit son éveil politique à la guerre du Golfe, en 1991, alors qu’elle était en prépa à Louisle-Grand, à Paris. L’enfant choyée décide de descendre dans l’arène de la contestation dès son retour à Tunis, où, tout en dirigeant son hôtel, elle entend lutter contre le régime: « J’ai toujours entendu dire: “On a le pays et le président qu’on mérite.” Alors j’ai décidé de démontrer le contraire. On était encore loin d’imaginer la chute de Ben Ali. Pour nous, la première bataille sur internet était celle de la liberté de la


ONS ABID POUR J.A.

Tunisie Touche pas aux droits de la femme

Mona Ben Halima, blogueuse. « Le vrai MOTEUR DE LA RÉVOLUTION, ce sont les gens qui sont descendus dans la rue. »

presse, qui pouvait rendre possible la dénonciation de la corruption et du clientélisme. » « AMMAR ». Avec son groupe

d’internautes, elle lance, le 22 mai 2010, une journée intitulée « Nhar ala Ammar! » (« Mauvais jour pour Ammar »), du surnom de la censure sur internet, mais son mari l’empêche d’y aller de craintequ’elle nesoit arrêtée. Le 22 décembre, au plus fort de la contestation, Mona envoie au journaliste Laurent Delahousse, de France 2, un appel au secours pour lui demander de « relayer ce qui se passe en Tunisie ». Elle continue de faireparvenirauxréseauxlesimages desexactionsetdesmortsencontrecarrant la censure via des proxy. Le 3 janvier au matin, son mari reçoit un coup de fil anonyme : « Dis à ta femme de fermer sa gueule ! » Le 4, elle affiche l’intimidation sur son statut, assortie de la question « Que dois-je faire? » Le statut est repris par europe1.fr, qui le publie. «Ammar»menacedes’enprendreà ses deux enfants. « Mais le 10 janvier, c’étaittroptard,lescyberactivistesse comptaient par milliers, on ne pouvait pas tous les arrêter. Le 14, nous étions dans la rue et la réalité allait dépasser nos rêves! » Mais si Mona reconnaît la part décisive d’internet dans le soulèvement, elle « refuse de dire que cette révolution a été faite par Facebook. Le vrai moteur, JEUNE AFRIQUE

42,5 % des avocats

45 % des chercheurs

72 %

des pharmaciens

qu’elles soient présentes sur le terrain politique et social. Elles doivent être partie prenante dans tous les débats et projets d’avenir. Ces dernières années, l’image de la femme a été dépréciée, il faut en créer une autre, celle d’une Tunisienne digne de la révolution. » Issue d’un milieu rural,RajaveutsurtoutquelaTunisie de demain donne sa chance aux femmes de l’intérieur du pays: « Il faut des actions concrètes et rapides pour venir à bout de la pauvreté et de la misère de cette population. On n’a plus de temps à perdre avec les étudesdeterrain,lesinspectionsdes chercheurs et des sociologues. On attenduneactiondedéveloppement sérieuse et efficace. Le 14 janvier a révélé la richesse et l’importance de ces régions oubliées. Il est temps qu’elles existent. » Rabia, 29 ans, diplômée en agronomie, attendait depuis trois ans la réponse à une demande de prêt promise par l’ancien gouvernement aux jeunes étudiants de son cursus. Mais c’est un autre événement qui

ce sont les gens qui sont descendus dans la rue ». Aujourd’hui, Mona estime qu’elle a pour mission d’éveiller la conscience du citoyen et de vulgariser certains concepts politiques, comme « démocratie », « Parlement », Son mari reçoit un coup de fil ou « Constituante ». Avec ses amis, elle vient de anonyme: « Dis à ta femme demander à une troupe de fermer sa gueule. » de théâtre de monter une pièce faisant office de dictionnaire la poussera à s’engager : le jour où son père meurt d’une crise cardiapédagogique, avec un titre tout que après avoir vu son entreprise trouvé : Jeux demo. Depuis cinq ans, Faouzia, origiconfisquée par un mafieux. Son frère, militant à la fac, a été, quant naire d’une ville du Nord-Ouest et titulaire d’une maîtrise de lettres à lui, jeté en prison sous de fausses françaises, est au chômage. Pour accusations.Lesdeuxépreuvesvont elle, la révolution était prévisible : lui ouvrir les yeux: « J’ai réalisé que « Tous ces diplômés qui errent dans la politique est l’expression de la vraie société et qu’elle seule crée les les rues sans espoir et sans horizon, la cherté de la vie, les salaires très moyensderépondreàdesexigences bas, le peuple qui crève de faim vitales urgentes. J’entendais parler et croule sous l’oppression, tout de démocratie, mais aujourd’hui je cela nous a fait descendre dans la comprends enfin ses objectifs. J’ai rue. Je n’ai jamais été aussi fière aussi pris conscience que la liberté d’appartenir à ce pays arabe qui, ne peut se définir que comme une le premier, a osé s’opposer à son liberté partagée par tous. Bien sûr, gouvernement. » elledoitreposersurunprincipefondamental: la laïcité. On ne veut pas UN DEVOIR. Pour Raja, 24 ans, éturemplacer le joug des politiques par dianteensociologie,laparticipation le joug des islamistes. Cette révoaux manifestations était un devoir. lution est celle de la jeunesse, des Son argument est imparable: « Les femmes, du peuple, et il faut qu’elle femmes ont les mêmes revendiengendre une société qui n’exclut cations et les mêmes droits que aucune catégorie sociale ! » ● les hommes, aussi est-il essentiel FAWZIA ZOUARI N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Maghreb Moyen-Orient

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préservéoùlesjeunesPalestinienspeuvent échapper à la réalité du conflit. Ce double héritage, Mer-Khamis l’a toujours assumé avec fierté. « Je suis le fils de deux peuples, d’une famille juive brûlée à Buchenwaldetd’unefamillepalestinienne chassée de sa terre », disait-il, comme pour Assassiné le 4 avril à Jénine, l’acteur et metteur en scène judéose détacher de toute posture victimaire. arabe était l’un des derniers symboles du rapprochement entre les Après un passage dans la prestigieuse brideux peuples. gade parachutiste de Tsahal, Mer-Khamis se consacre au cinéma. Sa première apparition sur grand écran remonte à 1984, dans La Petite Fille au tambour (de George Roy Hill), un thriller américain qui jette un regard trouble sur le conflit israélopalestinien. Au total, il jouera dans une vingtaine de films, principalement avec le réalisateur Amos Gitaï. Ý IL DÉNONÇAIT Sa carrière connaîtra un L’OCCUPATION tournant en 2002, après israélienne la bataille de Jénine qui tout comme voit la destruction du certains petit théâtre fondé par travers de la société sa mère. Mer-Khamis palestinienne. lui rend hommage dans un documentaire poignant, Les Enfants d’Arna, et découvre que la plupart d’entre eux sont devenus des « martyrs » de la seconde Intifada, combattants ou kamikazes. À cette occasion, il se lie d’amitié avec Zakaria al-Zoubeidi, chef des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, on histoire réunit tous les ingréLiberté qu’il avait ressuscité quelques branche armée du Fatah, alors activement dients d’une tragédie procheannées plus tôt. recherché par Israël. orientale. Celle d’un infatigable À l’évidence, le destin de Mer-Khamis artisan du dialogue, libre penest aussi romanesque qu’insolite. Il naît RÉSISTANCE CULTURELLE. Adepte de la seur et provocateur, tiraillé entre deux à Nazareth de l’improbable union entre résistance culturelle, Juliano Mer-Khamis identités. Personnage hors norme et chacomprend que c’est sur scène qu’il doit une Juive israélienne, Arna Mer, et un rismatique, Juliano Mer-Khamis, 52 ans, porter ses convictions politiques et redonArabe chrétien, Saliba Khamis, que tout avait fait de sa passion pour le théâtre ner espoir aux Palestiniens. Contre vents et opposait à l’origine. Ancienne combatun pont entre les peuples. « On vivra tante du Palmah – une organisation juive marées, il avait fini par obtenir la réouverensemble, ou on ne vivra pas », avait-il clandestine –, Arna s’enrôle dans Tsahal ture du théâtre de Jénine en 2006. Mais son déclaré, en 2009, lors d’une interview à à sa création et participe à la première style dérangeait une société palestinienne la radio israélienne. Acteur et réalisateur guerreisraélo-arabede1948.Saliba,qu’elle encore trop conservatrice. L’acteur araboreconnu, il voyait dans l’expression artistiisraélien se savait depuis longque un moyen de briser les antagonismes. temps menacé. À deux reprises, Avant-gardiste, il assumait Sans tabou, Mer-Khamis dénonçait avec son théâtre avait été incendié. totalement et avec Les islamistes n’avaient pas véhémence l’occupation israélienne, tout comme certains travers d’une société appréciéLaFermedesanimaux, fierté son double héritage. palestinienne qu’il voulait « faire sortir une pièce adaptée du roman de de la culture du ghetto ». Son combat, rencontre quelques années plus tard, est George Orwell, où des acteurs musulmans peut-être encore trop avant-gardiste, un militant antisioniste qui deviendra l’un campent le rôle de cochons. L’assassinat s’est achevé dans le sang. Lundi 4 avril, des cadres du Parti communiste israélien. de Mer-Khamis a autant choqué le monde en plein cœur du camp de réfugiés de Le couple partage un même attachement artistique israélien que les intellectuels Jénine, un homme masqué s’est bruspour la défense des droits de l’homme. palestiniens. Jurant de punir le coupable, quement approché du véhicule rouge Dès lors, la mère de Juliano embrasse la le Premier ministre de l’Autorité palestidans lequel Mer-Khamis avait pris place cause palestinienne, définitivement. Au nienne, Salam Fayyad, a condamné « un acte qui viole nos valeurs et notre foi en et a tiré sur lui cinq balles à bout portant. moment où éclate la première Intifada, elle Le comédien meurt sur le coup, à quellance plusieurs projets éducatifs comme la coexistence ». ● ques mètres seulement du Théâtre de la le Théâtre des Pierres, à Jénine, un espace MAXIME PEREZ, à Jérusalem ISRAËL-PALESTINE

AP/SIPA PRESSE PHOTO/ALEX ROZKOVSKY

Juliano Mer-Khamis, à la paix, à la mort

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JEUNE AFRIQUE


Maghreb Moyen-Orient CHIISME

La leçon bahreïnie

Loin de vouloir s’inféoder à Téhéran, les membres de la branche minoritaire de l’islam aspirent d’abord à une juste intégration à la vie sociale, économique et politique des pays où ils sont nés.

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l’arrivée au pouvoir des chiites en Irak, la peur des gouvernants sunnites face à leurs populations « hérétiques » s’enracine dans la fracture apparue dès le Ier siècle de l’islam entre les tenants de l’orthodoxie des califes (la sunna) et les partisans de la lignée d’Ali, cousin et gendre du Prophète. Avec le temps, cette scission Les régimes arabes s’obstinent s’est muée en un schisme à voir dans ces communautés théologique fratricide qui transcende les frontières une cinquième colonne. des États modernes et justifie aujourd’hui, pour les gouveraprès avoir contraint l’État hébreu à se nants sunnites comme pour nombre retirer du pays du Cèdre, en 2000, et mis en échec l’invasion israélienne de de médias occidentaux, la dénonciation juillet 2006. d’un « axe chiite » qui s’étendrait du Mais si le transnationalisme des Golfe à la Syrie. réseaux cléricaux et de la propagande iranienne est une réalité, les événeSOLIDARITÉ TRANSNATIONALE. Le caractère transnational des solidarités ments qui agitent Bahreïn sont loin d’être chiites semble confirmer cette vision. téléguidés depuis Téhéran. Certes, le Pour tous les chiites, le cœur de la spipuissant groupe d’opposition Al-Wifaq ritualité se situe dans les grands sancrevendique son identité chiite, mais les tuaires d’Irak et d’Iran, où sont formés rangs des manifestants comptent des les religieux qui vont prêcher aux quatre libéraux sunnites qui réclament aussi coins de la terre d’islam. Le clergé chiite, la mise en place d’un régime parlementaire. Certes, les chiites, majoritaires dans la population, exigent plus de Mer reconnaissance et de pouvoir, mais ils nne Caspienne sont victimes de discriminations à tous les niveaux. Certes, les relations de cette Syrie communauté avec Téhéran existent, % 15% Iran 90 Liban % Irak 60 mais elle a prouvé son attachement à % Mer 40 Méditerranée la souveraineté nationale en refusant l’incorporation de Bahreïn à l’Iran lors Jordanie 2% du référendum de 1971. % Koweït 15 À Bahreïn, comme ailleurs dans le Bahreïn monde arabe, les chiites, loin de vou55% loir s’inféoder au régime des mollahs, CHIITES AU MOYEN-ORIENT aspirent à une juste intégration à la vie (en % de la population, sociale, économique et politique du EAU 15% estimations) pays où ils sont nés. Leur attribuer des Mer % intentions sécessionnistes est sans doute d'Oman Arabie saoudite 10 plus aisé pour les souverains sunnites que de faire face à leurs propres responMer sabilités. C’est aussi un moyen commode Rouge de pousser ces populations discriminées Yémen 40% dans les bras du seul État qui prenne leur défense : l’Iran. ● SOURCES : LOUËR, MEDEA, CIA, WFB.

epuis un mois et demi, la guerre froide que se livrent Riyad et Téhéran autour de Bahreïn semble prolonger le conflit séculaire entre les deux branches de l’islam : le chiisme, incarné par la République islamique d’Iran et majoritaire à Bahreïn (55 %), et le sunnisme, obédience du pouvoir bahreïni, défendu par les gardiens saoudiens de La Mecque. Dans un communiqué daté du 3 avril, les ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (CCG) accusent sans détour l’Iran de « fomenter des complots contre leur sécurité nationale » et de « semer la sédition et la dissension confessionnelle entre leurs citoyens ». La partie qui se joue en ce moment dans le Golfe révèle une pièce maîtresse de la politique étrangère de l’Iran, qui n’hésite pas à instrumentaliser les solidarités transnationales chiites, mais aussi l’obstination des dirigeants sunnites à voir dans ces minorités une cinquième colonne à la solde de Téhéran. Démultipliée par la révolution iranienne de 1979 et plus récemment par

LES

très hiérarchisé, entretient des réseaux pyramidaux à l’échelle mondiale et perçoit les frontières modernes comme l’héritage illégitime des puissances coloniales. Dans les années 1970, la répression des religieux irakiens par le Baas en a contraint beaucoup à s’exiler dans le Golfe et au Levant, où ils se sont faits les défenseurs des intérêts de leur communauté. Enfin, à partir de 1979, Téhéran a voulu exporter sa révolution, faisant craindre une contagion régionale. Le meilleur exemple en a été la création du Hezbollah libanais, en 1983, triomphant jusque dans l’opinion sunnite

LAURENT DE SAINT PÉRIER JEUNE AFRIQUE

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Maghreb Moyen-Orient Ý Huit manifestants TUÉS PAR LES FORCES DE L’ORDRE, à Douma, le 1er avril.

prise au sérieux, car elle sous-entend qu’il a compris qu’un changement est nécessaire. Alors pourquoi aucune mesure ou réforme radicale n’a-t-elle été annoncée? Là réside l’énigme syrienne. CLASSE MOYENNE. Plusieursexplications

HO NEW/REUTERS

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SYRIE

Bachar dos au mur

Face à une contestation qui ne désarme pas, le président n’a plus guère le choix : soit il réforme en profondeur et vite, soit il disparaît.

L

peuvent être avancées à cela. D’abord, Bachar, un peu comme son père – le défunt Hafez al-Assad, au pouvoir pendant trente ans –, déteste être mis sous pression. Il veut agir à sa façon, à son rythme, convaincu qu’il est le mieux placé pour préparer la Syrie à entrer dans une économie mondialisée. D’où la série de réformes financières, économiques, éducatives et technologiques qu’il a engagées dans la dernière décennie. Une seule stratégie : avancer progressivement de manière à assurer la stabilité, son ultime priorité. Comme l’écrivait, le 31 mars, Volker Perthes, spécialiste allemand de la Syrie, dans l’International Herald Tribune, « Assad […] n’est pas un réformateur mais plutôt un modernisateur ». Mais si cette approche progressive a réussi au président par le passé, elle n’est clairement plus appropriée. La révolution est à sa porte. Le temps est venu pour lui de faire preuve d’audace, et le plus vite possible. Mais sa seule volonté suffirat-elle ? Car d’autres puissantes forces ne souhaitent pas le changement. Partout dans le monde, certains groupes s’op-

plupart des pays où les révoltes ont éclaté, les protestataires sont animés par l’ardente volonté de punir une poignée de puissants, proches d’un pouvoir cupide et corrompu. Mais ils ont une troisième exigence, qui a au moins autant d’importance que les revendications politiques et économiques: le recouvrement de leur dignité. Le citoyen lambda veut être traitéavec respect par les autorités, il ne veut plus être insulté, humilié, Au-delà des revendications battu, ni même simplement politiques et économiques, LIBERTÉ. Les revendications autour desdélaissé. quelles se sont mobilisés les jeunes du Il est toujours hasardeux une exigence : la dignité. monde arabe sont de deux ordres: politide lire dans le marc de café, posent à toute évolution dès lors qu’elle que et économique. Sur le plan politique, surtout quand la situation évolue rapideils réclament la liberté de la presse, la ment, mais on peut dire avec une certaine menace leurs intérêts personnels. La Syrie liberté de réunion, la liberté de créer des assurance que si le régime syrien consenne déroge pas à la règle. partis politiques, la liberté de choisir leurs tait à faire un sérieux effort pour répondre Quisontdonclesdéfenseursdurégime? propres représentants à travers des aux demandes de la population, il Il y a tout d’abord l’armée et les services de aurait de grandes chances de élections transparentes, la fin sécurité, dominés par les alaouites. Il y a Un taux survivre. S’il ne le fait pas, la des brutalités policières, de ensuite les riches négociants sunnites de de pauvreté rébellion se poursuivra. Car la torture et des arrestations Damas, alliés de longue date du pouvoir. avoisinant les jeunes semblent désorarbitraires, mais aussi – et Mais il y a aussi une autre catégorie de mais prêts à risquer leur vie. c’est important – la libérala population, plus importante encore : de la En tirant à balles réelles sur tion des prisonniers d’opices milliers de membres de la nouvelle population les manifestants, le régime et influente bourgeoisie qui ont bénéficié nion et l’indépendance de la justice. Sur le plan économique, peut gagner un peu de répit, ces dernières années de l’afflux d’investisles manifestants demandent des mais il se discrédite alors totalesements étrangers, de la libéralisation du emplois, une baisse des prix des produits ment. Comme l’a dit Bachar al-Assad en secteurbancaireetdeceluidesassurances, personne le 30 mars : « Sans réformes, alimentaires et des logements, l’égalité et du passage d’une économie contrôlée nous courons tout droit à notre perte. » des chances et des perspectives d’avenir par l’État à une économie de marché. À pour eux-mêmes et leurs enfants. Dans la Cette remarque du président doit être ces soutiens s’ajoutent des Syriens de tous e pouvoir syrien résistera-t-il à la vague de contestation populaire qui a balayé les régimes tunisien et égyptien, et qui menace d’en faire autant en Libye, au Yémen et à Bahreïn ? Même à Oman, d’ordinaire si calme, le sultan a dû céder quelques-uns de ses pouvoirs. À l’heure où le « réveil arabe » fait partout tache d’huile, les Syriens n’expriment-ils pas les mêmes aspirations que leurs voisins ?

30 %

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Coulisses

FRUSTRÉS. Les intellectuels, toutes sensi-

bilités confondues, représentent un autre groupe hostile au régime. Ils aspirent à la liberté de s’exprimer, d’écrire, de publier, de se rencontrer librement et de débattre de chaque aspect de la société. Ce sont probablement les plus frustrés des Syriens. Nombre d’entre eux ont choisi l’exil pour pouvoir se faire entendre. Il y a aussi les hommes d’affaires dont l’ascension est bloquée par la corruption et la cupidité de l’élite économique. Enfin, il y a les islamistes. Après avoir écrasé le soulèvement des Frères musulmans dans les années 1980, l’ex-président Hafez al-Assad avait donné des signes d’ouverture à l’égard de l’islam modéré pour atténuer le profond ressentiment que cette action punitive avait provoqué. Il a encouragé la construction de mosquées à grande échelle et traité avec considération les figures importantes de l’islam « officiel ». Cet effort a été couronné d’un relatif succès, mais il semble s’être aujourd’hui retourné contre le pouvoir avec l’apparition d’un mouvement de grogne se référant à l’islam au sein de la société syrienne. Telles sont donc les forces en présence en Syrie. Même avec du recul, il est bien difficile de savoir lequel des deux camps l’emportera. En agissant avec intelligence et détermination, Bachar a encore une chance de se maintenir quelques années de plus au pouvoir. Mais s’il fait preuve de mauvaise volonté, il risque de faire face à une incontrôlable explosion. À l’intérieur comme à l’étranger, les ennemis de la Syrie l’attendent au tournant. La marge de manœuvre du président est étroite, et se réduit un peu plus chaque jour. ● PATRICK SEALE JEUNE AFRIQUE

Moyen-Orient

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ISRAËL-SOUDAN ASSASSINAT CIBLÉ

AFP

bords, qui, face aux massacres et aux destructions de l’autre côté des frontières, au Liban et en Irak, ont choisi la stabilité et la sécurité, au prix d’une brutale répression et de l’absence de liberté politique. Tels sont les défenseurs du régime. Mais qui sont réellement ses opposants? Parmi eux, il y a bien sûr des jeunes issus des classes défavorisées dont les conditions de vie vont se dégradant. Mais le noyau de la contestation est majoritairement constitué de la nouvelle classe moyenne pauvre, soit des jeunes éduqués, ou en partie, qui, une fois diplômés, ne trouvent pas de travail. Sans doute le chômage des jeunes est-il l’un des moteurs de la révolution en Syrie, comme il l’a été dans d’autres pays arabes.

Maghreb

LA CARCASSE DU VÉHICULE VISÉ, vraisemblablement détruit par un missile.

« LIQUIDATION AU SOUDAN », a titré un journal de droite israélien, Israel HaYom. Deux personnes ont trouvé la mort, le 5 avril, dans la destruction d’une voiture à 15 km de la ville de Port-Soudan : un Soudanais et peut-être un responsable du Hamas chargé d’acheter des armes. L’attaque, menée par un avion de chasse, a été reconnue par un cadre des Forces de défense israéliennes sous le couvert de l’anonymat. L’État hébreu accuse

DIPLOMATIE LE CAIRE PARLE À TÉHÉRAN « L’Égypte est prête à ouvrir une nouvelle page avec l’Iran », a déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil al-Arabi, le 4 avril. En 1980, la jeune République islamique d’Iran avait rompu ses relations diplomatiques avec Le Caire, qui venait de signer un accord de paix avecTel-Aviv. Le franchissement inédit du canal de Suez par deux navires de guerre iraniens en février annonçait ce premier changement d’importance

depuis plusieurs années le Soudan, inscrit sur la liste américaine des États soutenant le terrorisme, de faciliter le transit d’armes à destination du Hamas palestinien dans la bande de Gaza, notamment en provenance d’Iran. Ce que nie farouchement Khartoum, qui entend déposer une plainte au Conseil de sécurité des Nations unies. En janvier 2009, déjà, une attaque similaire avait causé la mort de 119 personnes. ●

de la diplomatie égyptienne. KOWEÏT ET DE SEPT POUR CHEIKH NASSER Cheikh Nasser Mohamed al-Ahmad al-Sabah a été nommé Premier ministre… pour la septième fois depuis février 2006. Son oncle, Cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, émir du Koweït, l’a chargé de former un nouveau gouvernement. Le précédent cabinet avait démissionné le 31 mars, alors que se profilait l’audition de ministres par le Parlement – le plus puissant du Golfe – sur des affaires de

corruption. L’opposition entend obtenir de nouvelles élections législatives. ÉGYPTE KIDNAPPING CRAPULEUX Zeina Effat Sadate, 12 ans, fille du neveu de l’ancien président Anouar al-Sadate, a été enlevée, le 3 avril, dans le quartier résidentiel cairote d’Héliopolis. Deux hommes armés l’ont interceptée sur le chemin de l’école avant de la relâcher sur la route d’Alexandrie, 24 heures et 5 millions de livres égyptiennes (586000 euros) plus tard. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Maghreb Moyen-Orient

LIBYE

Qui sont les rebelles du CNT?

Composé de trente et un membres, le Conseil national de transition rassemble des personnalités diverses venues de tous horizons. Parmi elles, des membres de la société civile, mais aussi d’anciens dignitaires de la Jamahiriya qui ont fait défection. MARIANNE MEUNIER

C

ertains ne sont que des noms, d’autres ont des visages. Certains ont des titres précis, d’autres n’en ont pas. Bientôt deux mois après sa mise en place, le Conseil national de transition (CNT), composé de trente et un membres, dont plusieurs anonymes, n’en finit pas de fixer ses contours. Né en février à Benghazi dans l’euphorie des prémices de la révolution, il s’est organisé au jour le jour. Le 1er avril, il annonçait la signature d’un accord avec Doha, Qatar Petroleum s’étant engagé à vendre le brut en provenance des zones « libérées » – notamment le terminal de Tobrouk – pour le compte du CNT, qui ne dispose pas encore des moyens juridiques pour le faire. À terme, ce dernier prévoit de créer une société pétrolière. Il a aussi désigné un gouverneur à la Banque centrale et, dans les prochains jours, devrait officialiser le rôle de certains de ses ambassadeurs, dont le travail est pour le moment informel. Un projet de Constitution est également en cours. Sur son site internet – qui affiche le drapeau rouge, noir, vert, en vigueur avant le coup d’État de 1969 –, le CNT explique sa mission : conduire la Libye à des N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

élections libres et la doter d’une Constitution une fois libérée du « régime d’oppression » de Kaddafi. En clair, le CNT entend préparer l’avenir et proposer une alternative au « Guide ». Mais pour gagner le soutien des Libyens comme de la communauté internationale, il doit être plus qu’une coquille vide. Il lui faut poser des actes, contrôler les leviers de gestion du pays, détenir la réalité du pouvoir. Pourtant, le CNT récuse l’appellation de « gouvernement ». Il craint d’entériner ainsi la partition du pays entre l’Est « libéré »

Æ ABDELFETTAH

YOUNES,

ex-ministre de l’Intérieur de Kaddafi, aujourd’hui chef militaire des insurgés.

et l’Ouest encore sous le joug du « Guide ». « Le CNT n’a pas de fonction exécutive, il est composé de notables, de sages, explique Salah Zarem, ambassadeur de Libye en France, qui s’est rangé du côté de la révolution après avoir démissionné, le 25 février. Il joue presque le rôle d’un Parlement. » Composé

ETIENNE DE MALGLAIVE/ABACAPRESS

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JEUNE AFRIQUE


MADS NISSEN/BERLINGSKE/PANOS-REA

Maghreb Moyen-Orient

d’avocats – Abdelhafez Ghoga, son porte-parole et ancien président de l’association des avocats, ou Salwa Boughaghis, ancienne étudiante à la Sorbonne et unique femme du Conseil –, d’anciens dignitaires et de chefs locaux, le CNT rassemble des profils divers et originaires de tout le territoire. Certains fréquentent le palais de justice de Benghazi, où le CNT a établi son siège. D’autres restent dans l’Ouest et gardent l’anonymat pour des raisons de sécurité. Pour contourner le dilemme – éviter la partition de fait avec un gouvernement tout en répondant aux impératifs de gestion –, le CNT a créé un Comité de gestion de la crise, qui se veut absolument provisoire. « Il regroupe des techniciens », précise Salah Zarem. Mustapha Abdeljalil, président du CNT, est aussi le secrétaire de cette structure parallèle. Malgré ses airs timides, ce juge de 58 ans incarne le sage. Il tient son aura de sa démission, le 21 février, de JEUNE AFRIQUE

MUSTAPHA ABDELJALIL, président du CNT (au centre). À droite, OMAR EL-HARIRI, qui joue le rôle de ministre de la Défense.

son poste de ministre de la Justice. Premiermembredugouvernement à avoir abandonné ses fonctions, il s’était auparavant plusieurs fois opposé à Kaddafi. VRP DE LA RÉVOLUTION. Un

compagnon d’armes du « Guide » lors du coup d’État contre le roi Idris Ier, en 1969, campe le rôle de ministre de la Défense : Omar el-Hariri, 67 ans. Originaire de l’Ouest, ce général tire sa légitimité de l’organisation d’un complot contre Kaddafi, en 1975, qui lui valut une condamnation à mort, commuée en 1990 en résidence surveillée. Il doit composer avec le chef militaire des combattants, Abdelfettah Younes, ex-ministre de l’Intérieur. Au sein du Comité de gestion de la crise, les Affaires étrangères reviennent à Ali Aïssaoui. Ancien ministre de l’Économie, il était

ambassadeur en Inde jusqu’à sa démission,le21février.Auparavant, il avait déjà tenté par deux fois de quitter ses fonctions, en vain. Il joue les VRP de la révolution en Occident. Le 4 avril, il a obtenu du ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, la reconnaissance du CNT comme « seul interlocuteur politique légitime représentant la Libye ». Le 10 mars, il quittait l’Élysée après avoir reçu un engagement identique de Nicolas Sarkozy. À ses côtés, ce jour-là, un autre membre du CNT, Mohamed Jibril, ancien directeur du Conseil national pour le développement économique, destiné à encourager les investissements. Un « réformateur », selon un câble diplomatique révélé par le site WikiLeaks. Nerf de cette guerre menée sur le plan politique, le pétrole est entre les mains d’un autre économiste : Ali Tarhouni. Il y a deux mois, ce sexagénaire moustachu enseignait la microéconomie à l’Université de Washington, à Seattle, aux États-Unis. Militant démocrate, dans les années 1980, il figurait sur une liste d’hommes à abattre. Il avait quitté la Libye en 1973 sans jamais, cependant, rompre les liens avec l’opposition. Il a rejoint son pays et le camp révolutionnaire le 27 février. Certains de ses étudiants, cités dans un article du journal en ligne Huffington Post, le décrivent comme « brillant » et soulignent ses manières « informelles ». De retour de Benghazi, plusieurs sources relèvent le manque de charisme des membres du CNT et l’absence d’une figure rassembleuse incarnant la révolution. Mais dans un pays où charisme et rassemblement riment avec autocratie, ce n’est peut-être pas un mal. ●

Erratum Dans « La semaine de J.A. » du n° 2621, nous avons attribué par erreur à Ali Triki la fonction de représentant de la « Libye libre » à l’ONU dans une légende photo (p. 15). C’est en réalité Abderrahmane Chalgham qui, depuis sa défection en mars, continue de se prévaloir de ce titre et travaille désormais avec le CNT. Toutes nos excuses pour cette erreur. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Maghreb Moyen-Orient Libye Ý Tirs à la MITRAILLEUSE ANTIAÉRIENNE contre des chasseurs de l’armée loyaliste, le 29 mars, à Ajdabiya.

