CÔTE D’IVOIRE ABIDJAN 3.0
SPÉCIAL 25 PAGES
NO 3106 – NOVEMBRE 2021
MÉMOIRES DE BBY Autoportrait à l’encre verte
GOLFE MBZ, MBS, Tamim : la (nouvelle) guerre des trois
INTERVIEW MOHAMED BAZOUM «Les dirigeants maliens ont tout intérêt à nous écouter »
Les hommes de l’ombre de l’État hébreu en Afrique
3’:HIKLTD=[U\^U^:?n@b@a@q@a";
ISRAËL CONNECTION
M 01936 - 3106 - F: 7,90 E - RD
RENSEIGNEMENT, ÉCOUTES, DÉFENSE, BUSINESS…
JEUNE AFRIQUE MEDIA GROUPE
Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Burundi 25 000 BIF • Canada 12,99 $CAN • Espagne 9 € France 7,90 € • Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Mauritanie 200 MRU • Pays-Bas 9,20 € • Portugal 9 € RD Congo 10 USD • Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TDN TOM 1 000 XPF • Zone CFA 4 800 F CFA • ISSN 1950-1285
RD CONGO Pour qui votent les religieux ?
www.jeuneafrique.com
L’édito
Marwane Ben Yahmed @marwaneBY
Zemmour et nous
O
n ne parle que de lui. C’est même l’overdose. Presse écrite, radios, chaînes d’info, débats télévisés, réseaux sociaux, rencontres littéraires aux allures de meetings électoraux, sondages… Le polémiste d’extrême droite Éric Zemmour n’est toujours pas officiellement candidat à la présidentielle française, n’a ni parti ni programme, et dénonce la censure dont il ferait l’objet, alors qu’il ne se passe pas un jour sans qu’on parle de lui ou qu’on lui tende un micro. Jusqu’à la nausée. L’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot, immense bestseller, accapare les médias et impose ses thèmes de prédilection, qui ne figurent pourtant pas au premier rang des préoccupations de ses concitoyens et qu’il ressasse en boucle. La phobie des immigrés, des musulmans, des femmes, des homosexuels. La thèse du « grand remplacement » chère à Renaud Camus, le « choc des civilisations » théorisé par Samuel Huntington, mais aussi le déclin de la France et, plus largement, de l’Occident chrétien. Le chantre du « tout fout le camp », nostalgique des années 1960-1970, friand de saillies et de dérapages volontaires, débite la même logorrhée depuis des lustres. Sauf que, désormais, le (futur) candidat à la présidentielle rencontre un tout autre écho que l’ex-journaliste et chroniqueur télé.
Comment expliquer un tel emballement autour de ce personnage pourtant guère charismatique? À l’évidence, cet ersatz de Jean-Marie Le Pen au physique de mustélidé a su trouver son public. Le néopopuliste séduit, voire captive son auditoire. Il parle sans artifice, étale son érudition – il cite un grand auteur ou un personnage historique français à chaque tirade –, déclame son amour inconditionnel et absolu de la patrie. Se présente, à la manière d’un Trump, comme le héraut du pays réel, celui qui défend les ouvriers, les déclassés. Il entend raviver la flamme de la France éternelle. Et dénonce le culte de l’argent, le consumérisme, le multiculturalisme, le féminisme, la mondialisation et le « politiquement correct ». Surtout, il échappe à la vindicte qui frappe les élites politiques, car il n’est pas coulé dans ce moule-là. Ce n’est pas son métier. En revanche, c’est sa formation : il connaît tous les acteurs pour les avoir observés – et fréquentés – pendant trois décennies. Son mantra : hors de SA France – celle qu’il résume
Au-delà des remugles qu’exhale son discours il dit n’importe quoi.
à Jeanne d’Arc, Richelieu, Colbert, Napoléon, Pétain et de Gaulle, où les immigrés étaient italiens ou espagnols (donc blancs et catholiques), où les femmes restaient bien sagement dans leur cuisine –, point de salut. La désagrégation du mâle blanc dominant, soumis aux assauts incessants de hordes de barbares musulmans le cimeterre entre les dents, vaut bien une messe. Zemmour en politique, c’est donc un sacerdoce. Voire… Le problème, et il est de taille, c’est qu’au-delà des remugles qu’exhale son discours il dit n’importe quoi. Obsédé par la « vague migratoire qui submerge la France », il ne recule devant aucune outrance pour étayer son propos. « En France, tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration : école, logement, chômage, déficits sociaux, dette publique, ordre, prisons, hôpitaux, drogue. Et tous nos problèmes aggravés par l’immigration sont aggravés par l’islam. C’est la double peine », n’hésite-t-il pas à marteler pour résumer sa pensée. Autre énormité, proférée sur CNews en octobre 2020 : « Il n’y a pas de juste milieu, il faut que ces jeunes, le reste de l’immigration, ne viennent plus. Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont! » Là, le Rubicon de l’indécence est franchi. Ce qui a valu à la chaîne d’être épinglée par le JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
3
L’ÉDITO Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui l’a condamnée à verser une amende de 200000 euros. Pour Zemmour, les immigrés – c’est-à-dire les Noirs et les Arabes – sont soit des profiteurs, soit des voleurs, soit les deux. Surtout, leur nombre est insupportable. Pourtant, la France ne compte que 12,7 % de personnes nées hors de ses frontières – ce qui la situe dans la moyenne européenne – et 7,6 % d’étrangers, moins qu’en Belgique, en Allemagne ou en Espagne. Zemmour « invente » un flux de 400000 immigrés qui pénétreraient chaque année en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron, alors qu’ils ne sont en réalité, en tenant compte du solde migratoire, que 139000 (chiffres Insee). Il voit des Africains – maghrébins et subsahariens – partout, alors que les natifs du continent ne représentent que 41 % des immigrés arrivés en France en 2019 (contre 31,9 % nés en Europe, 16,2 % en Asie et 10,9 % en Amérique ou en Océanie). Et il ne décrit qu’une population de délinquants analphabètes, alors que la moitié des personnes de plus de 15 ans qui arrivent sur le territoire français sont diplômées du supérieur. Last but not least, tous sont bien évidemment des musulmans fanatiques. Oubliant qu’on peut être de culture musulmane mais non pratiquant, agnostique, athée, etc. Ou croyant et pratiquant tout en étant respectueux des lois de la République et de ses semblables. C’est même le cas de l’immense majorité des musulmans vivant en France. Majorité dont Zemmour ne parle jamais, à dessein. Ces millions d’hommes et de femmes qui ne s’appellent ni Éric, ni Marie, ni, a fortiori, Cunégonde ou Tancrède, Français de « branche » et non de « souche », et qui, pourtant, sont citoyens de ce pays, étudient, travaillent, respectent le code civil, paient leurs impôts, vivent en toute tranquillité et réprouvent toute instrumentalisation politique de l’islam. Ils sont médecins, avocats, ouvriers, employés, cuisiniers, chefs d’entreprise, chercheurs, livreurs, chauffeurs, cadres… Zemmour n’a pas compris que c’est hors de cette France-là qu’il
4
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
n’y a point de salut. Que la France dont il rêve chaque nuit n’existe plus (si tant est qu’elle ait jamais existé), que la « restauration » qu’il appelle de ses vœux est une chimère. Que sa croisade contre un islam fantasmé, qu’il réduit – rejoignant en cela les jihadistes! – au seul fondamentalisme d’inspiration wahhabite, pourtant très minoritaire au sein d’une religion à laquelle il ne comprend visiblement rien, comme l’attestent ses « exégèses » réductrices et tronquées du Coran, ne peut que rappeler l’insondable bêtise des néoconservateurs américains incarnée par George W. Bush en son temps. Zemmour, qui s’inspire de journalistes et écrivains très à droite mais autrement plus talentueux, comme Charles Maurras, Maurice Barrès ou Jacques Bainville, existe parce qu’il dérange, fait de l’audience et propose le « fast-food » de la pensée politique (nostalgie, rejet, critique). C’est dans l’air du temps… Il a su, il faut lui reconnaître ce talent, creuser son propre sillon dans un champ en jachère, patiemment. D’abord en sévissant à la télé plutôt que dans la presse écrite. En privilégiant les supports grand public aux colonnes peu accessibles d’un quotidien. Puis en s’appropriant le thème du déclinisme et en construisant méthodiquement son rôle de « résistant » et son statut de victime d’« élites corrompues » qui tentent par tous les moyens de le bâillonner. Et, enfin, en investissant le champ politique. Sa méthode est simple, voire simpliste : faire peur tout en rassurant son auditoire en étalant sa « culture », en serinant que lui seul parle vrai et peut sauver la France. Le repli sur soi face aux affres de l’altérité. Une réussite personnelle indéniable. Mais son ascension doit nous inciter à la décortiquer. D’abord parce que ses propos sont affligeants mais n’en suscitent pas moins une adhésion certaine. Ensuite, et c’est encore plus préoccupant, parce que le phénomène Zemmour est surtout le corollaire de la médiocrité actuelle de la classe politique française, mais aussi d’un système à bout de souffle. La nature a horreur du vide, disait Aristote. Est-ce une raison pour le remplir de fiel?
Humour et sagesse Pour réfléchir ou sourire, chaque mois, notre sélection des citations les plus marquantes, les plus intelligentes ou les plus drôles. M.B.Y.
Dans tous les cas, mariez-vous. Si vous tombez sur une bonne épouse, vous serez heureux, si vous tombez sur une mauvaise épouse, vous serez philosophe. Ce qui est excellent pour l’homme. Socrate Le problème avec le monde, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes, alors que les imbéciles sont pleins de certitudes. Charles Bukowski
Un moment de patience dans un moment de colère empêche mille moments de regrets. Ali Ibn Abou Talib Le succès n’est pas la clé du bonheur. Le bonheur est la clé du succès. Si vous aimez ce que vous faites, vous réussirez. Albert Schweitzer L’homme jeune marche plus vite que l’ancien. Mais l’ancien connaît la route. Proverbe africain
Maîtriser les autres, c’est la force, se maîtriser soi-même, c’est le vrai pouvoir. Lao Tseu
Le fruit de mon travail est réinvesti dans mon pays.
SC BTL-07/21 - Crédits photos : © Patrick Sordoillet.
PATRICK ZEBIHI DIRECTEUR DES OPÉRATIONS
INVESTIR
plus
POUR CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT LOCAL
Avec 250 millions d’euros par an d’investissements dans des infrastructures de qualité, nous sommes fiers de participer au développement économique et social de nos pays d’implantation. Nous créons des emplois, formons nos collaborateurs et veillons au bien-être des populations riveraines. Notre engagement s’inscrit sur le long terme.
N O U S FA ISONS BIEN
plus
QUE DU T RA N SPO RT ET D E LA LO G I ST I Q UE
Dans Jeune Afrique et nulle part ailleurs
SOMMAIRE 03
L’édito Marwane Ben Yahmed
PREMIER PLAN 08 12 14 16
18 20 22
24 26 28
L’homme du mois Mohamed Mbougar Sarr Dix choses à savoir sur… Najla Bouden Le match Emmanuel Macron vs Abdelmadjid Tebboune Le jour où… Bozizé a offert un second mandat à Touadéra, par Anicet-Georges Dologuélé L’actu vue par… Cheikh Fall L’œil de Glez D’un vaccin l’autre Le dessous des cartes Chine-Afrique : 40 milliards de dette cachée
60
Partis pris Alpha Condé, la grenade et le légionnaire, par François Soudan Dérapages contrôlés, par Joël Té-Léssia Assoko Pédocriminalité : le silence coupable du clergé africain, par Ludovic Lado
86 POLITIQUE 60
LA GRANDE INTERVIEW 30
Mohamed Bazoum Chef de l’État nigérien
64 70
ENQUÊTE 44
Sécurité Israël connection
74 80
6
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Mali Choguel Maïga, même pas peur RD Congo Dieu tout-puissant Côte d’Ivoire Guillaume Soro, l’impossible retour ? Un lieu, une histoire Nkandla, la terre où Zuma est roi Sénégal Le dernier combat des Wade
84
86 94 98
Tribune Sommet Afrique-France : Macron est-il allé trop loin ?, par Mehdi Ba Maroc Makhzen, mode d’emploi Tunisie Kaïs Saïed, francophone réfractaire Golfe MBS, MBZ, Tamim : la guerre des trois
114 OBJECTIF Afrique centrale
CULTURE
102 Des progrès à pas comptés
160 Mémoires de Béchir Ben Yahmed Autoportrait à l’encre verte 168 Littérature Abdulrazak Gurnah, Nobel sans frontières
INTERNATIONAL 114 Espagne-Afrique
ÉCONOMIE 126 FMI Les habits neufs du Fonds 134 Hydrocarbures La galaxie de Claudio Descalzi 136 Transport aérien Heureux comme Air France-KLM dans le ciel africain 138 Industrie Dessine-moi une ZES 141 Mozambique Qui peut sauver le Cabo Delgado? 144 Wave Mobile Money Aux sources d’une déferlante ouest-africaine
DOSSIER 146 Télécoms
PHOTOS COUVERTURE : ISRAEL CONNECTION : NAZARIO GRAZIANO/COLAGÈNE; MOHAMED BAZOUM : VINCENT FOURNIER POUR JA; MAROC : BRAVO-ANA/ONLY WORLD/ONLY FRANCE VIA AFP
Fondateur: Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par Jeune Afrique Media Group Siège social: 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel: redaction@jeuneafrique.com Directeur général: Amir Ben Yahmed Vice-présidents: Danielle Ben Yahmed, François Soudan Directeur de la publication: Marwane Ben Yahmed mby@jeuneafrique.com Directeur de la rédaction: François Soudan f.soudan@jeuneafrique.com La rédaction et l’équipe de Jeune Afrique sont à retrouver sur www.jeuneafrique.com/qui-sommes-nous/ Diffusion et abonnements Ventes: +33 (0)1 44 30 18 23 Abonnements: Service abonnements Jeune Afrique, 235 avenue le Jour se Lève 92100 Boulogne Billancourt Tél.: +33 (0)1 44 70 14 74 Courriel: abonnement-ja@jeuneafrique.com Communication et publicité DIFCOM (Agence internationale pour la diffusion de la communication) S.A. au capital de 1,3 million d’euros Régie publicitaire centrale de Jeune Afrique Media Group 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 08 23 +33 (0)1 44 30 19 86 Courriel: regie@jeuneafrique.com
Imprimeur: Siep – France Commission paritaire: 1026 D 80822 Dépôt légal: à parution ISSN 1950-1285
Abonnez-vous à GRAND FORMAT 171 Abidjan Capitale 3.0
JEUNE AFRIQUE & VOUS 223 Le tour de la question 224 Ce jour-là… 226 Post-Scriptum
Découvrez toutes nos offres d’abonnement sur
jeuneafrique.com ou contactez-nous au +33 (0)1 44701474
PREMIER PLAN L’homme du mois
Mohamed Mbougar Sarr La fiction et la vie Salué par la critique, cent ans après l’attribution du prix Goncourt à René Maran, le nouveau roman de l’auteur sénégalais est un superbe éloge de l’existence.
I
l y a une douce ironie dans le sacre littéraire et médiatique du jeune Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (31 ans) en cette rentrée littéraire 2021. Son nouvel opus est en effet tout entier construit autour d’une tragique histoire restée dans les annales : la fascinante trajectoire de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, Prix Renaudot en 1968 pour Le Devoir de violence, avant que des accusations de plagiat viennent entraver une carrière extrêmement prometteuse dans le monde des lettres et le poussent à s’effacer de la scène, jusqu’à sa mort, le 14 octobre 2017, à Sévaré. Après trois romans remarqués – Terre ceinte, Le Silence du chœur et De purs hommes –, Mbougar Sarr a imposé son tempo à la rentrée littéraire française avec La Plus Secrète Mémoire des hommes, roman « total » dédié à Yambo Ouologuem et placé sous les mânes du poète chilien Roberto Bolaño. « Bolaño a eu une influence majeure, capitale pour l’écriture de ce texte, confie le jeune auteur sénégalais, lecteur précis et compulsif. Il m’a permis de mêler les genres, de jouer avec, en suivant un principe ludique d’hybridation et de fragmentation de la linéarité. Il a ouvert un champ d’expérimentation en phase avec le réel que nous vivons, de plus en plus chaotique, troublant, qui correspond à notre façon de naviguer à travers le temps et que l’on parvient pourtant,
8
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
étonnamment, à digérer. » La Plus Secrète Mémoire des hommes suit une trame de roman policier : bouleversé par la lecture du Labyrinthe de l’inhumain, texte devenu introuvable d’un mystérieux T. C. Elimane, l’apprenti écrivain Diégane Latyr Faye se lance dans une longue enquête visant à découvrir qui fut ce sulfureux auteur trop tôt disparu. Cette quête impossible conduit le romancier en devenir au cœur même du labyrinthe de la création, là où s’entremêlent tous les genres : roman initiatique, récit érotique, histoire d’amour, essai philosophique, compte rendu journalistique, poésie, biographie, témoignage, satire, pamphlet politique… « Au fond, qui était Elimane? écrit Mbougar Sarr. Le produit le plus tragique et le plus abouti de la colonisation […]. Elimane voulait devenir blanc et on lui a rappelé que non seulement il ne l’était pas,
La colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux le désir de devenir ce qui les détruit.
mais qu’il ne le deviendrait encore jamais malgré tout son talent. Il a donné tous les gages culturels de la blanchité; on ne l’en a que mieux renvoyé à sa négreur. Il maîtrisait peut-être l’Europe mieux que les Européens. Et où a-t-il fini? Dans l’anonymat, la disparition, l’effacement. Tu le sais : la colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux – et c’est ça sa réussite la plus diabolique – le désir de devenir ce qui les détruit. » On ne saurait mieux condenser, en quelques lignes, le drame de Yambo Ouologuem.
Pas d’exotisme racoleur Mais La Plus Secrète Mémoire des hommes est aussi un long voyage à travers le temps et l’espace qui permet à Mbougar Sarr d’évoquer plusieurs générations d’auteurs issus de différents continents : la sienne, celle d’aujourd’hui, mais aussi celle des premiers auteurs francophones venus d’Afrique (ou des Antilles), les René Maran, Léopold Sédar Senghor et autres, ou de leurs successeurs plus ou moins critiques à l’égard du mouvement de la négritude. Et de remonter encore à d’autres formes de récits, ces mythes, ces secrets, ces non-dits, ces silences propres à toutes les familles. Avec aisance, et surtout avec grâce, Sarr navigue entre les grands textes de la
PHILIPPE MATSAS/LEEMAGE
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
9
Des hauts et des bas
PREMIER PLAN
Vitalité enthousiasmante Humain, trop humain ? Pris dans les rets de ses multiples histoires qui se croisent et s’entrecroisent, Mbougar Sarr pourrait perdre son lecteur dans un roman à clé : ce n’est pas le cas. Certains ne reconnaîtront pas Ken Bugul en Marième Siga D., « une écrivaine sénégalaise d’une soixantaine d’années, que le scandale de chacun de ses livres avait transformée en pythonesse malfaisante, en goule, ou carrément en succube » qui « sauvait la récente production littéraire sénégalaise de l’embaumement pestilentiel des clichés et des phrases exsangues, dévitalisées comme de vieilles dents pourries ». Certains ne se rueront pas, après avoir fini le roman, sur Le Devoir de violence, le livre qui causa la gloire et la perte de Yambo Ouologuem, réédité en 2018 par les éditions du Seuil. Rares sont ceux, enfin, qui iront se renseigner sur le Chilien Roberto Bolaño, auteur du grand roman 2666, alors qu’il se savait condamné. En réalité, peu importe que l’on saisisse ou non les références disséminées çà et là. Malgré sa phénoménale érudition, Mohamed Mbougar Sarr séduit par son empathie, son humour, sa tendresse, sa cruauté parfois, envers des personnages auxquels il accorde le droit et la liberté d’exister par eux-mêmes. Son rapport au lecteur relève de la même attitude. Il l’entraîne, le charme, le maltraite parfois, le
10
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
trompe un peu, joue avec ses nerfs et sa culture, mais ne l’enferme jamais, ne le méprise jamais. Son livre aurait pu s’appeler « Le Labyrinthe de l’humain » tant il propose de rencontres sans jamais perdre le fil de l’essentiel, la vie. Et c’est là la question cruciale que pose La Plus Secrète Mémoire des hommes : où se trouve cette vie ? Entre les mots ou dans les palpitations de la chair ? « Ma vie, comme toute vie, ressemblait à une série d’équations, écrit Diégane Latyr Faye. Une fois leur degré révélé, leurs termes inscrits, leurs inconnues établies et posée leur complexité, que restait-il ? La littérature ; il ne restait jamais que la littérature; l’indécente littérature, comme réponse, comme problème, comme foi, comme honte, comme orgueil, comme vie. » Il serait possible de décortiquer ce roman, de chercher qui se cache derrière tel ou tel personnage comme Yambo Ouologuem semble se cacher derrière T. C. Elimane, mais à quoi bon? Le sel de ce texte, qui n’a pas fini de faire grand bruit, repose, plus que dans sa remarquable virtuosité, dans son enthousiasmante vitalité. Nicolas Michel
La Plus Secrète Mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey, 466 pages, 22 €
Audrey Azoulay Élue en novembre 2017 à la tête de l’Unesco, cette Française d’origine marocaine va être reconduite dans ses fonctions pour un mandat de quatre ans.
José Maria Neves Candidat du parti de la gauche historique au Cap-Vert, l’ex-Premier ministre a remporté la présidentielle dès le premier tour, le 17 octobre.
DE HAUT EN BAS: V. FOURNIER/JA; NAOUFAL SBAOUI; SALVATORE DI NOLFI/AP/SIPA; MATT DUNHAM/AP/SIPA
littérature occidentale et les mondes souvent jugés irrationnels des « légendes » africaines. Sans forcer le trait, sans jouer le jeu d’un exotisme racoleur. Au bout du compte, T. C. Elimane, qui partage bien des points communs avec Yambo Ouologuem – avoir été au centre de vastes polémiques littéraires ou raciales, avoir intensément fréquenté des cercles libertins –, ne se laisse pas saisir, il n’est plus qu’un puzzle de souvenirs épars, présence métaphysique tantôt envahissante tantôt évanescente.