Libye sont encore peu nombreux. D’après une source requérant l’anonymat, des armes pillées dans la petite localité de Gatroune, aux confins de la Libye, du Tchad et du Niger, auraient été acheminées au Tchad par des militaires tchadiens incorporés à l’armée libyenne. MAHMUD HAMS/AFP

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La foire aux armes Aqmi aurait profité du pillage des arsenaux en zone rebelle pour s’équiper ou faire ses emplettes. Et elle ne serait pas la seule…

À

lafaveurduchaosdansle pays, des armes libyennes pourraient être disséminéesdanslabande sahélo-saharienne. S’étendant de la Mauritanie au Soudan en passant par le Mali, l’Algérie, le Niger et le Tchad, la zone est vaste, en grande partie incontrôlée, et tient lieu de repaire pour les trafiquants. Aujourd’hui royaume d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), elle a été récemment le quartier général de rébellions touarègues encore en sommeil au Mali et au Niger. Selon nos informations, Aqmi se serait procuré des missiles sol-air SAM-7 en provenance de Libye. De petite taille, légère, cette arme d’une portée de 5 km peut être maniée par un seul homme et transportée dans un pick-up. Dans une interview à J.A., le président tchadien, Idriss Déby Itno, a déclaré, de son côté, que « les islamistes d’Al-Qaïda ont profité du pillage des arsenaux en zone rebelle [libyenne, NDLR] pour s’approvisionner en armes, y compris en missiles sol-air, qui ont été par la suite exfiltrées dans leurs sanctuaires du Ténéré [au Niger, NDLR] ». Le 4 avril, un responsable desservicesdesécuritéalgérienscité par Reuters annonçait qu’un convoi de huit pick-up en provenance de la N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Libye était arrivé au Mali. Selon la même source, les véhicules étaient chargésdelance-roquettesantichars RPG-7, de kalachnikovs, d’explosifs et de munitions. Chaque grande ville libyenne dispose de ses entrepôts. S’y empilent des armes vétustes, de fabrication soviétique notamment, et d’autres,

Une dissémination délibérément orchestrée par Kaddafi pour déstabiliser la zone ?

100 000 fusils livrés par l’Ukraine en 2007-2008

10 000 pistolets par l’Italie en 2010

plus récentes et sophistiquées. « Le pays a acquis des armes légères et de petit calibre en grande quantité », rappelle Pieter Wezeman, spécialiste du commerce des armes avec l’Afrique et le Moyen-Orient à l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) : 100 000 fusils livrés par l’Ukraine entre 2007 et 2008 et 10 000 pistolets fournis par une compagnie italienne en 2010. Cette même année, Tripoli s’est approvisionné auprès de la Russie en missiles antiaériens et a organisé un salon de l’armement qui a accueilli plus de 100 exposants, venus de 24 pays. Les cas avérés de dissémination d’armes légères – et donc aisément transportables – dans le sud de la

CONVERGENCE D’INTÉRÊTS. Dans

tous les cas, le pillage des entrepôts et la porosité des frontières libyennes inquiètent les états-majors de la région. Plusieurs scénarios sont possibles. Il y a d’abord la revente d’armes à Aqmi. Elle serait surtout le fait de Subsahariens, mercenaires recrutés par Kaddafi ou militaires membres de l’armée libyenne, quittant le pays par crainte de représailles ou parce qu’ils se trouvent inemployés – dans l’hypothèse d’une chute du « Guide ». « On redoute une convergence d’intérêts entre des hommes armés qui ont besoin d’argent et Aqmi, disposant d’argent mais qui a besoin d’armes », explique une source sécuritaire dans la région. Autre hypothèse, émise par Wezeman: une dissémination délibérément orchestrée par Kaddafi dans le seul but de « déstabiliser la zone ». Dans ce cas, il n’est pas exclu qu’il profite du mécontentement dans le nord du Niger et le nord du Mali pour ressusciter les rébellions touarègues. Là-bas, le lien reste fort avec la Libye. Kaddafi aurait recruté 300 mercenaires parmi les Touaregs du Niger. Un camp d’entraînement aurait été mis en place à Sebha. « Le risque de dissémination vient d’abord de Kaddafi lui-même », estime Acheikh Ibn Oumar, ancien ministre tchadien des Affaires étrangères et ex-rebelle soutenu par Tripoli. Et avec les armes affluent les hommes. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 3000 Tchadiens et 16000 Nigériens sont rentrés au pays depuis le début de la révolution. ● MARIANNE MEUNIER JEUNE AFRIQUE


Qui sont les rebelles ? TÉMOIGNAGE | Zied, migrant clandestin tunisien

Tripoli-Paris, via Lampedusa Ð Indésirable en Libye, il décide de rejoindre l’Europe Ð Vingt-sept heures de grosse mer à bord d’une « épave » autorités locales ne savent pas quoi faire de ces émigrés sans papiers, lesquels s’efforcent de passer inaperçus au milieu d’une population autochtone excédée et qui exige l’augmentation du prix de l’alcool afin de faire cesser le tapage nocturne de certains clandestins éméchés…

PARIS

Vintimille

Gênes

Nice Bari

Z

IED, 27 ANS, originaire de Ben Guerdane, dans le Sud-Est tunisien, travaillait àTripoli dans un hôtel cinq étoiles qu’il n’aurait jamais songé à quitter si le vent de la révolution n’avait gagné le pays de Syrte. « Soudain, les Tunisiens sont devenus indésirables, explique-t-il. Il fallait déguerpir au plus vite! » Juste le temps pour le jeune homme de prendre son passeport et de se jeter dans un grand taxi, destination Ras el-Jdir, puis Ben Guerdane. Sitôt arrivé chez lui, Zied n’a qu’une idée en tête, « brûler » en Europe, car il ne voit pas comment retrouver du travail rapidement enTunisie. Il gagne Zarzis, au lieu de rendez-vous indiqué, un café… nommé Lampedusa, avec, en poche, la somme exigée pour la traver sée jusqu’en Italie, soit 2 000 dinars (1 000 euros). Quelques heures plus tard, il se retrouve au milieu d’une centaine de candidats à l’exil, entassés dans une maison squattée et encadrés par quatre hommes. Vers 3 heures du matin, Zied embarque avec quatrevingts harragas, dont une famille avec enfants. La barque est exiguë et vétuste: « Si j’avais vu cette épave de jour, je n’aurais jamais embarqué. » Un seul « encadreur » les accompagne. Vingtsept heures de grosse mer, serrés comme des sardines, tenaillés par la peur de se noyer. En guise de vic-

Lampedusa Zarzis

Ben Guerdane TRIPOLI

tuailles, un morceau de pain, une gorgée de lait et quelques cigarettes. Au large de Lampedusa, avant l’arrivée des garde-côtes italiens, l’encadreur prend place au milieu des clandestins et leur lance, menaçant : « Celui d’entre vous qui me balance aura la tête tranchée par les Akkara (issus d’une tribu de Zarzis). Ils sont

Celui qui me balance aura la tête tranchée ! menace « l’encadreur ».

JEUNE AFRIQUE

nombreux au centre d’accueil où vous allez. » La petite île n’a rien d’une terre étrangère. « Il y avait une majorité de Tunisiens. Sur les murs, des slogans tels que “Ben Ali dégage!”. On écoutait de la musique arabe. Il ne manquait plus que le drapeau rouge pour que Lampedusa soit déclarée wilaya de Tunisie. » La vie s’organise tant bien que mal dans le centre d’accueil. Les

Zied, quant à lui, n’attend qu’une chose: poursuivre sa route. « Je n’ai pas pris la mer pour croupir dans une prison. » Deux jours plus tard, il se débrouille pour faire partie de l’un des groupes acheminés vers Bari, dans le sud de l’Italie. Ici, il est photographié pour la première fois, et on lui donne un badge avec son nom et un numéro inscrit dessus. « À Bari, tout était mieux organisé. On nous emmenait le matin en ville par autobus et nous devions rentrer au centre à l’heure du dîner. Mais n’importe qui pouvait s’échapper. » Et Zied cherche déjà le moyen de gagner la France. Un intermédiaire marocain lui déniche un passeur pour 250 euros, que sa mère lui fait parvenir en vendant ses bijoux. L’itinéraire est tracé: Gênes, où Zied attend trois jours dans une planque avant de prendre le train pour Vintimille, d’où il rejoindra Nice en voiture: « Le chauffeur était italien et la voiture était escortée à l’avant par une autre, où se trouvait le passeur, un Maghrébin, je crois. » L’après-midi même, Zied saute dans un TGV pour Paris. À l’arrivée, des centaines de policiers encerclent la gare de Lyon. Ils le cueillent, ainsi que les quarante clandestins qui avaient eu la même idée et que les Français suivaient à la trace depuis Nice. Au centre de rétention de Vincennes, Zied réussit à se faire relâcher pour vice de forme. Il a jusqu’à la fin du mois d’avril pour retourner dans son pays. Sur les Champs-Élysées, où il savoure sa première promenade parisienne, il lâche, tout sourire : « Encore faut-il qu’on me mette la main dessus… » ● FAWZIA ZOUARI N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Europe, Amériques, Asie

FRANCE

La PME

Hollande va son chemin

Face à DSK ou à Martine Aubry, ces grandes entreprises politiques, il se présente comme un homme simple, normal, proche des gens et de son terroir corrézien. Pour le moment, ça marche !

JOSÉPHINE DEDET

I

l est parti de très loin, très tôt. Ira-t-il, comme il l’assure, jusqu’au bout de la primaire socialiste, en octobre, voire, comme il l’espère, jusqu’au second tour de la présidentielle de 2012? Au vu de sa précampagne officieuse, entamée dès juin 2009, et de l’écho que sa candidature, officielle depuis le 31 mars, rencontre dans l’opinion, on est tenté de le croire. Sondages encourageants, médias bienveillants, ralliements multiples, kilos évaporés et amour retrouvé (la journaliste Valérie Trierweiler)… La chance semble enfin sourire à François Hollande, ce surdoué aux fausses allures de dilettante, qui l’a si souvent laissée filer. Fini le temps où, premier secrétaire d’un Parti socialiste archidivisé (1997-2008), il passait pour le gentil organisateur d’une machine à perdre. Fini l’époque où, à force de cultiver l’art de la synthèse molle, il se mettait à dos tous les courants. HollandeexcellaitdanslerôleduSchtroumpffarceur (« Monsieur Petites Blagues », l’avait surnommé Laurent Fabius) et du parfait dégonflé. Patron du PS, il n’en profitait pas pour briguer la magistrature suprême. Compagnon de l’ambitieuse Ségolène, il s’était effacé, en 2007, devant la mère de ses quatre enfants, alors au zénith dans les sondages, avant qu’elle ne le congédie du domicile conjugal par un communiqué vengeur, en pleine soirée des législatives. Au grand regret de ses rivaux potentiels à la primaire–lesplusdangereuxétantDominiqueStraussKahn, s’il descend de son Olympe washingtonien, et Martine Aubry, sa successeure à la tête du PS –, le Hollande d’aujourd’hui n’est plus, comme aurait dit N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Staline, un « socialiste de margarine ». Depuis qu’il a quitté la direction du parti, il s’est désinhibé, libéré. Affiné et affirmé. Ses concurrents ne s’y trompent pas. Lors de son dernier passage à Paris pour le sommet du G20, fin février, DSK a demandé à le rencontrer afin de sonder ses intentions. Et Aubry a raillé lourdement le côté provincial de sa déclaration de candidature (il l’a faite à Tulle, son fief corrézien) pour ne pas, elle aussi, paraître inquiète. Au même moment, elle rendait public le projet socialiste élaboré sous son égide. Et faisait signer à quarante-sept députés une pétition à sa gloire. OREILLE DISTRAITE. Eh bien, qu’a fait Hollande

face à ce télescopage médiatique (et constatant qu’on lui avait « emprunté » l’idée de mettre l’accent sur la jeunesse) ? Rien, il a continué son bonhomme de chemin. « Je n’ai conclu aucun pacte, aucun arrangement. Les autres, ce n’est pas mon problème; mon problème, c’est de convaincre les Français », répète-t-il, allusion transparente à la promesse que DSK et Aubry se sont faite de ne pas se présenter l’un contre l’autre. Hollande n’écoute plus que d’une oreille distraite la musique de ses petits camarades et joue sa propre partition. Il choisit ses interventions, délaisse les réunions du bureau national, mais ne sèche jamais les questions des députés à l’Assemblée nationale, dont la séance est retransmise à la télévision. Bien sûr, il sillonne ses terres de Corrèze sur les traces de Jacques Chirac, séduisant au passage Bernadette, son épouse, qu’il côtoie au conseil général et qui ne tarit pas d’éloges à son endroit. Et puis, il quadrille toutes les provinces de France, multiplie les

LES CANDIDATS À LA PRIMAIRE

Oui François Hollande ✔ Arnaud Montebourg ✔ Ségolène Royal ✔ Manuel Valls ✔

Peut-être ✔ ✔

Martine Aubry Dominique Strauss-Kahn

JEUNE AFRIQUE


FAYOLLE PASCAL/SIPA

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réunions devant de petits auditoires qui, flattés de se voir accorder autant d’importance, deviennent d’excellents vecteurs du bouche à oreille. Facile à aborder et proche des gens, il cultive l’image d’un homme « normal », tout le contraire de cet « excité » de Nicolas Sarkozy et, surtout, d’un Strauss-Kahn tout pénétré de son importance sur la scène mondiale. Le message est clair : la « PME Hollande » contre la « multinationale DSK », le terroir contre les hautes sphères. La recette a déjà marché. Qu’on se souvienne de la « force tranquille » du Mitterrand bucolique de 1981, ou du « mangez des pommes » de Chirac, en 1995. Autre point commun avec ces vétérans victorieux, sa stratégie de coureur de fond. Il a choisi de mener une campagne longue et opiniâtre… Deuxième enseignement tiré de l’expérience : les Français, qui avaient rêvé de rupture en 2007, sont déçus par le sarkozysme et ne croient plus aux miracles. Hollande a donc construit un programme « sérieux » et chiffré. Réforme fiscale pour dynamiser la croissance et instiller davantage de justice sociale, formation professionnelle, mesures en faveur des jeunes… En décembre 2010, il avait ironisé sur les propositions du PS concernant « l’égalité réelle », qui n’étaient pas chiffrées: « C’est la hotte du père Noël », avait-il lancé. À l’heure où les socialistes promettent de créer 300000 emplois-jeunes et où, JEUNE AFRIQUE

accident de la centrale japonaise de Fukushima oblige, Aubry a promis, tête baissée, de réduire la part du nucléaire dans la production énergétique française, Hollande se montre plus circonspect et fait le pari du réalisme… jusqu’à un certain point.

FRANÇOIS HOLLANDE AU SOIR DES ÉLECTIONS CANTONALES,

le 27 mars, dans son fief de Tulle, en Corrèze.

STATURE PRÉSIDENTIELLE. Car l’homme est matois. Est-ce un hasard s’il a tiré les ficelles du PS pendant tant d’années ? Aujourd’hui, ces réseaux lui sont extrêmement utiles pour conforter sa position auprès des militants, qui seront, il ne cesse de le leur répéter, « des leaders d’opinion pour la primaire ». Afin d’accroître son capital sympathie auprès des notables locaux, il se prononce – démagogie tactique – contre l’interdiction du cumul des mandats préconisée par Aubry. Mais si, d’après un sondage récent, les Français le jugent plus crédible que cette dernière pour réduire la dette et les déficits et lutter contre l’insécurité, la partie de la primaire est encore loin d’être gagnée. Et puis, au-delà, il y a le problème de sa stature présidentielle. Hollande n’a jamais été ministre et, voyageant très peu, reste largement inconnu à l’étranger. Il prévoit, dit-on, de se rendre en Grèce et, peut-être, en Tunisie, au Japon et au Vietnam. D’ici là, il s’apprête à publier un livre. Son titre ? Un destin pour la France. On s’en doutait. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Europe, Amériques, Asie FOOTBALL

Bin Hammam défie Blatter Le 1er juin à Zurich, le richissime homme d’affaires qatari tentera d’arracher la présidence de la Fifa à son ex-ami suisse, qui la détient depuis 1998. Une élection à couteaux tirés.

I

l en faudrait davantage pour troubler la quiétude de la Fifa-Strasse 20, siège de la Fédération internationale de football association (Fifa), sur les hauteurs de Zurich. Pas de remueménage, en effet, le 4 avril, après l’officialisation du duel pour la présidence, qui, le 1er juin, opposera le Suisse Joseph « Sepp » Blatter, 75 ans, trois mandats derrière lui depuis 1998, au Qatari Mohamed Bin Hammam, bientôt 62 ans, président de la Confédération asiatique de football (AFC) depuis 2002. Jusqu’à l’an dernier, les deux hommes étaient très proches. Pourtant, leur candidature n’a surpris personne dans ce petit monde impitoyable et secret. Au printemps 2010, quelques semaines avant le début de la Coupe du monde sud-africaine, le successeur du Brésilien João Havelange à la tête de la richissime organisation (1,28 milliard de dollars de réserves à la fin de 2010, selon le rapport financier qui sera présenté lors du prochain congrès), affirmait déjà à Jeune Afrique: « Je n’ai pas terminé ma mission, qui est de préparer un bel héritage. » Le 22 mars dernier à Paris, à l’occasion de

ALBAN PIERRE/SIPA

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JOSEPH BLATTER (À G.) ET MOHAMED BIN HAMMAM, lors du congrès de la Confédération asiatique (AFC), en mai 2009, à Kuala Lumpur.

la facile réélection de Michel Platini à la présidence de l’Union des associations européennes de football (UEFA), il a confirmé qu’il briguerait un quatrième et dernier mandat de quatre ans. En insistant

sur « le rôle important du football dans l’éducation de la jeunesse », qui reste l’un des axes majeurs de son programme. Blatter parle tranquillement de l’avenir. Bin Hammam, son nouvel adversaire, répugne à évoquer leur passé commun, mais rappelle quand même qu’il l’a aidé à battre le Suédois Lennart Johansson, en 1998 (111 voix à 80), et le Camerounais Issa

La planète foot

UEFA

(Union des associations européennes es de footba football) tball) tba ll) Président : MICHEL PLATINI (France) e) 53 pays. 62 millions de pratiquants

CAF

(Confédération africaine de football) Président : ISSA HAYATOU (Cameroun) 53 pays. 46 millions de pratiquants

AFC

(Confédération asiatique de football) Président : MOHAMED BIN HAMMAM MAM (Qatar (Qatar) tar)) 46 pays. 85 millions de pratiquants N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

CONCACAF

(Confédér (Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amér d’Amérique centrale et des Caraïbes) JACK WARNER (Trinité-et-Tobago) Président : JAC pays. 43 millions de pratiquants 35 pa

OFC

(Confédération océanique de football) Président : DAVID CHUNG (Nouvelle-Guinée) Présid 11 pays. 0,5 million de pratiquants

COMMEBOL

(Confédération sud-américaine de football) Président : NICOLAS LEOZ (Paraguay) Pré 10 pays. 28 millions de pratiquants JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie Hayatou, quatre ans plus tard (139 voix à 56). Très actif au sein du comité exécutif de la Fifa depuis 1996 et à la présidence du Bureau Goal chargé de soutenir financièrement les fédérations les moins riches, l’homme d’affaires milliardaire a été l’un des acteurs du surprenant succès du Qatar, en décembre 2010, lors de la désignation du pays organisateur du Mondial 2022. Ses partisans assurent que le soutien apporté par Blatter à la candidature américaine ainsi que les énormes difficultés rencontrées par Bin Hamman – auxquelles, selon eux, le président de la Fifa ne serait pas étranger – pour se faire réélire, en 2009, à la tête de l’AFC face au Bahreïni Cheikh Salman Bin Ibrahim Al Khalifa l’ont incité à engager le combat contre son ancien ami. phone, le 28 mars, alors qu’il se trouvait au Vietnam, le dirigeant qatari jure qu’il n’a « pas de rancune » vis-à-vis de Blatter. « Je veux, nous a-t-il confié, rendre au football ce qu’il m’a donné, faire partager mon expérience. J’ai des idées neuves. À 61 ans, c’est le moment pour moi. Le football a besoin que beaucoup plus de gens, dirigeants, joueurs, entraîneurs, s’investissent dans les débats de la Fifa. Je veux limiter à deux le nombre des mandats présidentiels. Ma proposition a été rejetée. Si je suis élu, je quitterai la présidence au bout de huit ans. » Quelques jours plus tard, Bin Hammam est allé plus loin. Au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, il a confié que « Blatter est usé ». Puis, sur son blog, il lui a, le 4 avril, annoncé sans détour ses intentions : « Je vais écrire à l’actuel président de la Fifa pour le féliciter d’être candidat à un quatrième mandat. Je lui ferai savoir que je considère cette élection comme l’occasion pour nous de prouver que la Fifa n’est pas corrompue, que c’est un organisme ouvert et démocratique. » En 2007, Joseph Sepp Blatter n’ayant pas d’adversaire, les délégués des 207 pays membres(ilssont208aujourd’hui)avaient confirmé par acclamations sa deuxième réélection. Cette fois, certains prédisent une élection serrée. Le vote des Européens pourrait être prépondérant. Michel Platini songe à la succession de son collègue suisse, en 2015. Pour lui, un succès de Bin Hammam, qui rencontrera les dirigeants anglais avant la fin de ce mois d’avril, serait une mauvaise surprise. ● GÉRARD MARCOUT JEUNE AFRIQUE

Gracias y adiós

Encore une victime de la crise ! En chute libre dans les sondages, le président du gouvernement a annoncé, le 2 avril, qu’il ne briguerait pas un troisième mandat l’an prochain.

FRANCOIS LENOIR/REUTERS

PAS DE RANCUNE. Interrogé par télé-

ESPAGNE

N

taux de chômage continue d’avoisiner 20 %. Et l’agence Moody’s vient de dégrader la note souveraine du pays pour la seconde fois Ý JOSÉ LUIS en six mois. ZAPATERO Au PSOE, bien que à Bruxelles, la priorité soit offile 25 mars. ciellement accordée Au PSOE, aux élections munison parti, la guerre de cipales et régionales succession du 22 mai, la guerre est ouverte. de succession est ouver te entre la ministre de la Défense, Carme Chacón, étoile montante de la majorité, et le grand favori, Alfredo Pérez Rubalcaba, ministre de l’Intérieur et vice-président du gouvernement depuis octobre 2010. Accusé par l’opposition d’être mêlé à un scandale lié à l’ETA, Rubalcaba voit sa position de successeur naturel fragilisée au profit de Chacón. Il envisagerait, dit-on, de demander à sa rivale – qui n’a que 40 ans – de se retirer de la course en échange de la présidence du PSOE, en 2012.

ommé président du gouvernement espagnol en 2004, puis reconduit quatre ans plus tard, le socialiste José Luis Zapatero (50 ans) a, le 2 avril, renoncé à briguer un troisième mandat – ce qui met fin à un an et demi de suspense sur sa possible candidature DÉCONFITURE. Estimant qu’en cette aux législatives de mars 2012. Cette renonciation intervient alors que le période de crise l’Espagne avait besoin Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de « stabilité, de confiance et de ceret son chef sont au plus bas dans l’opititudes », et non d’un pouvoir intérinion. Selon deux sondages récents, seuls 11 % Sauf improbable coup de théâtre, des Espagnols voient la droite devrait remporter haut en Zapatero le meilleur la main les législatives de 2012. candidat socialiste, tandis que le PSOE ne recueille que 28,3 % des intentions de maire et bicéphale, Mariano Rajoy, le vote, contre 44,1 % pour son concurprésident du PP, a exigé la convocation rent, le Parti populaire (PP). d’élections anticipées, mais renoncé à présenter une motion de censure que RÉFORMES DOULOUREUSES. À l’orile PP, minoritaire au Parlement, n’avait gine de cette impopularité : les mesuaucune chance de faire adopter. res d’austérité prises par le président En 2012, l’opposition de droite devrait du gouvernement pour faire face à la reconquérir la majorité parlementaire crise économique, qui tardent à porter perdue il y a huit ans. Sauf coup de théâleurs fruits. Privatisations, supprestre improbable, les élections locales sion d’allocations, baisse des salaires du 22 mai devraient donner au PSOE des fonctionnaires, âge de départ à un avant-goût de la déconfiture qui la retraite repoussé de 65 à 67 ans… l’attend aux prochaines législatives. ● Malgré ces réformes douloureuses, le LAURENT DE SAINT PÉRIER N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Europe, Amériques, Asie

OPINION Opin inio ions ns & éditoriaux

Merci, Aimé Césaire

V Ségolène Royal Présidente de la région Poitou-Charentes (centre-ouest de la France) et vice-présidente de l’Internationale socialiste

Le 6 avril au Panthéon, à Paris, où une fresque monumentale a été installée, un hommage national a été rendu, en présence du président Nicolas Sarkozy et d’un millier d’invités, au poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, chantre de la négritude. À cette occasion, l’ancienne candidate à la présidentielle nous a fait parvenir un long texte dont nous publions ici un extrait. JEUNE AFRIQUE

OUS ENTREZ AU PANTHÉON où il est juste que vous ayez votre place. C’est un hommage ainsi rendu à l’homme de conviction et d’action ; au poète dont le lyrisme incandescent a fait, disait son ami René Depestre, œuvre de marronnage vivifiant dans les veines de la langue française ; à l’éveilleur de consciences; au démineur d’hypocrisies; au combattant inlassable de l’humaine dignité qui avait choisi son camp – « je suis de la race de ceux qu’on opprime » – et annonçait fièrement au monde : « L’heure de nous-mêmes a sonné. » Dans ce lieu où la République honore ceux qui lui ont fait honneur, vous rejoignez Toussaint Louverture, le libérateur d’Haïti dont vous avez raconté l’épopée héroïque et tragique. Louis Delgrès, qui conduisit en Guadeloupe la résistance au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Victor Schoelcher, l’abolitionniste socialiste dont vous disiez que ni les préjugés ni les insultes ni la calomnie n’entamèrent le combat acharné et qu’il fut l’un des premiers à mesurer la valeur de civilisations africaines jusque-là méconnues. Condorcet, l’abbé Grégoire, Hugo, Zola, Jaurès, Jean Moulin, René Cassin, Félix Éboué : à chacun nous sommes redevables de nos libertés comme nous le sommes à vous, Aimé Césaire, pour avoir, votre vie durant, pris le parti des assoiffés de justice et défendu nos valeurs avec courage quand la politique de la France leur tournait le dos. J’avais, lors du rassemblement célébrant à Fort-de-France la disparition d’Aimé Césaire, proposé que la République inscrive à son Panthéon son nom et son œuvre. Cela m’avait valu quelques critiques. Qu’importe puisque aujourd’hui c’est chose faite. Quels qu’en soient les motifs, je m’en félicite. Nul ne peut récupérer celui qui tint tête aux pouvoirs coloniaux et postcoloniaux, celui qui ne craignait pas d’écrire: « Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas de vous. »

Il vaut mieux un mouvement dans ce sens qu’en sens inverse. « Colonisation = chosification », écrit Aimé Césaire dans cet ouvrage au vitriol, érudit et porté par une langue magnifique. Les effets positifs du système colonial ? « On me lance à la tête des faits, des stocks, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. [...] Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » Il nous rappelle aussi combien les violences coloniales ont déshumanisé le colonisateur autant que le colonisé, instillé leur poison dans les veines de l’Europe et contribué à « l’ensauvagement d’un continent » devenu à son tour cible de barbaries d’abord rodées outre-mer. On le traita à l’époque d’insulteur de la patrie. Mais c’était lui qui défendait les valeurs de la République. Et le lire aujourd’hui nous aide à mieux comprendre de quelles violences au long cours sont tissées nos histoires. « Nègre » était une insulte. Il en fit une fierté et l’étendard d’un combat pour l’égalité. Avec Damas et Senghor, ils poussèrent le « grand cri nègre » contre l’aliénation et le mimétisme, pour le droit

Le mot « nègre » était une insulte. Il en fit une fierté et l’étendard d’un combat pour l’égalité.

Il est même assez plaisant que l’ancien partisan des bienfaits de la colonisation (« la loi de la honte », disait Césaire), parti plus tard disserter à Dakar sur « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’Histoire » et l’Afrique qui vit « trop dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance », ait à célébrer l’auteur du Discours sur le colonialisme, qui, un demi-siècle plus tôt, rivait définitivement leur clou à ces poncifs ethnocentrés.

d’inventer sa propre route. « Nègre je suis, Nègre je resterai », a-t-il écrit, mais aussi : plus nous serons Nègres, plus nous serons des hommes, car il voulait l’universel riche de toutes les singularités. La négritude, telle qu’il la concevait, n’était pas une identité repliée sur elle-même, mais, disait-il, l’une des formes historiques de la condition faite à l’homme, la métaphore de la mise à part et la quête d’une plus large fraternité. […] Césaire n’était pas de ceux que les ruses amères de l’Histoire font fléchir. J’ai toujours un espoir, disait-il, parce que je crois en l’humanité. Cet homme de haute exigence est resté fidèle aux engagements d’une vie droite. Jamais sa fermeté ne s’abaissa en sectarisme. Jamais il ne cessa d’opposer un refus vibrant au mensonge et au mépris. Il reste un encouragement à penser loin des poncifs. Loin de ces « vainqueurs omniscients et naïfs » qui se trompent et nous trompent. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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PARCOURS | D’ici et d’ailleurs

Abou Sofiane Lagraa Renouer avec l’Algérie Né en Ardèche (France) en 1970, ce chorégraphe forme aujourd’hui de jeunes danseurs au sein de la Cellule contemporaine du Ballet national algérien, avec le soutien de sa compagne.

D

UN CÔTÉ, le Boléro de Ravel, de l’autre, la voix envoûtante de la chanteuse de l’Aurès Houria Aïchi. France, Algérie: Abou Lagraa fait le grand écart avec élégance. Sa dernière création, Nya, mêle l’énergie acrobatique du hip-hop et les audacieuses arabesques aériennes calligraphiées par le chorégraphe francoalgérien. Abou Lagraa et son épouse, Nawal, ne sont pas peu fiers de leurs danseurs. « Ce qu’on a obtenu d’eux en moins d’un an, on aurait mis cinq ans à l’avoir avec des artistes français », avance Abou Lagraa. Autodidactes, les dix garçons retenus pour Nya (« faire confiance à la vie » ou « être naïf », en arabe) ont sué sang et eau pendant neuf mois pour donner naissance à cette première œuvre de la Cellule contemporaine du Ballet national algérien. Neuf mois pendant lesquels ils ont reçu une solide formation dispensée par une équipe de professionnels dirigée par Nawal Lagraa. Responsable du pôle pédagogique du Pont culturel méditerranéen francoalgérien, la jeune femme est à l’origine de ce projet qu’elle et Abou Lagraa portent à bout de bras. Son mari le reconnaît volontiers : « Elle est entrée dans ma vie, m’a donné la force de m’affronter moi-même et de renouer avec mes racines. » « Ce projet, explique Nawal Lagraa, c’est ce qui manquait à Abou. Dès que nous avons commencé les répétitions de Nya, j’ai compris que sa danse était faite pour ces jeunes. Ils dansent comme lui, comme s’ils allaient mourir demain. » Et d’avouer : « Quand mes parents sont venus s’installer en France, j’ai vu mon père sombrer peu à peu dans une infinie tristesse de s’être coupé de sa famille. Je ne voulais pas voir mon mari dans cet état. »

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« MON PÈRE AURAIT VOULU QUE JE SOIS AVOCAT OU MÉDECIN », confie celui qui, pendant des années, a torturé son corps pour ne pas être « un danseur médiocre ».

L’Algérie, c’est toute la vie d’Abou Lagraa. « Mon pays », dit ce natif ardéchois qui n’a connu de la patrie de ses parents que les heureux étés passés en famille. Mais l’Algérie, c’est aussi deux décennies d’absence, quand la danse l’emporte d’un continent à l’autre, quand la guerre baigne « sa terre » de sang. « J’étais en colère. Je refusais de me rendre dans un pays où l’on interdit aux gens d’être libres. » La danse l’engloutit, le sauve. Déterminé, le jeune Abou apprend la discipline du classique et « torture » son corps. « Je travaillais jour et nuit, raconte celui qui, en 2009, a reçu le Prix du meilleur danseur international (International Movimentos Dance Prize). Le soir, je m’endormais en grand écart.

Je me suis infligé cette souffrance car je ne voulais pas être un danseur médiocre. » Une manière de répondre à son père qui refusait de le voir en collant. « Pour les Arabo-musulmans, la danse, c’est pour les femmes. Mon père aurait voulu que je sois avocat ou médecin, pas chorégraphe. » Conservatoire régional de Lyon à Annonay, puis conservatoire supérieur de Lyon, avant d’intégrer la compagnie du chorégraphe portugais Rui Horta, installé en Allemagne… Abou Lagraa devient professionnel en six ans quand d’autres s’y essaient pendant plus de dix. « Je mourais d’envie de dire “merde” à mon père. De lui dire : “Tu ne m’as pas fait confiance, regarde ce que j’en ai fait.” » La compagnie de Rui Horta se produit sur les scènes du monde entier. Au JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie

En 2008, grâce à l’écrivainYasmina Khadra, Abou Lagraa rencontre la ministre algérienne de la Culture et « offre ses services à l’Algérie ». Khalida Toumi confie au couple Lagraa la cérémonie de clôture du Festival culturel panafricain d’Alger, qui se tient l’année suivante. Trois cents jeunes se bousculent aux auditions. Nawal Lagraa forme les dix-sept élus et découvre de véritables joyaux. L’essai est concluant. Six mois plus tard est créée la Cellule contemporaine du Ballet national algérien, à laquelle sont intégrés les dix danseurs de Nya, sélectionnés parmi 400 candidats. « Ce sont des danseurs de hip-hop, de capoeira, des acrobates qui n’avaient jamais pris un seul cours de danse. Ils m’ont suivi parce que je suis algérien et que je parle arabe », explique le chorégraphe, qui a pris la nationalité en 2010. « Pour eux, complète Nawal Lagraa, Abou est un modèle, l’exemple d’un Algérien qui a commencé tard et qui a une carrière magnifique. Ils sont en admiration devant lui et il est très exigeant avec eux. Il n’est pas patient et s’énerve vite ! Alors, je me fais l’interprète d’Abou : je transmets la magie de sa danse. » ●

CHINE

Le retour de Maître Kong

Vilipendé sous Mao, le confucianisme connaît un spectaculaire regain de faveur. À l’instigation du Parti communiste.

P

une crise idéologique, qu’il n’a plus lus qu’un monument, c’est un symbole. Une imposante statue rien à offrir. Le confucianisme apparaît de Confucius (VIe-Ve siècle av. comme la réponse évidente à cette crise J.-C.) trône désormais devant le existentielle. » Cette renaissance remonte à 2002, nouveau musée national de Chine, sur la place Tiananmen, à Pékin. Ce retour en quand le président Hu Jintao lança le grâce de Maître Kong (Confucius est la concept de « société harmonieuse ». forme romanisée de son nom) s’accomComme l’on sait, l’harmonie est l’une pagne d’une série d’initiatives lancées des clés de la philosophie de Maître Kong, par le Parti : film à 25 millions de dollars dont les textes insistent sur la morale, le sorti l’an dernier, budget de 8 millions de dollars pour la Tout commence en 2002, publication de 330 livres, quand Hu Jintao lance le concept ouvertureàtraverslemonde de plus de 300 centres cultude « société harmonieuse ». rels à son nom… Deux mille cinq cents ans après sa mort, respect dû aux anciens, à la famille et à le philosophe doit se retourner dans sa l’autorité. Cette idéologie a longtemps aidé tombe. Car son nom fut longtemps traîné les empereurs à se maintenir au pouvoir. dans la boue. D’abord par le Mouvement Elle est aujourd’hui appelée en renfort de la nouvelle culture (1919), puis, il y a pour accroître la légitimité du Parti. trente-cinq ans, lors de l’effarante camConfucius est redevenu le symbole de pagne « pi Lin pi Kong » (« critiquer Lin, la culture chinoise. Il fait même son retour critiquer Kong », le premier étant Lin Biao, dans les écoles. Objectif: assurer la sacroun adversaire politique de Mao Zedong). sainte « stabilité sociale » dans un pays Pourquoi cette réhabilitation ? bouleversé par trente ans d’ouverture et « Parce que le marxisme n’a plus aucune de croissance économique à deux chiffres. légitimité, répond Daniel Bell, professeur « Celui qui sait réchauffer l’ancien pour à l’Université Xi’an Jiaotong, à Shanghai, comprendre le nouveau mérite d’être et auteur d’un livre sur la question. Le considéré comme un maître », écrivait gouvernement estime que le Parti traverse Confucius. Les nouveaux maîtres de la Cité interdite ont parfaitement compris Æ ÉCOLIERS EN COSTUME TRADITIONNEL, le message ! ● lors d’une cérémonie dans un temple confucéen, à Nanjing.

STÉPHANE PAMBRUN, à Pékin

SEAN YONG/REUTERS

grand bonheur de l’Ardéchois, les critiques n’ont d’yeux que pour lui. Une célébrité qui n’est pas pour déplaire au jeune homme, conscient de ses intérêts. « Rui Horta nous demandait beaucoup d’improviser et choisissait toujours mes mouvements pour créer ses chorégraphies, affirme Abou Lagraa. Si je restais chez lui, son style allait être le mien. J’ai eu l’intelligence de partir à temps pour fonder ma compagnie. » Il l’appelle alors La Baraka : il sait ce qu’il doit au destin. Sa première création est programmée à la Biennale de Lyon. Les créations séduisent un public toujours plus vaste. Abou Lagraa sait marier avec élégance les styles, entre Occident et Orient. Un Orient qu’il danse par procuration. « Abou avait peur de retourner en Algérie, de ce qu’il aurait retrouvé, de ce qu’il aurait perdu », soupçonne sa femme, qui lui apporte le courage dont il manquait.

SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX Photo : CAMILLE MILLERAND pour J.A. JEUNE AFRIQUE

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Europe, Amériques, Asie VIETNAM

Le Parti verrouille Aux condamnations en série de militants des droits de l’homme s’ajoute désormais la persécution des minorités chrétiennes du centre du pays.

D

ans un bref procès qui a eu lieu le 4 avril, le tribunal populaire de Hanoi a condamné à sept années de prison l’activiste vietnamien Cu Huy Ha Vu, reconnu coupable de « propagande antigouvernementale ». La condamnation de cet avocat éduqué en France fait suite à l’arrestation, depuis cinq ans, de plusieurs dizaines d’activistes, écrivains et blogueurs. Lui-même arrêté en octobre 2010 sous la présomption d’avoir eu une relation « inappropriée » avec une femme, Vu a réussi à prouver que la prétendue prostituée était en réalité membre du barreau d’Hô Chi Minh-Ville. Un mois plus tard, le motif de son inculpation ayant évolué

HO / AFP

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LE DISSIDENT CU HUY HA VU lors de l’ouverture de son procès à Hanoi, le 4 avril.

en conséquence, il a dû répondre d’une infraction à l’article 88 du code pénal pour avoir diffusé de « virulentes critiques antigouvernementales » sur internet et donné des interviews aux médias « portant atteinte au Parti [communiste] et aux institutions ». SOUTIEN POPULAIRE. Vu, dont l’arres-

tation a déclenché un mouvement de soutien populaire exceptionnel, aurait notamment mis en ligne des textes reprochant, entre autres, au Premier ministre Nguyen Tan Dung d’avoir autorisé une

société chinoise à exploiter une mine de bauxite dans les hauts plateaux montagneux du centre du pays. Une zone très sensible, souligne l’organisation humanitaire Human Rights Watch, qui, dans un rapport publié le 31 mars, dénonce une politique systématique de persécution des minorités montagnardes, essentiellement chrétiennes: expulsions, incendies de lieux de culte, arrestations, apostasie sous la contrainte et fermeture des frontières avec le Cambodge afin d’empêcher tout exode. ● JULIETTE MORILLOT

Les nouveaux arrivants sont plus jeunes et mieux éduqués – un sur quatre détient un diplôme universitaire – que les Noirs vivant depuis toujours dans ces États. Du Fuyant la récession dans le Nord-Est et le Midwest, coup, ils font évoluer les mentalités. Le meilleur indicateur : l’augmentation des de très nombreux Africains-Américains regagnent mariages mixtes (illégaux jusqu’en 1967) le Deep South de leurs ancêtres. et l’explosion du nombre des personnes se déclarant d’origine multiraciale: + 80 % d’histoire – est donc en train de s’inverser. en Géorgie, + 50 % en Caroline du Nord… elon le dernier recensement, dont les résultats ont été publiés Atlanta supplante désormais Chicago en Dans le Mississippi, les mariages mixtes en mars, le nombre d’Africainstant que deuxième métropole « noire » les plus fréquents ont lieu entre Noirs et Américains vivant dans le sud du pays, après New York. Et 57 % des Blancs, alors que l’écart économique et des États-Unis est le plus élevé depuis Africains-Américains vivent dans le Sud. social entre ces deux groupes est traditionnellement le plus important. un demi-siècle. Mieux, ces dix dernières Au début du siècle dernier – avant donc années, la croissance de la population Davantage de personnes noire dans cette région est la plus imporâgées reviennent également Après New York, la deuxième tante depuis 1910. L’explication? Nombre sur leur choix initial en se d’Africains-Américains quittent les villes déclarant d’origine multiville noire du pays n’est raciale, plutôt que noir ou en déclin du Nord-Est et du Midwest pour plus Chicago, mais Atlanta. les États du Sud, économiquement plus blanc, reconnaissant ainsi, dynamiques. sur le tard, la pluralité de leurs origines. Comme l’indique un socioAu cours de la première moitié du la Grande Migration –, ce taux était de XXe siècle, la population noire avait logue, « les Noirs et les Blancs ont toujours 90 %. « Le Nord et ses grandes villes ne quitté en masse le Deep South, à cause sont plus la Terre promise », commente entretenu des relations. Maintenant, ils de la ségrégation raciale. Cette « Grande un professeur d’histoire à la Rutgers semblent les vivre au grand jour ». ● Migration » – son nom dans les livres University (dans le New Jersey). JEAN-ÉRIC BOULIN, à New York ÉTAT S-UNIS

Grande Migration à l’envers

S

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JEUNE AFRIQUE


LE PLUS

de Jeune Afrique

PANORAMA Du spleen à l’idéal

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AMÉNAGEMENT Une nouvelle baie pour 2030 ITINÉRAIRE Balade urbaine avec Adlène Meddi PATRIMOINE Ils veulent réinventer la Casbah

Alger Dans tous ses états

JEUNE AFRIQUE

LUDOVIC MAISANT/HEMIS.FR

Ð VUE SUR LE MÉMORIAL DU MARTYR, érigé sur les hauteurs de la ville en 1982.

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Always Caring for You


Le Plus de Jeune Afrique

LE PLUS

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de Jeune Afrique

Prélude

Alger Dans ttous D ses états

Marwane Ben Yahmed

Chasse au trésor s’améliorent, mais les points d’interrogation et les urgences demeurent : logement, transport, urbanisme, loisirs, centres culturels, mixité sociale, mise en valeur des atouts touristiques, etc. Alger recèle un tel potentiel, méconnu mais réel, que ceux qui l’aiment peinent à masquer leur impatience de la voir prendre son envol, abandonner la nostalgie de ses années fastes pour se dessiner un avenir largement à sa portée : celui d’une capitale maghrébine incontournable, moderne, mais qui ne renie rien de son

La capitale ne ressemble à aucune autre : c’est une citadelle imprenable qui rechigne à livrer ses mille et un trésors historiques et L’avenir est à dessiner : celui d’une architecturaux, un joyau capitale maghrébine moderne, dans sa gangue. Ses quaraccueillante et fière de son identité. tiers tentaculaires s’étirent en bord de mer, escaladent passé si riche, au carrefour de l’Afrique ses coteaux, gagnent la plaine, grignotant chaque mètre carré de terrain disponible. et de l’Europe, accueillante mais fière de Une ville jetée en vrac autour de sa baie, son identité. anarchique, vivante, débordante d’énergie, compliquée et, surtout, attachante. Ce défi n’est pas seulement celui de l’État, de ses ministres ou de ses walis [préfets], qui doivent cependant monJ’ai découvert Alger en 1999, à une époque où la parcourir représentait un trer l’exemple et la voie. C’est l’affaire de véritable danger. C’étaient les derniers tous les Algérois, jeunes, vieux, patrons, feux de la terreur, et les rues se vidaient employés, riches, pauvres, hommes et femmes. Alger doit s’ouvrir, en premier de leurs habitants sitôt les ultimes rayons du soleil engloutis par la mer. Première lieu à ses fils et à ses filles, qui débordent impression, qui se révélera erronée : de projets, d’envies et d’idées, mais ne une ville de fous, inaccessible aux nontrouvent pas de cadre pour les exprimer Algériens, belle mais en proie à la décréni d’oreilles attentives pour les écouter. pitude. La cité des enfants perdus, de Ne pas exploiter cet autre trésor de la la méfiance permanente et de tous les capitale, cette énergie inépuisable, presparadoxes. De Hydra la bourgeoise à Bab que irrationnelle, qui pousse les Algériens el-Oued, fief du petit peuple, les monà ne jamais mettre un genou à terre, malgré des se côtoyaient sans jamais se croiser. les affres d’une histoire marquée depuis Aujourd’hui, de ce point de vue-là, rien des siècles par les tragédies, la violence n’a changé, ou si peu. et le sang, serait le plus grand des gâchis. La ville, elle, a en revanche retrouvé sa Dans le cas contraire, les autres capisérénité, se modernise et ressemble à un tales de la rive sud de la Méditerranée chantier perpétuel. Les infrastructures n’auraient qu’à bien se tenir… ●

JEUNE AFRIQUE

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PANORAMA Alger, du spleen à l’idéal p. 66 TRIBUNE Géographie de la colère par Rachid Sidi Boumedine p. 69 AMÉNAGEMENT DE LA BAIE Un lifting de vingt ans p. 70 ITINÉRAIRE AMOUREUX La ville, les yeux dans les yeux, avec Adlène Meddi p. 72 PORTRAITS Histoires contemporaines p. 74 OMAR SEFOUANE POUR J.A.

A

LGER L’AFRICAINE, porte d’entrée du continent. Alger la Méditerranéenne, jolie escale surannée sur la plus vieille mer du monde. Alger l’Algérienne, tête de pont d’un pays en chantier, véritable creuset culturel et social d’une vaste nation qui ensorcela Simone de Beauvoir, André Gide, Rudyard Kipling ou Winston Churchill.

PATRIMOINE Ils veulent réinventer la Casbah p. 76 MÉTRO Un éternel chantier

p. 78

SCÈNE Les horizons de l’Atlas p. 79 PORTFOLIO Flâneries urbaines

p. 80


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Le Plus de Jeune Afrique

EN QUÊTE DE MODERNITÉ

Alger, du

spleen

Si la capitale fait toujours rêver, les retards accumulés dans sa stratégie de développement attisent les passions. Voyage au cœur d’une agglomération à la recherche du temps perdu.

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CHERIF OUAZANI, envoyé spécial

S

on histoire millénaire est faite de sièges et de batailles – terrestres et navales –, d’invasions et d’occupations, de siècles de prospérité et de décennies de malheurs (épidémies meurtrières, séismes destructeurs, raz-de-marée ravageurs…). Et de l’immuable fierté de ses habitants. Ils ont raison. Alger demeure l’une des plus belles villes du monde. Fondée par les Phéniciens, qui avaient choisi sa baie pour y installer un comptoir commercial, Alger JEUNE AFRIQUE


La ville dans tous ses états Ý DANS LE CENTRE, sur le front de mer, les façades soignées du boulevard Zirout- Youcef.

Titi algérois, Farouk, libraire de 34 ans, déplore « habiter une ville occupée ». « Il n’y a plus d’Algérois de souche, nous sommes envahis », s’emporte-t-il avec l’accent chantonnant qui caractérise les Ouled el-Assima, les gens de la capitale. Farouk oublie que nul Algérois ne peut plus se prévaloir d’une pure ascendance remontant aux Beni Mezghana, groupe de tribus berbères autochtones, très vite dominés par une suite d’invasions. Des Romains aux Français, en passant par les Vandales, les Beni Hillal et les Ottomans, des vagues successives ont bouleversé la démographie de la ville et enrichi son patrimoine.

Une cité au cœur chargé de la nostalgie de son passé récent.

La ville-wilaya en bref… Superficie

363 km2 OMAR SEFOUANE POUR J.A.

Population

à l’idéal est devenue, trois mille ans plus tard, la Mecque des révolutionnaires. Une escale obligée pour Che Guevara ou Agostinho Neto, Amílcar Cabral ou Miriam Makeba. C’était au milieu des années 1960. De 1962 à 2010, la capitale de l’Algérie indépendante a connu un développement sans précédent, sa population passant de 500 000 habitants à quelque 3,5 millions. Les anciennes portes de la cité, Bab el-Oued (« porte de l’Oued »), à l’ouest, et Bab Ezzouar (« porte des Visiteurs »), à l’est, ont été avalées par l’agglomération, dont l’impressionnante croissance atteint désormais la grande banlieue. JEUNE AFRIQUE

3,3

millions d’habitants Divisions administratives

13

daïras (sous-préfectures) découpées en

57

communes chacune administrée par une assemblée populaire communale (APC) Préfet Mohamed Kebir Addou (wali) Maire Mohamed Zaïm, président de l’assemblée populaire de wilaya (APW) SOURCES : ONS, WILAYA

Capitale politique et économique, Alger brasse aujourd’hui des populations d’origine berbère, arabe et turque. Vieillissement oblige, la Casbah (lire p. 76) n’est plus le centre de son rayonnement culturel, mais en demeure le cœur spirituel, grâce au mausolée de Sidi Abderrahmane, saint patron de la ville. En attendant la construction de la Grande Mosquée, qui pourra accueillir jusqu’à 120 000 fidèles et sera dotée, dit-on, d’un minaret haut de 300 m. BLUES DU LOGEMENT. Si Farouk a tort en évo-

quant une invasion d’Alger, il a en revanche raison quand il pointe le mal-être de ses habitants. Pour une population dont le nombre a été multiplié par sept en moins de cinquante ans, le parc immobilier algérois n’a crû que de 100 %. Résultat: sur la même période, le nombre d’occupants par logement est passé de trois à dix, l’habitat précaire a pris racine et s’est multiplié… Une situation qui provoque des émeutes récurrentes dans certains quartiers : Diar Echems, Diar el-Mahçoul, Oued Koreich (ex-Climat de France) sont en ébullition. En cause, le relogement des occupants d’habitations précaires ou devenues, au fil du temps, insalubres. À la promiscuité s’est ajouté un autre phénomène, conséquence de la violence islamiste et de la montée de la criminalité : la « bunkerisation » de l’espace. Les Algérois se barricadent chez eux et, la nuit, la cité se dépeuple. L’autre cauchemar des habitants de la métropole est de se déplacer. Une gestion des transports collectifs désastreuse, un métro qui n’a toujours pas été inauguré, près de trente ans après le premier coup de pioche (lire p. 78), un tramway nommé désir que l’on n’attend même plus… À Alger, le problème de la mobilité, commun à toutes les capitales, atteint des sommets. Des cohortes se forment aux abords des stations de bus et de taxis. ●●● Les gares routières sont assiégées. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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À la rareté des moyens de transports collectifs s’ajoutent les affres du trafic routier. Au cours des dix dernières années, le parc automobile de l’agglomération a grossi : plus de 300 000 nouveaux véhicules de tourisme et près de 50 000 camions et camionnettes ont été mis en service. Même si le réseau routier a été considérablement étendu, il s’avère insuffisant. Les principaux axes bouchonnent du matin au soir, quand trouver une place de stationnement est le fantasme absolu de tout automobiliste algérois.

du pays), et une centaine de cliniques, leur nombre ne répond plus aux besoins croissants. Il devient courant qu’une femme accouche dans le couloir d’une maternité, faute de place dans les chambres et salles de travail.

●●●

PETITE MUSIQUE DES DÉFICITS. Même si elle

dispose d’atouts pour devenir la capitale moderne dont rêvent ses habitants, Alger traîne d’autres déficits. L’animation artistique y est indigente. Carrefour de civilisations, la ville a un riche patrimoine musical arabo-andalou, entre l’école classique (sanaa) et le chaabi (musique populaire typique de la Casbah), mais, faute de subventions, ses conservatoires se meurent. Les lieux de concerts ont tous disparu. Le Théâtre national (ex-Opéra) d’Alger, au square Port-Saïd, a perdu sa vocation et son public. Aujourd’hui exclusivement dédié à la production théâtrale, il propose moins d’une dizaine de pièces par an. Encore moins bien loties, les salles de cinéma. Fermées pour la plupart, ou en éternelle rénovation, elles sont à l’image de la production audiovisuelle : anémique. Si l’esprit est malmené, le corps n’est pas épargné. Se soigner à Alger n’est pas une sinécure. La capitale a beau compter une dizaine d’hôpitaux, dont le CHU Mustapha-Bacha (le plus important N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

CURE DE JOUVENCE. Ainsi va la vie algéroise. Bien

L’agglomération du Grand Alger regroupe les wilayas d’Alger, de Blida, de Boumerdès et deTipaza. Superficie

800 km2 Population

5,4

millions d’habitants SOURCES : ERMA, ONS

ancrée dans le présent. Pleine de doléances, d’idées et d’envies pour son avenir. Mais le cœur chargé de la nostalgie de son passé récent, « quand la ville était bien habitée », lâche Bestami Maghraoui, étudiant à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’El-Harrach. Avant de se corriger : « Je veux dire moins peuplée. Quand ses habitants disposaient de toutes les commodités d’une ville agréable à vivre. » Les tenants de cette « Nostalger » ont pour hymne la chanson chaabi Ouled el-assima ouine (« Que sont les enfants de la capitale devenus ? ») d’Abdelmadjid Meskoud (lire p. 74). Reste que la nostalgie n’est pas mère de vertus quand on veut construire l’avenir. Un avenir qui passe par la jeunesse. Et celle d’Alger est bien moins fainéante qu’on ne le dit. À l’image de ses nombreuses associations, qui, sans relâche, organisent des campagnes bénévoles pour nettoyer la Casbah, les quartiers ou les plages, distribuer des repas chauds durant l’hiver et les mois de ramadan, animer des ciné-clubs de quartier, visiter les malades chroniques et les pensionnaires de maisons de vieillesse… La future bataille d’Alger, celle de la réhabilitation, de la modernisation et du réaménagement de l’espace urbain, sera sans doute remportée grâce à cette jeunesse. ● JEUNE AFRIQUE


La ville dans tous ses états

TRIBUNE

Géographie de la colère

D.R.

A Rachid Sidi Boumedine Sociologue à Alger

LGER LA BLANCHE EST ROSE, lorsqu’on y arrive à l’aube, au débouché de la Foire, et aveuglante si, d’aventure, l’éclair fulgurant que renvoie le miroir de l’hôtel El-Aurassi vous atteint. Elle est plutôt bleue lorsqu’on y vient en avion et que le commandant de bord a la bonne idée de survoler la baie. De fait, Alger n’a jamais été aussi blanche que depuis l’indépendance. Obsédés, peut-être, par ce cliché et par la remarque méprisante de ceux qui l’ont quittée en juillet 1962 (« Après notre départ, l’herbe poussera entre les pavés », disaientils), les responsables ont veillé à ce que le centre de la capitale soit repeint tous les cinq ans en moyenne: murs blancs et volets bleus, la référence pour tout le nord de l’Algérie. Ce ne sont pas seulement ses couleurs qui m’attachent à Alger. J’aime ses rues et son peuple, toujours en train de râler, mais le cœur sur la main. J’aime à dire qu’il est comme les figues de Barbarie : plein d’épines à l’extérieur, tendre et sucré à l’intérieur.