Matshidiso Moeti La directrice Afrique de l’OMS a dû présenter ses excuses après qu’une enquête a dénoncé des viols commis en RD Congo par des membres de l’organisation.
Abdulhamid al-Dabaiba Sous couvert de lutte contre le trafic de drogue, le Premier ministre libyen a organisé une traque de migrants (accompagnée de nombreuses exactions).
29 et 30 noovembr bre re 202 21
2 jours de conférences, de networking et d’ateliers pratiques à Parris et en nd digital Avocats d’affaires Directeurs juridiques Juristes d’État Décideurs publics
ORGA ANISATEURS
www ww w.ev evolex.afrrica info@ev evolex-aafrica.coom
PREMIER PLAN
10 choses à savoir sur…
Najla Bouden À 62 ans, cette parfaite inconnue a été nommée cheffe du gouvernement en Tunisie. Face à un président tout-puissant, cette ingénieure a de nombreux défis à relever.
Originaire de Dar Chaabane, dans le nord-est du pays, son père, Mohamed, a été professeur d’histoire au prestigieux collège Sadiki puis proviseur du lycée Alaoui, à Tunis. Najla Bouden est née et a grandi à Riadh el-Andalous, dans la banlieue de la capitale.
2 Scientifique
Najla Bouden n’a jamais fait de politique. Ingénieure de formation et professeure de géologie et de géophysique, elle a quatre frères et sœurs, tous scientifiques. Salma, l'aînée, est pharmacienne à l’Ariana, une banlieue de la capitale, Asma est pédopsychiatre à l’hôpital Razi de Tunis. L’un de ses frères est vétérinaire, et l’autre travaille dans le secteur agricole.
3 Réseau familial
L’homme d’affaires Radhi Meddeb est l’un de ses cousins. Diplômé de Polytechnique et de l’École des mines, en France, il a fondé en 1987 le groupe Comete, spécialisé dans l’ingénierie et présent dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Volontiers critique sur les politiques économiques entreprises dans son pays, il a une voix qui porte sur ces sujets.
4 Cousine de youtubeur
La véritable star de la famille, c’est son cousin Rabye Bouden. Il commente quotidiennement l’actualité tunisienne sur YouTube. Avec son style direct, il s’est attiré une communauté de fans. Il a plus de 600 000 abonnés sur le réseau social, et certaines de ses vidéos font des millions de
12
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
7 Professeure
vues. Il n’a pas manqué de féliciter sa cousine sur les réseaux sociaux.
5 Discrète
Inconnue du grand public jusqu’à sa nomination, Najla Bouden n’expose rien de sa vie. Il n’y a que sur Twitter que des comptes à son nom existent depuis quelques mois, mais ils ne sont pas certifiés et restent silencieux. On sait seulement que la cheffe du gouvernement est mariée à Kamel Romdhane, un ophtalmologue, et a deux enfants.
6 Parisienne
Elle a étudié en partie en France dans les années 1980. Diplômée de l’École spéciale des travaux publics de Cachan, en 1983, elle a ensuite soutenu une thèse à l’École des mines de Paris sur la fragmentation des roches à l’explosif, en 1987.
JDIDI WASSIM/MEDIALYSIMAGES/SIPA
1 Tunisoise
Comme le président Kaïs Saïed, Najla Bouden est professeure. Elle a enseigné à l’École nationale d’ingénieurs et a formé de nombreux cadres supérieurs de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières. Elle est ensuite passée au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique comme directrice générale de la qualité et chargée de mission de l’ex-ministre Chihed Bouden.
8 Technocrate
Son réseau international s’est créé en 2016 lorsqu’elle est devenue coordonnatrice nationale du projet PromESeE, financé par la Banque mondiale. Principal objectif : moderniser l’enseignement supérieur et renforcer l’employabilité des jeunes. Elle a alors travaillé en coordination avec les universités tunisiennes et les bailleurs de fonds internationaux.
9 Première femme
Najla Bouden est la première femme à devenir cheffe du gouvernement en Tunisie. Néanmoins, elle n’a pas instauré la parité dans son gouvernement : seuls neuf des vingt-cinq postes sont occupés par des femmes.
10 Urgence
Najla Bouden a été nommée alors que depuis deux mois la Tunisie vivait sans chef du gouvernement et toujours sous état d’urgence. Le président, tout-puissant, lui a fixé plusieurs priorités : la lutte contre la corruption, la santé, l’éducation, le transport et la dignité. Camille Lafrance
PREMIER PLAN
Le match
Emmanuel Macron – 43 ans – ATOUT Président sortant, il est le grand favori de la prochaine présidentielle.
REA
HANDICAPS Le recul de l’influence française au Maghreb et dans le Sahel, les non-dits de la colonisation française.
Quand la mémoire joue des tours Fini les relations cordiales : les dirigeants français et algérien ont ressorti l’artillerie lourde. Et ce sont toujours les mêmes sujets qui fâchent…
S
i la vie diplomatique était une compétition de football, le qualificatif de clásico ne serait pas usurpé pour évoquer ce énième duel entre la France et l’Algérie. Et, comme toujours entre ces deux-là, la période de la colonisation et de la guerre d’indépendance constitue la toile de fond de cette crise. Cette fois pourtant, un pas a été franchi dans le choix des mots. Le 30 septembre, lors d’une réception qui réunissait, à l’Élysée, des descendants de participants à la guerre d’indépendance, le président français a dénoncé une « histoire officielle [algérienne] totalement réécrite, qui ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui […] repose sur une haine de la France ». Il a également critiqué la « rente mémorielle » qu’exploite un pouvoir
14
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
algérien qualifié de « système politico-militaire ». Un président français devrait-il dire ça ? Fin rhétoricien, Macron n’ignore pas qu’il jette de l’huile sur un feu déjà bien alimenté, quelques jours plus tôt, par sa décision de réduire de moitié le nombre de visas octroyés aux ressortissants algériens. À l’approche de la présidentielle française, l’objectif de la sortie du chef de l’État est peut-être davantage d’ordre électoral que diplomatique… La réaction algérienne ne s’est pas fait attendre. Un communiqué présidentiel a aussitôt fustigé « une atteinte intolérable à la mémoire des 5 630 000 valeureux martyrs qui ont sacrifié leur vie dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la Glorieuse Révolution de libération nationale ». Il a en outre annoncé le
rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, Mohamed Antar Daoud. Enfin, les avions militaires français se sont vu interdire le survol du territoire algérien. « Nous sommes agressés dans notre chair, dans notre histoire, dans nos martyrs. Nous nous défendons comme nous le pouvons », a justifié Abdelmadjid Tebboune le 10 octobre, lors d’un entretien télévisé.
Pardon aux harkis De son côté, l’Élysée estime avoir été bien mal payé de ses initiatives destinées à solder le différend mémoriel entre les deux pays, une des priorités de la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Alors que ses premiers gestes en ce sens – colonisation qualifiée, pendant la campagne de 2017, de « crime contre l’humanité »; restitution de crânes de combattants
Abdelmadjid Tebboune – 75 ans – ATOUT La question mémorielle entre les deux pays. Elle a le don de fédérer les Algériens, qu’ils soient partisans du pouvoir ou opposants.
SIPA
HANDICAP Les difficultés quotidiennes des Algériens, plus préoccupés par les coupures d’eau que par les règlements de comptes avec Paris.
algériens; reconnaissance de l’assassinat, par l’armée française, du militant indépendantiste Ali Boumendjel – avaient été en leur temps chaleureusement salués à Alger, la communication présidentielle s’inscrit aujourd’hui davantage dans une perspective de réconciliation nationale franco-française. Le 20 septembre, Emmanuel Macron a ainsi demandé pardon aux harkis, reconnaissant que Paris les avait abandonnés en 1962. Une initiative qui ne correspond pas vraiment à ce qu’Alger attend de la « réconciliation des mémoires ». Le 16 octobre, alors que pour la première fois un président français commémorait le massacre du 17 octobre 1961, au cours duquel des dizaines de manifestants algériens ont été tués, à Paris, par la police française, le communiqué élyséen n’a pas reconnu la responsabilité directe de l’État français. La commémoration a même été explicitement destinée à la jeunesse française, « pour qu’elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires ». Si Emmanuel Macron espérait relancer les relations franco-algériennes par le biais du dossier mémoriel, il y a
visiblement renoncé. S’agit-il d’un dérapage contrôlé en vue des échéances électorales, alors que les thèmes de l’identité et de l’immigration font plus que jamais débat dans l’Hexagone? Ou le président français a-t-il tout simplement perdu ses illusions quant à sa capacité à réconcilier enfin les
Le chef de l’État français a-t-il perdu ses illusions quant à sa capacité à réconcilier enfin les deux pays ? deux États? Si Tebboune privilégie la première hypothèse – pour lui, la déclaration de Macron relève d’un discours de « politique intérieure » –, plusieurs épisodes ont douché l’enthousiasme du président français pour la question algérienne. En évoquant la « haine de la
France » entretenue en Algérie, Emmanuel Macron repensait sans doute avec irritation aux propos qu’El-Hachemi Djaâboub, le ministre algérien du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, avait tenus en avril. La France, avait-il lancé, est « l’ennemie éternelle de l’Algérie ». La visite du Premier ministre français, Jean Castex, prévue quelques semaines plus tard, avait été annulée. Dans l’interview qu’il avait accordée à JA il y a près d’un an, Emmanuel Macron avait salué le « courage » d’Abdelmadjid Tebboune, à qui il apportait un chaleureux soutien. De son côté, en juin, le président algérien n’avait pas hésité à faire part de « toute [son] estime » pour son homologue, dans l’hebdomadaire français Le Point. Avant de prévenir : « Si nous n’arrivons pas à jeter des passerelles solides entre les deux pays sous la présidence Macron, cela ne se fera jamais, et nos pays garderont toujours une haine mutuelle. » Il reste donc six mois pour solder près de deux cents ans d’antagonisme. Jihâd Gillon JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
15
PREMIER PLAN
Le jour où…
-M JEAN
… Bozizé a offert un second mandat à Touadéra
ARC PAU PO UR JA
Anicet-Georges Dologuélé En 2020, l'ex-Premier ministre centrafricain pensait pouvoir compter sur le soutien du chef de l'État déchu. Mais leur pacte a volé en éclats, comme le raconte celui qui s'est senti floué.
C
«
e que je retiens, c’est surtout une immense déception. À l’occasion de la présidentielle de 2015-2016, déjà, j’avais sollicité le soutien du Kwa Na Kwa (KNK), la formation de François Bozizé. Le parti me l’avait accordé, mais pas Bozizé en personne, qui avait choisi de soutenir Faustin-Archange Touadéra. Or il était très populaire, et son soutien comptait davantage que celui du KNK. À la présidentielle de 2020, tout le monde a donc voulu se rapprocher de lui… Bien sûr, Bozizé a d’abord essayé de mettre la coalition de l’opposition à son service, créant de facto une compétition feutrée entre lui et moi. Puis sa candidature a été invalidée par la Cour constitutionnelle, ce à quoi nous nous attendions tous. Restait à savoir qui il allait soutenir. Là, il a annoncé qu’il était favorable à une candidature unique de l’opposition, incarnée par un leader qui disposerait déjà d’un électorat. C’était mon portrait-robot. Bozizé m’a donc appelé pour que l’on se rencontre chez lui, à Bossangoa.
16
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Le rendez-vous a eu lieu le 16 décembre 2020. Nous sommes partis très tôt de Bangui. Christian Guénébem, l’un des principaux lieutenants de Bozizé, ouvrait la route. Mon convoi suivait, avec mes affiches de campagne. Sur place, nous avons attendu Bozizé pendant deux heures, sans savoir pourquoi. L’entretien a duré moins de trente minutes. Il m’a dit : “Il y a cinq ans, je ne vous avais pas soutenu comme il se devait et je m’en mords les doigts. Aujourd’hui, vous faites preuve de constance en sollicitant à nouveau le soutien du KNK. Vous l’avez, ainsi que le mien.” Nous nous sommes juste entendus sur le fait qu’il fallait que cette entente soit connue des Centrafricains et diffusée dans les médias. Le lendemain, elle a été rendue publique. En réalité, cela n’est jamais allé plus loin. On n’a jamais signé de véritable accord. Me doutais-je que cette alliance ne serait pas solide? Sur la route de Bossangoa, on avait croisé, dans les villages, des centaines de jeunes anti-Balakas bardés de fusils artisanaux et d’amulettes de protection.
Quel gigantesque gâchis ! Si notre accord avait été mis en œuvre, nous serions aujourd’hui au pouvoir.
J’avais demandé pourquoi, et Bozizé m’avait répondu qu’ils s’étaient autoconstitués pour assurer sa sécurité.
Actes d’intimidation Quand je suis rentré à Bangui et que j’ai entendu parler de la Coalition des patriotes pour le changement [CPC, alliance de rebelles anti-Touadéra], je me suis dit que notre entente était morte. La CPC a « pourri » ma campagne par sa présence dans les principales villes de province. Comme j’étais soucieux de la sécurité de mon équipe, je suis prudemment resté à Bangui. Cela ne m’a pas empêché d’obtenir 31 % des voix au premier tour, score ramené à 21 % sous la pression du pouvoir, pour permettre à Touadéra de se déclarer vainqueur au premier tour. Au travers des actes d’intimidation de la CPC, Bozizé avait empêché le vote, notamment dans l’Ouham, l’Ouham-Pendé et la Ouaka, où je devais réaliser mes meilleurs scores! Ce sont davantage ces actions que l’annonce de son ralliement à la CPC qui m’ont pénalisé. Bozizé avait-il conscience qu’il offrait ainsi un second mandat à Touadéra? Il a cru qu’il retrouverait le pouvoir en s’appuyant sur ceux qui l’avaient fait tomber en 2013. Mais la CPC n’a jamais été en mesure de marcher sur Bangui… Finalement, ce fut un gigantesque gâchis. Si notre accord avait été mis en œuvre, nous serions au pouvoir. Aujourd’hui, on repart de zéro. » Propos recueillis par Mathieu Olivier
PREMIER PLAN
L’actu vue par...
Cheikh Fall « Nos dirigeants doivent nous écouter » Critiqué pour avoir accepté de donner la réplique à Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France, l’activiste sénégalais répond à ses détracteurs.
Craignez-vous une fracture générationnelle en Afrique ? Il existe un véritable fossé entre les exigences de démocratie et de transparence exprimées par la jeunesse africaine et les réponses apportées par ses dirigeants. Qualifieriez-vous le sommet de Montpellier de rupture ? Son format en a déjà la forme. Les actes qui en découleront, les engagements pris, confirmeront ou non qu’il y a vraiment rupture. Les annonces de la France sont encore bien éloignées de nos exigences. Elle doit changer de posture, se montrer moins condescendante, moins paternaliste. Le Fonds pour la démocratie, par exemple, est une bonne idée, mais elle ne doit pas le financer à 100 %. Il y a suffisamment de mécènes sur le continent qui peuvent participer. C’est une question de respect mutuel,
18
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
à l’image de ce que doit être la relation de l’Afrique avec la France. Quelles conséquences a sur cette relation l’arrivée d’autres acteurs (chinois, russes, turcs…) ? La France perd beaucoup de terrain. Pour le continent, c’est un moment important, il s’agit de ne pas répéter les erreurs passées. La définition de nouvelles relations avec de nouveaux pays partenaires doit mettre en avant les intérêts de l’Afrique, en écoutant ses populations. Pour l’instant, nous voyons les Chinois s’emparer des terres, les Russes interférer dans nos processus démocratiques, sans que les Africains aient leur mot à dire. C’est intolérable. Le continent doit s’ouvrir pour se développer, mais dans le respect de ses valeurs, en faisant preuve d’un vrai courage politique et d’une vision à long terme, fondée sur la transparence et la planification en matière de coopération. Ne craignez-vous pas un décalage entre les activistes africains « 2.0 », que vous symbolisez, et la jeunesse ? Nous sommes la partie de la population qui accepte de parler, de s’engager, en dehors de son salon. Celle qui se confronte à l’exercice citoyen de la parole libre. Il n’existe aucun décalage, aucune friction. L’activiste est aujourd’hui le mieux indiqué pour porter la voix d’une population dont il partage les mêmes difficultés au quotidien. Olivier Caslin
CF
Jeune Afrique : N’avez-vous pas craint d’être otage de l’agenda d’Emmanuel Macron en vue de la présidentielle française? Cheikh Fall : Nous n’étions pas venus en France pour faire de la politique française, mais pour nous faire entendre. Il fallait profiter de cette tribune très médiatisée pour porter un message radical. Paris s’est engagé à nous écouter et l’a fait. Ma préoccupation porte maintenant sur la réaction des responsables politiques africains. J’espère qu’à leur tour ils sauront écouter ce que les Africains ont à leur dire.
© WatotoWasoka
COMMUNIQUÉ
Sport en Commun, la plateforme panafricaine du sport comme levier de développement économique et social La plateforme Sport en Commun a partagé son bilan lors du Sommet Afrique-France un an après son lancement.
Véritable trait d’union entre financements et porteurs de projets, elle s’impose comme un acteur incontournable de l’écosystème sport & développement en Afrique. Entretien avec Nelson Camara, Directeur Exécutif de Sport Impact, structure basée au Sénégal en charge de la gestion de cette plateforme, initiée par l’AFD.
Dans quelle mesure le sport devient un pilier indispensable de la politique de développement des pays en Afrique ? Encore plus dans le contexte actuel, le sport constitue un levier important de cohésion sociale. Vecteur d’éducation des jeunes, d’émancipation des femmes, de réduction des inégalités et de développement économique et d’emplois, il est bien plus qu’un simple loisir-passion, il s’agit d’un des axes clés de réponse à l’après Covid. Que propose concrètement Sport en Commun pour faciliter l’essor du sport
comme levier de développement ? Notre ambition est d’amplifier le développement économique et social par le sport en Afrique. Concrètement, nous nous positionnons en guichet unique à travers trois principales missions : 1/ Favoriser le financement des projets à travers le déploiement de programmes sur-mesure et d’appels à projets confiés par les banques publiques de développement, structures privées et organisations sportives locales et internationales. 2/ Accompagner les porteurs de projets référencés sur la plateforme car aujourd’hui 60% ont des difficultés pour identifier les financements disponibles, 40% ont des problèmes pour structurer leur dossier et très peu disposent des outils adaptés pour mesurer efficacement les impacts de leurs actions. 3/ Fluidifier les interactions entre les acteurs pour favoriser les synergies et le partage d’expérience et accélérer la réplique de projets à impact fort. Parmi les porteurs de projets que vous soutenez, il y a des sportifs engagés ? Nous avons créé une communauté de Sport Impact Leaders qui regroupe aujourd’hui 29 athlètes de haut niveau tels que Idrissa Gana Gueye, Estelle Mossely, Ian Mahinmi, Serge Betsen, Arnaud Assoumani, Diandra Tchatouchang ou
Géraldine Robert. Sources d’inspiration pour de nombreux jeunes, ils ont le point commun d’être tous engagés en dehors des terrains. Nous les accompagnons dans la réalisation et le développement de leurs actions en Afrique. Quelles sont les prochaines étapes pour Sport en Commun ? Tout d’abord, améliorer l’accompagnement des acteurs sur le terrain en lançant une application mobile. Également, mieux les valoriser en organisant les Trophées annuels Sport en Commun dont la 1ère édition aura lieu à Dakar. Bien sûr, concrétiser notre récent partenariat avec la Fédération Internationale du Sport Scolaire (ISF). Enfin, lancer de nouveaux programmes de financement en partenariat avec acteurs publics et privés dans le prolongement des 4 programmes déjà lancés aux côtés de l’AFD, de la FIFA, de la JICA et de la GIZ.
CHIFFRES CLÉS • 1 500 membres • 150 projets accompagnés • 120 experts locaux • 65 structures d’appui www.sportencommun.org contact@sportencommun.org
PREMIER PLAN
L’œil de Glez
D’un vaccin l’autre
A
près la pandémie de coronavirus et la déflagration médiatique mondiale qui s’est ensuivie, certains se sont étonnés de la célérité inédite avec laquelle a été trouvé un vaccin contre un virus affectant gravement l’hémisphère Nord. Mais qu’en était-il du paludisme, maladie signalée dès l’Antiquité et dont l’écrasante majorité des victimes – 400000 morts environ par an – se situe en Afrique, continent où l’on n’a, à l’inverse, recensé « que » 214 000 décès dus au Covid en dix-huit mois de pandémie? L’actualité pourrait finalement contredire ceux qui dénoncent un désintérêt des sommités épidémiologiques mondiales. Produit par le géant pharmaceutique britannique GSK, le RTS,S commence en effet à agir
20
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
efficacement contre le Plasmodium falciparum transmis par les moustiques, autrement dit contre le parasite le plus mortel à l’échelle mondiale, et qui est prévalent en Afrique. Depuis 2019, à titre de test, le Ghana, le Kenya et le Malawi ont progressivement introduit 2,3 millions de doses de ce vaccin dans des zones où la transmission du paludisme est de modérée à sévère. Et c’est le seul produit ayant démontré une efficacité significative contre la malaria. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le projet pilote « réduit de 30 % le paludisme sous sa forme grave ».