Avec les politiques d’ajustement structurel imposées dans les années 1980, les portes du chômage et de la précarité se sont ouvertes, béantes. C’est le monde de la débrouille qui a alors commencé : se loger, « bricoler » pour s’en sortir… Addawla (« l’État ») est désormais conjugué à la troisième personne du pluriel: on dit houma (« eux »), alors que la logique du chacun pour soi s’installe toujours plus profondément. Le vocabulaire du capitalisme – trabendo (« trafic »), beznassi (« homme d’affaires »), chriki (« associé ») – remplace celui des anciens rapports de solidarité exprimés par « mon père », « ma mère », « ma sœur », selon l’âge et le sexe de l’interlocuteur.

Pourtant, chaque jour qui passe dément ces images : nous avons du LE 16 MARS à Diar el-Mahçoul. Ils réclament des logements. mal à nous dire que l’Alger de notre jeunesse n’est plus. Et, devant les sombres horiLa structuration de l’agglomération vient des zons auxquels nous ont conduit des dirigeants actions de l’État, qui ne cesse de « reloger » toumal inspirés, cette nostalgie grandit. jours plus en périphérie, ainsi que des acteurs En 1962, le départ des Européens a libéré les économiques et sociaux, qui créent de nouveaux quartiers centraux, ouvrant des logements mieux centres, dévolus aux activités les plus diverses – dès équipés et plus confortables à une population lors qu’elles rapportent. cantonnée jusque-là dans les bidonvilles et les cités indigènes. Ce n’est donc pas un hasard s’il y a une géograMais ces reclassements se sont opérés par phie de la colère à Alger, celle des laissés-pourl’argent ou le clientélisme, reconstituant la corcompte, de l’informel, du bas de gamme, des respondance, à quelques exceptions près, entre marchés aux légumes « pas chers », qui réveille statut social et quartier. Ainsi, les membres des notre nostalgie. Nous avions, pour la plupart, oublié sphères supérieures de la société, surtout dans que nous avions été à la fois les indigènes et les et autour de l’appareil d’État, ont conquis les pauvres – ce qui est presque la même chose. espaces urbains les plus valorisés, symboliqueLes revendications ponctuelles et catégorielles ment et matériellement. À l’opposé, ceux que des uns et des autres, émanations des sourds leur appartenance sociale condamnait à végéter grondements populaires, décapent petit à petit les dans les anciens quartiers arabes ou voués aupaillusions et font émerger la nature politique des ravant au prolétariat européen, comme Bab problèmes – et, donc, l’impérieuse nécessité, pour el-Oued ou Belcourt (aujourd’hui Belouizdad), les gouvernants, de changer les règles du jeu. La n’ont pas pu emprunter les ascenseurs du parti baie d’Alger est l’une des plus belles baies du unique et des organisations de masse. monde. ● JEUNE AFRIQUE

OMAR SEFOUANE POUR J.A.

Opinions Op & éditoriaux ux

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Le Plus de J.A. Alger L’AVENIR DU FRONT DE MER

Un lifting de vingt ans La métropole va s’offrir une nouvelle baie pour 2030. Le projet, financé par l’État et la wilaya, est en cours de finalisation. Premières esquisses avec le groupe d’architectes et d’urbanistes chargé de sa conception.

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NS

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(en millions d’habitants)

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0,8 Le Caire

Alger

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Casablanca

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d’aménagement est de faire d’Alger une « écométropole » : dépollution des plages, exploitation des deux stations d’assainissement, mise en place de filtres sur les berges de l’oued El-Harrach, etc. Une attention particulière sera portée à la préservation et à la valorisation des deux poumons verts qui encadrent la baie, la forêt de Baïnem et les alentours du lac de Réghaïa, ainsi qu’à la gestion de l’eau. Un brise-lames sera installé en bord de mer, et des collecteurs d’eaux

IST LA S TAT I S T IQ U E , A D M I N

(en millions d’habitants)

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Population des agglomérations

ÉCOCITÉ. Un autre pan de la stratégie

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L O C A L ES

Population des villes

– pour mettre fin à l’engorgement du port de commerce et à l’attente quotidienne de quelque 80 bâtiments dans la baie. Le commerce de vrac a déjà été déplacé. Toutefois, la préoccupation prioritaire des Algérois reste le logement. Chez Arte Charpentier, on promet qu’il sera intégré au proche littoral, en même temps que des transports publics adéquats pour relayer les 3 200 opérateurs privés.

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Deuxième ville et deuxième agglomération de la région

ITÉS

impératif est de réconcilier les habitants avec leur littoral. La ville a, au fil de son histoire, installé routes, rails et industries entre les habitants et la mer. C’est le paradoxe d’Alger : voir la mer et ne pas y accéder. L’objectif est de rendre l’Amirauté à la vie civile et de recréer des plages et des cheminements tout le long de la côte. De quoi établir une

promenade ininterrompue en front de mer. « Il s’agit aussi de respecter la valeur inestimable du patrimoine d’Alger. Pas question de faire ici un nouveau Dubaï avec d’immenses tours », explique Pierre Clément, le président d’Arte Charpentier. À cet égard, le glissement du port vers l’est et sa revalorisation sont nécessaires : réaménagement de la criée, multiplication des activités commerciales, création d’un port en eau profonde

TIV

LE LITTORAL RETROUVÉ. Le premier

L’UNE DES PRIORITÉS : recréer des plages et des chemins le long de la côte.

EC

u cap Caxine au lac de Réghaïa, sur presque 50 km de côte, la baie d’Alger va bénéficier d’un vaste plan de réaménagement, dans le cadre d’une stratégie urbaine 2010-2029 menée à l’échelle de l’ensemble de la wilaya (préfecture). Objectif : faire de la capitale une grande métropole méditerranéenne. Jusqu’à présent, elle a manqué d’une vision cohérente et durable pour son développement. Le cabinet d’architectes français Arte Charpentier doit présenter avant l’été le projet de la nouvelle baie.

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SOURCE

S S : IN

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Nouakchott

JEUNE AFRIQUE


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Moins chère que Casa, plus que Tunis Rang mondial, sur 214 villes classées selon le coût de la vie 108 e

e 186 e 189

199 e

115 e

87 e

De la plus chère…

… à la moins chère

Mais où il fait moins bon vivre

214 e

Rang mondial, sur 221 villes classées selon la qualité de vie 121 e

167 e

182 e

126 e SOURCE : MERCER 2010

OMAR SEFOUANE POUR J.A.

94 e

Le Caire Tripoli

Alger Tunis

Casablanca Nouakchott

étrangers qui répondent aux appels d’offres de travailler en partenariat avec des confrères algériens.

ARTE CHARPENTIER

PREMIERS CHANTIERS. Concrètement,

LA GRANDE PROMENADE DE LA BAIE sera réalisée dans la première phase des travaux.

usées sont en construction pour éviter les inondations. Alger compte bien faire de certains équipements phare sa vitrine. La conception d’une bibliothèque arabo-sud-américaine a ainsi été confiée au célèbre architecte brésilien Oscar Niemeyer. Un aquarium, un musée de l’Afrique, une marina et une nouvelle gare centrale sont également au programme. VISIBILITÉ INTERNATIONALE. « La capitale devrait maintenant pouvoir trouver un grand projet contemporain, JEUNE AFRIQUE

qui l’identifierait à l’international, réagit Youssef Kanoun, professeur à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme. J’espère que la réalisation du plus grand nombre possible de ces structures sera confiée à des Algériens, dont 5 000 sont diplômés chaque année en architecture. » En l’occurrence, dans le quartier Chevalier, le chantier de la faculté de médecine, dont la livraison est prévue pour 2012, a été attribué à des Libanais, celui du grand parking à des Turcs, celui de la faculté de langues et littérature à des Coréens. Et rien n’impose aux architectes

quelque 1,5 milliard d’euros sont engagés pour le premier plan quinquennal d’aménagement 2010-2014. Parmi les treize projets prioritaires : un vaste « plan lumière », la rénovation du boulevard Larbi-Ben-M’hidi ou l’aménagement de plages et de bains publics à Bab el-Oued. Ce dernier chantier, qui se veut pilote, a pris du retard. La livraison était prévue pour 2010, mais l’appel d’offres ne sera lancé que prochainement. D’éventuels contentieux sur la propriété des terrains d’implantation de ces nouvelles structures pourraient aussi allonger les délais. Il est probable que, contrairement aux espoirs initiaux, peu de ces premiers projets soient livrés pour le cinquantenaire de l’indépendance, en juillet 2012. « Le côté positif est que, désormais, Alger a une vision claire de son avenir, estime un proche du dossier. Ce sera long, mais on sait où l’on va. » ● CONSTANCE DESLOIRE, envoyée spéciale N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Le Plus de J.A. Alger ITINÉRAIRE AMOUREUX

Alger la noire, les yeux dans les yeux Sa ville, le journaliste et romancier Adlène Meddi l’a dans la peau. Il en a fait un personnage à part entière de son dernier polar, La Prière du Maure, et nous emmène en balade, de la rue Didouche-Mourad à Bab el-Oued.

A

veclespolarsd’AdlèneMeddi, on est loin d’Alger la Blanche. C’est plutôt le côté sombre, la face cachée, le négatif, appelons ça comme on le veut, que l’auteur décrit. Dans La Prière du Maure, le lecteur est renvoyé au terrorisme et aux années 2000, avec, comme antihéros, un commissaire à la retraite désabusé, entêté et solitaire. Depuis sa sortie en 2008, le livre en est déjà à sa troisième réédition en Algérie (éditions Barzakh) et il a été publié en France en 2010 (éditions Jigal). « Peu de gens écrivent des romans policiers dans le monde arabe, car ils ont tendance à considérer qu’on a trop de problèmes sérieux pour écrire ce genre de littérature. D’ailleurs, les deux genres les plus pauvres dans la région sont le polar et la philosophie, deux genres qui questionnent la société conservatrice, les tabous islamiques, les régimes politiques… » Le ton est donné: Adlène Meddi, peau mate, regard noir et fines lunettes rondes, est un écrivain sans concession, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer son pays et sa ville, Alger. « Alger, c’est un enjeu… Les marches de février et mars contre le gouvernement s’inscrivent dans une histoire : depuis les manifs des pieds-noirs qui ont fait tomber la IVe République en France, jusqu’à celles

dans plusieurs artères d’une capitale nerveuse, criblée de mille rumeurs… » Sa ville, Alger, Adlène Meddi en a fait un personnage à part entière de son dernier roman. « Je ne pensais pas qu’elle allait prendre une place aussi importante dans le livre. Mais comme j’ai souhaité m’attacher à des descriptions cinématographiques, cela m’a demandé une précision géographique. Cette cartographie d’Alger s’est donc imposée, jusque dans le discours des personnages. Dans les années 1990, Alger était une grosse souricière : faux barrages, attentats, intrigues politiques… tout cela dans un espacetemps défini car c’est une petite ville. J’aimais l’idée de la souricière, car il y avait beaucoup de chasseurs. Et beaucoup de proies. » RELATION BIZARRE. Journaliste depuis

1998 et rédacteur en chef d’El-Watan week-end (créé en 2009), Adlène Meddi est né à El-Harrach. Pendant ses études, il s’est installé au cœur de la cité, rue Didouche-Mourad, l’une des artères principales et commerçantes du centre-ville. Une vie de bamboche entre le tunnel des Facultés et la place Audin, le quartier Meissonnier et son marché. Il n’a plus quitté le quartier depuis. Chaque fois qu’il a déménagé, c’était toujours dans le même périmètre. « Je n’arrive pas à bouger ! « On occupe une cité qui a été En tant que journaliste, construite contre nous : elle j’ai une certaine capacité à a fait partie d’un projet colonial. » me déplacer, mais à Alger, je ne supporte même pas de 1988, la foule algéroise fait peur. Elle la banlieue. Quand je bouge, je prends est coléreuse et, durant trois siècles, elle l’avion. Ma banlieue, c’est Beyrouth ou a déposé les deys et pachas ottomans Tamanrasset. » par l’émeute. » D’où, certainement, l’imIl reconnaît entretenir un rapport pressionnant déploiement de forces de ambivalent avec Alger, presque « pathosécurité dans la capitale en ce début logique ». « Devant les étrangers, les 2011. « L’atmosphère est tendue depuis Algérois sont fiers de leur ville : la baie les émeutes de janvier : des dizaines de magnifique, la Grande Poste, les beaux camions de “l’antiémeute” sont cantonnés immeubles… Mais entre nous, on ne parle N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

OMAR SEFOUANE POUR J.A.

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que de la saleté, des barrages de police qui hérissent encore les quartiers, toutes les choses qui nous énervent. On occupe une ville qui a été construite contre nous: elle a fait partie d’un projet colonial bien défini. Les Arabes étaient parqués dans la Casbah, dans des bidonvilles extérieurs ou des cités comme Climat de France. Après 1962, il y a eu une réappropriation revancharde, il y avait une jouissance à dormir dans le lit du colon. Résultat : aujourd’hui, on ne s’occupe pas de cette ville. Rien n’a été fait depuis cinquante ans, les immeubles menacent de s’écrouler, les caves sont inondées. C’est un peu gros de dire que c’est à cause d’une incompétence millénaire… C’est juste que notre relation de l’urbain à l’humain est bizarre. » FINI LA « NOSTALGÉRIE ». Le débit rapide, saccadé, Adlène Meddi s’anime. Il en a marre de la « nostalgérie » et du regard exotique sur « Alger la Blanche », que les Algérois eux-mêmes ont fini par intégrer. « On vend encore des cartes postales des années 1980 ! Dans les restaurants, les gens préfèrent mettre des cadres avec des photos de la ville coloniale plutôt que des œuvres modernes », râlet-il. Avant de se radoucir pour évoquer ses quartiers préférés : une promenade de la rue d’Isly jusqu’à Bab el-Oued la JEUNE AFRIQUE


La ville dans tous ses états

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Ð MEDDI GARDE DE LA TENDRESSE

pour les ruelles de la Casbah, où l’on peut se perdre pendant des heures.

Casbah saignait. Ça m’a traumatisé. La Casbah, c’est aussi se prendre cette fatalité en pleine figure : quand un immeuble s’écroule, les autres suivent, comme un château de cartes. »

DR

NOUVEAUX RICHES. Mais quand il s’agit

DANS SES FICTIONS comme dans sa vie, l’écrivain est sans concession.

populaire, les pieds dans l’eau. Il garde de la tendresse pour les ruelles de la Casbah, où l’on peut se perdre pendant des heures. « J’y allais souvent pour respirer, marcher seul. Mais elle est dans un état abominable. J’y ai fait un reportage en 2007, à la suite de l’effondrement de vieilles bâtisses. Il y avait de la terre rouge partout, on aurait dit que la JEUNE AFRIQUE

OMAR SEFOUANE POUR J.A.

Ý IL A TOUJOURS VÉCU dans le même périmètre, près de la rue DidoucheMourad.

cabarets et les bars. Dans la rue, ne restent que les flics, les fous et les mendiants », résume Adlène Meddi. « Le centre a été délaissé. Vivre ici, c’est presque comme habiter dans une ville étrangère. Depuis les années 1990, tout a été décentré. L’ancienne bourgeoisie s’est installée à l’Ouest. Les nouveaux centres de l’argent se trouvent à l’Est. Et les lieux de décision et de pouvoir se retrouvent sur les hauteurs, à Ben Aknoun… Le centre-ville, lui, s’est vidé de tous ces intérêts. »

d’évoquer Sidi Yahia, à Hydra, le quartier emblématique de la haute bourgeoisie et des ambassades, le ton se fait cynique. « C’est un quartier de nouveaux riches, post-2000, où le fric des “terros” a été réinvesti dans les boutiques de luxe. C’est le règne du « Depuis les années 1990, tout capitalisme à la saoudienne a été décentré. La bourgeoisie et la mode des cafés moyens’est installée à l’ouest. » orientaux où l’on fume le narguilé en buvant du thé à la menthe. Les filles sont très maquillées Reste,pourtant,lecharmeencorevivace et les gros 4x4 attendent devant… C’est des bâtiments, le blanc et le bleu, la vie tout ce fric étalé, l’argent des émirs islagrouillante de Didouche-Mourad. Et la mistes repentis ou des seigneurs de Méditerranée, qui ne quitte pas Alger l’“import-import”, qui a fait exploser la des yeux. « De mon appartement, j’ai colère des jeunes des quartiers populaires une vue directe sur la mer. Je ne me lasse en janvier dernier. » pas de cette vue, sourit Meddi. C’est pour Depuis quelques années, une vague ça que j’ai toujours vécu dans ces vieux conservatrice a fait fermer un grand nomimmeubles face à la mer. Tout est détruit à bre de bars, boîtes et cabarets. La faune l’intérieur, à cause des failles sismiques qui sauvage et alcoolisée d’Alger a perdu ses traversent Alger… sans parler des failles psychosomatiques. Ici, il y a une surprise repères, même si elle possède encore chaque matin. J’ai toujours l’impression quelques repaires. « Alger, aujourd’hui, c’est une ville qui termine sa vie à 18 h 30. de vivre sur une faille. » ● Les seuls endroits où il y a de la vie sont les OLIVIA MARSAUD, envoyée spéciale à Alger N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Le Plus de J.A. Alger

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HISTOIRES CONTEMPORAINES

Figures algéroises

Ils avaient 10 ans ou 20 ans au moment de la guerre d’indépendance. L’héroïsme, les mots ou la carrière de ces natifs de la capitale ont fait d’eux des symboles. Portraits.

LOUIZA AMMI

CHERIF OUAZANI

Mohamed Benmeradi Un fils de Bab el-Oued au gouvernement

LOUIZA AMMI

M Abdelmadjid Meskoud Le poète amoureux du Hamma

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utodidacte, il n’a fréquenté ni le conservatoire ni les prestigieuses écoles de musique d’Alger, il est ce que les Algérois appellent un moulou’e, à mi-chemin entre inspiré et transi. Né à El-Hamma, dans le quartier populaire de Belcourt (aujourd’hui Belouizdad), il y a cinquantehuit ans, cet amoureux du verbe et du outar a écrit, au milieu des années 1980, une chanson devenue N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

l’hymne des Algérois. Ouled el-assima ouine (« Que sont les enfants de la capitale devenus ? ») est un texte nostalgique du vieil Alger, déclamé sur une langoureuse mélopée chaabi. Avec le réaménagement du Hamma, vidé de ses maisons et de ses usines, une partie de son histoire s’écroule sous les bulldozers qui rasent le quartier. Un triste épisode, qui a inspiré ce qui deviendra l’œuvre de sa vie. ●

ohamed Benmeradi n’est sans doute pas le premier énarque (promotion 1976) à faire partie du gouvernement. En revanche, à tout juste 57 ans, il peut se prévaloir d’être le premier fils du mythique et populaire quartier de Bab el-Oued – où il étudie jusqu’au secondaire – à être nommé ministre. Et il ne l’a pas volé. Homme de dossiers, non engagé en politique (« Mon seul parti est la République », ne cesse-t-il de répéter), ce parfait technocrate a eu la chance, au début de sa carrière de haut fonctionnaire, en 1978, de croiser Rabah Bitat, grande figure de la lutte de libération, alors président de l’Assemblée populaire nationale (APN). Ce dernier fait de l’énarque un parfait commis de l’État, notamment en tant que directeur général du Domaine national. Le 28 mai 2010, Mohamed Benmeradi entre au gouvernement par la grande porte et devient ministre de l’Industrie, de la Petite et moyenne entreprise et de la Promotion de l’investissement. ● JEUNE AFRIQUE


La ville dans tous ses états

Djamila Bouhired Icône de la bataille d’Alger

ALI DIA/AFP

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éroïne de la bataille d’Alger, arrêtée dans la Casbah, torturée et condamnée à mort par les autorités coloniales en 1957 – elle n’a alors que 22 ans –, Djamila Bouhired a inspiré le cinéaste égyptien Youssef Chahine pour son film Djamila l’Algérienne, réalisé en 1958. C’est grâce à la campagne médiatique menée par son avocat Jacques Vergès (qu’elle épousera en 1965) qu’elle échappe à la guillotine. À l’indépendance, elle boude ostensiblement les allées du pouvoir, où se bousculent alors ses anciens compagnons de lutte. Portée par l’euphorie révolutionnaire, Djamila s’engage dans le soutien des mouvements de libération, anime l’hebdomadaire Révolution africaine, et finit par prendre définitivement ses distances avec

la chose publique à la fin des années 1960. Quarante ans d’anonymat plus tard, elle reste l’icône d’Alger. ●

Mohamed Lamari Le plus politique des hauts gradés

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RAVEENDRAN/AFP

é en juin 1939 à Bab Djedid, à l’entrée ouest de la Casbah, Mohamed Lamari est sûrement l’Algérois le plus influent du

JEUNE AFRIQUE

pays. Jeune officier, il a abandonné l’uniforme français pour rejoindre en 1961 les indépendantistes de l’Armée de libération nationale (ALN). Premier général de corps d’armée de l’histoire de l’institution militaire algérienne, il a été un acteur central dans la vie politique. Ne faisant pas mystère de son hostilité au fondamentalisme, qui a fini par accoucher du terrorisme, Mohamed Lamari fut l’un des membres du club des « janviéristes » – terme désignant les généraux qui ont décidé de l’interruption électorale, en 1992. Il est alors chargé de créer une Task Force antiterroriste de 15 000 hommes, dont il prend la tête. Ce commandement lui vaudra d’être nommé chef d’étatmajor en juillet 1993. Le général s’est une nouvelle fois distingué en soignant sa sortie. En août 2004, en désaccord avec le président Abdelaziz Bouteflika, il démissionne de son poste de chef d’état-major, autre première dans l’histoire de l’armée algérienne ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Le Plus de J.A. Alger PATRIMOINE EN PÉRIL

Ils veulent réinventer la Casbah Derrière les murs décrépits, des joyaux d’architecture se meurent. Dernier rempart contre la disparition du cœur historique de la capitale, des associations se battent. Et remportent quelques victoires.

ou de racheter une maison menacée pour laquelle se déchirent des héritiers souvent nombreux. Le défi des amoureux de la vieille ville n’en est pas moins complexe : restaurer les maisons pour empêcher qu’elles s’écroulent, tout en maintenant la vie dans la Casbah ; sauver les murs, d’un côté, et répondre au besoin d’emplois des 65 000 habitants du quartier, de l’autre.Unearticulation Ý DEPUIS PEU, d’autant plus ardue L’ÉTAT SE que les Casbahdjis MOBILISE. Il peut décider d’origine sont presque d’imposer tous partis se loger plus des travaux confortablement, remou de racheter placés, depuis l’indédes maisons pendance, pardes gens menacées. de passage, ruraux le plus souvent, dont certains ont accéléré l’effondrement de leur maison pour hâter leur relogement. Difficile de revitaliser un quartier quand il n’est qu’un lieu de transit pour ses habitants.

OMAR SEFOUANE POUR J.A.

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errière le comptoir de sa petite épicerie aux rayons à moitié vides, logée au milieu d’une rue en escalier, Hamad Arezki, 70 ans passés, soupire. « Ah ! La Casbah… C’est devenu un musée ! Avant, ça grouillait de monde. Ramadan, c’était merveilleux. Maintenant, je ne trouve personne à embaucher pour monter ma marchandise. » Comptoir phénicien au IVe siècle avant J.-C., forteresse ottomane du XVIe au XIXe siècle, cœur de la résistance pendant la guerre d’indépendance, cache des islamistes dans les années 1990,

Derrière les lourdes portes se cachent parfois des trésors d’architecture, tandis que les chats et les gravats disputent les ruelles aux passants. TEMPS PERDU. Depuis que les 60 hec-

tares du quartier ont été classés au Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en 1992, plusieurs plans de sauvetage se sont succédé, mais n’ont permis de rénover qu’un seul des cinq « îlots » d’habitations. Là, les murs passés à la chaux – comme avant – ont redonné sa lumière au quartier. « On a perdu du temps car chaque wali Près de 65 000 personnes habitent [préfet] a défait le travail encore le quartier. Des gens du précédent. Il y a trop d’institutions de tutelle, de passage, souvent ruraux. qui ne sont pas allées la Casbah n’est plus, aujourd’hui, que dans le même sens. Mais, maintenant, l’ombre d’elle-même. L’eau courante on avance bien », explique Belkacem installée par les colons, la surpopulation Babaci, le président de la Fondation Casbah, qui œuvre à sa sauvegarde des années 1980 et un mobilier trop lourd depuis vingt ans. En effet, depuis peu, ont déjà eu raison de 420 des 1 200 maisons qui étaient encore debout en 1962. l’État peut décider d’imposer des travaux N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

NOUVELLE VIE ? Farid Smaalah, 28 ans, artiste en décoration musulmane, vient d’ouvrir un atelier dans une rue passante. « Avec le développement du tourisme, ça peut marcher », espère-t-il. « La Casbah, c’est fini ! » assène un vieux monsieur sur le pas de sa boutique. « Nous voulons justement la faire revivre ! » rétorque Abdelkrim Bouchouata, le secrétaire général de la Fondation Casbah, où foisonnent les idées. Parallèlement à la rénovation des bâtiments, pour lesquels les financements publics arrivent, la création de 1 000 emplois locaux est prévue en 2011 (guides, agents de déblaiement, dinandiers…). Et pourquoi pas installer dans le quartier des centres spécialisés en maîtrise d’ouvrage, qui diffuseraient ensuite l’expérience qu’ils y ont acquise ? Ou encore solliciter la Banque mondiale, qui a déjà aidé à restaurer quarante médinas méditerranéennes ? Une véritable course contre la montre s’est engagée. En jeu : l’invention d’une nouvelle Casbah. Ou sa fin. Pendant ce temps, à quelques ruelles du somptueux palais Aziza – qui a été rénové –, des gamins courent, indifférents au charme, toujours puissant, de la vue sur la mer, 100 m plus bas. ● CONSTANCE DESLOIRE JEUNE AFRIQUE



Le Plus de J.A. Alger du métro, RATP-El Djazaïr, connaît des désaccords internes. On se rejette la responsabilitédesretards,etpersonneneveut en assumer les conséquences financières. Lancé en 1982, abandonné dans les années 1990, relancé en 2006 : En février dernier, l’ex-Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin est même le grand projet n’accouchera que d’une ligne. Et encore… dépêchéàAlgerpourtenterunemédiation entre les partenaires fâchés. IVe siècle.Augranddamdesonhomologue Alors que la première ligne devait être n trente ans, le projet de métro des Transports, la ministre de la Culture, mise en service fin 2008, rien ne roule n’a cessé d’être suspendu et Khalida Toumi, impose alors la modifiencore. Le projet a déjà coûté la bagaajourné. Il accuse aujourd’hui cation des plans de la station principale telle de 90 milliards de dinars (environ un retard de livraison digne du 900 millions d’euros), ce qui Guinness des records. « Le métro, c’est pose la question de sa rentacomme le bonheur, c’est toujours pour « C’est comme le bonheur, c’est bilité. « Toutes les excuses ne bientôt », s’amuse un chauffeur de taxi toujours pour bientôt », s’amuse algérois. Problèmes financiers, terrorisme, camoufleront pas l’incompétence des walis [préfets, infiltrations d’eau de mer… Presque tout a un chauffeur de taxi. NDLR] et des ministres des été dit pour justifier les retards. À présent, le ministre des Transports, Amar Tou, pour préserver les trésors archéologiques. Transports qui se sont succédé, s’indigne invoque des tests de sécurité pas encore Des experts sont envoyés à Athènes pour un ingénieur. Le métro marseillais a été concluants pour expliquer un énième s’inspirer de l’exemple grec et imaginer mis en service en quatre ans ; au bout report de la mise en service. une station musée. de dix ans, il disposait de 22 km, alors Une autre cause du retard se situe sous que nous attendons les 10 km de notre Et ce n’est pas tout. Né du partenariat la place des Martyrs, le cœur historique de conclu en 2007 entre l’Entreprise du métro première ligne depuis plus de trente ans. » la capitale. En 2009, on y découvre, à 7 m d’Alger (EMA) et la Régie autonome des La comparaison est cruelle. ● de profondeur, une basilique romaine du transportsparisiens(RATP),legestionnaire AMINA HADJIAT UN MÉTRO TRÈS DISCRET

Éternel chantier

E

SQUARE PORT-SAÏD

Place de la Bourse informelle Haut lieu des promenades algéroises, l’esplanade est aussi devenue le grand marché parallèle du change, quelle que soit la devise.

L

e square Port-Saïd, ainsi baptisé par le pouvoir colonial pour commémorer la campagne francobritannique de Suez, en 1956, est l’un des rares espaces publics de la capitale à ne pas avoir été renommé au lendemain de l’indépendance. Au pied de la Casbah, les trois côtés bâtis du square, qui donne sur le front de mer, rivalisent de lieux mythiques : le Théâtre national d’Alger (ex-Opéra) et la terrasse du Tantonville (l’une des brasseries les plus sélectes de la ville), les arcades commerçantes de l’hôtel Terminus et, enfin, l’accès vers Bab Azzoun, l’une des portes du vieil Alger. Le kiosque à musique a été démoli. « Normal, il n’y a pas de bals populaires à Alger, déplore un habitué. Et la place a été envahie par le commerce informel. » N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

HOCINE ZAOURAR/AFP

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LE THÉÂTRE NATIONAL D’ALGER, ancien Opéra.

L’animation artistique et culturelle étant anémique, le secteur d’activité associé aujourd’hui au square Port-Saïd est sans conteste le marché du change. Des centaines de jeunes cambistes clandestins, parmi lesquels de nombreux Subsahariens, attirent les passants en

quête de devises (quelles qu’elles soient) malgré un taux sensiblement plus élevé (2 % à 3 % en général) que celui pratiqué par les banques : on y obtient, sans aucune formalité, 1 euro pour 140 dinars, au lieu de 100. En toute illégalité et sans la moindre discrétion. ● CH.O. JEUNE AFRIQUE


OMAR SEFOUANE POUR J.A.

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LA JEUNE CHANTEUSE Myriam Lazali en concert, en juillet 2009.

NOUVELLE SCÈNE

Les horizons de l’Atlas

Musique traditionnelle, variétés, galas de boxe, kermesses ou encore réunions politiques… Ce temple de la mémoire culturelle de Bab el-Oued est aussi polyvalent que populaire.

D

ans les coulisses de l’Atlas, de jeunes danseuses et danseurs en costume traditionnel se bousculent et rient en s’étirant. Ils répètent le ballet d’ouverture de la saison de « Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011 », prévu le 15 avril. Depuis le début de l’année, la mythique salle de spectacle de Bab el-Oued leur est entièrement réservée. Fermé en 2002 pour d’importants travaux (nouveaux fauteuils, réparation du toit ouvrant, installations son et lumière de qualité, etc.) après de dramatiques inondations, l’Atlas a rouvert ses portes en juin 2008. L’objectif était de faire revivre ce lieu prestigieux, construit en 1930 et longtemps appelé Le Majestic. Une salle historique et symbolique, restée ouverte pendant la décennie noire des années 1990. L’arrivée en janvier dernier de Samir Miftah, 32 ans, chargé du développement, symbolise une nouvelle dynamique. Les appartements privés situés dans le complexe ont été transformés en bureaux, et la salle des fêtes, qui se louait, en un club culturel et médiatique qui organise deux JEUNE AFRIQUE

ou trois ateliers par semaine. « Mon ambition pour la culture, c’est de voir à l’Atlas la même ferveur que dans les stades ! » sourit Miftah. PROXIMITÉ. Seule vraie salle culturelle du

des jeunes. La rappeuse française Diam’s ou l’humoriste Abdelkader Secteur se sont produits en 2010. « C’est une assez bonne salle, je lui donnerais 7/10, évalue Hamza, 23 ans, habitant du quartier. On a bien dansé quand l’Orchestre national de Barbès est passé. Mais il faut instaurer des tarifs différenciés selon le placement, sinon c’est la bousculade. » Car pour l’Atlas, ses 2 500 places sont à la fois son atout principal et une gageure permanente. Depuis sa réouverture en juin 2008, elle a accueilli, entre autres, le chanteur kabyle Lounis Aït Menguellet, un concert de solidarité avec Gaza et un spectacle d’acrobaties chinoises, qui ont bien marché. Cependant, organisme

quartier populaire et souvent « chaud » de Bab el-Oued, elle doit rester en prise avec des habitants qui l’ont défendue pendant les émeutes de janvier 2011. Abdelmadjid Taib, qui a géré la salle de 1992 à sa fermeture, est un Signe distinctif, la salle, construite enfant du coin. « Petit, je en 1930 et entièrement rénovée, venais assister aux spectaest dotée d’un toit ouvrant. cles de marionnettes. C’est comme cela que j’ai voulu entrer dans le métier. Les animations, ici, public relevant de l’Office national de la c’était toujours un événement. » culture et de l’information, l’Atlas n’a pas d’impératif de rentabilité. Le vendredi Pour que cela le reste, l’Atlas cible par sont organisées des animations pour les exemple les fidèles musulmans, dans un quartier pieux. Lors du prochain mois de enfants ; sauf quand la salle est réservée ramadan, comme en 2009 et en 2010, la – gratuitement, comme l’impose une salle sera consacrée aux chants religieux. décision présidentielle – à des réunions Ils attirent un large public qui, le vendredi politiques diverses. L’Atlas doit assumer, juste après la prière, n’a que 20 m à franchir surtout en ce printemps arabe, sa mission depuis la mosquée pour venir les écouter. de lieu polyvalent. ● Autreambition:unepolitiqueàdestination CONSTANCE DESLOIRE N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Le Plus de J.A. Alger

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PORTFOLIO

Flâneries urbaines

PHOTOS : OMAR SEFOUANE POUR J.A.

Coup d’œil sur quelques lieux emblématiques de la douceur de vivre algéroise.

LE JARDIN D’ESSAI DU HAMMA, dont les allées, ouvertes sur le large, sont très prisées pour les promenades du vendredi.

Ý LES HALLES TOUJOURS ANIMÉES

du marché Meissonnier, rue Ferhat-Boussad (anciennement Meissonnier). N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


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Ý BAB EL-OUED vu du front de mer.

EN PLEIN CENTRE-VILLE, la Grande Poste dresse sa façade néomauresque sur le boulevard MohamedKhemisti.

CITÉ DE SIDI YAHIA, dans la commune de Hydra, où le shopping et la mode ont pris leurs quartiers. JEUNE AFRIQUE

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


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Économie

TÉLÉCOMS

Bharti, un chantier de longue haleine

FINANCE

Après la crise, Ecobank

à la relance Forte du plus vaste réseau d’agences du continent, la banque panafricaine renoue avec les bonnes performances d’avant 2008. Et accélère désormais son développement à l’international.

STÉPHANE BALLONG

P

aris,le25mars.Danslasalledeconférences de l’hôtel Intercontinental, les administrateurs d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI) ont le sourire. Les comptes de l’exercice 2010, clos le 31 décembre, sont bons, avec un profit net de 131,8 millions de dollars (99,4millionsd’euros),soituneprogressionde104% sur un an. C’est la première fois depuis 2008 que le groupe, pénalisé par la crise du secteur bancaire, notamment au Nigeria – son principal marché –, atteint ce niveau de bénéfices. En 2007, juste avant la déprime mondiale, ETI avait enregistré un bénéfice net de 139 millions de dollars. Un chiffre tombé à 111 millions en 2008 puis à 64,6 millions en 2009. L’année2010,placéesouslesignedelaréorganisation d’Ecobank en trois pôles d’activité (particuliers, entreprises et banque d’investissement), a donc marqué la fin des temps difficiles pour le groupe créé au Togo en 1988. Son total de bilan a progressé de 16 % sur un an, pour atteindre 10,5 milliards de dollars, tandis que le résultat avant impôts a progressé de 67 %, à 169 millions de dollars. Au crédit de ces bons résultats, « une plus grande maîtrise des coûts rendue possible par la fin de la phase d’expansion du réseau, et les premiers résultats d’une politique commerciale plus orientée vers la clientèle », explique Laurence Do Rego, directrice finance et risque. En fait, ETI récolte surtout les fruits N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

À qui appartient Ecobank?

La dilution du capital a permis au groupe d'échapper jusque-là à des OPA hostiles. Renaissance Capital (russe)

12% 12 %

76% SFI (Banque mondiale)

180 000 actionnaires institutionnels africains et petits porteurs

de sa stratégie d’implantation dans tous les pays du Middle Africa, (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et Afrique de l’Est), préférant éviter la confrontation directe avec les établissements financiers plus grands et plus compétitifs des parties australe et septentrionale du continent, notamment d’Afrique du Sud et du Maroc. Le groupe est ainsi passé d’une présence dans treize pays en 2005 à une trentaine de pays en 2010. Dernière acquisition en date : Premier Finance Group, au Zimbabwe, pour 10,5 millions de dollars, enseptembre.Àtitredecomparaison,lesud-africain Standard Bank, numéro un du classement 2010 de Jeune Afrique sur les 200 premières banques africaines (avec un total de bilan de 180,6 milliards de dollars en 2009), n’est présent que dans treize pays. Quant au premier groupe marocain, Attijariwafa Bank (septième du classement 2010), à l’offensive au sud du Sahara, il est implanté dans une douzaine de pays. Mais en termes d’actifs totaux gérés, ETI se classe loin derrière ces deux groupes (21e rang). SERVICES NOVATEURS. « Alors que le commerce

interrégional est encore peu développé, le principal défi d’Ecobank sera de parvenir à tirer profit de son vaste réseau. Au regard de celui-ci, les transferts rapides d’argent et les services aux entreprises à vocation régionale seront des activités bien plus rentables », analyse Cyrille Nkontchou, gérant d’Enko Capital. De fait, la banque a entamé la consolidation et l’optimisation de son réseau et amorcé une politique commerciale plus agressive, avec le lancement de nouveaux produits. Ecobank figure parmi les premiers établissements du continent à avoir lancé la carte bancaire régionale, qui permet à ses clients d’effectuer des retraits dans tous les pays où le groupe est présent. Autre service novateur : le transfert rapide d’argent. JEUNE AFRIQUE


MAROC

AUTOMOBILE

Jaguar et Land Rover sauvés par Tata Motors

INTERVIEW

Herman Carpentier Brussels Airlines

BOURSE

CFAO navigue entre les crises

83

AFP PHOTO/SIA KAMBOU

Logement social, le plan béton

Pour financer cette phase de consolidation, la banque a mobilisé près de 780 millions de dollars sous forme d’émissions d’actions, de fonds propres et de dettes, entre 2008 et 2009. Elle devrait boucler en juin prochain une autre levée de 500 millions de dollars, notamment auprès d’institutions internationales de développement, de fonds souverains et d’investisseurs étrangers, pour étoffer le nombre de ses agences dans ses pays d’implantation. Pour l’heure, c’est surtout la filiale ghanéenne qui tire les résultats vers le haut. Forte de 53 agences, Ecobank Ghana, quatrième établissement du pays, a généré environ 63 millions de dollars de bénéfice net en 2010, soit près de la moitié de celui d’ETI. Pour Laurence Do Rego, cela s’explique à la fois par « la bonne assimilation de la stratégie commerciale du groupe et par un marché porteur à travers une classe moyenne de plus en plus importante ». En revanche le Nigeria, qui représente 27 % des actifs d’ETI, demeure déficitaire (- 15 millions de dollars en 2010). Mais début 2011, le groupe a cédé quelque 330 millions de dollars de créances douteuses à la structure de défaisance (l’entité juridique mise en place par les autorités pour apurer JEUNE AFRIQUE

ABIDJAN, LE 16 FÉVRIER. Comme ses consœurs, l’institution accuse le coup de la crise postélectorale.

Total de bilan 2010

7,9

milliards d’euros (+ 16 %) Produit net bancaire

633

millions d’euros (+ 3 %)

les entreprises du secteur) lancée fin 2010. Grâce à cette mesure, Ecobank Nigeria devrait renouer avec de bons résultats dès cette année. Excepté en Côte d’Ivoire, où les effets de la crise postélectorale se font sentir, les performances dans les autres filiales s’améliorent. Ecobank Kenya, par exemple, qui a été renfloué de 15 millions de dollars au début de 2010, a réalisé l’an dernier un bénéfice net de 1,5 million de dollars, contre une perte nette de 9,3 millions en 2009. À l’instar du Kenya, le Congo, avec une progression du total de bilan de 400 % en 2010, le Mali (+ 22 %) et le Burkina Faso (+ 20 %) afficheront de bons résultats. UNE IMAGE ALTÉRÉE. Et ce n’est qu’un début.

« L’essentiel de l’expansion d’Ecobank s’est fait au cours des cinq dernières années. Par conséquent, les nouvelles filiales ne participeront aux bénéfices du groupe que d’ici deux à trois ans », explique Cyrille Nkontchou. Dans une étude publiée en février, Exotix, une société d’intermédiation britannique, est optimiste en ce qui concerne l’avenir du groupe, car plusieurs de ses pays d’implantation connaîtront une forte croissance en 2011. Avec la N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Entreprises marchés production de pétrole, le Ghana devrait afficher une croissance de 9 %, le Nigeria de 7 %, le Kenya et l’Ouganda de 6 %. Des prévisions favorables qui ont incité la banque à se forger des ambitions à l’international. Après avoir créé une filiale à Paris en 2009, elle vient d’ouvrir une représentation à Londres et attend des agréments pour la Chine, les Émirats arabes unis et les États-Unis. Objectif : être présent sur les principales places financières du monde pour drainer les capitaux étrangers vers l’Afrique. Mais pour compter à l’international, ETI devra réussir à modifier son image. « Pour la plupart des investisseurs étrangers, Ecobank est une banque nigériane affectée, comme ses consœurs, par la crise des

INTERVIEW

Arnold Ekpe

Implantations :

32

pays africains Effectifs :

10 000 salariés

D IRECTEUR

créances douteuses qui a frappé Lagos », explique un intermédiaire boursier à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), à Abidjan. Conséquencedecetteimagealtérée:depuis2008, lecoursdugroupen’acessédebaissersurlesBourses ouest-africaines (Accra, Abidjan, Lagos). À la BRVM, l’action Ecobank se négociait à 0,07 euro au 1er avril, contre 0,17 euro lors de son introduction en 2006. Unniveau particulièrement basquipourraitsusciter des envies. Selon certains analystes, le britannique HSBC serait intéressé. Et de source interne à la banque, les offres amicales des groupes étrangers ont toujours essuyé un refus de la direction. Grâce à sa stratégie, ETI espère désormais faire remonter le cours et garder son indépendance. ●

GÉNÉRAL D ’E COBANK

« Nous voulons drainer les capitaux vers l’Afrique » Déjà Paris, bientôt Shanghai, New York… Le groupe poursuit sa stratégie internationale. Objectif : être présent sur les principales places financières pour attirer des fonds vers le continent.

JEUNE AFRIQUE : En 2009, ETI a entamé un développement à l’international avec l’ouverture d’une filiale à Paris, EBI SA. Quel bilan en tirez-vous ? ARNOLD EKPE : Nous enregistrons une

évolution intéressante des activités de cette filiale [en 2010, le total de bilan a augmenté de 420 % sur un an, à 238 millions d’euros, NDLR]. Nos activités de financement du commerce avec l’Afrique, de change, de trésorerie, etc., progressent. Nous en sommes satisfaits et demeurons optimistes.

Comment expliquez-vous que des analystes et des investisseurs considèrent encore Ecobank comme une banque nigériane ?

envisagez-vous de vous positionner par rapport à la concurrence ?

Je ne saurais vous le dire. D’abord, notre maison mère est basée au Togo. On pourrait,àlarigueur,direquenoussommesune banque togolaise, même si ce n’est pas le cas. Ensuite, le Nigeria représente près de 30 % de nos activités, donc plus de 70 % se déroulent en dehors du Nigeria. Nous ne sommes pas une banque nigériane, et les investisseurs étrangers le savent.

Nous intervenons sur trois activités principales. D’abord le financement du commerce, dans lequel nous travaillons avec des banques étrangères, notamment sur les transferts de paiements et le change. Ensuite la banque d’investissement, par laquelle nous aidons les entreprises africaines à lever des fonds pour le financement

On vous reproche aussi de ne pas avoir un actionnaire de référence qui vous aide à lever facilement des fonds…

Comptez-vous dupliquer l’opération à Londres ?

À Londres, nous avons juste ouvert un bureau de représentation. Nous n’avons pas d’agrément pour y exercer une activité bancaire proprement dite. En fait, notre ambition est d’être présent sur les principales places financières internationales–Londres,Dubaï, Shanghai et New York. À l’international, comment N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

TRANSNATIONAL I NCORPORATED (ETI)

de leur développement et fournissons des conseils aux investisseurs qui veulent acheter ou vendre des entreprises en Afrique. Dans toutes ces activités à l’international, notre objectif est de drainer les capitaux vers le continent, parce que nous y sommes fortement présents, contrairement aux investisseurs occidentaux.

VINCENT FOURNIER/J.A.

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Lorsque vous prenez les grandes banques occidentales, pouvez-vous me dire qui sont leurs actionnaires de référence ? La question, à mon avis, n’est pas d’avoir un actionnaire de référence. La bonne question consiste à savoir ce que nous voulons faire d’Ecobank : un champion du secteur bancaire en Afrique. Pour y parvenir, les Africains doivent investir dans Ecobank pour en faire une grande banque capable de financer le développement du continent. ● Propos recueillis par STÉPHANE BALLONG JEUNE AFRIQUE


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Entreprises marchés TÉLÉCOMS

Bharti, un chantier de longue haleine

Ajustements tarifaires, conquête de nouveaux abonnés, gestion des effectifs… Un an après le rachat des filiales de Zain, beaucoup de travail reste à faire pour que l’Afrique devienne le relais de croissance attendu par l’opérateur indien.

E

nmars2010,l’indienBharti annonçait l’achat des filiales africaines du koweïtien Zain pour 8,5 milliards d’euros, avec pour objectif de faire du continent son futur relais de croissance. Un an plus tard, le géant fondé par Sunil Mittal, qui se place au cinquième rang mondial des opérateurs télécoms avec plus de 200 millions d’abonnés, confirme ses ambitions et respecte, au vu du nombre de chantiers engagés, son plan de marche. Pour preuve, le changement de marque de ses succursales et de ses offres, désormais estampillées Airtel, mené tambour battant entre novembre 2010 et mars 2011. Orchestré par l’agence Ogilvy, ce relooking a déjà coûté près de 40 millions de dollars (28 millions d’euros). Mais la dépense devrait in fine être largement supérieure. « C’est le genre de projet qui n’est jamais complètement terminé. Bien sûr, je ne peux pas assurer que dans le plus petit des villages toutes nos publicités ont été changées, mais nous sommes globalement

RUPAK DE CHOWDHURI/REUTERS

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RELOOKING. Toutes les offres et succursales africaines du groupe ont changé de marque.

satisfaits car notre nom est partout. Des études seront lancées pour faire un bilan de l’opération », indique Tiemoko Coulibaly, PDG des filiales d’Afrique francophone de Bharti. « L’adoption par les consommateurs de la marque Airtel est un enjeu crucial. Zain n’a ainsi jamais été capable d’atteindre le capital sympathie de Celtel, qu’il a remplacé », note Guy Zibi, patron du cabinet AfricaNext, spécialisé dans les télécoms. QG À NAIROBI. À l’actif de Bharti,

Guy Zibi souligne aussi un début de redressement des ex-filiales de Zain à l’échelle du continent : « Alors qu’en 2008 le groupe koweïtien comptait 41 millions d’abonnés en Afrique, ce chiffre était tombé

De 15 à 30 dollars C’EST LE PRIX DES PORTABLES

(en fonction des taxes) proposés par Bharti à ses clients africains, grâce à des partenariats avec Nokia, ZTE ou Huawei.

AVEC L’INDE, DES TRANSFERTS D’EXPERTISE POUR ÊTRE SUR LA MÊME LONGUEUR D’ONDE FAIRE DES FILIALES AFRICAINES des entités pleinement intégrées au groupe Bharti. C’est dans cet objectif que l’opérateur indien a mis en place des transferts d’expertise avec sa maison mère, à New Delhi. Fin février, une première vague d’employés de RD Congo, deTanzanie, du Kenya, du Nigeria et de Zambie ont rejoint l’Inde. Pendant un an, ils travailleront au sein de différents départements : vente, distribution, marketing, services financiers… Une initiative qui vise aussi, via ces collaborateurs, à mettre en adéquation les innovations J.C. développées par Bharti avec les attentes des consommateurs africains. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

à 36 millions en 2009. Fin 2010, la situation s’est améliorée avec le franchissement du cap des 42 millions d’abonnés. » Et même si la chute du chiffre d’affaires se poursuit, d’après les estimations du cabinet AfricaNext, elle ralentit. Moins 5,4 % (en annualisant les résultats donnés sur neuf mois) entre 2009 et 2010, alors que la période 20082009 avait enregistré une baisse des revenus de 11 %. Les mauvais résultats de Zain découlaient en partie d’un management trop éloigné du terrain, toutes les orientations stratégiques étant prises depuis le MoyenOrient, avec souvent un temps de retard. Bharti a retenu la leçon en installant ses quartiers généraux africains à Nairobi, au Kenya. Si la marge Ebitda (marge brute d’exploitation) de l’opérateur est encore modeste (22,9 %, contre 36,9 % pour ses autres activités en Inde), le groupe prévoit une nette amélioration sur les prochaines années. « Nous visons une marge Ebitda de 40 % d’ici à la fin de 2013, soit environ 2 milliards de dollars », confirme Tiemoko Coulibaly. Unobjectifséduisantmaisquisera cependantdifficileàréaliser.Engagé JEUNE AFRIQUE


Entreprises marchés dans une politique de prix cassés, Bharti risque en effet de voir chuter son revenu moyen par utilisateur (Arpu). « Si notre tarif à la minute a baissé de 7 %, il a été compensé par une augmentation des temps de communications de nos abonnés. Notre Arpu est donc resté stable, à 7,30 dollars. Ce résultat valide notre stratégie, qui repose sur une accessibilité accrue des Africains au mobile»,justifieTiemokoCoulibaly. Au Kenya, l’opérateur assure même que ses « ajustements tarifaires », doux euphémisme pour qualifier l’épreuve de force engagée avec ses concurrents, ont permis d’enregistrer une hausse de 17 % des minutes consommées et de gagner deux à trois points de part de marché, pour atteindre environ 14 %. EXTERNALISER. Si cette appro-

che fait souvent grincer les dents des actionnaires, car elle limite la profitabilité des opérations, elle se

révèle aussi très contraignante en termes d’engagements financiers. En offrant des rabais de 10 % à 20 %, Bharti peut s’attendre à voir son trafic exploser de 20 % à 40 % ; ce sont alors les réseaux qui sont mis à rude épreuve. Pour la seule année 2011, Guy Zibi estime à 1,5 milliard de

Le groupe assure vouloir détenir une licence 3G dans la moitié de ses filiales africaines. dollars l’investissement nécessaire – de son côté, Bharti a annoncé en octobre 2010 des investissements à hauteur de 2,5 milliards de dollars sur trois ans. De l’argent devra aussi être consacré à l’achat de licences 3G (haut débit mobile), en fonction des opportunités, au Congo, en RD Congo, au Niger, au Gabon ou au Burkina Faso. Bharti a assuré vouloir détenir une autorisation

pour le haut débit mobile dans la moitié de ses filiales africaines. Pour faire face à ces dépenses incontournables, le groupe a décidé d’externaliser une partie de ses activités, par exemple auprès de Nokia-Siemens ou d’Ericsson pour les réseaux, et d’IBM pour l’informatique. Ainsi, ce sont près de 2 000 collaborateurs de l’opérateur qui devraient quitter ses effectifs pour intégrer ceux de ses partenaires. De sacrées économies pour Bharti, dont le nombre de salariés en Afrique sera alors ramené à un peu plus de 4 300 personnes. Les experts du secteur pensent en outre que la gestion immobilière du réseau devrait être déléguée à une société sœur, Bharti Infratel, comme c’est le cas en Inde. Des mesures d’économie indispensables si le groupe indien veut pouvoir mener sur la durée la politique agressive qu’il s’est fixée. ● JULIEN CLÉMENÇOT

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Entreprises marchés Ý D’ici à 2015, les pouvoirs publics veulent construire 300 000 HABITATIONS (ici àTanger).

ALEXANDRE DUPEYRON

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MAROC

Le logement social, plan béton pour les promoteurs Le marché de la résidence secondaire s’est effondré avec la crise de 2008. Qu’à cela ne tienne : les professionnels de l’immobilier misent désormais sur la construction d’habitations subventionnées par l’État.

L

es ruelles étroites de la Médina sont une des cartes postales les plus connues de Casablanca. Mais à quelques blocs des échoppes fréquentées par les touristes, les vieilles maisons branlantes du quartier historique de la capitale économique montrent aussi l’insalubrité d’une partie de l’habitat marocain. Un bidonville qui ne dit pas son nom, caché des regards par de hauts murs. Et la situation n’est pas exceptionnelle. Rabat, Tanger, Marrakech, Mohammedia, Kenitra, El Jadida… Toutes les grandes villes du royaume renferment des poches d’habitations insalubres. Fin 2010, le déficit national en matière de logements était estimé à 840 000 unités. Exaspérés, les Marocains vivent deplusenplusdifficilementlasituation. Face à la pression populaire, le roi Mohammed VI ne manque pas une occasion de montrer son souci de résoudre le problème. À preuve, ses visites sur les chantiers, comme le 30 mars dans le quartier N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

deSidiMoumenàCasablanca,pour la présentation d’un programme de logements sociaux du groupe Alliances. Des constructions qui se multiplient depuis la mise en place par l’État, en 2010, de mesures incitatives destinées aux promoteurs (exonérations de taxes et d’impôts) et aux acquéreurs (reversement de 40 000 dirhams, soit 3 500 euros, pourunappartementacheté290000 dirhams). D’ici à 2015, les pouvoirs publics visent la production de 300 000 habitations, sans compter celles réalisées pour résorber les bidonvilles (50 000 par an). BOUFFÉE D’OXYGÈNE. Loin de

représenter un sacrifice pour la profession, les logements sociaux subventionnés constituent une bouffée d’oxygène pour un secteur malmené par la crise. « En 2005, les Européens achetaient des biens hors de prix, faisant gonfler la bulle. Mais en 2008, quand les promoteurs ont continué à livrer leurs programmes de résidences secondaires, dans les

L’ENCOURS DE CRÉDITS IMMOBILIERS représente

16,3 milliards d’euros (+ 9,9 % sur un an)

zones balnéaires ou à Marrakech, beaucoup d’acheteurs avaient disparu », explique Karim Tazi, directeur général adjoint du cabinet de conseil Lazrak Immobilier. Au mois de novembre 2010, la Fédération nationale des promoteurs immobiliers indiquait ainsi que 50 % des habitations de haut standing construites entre 2004 et 2009 à Marrakech étaient toujours disponibles, et que les baisses de prix atteignaient 40 %. Tanger aussi était touché par la crise, avec des prix en retrait de 25 %. « Nous avons pris une volée de bois vert », concède Karim Amor, PDG de Jet Group. Autant d’acteurs qui retrouvent des couleurs sur le créneau des biens bon marché, au point d’en faire une de leurs activités principales. Le groupe Addoha en est le champion incontesté, avec 78 % de son chiffre d’affaires (663 millions d’euros) réalisés sur ce segment l’an passé, et le lancement de la construction de 75 000 logements sociaux. Le groupe Alliances, autre poids lourd de l’immobilier, loue lui aussi les vertus du social : « En 2012, ce type de logements représentera 50 % de nos revenus mais aussi de notre résultat », confirme Alami Lazraq, son PDG. Il faut dire que les mesures prises par le gouvernement pour la période 2010-2020 assurent aux promoteurs une vraie visibilité et les incitent à diversifier leurs activités. Et même si la rentabilité est moins importante que sur des programmes haut de gamme, elle atteint tout de même entre 15 % et 20 %. De quoi attirer de nouveaux investisseurs : à la mi-mars, Palmeraie Holding, acteur d’abord connu pour ses programmes d’habitations de bon standing, a réalisé, tout en mettant en avant son implication dans le social, une augmentation de capital de 96 millions d’euros grâce à des fonds venus d’Abou Dhabi, du Koweït, mais aussi du Maroc. De 50 à 100 m2, avec une ou deux chambres, les logements sociaux partent comme des JEUNE AFRIQUE


Entreprises marchés marchés Entreprises

Coulisses

PRÊTS GARANTIS. Autre avantage

pour les promoteurs: ces programmes sont peu gourmands en trésorerie. Vendus sur plan, ils sont largement financés – jusqu’à 50 % – par les réservations des acheteurs. Pour compléter leur tour de table, les groupes immobiliers trouvent en outre un bon accueil du côté des banquiers, compte tenu du faible risque commercial des projets. Les établissements financiers bénéficient d’ailleurs eux aussi de l’explosion du logement social, en touchant une nouvelle clientèle de particuliers auparavant non bancarisés, notamment grâce au dispositif

Le groupe Addoha a réalisé 78 % de son chiffre d’affaires 2010 sur ce segment. étatique Fogarim, qui garantit les prêts des populations modestes à hauteur de 80 % du prix du bien. Reste que les réponses apportées par le Maroc au problème du logement soulèvent plusieurs craintes majeures. La première concerne la qualité des constructions. Une question d’autant plus légitime qu’en abaissant à 500 logements le seuil des programmes pouvant bénéficier d’une convention avec l’État, de petits promoteurs arrivent sur le marché du social. La seconde inquiétude est encore plus fondamentale : en construisant des centaines de milliers d’appartements, le plus souvent dans des zones périphériques, n’est-on pas en train de créer de futurs ghettos? Du côté de Rabat, on se veut rassurant : le Maroc n’est pas la France des années 1960 et 1970. ● JULIEN CLÉMENÇOT, envoyé spécial à Casablanca JEUNE AFRIQUE

D.R.

petits pains, selon les promoteurs. « Nous en vendons jusqu’à 300 par jour », avoue Alami Lazraq. « L’engouement pour ce type de bien est tellement important que le marché des produits neufs entre 300000 et 500000 dirhams pourrait quasiment disparaître », confirme Allal Sekrouhi, wali (préfet) en charge des collectivités locales. AÉROPORT CONCESSION EN VUE À KINSHASA DANS LE CADRE du programme de modernisation de l’aéroport international de N’Djili, à Kinshasa, six groupements d’entreprises, sur neuf prétendants, ont été préqualifiés par le

S

M

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Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (Copirep) pour la mise en concession de l’aérogare passagers. Il s’agit : 1) du groupement allemand CPB-YorumDorsh ; 2) du canadien SNC-Lavalin ; 3) du groupement comprenant le marocain BMCE Capital, les égyptiens Orascom, Elsewedy etTarget, et le sud-africain Pygma ; 4) du français Bouygues ; 5) du groupement composé du sud-africain Goldharvest Investment, du koweïtien Mohammed Abdul Moshin Al Kharafi & Sons et du saoudien Al Zuhair ; 6) et enfin, d’un groupement comprenant un acteur local, la société congolaise de services aéroportuaires ATS & Associés, qui fait équipe avec China Communication Construction Company. Le choix doit se faire avant le 12 juin. ●

• TUNISIE Investec envisage de coter à la Bourse de Johannesburg un fonds de 254 millions de dollars • RWANDA Rwandatel s’est vu retirer sa licence mobile pour non-respect de ses engagements • ÉGYPTE Le fonds souverain Kuwait Investment Authority investira 1 milliard de dollars à la Bourse du Caire • ALGÉRIE Un hôtel de 240 chambres du

groupe Marriott ouvrira bientôt à Tlemcen • MAROC CDG Développement cède le contrôle de Cellulose du Maroc à Saudi Paper Company

SPORT PUMA HORS JEU AU MAROC FIN DE PARTIE pour Puma au Maroc. À la suite du match de l’équipe nationale face à l’Algérie, le 27 mars, lors des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations 2012, le ministre des Sports, Moncef Belkhayat, a reproché à l’équipementier allemand, qui habille une majorité de sélections africaines, le manque de qualité des maillots et le fait qu’il propose le même matériel à toutes les équipes du continent. La Fédération a confirmé la résiliation du sponsor de l’équipe marocaine. Un appel d’offres doit être lancé après en 2012 pour lui trouver un successeur. ● FORUM D’AFFAIRES OBIANG ET GNASSINGBÉ À KUALA LUMPUR LES PRÉSIDENTS équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema et togolais Faure Gnassingbé devraient assister à la deuxième édition du Forum d’affaires Afrique-Asie du Sud-Est, qui

se tient les 19 et 20 avril en Malaisie. Ce rendez-vous, qui vise à inciter à la création de coentreprises entre les deux régions, a déjà permis, après l’édition de 2010, la signature d’un protocole d’accord entre des sociétés singapouriennes et le Congo pour la construction d’une zone économique à Pointe-Noire. ● SANTÉ LES CLINIQUES TUNISIENNES MALADES ÀTUNIS, le taux d’occupation des cliniques privées, victimes de la guerre en Libye (un pays qui assurait près de 80 % de leurs patients), a chuté de plus de 50 %. Dans le Sud, notamment à Sfax, où l’impact est encore plus élevé (le taux d’occupation a baissé de 90 %), trois cliniques ont fermé. Des licenciements sont envisagés. La Chambre tunisienne des cliniques privées réfléchit avec les autorités à trouver de nouveaux marchés et à étendre les prestations médicales assurées par le secteur privé. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

89


90

PUNIT PARANJPE/REUTERS

Ý La filiale JAGUAR LAND ROVER compte quatre succursales en Inde (ici à Bombay) et doit en installer six de plus en 2011.