Épineuse question Il n’en fallait pas plus pour que la directrice Afrique de l’OMS, le Dr Matshidiso Moeti, recommande, au début d’octobre, l’usage massif de ce premier vaccin
antipaludique en priorité chez les enfants, les populations à risque se situant, par rapport à celles du Covid, à l’autre extrémité de la pyramide des âges. Hasard du calendrier ou dynamique concurrentielle, l’Université d’Oxford et le laboratoire allemand BioNTech développent respectivement le Matrix-M antipalu et un vaccin pionnier utilisant la technologie prometteuse de l’ARN. Pour l’heure, le déploiement massif du RTS,S pourrait se heurter à la sempiternelle problématique du financement. L’Alliance du vaccin (Gavi) a annoncé qu’elle allait examiner cette épineuse question. Qu’elle se hâte : dans le monde, un enfant meurt du paludisme toutes les deux minutes, et la maladie est de plus en plus résistante aux traitements curatifs. Damien Glez
PREMIER PLAN
Le dessous des cartes
Chine-Afrique : 40 milliards de dette cachée
O
n savait déjà que la Chine était le principal créancier du continent. On sait maintenant que l’ampleur de la dette des pays africains dépasse, de très loin, les estimations. Dans son rapport « Banking on The Belt and Road », publié le 27 septembre, l’AidData, de l’institut américain William and Mary, a en effet révélé que, dans les pays en développement, 385 milliards de dollars de dettes « cachées » ont échappé aux radars de la Banque mondiale. En Afrique, vingt-six États sont ainsi indirectement débiteurs auprès d’organismes chinois, ce qui représente près de 40 milliards de dollars sur la période 2000-2017.
Risque d’asphyxie Depuis trente ans, les banques chinoises brouillent la distinction entre dette publique et dette privée, en accordant de plus en plus de prêts à des sociétés parapubliques ou à des joint-ventures, avec des garanties plus ou moins implicites de remboursement par le gouvernement de ces emprunteurs. À la moindre crise, ces emprunts – considérés comme privés – pourraient donc soudainement se transformer en dette publique… et asphyxier des économies déjà exsangues. Sur le continent, Pékin, dont l’un des principaux axes stratégiques est la sécurisation des ressources naturelles (que l’insatiable « usine du monde » dévore à un rythme effréné), a multiplié le recours aux resources-based loans. Ces prêts réputés particulièrement opaques sont remboursés ou garantis par les futures recettes issues de l’exploitation des matières premières du pays emprunteur. Marie Toulemonde
22
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Tunisie
Maroc Algérie
Libye
Égypte
Cap-Vert Sénégal
Mauritanie
Mali Niger Tchad Gambie Burkina Faso** Guinée-Bissau Guinée Nigeria Sierra Leone Centrafrique Liberia Togo Bénin Cameroun Côte d’Ivoire Ghana Guinée équ. São Tomé-et-Principe
Gabon Congo
Érythrée
Soudan
Djibouti Éthiopie
Soudan du Sud Ouganda
Somalie
Kenya
Rwanda Burundi
RD Congo Tanzanie
Seychelles Comores
Angola
Prêts (94 %) et aides (6 %)
Zambie
0,3 <0,5
<1
<5
<10
Zimbabwe
Namibie
entre 2000 et 2017, en milliards de dollars*
Malawi Mozambique
Botswana Eswatini
<52
Afrique du Sud
Lesotho
Madagascar
** Non déterminé
0%
10 %
20 %
Congo Guinée équatoriale 12 %
Angola 2%
Djibouti
6%
Zambie
12 %
Mozambique 7%
Soudan Zimbabwe Sierra Leone
8%
1%
[18]
RD Congo
11 %
Guinée
11 %
Érythrée
[15,5] [12,5]
2% 5%
Éthiopie Soudan du Sud
12 %
Namibie
[2,1]
Gabon Cameroun 2%
Togo Niger
1% [–3,3]
Mauritanie Kenya Cap-Vert Sénégal
[7]
Cachée 39,8 20,4 %
La Chine, premier créancier du monde
Prêts accordés à des entités publiques ou parapubliques avec des garanties implicites de remboursement par le gouvernement de l’emprunteur
Prêts, aides au développement et autres flux officiels entre 2000 et 2017, en milliards de dollars*
Dette
Garantie par le gouvernement
194,8
10,1 5,2 %
843
Prêts accordés à des entités privées ou publiques avec des garanties explicites de remboursement par le gouvernement de l’emprunteur
dontt 207,4 en Afrique, soit 25 % des financemen nts et 5 152 projets
20 % du portefeuille de Pékin sous forme de « dette cachée »
624,7
Structure des prêts chinois en Afrique entre 2000 et 2017, en milliards de dollars*
Souveraine 132,4 68 % Prêts accordés au gouvernement
388 322,1
Privée 155,9 145,8
8,3
4,3 %
Prêts accordés à des entités privées sans garantie de remboursement par le gouvernement de l’emprunteur
Non allouable 4,2 É.-U.
Japon
All.
R.-U.
France
30 %
2,2 %
Prêts accordés à des emprunteurs qui ne sont pas basés dans le pays hôte
40 %
50 %
60 % [30,6] [–7,1]
[10,1] [7,7] [16]
Le mille-feuille de la dette… cachée
souveraine
totale (selon AidData)
officielle (selon le Debt Report System de la Banque mondiale)
... détenue par la Chine, en pourcentage du PIB, en 2017
écart entre les deux estimations (en points)
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
* DOLLARS CONSTANTS 2017 SOURCE : RAPPORT AIDDATA « BANKING ON THE BELT AND ROAD », SEPTEMBRE 2021.
Chine
23
PARTI PRIS
François Soudan
Alpha Condé, la grenade et le légionnaire
D
eux mois, en ce début de novembre. Deux mois qu’il ronge son frein comme un vieux lion en cage, quelque part en un lieu tenu secret par ses geôliers dans la presqu’île de Kaloum, commune de Conakry. Rien à voir certes avec les cellules infectes de la prison centrale dont il fut l’hôte pendant plus de deux ans, au tournant des années 2000. Mamadi Doumbouya, le chef de la junte qui l’a renversé à l’aube du 5 septembre, s’est engagé auprès des chefs d’État de la région à ce qu’il bénéficie de conditions de détention décentes : chambre, salon, soins, repas préparés par son propre cuisinier, appareils de fitness. Tout, sauf l’essentiel, ce qui fait la différence entre un homme libre et un prisonnier : des interlocuteurs et un téléphone. « Un téléphone? » s’exclame devant moi l’un de ses ex-pairs – avec qui il eut souvent maille à partir – « Vous n’y pensez pas! Autant lui remettre une grenade dégoupillée entre les mains, personne ne peut contrôler Alpha Condé! » Personne, effectivement. À commencer par le
24
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
colonel Doumbouya, qui semble décidé à maintenir sous étroite surveillance un personnage jugé radioactif, le temps de consolider son propre pouvoir – c’est-à-dire sine die. À commencer aussi par les chefs d’État, beaucoup plus préoccupés, en Guinée comme au Mali, par la durée des transitions militaires que par le sort de leurs camarades déboulonnés. Qui, en dehors d’Alassane Ouattara et de Denis Sassou Nguesso, a manifesté la moindre compassion lors de la chute brutale de ce président de 83 ans, exhibé comme un trophée par ses tombeurs dans les rues du quartier frondeur de Bambeto? Et pourtant, qui, dans une région où seuls deux pays – le Sénégal et le Cap-Vert – n’ont jamais connu de coup d’État, peut se croire à l’abri d’un tel revers de fortune? Certes, comme le disait crûment devant nous le président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embaló, adversaire déclaré d’Alpha Condé, ce dernier « paie cash ses mauvaises relations avec beaucoup d’entre nous ». Mais pour Condé aujourd’hui comme pour IBK hier, nul ne s’étonne que ce qui devrait être l’exigence
première – à savoir le rétablissement dans ses prérogatives d’un président chassé du pouvoir par des voies anticonstitutionnelles – n’ait pas été, si ce n’est de façon expéditive et non contraignante, formulée par la communauté internationale. Premier chef d’État élu démocratiquement dans l’histoire de la Guinée, Alpha Condé aura été le premier à être victime d’un coup d’État dans l’exercice de ses fonctions. Difficile d’y voir autre chose qu’une régression…
Frustrations Les images de foules en liesse sur les grands axes qui transpercent Conakry, au lendemain du putsch, ainsi que l’absence de toute mobilisation de la part des partisans du « Professeur » déchu sont autant de phénomènes trompeurs. D’abord parce que l’enthousiasme des uns et l’atonie des autres relèvent d’une psychologie des masses somme toute banale sur le continent et susceptible d’entraîner les mêmes effets dans n’importe quelle capitale où se produit un coup d’État. Les anciens confrères d’Alpha Condé ne devraient nourrir aucune illusion à ce sujet. Ensuite, parce que ce putsch, contrairement à d’autres, ne doit rien à l’opposition et à la société civile guinéennes, ni même à la situation économique et sociale. Sur ce dernier point, comme le soulignait Joël Té-Léssia Assoko dans le dernier JA, la décennie Alpha Condé a plutôt été une réussite en termes de PIB par habitant, d’accès à l’électricité, de taux de croissance et de réduction des inégalités salariales. Beaucoup plus que son troisième mandat controversé, ce qui a « tué » Alpha, c’est son style unique de gouvernance, ou plutôt de micro-management, qui le conduisait à décider de tout, à tout contrôler par lui-même en contournant systématiquement les chaînes hiérarchiques, au prix d’un nombre incalculable de frustrations, de rancœurs et d’humiliations. Incendier au téléphone le directeur de la télévision en
plein JT parce qu’un reportage lui déplaisait, tancer un ministre sur la foi d’une plainte envoyée via SMS par une commerçante du marché (ses numéros de portable relevaient quasiment du domaine public), surveiller le débarquement des cargaisons de riz vietnamien sur le port de Conakry, profiter d’un entretien avec l’émir du Qatar ou le président de la République française pour appeler la terre entière et contraindre ses interlocuteurs, aussi surpris que gênés, à échanger quelques mots au téléphone, c’était cela le style Alpha. Celui d’un chef d’État de 83 ans qui, rentré de Turquie à 7 heures quelques jours avant le putsch, se rendait directement de l’aéroport aux bureaux de ses ministres, histoire de coincer les retardataires.
et leurs étoiles. Un seul, avant qu’il se ravise trop tardivement, puisqu’on sait maintenant qu’il comptait le réaffecter loin de son corps, trouvait grâce à ses yeux : le commandant des forces spéciales Mamadi Doumbouya. Ce n’est donc pas la rue, l’opposition, le troisième mandat, ni même l’armée en tant que telle qui ont miné le pouvoir d’Alpha Condé, c’est lui-même et sa personnalité omniprésente, omnisciente, à ce point envahissante qu’elle avait fini par occulter tout le reste et en particulier la remise prometteuse de la Guinée sur les rails du développement économique. Quant au colonel Doumbouya, qui s’est emparé du pouvoir à la tête d’une unité de quelques centaines d’hommes seulement, il sait manifestement qu’il ne doit
Faux nez Cette position de président de tout et de partout reposait sur une sorte de triptyque à la fois inamovible et fragile. Un patriotisme en Kevlar tout d’abord : sincère, profond, dévorant. Alpha Condé mange, rêve, respire Guinée, et seule la Guinée l’intéresse. Une certitude ensuite : celle d’avoir raison. Même s’il lui arrive d’être influencé par ceux qui lui susurrent à l’oreille ce qu’il souhaite entendre, l’autocritique est quasiment absente de sa psychologie. Une profonde défiance enfin vis-à-vis des politiciens et des cadres guinéens, qu’il estime dans leur grande majorité vénaux, abouliques et incompétents. Un jugement à ses yeux valable également pour les chefs de l’armée guinéenne, tous ces généraux et ces colonels qu’il a fait maigrir dans tous les sens du terme – solde et tour de taille – et dont aucun ou presque, faut-il s’en étonner, n’a levé le petit doigt pour le défendre au matin du 5 septembre. Eux aussi, y compris le ministre de la Défense, étaient régulièrement court-circuités par un président à qui un simple sergent pouvait s’adresser par-dessus leurs galons
Ce n’est pas la rue, l’opposition, le 3e mandat, ni même le colonel Doumbouya qui l’ont fait chuter. C’est lui-même. rien à personne. Côté pile : un discours qui se veut rassurant et inclusif, la libération de détenus et le retour d’exilés, la nomination d’un Premier ministre, Mohamed Béavogui, à la fois apolitique et doté d’une expérience internationale, mais aussi une certaine habileté à manier les symboles contradictoires, qui le conduit à se faire adouber par la veuve de Sékou Touré tout en rendant hommage aux victimes de ce dernier. Côté face : lui non plus, manifestement, ne tient pas les haut gradés de l’armée en grande estime : quarante généraux et deux amiraux ont été mis à la retraite d’office, sans états d’âme et en dépit du fait que la quasi-totalité d’entre eux s’étaient ralliés à lui
dès les premières minutes du coup d’État. Lui non plus ne semble guère se soucier des partis traditionnels et de leurs chefs. Même si le Front national de la défense de la Constitution a effacé d’un coup d’ardoise magique son nom (ainsi que celui du nouveau patron de la gendarmerie, le colonel Balla Samoura) de la liste des personnalités considérées comme « complices » du « coup d’État constitutionnel » de 2020, Mamadi Doumbouya, en bon militaire, se méfie manifestement d’une classe politique usée, dont les principaux leaders ont occupé des postes gouvernementaux avant ou après 2010, ainsi que des organisations de la société civile qui en sont, pour une large part, les faux nez. Deux mois après son irruption au pouvoir, on ne connaît toujours pas la composition du Comité militaire (le CNRD), ni la durée de la transition. Des zones d’ombre continuent d’entourer le déroulement du putsch du 5 septembre, notamment le nombre et l’identité des morts (on parle de plusieurs dizaines, inhumés à la sauvette), et le pillage du palais de Sekhoutoureya, désormais livré aux fantômes et aux génies. Des inquiétudes aussi, quant au comportement des Forces spéciales qui font régner un semblant d’ordre à Conakry, se heurtant parfois à la police, et se montrent particulièrement intrusives, n’hésitant pas à saisir les véhicules de société des proches de l’ancien régime. Tout cela ne traduit pas une grande sérénité, même si la junte demeure pour l’instant populaire et se montre globalement prudente, sous l’œil mi-clos d’une communauté internationale beaucoup moins concernée par la Guinée que par le Mali. Pas un mot depuis Paris notamment, où l’on doit se dire qu’après tout un Français en remplace un autre. L’ancien prof à la Sorbonne et l’ex-légionnaire sont en effet tous deux des binationaux. Ils n’ont plus désormais que cela en commun.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
25
PARTI PRIS
Joël Té-Léssia Assoko Rédacteur en chef adjoint à Jeune Afrique
Dérapages contrôlés
«
L
es imbéciles, ça existe. Regardez autour de vous. » Ainsi débutait un document de recherche non publié de Larry Summers. L’anguleux macroéconomiste américain, futur secrétaire au Trésor, y contestait dans les années 1980 « l’hypothèse des marchés financiers efficients ». Selon cette théorie, les prix des actifs boursiers reflétaient exactement l’ensemble des informations disponibles, ce qui rendait inconcevables bulles et autres folies boursières. Elle fut populaire jusqu’à… la crise financière de 2007-09. La « loi de Summers » compte deux corollaires. Le premier est qu’il vaut mieux contrôler ses propres dérapages, comme le prouve le choix in fine de ne jamais publier l’article en question. Les pourfendeurs de « la servitude monétaire » pourraient s’en inspirer. Le deuxième, plus important, est qu’il faut se méfier des « lois économiques ». Nul ne sait comment « développer » un pays. Ni le FMI, ni le pape, ni votre altermondialiste préféré. Plusieurs « recettes » – souvent du pur bon sens – fonctionnent quand des constructions très cérébrales font pschitt! Le laisser-faire produit parfois des miracles. L’interventionnisme
26
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
compte sa cohorte de champions économiques. Le gouvernement du président Alassane Ouattara laisse les banquiers libres de ventiler les financements vers les secteurs qu’ils jugent rentables. Entre 2010 et 2020, l’encours de crédit des banques commerciales a crû de 390 % en Côte d’Ivoire. Au Maroc, le roi Mohammed VI a impulsé l’expansion des banques chérifiennes au sud du Sahara. Les trois principaux établissements marocains (Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa et BCP) tirent désormais entre 25 %
Chaque chapelle de pensée économique compte ses saints, ses hérétiques et ses bouffons. et 40 % de leurs revenus de leurs filiales subsahariennes. Laquelle des deux « méthodes » est la meilleure? Laisser une administration publique, incapable au demeurant de garantir des horaires de bus fiables, décider de
tout dans une économie n’est que folie. Déclarer l’État ennemi tout en se réfugiant derrière les forces de l’ordre pour sécuriser son patrimoine est l’attitude d’une canaille. Au-delà de ces principes de base, chaque chapelle de pensée économique compte ses saints, ses hérétiques et ses bouffons.
Arrogance zélée des censeurs Ce qui est vrai pour le développement économique général l’est aussi pour des phénomènes sousjacents. Ainsi en est-il de l’inflation, croquemitaine ressuscité des années Nixon. Une large vague d’appréhension émerge depuis quelques mois au sujet d’un nouveau dérapage incontrôlé de l’inflation. « Les prix nominaux des denrées alimentaires dans le monde ont augmenté de plus de 40 % depuis le début de la pandémie », avertit l’édition d’octobre des « Perspectives de l’économie mondiale » du FMI. Faut-il pour autant paniquer et crier au loup de l’hyperinflation, quand les chaînes commerciales et industrielles mondiales se remettent de quinze mois de « disruption » dus au Covid-19? N’est-il pas plus probable qu’il ne s’agisse que d’un dérapage temporaire de l’offre et de la demande? Il y a douze ans, de Washington à la Bourse de Londres, de l’OCDE à la Banque des règlements internationaux (BRI), un chœur d’économistes et de financiers orthodoxes, comme sortis du livre de Jérémie, a dénoncé avec une rare virulence « les conséquences inflationnistes » des stimuli fiscaux adoptés en réponse à la crise financière. Des analyses fondées sur une « corrélation historique » entre déficits publics prolongés et hausse incontrôlée des prix. L’inflation prédite ne s’est jamais manifestée. Mais l’arrogance zélée des censeurs suffit à justifier l’austérité budgétaire qui n’a fait que prolonger le sous-emploi et la récession à travers le monde. Et voilà que ça recommence. Mamma Mia!
DR
PARTI PRIS
Ludovic Lado Prêtre jésuite
Pédocriminalité : le silence coupable du clergé africain
pour qu’il assume ses responsabilités parentales. Aussi, les racines culturelles de la relativité du « concept de minorité » en Afrique ne sont pas de nature à favoriser la judiciarisation des cas d’abus. Dans certains contextes, l’adolescente est perçue comme mariable et est donc, « naturellement », cible de convoitises sexuelles. Ainsi, peu de parents chrétiens ébruitent les affaires impliquant un membre du clergé. Ils privilégient les arrangements à l’amiable donnant lieu à une pragmatique prise en charge totale des besoins de l’enfant.
Devoir de vérité
D
ans l’histoire récente, aucun scandale n’a autant terni l’image de l’Église catholique que la pédocriminalité. Passée sous silence au cours du long pontificat de Jean-Paul II, elle est révélée sous ceux de ses deux successeurs, Benoît XVI et François, qui ont pris le risque d’ouvrir la boîte de Pandore. Après les États-Unis, l’Angleterre, l’Irlande, l’Australie… où des enquêtes indépendantes ont débouché sur des révélations accablantes et sur des sanctions qui n’ont pas épargné des hauts dignitaires du clergé, la France a pris le relais avec la publication, le 5 octobre, du rapport Sauvé. En saluant le courage de l’autorité ecclésiale de ces pays occidentaux pour avoir ordonné ces enquêtes ou pour s’y être soumis, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il en est de l’Afrique. À ce jour, aucune démarche similaire n’a été entreprise. Impossible donc de citer un seul membre poursuivi ou en prison pour abus sexuels sur mineur. Faut-il en conclure que le continent n’est pas concerné par ces scandales ? Depuis la publication du rapport Sauvé, si les
28
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
autorités ecclésiales africaines condamnent unanimement les atrocités mises au grand jour, leurs avis divergent sur les enjeux d’un tel rapport pour les Églises du continent. Il y a ceux, nombreux, pour qui la question des abus sexuels ne se pose pas dans les mêmes termes au Nord et au Sud. Selon eux, si en Occident la plupart des victimes sont des garçons, en Afrique, ce sont presque exclusivement des filles ou des femmes. Il arrive
Si le problème se pose différemment au Nord et au Sud, un abus reste un abus. qu’une grossesse de mineure soit attribuée à un membre du clergé. Mais ces cas, pour lesquels on ne dispose d’aucune statistique, font rarement l’objet de poursuites judiciaires. Quand l’affaire est rendue publique, les évêques procèdent généralement au renvoi du concerné
Une autre frange du clergé africain, plutôt minoritaire, estime que l’Église catholique devrait prendre les devants pour dire sa part de vérité. Bien que le problème ne se pose pas dans les mêmes termes partout, un abus reste un abus et mérite l’attention de l’institution. Elle gagnerait à tirer les leçons de réparation en cours dans les Églises occidentales rattrapées par leur passé de dissimulation et de complaisance. Tôt ou tard, elle se verra contrainte de livrer la réalité de son passé. Autant le faire aujourd’hui de sa propre initiative. On peut aussi envisager que le pape impose cette politique de vérité à toutes les congrégations catholiques. Si beaucoup pensent que la pédocriminalité dans le clergé reste un phénomène marginal en Afrique, comment en être sûr en l’absence de statistiques que seules des enquêtes indépendantes permettent d’obtenir? Le clergé connaît aussi différents « scandales d’enfants de prêtres » qui, sans être nécessairement liés à des crimes sexuels, posent la question du célibat ou de la chasteté des curés. Des investigations sur cette part de leur vie intime pourraient révéler bien de choses que l’Église préfère pour l’instant cacher. Mais, là aussi, jusqu’à quand ?
LA GRANDE INTERVIEW
Mohamed Bazoum « Les dirigeants maliens ont tout intérêt à nous écouter »
Sécurité régionale, transitions militaires, alternance, Libye, Tchad, Guinée… Le chef de l’État nigérien, qui se définit comme un « militant de la démocratie », explique pourquoi son pays est un modèle à suivre.
30
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
VINCENT FOURNIER POUR JA
Au palais présidentiel, à Niamey, le 6 octobre.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
31
LA GRANDE INTERVIEW
PROPOS RECUEILLIS À NIAMEY PAR FRANÇOIS SOUDAN
S
S ept mois après son investiture, Mohamed Bazoum, 61 ans, continue de surfer sur un état de grâce que ce vétéran de la scène politique nigérienne sait éphémère, mais dont il profite pour poser les trois principaux jalons de son quinquennat : sécurité, éducation, agriculture. Un triptyque pour la réalisation duquel une prolongation du climat actuel de relative paix politique et sociale ne serait, il est vrai, pas de trop, tant celui que son homologue français Emmanuel Macron cite volontiers en exemple de bonne gouvernance fait face à des défis impressionnants.
32
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Certes, en se faisant élire, en février dernier, avec 55,6 % des voix, Mohamed Bazoum a remporté le premier de ses paris. Une victoire qu’il ne pouvait que partager avec son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, un authentique démocrate lui aussi, labellisé prix Mo Ibrahim, qui a eu l’audace de se choisir comme héritier un homme issu d’une communauté très minoritaire mais dont il ne doutait ni de la loyauté, ni de la compétence, ni de l’expérience. Et cela sans que la légitimité du dauphin souffre du parrainage du sortant, ce qui n’était pas acquis.
Les autres enjeux, Mohamed Bazoum devra les affronter seul : le Niger est un pays très pauvre et très jeune, confronté à une démographie galopante et à des fronts d’insécurité auxquels il est quasi impossible de répondre simultanément, entouré de voisins aussi imprévisibles que le Mali et la Libye, mais dont l’économie, boostée par les promesses pétrolières, donne de vrais signes de dynamisme, à l’image de Niamey, dont le visage s’est transformé en une décennie. Tôt le matin, le dixième chef de l’État de l’histoire du Niger
LA GRANDE INTERVIEW Soldats nigériens patrouillant le long de la frontière nigériane, près de la ville de Bosso.
moins nos soldats et s’en prennent de plus en plus aux civils isolés, ce qui est un signe de faiblesse. Mais c’est aussi ce qui rend la situation particulièrement difficile à gérer : le territoire concerné est vaste, et nous ne serons jamais en mesure de déployer des troupes partout en même temps, dans chaque village, dans chaque champ.
ISSOUF SANOGO/AFP
Les terroristes affrontent de moins en moins nos soldats et s’en prennent de plus en plus aux civils isolés. C’est un signe de faiblesse.
indépendant quitte sa résidence aux murs ocre, entourée d’un petit parc où s’ébattent gazelles, oies, paons et tortue quadragénaire, pour gagner ses bureaux de la présidence immaculée, à cinq minutes de distance. C’est là qu’il a reçu Jeune Afrique pour un long entretien, le 6 octobre. Jeune Afrique : La situation sécuritaire est au cœur de votre début de mandat. Selon divers rapports d’ONG internationales, qui ont enquêté sur le terrain, les attaques des groupes jihadistes dans les régions de Tillabéri et de
Tahoua, non loin de la frontière avec le Mali, ont coûté la vie à près de cinq cents civils nigériens depuis le début de 2021. Le nord de Niamey serait-il une zone de guerre ? Mohamed Bazoum : C’est une zone directement affectée par les agissements des terroristes : vols de bétail, agressions de populations éloignées de nos forces de défense, tueries de groupes. Depuis le début de cette année, les jihadistes de l’EIGS [État islamique au Grand Sahara] semblent avoir changé de stratégie : ils affrontent de moins en
Cette situation risque, en outre, d’alimenter des conflits intercommunautaires entre Peuls, Djermas, Touaregs… Ne glisset-on pas vers une ethnicisation du conflit ? Tout à fait. C’est un risque que nous avons perçu il y a déjà plusieurs années. En 2016-2017, nous avons approché les leaders locaux de ces groupes armés avec un message simple : « Si vous êtes porteurs d’un projet politique en rapport avec les préoccupations identitaires et sociales de telle ou telle communauté, dites-le nous clairement et nous en discuterons. » Ils ne nous ont pas entendus car, manifestement, cette démarche ne correspondait pas à leur agenda. Le risque que vous évoquez est donc réel, c’est pourquoi nous menons un travail de sensibilisation auprès des populations victimes des exactions de ces groupes terroristes afin qu’elles fassent la distinction entre les éléments violents qui les agressent et la communauté à laquelle ils appartiennent. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
33
LA GRANDE INTERVIEW Combien y a-t-il de ressortissants nigériens au sein de l’EIGS ? Aucun Nigérien ne figure parmi les dirigeants importants de cette organisation. Ce sont des chefs locaux, opérationnels et actifs certes, mais pas des décideurs politiques. Cela nous donne une certaine latitude pour tenter de les « retourner » en leur expliquant qu’ils exécutent des ordres meurtriers sur lesquels ils n’ont aucune prise.
Tout à fait. Cette guerre fratricide entre terroristes fait nos affaires et nous nous en réjouissons.
Partout où l’État sera absent, le vide sera comblé par les moyens qu’improviseront les populations.
Troisième front sécuritaire, dans le Sud-Ouest cette fois : celui qui s’étend le long de la frontière avec le Nigeria, entre Dogondoutchi et Maradi. Des bandes de trafiquants armés, mais aussi de jihadistes, y sévissent. Est-ce un souci supplémentaire pour vous? C’est effectivement un grand souci. Ces bandes opèrent à partir d’une vaste zone boisée située au Nigeria, dans les États de Sokoto, Zamfara et Katsina, qui leur sert de sanctuaire. Elles vivent de kidnapping, de trafic et de vol de bétail, sur fond de crise du pastoralisme à travers tout l’espace saharo-sahélien. Mais le niveau de violence n’a pas atteint celui des deux autres fronts terroristes, et nous avons les moyens d’y faire face, notamment en menant des opérations à l’intérieur même du territoire nigérian, conjointement avec l’armée de ce pays.
Malgré le travail de sensibilisation dont vous parlez, des embryons de milices d’autodéfense ont vu le jour dans les villages menacés par les jihadistes. Or les exemples malien et burkinabè démontrent que ces milices se livrent, elles aussi, à des exactions contre les civils… Il est clair que, partout où l’État sera absent, le vide sera comblé par les moyens qu’improviseront les populations. Il est très difficile de leur interdire de s’organiser alors que nous ne sommes pas encore en mesure de les protéger. De toute façon, elles ne nous demandent pas notre avis. L’important est de ne pas encourager tout ce qui aggrave les clivages. Il faut veiller à ce que des situations locales ne dégénèrent pas en problème politique national. C’est ce que nous faisons. Autre front sécuritaire : l’Est. Ces dernières semaines, de violents combats ont opposé le groupe Boko Haram et les jihadistes rivaux de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) pour le contrôle des îles du lac Tchad. Ces affrontements font-ils votre affaire ?
34
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Cela démontre aussi que le lac Tchad est une zone de non-droit qu’aucune armée des États riverains – y compris la vôtre – ne contrôle… Les îles sont en ce moment pour l’essentiel sous le contrôle des groupes terroristes. C’est un fait regrettable et évidemment réversible. Mais c’est un fait. Nous travaillons à y mettre fin.
Que faut-il faire pour que l’armée nigérienne soit en mesure de sécuriser l’ensemble du territoire national? Augmenter les effectifs, c’est une évidence. Ils sont nettement insuffisants au vu de l’étendue de notre territoire. Il faut aussi améliorer leur entraînement et leur équipement. Nous nous y attelons depuis plusieurs années, et les résultats sont déjà là : l’EIGS n’attaque plus frontalement nos forces. Depuis la mort d’Idriss Déby Itno et le recentrage programmé du cœur du dispositif français de N’Djamena à Niamey, beaucoup d’observateurs voient en vous le nouveau « patron » sécuritaire au Sahel. Est-ce le cas?
Ce n’est pas exact. Le dispositif G5 Sahel connaît en ce moment une sorte de panne. Dans ce contexte, parler d’un quelconque leadership régional serait inapproprié. En revanche, il est vrai que le Niger est l’un des pays du Sahel qui progresse le mieux dans la maîtrise de sa propre situation sécuritaire et qui est politiquement l’un des plus stables, grâce à l’alternance démocratique qu’il a connue cette année. Imaginez une seconde que le président Issoufou ait choisi de s’accrocher au pouvoir en violant la Constitution : le Niger aurait été ipso facto plongé dans une crise grave qui aurait paralysé ses capacités de riposte sécuritaire. Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont tous deux répété récemment que le Niger était un modèle qu’il conviendrait de dupliquer sur le continent. Êtes-vous sensible à cette appréciation? La décision de Mahamadou Issoufou de respecter scrupuleusement la Constitution, suivie de mon élection, transparente et démocratique, est en effet un exemple que beaucoup de pays africains auraient intérêt à suivre. C’est la preuve que sécurité, démocratie et développement sont indissociables. La fin de l’opération Barkhane et le redéploiement du dispositif militaire français changent-ils quelque chose pour le Niger ? Rien n’a changé pour l’instant. La France dispose d’une base aérienne à Niamey, dont la vocation est d’intervenir sur le territoire malien. Il est envisagé que le commandement de l’opération, qui est logé à N’Djamena, vienne s’installer ici. Ce qui se traduira sans doute par la présence de personnels et de moyens plus importants. Et les Américains ? Ils ont une petite implantation à Niamey et une base de drones à Agadez. Une délégation d’industriels turcs de l’armement s’est récemment
EPA VIA MAXPPP
LA GRANDE INTERVIEW
Mohamed Bazoum (à g.), alors ministre des Affaires étrangères, avec son pair algérien, Ramtane Lamamra (au centre), à Alger, le 16 juillet 2014.
rendue au Niger. Comptez-vous leur acheter des drones ? Des drones, des hélicoptères, des avions, pourquoi pas? Nous sommes disposés à faire notre marché chez n’importe lequel de nos partenaires. Aucun n’a d’exclusivité. Ce qui compte pour nous, c’est la meilleure offre. Le Mali, avez-vous dit lors de votre investiture, est pour vous une priorité diplomatique. Problème : vos déclarations concernant votre voisin, ainsi que celles de Hassoumi Massaoudou, votre ministre des Affaires étrangères, ont beaucoup irrité les dirigeants de Bamako. Vous ne vous parlez plus. Avez-vous le sentiment d’avoir été mal compris? Sans doute. Les choses sont pourtant simples. Nous sommes contre les coups d’État. Quand je dis « nous », je fais référence à l’ensemble des États membres de la Cedeao, Mali compris. Nous avons mis en place, ensemble, un mécanisme de prévention – et, aussi, de gestion – des coups d’État.
Il prévoit l’exclusion des instances communautaires du pays où un tel événement se produit, sa mise sous observation, ainsi qu’un dispositif pour l’aider à retourner à une situation normale grâce à un calendrier précis et soumis à contrôle.
Je suis un militant de la démocratie, ce qui m’autorise à dire ce que je pense lorsque cette dernière est menacée.
Quand je condamne un coup d’État, qui plus est dans un pays aussi proche et lié au mien que le Mali, je suis donc dans mon rôle. Notre régime est de nature démocratique, et je suis un militant de la démocratie, ce qui m’autorise à dire ce que je pense lorsque cette dernière est menacée.
Tout de même, vous n’avez pas pris de gants… Je rappelle les termes de votre déclaration du 9 juillet : « Il ne faut pas permettre que des militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front […] ni que les colonels deviennent des ministres ou des chefs d’État. » Nous n’avons pas attendu les deux coups d’État de Bamako pour nous exprimer sur le Mali. Le nord du Mali, c’est le nord du Niger, en ce sens qu’aucun autre pays n’est autant affecté que le nôtre par ce qu’il s’y passe. C’est pourquoi, en 2012, nous avons été intransigeants et particulièrement actifs contre la tentative de sécession de cette région revendiquée par certains Maliens. En 2014, j’ai été la seule personnalité présente à la conférence d’Alger, en tant que ministre des Affaires étrangères de mon pays, à m’opposer à l’article 6 de l’Accord d’Alger, qui prévoyait que les assemblées régionales du Mali et leurs présidents seraient élus au suffrage universel direct. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
35
STEPHANE DE SAKUTIN/AFP
LA GRANDE INTERVIEW
Emmanuel Macron accueillant Mohamed Bazoum à l’Élysée, le 9 juillet, à l’occasion d’un sommet des pays membres du G5 Sahel.
J’avais interpellé la délégation malienne en lui demandant de bien réfléchir à cette disposition, que j’estimais inapplicable. Je n’ai pas été suivi, et si aujourd’hui l’Accord d’Alger rencontre les difficultés que l’on sait, c’est à cause de cela. Vous connaissez également les préoccupations que le président Issoufou a exprimées par la suite, s’agissant du statut de Kidal. Notre attitude vis-à-vis du Mali est à la fois singulière, responsable, conséquente et honnête, dans l’intérêt de nos deux peuples. C’est en vertu de cette éthique que nous disons aux dirigeants de ce pays qu’ils se trompent de voie en s’isolant, en remettant en cause leurs alliances et en faisant fi de l’agenda que leur a conseillé la Cedeao. Si ceux qui nous insultent aujourd’hui, depuis Bamako, pensent qu’ils sont sur le bon chemin, grand bien leur fasse. Je suis pour ma part convaincu que les jeunes officiers actuellement au pouvoir ont tout
36
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
intérêt à organiser rapidement des élections afin que nous puissions faire face, ensemble, aux vrais problèmes de la région. Ils ont tout intérêt à nous écouter nous, Nigériens, qui leur avons témoigné notre fraternité quand leur pays était menacé de sécession. L’avez-vous dit directement au colonel Assimi Goïta? Je n’ai eu le colonel Goïta qu’une seule fois au téléphone, il y a trois mois, afin de lui exprimer mon émotion après la tentative d’assassinat dont il avait fait l’objet dans la grande mosquée de Bamako. Mais j’ai reçu longuement ici son directeur de cabinet, le capitaine N’Daw, qu’il avait envoyé me rencontrer au lendemain du second coup d’État, à la fin de mai. Je me souviens lui avoir dit que Goïta devait prendre exemple sur le général nigérien Salou Djibo qui, après être parvenu au pouvoir par un coup d’État en février 2010, l’avait quitté volontairement un
Si ceux qui nous insultent depuis Bamako pensent qu’ils sont sur le bon chemin, grand bien leur fasse !
an plus tard, cédant la place à un président démocratiquement élu, Mahamadou Issoufou. Surtout ne pas perdre de temps, s’abstenir de jouer les prolongations. … Et ne pas se présenter aux élections? Évidemment. Cela va de soi. La présence du groupe russe paramilitaire Wagner au Mali ne relève plus du fantasme mais de l’hypothèse sérieuse. Cela vous inquiète?
LA GRANDE INTERVIEW Je ne vois aucune objection à ce que le Mali entretienne de bonnes relations, y compris dans le domaine militaire, avec la Fédération de Russie. Je ne conseille pas pour autant à ses dirigeants de se lier à une société privée, ce qui est manifestement incompatible avec la présence de nombreuses forces alliées qui opèrent sur leur territoire, dans l’intérêt du pays. Ce n’est pas la solution. Leur conseillez-vous également de mettre un terme à leur bras de fer avec la France ? Tout à fait. Mais l’inverse est aussi vrai. J’ai dit au président Macron que la France surcommuniquait à propos du Mali. Autre grand voisin problématique : la Libye. Une élection présidentielle démocratique est censée s’y tenir le 24 décembre, dans deux mois. Y croyez-vous ? J’aimerais, mais je suis sceptique. Je ne pense pas que les conditions soient réunies. Dix ans après la mort de Kadhafi, les conséquences de sa chute se font-elles encore sentir dans la région ? Absolument. C’est « la mère de tous nos problèmes », à commencer par le développement de l’insécurité et du terrorisme dans tout le Sahel. La responsabilité de la coalition qui a renversé ce régime est directement en cause. Elle n’a pas été à la hauteur de son engagement. Vous faites apparemment une différence entre la transition malienne, qui vous inquiète, et la transition tchadienne, que vous soutenez. Pourtant, il s’agit de part et d’autre de militaires non élus… Les situations ne sont pas similaires. Lorsque le président Idriss Déby Itno est mort au combat, nous avons eu, je dois l’avouer, très peur que le Tchad soit déstabilisé par les rebelles, que N’Djamena ne tombe entre leurs mains et que cela ne débouche sur une guerre civile comme ce pays en a déjà connu. Aussi, quand un comité militaire de transition, avec à sa tête Mahamat Idriss
Déby Itno, a pris le pouvoir, nous nous sommes dit que ce n’était pas a priori une mauvaise chose. Avec lui au moins, l’État tchadien continuera d’exister. Depuis, je considère que la transition évolue dans le bon sens. Le renversement du président Alpha Condé, en Guinée, vous a-t-il surpris ? Alpha et nous n’étions pas d’accord à propos de son troisième mandat. C’était de notoriété publique. Le président Issoufou le lui avait dit en toute camaraderie et il l’avait très mal pris, au point de nous considérer comme ses ennemis et de financer
Avec Mahamat Idriss Déby Itno, au moins, l’État tchadien continuera d’exister. La transition évolue dans le bon sens. contre moi le candidat de l’opposition, Mahamane Ousmane. Ai-je été surpris ? Oui, en ce sens que je pensais qu’Alpha Condé contrôlait et maîtrisait son armée, ce qui n’était manifestement pas le cas. Que doivent faire les putschistes guinéens, selon vous ? Ne pas perdre de temps, là aussi. Éviter de se lancer dans des aventures fumeuses du type refondation de l’État, et organiser des élections démocratiques dans un délai raisonnable – c’est-à-dire un an environ. Le colonel Doumbouya, avec qui j’ai parlé, me semble être de bonne volonté et il est incontestablement populaire. Ce sont deux atouts qu’il ne doit pas gaspiller. Et que faire d’Alpha Condé ? Je souhaite qu’il soit libre, évidemment. Mais je ne suis pas guinéen. J’ai cru comprendre que les militaires voulaient le maintenir sous leur garde jusqu’à ce que le pays soit engagé sur la voie d’un retour à une vie constitutionnelle normale.
J’imagine qu’ils ont leur propre agenda. Vous avez appelé à vos côtés, avec le titre de conseiller spécial, un homme jusqu’ici connu comme négociateur et conseiller de l’ombre de divers chefs d’État de la région, le Mauritanien Moustapha Limam Chafi. Pourquoi ce choix? Mahamadou Issoufou et moimême connaissons Moustapha Chafi depuis longtemps, lorsqu’il conseillait le président Blaise Compaoré. Il est également nigérien, puisque né au Niger d’une mère nigérienne. Il parle toutes les langues de notre pays et a joué un grand rôle lors des négociations de paix avec la rébellion touarègue, en 1995. C’est un homme aux multiples talents, à qui je compte assigner des missions régionales et internationales. Huit mois après votre élection, peut-on considérer que les cicatrices de la campagne présidentielle et des troubles qui ont accompagné et suivi le scrutin sont effacées? Pour l’essentiel, oui. Nous sommes en état de paix politique et je m’en réjouis. Mais tout n’est pas encore soldé, et je presse le ministre de la Justice d’accélérer le cours de celle-ci afin que les 90 personnes toujours détenues dans le cadre des troubles électoraux soient jugées le plus rapidement possible. Certaines ONG parlent de 400 détenus… Non, le vrai chiffre est 90. Parmi eux, une demi-douzaine de politiques. Les autres sont des manifestants inculpés pour voies de fait. Dans la nuit du 30 au 31 mars 2021, deux jours avant votre investiture, Niamey a été le théâtre d’une tentative de coup d’État dirigée contre le président Issoufou et contre vous-même. Tous ses auteurs ont-ils été appréhendés? Non, il reste encore trois sous-officiers en cavale. Ces apprentis putschistes seront-ils jugés? JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
37
LA GRANDE INTERVIEW Absolument, comme cela s’est produit dans le passé. Ce sera un procès équitable et public. L’armée nigérienne peut-elle être considérée comme une armée républicaine?
Si différence il y a entre Mahamadou Issoufou et moi, elle ne porte que sur le style. Rien d’autre. Dans son ensemble, oui. Elle est l’une des plus professionnelles de la région. Au Niger, les coups d’État ont toujours été l’œuvre d’une petite minorité d’officiers plus ou moins politisés mais non représentatifs de l’ensemble des forces armées.
Où en êtes-vous avec l’affaire, désormais emblématique, de l’audit des comptes du ministère de la Défense réalisé en février 2020, qui aurait mis au jour des détournements massifs évalués à près de 76 milliards de francs CFA (116 millions d’euros) ? C’est un chiffre exagéré. En tout état de cause, l’enquête de la justice est presque achevée, et le rapport contenant ses conclusions sera rendu public sous peu. Il y aura, bien sûr, des conséquences judiciaires pour toutes les personnes incriminées. Votre gouvernement compte trente-quatre ministres, dont cinq femmes. À l’évidence, sur le plan de la parité, le compte n’y
VINCENT FOURNIER POUR JA
L’opposant « historique » Hama Amadou a été emprisonné au lendemain de votre élection, puis autorisé à se rendre en France pour s’y soigner. Il y est depuis six mois, et on a l’impression que cet éloignement arrange finalement tout le monde : lui comme vous. Est-ce exact ? On m’a présenté un bulletin médical indiquant que Hama Amadou
était malade et que le meilleur cadre pour le soigner était celui que lui offrait son médecin parisien. J’ai aussitôt donné mon accord, sachant qu’à l’issue de son traitement il s’est engagé à se remettre à la disposition de la justice. Depuis, j’ai bien d’autres choses à faire que de suivre quotidiennement l’évolution de son état. Je constate, comme chacun, qu’il a adopté un comportement raisonnable et qu’il ne se livre pas à des déclarations politiques. Je n’ai aucun problème avec cela.