AUTOMOBILE

Deux joyaux de la couronne sauvés par Tata Motors Repris il y a trois ans par le géant indien, Land Rover et Jaguar sont sortis du rouge. Aujourd’hui, la relance des deux marques britanniques passe par les marchés émergents.

Q

uand Tata Motors a racheté Jaguar et Land Rover pour 1,7 milliard d’euros, en mars 2008, les analystes étaient sceptiques. Peu pariaient sur la capacité du géant de Bombay, spécialisé dans la production de camions et de petites voitures, à faire mieux que BMW et Ford, propriétaires successifs des deux marques britanniques. En 2007, Jaguar affichait des pertes de 176 millions d’euros, son design était jugé désuet et sa clientèle vieillissante ; quant à Land Rover, les spécialistes ne croyaient guère en ses modèles, qui soutenaient difficilement la comparaison avec les 4x4 japonais ou allemands, tant sur la qualité que sur les prix. Pourtant, malgré les prédictions des Cassandre et la crise économique, Jaguar Land Rover (JLR), filiale de Tata Motors regroupant les deux marques,estredevenueprofitable.À la fin de 2010, elle affichait même un bénéfice net de 327 millions d’euros, alors que sa maison mère indienne était en fâcheuse posture, engluée dans les retards de production de la Nano, sa voiture à 1 600 euros. Pour relancer les deux « joyaux de N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

de l’ancienne direction Ford, qui ne tenait guère en estime la tradition automobile anglaise, sous pavillon indien, JLR s’est attaché à créer des modèles faisant la part belle aux symboles « typically british », mais en soignant la qualité et l’équipement électronique grâce à des investissements de 1 milliard d’euros chaque année. Résultat : le Range Rover HSE, sorti en janvier, a été bien perçu, qualifié de « palace anglais avec iPad » par les critiques automobiles américains ; les commentaires sur le modèle Evoque sont eux aussi positifs. OBJECTIF CHINE. Mais si les deux

marques sont sorties du rouge, il reste du chemin à faire. Les ventes de Land Rover sont en augmentation (181 395 véhicules vendus en 2010, soit 26 % de plus qu’en 2009), la couronne » de l’ancienne puismais Jaguar piétine (51443 voitures sance coloniale, le groupe indien, seulement). Et surtout, JLR est trop dirigé par le charismatique Ratan concentré sur les marchés britanTata, loin de verser dans l’impérianique et américain, qui à eux deux lisme revanchard, n’a pas envoyé de représentent 40 % des ventes (65 % cohorte de cadres bombayites dans pour Jaguar) mais s’avèrent peu les West Midlands, la base des deux dynamiques. marques, près de Birmingham. « La croissance se trouve sur Au contraire, il a confié les rênes les marchés émergents, et surtout en Asie », explique Mike de JLR à l’Anglo-Allemand CarlPeter Forster, ancien patron de Wright, directeur stratégie de Ce sont les bénéfices General Motors Europe. Chez JLR. En 2009, le groupe s’est réalisés par JLR en Land Rover, seuls cinq cadres naturellementattaquéaumarché 2010. indiens sont venus renforcer les indien, appuyé par son puissant actionnaire. JLR compte quatre équipes, un contingent bien moins important que la centaine d’Amésuccursales sur le sous-continent ricains missionnés par Ford quand et doit en installer six de plus en celui-ciétaitactionnaire.Ennovem2011. Une petite usine a commencé bre 2010, la nomination de deux à assembler les modèles Freelander à Pune, ville d’origine de Tata, et Land Rover espère également une Le groupe s’est attaché à créer grande commande de véhicules des modèles faisant la part belle utilitaires de l’armée indienne. La aux symboles « typically british ». Chine, avec son appétit insatiable pour les voitures de luxe, fait aussi directeurs britanniques, Adrian rêver les deux marques. JLR y a Hallmark pour Jaguar (ancien établi une filiale commerciale en responsable des ventes de Saab) juillet 2010 et a signé en janvier 2011 et John Edwards pour Land Rover, un accord avec des distributeurs, en vue de vendre 40000 véhicules a confirmé que Tata Motors a laissé une certaine indépendance au dans l’empire du Milieu. ● management de JLR. À la différence CHRISTOPHE LE BEC

327

millions d’euros

JEUNE AFRIQUE


International MINES

ANALYSE

Le chinois Minmetals fond sur Equinox Pour sécuriser les approvisionnements en cuivre de Pékin, le groupe lance une OPA hostile sur son rival australocanadien. En jeu : le gisement zambien de Lumwana.

U

n paiement cash de 4,7 milliards d’euros. C’est le prix qu’est prêt à mettre le chinois Minmetals Resources pour réussir son raid hostile, lancé le 3 avril, sur l’australo-canadien Equinox Minerals. Si l’opération se concrétise, elle projettera Minmetals du 30e au 14e rang mondial des groupes spécialisés dans l’extraction des métaux de base. Mais ce n’est pas ce grand bond en avant dans la hiérarchie minière qui motive le groupe chinois. Il s’agit plutôt de faire main basse sur la pépite d’Equinox : la mine de Lumwana, en Zambie, troisième plus gros gisement de cuivre d’Afrique, avec une production de 145 000 tonnes par an, qui doit être portée à 260000 t par an d’ici à cinq ans. De plus, Equinox a prévu d’extraire60000tdecuivreparandu gisement saoudien de Jabal Sayid à partir de 2012. Et plusieurs importants programmes d’exploration

sont lancés par le groupe australocanadien, tant en Zambie qu’en Arabie saoudite. LES PRIX FLAMBENT. Coté à

la Bourse de Hong Kong, mais contrôlé par la société d’État China Minmetals Corporation, Minmetals Resources doublera sa production de cuivre avec cette opération. Cette OPA illustre la volonté de Pékin, qui concentre 40 % de la demande mondiale de cuivre, de sécuriser ses approvisionnementsenmétalrouge, dont le prix a flambé de 120 % en deux ans. Et ce n’est pas fini. Selon la DeutscheBank,lareconstructiondu Japon, prévue à partir du deuxième semestre, devrait propulser le prix de la livre de cuivre de 4,61 dollars à 5,22 dollars en 2012. Reste que si le pari de Minmetals est judicieux, il n’est pas sûr d’aboutir. Selon les analystes, d’autres groupes miniers (Xstrata, Antofagasta ou Norilsk Nickel) pourraient surenchérir. ●

Æ La compagnie, cotée à Hong Kong, est contrôlée par la société d’État CHINA MINMETALS CORPORATION.

JEAN-MICHEL MEYER

Opinion ns &é éditoriaux dito oria auxx

Alain Faujas

Le cycle de Doha tourne en rond

L

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE (OMC) est en panne. C’est son directeur général, Pascal Lamy, qui l’a dit aux ambassadeurs des 153 pays membres, le 29 mars. Les chefs d’État du G20 réunis à Séoul en novembre 2010 avaient demandé que les négociations du cycle de Doha aboutissent cette année, afin de lever les obstacles qui entravent le commerce des biens et services et freinent le développement. Cela supposait des progrès décisifs fin avril, pour qu’une négociation finale soit convoquée cet été au niveau ministériel… après dix ans de vaines discussions. Où en est-on ? « En toute honnêteté, nous ne sommes pas dans la cible », s’est inquiété Pascal Lamy, qui va recevoir les grands pays pour tenter de débloquer les marchandages. Car ni en matière agricole, ni en matière industrielle, ni en matière de services, les négociateurs ne parviennent à s’entendre sur les droits de douane et sur les subventions qu’ils sont prêts à abandonner et sur ceux qu’ils demandent à leurs partenaires de consentir en contrepartie. Dans cette sorte de souk mondial, où l’on tente d’échanger la suppression de droits de douane sur le poulet contre l’abandon de taxes sur les importations de pneus, ce sont les Américains qui bloquent : ils veulent que les pays émergents protègent encore moins leurs produits industriels en échange d’une libéralisation par les États-Unis de leurs importations de produits agricoles.

IMAGINECHINA/ZUMA/REA

Il y a péril en la demeure : les Africains ne peuvent pas profiter de ce qui a été accepté à leur endroit en matière de suppression des subventions et des droits de douane européens et américains.Tant que les 153 États membres de l’OMC ne seront pas tombés d’accord sur tout, aucune concession n’entrera en vigueur. Il en va notamment de la survie des planteurs de coton ouest-africains, concurrencés déloyalement par leurs collègues américains à qui sont alloués 3 milliards à 4 milliards de dollars chaque année. ● JEUNE AFRIQUE

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Les décideurs INTERVIEW

Herman Carpentier

VICE-PRÉSIDENT

DE

BRUSSELS AIRLINES

« Brussels Airlines réfléchit à de nouvelles destinations » Le transporteur belge vient d’ouvrir deux liaisons au Maroc, vers Marrakech et Agadir. Mais pour celui qui pilote la stratégie du groupe sur le continent, l’Afrique de l’Ouest reste la priorité.

monde veut partir, les capacités sont alors insuffisantes. C’est la loi du marché : quand la demande augmente, le prix aussi.

F

iliale de l’allemand Lufthansa, Br uss els Airlines a effectué le 2 avril ses premiers vols vers l’Afrique du Nord, avec deux nouvelles lignes au Maroc (Marrakech et Agadir). Le transporteur belge poursuit ainsi l’offensive lancée en 2010 sur le continent, parallèlement à la nomination d’Herman Carpentier comme vice-président du groupe en charge de l’Afrique (auparavant directeur Europe du Sud-Est). À quelques jours de la publication des résultats 2010 qui devraient annoncer un chiffre d’affaires de 900 millions d’euros (+ 6 %), il explique ses priorités. JEUNE AFRIQUE : Vous venez d’ouvrir deux nouvelles destinations au Maroc. Avez-vous une stratégie en Afrique du Nord, région dont vous étiez jusqu’alors absent ? HERMAN CARPENTIER : L’ouver-

ture de liaisons vers Marrakech et Agadir, deux villes touristiques, a été possible grâce à un contrat que nousavonsconcluavecleClubMed. Nousnenoussommespasvraiment intéressés à d’autres destinations en Afrique du Nord, mais notre maison mère, Lufthansa, dessert déjà Alger et Tunis. Allez-vous ouvrir de nouvelles lignes en Afrique cette année ?

Pour l’instant, nous travaillons sur nos nouvelles destinations pour consolider notre position. Cela dit, nous réfléchissons à plusieurs liaisons en Afrique de l’Ouest et à certaines capitales que nous ne desservons pas encore. Notre choix N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

En 2010, vous avez ouvert quatre nouvelles destinations en Afrique de l’Ouest : Accra, Cotonou, Lomé et Ouagadougou. Quel bilan en tirez-vous ?

Noussommespassésde500000à 600 000 passagers transportés en 2010 dans toute l’Afrique. Et chacune de ces nouvelles destinations y a largement contribué. Nous avons choisi celles où il y avait un réel besoin pour une offre plus variée. Seul Accra n’a pas encore atteint les objectifs fixés, parce que c’est une destination où la concurrence est assez importante. Mais cela devrait venir.

SN BRUSSELS

92

Herman Carpentier veut « GÉNÉRER UN TRAFIC SUPPLÉMENTAIRE GRÂCE À DES TARIFS COMPÉTITIFS ».

25

destinations africaines

=

30% de l’activité de la compagnie

s’établira en fonction du potentiel de ces destinations. Il ne s’agira pas seulement de prendre des parts de marché, mais surtout d’envisager la possibilité de générer un trafic supplémentaire en tant que nouvel arrivant, grâce à un positionnement tarifaire compétitif. C’est l’un de vos arguments commerciaux, mais pendant la saison haute, vos prix retrouvent le niveau de ceux de vos concurrents. Comment le justifiez-vous ?

C’est normal, en Afrique, le trafic est très saisonnier, mais les compagnies fonctionnent 360 jours par an. Or c’est en été que tout le

Le Sénégal vous a interdit la desserte d’autres destinations à partir de Dakar. Où en êtes-vous ?

Des accords nous permettaient d’exploiter des routes entre Dakar et trois destinations africaines [Banjul, Conakry et Freetown, NDLR]. Nous savions que c’était une activité temporaire qui allait s’arrêter avec le lancement de Sénégal Airlines. Mais nous aurions voulu que cela se fasse de façon moins abrupte, notamment pour le confort des passagers. En attendant qu’un nouvel accord soit trouvé par les aviations civiles des deux pays, nous avons loué un avion supplémentaire qui nous permet d’opérer des vols secs vers ces trois destinations. Et pour la période estivale, nous avons changé de configuration avec désormais cinq vols secs par semaine avec nos propres avions, contre sept vols hebdomadaires jusqu’à présent. ● Propos recueillis par STÉPHANE BALLONG JEUNE AFRIQUE


Les décideurs MONÉTIQUE

Mourad Mekouar voit loin

Payer ses factures d’eau et d’électricité dans les commerces de proximité ? Après le royaume chérifien, le patron de M2T vise avec ce concept les marchés subsahariens et la diaspora.

A

Ý INGÉNIEUR EN

INFORMATIQUE,

il a fondé M2T en 2001.

MouradMekouar,forméàl’informatique à l’université Columbia (New York), a su séduire. En 2004, c’est la Lyonnaise des eaux de Casablanca (Lydec, groupe GDF-Suez) qui est la première à lui faire confiance, suivie des filiales de Veolia (Amendis et Redal) et des grandes régies publiques. Les opérateurs de téléphonie Maroc Telecom et Inwi, et l’organisme de crédit à la consommation Wafasalaf signent également des contrats de délégation de gestion. M2T n’est plus la start-up des débuts et peut s’enorgueillir d’un réseau de 700 commerçants qui

perçoivent une commission sur la transaction; d’un chiffre d’affaires 2010 de 5,2 millions d’euros au Maroc pour 220 millions d’euros de transactions réalisées (soit 44 % de plus qu’en 2009); de 650000 usagers marocains chaque mois. Les équipescommercialesettechniques se sont étoffées: la société compte 93 salariés, installés pour la plupart au Technopark de Casablanca. DÉJÀ AU SÉNÉGAL. La croissance

de M2T, Mourad Mekouar veut désormais aller la chercher au sud. Francophone,lusophone(ilagrandi au Portugal) et arabophone, celui qui a importé en Angola des produits alimentaires et électroniques de 1989 à 1993 est persuadé que ses technologies répondront aux besoins des Subsahariens. En 2007, il a fondé une filiale à Dakar (27 salariés, 50000 usagers mensuels) et a décroché un contrat avec la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec). Mais M2T vise aussi la

M2T

u lieu de voir dans la sous-bancarisation et la mauvaise desserte internet des freins au développement, Mourad Mekouar, 49 ans, les perçoit comme des opportunités.En2001,cetingénieur fonde M2T (pour Maroc Traitement de transactions) et développe avec son équipe casablancaise une solution informatique qui permet à des clients de payer leurs factures de téléphone,d’eauetd’électricitédans des commerces de proximité grâce à un terminal relié aux centres de gestion des opérateurs. « J’ai imaginé cette solution pour les Marocains non bancarisés, qui payenttoutesleursfacturesenliquide et ne veulent pas perdre de temps dans les agences; voire pour ceux qui, analphabètes, font confiance à un commerçant qu’ils connaissent bien et dont les horaires sont étendus»,détailleMouradMekouar, toujours sûr de son concept. Les trois premières années de M2T ont été rudes. Après la mise au point de l’application logicielle et du terminal, il a fallu démarcher les principales sociétés facturant le grand public au Maroc. Mais

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Lydec, Veolia, Maroc Telecom, Inwi, Wafasalaf, mais aussi la Senelec, lui ont fait confiance. diaspora et offre depuis janvier ses services aux résidents marocains et sénégalais de France, qui peuvent, via ses technologies, payer depuis l’Hexagone leurs factures au pays, mais aussi – et c’est une nouveauté – y transférer de l’argent. ● CHRISTOPHE LE BEC

KARINA SEBTI ROBERT WALTERS À 46 ans, la directrice associée du cabinet de recrutement coté à Londres prend en main la nouvelle division consacrée au continent africain. JEUNE AFRIQUE

BABATUNDÉ OSOMETIHIN FNUAP Le Nigérian a officiellement pris, fin mars, ses fonctions de directeur exécutif du Fonds des Nations unies pour la population.

IBRAHIMA DIA BAD, UA, CEA Le diplomate mauritanien a été nommé responsable du secrétariat conjoint de la BAD, de l’UA et de la Commission économique africaine de l’ONU.

SERGE SCHOEN LOUIS DREYFUS Patron de l’activité négoce de matières premières agricoles, il accédera d’ici quelques mois au poste de directeur général occupé par Jacques Veyrat. N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

ROBERT WALTERS- P.FILGUEIRAS / UN - E. DRAPER - B.TESSIER/MAXPPP

ON EN PARLE


Marchés financiers distributeur est parvenu à retrouver le chemin de la croissance, dans un contexte économique pourtant difficile, avec un chiffre d’affaires (2,7 milliards d’euros) en hausse de 3,6 % et un bénéfice part du groupe au-dessus des 100 millions d’euros (+ 11 %).

BOURSE

CFAO navigue entre les crises Affecté par l’envolée du yen et du dollar et par les incertitudes politiques au Maghreb et en Côte d’Ivoire, le cours du distributeur spécialisé fait le yoyo. Le groupe panafricain s’affiche néanmoins comme un titre fiable.

S

eize mois après l’introduction de CFAO à la Bourse de Paris, une chose est certaine : le distributeur panafricain n’est pas à ranger parmi les valeurs de bon père de famille ! Introduit dans les premiers jours de décembre 2009 à 27 euros, le titre a touché le fond cinq mois plus tard, à 20,70 euros, avant de rebondir pour finir l’année au-dessus des 32 euros. Derrière cette évolution en dents de scie, une double réalité pèse sur le groupe de distribution spécialisé dans l’automobile et les produits pharmaceutiques : son exposition aux risques géopoli-

La banque d’affaires américaine Goldman Sachs fait partie des fans de cette valeur. tiques et une forte sensibilité à l’évolution des cours des grandes devises. « Environ 30 % des achats du groupe se font en yens et 30 % en dollars, rappelle Patrick Jousseaume, analyste à la Société générale. Des niveaux qui montent à environ 40 % dans l’activité auto. » CFAO achète en effet des véhicules japonais et américains (Toyota, Nissan, General Motors, etc.) et les revend pour 80 % d’entre eux dans des zones monétaires liées à l’euro. En 2010, le mouvement d’appréciation du yen et du dollar face à la monnaie européenne a pesé négativement sur les comptes du distributeur, d’où le fort recul du titre entre mars et mai 2010. La chute depuis janvier 2011 s’explique quant à elle pour l’essentiel par la paralysie de l’économie en Côte d’Ivoire, où CFAO compte l’une de ses principales filiales (6 % des N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

OPTIMISME. « CFAO a bien

Malgré des hauts et des bas boursiers... (Cours CFAO depuis l’introduction)

35

30

25

20 12/2009

04/2010

08/2010

11/2010

03/2011

... les analystes restent confiants

(Chiffre d’affaires et bénéfices, en millions d’euros) Chiffre d’affaires

Résultat net (part du groupe)

3 599 2 874

129

2 988

2 676

2 582

90

3 271

100

118

2008 2009 2010 2011* * Estimation, consensus Reuters du 9.3.2011

revenus du groupe), et par la peur d’une contagion révolutionnaire de la Tunisie, l’Égypte et la Libye vers l’Algérie et le Maroc (19 % des revenus). Théoriquement, CFAO reste pourtant un titre fort. « C’est l’une des seules valeurs cotées à l’international permettant une exposition sur l’ensemble du continent, affirme un gérant qui couvre l’ensemble des pays émergents. Et l’une des seules aussi à n’avoir aucun lien avec les matières premières. » L’année dernière, le

144 2012*

174 2013*

SOURCES : EURONEXT, CFAO, GOLDMAN SACHS

94

su naviguer, explique Patrick Jousseaume. Des actifs non stratégiques ont été vendus et des acquisitions ont été faites pour renforcer la division “automotive” en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et au Maroc. » La société a également montré sa capacité à augmenter les prix unitaires des voitures, sans trop affecter les volumes vendus. Tout en annonçant de nouveaux développements, notamment dans la distribution d’équipements miniers et pour la construction. Goldman Sachs fait partie des fans. Fin 2010, la banque d’affaires américaine estimait même envisageable un cours à 44 euros. Quelques mois plus tard, crises nord-africaines et ivoirienne obligent, l’objectif a été revu à la baisse (33 euros d’ici à la fin du mois d’août). Mais le ton reste optimiste: « Dans notre scénario positif, la résolution des crises en Côte d’Ivoire et au Maghreb pourrait entraîner une hausse du cours 40 % au-dessus de ses niveaux actuels, explique Freddie Neave, analyste chez Goldman Sachs. Dans notre scénario négatif, un élargissement des difficultés politiques vers l’Algérie et le Maroc pourrait entraîner une petite baisse par rapport aux niveaux actuels. » Une baisse que certains, qui trouvent cette valeur globalement surévaluée, verraient d’un bon œil. « CFAO reste trop cher par rapport à ses perspectives de croissance, avec un PER [price earning ratio, rapport entre le cours boursier et les bénéfices, NDLR] qui oscille entre 15 et 18, explique un gérant spécialisé sur l’Afrique. C’est pour cela que, même lorsque le titre était au plus bas, je ne l’ai jamais acheté. » ● FRÉDÉRIC MAURY JEUNE AFRIQUE


Marchés financiers Marchés financiers

Baromètre

Lagos tire l’Afrique En trois mois, 2 milliards de dollars ont été investis. Soit près de deux fois plus que sur toute l’année 2010.

E

n 2011, les grosses opérations sont de retour dans le capital-investissement africain, après deux à trois ans de vaches maigres. Au cours des trois premiers mois de l’année, plus de 2 milliards de dollars (1,4 milliard d’euros) ont été investis par ce biais dans des entreprises africaines, contre 1,1 milliard en 2010. Et, surprise, le salut n’arrive plus, comme ce fut le cas jusqu’en 2007, de l’Afrique du Sud, mais du Nigeria. Deux consortiums, l’un mené par Vine Capital Partners, l’autre par African Capital Alliance, ont annoncé des investissements totaux de 1,1 milliard de dollars dans deux banques nigérianes, Afribank et UnionBankofNigeria.Autregrande opération, la reprise de Shell Oil Products Africa aura vu le capital-investisseur Helios Investment Partners (fondé par des Nigérians!) injecter 700 millions de dollars aux côtés du négociant suisse Vitol. CALME PLAT. Côté francophone, le

Maroc s’en tire plutôt bien, grâce à l’apport récent de 137 millions de dollars dans la société immobilière Dar Saada par plusieurs capitalinvestisseurs du royaume et de la péninsule Arabique. Dans la zone CFA, en revanche, c’est le calme plat. Plusieurs opérations, pourtant bien avancées, ont été repoussées, voire enterrées, en raison de la crise ivoirienne. « Pour les financiers, la Côted’Ivoirerestelaseuleéconomie à offrir de réelles opportunités d’investissement dans des entreprises de belle taille ou à potentiel régional, estime un financier panafricain basé à Londres. La paralysie de son économie bloque tout. » ● F.M. JEUNE AFRIQUE

Assurances : des terres à conquérir VALEUR

BOURSE

COURS au 6 avril (en dollars)

ÉVOLUTION depuis le début de l'année (en %)

Wafa Assurance

CASABLANCA

381,4

+ 5,7

MMI Holdings Guaranty Trust Assurance Sanlam Liberty Holdings Santam CNIA Saada

JOHANNESBURG

250,4 0,01

+ 2,1 + 1,3

419,4 1 082,2 1 913,3 151

+ 0,5 – 0,1 – 1,9 – 7,5

8,5 53,7 108,8

– 9,7 – 12,8 – 20,2

Atlanta Astrée Star

LAGOS

JOHANNESBURG JOHANNESBURG JOHANNESBURG CASABLANCA CASABLANCA TUNIS TUNIS

SECTEUR D’AVENIR, l’assurance connaît un début d’année difficile sur ses principaux marchés. EnTunisie, le coût des dégâts consécutifs à la révolution fait planer le doute sur la santé financière des assureurs. Au Maroc, la concurrence se fait de plus en plus rude. Les relais de croissance semblent tout trouvés pour les grands assureurs : se développer dans le reste de l’Afrique, où l’assurance reste largement

sous-développée. Le sud-africain Sanlam est ainsi présent dans sept pays africains, son compatriote MMI Holdings dans douze, tandis que le marocain Saham, actionnaire majoritaire de CNIA Saada, couvre désormais une bonne partie de l’Afrique francophone. Enfin, Old Mutual, groupe britannique coté à la Bourse de Johannesburg, s’est allié en Afrique subsaharienne avec la banque panafricaine Ecobank. ●

Valeur en vue CNIA SAADA L’activité non-vie, moteur de la croissance BOURSE Casablanca • CA 2010 269 millions d’euros (+ 5,1 %) COURS 1 188 dirhams (6.4.2011) • OBJECTIF 1 162 dirhams

EN 2010, CNIA SAADA, qui dispose du premier réseau du secteur (303 agences), a vu sa croissance bénéficiaire progresser de 7,7 % pour s’établir à 303 millions de dirhams, confortée par la baisse de la sinistralité et l’amélioration des résultats de placement. En hausse de 6,3 %, l’activité non-vie reste le moteur de la croissance de l’assureur, malgré la guerre des prix constatée dans la branche automobile (51 % du CA total). En revanche, CNIA Saada souffre dans l’assurance-vie de l’absence d’une relation bancassurance capitalistique. Nous demeuAchraf Bernoussi rons confiants quant aux perspectives à long terme. Analyste senior chez Attijari Intermédiation Sur le plan domestique, la mise en place des nouvelles assurances obligatoires dans le cadre du contratprogramme et l’amélioration de la sinistralité suite au nouveau code de la route constituent de véritables leviers de croissance organique. À l’international, l’acquisition de l’assureur panafricain Colina par Saham (actionnaire majoritaire de CNIA Saada) aura des retombées positives à long terme. ●

HASSAN OUAZZANI POUR J.A.

CAPITAL-INVESTISSEMENT

N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Culture & médias

EXPOSITION

Le dessous des

cartes

La Royal Geographical Society accueille jusqu’au 28 avril 2011, à Londres, une grande exposition consacrée à la manière dont l’Afrique fut cartographiée. Depuis le IIe siècle jusqu’à l’ère de GoogleMaps. L’Afrique et le monde ; L’Afrique postcoloniale ; Les voix africaines. Chacun d’entre eux est illustré par des cartes et des photographies puisées dans les archives de la RGS. En tout, une vingtaine de cartes représentent le continent dans tous ses états, de l’Afrique des grands empires aux indépendances, sans ignorer la polyglossie africaine ou les routes marchandes de l’époque médiévale. « Ces cartes, dont la plus ancienne date du début de l’ère chrétienne, ont forgé la vision européenne de l’Afrique à travers les âges », explique Cliff Pereira.

TIRTHANKAR CHANDA

D

«

es cinq continents, l’Afrique est peut-être celui qui a été le plus cartographié », a écrit l’africaniste américain Ralph A. Austen dans un article consacré à la géographie comme enjeu de pouvoir à travers les âges. La vaste collection africaine – quelque 50 000 objets répertoriés – de la très british Royal Geographical Society (RGS), constituée pour l’essentiel de cartes, d’atlas, de mappemondes, de planisphères décrivant le continent noir sous toutes ses coutures, témoigne de l’intérêt considérable et ininterrompu des géographes et de leurs commanditaires, les politiques, pour cette région du monde. Une région que le grand public occidental continue, paradoxalement, d’associer à ces « ténèbres » inconnaissables et inconnues évoquées par le romancier Joseph Conrad. Comment la cartographie de l’Afrique, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, permet-elle d’expliquer ce paradoxe ? Telle est la thématique de l’édifiante exposition qui s’est ouverte en mars dans les austères locaux londoniens de la RGS.

DOMINATION. Le titre : « Rediscovering African

Geographies ». « Alors que les cartes servent normalement à représenter l’espace, dans le cas de l’Afrique, elles ont très vite été détournées de leur mission pour servir d’instruments de pouvoir et de domination aux puissances occidentales colonisatrices », soutient Cliff Pereira, spécialiste de l’Afrique orientale, qui a participé à la conception de l’exposition. « Les Africains ont été dépossédés de leur histoire, mais aussi de leur géographie, ajoute-t-il. Sa réappropriation postcoloniale passe par l’imaginaire, une revendication que traduit le titre, “Rediscovering African Geographies”. » L’exposition est composée de vingt panneaux, organisés par thèmes : La période antique ; N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

CONQUÊTES. Une vision qui s’est brouillée au

PHOTO 12

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L’ASTRONOME ET ASTROLOGUE GREC

PTOLÉMÉE (90-168) est aussi considéré comme l’un des premiers géographes.

cours de siècles de confrontations, d’échanges et de conquêtes opposant les continents européen et africain. Loin d’être négatives, les premières représentations des terres africaines donnaient à voir une région parfois mythique, peuplée d’animaux hybrides, mais jamais en marge de l’humanité ou de l’Histoire. Dans son manuel pionnier, La Géographie, rédigé autour de l’an 150, l’astronome et géographe grec Ptolémée situe l’Afrique résolument dans ce qu’il appelle l’« écoumène », le quart du globe habité isolé par un océan infranchissable. Plus tard, à l’époque médiévale, les cartographes arabes, à leur tour, représentent l’Afrique sur leurs mappemondes tel un vaste continent s’étendant au sud de la Méditerranée. Ce continent, dont ils ne connaissaient pas précisément les limites australes, avait alors pour eux une forme triangulaire. Le plus connu des géographes arabes issus de l’école de Bagdad était Al-Idrisi, qui a vécu au XIIe siècle. Conseiller à la cour du roi normand de la Sicile Roger II (1140-1154), il a puisé dans ses expériences de voyages à travers le Maghreb pour produire une carte relativement détaillée, s’attachant à représenter les fleuves abreuvant les régions intérieures du continent et les agglomérations musulmanes les plus dynamiques de l’époque : Tombouctou, le Tekrour… Tout en s’inspirant des écrits d’Hérodote et de JEUNE AFRIQUE


ROYAL GEOGRAPHICAL SOCIETY

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Ptolémée, qui furent les premiers à situer l’Afrique sur les atlas du monde connu, les Arabes ont renouvelé la cartographie africaine en faisant du Sahara une passerelle entre les régions intérieures du continent africain et le monde méditerranéen. « Le Sahel fut le grenier de l’Empire romain, rappelle Cliff Pereira. Or, au fur et à mesure que la désertification a gagné du terrain, les Européens se sont mis à considérer le Sahara comme une barrière, alors que les Arabes l’imaginent comme un lieu de passage, une sorte de Méditerranée terrestre sur laquelle voguent les chameaux, importés dans la région dès le début de l’ère chrétienne. »

PLANISPHÈRE réalisé par Gérard Mercator en 1587.

PUISSANCE. « La conscience de l’Afrique comme

une région puissante et dynamique est perceptible dans la plupart des cartes anciennes sur lesquelles nous nous sommes appuyés, poursuit Pereira. Regardez, par exemple, le superbe portulan catalan du XIVe siècle attribué à l’école juive de Majorque. La représentation de l’Afrique y est certes approximative et limitée au Nord, mais le “Musse Melly [Mansa du Mali] seigneur des nègres de Guinée” y est placé au même niveau que les

Les Arabes imaginaient autrefois le Sahara comme un lieu de passage. souverains occidentaux. Il s’agit vraisemblablement de Kankan Moussa, de l’Empire du Mali, qui est resté dans l’Histoire pour son pèlerinage fastueux à La Mecque en 1324, accompagné de milliers de serviteurs et de tout l’or de son royaume. De même, JEUNE AFRIQUE

sur la carte plane de Mercator (XVIe siècle), l’océan Atlantique qui borde la côte occidentale du continent africain porte le nom de “Mer éthiopienne”. L’épithète ne renvoie pas au pays, c’est un terme générique qui désigne les Noirs. Enfin, la carte de John Sudbury (Africae, 1626), qui donne les noms de quelques-uns des principaux empires et royaumes africains, est représentative de la vision occidentale du monde à l’époque. C’était une image certes lacunaire, mais elle n’est grevée d’aucune prétention impérialiste. » CORDEAU. L’exposition s’achève sur les cartes

coloniales et postcoloniales. C’est-à-dire sur les frontières tracées au cordeau qui séparent les pays nés des empires européens du XIXe siècle. Rupture épistémologique ? « Plus scientifique, nourrie des observations empiriques des explorateurs, la cartographie coloniale a aussi vidé l’Afrique de son passé, de ses noms, de ses spécificités, regrette Cliff Pereira. Autrefois, les chutes Victoria s’appelaient Mosi-oa-tunya, peut-on lire sur l’un des derniers panneaux de l’exposition. Cela signifiait, dans l’idiome local, “la fumée qui tonne” ! » Au-delà de cette histoire de dépossession que racontent les vieilles cartes de l’Afrique, l’exposition n’oublie pas de rappeler que les nouvelles technologies (photographie aérienne, imagerie par satellite) révolutionnent aujourd’hui la représentation spatiale. La carte du continent vue du ciel qui ouvre la manifestation relativise d’emblée les propos liminaires de ses organisateurs, parfois trop centrés sur la géographie coloniale. ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011


Culture médias DOCUMENTAIRE

Sur les traces des assassins de Kabila témoignages, il explore des pistes convergentes qui permettent d’ébaucher un scénario. Il y a d’abord l’amertume de deux jeunes gardes du corps lâchés par Kabila. Le premier, Rachidi Kasereka, a appuyé sur la gâchette. En aide de camp loyal, Eddy Kapend l’a abattu dans la foulée. Le second, Georges Mirindi, attendait Rachidi dans une voiture. Emprisonné, il s’est évadé et exilé en Suède. L’homme sait

Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman se penchent sur le meurtre du président congolais en 2001. Un forfait qui a profité à plus d’un.

Antioccidental, LDK rappelle de mauvais souvenirs de guerre froide à Washington.

D.R.

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T

Extrait de

MEURTRE À dans son uniforme, apprenant out commence avec KINSHASA. QUI unecaméradissimulée sa condamnation à mort tandis A TUÉ LAURENTdans l’étui d’une Bible que des militaires arrachent ses DÉSIRÉ KABILA ?, etdesimagesbancales galons. N’ayant pas été exécuté, sur France Ô, le 27 avril. d’une cour de Makala, la prison il croupit à Makala mais refuse deKinshasa.Puislecaméraman de témoigner. Peut-être dans clandestin apparaît: Antoine Vumilia, exl’espoir d’une grâce. Pour beaucoup, Eddy Kapend, comme lesautres condamnés, est agent de renseignement, l’une des cinquanteetunepersonnescondamnéespour innocent: « Je ne pense pas que ce soit eux, l’assassinatduprésidentcongolaisLaurentils ont porté le chapeau », dit Abdoulaye Désiré Kabila (LDK), le 16 janvier 2001. « Je Yerodia, sénateur et compagnon de route suis là parce qu’il faut que quelqu’un paie. de LDK. Des ONG réclament en vain que le dossier soit rouvert. À la fin du film, Je suis là parce qu’il fallait très vite donner au peuple […] une réponse », ânonne-t-il Arnaud Zajtman interroge Joseph Kabila devant le mur vert délavé de sa cellule. lors d’une conférence de presse: « L’affaire Son témoignage constitue le fil rouge se trouve entre les mains de la justice », de Meurtre à Kinshasa. Réalisé par la élude celui-ci. documentariste Marlène Rabaud et l’ancien correspondant de la BBC à Kinshasa BOÎTE DE PANDORE. Pour les autorités, Arnaud Zajtman, ce film entreprend de l’assassinat doit rester une affaire classée. résoudre une énigme encore brûlante : Un nouveau procès pourrait ébranler un qui a tué Laurent-Désiré Kabila? mythe fondateur du régime : celui d’une Malgré un procès devant une cour milijustice efficace. Dans la boîte de Pandore, taire,en2002,lajusticecongolaisen’ajamais il y a de sombres intrigues qui pourraient identifié les véritables motifs et auteurs de écorner la légende d’un Laurent-Désiré l’assassinatdu«Mzee»,pèredel’actuelchef Kabila martyr et, indirectement, saper la de l’État. Son aide decamp, le colonelEddy légitimité de son successeur, son fils. Kapend, a étédésigné comme le commanÀ la question qu’il pose, le film d’Arditaireetcoupablenuméroun.Desimages naud Zajtman n’apporte pas de réponse d’archiveslemontrent,droitcommeun«i» univoque. Mais grâce à de nombreux N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

tout mais ne livre pas ses secrets à Arnaud Zajtman. Néanmoins, il ne désapprouve pas vraiment les pistes proposées. Une hypothèse s’impose : l’assassinat est certainement le résultat d’une somme de vengeances dont Rachidi et Mirindi ont été les exécutants. Après le meurtre, Mirindi trouve refuge chez un certain Bilal Héritier. Très introduit auprès de LDK, ce diamantaire libanais avait perdu ses prérogatives quand, en quête de liquidités, le Mzee avait décidé de confier le monopole du diamant congolais à un concurrent israélien, IDI-Congo. Mirindi et Héritier se réfugieront au Rwanda et dans l’est du Congo, où ils profiteront de la bienveillance de la rébellion, soutenue par Kigali, qui sévit à l’époque. Les États-Unis font aussi partie des mécontents. Antioccidental revendiqué, LDK rappelle de mauvais souvenirs de guerre froide à Washington. Selon le témoignage de Mwenze Kongolo, ministre de la Justice de LDK, la carte de visite de l’attachée militaire américaine à Kinshasa, SueAnnSandusky,quiaquittélepaysdans la foulée de l’assassinat, a été retrouvée sur Rachidi. Au verso, elle portait ce petit mot: « S’il vous arrive quelque chose, contactez […] » Interrogée, Sue Ann Sandusky admet qu’elle avait des « contacts très informels » avec Rachidi, et Mirindi a même « pris quelques bières » avec eux. « L’élimination de Kabila arrangeait les Américains et ils ont peut-être laissé faire », dit la voix off. Avant cette conclusion d’Antoine Vumilia, qui s’est évadé depuis: « On ne bâtit pas un pays sur la base de mensonges. » ● MARIANNE MEUNIER JEUNE AFRIQUE


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la Blanche…


Culture médias

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TRIBUNE

Abdou Diouf va-t-il sauver le cinéma africain?

Opinions & éditoriaux

L

ONS ABID POUR J.A.

Ferid Boughedir Cinéaste et universitaire tunisien, historien des cinémas africains

UN DES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS du récent Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), grand-messe des cinémas du continent, qui s’est tenu du 26 février au 5 mars 2011 au Burkina Faso, aura été l’appel solennel lancé par les cinéastes africains au secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf, pour lui demander de devenir leur ambassadeur auprès de plusieurs chefs d’État africains. Et ce afin qu’ils soutiennent financièrement le projet de Fonds panafricain du cinéma, lancé en mai 2010 au Festival de Cannes, et qui repose essentiellement sur la coopération des États du continent.

Il y avait quelque chose de désespéré chez le cinéaste algérien Lyazid Khodja, représentant le Maghreb au sein de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), à demander ainsi, avec ses collègues subsahariens, au secrétaire général de la Francophonie – dont l’Algérie ne fait pas partie ! – d’intercéder en priorité auprès de… l’Algérie pour que son pays soit, avec le Gabon, l’un des premiers donateurs et donc l’un des fondateurs de ce fonds panafricain… Abdou Diouf, qui avait accepté de soutenir logistiquement et financièrement l’étude de faisabilité de ce fonds (dont le champ dépassait le strict cadre des membres africains de l’OIF), semble devenir aujourd’hui le dernier recours pour sauver ce qui reste du rêve de solidarité Sud-Sud porté depuis quarante ans par les cinéastes africains. Un rêve lancé en 1970 par deux grands militants de l’indépendance culturelle africaine récemment disparus, l’écrivain et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, parrain et fondateur du Fespaco, et son compagnon de toujours, le critique tunisien Tahar Cheriaa, fondateur des Journées cinématographiques de Carthage.

à l’organisation de leurs marchés audiovisuels nationaux et régionaux. Reste que la formule réussie, choisie par laTunisie et le Burkina Faso, qui consiste à prélever une taxe sur les recettes des salles de cinéma pour financer les films a fait long feu avec l’arrivée des télévisions satellitaires et du DVD piraté. Lesquels ont provoqué la fermeture des salles, vidées de leur public. Orphelins de ce modèle, les cinéastes africains sont redevenus tributaires des dons de l’Europe. Seul le Maroc a tiré son épingle du jeu en obligeant, dès 1997, les télévisions à contribuer au financement du cinéma national, qui a connu alors un boom sans précédent. La dernière innovation en la matière vient de la toute jeune révolution tunisienne. Dans un projet boudé par les autorités en 2010, puis complété en mars 2011 par les « états généraux » qui ont chassé l’ancien dirigeant « benaliste »

Qui tire profit de la diffusion d’images importées doit contribuer, même à petite échelle, au financement des images nationales.

Il n’est pas étonnant que les deux pays hôtes de ces festivals aient été les premiers à concrétiser ce « rêve » où les cinémas africains ne seraient plus dépendants de la « charité » des pays du Nord, s’autofinançant enfin grâce N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

de leur association, les cinéastes proposent avec pragmatisme de s’adapter aux marchés désormais « piratés » du continent. Et ce en prélevant une taxe modique sur les DVD vierges et les nouvelles formes de diffusion de l’image, telles qu’internet et la téléphonie mobile. Renouant ainsi avec le principe légitime des pionniers : « Qui tire profit de la diffusion d’images importées doit contribuer, même à petite échelle, au financement des images nationales ». Un principe qui a permis à certains pays européens, France et Espagne en tête, de sauver leur cinéma national face au rouleau compresseur hollywoodien. Car l’enjeu reste le même : que l’Africain, à l’heure où tout passe par l’image, ne demeure pas le consommateur passif des modèles venus d’ailleurs, et produise ses propres images de qualité. Si le président Abdou Diouf acceptait l’« appel de Ouagadougou », le rêve de solidarité panafricaine ne serait pas tout à fait mort. Et ce malgré la disparition de ses deux principaux initiateur s, Sembène Ousmane et Tahar Cheriaa. ● JEUNE AFRIQUE


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ANTOINE TEMPÉ

Ý LA COMPAGNIE AWOULATH ALOUGBIN a composé une chorégraphie inspirée des clichés exposés.

PHOTOGRAPHIE

Cotonou entre dans la danse Jusqu’au 30 juin, la Fondation Zinsou expose les photographies du Français Antoine Tempé sur des conteneurs, en plein cœur de la ville. Et invite des chorégraphes à s’exprimer entre les images.

I

force palabres, sur le Champ de foire, mmenses, mangés de rouille, craau cœur de Cotonou. Climatisés pour chant leurs vapeurs de dioxyde de l’occasion, ils sont désormais dotés d’une carbone, des camions hors d’âge porte et agrémentés d’un dispositif de quittent le port de Cotonou en projection vidéo. Chaque fois, le film ahanant. Klaxons, coups de frein, les diffusé à l’intérieur offre une réponse zémidjans [mototaxis, NDLR] zigzaà une question : Qui est Pina Bausch ? guent entre leurs silhouettes massives Qui est Sylvie Guillem ? Qu’est-ce que la qui bouchent parfois certaines artères danse classique ? Qu’est-ce que la danse de la ville. C’est dire si les Béninois sont habitués aux conteneurs qui, déchargés contemporaine ? En cela, la Fondation des navires, reposent sur le dos de ces Zinsou reste fidèle à ce qui constitue le véhicules bringuebalants et font grincer principal axe de sa politique d’exposileurs essieux. En revanche, que ces mêmes conteneurs, « Dans le mouvement, je cherche peints en noir et blanc, à saisir ce dont on n’a pas soient utilisés pour une exposition en plein air, voilà conscience, ce qui est trop fugace. » qui est moins commun ! tions depuis sa création, il y a six ans : La Fondation Zinsou avait osé le faire la pédagogie. Un choix qui se justifie, pour fêter le cinquantenaire de l’indécar tant en Europe qu’en Afrique, si l’art pendance du pays, elle recommence contemporain est mal aimé, c’est parce cette année pour célébrer la danse. « Dansons maintenant ! », c’est le titre qu’il est méconnu et mal connu. Devant de l’exposition de plein air consacrée au l’un des conteneurs, en lettres roses, photographe français Antoine Tempé, cette question : Qui est Antoine Tempé ? inaugurée en musique début avril et Une partie de la réponse se trouve là, ouverte jusqu’au 30 juin 2011. À deux exposée au soleil. Trente-sept photographies tirées en grand format sur des pas du ministère de la Défense et trois de la présidence béninoise, une vingtaine bâches, en noir et blanc ou en couleur, de conteneurs ont été installés, après présentent des danseurs saisis en plein N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

mouvement. Il y a là le Congolais Faustin Linyekula, l’Haïtienne Kettly Noël, le Burkinabè Lacina Coulibaly, la Française Julie Dossavi, l’Américain Jeffrey McLamb, le Sénégalais Pape Ibrahima Ndiaye, la Sud-Africaine Nelisiwe Xaba et bien d’autres. Corps en position d’équilibre précaire, suspendus en l’air, visages libérés par l’effort, Antoine Tempé s’intéresse depuis une dizaine d’années aux danseurs africains et africains-américains. GRATUIT. Cela n’a pas toujours été le cas:

autrefois, s’il pratiquait la danse comme loisir – et il le fait toujours, dix heures par semaine quand il le peut –, il travaillait dans la finance, à New York. Puis il a eu « envie de s’exprimer artistiquement ». Il a quitté son boulot et choisi de voyager en Afrique : « En 1997, je me suis rendu à Ouagadougou simplement parce que je connaissais ce nom depuis mes 5 ans. » Depuis, il passe 70 % de son temps sur le continent, où il a rencontré de nombreux danseurs. Et il est devenu photographe. Immobiliser le mouvement sur papier glacé, un paradoxe? « Je cherche à attraper ce dont on n’a pas conscience, ce qui est trop fugace, dit-il. Ce qui est génial, c’est quand les gens se reconnaissent dans une position où il leur serait impossible de se voir ! » Saisir l’éphémère, exposer le mouvement : pendant toute la durée de « Dansons maintenant! », des compagnies dedanseprésenterontleurschorégraphies sur le Champ de foire, entre les conteneurs et devant les œuvres d’Antoine Tempé. C’est beau et, en plus, c’est gratuit. ● NICOLAS MICHEL, envoyé spécial au Bénin JEUNE AFRIQUE


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EXPOSITION

Le bon filon dogon Le musée du Quai Branly, à Paris, organise une rétrospective exceptionnelle. Collectionneurs et galeries applaudissent.

C

onsécration pour l’art dogon, le musée du Quai Branly lui dédie une rétrospective mondiale, la plus grande de ces vingt dernières années. Si les masques et les statues sont, comme bien souvent, les pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci présente également des objets inédits du quotidien. Bijoux, coupes, et même portes et serrures, dont les motifs et personnages sculptés, exposaient tout voleur au mauvais sort. Au total, plus de 350 œuvres issues de collections privées ou publiques, rassemblées par Hélène Leloup, spécialiste de l’art dogon – près de 40 % de l’ensemble des objets culturels ou cultuels connus, les autres étant entre les mains des collectionneurs et des marchands d’art. À Paris, la galerie Alain Bovis expose, depuis le 8 avril, « Dogon, art majeur », soit une vingtaine de statues. « Il y a longtemps que l’on réfléchissait à faire une exposition sur le sujet. Quand on a vu que ce serait une année dogon, on a saisi l’opportunité », explique Véronique du Lac, la directrice. Même idée à la galerie L’Œil et la Main, qui présente également une vingtaine d’œuvres. Pas de doute, les galeries se sont préparées à l’arrivée de nombreux connaisseurs, en visite à Paris. « Des collectionneurs européens, beaucoup de Belges et d’Allemands, mais également des Africains », détaille Véronique du Lac. Le 1er décembre dernier, lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, une maternité dogon N’Duleri a été adjugée à 247000 euros. L’exposition du musée du Quai Branly poursuivra, elle, sa route en Allemagne, puis en Italie. L’art dogon n’a pas fini de rapporter. ●

MUSÉE DU QUAI BRANLY/HUGHES DUBOIS

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PAULINE PELLISSIER

Dogon, au musée du Quai Branly, Paris 7e, jusqu’au 24 juillet 2011

CINÉMA

Mon père ce héros DIFFICILE, ASSURÉMENT, pour un adolescent d’une cité de la banlieue parisienne d’entendre ses copains railler son père « femme de ménage ». Mais celui-ci – remarquable François Cluzet – a beau nettoyer des bureaux, il sait rester digne et rendre fierté et confiance à son fils Polo. D’autant que ce dernier, beau gosse passionné de littérature et capable de reparties bien senties, ne manque pas d’atouts pour faire taire les persifleurs, N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

■■■

malgré une sensibilité à fleur de peau. Cette adaptation du deuxième roman de Saphia Azzeddine, comme ses personnages, sonne juste. Et même si son passage derrière la caméra en tant que novice n’a guère permis à l’écrivaine d’origine marocaine de trouver un style cinématographique original, il révèle un auteur capable de passer des mots aux images avec talent. Sans compter, bien sûr, un sens inné des dialogues qui permettra à coup sûr à cette comédie sociale de toucher un large public. ● RENAUD DE ROCHEBRUNE

Mon père est femme de ménage, de Saphia Azzeddine (sortie à Paris le 13 avril)

■■■ JEUNE AFRIQUE


Culture médias BEAU LIVRE

SANS OUBLIER

DISONS-LE TOUT DE SUITE : c’est un livre à contretemps. Car l’Égypte qu’il donne à voir et à humer n’est pas celle des manifestations, mais celle de la chicha partagée au café. Ce n’est pas celle du raïs déchu, mais celle des pharaons éternels. Le texte de Gilbert Sinoué, né en Égypte en 1947, est autobiographique et nostalgique. En ces temps de révolution(s), on se dit qu’il est temps de dépoussiérer les mythes littéraires toujours attachés à ce pays. Impressions d’Égypte, de Gilbert Sinoué Le Quatuor d’Alexandrie, et Denis Dailleux, Éditions de La Martinière, c’est fini… Restent les 256 pages, 29,90 euros ■■■ images du photographe Denis Dailleux, installé au Caire depuis dix ans, subtiles, traversées d’une lumière qui adoucit les contours, mange les ombres, révèle l’ocre des peaux et fait briller les cuivres. Le temps est suspendu, en effet. Et l’on s’abandonne avec délice au mazag, terme qui pourrait se traduire, selon Gilbert Sinoué, par « exulter dans l’instant, jubiler d’un rien ». ● OLIVIA MARSAUD

ROMAN

S’africaniser UN GARÇON DE 20 ANS qui s’ennuie dans l’Europe de l’après-guerre s’invente une vie africaine ; décidant qu’elle n’est pas celle des plantations et des petits Blancs, il se lance vers « le continent vrai, celui des hommes nus et libres ». Esprit d’aventure ou cervelle brûlée ? Laurent écume la Guinée, de Victoria à Boké, des îles Tristaõ aux Rivières du Sud, sur ses cotres à gréements et pontages de fortune, au titre de menus négoces et de trafics divers. Bientôt expert en dialectes locaux, il est associé à la vie quotidienne des villages, à l’anodin comme aux rites de la chasse et aux secrets exotériques. Il sait comment des vies aussi frugales peuvent alimenter des palabres infinies. Fils adoptif de Dosos, ira-t-il JEUNE AFRIQUE

jusqu’au bout de l’initiation au Souma, dans la secte de l’ethnie baga ? Son délire ne sera-t-il autre, à son apogée, que la mise en musique d’une agonie par bilharziose hématurique ? Tenter de répondre serait réducteur pour ce beau poème qui luit dans les ténèbres. On essaiera plutôt de faire le partage entre autobiographie et fantasme, en sachant ce que fut la vie vraie d’Henriot, dans la GuinéeConakry, au temps de Sékou Touré, et plus tard en République centrafricaine pour le compte de la cynégétique et de la protection de la nature. ● JOSÉPHINE DEDET Le Bain sacré (roman), de Daniel Henriot, Éditions de la Courrière, 220 pages, 16 euros ■■■

DENIS DAILLEUX/AGENCE VU

L’Égypte d’hier

La mobilisation ne faiblit pas pour sauver l’Africa Centre de Covent Garden, à Londres. Ce lieu de rencontres historique ouvert par le président zambien Kenneth Kaunda il y a cinquante ans pourrait être vendu par ses administrateurs. Ont déjà fait part de leur désapprobation : l’archevêque Desmond Tutu, l’homme d’affaires Mo Ibrahim, les musiciens Youssou N’Dour et Angélique Kidjo, mais aussi le maire de Londres, Boris Johnson. Du 21 mai au 24 juin, le travail du Sénégalais Oumar Ly (68 ans) sera exposé lors d’une « Promenade photographique dans les rues de Saint-Louis et de Podor ». C’est dans cette dernière ville, au bord du fleuve Sénégal, que se trouve leThioffy Studio, où il travaille toujours. La Martiniquaise Euzhan Palcy sera à l’honneur en cette année des Outremer. Au programme, entre autres : sortie en DVD de Aimé Césaire, une parole pour le XXIe siècle (16 mai), rétrospective au MoMA de NewYork (18 mai), début du tournage (27 juin) de son prochain film, Mahalia, sur Mahalia Jackson, « voix » de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Le 9 mai 2011, le concert Afrique en scène, parrainé par Tiken Jah Fakoly, réunira à Paris, parfois lors de duos inédits, Lokua Kanza, William Baldé, Daara J Family, Smod, Régis Kole, Fafa Ruffino, Amen Viana, 36 States, Imany, Djazia Satour, Baloji, Kady Diarra, Fresk, Fredy Massamba… N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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Culture médias BIOGRAPHIE

Vers l’homme universel

L’ouvrage que Philippe Verdin consacre à Alioune Diop revient sur la vie peu connue d’une personnalité hors du commun. Un militant qui n’a jamais renoncé à lutter pour l’émancipation des Africains.