Avec François Soudan, lors de l’interview réalisée à Niamey, le 6 octobre.
38
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
est pas. Est-ce un problème pour vous ? Vous avez raison. Mais il s’agit là du triste reflet de la condition de la femme nigérienne, et la composition de mon gouvernement, hélas, traduit l’inégalité du rapport des forces actuel entre les hommes et les femmes, encore largement considérées comme mineures. Je serai honnête avec vous : je n’ai pas pu faire abstraction de ces pesanteurs et de leur traduction dans le champ politique lors de la formation de mon gouvernement. Je fais cependant le pari que les choses changeront, et elles changeront par l’éducation. Retenir les filles à l’école le plus longtemps possible, afin qu’elles ne quittent pas le système éducatif à l’âge de 12 ou 13 ans pour se marier très jeunes, est une clé essentielle pour combattre les inégalités de genre et maîtriser notre croissance démographique. Une jeune fille scolarisée jusqu’à l’âge de 20 ans, ce
LA GRANDE INTERVIEW Heurts entre la police et des partisans de l’opposition contestant les résultats de l’élection présidentielle, à Niamey, le 23 février.
ISSOUF SANOGO/AFP
Vous irez à la COP26, au début de novembre, à Glasgow. Avec quel message? Il est simple, et je le dirai à Glasgow. Les pays du Sahel figurent aujourd’hui parmi les principales victimes des changements climatiques induits par les émissions de carbone des pays industrialisés. Ces derniers ont donc l’obligation morale et politique de nous aider à faire face aux conséquences de leur imprévoyance.
sont, en moyenne, trois grossesses évitées. Le pétrole, dont le Niger est désormais producteur, peut-il remplacer l’uranium? L’uranium est un minerai ingrat, dont la valorisation coûte cher et qui rapporte peu. Le pétrole, lui, nécessite beaucoup moins d’investissements. Il est donc plus profitable aux pays qui savent le gérer. Le Niger gagnera davantage d’argent avec le pétrole qu’avec l’uranium. Le reste est une affaire d’honnêteté, de bonne gouvernance et de bonne marche des institutions. Par chance, nous possédons les trois. Comment qualifieriez-vous vos relations avec votre prédécesseur, Mahamadou Issoufou? Des relations naturelles entre frères, camarades et amis. Je ne serais pas ici si le président Issoufou n’avait pas confiance en moi, et c’est
parce que cette confiance existe qu’il a œuvré à ce que je lui succède à l’issue de l’élection présidentielle. Il n’y a donc aucune différence entre vos modes de gouvernance? Si différence il y a entre lui et moi, elle ne porte que sur le style. Rien d’autre. Comme lui, j’exige l’application des consignes que je donne à mes collaborateurs, je vérifie toujours en aval, et je veille à ce que des comptes soient rendus.
Je constate, comme chacun, que Hama Amadou a adopté un comportement raisonnable.
Les Pandora Papers ont mis au jour les pratiques d’évasion de capitaux de la part de certains dirigeants de par le monde. Êtes-vous à l’abri de cette tentation? En ce qui me concerne, la question ne se pose pas. Je ne vois d’ailleurs pas où je trouverais l’argent nécessaire pour aller le cacher dans des paradis fiscaux, à moins de voler dans les caisses de l’État, ce qui est totalement contraire à mon éthique. À mon avis, il y a peu de chances que le nom de l’un des chefs d’État qui m’ont précédé à la tête du Niger puisse figurer dans ces Pandora Papers. Si je parais crédible aux yeux de mes compatriotes quand je dis que l’un de mes objectifs prioritaires est de lutter contre le phénomène de corruption parmi les agents de l’État, c’est parce que je suis honnête. Comment faites-vous pour éviter le syndrome de la tour d’ivoire, cet isolement qui frappe la plupart des chefs d’État? Je suis un homme de terrain, très attaché à son terroir. Je reçois, j’écoute, y compris les plus humbles. Je me déplace souvent, partout à travers le pays, du Tillabéri au lac Tchad, de Zinder à Agadez. La société nigérienne est une société de convivialité, ouverte, au sein de laquelle l’information circule de manière horizontale sans passer par le filtre des hiérarchies et des protocoles. Et je suis, je crois, un homme convivial. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
39
GABON :
le PAT, promesse d’une relance économique effective d’ici 2023 LA PREMIÈRE PROMOTION D’INGÉNIEURS ET DE TECHNICIENS DE
L’
Afrique enferme dans son sous-sol un tiers des réserves minérales mondiales. Le continent dispose dans le même temps de ressources énergétiques variées et abondantes : des puits de pétrole dans le Golfe de Guinée aux gisement de gaz d’Afrique du Nord. Pourtant, après les récentes crises pétrolières et sanitaires, l’Afrique est confrontée à de nouvelles problématiques socio-économiques. Face à ces enjeux d’un nouveau genre, les pays africains revoient leurs stratégies, cherchent à redynamiser leurs économies en actionnant de nouveaux leviers de croissance. C’est dans ce contexte que le Gabon souhaite réformer son économie en
Après avoir subi la crise de la covid-19, il s’agit de préparer et de mettre en œuvre 34 projets et réformes prioritaires devant nous permettre de créer les conditions d’un rebond économique d’ici 2023 tout en réunissant les préalables nécessaires à la nouvelle trajectoire de développement pour la prochaine décennie Déclaration du chef de l’État, son Excellence Ali Bongo Ondimba
s’appuyant sur le Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) qui repense le modèle social, tout en investissant dans de nouveaux moteurs de croissance.
Les chantiers prioritaires Les transports figurent au rang des priorités des autorités gabonaises. La reprise des travaux de la Transgabonaise, en août 2021, va permettre l’interconnexion de 5 des 9 provinces que compte le pays. Elle reliera l’Estuaire au nord du HautOgooué, pour un investissement estimé à 600 milliards de FCFA. Autre projet majeur dans l’amélioration de la desserte routière du pays, le tronçon Owendo-Bypass reliera sur environ 12 km, la zone du PK 15 à Owendo (dans un périmètre situé autour du carrefour SNI). Il sera complété par un second tronçon de 5 km, entre cette nouvelle voie et la Zone Économique N’Kok. Réalisée en collaboration avec la Société d’aménagement du Grand Libreville (SAGL), cette future autoroute moderne à péage permettra aux usagers d’économiser en moyenne, jusqu’à 3 000 FCFA pour les poids-lourds, et jusqu’à 1 300 FCFA pour les poids légers.
© FRANÇOIS ZIMA
COMMUNIQUÉ tembre, d’une station de traitement. Cet équipement est le fruit des engagements de l’État, appuyé par la politique RSE appliquée par Comilog, la filiale locale du géant minier Eramet. En matière énergétique, le Gabon s’est fixé comme ojectif de pouvoir augmenter sa production électrique de 250 MW supplémentaires, sur l’ensemble du territoire. Pour cela, deux nouvelles centrales vont voir le jour – thermique à Owendo (120 MW), solaire à Desiba (20 MW) –, ainsi que trois barrages hydroélectriques – Kinguélé aval (35 MW), Ngoulmendjimet (83 MW) et Dibangui (15 MW). La réalisation de certains de ces équipements a reçu le soutien d’acteurs majeurs comme Wärtsilä Development & Financial Services (WDFS), filiale du Groupe finlandais Wärtsilä, leader mondial dans la construction, l’opération et la maintenance de centrales électriques. L’ÉCOLE DES MÉTIERS DE LA MINE ET DE LA MÉTALLURGIE DE MOANDA, LE 21 AVRIL 2018.
Pour répondre à la question, essentielle à la vie des population, de l’accès à l’eau, des projets d’envergure ont été réalisés
Face à l’augmentation de la démographie dans la capitale gabonaise, les travaux d’aménagement des bassins-versants de Libreville vont permettre la construction de plus de 1 000 logements, dont bénéficieront près de 6 400 personnes.
à travers le pays. Le 21 avril, le chef de l’État a inauguré une nouvelle usine d’eau potable, la CIM Gabon. Parallèllement et pour la première fois, la population de la ville de Bakumba bénéficie d’un accès à l’eau suite à la mise en service, le 21 sep-
Promouvoir les investissements Pour améliorer le climat des affaires et donc rendre le Gabon attrayant aux yeux
TRAVAUX DE LA TRANSGABONAISE
22 TASK FORCES EN CHARGE DE 34 PROJETS D’ENVERGURE QUI ONT POUR OBJECTIF DE RELANCER L’ÉCONOMIE GABONAISE D’ICI 2023.
des investisseurs, les secteurs public et privé ont menées d’importantes concertations, qui ont abouti à un projet de loi fixant le cadre général de l’investissement en république gabonaise. En avril dernier, le gouvernement a pris en compte les 13 réformes, recommandées par la Banque mondiale pour soutenir les entreprises. Elles permettent un abaissement significatif du capital minimum requis pour la création de sociétés à responsabilité limitéee ; elles encouragent les jeunes et les femmes à l’entrepreneuriat ; elles luttent contre le secteur informel. La création d’entreprise est désormais possible en ligne, à travers le guichet unique de l’investissement. Cette digitalisation va pemettre de réduire le nombre de procédures, ainsi que les délais de création (de 30 jours à 48 heures) et les coûts indirects (frais de transport, impression de documents, etc…). Perçues comme une avancée majeure en Afrique centrale, les litige commerciaux se règlent désormais au tribunal de commerce de Libreville. Destinée à réduire de manière significative les délais d’attente, l’instance juridique a déjà prouvé son efficacité, en rendant 242 jugements durant ses six premiers mois d’activité. Enfin, l’État gabonais a économisé plus de 600 milliards de FCFA, grâce à un
audit réalisé sur sa dette intérieure. Les pouvoirs publics ont ainsi pu solder, dès juillet 2021, une première partie de leurs créances avérées, d’un montant de 90 milliards de FCFA.
L’amélioration du climat social L’achèvement des Centres Multisectoriel de Formation Professionnelle de N’kok et de Mvengué vient matérialiser les efforts réalisés par l’État gabonais pour apporter la formation professionnelle à ses populations. Le premier, fruit d’un partenariat entre les pouvoirs publics et le groupe chinois AVIC International Holding Corp., a été inauguré en avril 2021 par le chef de l’État. Installé sur une superficie de 25 hectares, le centre peut accueillir plus de 1 000 apprenants. Le second, dont le concours s’est tenu sur l’ensemble du territoire national le 13 août 2021, permettra aux étudiants d’obtenir des certificats d’aptitude professionnelle industrielle (CAPI) et des Brevets de technicien supérieur (BTS). Un troisième centre professionnel basé à Tchengué doit être opérationnel dès 2022. Axée sur la prévention et les soins de santé primaire, la réforme s’est traduite par la mise en place d’une coopération
FORMATION DES AGENTS SUR LA TRAÇABILITÉ DU BOIS.
Grâce au Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) et fort de cet outil stratégique, les autorités publiques gabonaises repensent leur modèle social tout en investissant dans de nouveaux moteurs de croissance.
COMMUNIQUÉ
CENTRE DE FORMATION NKOK.
Madame le Premier ministre gabonais Rose Christiane Ossouka Raponda souligne la nécessité d’une feuille de route adaptée afin d’opérer une transition vers une économie plus durable, une mission qu’elle estime possible grâce au PAT.
www.presidence.ga PATGabon2021
Gabon vert : l’enjeu de la préservation écologique Présidant le groupe des Négociateurs Africains sur le climat lors de la COP26 organisée en novembre 2021 à Glasgow, le Gabon se doit de développer des activités créatrices de valeurs ajoutées, respectueuses de la préservation écologique et de la gestion du patrimoine forestier. C’est le cas dans la Zone d’investissement spécial (ZIS) d’Ikolo, à Lambaréné où les contraintes de développement durable sont respectées. La ZIS a accueilli son
Le Gabon est résolument engagé dans la transition vers une économie plus inclusive, plus équitable et plus durable, autrement dit davantage respectueuse de l’environnement. Il invite l’ensemble des autres États à adopter une feuille de route basée sur des politiques qui concilient la capacité à atteindre l’auto-suffisance alimentaire et la préservation de notre planète. Ce n’est qu’ensemble, solidaires, que nous réussirons à relever le défi ! Madame le Premier ministre gabonais Rose Christiane Ossouka Raponda
DF/DIFCOM - PHOTOS : © PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DU GABON SAUF MENTION.
Enfin, en relation avec la réforme des soins de santé primaire, l’Office Pharmaceutique National (OPN) est passé du statut d’Établissement Public à Caractère Industriel et commercial (EPIC), a celui de Société d’État, afin de l’autoriser à bénéficier de dotations budgétaires directes. Ce changement de statut doit également renforcer la gestion de cet organisme, pour qu’une meilleure gouvernance assure une distribution des médicaments plus efficiente.
premier investisseur en juillet 2021 à la suite d’un accord signé au siège d’Olam Gabon entre l’État gabonais, l’aménageur Gabon Special Economic Zone (GSEZ) et le groupe indien Greenply Middle East. À l’instar de la Zone Économique N’kok qui, en obtenant la certification ISO 14064-1 en matière de neutralité carbone, devient l’une des rares zones économiques industrielles dans le monde reconnue comme faible émetteur, le Gabon ambitionne de s’inscrire durablement parmi les acteurs du marché carbone. Il espère également y trouver une source de financement.
© STEEVE JORDAN/AFP
entre Cuba et le Gabon. À cet effet, ce pays ami a détaché 162 professionnels de santé pour renforcer les structures sanitaires locales. En parallèle, 25 chantiers de réhabilitation et d’extension d’infrastructures de santé sont actuellement en cours d’exécution dans tout le pays, sous l’égide du gouvernement gabonais.
ENQUÊTE SÉCURITÉ
ISRAËL CONNECTION Implantés de longue date en Afrique subsaharienne, ces sociétés, hommes d’affaires ou consultants israéliens profitent de leurs entrées dans les cercles des pouvoirs locaux pour servir indirectement les intérêts de l’État hébreu. Voyage au cœur d’une diplomatie parallèle aussi florissante qu’opaque.
VINCENT DUHEM
A
Au début d’octobre, une délégation militaire soudanaise s’est rendue discrètement en Israël. Pendant deux jours, les officiers – parmi lesquels le lieutenant général Mirghani Idris Suleiman, qui dirige les systèmes de l’industrie de défense de l’État – se sont entretenus avec leurs homologues israéliens. Une visite qui a fait polémique, car au Soudan, comme dans d’autres pays du continent, le rapprochement et la normalisation des relations avec l’État hébreu font débat. Si Israël a ouvert sa première représentation diplomatique en Afrique en
44
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
1957, au Ghana, ses relations avec le continent se sont surtout développées ces dix dernières années sous l’impulsion de son ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou (2009-2020). Sa politique africaine a toutefois oscillé entre volontarisme et hésitation. « S’il est incontestable que le dirigeant israélien a obtenu d’importants succès au regard de la reconnaissance de l’État hébreu par la quasi-totalité des pays africains, il n’est pourtant pas encore parvenu à donner du contenu à la relation avec le continent. Il n’a pas souhaité allouer les moyens financiers à son appareil diplomatique pour peser davantage, ne permettant pas à ses gains politiques de se muer en influence continentale », estime le chercheur Benjamin Augé dans un rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri) publié en novembre 2020.
Face sombre Derrière tout ça, au-delà des relations d’État à État, il existe une face un peu plus sombre, d’Abidjan à Yaoundé, à laquelle JA a choisi de s’intéresser. Une diplomatie parallèle faite
d’hommes d’affaires, de consultants en tout genre et d’entreprises présents de longue date sur le continent et qui servent indirectement les intérêts de leur mère patrie. Ils s’appellent Eran Moas, Gaby Peretz, Didier Sabag, Orland Barak, Hubert
Leurs domaines de prédilection : le renseignement, les écoutes, la surveillance électronique et l’armement. Haddad, Eran Romano ou encore Igal Cohen, arpentent les palais présidentiels et ont comme domaines de prédilection le renseignement, les écoutes, la cybersécurité, l’armement, servant de porte d’entrée aux entreprises de leur pays. Ces dernières dominent depuis plusieurs années le marché des écoutes et de la surveillance électronique en Afrique subsaharienne.
LUCA D’URBINO POUR JA
Cette présence dans une douzaine de pays du continent a permis à Tel-Aviv d’y gagner en influence.
MINASSE WONDIMU HAILU / ANADOLU AGENCY VIA AFP
ENQUÊTE
L’ancien Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou posant devant un lion empaillé, au Palais national d’Addis-Abeba, en Éthiopie, le 7 juillet 2016.
Les plus connues sont NSO, fondée par Shalev Hulio, qui fabrique le célèbre logiciel espion Pegasus, et Verint. On peut citer également Mer Group (Congo, Guinée, Nigeria, RD Congo, où elle équipe l’Agence nationale de renseignement), ou
Ils sont étroitement liés à l’armée et aux services de renseignements israéliens, quand ils ne sont pas tout bonnement issus de leurs rangs. encore Elbit Systems (Afrique du Sud, Angola, Éthiopie, Nigeria…). Ces sociétés ont comme atout principal leur lien étroit avec l’armée et les services de renseignements. Nombre d’entre elles sont constituées d’anciens de l’Unité 8200 de Tsahal (spécialisée dans la cyberguerre). C’est
46
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
par exemple le cas de Shabtaï Shavit, patron d’Athena GS3, une filiale de Mer Group, qui dirigea le Mossad de 1989 à 1996. Il connaît particulièrement bien le continent pour avoir favorisé les relations de ses services avec le Zaïre de Mobutu Sese Seko, puis avec le Cameroun. Verint est, de son côté, dirigée par l’ancien officier de l’armée israélienne Dan Bodner.
Sollicités par les États eux-mêmes « Certains groupes ou personnalités se sont d’abord implantés en Afrique pour y développer les projets liés à l’agriculture, avant de se diversifier dans la sécurité parce qu’ils étaient sollicités par les États eux-mêmes », explique un familier du secteur de la cybersécurité sur le continent. Si les liens entre ces structures et les services de renseignements sont réels, certaines petites structures n’hésitent pas à survendre cette proximité. « Il y a beaucoup de fantasmes autour de cela. C’est vrai que la plupart des développeurs de ces systèmes sont des anciens des 8200.
Au-delà de ça, l’État israélien n’a pas forcément de liens directs avec eux et utilise du matériel encore plus moderne. Il arrive même que ces boîtes marchent sur les pieds du Mossad, qui n’a pas besoin d’eux pour savoir ce qu’il se passe dans ces pays », nuance un homme d’affaires israélien actif en Afrique. Et, à l’inverse, certaines entreprises évitent carrément de mettre en avant tout lien avec Israël pour tenter de pénétrer des marchés où les gouvernements n’ont pas normalisé leurs relations diplomatiques avec l’État hébreu. C’est par exemple le cas de cette entreprise présente au salon Milipol, à la fin d’octobre, à Paris, qui a récemment vendu un système de localisation de téléphones au Nigeria. Elle battait pavillon canadien, assemble ses systèmes au Bangladesh, mais est pilotée depuis Tel-Aviv. En 2018, elle avait approché les services de renseignements d’un pays du Maghreb, qui a coupé court à toute discussion après avoir découvert l’origine de la société.
ENQUÊTE
CAMEROUN
ERAN MOAS « Consultant » en eaux troubles Il n’apparaît sur aucun organigramme officiel au pays de Paul Biya, mais ce conseiller auprès de l’état-major du Bataillon d’intervention rapide a contribué à implanter, de la colline d’Etoudi à la marina de Kribi, un système israélien dont il est devenu la pierre angulaire. Portrait d’un homme aux réseaux tentaculaires. MATHIEU OLIVIER, ENVOYÉ SPÉCIAL À YAOUNDÉ
alcool coule à flots. Derrière le bar qui longe le restaurant, un professionnel des cocktails manie ses shakers avec virtuosité, attirant les regards. Quelques bouteilles d’un alcool plus fort attendent leur nouveau propriétaire dans un seau rempli de glaçons qui ne tarderont pas à fondre. Ce soir, pour les clients privilégiés (et fortunés) du Famous, le restaurant-cabaret le plus branché de Yaoundé, la nuit camerounaise tient ses promesses. Elle a la couleur ambrée du whisky et la saveur pétillante du champagne. Au cœur du quartier Bastos, l’adresse est devenue incontournable. Samuel Eto’o y a récemment passé la soirée avec le patron de la Fifa, Gianni Infantino. Les artistes Charlotte Dipanda et Lady Ponce s’y sont produites, comme Maître Gims ou Wes Madiko.
Il est comme chez lui Au milieu des stars africaines et internationales, un homme y a également ses habitudes : Eran Moas. Le visage du conseiller du Bataillon d’intervention rapide (BIR, forces spéciales camerounaises) est bien connu des plus assidus. Le 3 novembre de cette
année, il est même fort possible que l’Israélien vienne y célébrer son 45e anniversaire, entouré de ses plus proches amis. Son vingt-troisième fêté sur les terres camerounaises. Dans l’ambiance festive, l’homme de l’ombre des troupes d’élites de Paul Biya ne semble pas cultiver le secret. Il est comme chez lui. Et pour cause : c’est le cas. Décrit comme « le club des Israéliens » dans les hautes sphères de Yaoundé, le Famous est géré par la société Danaet. Son propriétaire n’est pas renseigné au registre du commerce, mais Moas en est l’un des principaux financiers.