A

liouneDiopauraiteu 101 ans cette année. Méconnu du grand public, il a vécu comme ces hommes dont la personne s’efface derrière l’œuvre qu’ils réalisent. Ses combats ont dépassé le moi individuel pour s’incarner dans le nous collectif. Sa vie, véritable geste, a été une quête permanente de l’accomplissement de l’Homme universel. Le Martiniquais Édouard Glissant, disparu en février dernier, parlait de lui en ces termes : « Il était l’Afrique, mais aussi toutes les Afriques dans leurs plus secrets prolongements, il était son pays, le Sénégal, et aussi tous les pays qui s’obstinent pour ne pas périr, il était son lieu, mais son lieu était ouvert à tous les lieux du monde. » Lorsqu’il naît à Saint-Louis du Sénégal, le 10 janvier 1910, ni son environnement familial Il est également, en tant que maître d’in(son père est de condition modeste) ni la réalité politique (c’est la colonisation) ternat, fonctionnaire. Homme ouvert, ne le destinent à un avenir particulier. Alioune Diop rencontre non seulement Mais naître à Saint-Louis donne des prides hommes et des femmes originaires vilèges. D’abord, c’est la capitale des colonies, mais aussi la du Sénégal. Ensuite, et c’est le crème de la société française. plus important, elle est l’une Séduit par le christianisme, des quatre communes (avec il renonce à l’islam et se fait baptiser sous le prénom de Dakar, Gorée et Rufisque) où les indigènes ont la nationalité Jean en décembre 1944. française. Il va à l’école coraniProfesseur dans des lycées que, puis à l’école française. Il prestigieux, Alioune Diop ne a ensuite le privilège de passer cesse de penser à la lutte à son baccalauréat, avant d’aller mener sur le plan culturel entreprendre des études de letpour la désaliénation des Alioune Diop, tres à l’université d’Alger. En sepAfricains. Mais il ne se bat le Socrate noir, tembre 1937, le voici en France. pas contre les Français car de Philippe Verdin, Les gens de sa couleur sont rares. c’est un homme de dialogue. Lethielleux, Mais certaines figures qui vont Il se bat contre un système 408 pages, 29 euros. devenir célèbres, à l’instar de arrogant et déshumanisant. son compatriote Léopold Sédar Ce qu’il veut, c’est voir l’AfriSenghor et du Martiniquais Aimé Césaire, que et le « monde noir » jouer un rôle sur s’y trouvent déjà. la scène mondiale. Il dit : « Nous ne pouvons rejoindre les autres au plan des aspiEn métropole, l’ancien répétiteur de grec vient terminer ses études de lettres. rations universalistes qu’après avoir été N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Ý LE FONDATEUR DE PRÉSENCE AFRICAINE, au début des années 1940.

souverainement nous-mêmes. » Son combat sera aussi celui de l’unité politique du continent à travers le panafricanisme. Il devient ainsi, à Paris, une voix majeure qui impose le respect. Grand rassembleur, il fonde la revue Présence africaine en 1947, la maison d’édition en 1949, la Société africaine de culture en 1956. Il organise deux congrès des écrivains et artistes noirs, en 1956 et en 1960, et joue un rôle important dans l’organisation du premier Festival mondial des arts nègres, en 1966. Homme discret, Alioune Diop, décédé en 1980, parlait peu de lui-même. Le livre que Philippe Verdin lui consacre, Alioune Diop, le Socrate noir, arrive à point nommé. Plein d’anecdotes, il nous ouvre des pans entiers de la vie d’une personnalité engagée et engageante. PRÉSENCE AFRICAINE

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DIVERGENCES POLITIQUES. L’on apprend

que c’est grâce à son courage que les œuvres de Cheikh Anta Diop ont été publiées par Présence africaine. Ouvert à tous les vents, il sera l’ami du Malgache Jacques Rabemananjara. Grand timide, il chargera d’ailleurs ce dernier, en 1945, d’aller demander pour lui la main de celle qui deviendra sa femme, Christiane. L’ouvrage revient aussi sur Alioune Diop directeur de cabinet du gouverneur général de l’Afrique-Occidentale française. Et sur sa courte expérience politique en tant que sénateur sous les couleurs de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, l’ancêtre de l’actuel Parti socialiste). Ayant choisi le camp de Lamine Guèye, il entretiendra des rapports difficiles avec Senghor à cause de divergences politiques. Alioune Diop a longtemps été dans le collimateur des services français, qui lui reprochaient son anticolonialisme. ● TSHITENGE LUBABU M.K. JEUNE AFRIQUE


Vous & nous

Le courrier des lecteurs

Envoyez-nous vos réactions, vos réflexions, vos coups de gueule ou de cœur à redaction@jeuneafrique.com ou au 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris.

Nouvelle formule : toujours pas une seule ride APRÈS AVOIR PARCOURU votre nouvelle formule, je voudrais féliciter toute l’équipe de la rédaction et surtout l’infographie pour la qualité exceptionnelle de ce journal. Dorénavant, on peut dire : « Le Jeune Afrique nouveau est arrivé ! » Et, malgré son âge adulte, il vient de prendre, grâce à la magie de la technologie, un coup de jeune. Toujours pas une seule ride. ● JEAN-PIERRE EALE IKABE , Kinshasa, RD Congo

Quelle agréable surprise LECTEUR RÉGULIER de J.A. (que j’achète toutes les semaines), je voudrais encourager BBY et toute son équipe pour le travail exceptionnel d’information qu’ils font, particulièrement sur la crise ivoirienne. Bien sûr, on trouve toujours quelque chose à redire, mais, pour ma part, je crois que votre travail mérite respect et admiration. Ce qui m’emmène à vous écrire, c’est la nouvelle formule du journal. Quand elle a été annoncée,

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Maghreb & Moyen-Orient

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Béji Caïd Essebsi

« La révolution, ce n’est pas la démocratie » Depuis son arrivée au poste de Premier ministre du gouvernement provisoire, les esprits se sont apaisés et le pays s’est progressivement remis au travail. Sa mission : mener à bien la transition en évitant la chasse aux sorcières, tout en veillant à ce que justice soit faite.

Propos recueillis à Tunis par

T

MARWANE BEN YAHMED

unis, fin mars. Hormis quelques chars et blindés qui veillent sur certains édifices publics (ministère de l’Intérieur, ex-siège du RCD, Banque centrale) ou privés (supermarchés, médias),iln’est plus guère designesduchaospostrévolutionnairequ’a connu le pays. Les citoyens ont repris leurs activités – goûtant leur nouvelle liberté –, les grands chantiers d’infrastructures se poursuivent, les terrasses des cafés sont bondées et les embouteillages ont refait leur apparition. Dernier véritable reliquat de la crispation passée, les forces de sécurité – police et armée confondues – stationnent aux abords du Palais de la Casbah, où se trouvent les services du nouveau Premier ministre, Béji Caïd Essebsi.

Nommé le 27 février en remplacement de Mohamed Ghannouchi, démissionnaire, « BCE », comme on l’appelle, nous a reçu dans l’un des salons du palais, qui abritait jadis la chambre du bey, puis le bureaudu ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupa, entre autres fonctions, sous l’ère de feu Habib Bourguiba. Souvenirs… Celui qui a aussi présidé la Chambre des députés pendant un an, au début du règne de Zine el-Abidine Ben Ali, et qui a la lourde charge, aujourd’hui, de conduire une transition à hauts risques nous a accordé un long entretien, malgré un emploi du temps surchargé, n’éludant aucune question et rompant avec lalangue de bois de l’ancien régime. Cet homme de 84 ans a vécu de l’intérieur, et parfois de

p « Nous avons répondu aux attentes de la majorité en décidant l’élection d’une ASSEMBLÉE CONSTITUANTE. »

très près, l’histoire de la Tunisie moderne depuis son indépendance, en 1956. Plus d’un demi-siècle plus tard, il entend bien boucler la boucle et mettre enfin le pays sur les rails de la démocratie. JEUNE AFRIQUE: Depuis votre nomination au poste de Premier ministre, le 27 février, les esprits se sont apaisés. Pourtant, la transition que vous êtes chargé d’assurer manque toujours de lisibilité. Si l’objectif du 24 juillet prochain, date de l’élection de l’Assemblée constituante, est clair, le chemin pour y parvenir l’est beaucoup moins… BÉJI CAÏD ESSEBSI : Il faut bien que

tout le monde ait conscience du fait que la situation actuelle est délicate, bien plus, par exemple, que celle qui prévalait au moment de l’indépendance. Nous sortons

N° 2621 ! DU 3 AU 9 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE

dedeuxdécennies d’unpouvoirobscurantiste. La frustration et l’humiliation subies par le peuple étaient incommensurables. La Cocotte-Minute a explosé, sans encadrement ni leadership. Aujourd’hui, tout déborde : le ressentiment, les espoirs, les attentes… Dans un cadre, rappelons-le, extrêmement dangereux. Les résidus de

la continuité et la pérennité de l’État. Aujourd’hui, il semble que manomination ait ramené la confiance. Mon problème, le défi majeur, est de ne pas la décevoir. Ce qui, justement, serait de nature à rassurer les Tunisiens, c’est un véritable calendrier de mise en œuvre de la

Ma nomination a ramené la confiance. Le défi majeur est de ne pas la décevoir. l’ancien régime préparaient des exactions pour semer le chaos. Cette transition est donc extrêmement difficile à mener, ce qui explique les flottements de l’équipe précédente, à qui je ne jette absolument pas la pierre. Elle a pu commettre des maladresses, mais elle a assuré l’essentiel:

démocratie, des différentes étapes qui y conduisent. Où en est-on ?

J’ai toujours dit que la révolution, ce n’est pas la démocratie. La révolution lui ouvre seulement la porte, comme elle peut d’ailleurs également ouvrir la porte à la pagaille et, peut-être, à l’enterrement

JEUNE AFRIQUE

NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESD

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de cette démocratie. Le plus difficile est donc de mettre en place les conditions de ce processus progressif. Nous avons répondu aux attentes de la majorité de la population en décidant l’élection d’une Assemblée constituante. Nous avons également mis sur pied une commission nationale [l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, NDLR] afin d’étudier la restructuration politique du pays. Elle travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau code électoral. Il y a beaucoup de discussions autour de ce dernier projet. Et compte tenu de la composition de cette commission, dont tout le monde veut être, cela ne se passe pas comme on met une lettre à la poste… Cet éclectisme favorise les points de vue divergents et complique leschoses.Ilyabeaucoupdepalabres, c’est N° 2621 ! DU 3 AU 9 AVRIL 2011

NOUVELLE FORMULE j’ai eu peur que nous n’ayons un remake de L’Intelligent. Mais, au final, ça a été pour moi une agréable surprise ce matin au kiosque. La nouvelle formule est belle, simple, aérée, bien que beaucoup trop colorée à mon goût (mais, des goûts et des couleurs…). J’aime tout particulièrement la rubrique « Culture & médias ». J’ai juste trouvé un peu étrange la présentation de « Confidentiel ». Quoi qu’il en soit, je voudrais vous encourager à aller de l’avant. Bon courage et félicitations ! ● MBALLA ELANGA EDMOND VII , Yaoundé, Cameroun

Ne pas répéter les mêmes erreurs JE SUIS UN LECTEUR ASSIDU de J.A. depuis une vingtaine d’années. Je suis loin d’approuver toutes les prises de position de votre magazine, notamment en raison, parfois, de votre trop grande clémence à l’égard de certains régimes dirigés par des oligarques cleptomanes. Je me permets donc de vous féliciter pour la clairvoyance et le courage avec lesquels vous soutenez le printemps arabe et l’intervention de la coalition en Libye. En tant que démocrate, très lié à l’Afrique par mon épouse, j’ai du mal à comprendre que des intellectuels africains et européens volent au secours du pire des criminels qui aient dirigé un pays depuis Hitler et Idi Amin Dada. Fallait-il répéter l’erreur du Rwanda, où la communauté internationale a laissé un régime criminel massacrer entre 500 000 et 1 million de ses administrés ? La liberté, le bien-être économique et la dignité sont des droits universels auxquels tous les hommes peuvent prétendre. Peut-être que le prix du pétrole pourra monter si les peuples de ces pays reprennent leur sort en main. Tant mieux ! Ainsi les nantis participeront à la naissance de régimes

MAURITANIE : POUR UNE RÉVOLUTION DU RÂTEAU À ROSSO SACHETS DETHÉ VERT. Couches-culottes usagées. Paquets de cigarettes. Sachets de couscous. Os de mouton et de poulet. Grande variété d’emballages. Préservatifs… Voilà ce qu’on trouve, entre autres ordures, dans les rues de Rosso, ville du sud de la Mauritanie. Pis, même à Escale, le quartier administratif. Toute cette saleté est l’œuvre de riverains ou de passants. Pour que la propreté devienne une notion universelle, elle doit commencer dans les maisons, et tout le monde doit s’impliquer. C’est une question de salubrité publique. Et pas seulement un problème concernant la mairie. Une promenade dans des quartiers comme Escale, Médine, N’Diourbel, Satara suffit pour convaincre les sceptiques. Si nous n’y prenons garde, nous finirons par être bientôt envahis par les immondices que l’on dépose partout sans une once de remords. Estimons-nous heureux de ne pas encore être victimes d’épidémies comme le choléra. Arrivé à Rosso il y a cinq mois, son état d’insalubrité m’a poussé à tenter quelque chose, en commençant par N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

Escale, dans ma rue. Un matin, j’ai pris râteaux et brouette, aidé par Ousmane, un Mauritanien, etThomas, un Sénégalais. Je suis moi-même nigérian. J’ai vu de l’hostilité, voire de l’antipathie et du dédain, dans certains regards. Dans d’autres, il y avait une sorte de sympathie, liée au fait de voir un étranger prendre une telle initiative. Mon souhait le plus profond est de voir une répercussion générale positive qui puisse conduire à un changement des comportements. Les gens doivent arriver à ne plus jeter n’importe quoi n’importe où. Ils doivent prendre l’engagement de ramasser tout ce qui doit aller à la poubelle afin de le mettre dans un dépotoir commun. Si chaque famille pouvait nettoyer devant chez elle, ne serait-ce qu’une fois par mois, Rosso serait alors la ville la plus propre du pays. Unissons nos efforts pour travailler dans ce sens. N’attendons pas une révolution du jasmin pour que les choses puissent changer. Une révolution du râteau contre la saleté suffit. ● CLÉMENT EMEFU, Rosso, Mauritanie JEUNE AFRIQUE


Vous nous

démocratiques dont la population ne sera plus obligée de risquer sa vie sur des embarcations de fortune pour rejoindre le prétendu eldorado européen. Gloire aux peuples arabes qui se battent à mains nues contre leurs dictateurs ! Honte aux intellectuels qui n’apportent pas leur soutien à ce mouvement historique ! Et bravo à J.A. et à son fondateur ! ● JEAN-PIERRE PIRONNET

Tunisie : sauvegarder le patrimoine LA TUNISIE respire actuellement un air de liberté grâce à la révolution réussie d’un peuple qui a connu plus de vingt ans de dictature. Guide touristique depuis une quarantaine d’années, je côtoie ceux qui visitent les différents sites archéologiques du pays. Nous devons être fiers de notre passé glorieux et éviter que nos vestiges ne soient pillés. Beaucoup de nos monuments sont négligés et laissent à désirer. Il est temps de mettre fin à certaines constructions qui ne font que détruire nos joyaux et notre riche histoire. ● AKERMI TAÏEB , Gafsa, Tunisie

Révolution(s) arabe(s) : équinoxes et paradoxes LA RUE est un espace révolutionnaire, comme le démontre ce qui s’est passé et se passe encore à Tunis, au Caire, à Tripoli, à Sanaa, pour ne citer que les villes-capitales. À première vue, la rue paraît inorganisée : est-elle toujours contrôlée par des forces désordonnées ? Tous les processus révolutionnaires qui se sont déroulés récemment sous nos yeux ont fini par aboutir lorsque la jonction de la rue (force inorganisée) et de l’armée (force organisée) a été réalisée. Aller vers des élections « libres et démocratiques » consisterait

à organiser sous l’œil vigilant de l’armée le passage de témoin entre la rue « inorganisée » et les partis politiques qui ont brillé par leur inorganisation et n’ont pas assuré la direction politique des événements. Les lois de la démocratie sont-elles immuables sous tous les cieux ? Un homme seul – le président de la République – peut-il conduire son peuple vers la satisfaction de ses besoins dans un premier temps et vers le « bonheur » dans un deuxième ? La démocratie et ses formes multiples doivent être interrogées, et les leçons de la rue assimilées. ● MÉBÉVÉ , Paris, France

De la franc-maçonnerie au Maghreb DANS VOTRE DERNIER NUMÉRO (J.A. n° 2621), vous affirmez que la ENQUÊT E franc-maçonnerie est Ces fr qui vo ancs-maç ons apparue au Maghreb gouve us rnent avec la colonisation. Vous vous trompez de siècle. En effet, les premiers francs-maçons se sont manifestés en Tunisie en 1787. Dans la première loge, reconnue en 1812, on comptait déjà cinq Tunisiens musulmans. Un an avant le protectorat, c’est-à-dire en 1880, les différentes loges comprenaient 200 membres. Ces informations se trouvent dans l’article intitulé « La naissance de la francmaçonnerie dans la Tunisie précoloniale », de Laroussi Mizouri, l’actuel ministre des Affaires religieuses. Il a été publié dans le numéro 173 de la revue IBLA, en 1994. ● TUNISIE «

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JEAN FONTAINE , La Marsa, Tunisie

Réponse : Merci à Jean Fontaine pour les précisions qu’il apporte.

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Guérir la Côte d’Ivoire LA GUERRE ABSURDE provoquée par Gbagbo du fait de sa mauvaise foi vient de prendre fin. Le chef de l’État sortant a perdu sur tous les fronts face à son rival Alassane Ouattara. Il a d’abord perdu les élections. Ensuite, il a montré à son peuple qu’il ne l’aimait pas, en voulant s’accrocher à tout prix au pouvoir, malgré les centaines de victimes. Enfin, il a perdu la guerre, ce qui devrait l’affaiblir pour l’avenir. Aujourd’hui, le pays compte ses morts, soigne ses blessés et pense enfin à son avenir. Pour le président Ouattara, le plus difficile commence, car Gbagbo a réussi à lui laisser une Côte d’Ivoire « malade ». C’était son objectif lorsqu’il s’est accroché à un pouvoir qui lui avait échappé démocratiquement. éc Ouattara doit maintenant réconcilier tous les Ivoiriens. Il doit leur donner l’envie de vivre, d’étudier et de travailler main dans la main pour le pays et un avenir meilleur. Il doit apporter les remèdes qui lui font défaut depuis plus de dix ans. Nous dé avons besoin de paix, av de justice, d’égalité, de liberté et d’amour. Ouattara doit éviter de commettre les mêmes erreurs que Gbagbo, car les mêmes causes produisent les mêmes effets. ● SANOGO YANOURGA

Rectificatif Une erreur s’est glissée dans la dernière édition de J.A. (n° 2621, du 3 au 9 avril) à la page 26. Il fallait bien sûr comprendre que l’investissement que devait réaliser la chanteuse américaine Madonna dans une école de jeunes filles au Malawi s’élevait à 15 millions de dollars (et non pas 15 milliards de dollars comme indiqué). Nous prions nos lecteurs de bien vouloir nous excuser.

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Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51e année) Édité par SIFIJA Siège social : 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 PARIS Tél. : 01 44 30 19 60 ; Télécopieurs : rédaction 01 45 20 09 69 ; ventes : 01 45 20 09 67 ; Courriel : redaction@jeuneafrique.com DIRECTION Directeur de la publication : BÉCHIR BEN YAHMED (bby@jeuneafrique.com) Directeur général : Danielle Ben Yahmed Vice-présidents: Aldo de Silva, Danielle Ben Yahmed, François Soudan, Amir Ben Yahmed Actionnaire principal : Béchir Ben Yahmed

Des Pygmées et des Bantu

RÉDACTION Directeur de la rédaction : François Soudan Directeurs exécutifs : Marwane Ben Yahmed, Amir Ben Yahmed

A

U COURS DE LA SECONDE QUINZAINE DE MARS, j’ai participé au Forum international sur les peuples autochtones d’Afrique centrale (Fipac), une initiative du ministère du Développement durable, de l’Économie forestière et de l’Environnement du Congo-Brazzaville. C’était à Impfondo, dans l’extrême nord-est du pays. Impfondo, c’est la forêt, le fleuve Oubangui (Ubangi) en plein étiage qui coule à ses pieds, trente mille âmes, trois taxis, quatre minibus, une armée de mototaxis. C’est deux ânes, deux vrais ânes resplendissants de santé, qui font un sit-in quotidien devant le siège local du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et zéro internet.

« Autochtone » est une terminologie culturellement correcte adoptée par l’Unesco pour désigner les Pygmées. Mais moi, Muntu (singulier de Bantu), ne suis-je pas autochtone en Afrique centrale? Non, me dit-on, car mes ancêtres les Bantu sont venus de loin occuper les terres des pauvres Pygmées. Bigre, alors ! Depuis, les Pygmées, pardon, les autochtones, subissent notre loi. Je réalise que le mot « Bantu » est discriminatoire. Dans ma langue maternelle, le tshiluba, il signifie « les êtres humains ». Les autochtones le sont-ils? S’ils l’étaient, on les appellerait « Bantu ». Comme moi ! Alors, vous demandez-vous, comment distinguer un Muntu d’un autochtone ? Facile : le premier est grand, le second, petit. Sauf que personne n’a jamais qualifié de « pygmée » ce président très connu, haut comme trois pommes, qui a dirigé longtemps un pays d’Afrique centrale !

Rédactrice en chef déléguée : Élise Colette Rédacteur en chef technique : Laurent Giraud-Coudière Directeur artistique : Zigor Hernandorena Conseillers de la direction de la rédaction : Hamid Barrada, Abdelaziz Barrouhi (à Tunis), Aldo de Silva, Dominique Mataillet, Renaud de Rochebrune Secrétariat : Chantal Lossou, Joëlle Bouzignac Chefs de section : Joséphine Dedet (La semaine de J.A.), Philippe Perdrix (Grand angle), Anne Kappès-Grangé (Afrique subsaharienne), Tarek Moussa (Maghreb & Moyen-Orient), Jean-Michel Aubriet (Europe, Amériques, Asie), Cécile Manciaux (Le Plus de J.A.), Jean-Michel Meyer (Économie), Séverine Kodjo-Grandvaux (Culture & Médias), Tshitenge Lubabu M.K. (Vous & Nous) Rédaction: Pascal Airault, Stéphane Ballong, Tirthankar Chanda, Julien Clémençot, Constance Desloire, Georges Dougueli, Christophe Le Bec, Nicolas Marmié (à Rabat), Marianne Meunier, Nicolas Michel, Fabien Mollon, Pierre-François Naudé, Ophélie Négros, Cherif Ouazani, Michael Pauron, Laurent de Saint Périer, Leïla Slimani, Justine Spiegel, Cécile Sow (à Dakar), Fawzia Zouari; collaborateurs: Edmond Bertrand, Christophe Boisbouvier, Muriel Devey, André Lewin, Patrick Seale, Cheikh Yérim Seck; accords spéciaux: Financial Times RÉALISATION Maquette: Émeric Thérond (conception graphique, premier maquettiste), Christophe Chauvin, Stéphanie Creuzé, Valérie Olivier; révision: Nathalie Bedjoudjou (chef de service), Vladimir Pol; fabrication: Philippe Martin (chef de service), Christian Kasongo; service photo: Dan Torres (directrice photo), Nathalie Clavé, Vincent Fournier, Claire Vattebled; documentation: Anita Corthier (chef de service), Sylvie Fournier, Florence Turenne, Angéline Veyret JEUNEAFRIQUE.COM Responsable éditoriale : Élise Colette, avec Pierre-François Naudé ; responsable web : Jean-Marie Miny ; rédaction et studio : Cristina Bautista, Haikel Ben Hmida, Pierre Boisselet, Maxime Pierdet, Lauranne Provenzano VENTES ET ABONNEMENTS Directeur marketing et diffusion : Philippe Saül ; marketing et communication : Patrick Ifonge ; ventes au numéro : Sandra Drouet, Caroline Rousseau ; abonnements : Céline Champeval avec: COM&COM, Groupe Jeune Afrique 18-20, avenue Édouard-Herriot, 92350 Le Plessis-Robinson. Tél. : 33 1 40 94 22 22 ; Fax : 33 1 40 94 22 32. Courriel : jeuneafrique@cometcom.fr ●

Beaucoup de Bantu possèdent leurs autochtones taillables et corvéables à merci. Lorsque ces derniers récoltent du manioc dans un champ de 1 hectare, ils touchent 3 500 F CFA. Si ce n’est pas du servage, c’est quoi ? « Non, affirme un patron, ils mentent. Je paie 45 000 F CFA l’hectare. S’il y a dix ouvriers, je donne combien à chacun ? » Bon, je ne suis pas doué en calcul, mais tout de même ! Les Bantu se tapent des pépées autochtones, alors que les petits hommes de la forêt ne peuvent flirter avec des gonzesses bantu. On dit qu’ils sont fourbes, qu’ils ne vous regardent jamais dans les yeux lorsqu’ils vous parlent. Fadaises : ils m’ont bien regardé dans les yeux, même si, je le reconnais, c’était de bas en haut. Si vous demandez son âge à un autochtone, il vous répondra qu’il n’en sait rien. Pour le savoir, les Bantu ont inventé une méthode originale : ils regardent sous l’aisselle de l’intéressé. S’il y a des poils, ils lui donnent l’âge qui correspondrait à celui des poils! Pourtant, les Bantu ont beaucoup à apprendre des autochtones, qui ne détruisent ni la faune ni la flore. Ils n’ont jamais fait de coup d’État, ces illettrés, ni de guerre civile. Ils peuvent empêcher la pluie de tomber. Leur pharmacopée résout tous les problèmes d’hémorroïdes et d’érection. Bon, les Bantu me diront que le Congo-Brazzaville a promulgué cette année une loi sur les droits des autochtones. Que trois sénateurs et trois députés pygmées sont au Parlement burundais, que le Rwanda a aussi un sénateur autochtone. Bantu, forts en gueule, vous devriez avoir honte : ce n’est pas assez ! ● N O 2622 • DU 10 AU 16 AVRIL 2011

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S.A. au capital de 3 millions d’euros – Régie publicitaire centrale de SIFIJA 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél. : 01 44 30 19 60 Fax : 01 45 20 08 23/01 44 30 19 86. Courriel : difcom@jeuneafrique.com

Président-directeur général : Danielle Ben Yahmed ; directeur général adjoint : Amir Ben Yahmed ; direction centrale : Christine Duclos ; secrétariat : Chantal Bouillet ; gestion et recouvrement : Pascaline Brémond ; service technique et administratif : Chrystel Carrière, Mohamed Diaf RÉGIES Directeur de publicité : Florian Serfaty avec Catherine Weliachew (directrice de clientèle), Sophie Arnould et Myriam Bouchet (chefs de publicité), assistés de Patricia Malhaire ; annonces classées : Fabienne Lefebvre, assistée de Sylvie Largillière COMMUNICATION ET RELATIONS EXTÉRIEURES Directeur général : Danielle Ben Yahmed ; directrice adjointe : Myriam Karbal ; chargés de mission : Balla Moussa Keita, Nisrine Batata, Mengchao Yang, Calice Manoharan REPRÉSENTATIONS EXTÉRIEURES MAROC SIFIJA, NABILA BERRADA. Centre commercial Paranfa, Aïn Diab, Casablanca. Tél. : (212) (5) 22 39 04 54 Fax : (212) (5) 22 39 07 16. TUNISIE SAPCOM, M. ABOUDI. 15-17, rue du 18-Janvier-1952, 1001 Tunis. Tél. : (216) 71 331 244 ; Fax : (216) 71 353 522. SOCIÉTÉ INTERNATIONALE DE FINANCEMENT ET D’INVESTISSEMENT

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Gérant commandité: Béchir Ben Yahmed; vice-présidents: Aldo de Silva, Danielle Ben Yahmed, François Soudan, Amir Ben Yahmed Directeur général adjoint: Jean-Baptiste Aubriot; secrétariat: Dominique Rouillon; finances, comptabilité: Monique Éverard et Fatiha Maloum-Abtouche; juridique, administration et ressources humaines: Sylvie Vogel, avec Karine Deniau (services généraux) et Delphine Eyraud (ressources humaines); Club des actionnaires: Dominique Rouillon IMPRIMEUR SIEP - FRANCE. COMMISSION PARITAIRE: 1011C80822. DÉPÔT LÉGAL: AVRIL 2011. ISSN 1950-1285. Ce numéro s’accompagne d’un encart abonnement sur une partie de la diffusion.



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