JEAN-MARC PAU POUR JA
L
’
Selon plusieurs de ses fréquentations, le conseiller du BIR gère (ou a géré) les participations de la communauté israélienne au Cameroun dans de nombreuses autres socié-
Uniformes, fusils d’assaut Galil, mitrailleuses Negev, véhicules blindés… Avi Sivan équipe le BLI de la tête aux pieds. tés, comme MegaHertz et Ringo (deux sociétés de communication), le café-restaurant l’Espresso House, ou le Safari Club, devenu depuis moins d’un an le Trust Club. Comment a-t-il acquis ce rôle central? Flash-back. Fraîchement sorti d’un service militaire obligatoire en Israël, Eran Moas débarque au Cameroun en 1998. Il a à peine 22 ans. Technicien en communications, il est alors employé par la société Tadiran, l’un des fleurons israéliens des technologies de surveillance et de radars. À l’époque, les relations
47
ENQUÊTE entre Yaoundé et Tel-Aviv sont déjà au beau fixe. Depuis 1984 et le coup d’État qui a failli le renverser, Paul Biya fait confiance aux Israéliens pour réformer son système sécuritaire. Il souhaite s’affranchir des Français, trop proches, selon lui, de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo. Son voisin congolais, Mobutu Sese Seko, lui présente un homme, Meir Meyuhas.
L’espion et le colonel Ce Juif égyptien connaît parfaitement l’Afrique centrale. Ancien espion au service de l’armée israélienne (infiltré en Égypte dans les années 1950, il y sera arrêté et emprisonné), il fréquente déjà les cercles du pouvoir mobutiste à Kinshasa au début des années 1970. Lorsque le Zaïre rompt ses relations avec Israël à la suite de la guerre du Kippour, en 1973, c’est lui qui le premier en informe l’ambassadeur de l’État hébreu en Égypte, un de ses proches. Et, en 1982, alors qu’il a contribué à la formation de la garde rapprochée du leader zaïrois, c’est encore lui qui est à la manœuvre pour favoriser le rétablissement des relations entre les deux pays, servant d’intermédiaire entre Mobutu, le Premier ministre Ariel Sharon et le ministre de la Défense Shimon Peres. Meir Meyuhas saute sur l’occasion pour se rapprocher de Paul Biya. À Yaoundé, où il a ses habitudes à l’hôtel du Mont Febe – la suite 802 devenant son quartier général –, il fait venir son compatriote Avi Sivan. D’abord nommé attaché de défense à l’ambassade israélienne, ce dernier se retrouve rapidement chargé de réformer la garde présidentielle, jusqu’ici sous influence française. Sivan apporte son savoirfaire. Il est l’un des cofondateurs de l’une des unités les plus célèbres d’Israël, la 217. Corps d’élite – initialement composé de Druzes et formé en particulier à l’infiltration dans les zones palestiniennes –, celle-ci est surnommée « Duvdevan », « cerise » en hébreu, car elle est réputée être la seule à pouvoir s’enorgueillir de se trouver sur le gâteau. La méthode Sivan bénéficie des atouts de Meyuhas. L’ancien espion dispose en effet de sociétés privées
48
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Le colonel Avi Sivan (à dr.), alors chef du Bataillon d’intervention rapide (BIR), avec le vice-amiral Harry B. Harris Jr., commandant de la 6e flotte américaine, le 3 février 2010, au Cameroun.
et d’une licence exclusive d’exportation d’équipements militaires délivrée par le ministère israélien de la Défense pour services rendus. Affaibli par la première guerre du Liban, en 1982, Tel-Aviv a lancé une privatisation de son secteur de défense et favorise à tout-va la création d’entreprises d’armement à la tête desquelles il place des anciens de Tsahal, son armée. En d’autres termes, l’époque est florissante pour qui souhaite se lancer dans les affaires sécuritaires, notamment en Afrique centrale. Après la garde présidentielle, le colonel Avi Sivan s’attaque à la formation du Bataillon léger d’infanterie (BLI), qui deviendra par la suite le Bataillon d’intervention rapide (BIR).
Affaires florissantes Sivan équipe le BLI de la tête aux pieds (uniformes, fusils d’assaut Galil, mitrailleuses Negev, véhicules blindés…) grâce au matériel de Meir Meyuhas et de son fils Sami, qui a rejoint le business familial.
Les Israéliens n’ont aucun souci à se faire : les caisses du BIR sont alimentées par la Société nationale des hydrocarbures à la demande express du chef de l’État. Quant au bataillon, il ne rend compte qu’au Palais d’Etoudi, en l’occurrence au secrétariat général de la Présidence. En 1998, lorsque le jeune Eran Moas débarque à Yaoundé, Avi Sivan est le patron incontesté du BIR, sous la supervision de Paul Biya. Le colonel est un habitué de la nuit de Yaoundé et il n’est pas rare de le voir danser dans des discothèques jusqu’à une heure avancée de la nuit. Il possède également une villa à Kribi, où il s’adonne volontiers à la pêche. Si le ministère israélien de la Défense met fin à la licence exclusive de Meyuhas aux alentours de l’année 2000, les affaires sont prospères, et le BIR continue d’être un excellent client des entreprises israéliennes telles que Israel Weapon Industries. Autour d’Avi Sivan, conseiller à la présidence, la communauté israélienne s’étoffe à Yaoundé. Outre
PETTY OFFICER 2ND CLASS GARY KEEN; U.S. NAVAL FORCES EUROPE-AFRICA/U.S. SIXTH FLEET
ENQUÊTE
TWITTER LUCIE MOAS
Moas garde la main sur les contrats de fourniture en matériel militaire et sur la relation stratégique avec le secrétariat général de la Présidence.
Impliqué dans la vie associative camerounaise, Eran Moas finance notamment l’ONG Ape Action Africa, fondée par Avi Sivan en 1996.
Eran Moas, les généraux de brigade Meyer Heres et Erez Zuckerman – qui a démissionné en 2007 de Tsahal après une opération manquée lors de la guerre du Liban de 2006 – font leur apparition. En 2010, Sivan meurt dans un accident d’hélicoptère dont les circonstances demeurent floues. Heres et Zuckerman, qui aurait ensuite quitté le pays, en 2017, prennent le relais. À leurs côtés, Eran Moas, devenu conseiller auprès de l’état-major du BIR. L’Israélien apprend rapidement le français, épouse une Camerounaise, Lucie, et trouve sa place au cœur de l’Afrique centrale, dans les collines de Yaoundé. Impliqué, selon un proche, « dans la vie sociale et associative camerounaise », il finance notamment Ape Action Africa (AAA, ONG fondée par Avi Sivan en 1996), où travaille l’un de ses anciens proches camarades de service militaire, Ofir Drori. À ses interlocuteurs, Moas ne manque d’ailleurs pas de montrer des clichés d’un chimpanzé
recueilli dans le parc de la Mefou (Centre) et baptisé Eran en son honneur. Il possède en outre au moins trois ou quatre villas à Yaoundé, ainsi qu’une autre à Douala, sans compter les résidences de luxe qu’il a pu acquérir aux États-Unis, notamment dans la région de Los Angeles.
Complicités au sommet S’il rencontre plusieurs fois par an le chef de l’État, c’est en revanche un autre Israélien, le général de brigade Baruch Mena, qui est chargé des questions militaires liées au BIR. Selon plusieurs sources, Moas garde en revanche la main sur les aspects économiques, comme les contrats de fourniture en équipements, et sur la relation stratégique avec le secrétariat général de la Présidence, occupé depuis 2011 par Ferdinand Ngoh Ngoh. Les deux hommes – et leurs épouses – se connaissent très bien. Depuis des années, ils ont pris l’habitude de voyager ensemble et de se retrouver à Kribi, où Moas a conservé l’ancien bateau d’Avi Sivan, un
puissant quatre-moteurs idéal pour la pêche au large. De quoi discutent le décisionnaire de la présidence et l’entreprenant Israélien sur les flots de l’Atlantique ? Selon des documents en possession de Jeune Afrique, deux entreprises liées à Eran Moas, les dénommées PortSec SA (enregistrée au Panama) et Tandyl Development, ont bénéficié ces dernières années d’actes signés ou initiés par le secrétariat général de Ferdinand Ngoh Ngoh, en l’occurrence un décret d’expropriation dans le cadre d’un projet immobilier à Yaoundé (lire pp. 50-52), et un contrat de sécurisation passé de gré à gré pour le port autonome de Douala. Contacté par nos soins le 6 octobre, Eran Moas n’a pas souhaité répondre à l’auteur de ces lignes. Son nom ne figurant sur aucun organigramme du BIR, il se présente aujourd’hui auprès de certains de ses interlocuteurs les moins informés comme un « consultant » et un « entrepreneur indépendant ». Une vérité bien incomplète. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
49
ENQUÊTE
Petites combines entre amis
MABOUP
Piliers du système de sécurité camerounais, Eran Moas et ses compatriotes israéliens ont également investi l’économie du pays grâce à leurs appuis politiques. Enquête immobilière en plein cœur de Yaoundé.
Quartier Briqueterie, à Yaoundé, où se trouvent les terrains cédés dans des conditions douteuses aux sociétés CFAO et Tandyl Development.
E
n ce milieu de matinée, Philippe Mbarga Mboa n’est pas serein. Exceptionnellement, le ministre chargé de mission à la présidence de la République n’a pas rejoint son bureau du palais d’Etoudi. Il a choisi de rester à son domicile de Yaoundé. C’est ici, dans cette coquette villa aux abords des locaux de la Sûreté nationale et du gouverneur du Centre, qu’il s’attaque parfois à ses dossiers les plus épineux. Le visiteur du jour, Ignace Atangana, enseignant de son état, se présente à 10 heures. Ancien conseiller au ministère de l’Éducation nationale, il est un membre de la famille : son
50
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
oncle a élevé Philippe Mbarga Mboa comme son fils. Alors le ministre a préféré le recevoir dans un cadre plus chaleureux. Nous sommes à l’entame de l’année 2017. Ignace Atangana ne décolère pas. Représentant des familles Mvog Mbia Tsala et Mvog Ela, il entend faire valoir les droits que ces lignées fondatrices de Yaoundé détiennent sur des terrains situés dans le centre de la capitale, en face du Palais des sports. Dès 2011, l’enseignant et l’homme d’affaires Roger Semengue ont espéré y faire construire un centre commercial, démarchant le sud-africain ShopRite avant de s’adresser au groupe français
CFAO (Carrefour). Des plans ont été tracés. Des visites ont été organisées. Mais le projet n’avance plus. Depuis des années, l’État, qui ne veut pas être laissé à l’écart de ce projet de grande ampleur, semble tout faire pour le freiner, n’octroyant pas les autorisations nécessaires. Au palais d’Etoudi, le secrétaire général de la Présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, s’est saisi du dossier. Quant à Atangana, il a écrit au chef de l’État, Paul Biya – avec qui, privilège des grandes familles, il peut avoir un contact direct –, pour lui faire part de son mécontentement. Au début de 2017, alors qu’il reçoit
ENQUÊTE son interlocuteur, Philippe Mbarga Mboa est chargé de jouer les médiateurs. Mais la discussion fera long feu.
Discrète expropriation d’État Calme, Ignace Atangana se dit sûr de son bon droit et de celui des communautés détentrices des permis fonciers des terrains convoités. Lorsque le ministre l’appelle à trouver une solution à l’amiable avec l’État, il reste inflexible. Contrairement à Philippe Mbarga Mboa, il ne sait pas que la Présidence a déjà joué en toute discrétion un coup qui se veut décisif. Le 9 novembre 2016, une correspondance a en effet été transmise par le secrétaire général de la Présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, aux services du Premier ministre, Philémon Yang. Classé confidentiel, ce courrier contient un « projet de décret » d’expropriation « pour cause d’utilité publique » s’appliquant à un peu plus de 7 ha de terrain situés en face du Palais des sports. Le 14 novembre, Philémon Yang appose sa signature sans que son acte soit publié au Journal officiel. L’État, contre des dédommagements que les communautés lésées affirment ne jamais avoir touchés, exproprie les Mvog Mbia Tsala et les Mvog Ela. Dans le plus grand secret. Ignace Atangana n’apprend l’existence du décret que plusieurs mois plus tard, lors d’une convocation au ministère des Domaines. L’enseignant décide aussitôt de saisir la justice pour invalider l’acte. Le 27 novembre 2020, le tribunal administratif a d’ailleurs annulé ses effets pour une partie des titres fonciers concernés et doit se pencher ces prochains mois sur le reste des terrains. Mais l’État n’a pas dit son dernier mot. Se réservant la possibilité de contester les décisions du tribunal devant la Cour suprême, il n’est pas resté inactif depuis son décret de novembre 2016. En 2017, il cède les 7 ha concernés à deux sociétés : CFAO et Tandyl Development. Cette dernière se voit attribuer la moitié du site pour 100 millions de F CFA par an (152 000 euros), dans le cadre d’un bail emphytéotique de 99 ans signé le 22 décembre 2017. En négociation avec l’État dès le début de
Fac-similé de la lettre de Ferdinand Ngoh Ngoh aux services du Premier ministre.
Fac-similé du contrat de gré à gré entre Ferdinand Ngoh Ngoh et PortSec SA.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
51
ENQUÊTE deux ans. L’administrateur de cette société, immatriculée au Panama – un autre paradis fiscal – par les soins du cabinet panaméen Icaza, Gonzalez Ruiz & Aleman, n’est autre que Kohli & Partners, notre firme zurichoise. Plusieurs virements sont d’ailleurs exécutés en octobre 2018 et janvier 2019 par le PAD vers un compte géré par la firme au Liechtenstein.
Le palais présidentiel d’Etoudi.
MABOUP
Dans le viseur de Paul Biya
2017, elle prévoit de construire un « complexe hôtelier de haut standing et un centre d’affaires » jouxtant le centre commercial de CFAO. En raison, sans doute, du bras de fer au tribunal administratif, aucun travail n’a encore été effectué sur place et aucun complexe hôtelier ne semble près de sortir de terre. Si le projet a bel et bien existé, il est aujourd’hui en sommeil, comme Tandyl Development.
Immatriculée au Panama Société civile immobilière unipersonnelle au capital de 500 millions de F CFA, cette entreprise n’a été immatriculée au registre du commerce de Yaoundé que dix mois plus tôt. Son siège social ne paie guère de mine : une boîte postale – numéro 35.588 – du quartier Bastos de la capitale. Quant à son gérant, un certain Emmanuel Urbach Guido, il est inconnu des milieux de Yaoundé. Selon les informations que Jeune Afrique a pu récolter, il s’agit en réalité d’Emanuel Urbach Guido, avec un seul « m » (contrairement à l’orthographe du bail du 22 décembre 2017). Avocat suisse de 49 ans, ce spécialiste en droit des contrats, exerçant en allemand, en anglais et en hébreu, a travaillé au sein de Kohli & Partners, un cabinet de Zurich auquel il a joint son nom en 2018 pour former Kohli & Urbach. Contacté par nos soins le 30 septembre et le 6 octobre derniers, cet
52
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ancien étudiant des universités de Zurich, Jérusalem et New York n’a pas donné suite. Les numéros de téléphone et adresses électroniques de Tandyl Development sont restés muets. Mais le nom de Kohli & Partners n’a pas manqué d’attirer notre attention. Ce n’est pas la première fois que ce cabinet spécialisé dans les montages offshore s’invite dans les cercles camerounais. Son
Siège social de Tandyl Development : une boîte postale – numéro 35.588 – du quartier Bastos. nom figure sur un document daté du 13 avril 2018 et émanant du secrétariat général de la Présidence de la République – le même à l’origine du décret d’expropriation de novembre 2016 à Yaoundé. Cette fois, Ferdinand Ngoh Ngoh ordonne au directeur général du Port autonome de Douala (PAD), Cyrus Ngo’o, de signer avec la société PortSec SA un marché de gré à gré portant sur la « sécurisation du périmètre et du contrôle des accès du port » pour un montant d’un peu plus de 25 milliards de F CFA – et même 31 milliards après un avenant – et une durée de
Le gérant de PortSec SA, Tsafir Tzvi, est inconnu des Camerounais, mais il a un point commun avec Kohli & Partners et Tandyl Development : Eran Moas, l’un des conseillers israéliens de l’état-major du Bataillon d’intervention rapide (BIR, forces spéciales). Tsafir Tzvi est un proche de ce dernier, lequel serait aussi à l’origine de la création de Tandyl Development, selon des sources ayant été en contact avec la société. Surtout, Moas, qui se présente comme un consultant indépendant, a déjà eu recours aux services de Kohli & Partners. En 2016, le cabinet s’est chargé pour lui de l’acquisition d’une villa d’une valeur de 6,5 milliards de F CFA à Los Angeles, aux États-Unis, et le nom d’Eran Moas est associé à d’autres sociétés immobilières en Californie, comme Crown Royal Developers, qu’il a présidée au début des années 2010. Le conseiller du BIR, interlocuteur favori du secrétaire général Ferdinand Ngoh Ngoh à la Présidence, joue-t-il les agents commerciaux de luxe pour sa communauté ? Plusieurs de nos interlocuteurs l’indiquent clairement, et la liste des participations israéliennes à des entreprises camerounaises, de la télécommunication à l’événementiel, est longue. L’Israélien, que nous avons contacté le 6 octobre, n’a pas répondu à nos questions au sujet de Tandyl Development. Il pourrait devoir le faire devant des autorités plus persuasives. Selon une source sécuritaire, les soupçons de favoritisme et de corruption auraient attiré l’attention au plus haut sommet de l’État, Paul Biya ayant chargé les renseignements extérieurs et leur patron, Maxime Eko Eko, de se pencher sur la question. Mathieu Olivier
ENQUÊTE
UNE STRATÉGIE DE MAILLAGE PROGRESSIF Présence d’un ambassadeur israélien
Zones d'implantation historiques
Présence d’un consul honoraire israélien
Aucune relation diplomatique avec Israël
Pays ayant une ambassade en Israël
TUNISIE MAROC
ISRAËL ALGÉRIE LIBYE
MAURITANIE
ÉGYPTE
MALI NIGER
CAP-VERT SÉNÉGAL GAMBIE
SOUDAN
ÉRYTHRÉE
TCHAD BÉNIN
LIBERIA
DJIBOUTI
NIGERIA
CÔTE GHANA D'IVOIRE TOGO
CAMEROUN
RDC
Les axes de conquête :
Rwanda-Ouganda-Soudan-TchadNiger-Mali-Mauritanie : Israël a ouvert une ambassade à Kigali en 2017, avant d’opérer un rapprochement en 2020 avec Yoweri Museveni et d’entrer en discrètes négociations avec le Soudan, grâce à l’influence américaine. Prochaines étapes : le Tchad, où des contacts avaient été pris avec Idriss Déby Itno et où la société Verint est déjà présente, le Niger et la Mauritanie.
SOMALIE
OUGANDA
GUINÉE ÉQUATORIALE
Égypte-Libye-Tunisie-Algérie-Maroc : Israël dispose d’une ambassade en Égypte et espère nouer des relations à l’ouest avec les autres pays du Maghreb. Il dispose d’un bureau de liaison diplomatique au Maroc, où un ambassadeur vient d’être nommé, et des sociétés israéliennes ont vendu de la technologie en Tunisie et en Algérie.
ÉTHIOPIE
SOUDAN DU SUD
KENYA RWANDA
TANZANIE COMORES ANGOLA ZAMBIE MAURICE
MOZAMBIQUE MADAGASCAR BOTSWANA
AFRIQUE DU SUD
Togo-Bénin-Nigeria : Implanté historiquement au Togo mais aussi au Cameroun, Israël souhaite approfondir ses relations avec le Nigeria et le Bénin. Ses sociétés de technologie de défense sont déjà présentes sur le marché nigérian, ainsi que sur le marché béninois. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
53
ENQUÊTE
En terre promise abidjanaise Plaque tournante historique de l’influence israélienne en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire a renforcé son alliance avec Tel-Aviv et ses entreprises, notamment sous l’influence de Stéphane Konan, conseiller de feu Hamed Bakayoko. Et cette tendance est loin de s’inverser.
MATHIEU OLIVIER
E
n ce début d’année 2019, les spécialistes français de l’industrie de défense ont le sourire. Une partie d’entre eux à tout le moins, qui ont quitté la froide grisaille de la région parisienne pour les latitudes plus clémentes de la lagune Ebrié. À Abidjan, le salon Shield Africa tient sa sixième édition. Lancé en 2013, il est devenu l’un des rendez-vous majeurs consacrés à la défense et à la sécurité en Afrique. Chaque année, leaders mondiaux du secteur et apprentis vendeurs d’armes y défilent, au milieu de militaires en treillis. Depuis 2017, le salon est la propriété du Groupement des industries françaises de la défense et de la sécurité terrestres et aéroterrestres, chargé de la promotion internationale de l’industrie française de défense. Alors, son patron, le général Patrick Colas des Francs (remplacé depuis par le général Charles Baudoin), et les Français y sont un peu comme chez eux, et les fleurons hexagonaux y sont le mieux représentés. Pourtant, chez Thalès, en ce mois de janvier 2019, certains hommes en costume font la moue. En pénétrant sous le chapiteau principal, deux choses inhabituelles ont attiré leur attention : d’une part, le pavillon offert à la Biélorussie ; d’autre part, le nombre anormalement élevé de sociétés israéliennes. NSO Group Technologies ne participera qu’en 2021, mais un autre poids lourd venu
54
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
d’Israël est déjà là, en l’occurrence Verint System, grand spécialiste de l’écoute et de la surveillance des réseaux de communication. En tout, une dizaine d’entreprises sous la bannière de l’État hébreu sont présentes dans les allées. « Ça nous a fait un choc. On sait tous que, sur le marché des technologies de défense, les Israéliens sont redoutables », confie un spécialiste français de la sécurité.
D’Houphouët à Ouattara En Côte d’Ivoire, si les Français ont longtemps eu une longueur d’avance, les envoyés d’Israël ont en réalité avancé leurs pions depuis de nombreuses années. Dès 1962, Félix Houphouët-Boigny effectue ainsi une visite à Jérusalem, se rapprochant du Premier ministre David Ben Gourion et de sa ministre des Affaires étrangères Golda Meir, grande artisane de l’opération de séduction de l’État juif à l’étranger, notamment en Afrique. Le chef de l’État ivoirien sera ensuite l’un des derniers présidents africains à rompre les relations diplomatiques avec Israël après la guerre du Kippour, en 1973, avant de les rétablir dès 1985, dans la foulée du Zaïre et du Cameroun. Confronté à une rébellion à partir de septembre 2002 et à l’hostilité de la France de Jacques Chirac, Laurent Gbagbo sollicite de son côté l’aide militaire israélienne. Son ministère de la Défense acquiert alors du matériel de transmission de pointe et
deux drones auprès de l’État hébreu. Tel-Aviv envoie même à Abidjan une cinquantaine de conseillers militaires, chargés notamment des écoutes téléphoniques, que le gouvernement loge au dernier étage de l’hôtel Sofitel Ivoire. Sous l’impulsion de l’ambassadeur israélien à Abidjan Benny Omer, Tel-Aviv facilite aussi la venue de spécialistes du renseignement militaire et d’experts de l’espionnage pour la formation d’agents ivoiriens.
Sous Gbagbo, l’État hébreu envoie une cinquantaine de conseillers militaires, chargés notamment des écoutes téléphoniques. Alors que Laurent Gbagbo est poussé vers la sortie lors de la crise postélectorale de 2010-2011, Abidjan est en réalité déjà devenue – avec le Togo – la plaque tournante des milieux d’affaires israéliens en quête d’opportunités d’investissements en Afrique de l’Ouest. Alassane Ouattara ne va pas modifier cet état de fait. Dès juin 2012, il effectue lui-même une visite officielle en Israël et met peu à peu en place ses propres réseaux, grâce notamment à l’entregent de son vieil ami Hubert Haddad. Le chef de
UNIVERSAL IMAGES GROUP VIA GETTY IMAGES
ENQUÊTE
David Ben Gourion et Félix Houphouët-Boigny avec leurs épouses et Golda Meir (à dr.), en 1962, à Jérusalem.
l’État et l’homme d’affaires francoisraélien se connaissent bien, d’autant qu’ils sont voisins dans la ville de Mougins, leur lieu de villégiature dans le sud de la France.
Des souris et des hommes C’est lors du premier mandat d’Alassane Ouattara que la jeune entreprise NSO commence à s’implanter dans la capitale économique ivoirienne. Sortie malgré elle de l’anonymat ces dernières années au rythme des révélations concernant son logiciel d’écoute et d’interception Pegasus, cette société a peu à peu pris ses quartiers ouest-africains en Côte d’Ivoire, où Verint, plus ancienne qu’elle de quelques années, l’a précédée. Fondée en 2010 par les spécialistes du renseignement électronique Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie, NSO parvient progressivement à équiper les services ivoiriens de défense et
de sécurité, au point de faire de ses conseillers les véritables tenants du système d’interception et de surveillance de l’État. L’entreprise, basée à Herzliya – la Silicon Valley israélienne, au nord de Tel-Aviv –, a fourni les équipements de la présidence, mais aussi des ministères de l’Intérieur et de la Défense, jusqu’à supplanter à plusieurs reprises des mastodontes français tels que Thalès. Un homme la représente régulièrement à Abidjan en la personne de Gaby Peretz. Courtier israélien en matériel militaire, Peretz est présent depuis les années 1980 dans la sous-région, où il dispose de solides contacts. À la tête de la société AD Consultants, il est actif en Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal, au Ghana et au Gabon, à la fois dans les technologies d’écoute et dans l’armement « traditionnel » – il a récemment vendu deux patrouilleurs construits par Israel
Shipyard et se propose aujourd’hui de les équiper de missiles fabriqués en Israël par Rafael Advanced Defense Systems. Fort de ses liens avec NSO, Peretz pourrait aussi être associé à la réorganisation en cours des locaux du ministère ivoirien de la Défense. Verint Systems devrait également être de la partie, avec le concours d’un autre réseau de poids, celui du Franco-Israélien (né à Casablanca) Didier Sabag. Patron de la société Sapna Ltd, il a aussi opéré en Centrafrique, au Bénin, en GuinéeBissau ou au Maroc pour le compte des Israéliens de Herzliya. Mais, à Abidjan, ces derniers se sont surtout appuyés sur un autre homme, qui fut un intime de l’ancien Premier ministre Hamed Bakayoko : le Franco-Ivoirien Stéphane Konan, expert de la cybercriminalité reconverti dans le business de la défense électronique. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
55
ENQUÊTE Le nom de Stéphane Konan est bien connu des milieux de l’internet africain. Expert reconnu en cybercriminalité, le fils de l’ex-ministre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) Lambert Kouassi Konan a longtemps été un interlocuteur incontournable en matière de sécurité des systèmes et d’échanges informatiques. Repéré par Hamed Bakayoko, il en devient le conseiller au ministère de l’Intérieur, que le maire d’Abobo occupe dès avril 2011, après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Les deux hommes s’apprécient et, au milieu des années 2010, le technicien est devenu l’un des plus proches collaborateurs du ministre lorsqu’il s’agit d’aborder les sujets liés à la technologie de communication.
Double jeu
AUDREY C. TIERNAN/NEWSDAY RM VIA GETTY IMAGES
Alors que Hamed Bakayoko n’est pas encore passé de l’Intérieur à la Défense, Konan a su tisser un réseau de poids aux côtés du patron de la Grande Loge de Côte d’Ivoire. Il collabore régulièrement avec les spécialistes français de la cyberdéfense, notamment Thalès et Ercom, prestataire historique de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, renseignements français). Selon une source proche de l’entreprise, Stéphane Konan
est même répertorié à cette époque comme agent commercial occasionnel par les industriels français en Afrique de l’Ouest. Mais l’intéressé a d’autres connexions : lors d’un séjour à Libreville, il s’est rapproché des Israéliens, qui équipent le système d’écoute de la présidence de la République (le Silam, resté toutefois sous la direction d’un Français, le colonel Boisseau). Selon une source sécuritaire à Paris, les amis français de Stéphane Konan ne s’en inquiètent guère de prime abord. Le conseiller de Hamed Bakayoko commence alors à travailler, aux alentours de l’année 2016, avec NSO et même avec certains des partenaires de l’Israélien, comme l’indien Purple. « Quand on s’est rendu compte de son double jeu, c’était fini. Israël et NSO avaient déjà conquis Abidjan et vendu leurs équipements à la Direction de la surveillance du territoire, à la Direction des services extérieurs et à la Direction des renseignements militaires », se souvient un habitué français du Shield Africa. Pour les Français, le « mal » est fait : Stéphane Konan a rapproché les intérêts israéliens des réseaux francs-maçons de Hamed Bakayoko et d’Alain-Richard Donwahi (ministre de la Défense de janvier 2016 à juillet 2017, avant que Bakayoko lui succède).
Dan Bodner, patron de Verint Systems Inc., le 25 juin 2014, à Melville, dans l’État de New York.
56
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
« On l’a assez mal vécu, raconte un proche de Thalès. En 2011, lors de la crise postélectorale, ce sont nos forces spéciales qui ont permis l’évacuation de l’ambassadeur israélien à Abidjan [Daniel Saada, qui sera ensuite en poste à Paris jusqu’en juillet 2021]. Alors, quand on a vu les Israéliens prendre les marchés, on l’a un peu ressenti comme une trahison. » « C’est aussi une question de moyens, ajoute cette même source. Aujourd’hui, les gros groupes français sont limités par les lois Sapin II sur la transparence et la corruption, entrées en vigueur en juin 2017. Ce sont des lois qui encadrent les réseaux d’intermédiaires, sous peine d’amendes colossales en cas de transgression. Mais les Israéliens n’y sont pas soumis… »
L’ombre du Mossad La porte d’Abidjan est désormais grande ouverte aux acteurs de Herzliya. La relation des Israéliens avec HamBak et Donwahi est au beau fixe. Quant à Stéphane Konan, il est toujours l’interlocuteur privilégié des envoyés de Tel-Aviv. Il est aujourd’hui à la tête de deux sociétés : Picatrix, au Nigeria, et surtout Competences LDA, dont il occupe la direction générale depuis 2012 et qui est domiciliée au Cap-Vert. Selon un connaisseur du marché abidjanais, c’est par cette dernière que passent la majorité des activités d’apporteur d’affaires liées à Israël. Stéphane Konan organise d’ailleurs régulièrement à Praia des séminaires lors desquels il réunit ses contacts du Proche-Orient. « Les Israéliens font partie des principaux partenaires de ma société Compétences, qui a des filiales en Côte d’Ivoire, au Brésil et au Nigeria, nous a-t-il confirmé. Mais, pour moi, la technologie n’a pas de nationalité, et j’ai d’ailleurs encore travaillé avec Thalès l’année dernière sur un projet du ministère de la Défense. Les Français sont très bons dans certains secteurs, moins dans d’autres. » Konan a tellement apprécié ses contacts avec les Israéliens qu’il a envoyé son fils faire ses études de droit en 2015 à l’université hébraïque de Jérusalem, d’où l’étudiant est sorti major de sa promotion en 2019.
SHIELDAFRICA 2019
ENQUÊTE
Stéphane Konan (deuxième à dr., de profil), lors du salon Shield Africa 2019, à Abidjan.
En juin 2021, lors du dernier Shield Africa, l’expert en cybercriminalité, orphelin de Hamed Bakayoko, est cette fois sur place comme conseiller de Téné Birahima Ouattara, frère du chef de l’État et actuel ministre de la Défense. Il n’est plus le commissaire du salon, comme cela était le cas en 2017, mais son influence ne fait pas de doute. Autour de lui : ses contacts israéliens, anciens de l’Unité 8200, unité de surveillance électronique de l’armée israélienne, vivier de recrutement de NSO et des sociétés de Herzliya. Sont-elles les bras armés du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien ? « C’est un petit peu plus compliqué que ça, explique un expert de la question. Elles ont une forme d’indépendance, et le Mossad n’a pas forcément besoin d’elles pour recueillir des informations. Mais elles sont des outils, en particulier parce que leurs employés sont tous des anciens de l’armée. » « À Abidjan, c’est la communauté libanaise qui intéresse les grandes oreilles israéliennes », affirme une source sécuritaire.
Selon nos informations, Tel-Aviv et Yamoussoukro disposeraient d’un accord officieux de partage d’informations issues des systèmes d’interception installés et entretenus par Israël. Le Mossad soupçonne
Les Israéliens ont placé sous surveillance des Libanais de Côte d’Ivoire, qu’ils soupçonnent de financer le Hezbollah. ainsi une partie des Libanais de Côte d’Ivoire de financer le Hezbollah, farouche adversaire de l’État hébreu et allié de l’Iran et du Hamas palestinien. Les secteurs de la restauration – et notamment les grands restaurants de la zone 4, dans la commune de Marcory – mais aussi les filières agricoles de la banane, du cacao et du caoutchouc sont ainsi sous surveillance, tandis que la sécurité globale
de l’aéroport d’Abidjan est aux mains d’Avisecure, filiale locale du groupe israélo-canadien Visual Defence. « Tel-Aviv craint de voir prospérer en Afrique de l’Ouest une base arrière financière du Hezbollah, alors ils font d’une pierre deux coups, que ce soit en Côte d’Ivoire ou au Nigeria, par exemple : du business et de l’espionnage », résume un homme d’affaires du secteur. En mai 2009, un haut dignitaire religieux de la communauté libanaise d’Abidjan, Abdul Menhem Kobeïssi, a ainsi été accusé par le Trésor américain d’être l’un des financiers du Hezbollah et expulsé du pays. L’association qu’il représentait, baptisée Ghadir, est aujourd’hui encore considérée par Tel-Aviv et ses alliés de Washington comme un soutien de poids du Hezbollah. Quant aux services de renseignements israéliens, ils classent toujours la Côte d’Ivoire comme l’un des premiers centres de l’activité de collecte de fonds de l’organisation en Afrique. De quoi garantir un avenir radieux aux techniciens de Herzliya sur les rives de la lagune Ebrié. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
57
TRANSITION POLITIQUE AU TCHAD
Le conseil national de transition installé, le dialogue inclusif se poursuit Le Conseil national de transition, parlement intérimaire formé de 93 membres, est installé depuis le 5 octobre dernier. C’est l’une des institutions majeures de la transition politique menée depuis la mort du Maréchal Idriss Déby Itno. Dans le même temps, le dialogue national et le processus de réconciliation continuent d’enregistrer des résultats.
LE CONSEIL NATIONAL DE TRANSITION REPRÉSENTE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ
Mahamat Idriss Déby Itno Président du CMT Le 20 avril, en annonçant la mort du maréchal Idriss Déby Itno dans des combats contre des rebelles, alors qu’il venait d’être déclaré réélu après 30 années au pouvoir, le général Mahamat Idriss Déby Itno était proclamé chef de l’État à la tête d’un Conseil militaire de transition (CMT) composé de quatorze autres généraux. Celui-ci était chargé de faire face aux menaces auxquelles le pays était confronté, d’organiser des élections libres et transparentes, dans un délai de dix-huit mois mais aussi de mener un processus de réconciliation entre Tchadiens, alors que chaque gouvernement est confronté depuis des décennies à une opposition armée. Pour accomplir ces missions, dès le 21 avril, le CMT a doté le pays d’une Charte de transition. C’est conformément à cette Charte qu’un Premier ministre de transition civil, Albert Pahimi Padacké, a été nommé le 26 avril. Cinq jours plus tard, celui-ci prenait la tête d’un gouvernement de transition composé d’une quarantaine de ministres.
LE CNT AURA NOTAMMENT POUR MISSION D’EXAMINER LE PROJET DE FUTURE CONSTITUTION, UNE ÉTAPE CLÉ DE LA TRANSITION
Il restait à mettre en place le Conseil national de transition (CNT). Pas moins de cinq mois ont été nécessaires à la formation de ce parlement provisoire, nommé le 24 septembre par un décret du chef de l’État. Ses 93 membres, sélectionnés par un comité ad hoc, respectent des quotas fixés à l’avance, notamment en termes de représentativité de la société tchadienne. Au moins 30 % de députés de l’Assemblée nationale sortante devaient ainsi apparaître dans le CNT, de même que 30 % de femmes et 30 % de jeunes.
«politico-militaire», le dernier chef de l’opposition parlementaire, sous Idriss Déby Itno, ou encore l’ancien Premier ministre, Kassiré Coumakoye. Aucun membre de la plateforme Wakit Tama, qui conteste toujours le pouvoir actuel, n’y figure en revanche.
Ses membres représentent une douzaine de courants politiques. On retrouve dans le CNT des personnalités de la société civile et du mouvement syndical, des représentants religieux, des personnes issues de l’univers
C’est un homme politique d’expérience, Haroun Kabadi, qui devra guider le CNT dans ses missions. L’une des plus importantes consistera à examiner le projet de future Constitution, une étape clé de la transition. •
Les membres du comité ayant sélectionné les dossiers des membres du CNT, le 26 septembre 2021
COMMUNIQUÉ
HAROUN KABADI : UN POIDS LOURD POUR PRÉSIDER LE CNT « NOUS AVONS DÉCIDÉ DE LUTTER DE L’INTÉRIEUR, C’EST-À-DIRE D’ALLER AU DIALOGUE » Laoukein Kouraleyo Médard reçu par le président du CMT
Nommé le 5 octobre dernier à la tête du CNT, en même temps que l’institution démarrait ses travaux, Haroun Kabadi est âgé de 73 ans. Agronome formé aux États-Unis, il était le président de l’Assemblée nationale sortante. Il a passé dix ans à la tête du législatif tchadien, après avoir été Premier ministre dans les années 2000.
LES OPPOSANTS NOMBREUX À REJOINDRE LE DIALOGUE NATIONAL INCLUSIF Si Wakit Tama ne figure pas dans le CNT, nombre de personnalités de l’opposition participent au dialogue national, afin de contribuer de l’intérieur à la transition, y compris des membres de cette plateforme de partis politiques et de la société civile qui continue de manifester contre le pouvoir.
Mahamat Nour Ibedou :
un militant historique va au dialogue C’est le cas de Mahamat Nour Ibedou. Ancien opposant au régime d’Hissène Habré, puis d’Idriss Déby Itno, dont il a dans un premier temps été un chargé de mission, il est depuis 2011 le secrétaire général de la Convention tchadienne pour les droits humains (CTDDH).
« Nous avons assez lutté en dehors du système, a-t-il déclaré le 11 octobre. Et là, franchement, nous risquons d’être d’éternels contestataires. Nous refusons désormais de subir et nous avons décidé, cette fois-ci, de lutter de l’intérieur, c’est-à-dire d’aller au dialogue. Il faut vraiment participer aux instances qui doivent décider de la vie du pays ».
« Si nous n’y allons pas, cela veut dire que nous leur donnons l’occasion de s’éterniser au pouvoir ou de prolonger la durée de la transition », estime Laoukein Kouraleyo Médard, son président. Lui-même ex-candidat à la présidentielle, ex-ministre et ancien maire, il a été reçu le 28 septembre par le président du CMT, Mahamat Idriss Déby Itno, « dans le cadre des consultations régulières avec les leaders de formations politiques ».
Comme les autres participants à ce processus, ils espèrent que le dialogue, réclamé depuis des décennies, jettera les bases de réformes profondes de l’État. •
DES REBELLES ARMÉS SAISISSENT LA MAIN TENDUE
La Ligue tchadienne des droits de l’homme représentée au sein du Dialogue Son point de vue est également partagé par Dobian Assingar, ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH). Ce dernier a été nommé membre du comité d’organisation du dialogue national. Pour rappel, lors de la nomination des membres de ce comité, le 13 août dernier, une place a été réservée à des entités comme la LTDH ou l’Union des syndicats du Tchad (UST), également membres de Wakit Tama.
LES PARTICIPANTS ESPÈRENT QUE LE DIALOGUE, RÉCLAMÉ DEPUIS DES DÉCENNIES, JETTERA LES BASES DE RÉFORMES PROFONDES DE L’ÉTAT
Timrane Erdimi - Dirigeant du groupe armé de l’Union des forces pour la résistance (UFR)
Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’État tend la main aux groupes rebelles qui acceptent de déposer les armes pour participer à un futur dialogue inclusif. C’est dans ce cadre que plusieurs dirigeants du groupe armé de l’Union des forces pour la résistance (UFR), dirigé par Timan Erdimi, ont saisi l’opportunité de regagner le Tchad et même de rencontrer le président du CMT, Mahamat Idriss Deby Itno, le 3 septembre dernier.
JAMG - PHOTOS DR
Haroun Kabadi - Président du CNT
Le parti la Convention tchadienne pour la paix et le développement (CTPD) a lui aussi annoncé, le 14 septembre, prendre part au dialogue national inclusif.
Il faut rappeler que les anciens chefs de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), et Mahamat Ahmat Alhabo, du Parti pour les libertés et le développement (PLD), ont tôt rejoint le dialogue national. Le premier a même été nommé mi-août vice-président du comité d’organisation du dialogue national inclusif.
Politique MALI
CHOGUEL MAÏGA, MÊME PAS PEUR Mise en accusation de la France, rapprochement avec la Russie, report des élections… Depuis cinq mois, le Premier ministre multiplie les déclarations d’intention chocs. Mais cet ambitieux réussira-t-il à durer ?
NICOLAS RÉMÉNÉ POUR JA
FATOUMATA DIALLO, ENVOYÉE SPÉCIALE À BAMAKO
60
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
RD Congo Dieu tout-puissant Côte d’Ivoire Guillaume Soro, l’impossible retour ? Un lieu, une histoire Nkandla, la terre où Zuma est roi
Sénégal Le dernier combat des Wade Tribune Sommet Afrique-France : Macron est-il allé trop loin ? Maroc Makhzen, mode d’emploi Golfe MBS, MBZ, Tamim : la guerre des trois
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
61
POLITIQUE MALI
NICOLAS REMENE / LE PICTORIUM / MAXPPP
D
epuis longtemps déjà, Choguel Kokalla Maïga a arrêté de compter ses détracteurs. En trente ans de vie politique, cet homme de 63 ans s’en est fait, des adversaires. Le Premier ministre malien n’a jamais été consensuel, et il semble aimer ça. Ce vieux routier de la politique a fait du clivage l’une de ses marques de fabrique. Et tant pis pour ceux qui imaginaient que son arrivée aux responsabilités le rendrait moins offensif. En cinq mois à la tête du gouvernement de transition, il n’a rien abandonné de sa verve et s’est distingué par des déclarations assez peu politiquement correctes. Les critiques semblent glisser sur ce fin tacticien à la silhouette fine. Ne tient-il pas là sa revanche ? Lui qui n’avait recueilli que 2,16 % des voix à la présidentielle de 2018 a su en peu de temps devenir un homme incontournable. Pour Choguel Maïga, le moment crucial s’est joué dans la nuit du 24 au 25 mai dernier. Quelques heures plus tôt, les militaires arrêtaient le président de la transition, Bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane, qui avaient osé leur tenir tête. C’est le second coup d’État en neuf mois. À Bamako, les heures sont confuses, et les dés politiques sont relancés quand les cadres du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) prennent la route de Kati, convoqués par Assimi Goïta, le nouveau président de la transition.
Discours de Choguel Maïga lors de la célébration du premier anniversaire de la création du M5, le 4 juin, boulevard de l’Indépendance, à Bamako.
Soif de revanche Au quartier général de la junte, le colonel Sadio Camara et le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga leur annoncent que la primature revient au M5. Une aubaine pour Choguel, qui s’est imposé de fait à la tête du mou« JE ME TIRE UNE vement. Quelques semaines plus tôt, il avait confié à cerBALLE DANS LE tains de ses proches qu’il PIED EN TE accepterait que le M5 intègre le pouvoir de transition préciCHOISISSANT, LUI sément s’il obtenait ce poste. Les négociations durent CONFIE ASSIMI tard dans la nuit. Dans la GOÏTA. TU NE FAIS pénombre de ce rendez-vous improvisé, Choguel et ses alliés PAS L’UNANIMITÉ demandent un délai aux miliAU SEIN DE LA taires. Ils souhaitent se concerter avec les autres membres du JUNTE.» M5 pour décider d’un nom à l’unanimité. C’est du moins le discours officiel. Car, en coulisse, le mouvement est profondément divisé. « Tout le monde pensait que Choguel était le président du M5 mais, en réalité, il s’était
62
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
autoproclamé à ce poste », affirme Clément Dembélé, le leader de la Plateforme contre la corruption et le chômage, membre de la coalition. Cheick Oumar Sissoko, le coordinateur d’Espoir Mali Kura (EMK), qui fait aussi partie du M5, dira plus tard qu’il n’a été « ni informé ni associé au processus de désignation de Choguel à la primature ». Les grandes manœuvres commencent, et, à cet exercice, Choguel Maïga n’est pas le plus mauvais. Après une traversée du désert, n’a-t-il pas réussi à devenir un des principaux visages du M5? Il faut dire que l’homme avait soif de vengeance. Il n’a jamais digéré son limogeage du ministère de l’Économie numérique par Ibrahim Boubacar Keïta, en 2016 – le président le soupçonnait d’avoir détourné des fonds lorsqu’il était directeur de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications (ARTP). Quand la grogne contre le chef de l’État s’installe, il ne peut donc qu’être de la mobilisation. Ce 25 mai, une nouvelle fois, Choguel Maïga parvient à ses fins. Malgré la division au sein du M5, la primature lui revient. Assimi Goïta sait à qui il a affaire avec cet électron libre. « Je me tire une balle dans le pied en te choisissant, lui confie-t-il. Tu ne fais pas l’unanimité au sein de la junte. » Choguel touche du doigt son rêve mais les défis sont légion. Ses ennemis le guettent et ses partisans, à qui il a promis tant de changements et de justice sociale, veulent des résultats. Le nouveau Premier ministre le sait : pour se maintenir, il devra jouer les équilibristes. À peine arrivé à la tête du gouvernement, il fait de la lutte contre la gabegie
POLITIQUE MALI Russophile et diplômé de l’Institut des téléfinancière une priorité. De nombreuses percommunications de Moscou, il ne cache plus la sonnalités sont mises aux arrêts. Parmi elles, volonté de son pays de favoriser la coopération le maire de Bamako, Adama Sangaré, et l’anmilitaire avec le Kremlin. Au début d’octobre, cien Premier ministre d’IBK, Soumeylou les autorités russes ont honoré un contrat miliBoubèye Maïga. Si ces interpellations ont taire signé avec le Mali en décembre 2020 qui trouvé un écho relativement positif au sein de prévoyait la livraison de quatre hélicoptères l’opinion publique, nombreux sont ceux qui y Mi-171, d’armes et de munitions. voient une chasse aux sorcières. Une coopération avec des groupes de sécuSes adversaires à l’intérieur du Mali rité privés de la nébuleuse Wagner est désorsemblent ne pas lui suffire. Dans le même mais évoquée de façon de temps, Choguel Maïga décide plus en plus précise. Cela de s’attaquer à l’allié historique serait « inconciliable » avec à l’international : la France. À BAMAKO, la présence française, marAprès huit années de lutte tèle Paris. Mais, à Bamako, acharnée contre le jihadisme CERTAINS Choguel n’a cure de ces dans le nord du pays et alors PRÉDISENT DÉJÀ intimidations. « Qu’y a-t-il que le mécontentement des d’étonnant dans le fait que populations est de plus en SA CHUTE l’on souhaite renforcer plus grand, Choguel Maïga notre collaboration avec la attribue à Paris la responsabi« AVANT LA FIN Russie? 80 % des militaires lité de l’échec de la lutte contre maliens ont fait leur formale terrorisme. Épousant le DE L’ANNÉE tion en Russie, une bonne sentiment anti-Français en 2021 ». partie de notre équipement vogue dans le pays, Choguel militaire vient de Russie », Maïga joue franc-jeu. Le balaie-t-il, ajoutant ne pas 26 septembre, à la tribune des connaître Wagner. Nations unies, il ouvre les hostilités en dénonDans la lumière, le Premier ministre çant un « abandon »: « C’est dans un contexte dégaine, volontiers provocateur. Dans d’instabilité que l’opération française l’ombre, le président, lui, reste silencieux. Barkhane a annoncé subitement son retrait Mais il ne faut pas s’y tromper : « Tout ce en vue d’une coalition internationale dont que dit Choguel vient de Goïta, avance tous les contenants ne sont pas connus […]. Le Jamil Bittar, porte-parole du M5 et proche Mali regrette que le principe de consultation du chef du gouvernement. Dans une vraie et de concertation qui doit être la règle entre République, le président ne doit pas être partenaires privilégiés n’ait pas été observé en visible. » Un diplomate basé dans la sous-réamont de la décision française. » gion estime quant à lui que « Choguel est un fusible de Goïta. Le président malien se sert Volontiers provocateur de lui pour faire passer ses messages ». L’homme remet aussi en cause la légitimité Fin stratège et politique aguerri, le Premier même de l’intervention de l’ancienne puisministre analyse beaucoup la psychologie de sance coloniale. S’il admet que l’entrée en ses interlocuteurs. Ils sont nombreux à en être guerre de Paris, en 2013, a été demandée par persuadés : il pèse ses mots et ses gestes, tout l’État malien, il précise que cela ne devait est calculé. « C’est un fin manipulateur qui être « qu’un appui aérien » et des soutiens sait que Goïta est prorusse. Alors il se met en « en renseignements ». Il n’était pas question avant pour que l’opinion le voie comme étant de déployer des soldats français au sol, fait-il l’homme qui s’est opposé à la domination savoir à Jeune Afrique. Il enfonce même le française au Mali », estime un cadre malien clou en affirmant que « la France est allée habitué des ors du pouvoir. chercher ce qui restait du Mouvement natioChoguel Maïga semble n’avoir peur de rien. nal de libération de l’Azawad [MNLA] pour le Mais avec tant d’ennemis, réussira-t-il à résisramener à Kidal alors que l’écrasante majorité ter à la pression ? Lui qui assure désormais des Touaregs l’avait désavouée. Elle a créé une publiquement que la transition se prolongera enclave gérée par la rébellion où [les chefs au-delà du 22 février 2022, contrairement à ce jihadistes] Iyad Ag Ghaly et Hamadou Koufa qu’exige la communauté internationale, sause sont retranchés pour se préparer ». Autant ra-t-il se maintenir à son poste ? À Bamako, de déclarations qui suscitent la colère des plus certains prédisent déjà sa chute « avant la fin hauts responsables français, dont Emmanuel de l’année 2021 ». Choguel oublie peut-être Macron lui-même. qu’à s’affirmer trop vite, on risque de se brûD’autant que, parallèlement, Choguel n’héler les ailes. site pas à se tourner vers d’autres partenaires. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
63
POLITIQUE
Le nouvel archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo (à g.), et son prédécesseur, Laurent Monsengwo, au stade des Martyrs, le 25 novembre 2018.
64
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE
RD CONGO
DIEU TOUT-PUISSANT La controverse autour de la désignation de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale l’a encore montré : les confessions religieuses jouissent d’un redoutable poids politique dans le pays.
JOHN WESSELS/ AFP
ROMAIN GRAS
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
65
POLITIQUE RD CONGO
L
e timbre est éraillé et le souffle court. À force de porter la voix de l’Église catholique dans le bras de fer autour de la désignation du président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Donatien Nshole a fini par perdre la sienne. La verve, en revanche, est intacte. « Nous nous sommes toujours battus dans l’intérêt des Congolais, et nous sommes prêts à aller jusqu’au bout », martèle le secrétaire général et porte-parole de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). En escale entre les deux avions qui, ce 11 octobre, le ramènent de Kolwezi à Kinshasa, l’abbé de 58 ans s’emporte : « Jamais un processus n’a été aussi contesté que celui-ci ! » Lorsque nous l’avions joint, cela faisait déjà plus de trois mois que le courant ne passait plus entre les différentes confessions religieuses du pays. Depuis, la situation ne s’est pas arrangée. Ces organisations sont au nombre de huit et elles ont, en RD Congo, la mission hautement stratégique de choisir le président de la Commission électorale, laquelle doit organiser les différents scrutins et dont le chef annoncera les résultats des votes. L’enjeu explique largement le climat délétère dans lequel le processus de désignation s’est déroulé. Méfiance, trahisons, invectives et enregistrements secrets… L’affaire a pris des allures de mauvais feuilleton.
Duo frondeur D’un côté, les kimbanguistes, l’Armée du salut, l’Église du réveil du Congo, l’Église orthodoxe, la Communauté islamique au Congo (Comico) et l’Union des Églises indépendantes du Congo, qui soutenaient la candidature de Denis Kadima, un expert électoral au CV fourni mais relativement peu connu. De l’autre, l’Église catholique et les protestants, réunis au sein de l’Église du Christ au Congo (ECC), qui s’opposent au choix de ce sexagénaire jugé trop proche du pouvoir. Ce duo frondeur assure même détenir des preuves – audio, notamment – montrant que le camp présidentiel a fait pression pour que « son » candidat passe. Le 16 octobre, l’Assemblée nationale a entériné la désignation de Denis Kadima, mais le bras de fer est loin d’être terminé et augure du procès en partialité qui ne va pas manquer d’être intenté à la Ceni d’ici aux élections de 2023. Si rocambolesque soit-il, ce scénario est un remake des épisodes précédents. Depuis l’instauration de ce mode de désignation
après les accords de Sun City, en 2003, aucun cycle électoral et aucun président de Ceni n’a été épargné par les critiques. L’implication des confessions religieuses, imaginée il y a près de vingt ans, devait pourtant garantir une forme d’équilibre dans le partage des responsabilités au sein de l’organe électoral et une certaine neutralité dans le choix de ses membres. Mais le pouvoir politique a rapidement su y coopter des personnalités stratégiques. Expert au service d’études stratégiques rattaché au cabinet du président Kabila, l’abbé Apollinaire Malu-Malu est le premier à présider ce qui, à l’époque, se nomme Commission électorale indépendante (CEI). Désigné pour le compte de la société civile, il fait déjà l’objet de soupçons de connivence avec le régime. En 2011, Daniel Ngoy Mulunda lui succède aux commandes d’une Ceni tout juste réformée et beaucoup plus politisée. Il présente un profil tout aussi problématique : médiateur reconnu à travers son ONG, le Programme œcuménique de paix, transformation des conflits et réconciliation (Parec), il est notoirement proche de Joseph Kabila, pour lequel il a fait campagne en 2006 et auprès de qui il joue un rôle officieux de « conseiller spirituel ». Sa mission s’achève en 2013, après un processus électoral très critiqué. Une Ceni new-look voit alors le jour. L’abbé Malu-Malu est à nouveau propulsé à sa tête, contre l’avis de l’Église catholique, à laquelle il appartient pourtant. Malade, il décède en 2015 après avoir laissé sa place à Corneille Nangaa, en dépit cette fois encore des protestations des catholiques, qui prêtent à ce dernier des accointances avec le pouvoir en place. « Le système doit être repensé, analyse l’historien Isidor Ndaywel. La désignation des membres de la Ceni et de son président a jusque-là été exclusivement perçue par les politiques comme une étape dans la conquête ou la conservation du pouvoir. » « L’intention était louable, mais depuis vingt ans les religieux ont presque toujours failli dans leur mission, et le pouvoir a systématiquement cherché [à les utiliser comme] des béquilles », tacle de son côté le pasteur Éric Senga, porte-parole de l’ECC. De fait, l’influence des religieux dans la sphère politique dépasse très largement la question de la Ceni. En RD Congo plus qu’ailleurs, le domaine spirituel est un enjeu de pouvoir. À chaque politique ses croyances, mais aussi ses relations et ses réseaux au sein des différentes confessions.
Méfiance, trahisons, invectives et enregistrements secrets… L’affaire a pris des allures de mauvais feuilleton.
66
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
JOHN WESSELS/AFP
POLITIQUE RD CONGO
Félix Tshisekedi à la sortie d’une messe célébrant le Jour des martyrs de l’indépendance, le 4 janvier 2018, à Kinshasa.
À l’exception des catholiques, qui ont maintes fois adopté une position de défiance vis-à-vis des divers pouvoirs après l’indépendance, quitte à se voir reprocher une trop forte politisation, les sept autres confessions ont souvent été en phase avec les gouvernants. « Les kimbanguistes sont restés en bons termes avec les différents régimes depuis l’indépendance », confirme Isidor Ndaywel. « C’est une Église de martyrs de la colonisation, ils ont toujours collaboré avec les pouvoirs après 1960. Quant aux principaux regroupements des Églises du réveil, ils ont obtenu leur reconnaissance officielle sous Joseph Kabila. Ils ont besoin de ce parrainage politique. » Cette « bonne entente » entre le pouvoir et la majorité des confessions religieuses s’effrite au tournant de l’année 2017. Après avoir favorisé la médiation qui a débouché sur la signature des accords de la Saint-Sylvestre un an plus tôt, la puissante Église catholique prend la tête de la contestation, portée par la figure charismatique du cardinal Laurent Monsengwo et soutenue en coulisses par le Vatican, représenté à l’époque par son virulent nonce apostolique, Luis Mariano Montemayor.
Courtisés par un pouvoir qui cherche à les diviser depuis la mort d’Étienne Tshisekedi, le 1er février 2017, les adversaires de Kabila sont désunis et peu suivis dans leurs tentatives de mobilisation. L’Église devient la première force d’opposition, la seule à pouvoir faire descendre la population dans la rue. Des marches sont organisées entre décembre 2017 et février 2018 à l’appel du Comité laïc de coordination (CLC), une structure formée en 1992 puis relancée avec le soutien de l’Église. En guise de mot d’ordre, Laurent Monsengwo martèle que « les médiocres » doivent « dégager ».
Mélange des genres « Les catholiques ont outrepassé leur rôle en 2017, dénonce aujourd’hui un ancien conseiller de Kabila. Au lieu de rester une force neutre, ils se sont laissé instrumentaliser par l’opposition. Monsengwo n’était pas dans sa fonction. » Avec Kabila, la rupture est largement consommée. « Nulle part, dans la Bible, Jésus-Christ n’a présidé de commission électorale. Rendons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, tance le chef de l’État lors d’une rare conférence de presse, en janvier 2018. Quand on essaie de mélanger les deux, c’est dangereux. » JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
67
MARCO LONGARI/AFP
POLITIQUE RD CONGO
L’opposant Martin Fayulu (à dr.) dans la cathédrale Notre-Dame de Kinshasa, le 29 décembre 2018.
La répression des premières manifestations et la radicalisation de l’engagement des catholiques influencent les autres confessions. La Comico, reconn ue dès 1972 mais minoritaire dans le pays, prend alors ses distances avec un pouvoir derrière lequel elle avait pris l’habitude de se ranger. Dans les mosquées, la grogne monte. À la veille de l’une des marches, le chef de la Communauté, Cheikh Ali Mwinyi M’Kuu, demande au régime « de ne pas [les] réprimer ». Une prise de position timide en apparence mais qui tranche avec la discrétion dont les leaders musulmans faisaient preuve jusque-là. Même certains membres de l’Église kimbanguiste, dont le premier des douze préceptes commande le « respect de l’autorité de l’État », prennent du recul par rapport au régime. Pour nombre de ces confessions religieuses, il s’agit aussi de faire preuve de stratégie et de préparer l’après-Kabila, qui est plus que jamais isolé. À l’époque, il n’y a guère que les milieux protestants, dont Joseph Kabila se revendique, pour continuer de soutenir le président congolais. Rivale historique des catholiques, en bons termes avec les différents régimes depuis Mobutu, l’ECC est dirigée entre 1998 et 2017 par un personnage
68
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Entre le chef de l’État, Félix Tshisekedi, et les évêques, la relation n’a pas commencé sous les meilleurs auspices.
qui joue un rôle central dans cette proximité avec le pouvoir : Mgr Pierre Marini Bodho. Président du Sénat de transition entre 2003 et 2006, le prélat originaire de l’Ituri (Est) entretient des liens très étroits avec le chef de l’État. Impliqué dans la fondation Laurent-Désiré Kabila, c’est lui qui célèbre au nom de l’Église protestante le mariage œcuménique de Joseph Kabila et Olive Lembe en juin 2006. Alors quand, en 2015, se présente le profil de Corneille Nangaa, l’un des protégés de Pierre Marini Bodho, pour remplacer l’abbé Malu-Malu à la tête de la Ceni, Kabila approuve immédiatement.
L’Église dans la rue Sous la direction de l’archevêque, l’ECC s’affiche comme un franc soutien du pouvoir en place. Alors que les catholiques sont vent debout contre le projet de révision de la Constitution, Mgr Marini assure, en 2014, que « seule la Bible ne peut subir de modification ». L’ECC développe aussi ses réseaux dans l’entourage du chef de l’État, avec quelques fervents adhérents VIP, comme l’ex-chef du gouvernement Augustin Matata Ponyo. « Nous avons fait notre autocritique et revu notre fonctionnement. Nous estimons que notre Église avait une proximité
POLITIQUE RD CONGO trop forte avec le pouvoir », reconnaît Éric Senga. Contacté à travers un intermédiaire, Mgr Marini n’a pas donné suite à nos sollicitations. Son départ et son remplacement par André Bokundoa en août 2017 ouvrent la porte à un rapprochement de l’ECC avec la Cenco. Les deux confessions majoritaires sont désormais en première ligne dans le combat contre la candidature de Denis Kadima. Et dans les couloirs de la présidence, leur activisme agace. « On a cité à tort des conseillers autour de moi qui auraient influencé ou menacé, a récemment déclaré Félix Tshisekedi en écho aux accusations formulées par le duo. Je n’ai rien vu de tel. J’ai demandé des preuves, des noms, je n’ai rien entendu, donc je préfère ne pas me mouiller dans ces affaires-là. » Le bureau de la Ceni ayant été entériné par l’Assemblée nationale, il revient désormais au président congolais de trancher : il peut soit refuser de signer l’ordonnance confirmant la nomination de Denis Kadima dans l’espoir que les religieux parviennent à un compromis, soit confirmer le nouveau bureau, mais en risquant de voir renaître une contestation populaire cornaquée par l’Église et soutenue par une opposition déjà remontée.
Entre Tshisekedi et les évêques, la relation n’a pas commencé sous les meilleurs auspices, la Cenco ayant très tôt annoncé que, sur la base des résultats en sa possession, Martin Fayulu était le vainqueur du scrutin de décembre 2018. Si Joseph Kabila a longtemps semblé entretenir de bonnes relations avec certains cadres du milieu protestant, Félix Tshisekedi, lui, se distingue plus par sa proximité avec les réseaux évangéliques pentecôtistes. Certaines personnalités proches des Églises du réveil du Congo se sont impliquées dans sa campagne. C’est notamment le cas de Jacques Kangudia, qui joue, aujourd’hui encore, un rôle stratégique auprès du chef de l’État. Alors que la tension ne cesse de monter autour des questions relatives à l’organisation des élections, certains pontes de l’Église catholique se disent prêts à redescendre dans la rue, quitte à se voir de nouveau reprocher d’être dans l’opposition politique. « Si l’on prend le terme “politique” au sens de l’organisation de la cité, alors l’Église remplit sa part, rétorque le cardinal Fridolin Ambongo. Nous assumons notre rôle d’opposant. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a-t-il pas lui aussi été opposant politique ? »
Des réseaux pentecôtistes très influents
P
rofondément croyant, le couple Tshisekedi fréquente depuis de nombreuses années le Centre missionnaire Philadelphie, à Kinshasa. À la cité de l’Union africaine, siège de la présidence congolaise, plusieurs pasteurs ont trouvé leur place dans l’entourage du chef de l’État. C’est notamment le cas de Jacques Kangudia. Conseiller spirituel officieux de Félix Tshisekedi, il est l’un des pivots du réseau religieux de celui-ci. Et dirige, depuis le 10 août, la Coordination pour le changement des mentalités, un organe lancé par le président pour sensibiliser les Congolais à la lutte contre la corruption. Mais son influence va bien au-delà. Kangudia est aussi une personnalité connue du milieu des Églises du réveil, et il officie souvent lors des messes d’action de grâce organisées par le chef de l’État.
L’influence du milieu pentecôtiste au sommet de l’État ne s’arrête pas là, puisque l’une des plus proches collaboratrices de la première dame, Nathalie Luamba, est mariée au pasteur Ken Luamba, qui officie également au sein du Centre missionnaire Philadelphie. L’autre pasteur de cette Église, Roland Dalo, est lui aussi très présent lors des cérémonies religieuses qu’organise Félix Tshisekedi.
Sous le chapiteau Ironie de l’histoire, le centre Philadelphie est l’Église d’un autre poids lourd de la politique congolaise : Martin Fayulu. Après son retrait de l’accord de Genève, qui désignait l’opposant comme candidat de Lamuka en novembre 2018, Félix Tshisekedi avait d’ailleurs tenté de jouer cette corde pour renouer le dialogue. « Cher frère Martin, au nom du Dieu que nous prions toi et moi au Centre
missionnaire Philadelphie, je te demande de dire à l’opinion les termes de l’engagement que tu as pris devant moi, les yeux dans les yeux, une heure avant la réunion. Ainsi nous pourrons parler de l’intérêt de la nation », avait-il tweeté. Le 3 février 2019, soit dix jours après l’investiture de Félix Tshisekedi, les deux hommes s’étaient d’ailleurs retrouvés sous le chapiteau de l’Église du réveil, très fréquentée en pleine contestation des résultats. Ces réseaux pentecôtistes s’étendent par-delà les frontières de la RD Congo. En 2018, quelques mois avant le scrutin, Félix Tshisekedi avait participé à un culte au Alleluia Ministries International, en Afrique du Sud. Cette Église du nord de Johannesburg est animée par Alph Lukau, un évangélique d’origine congolaise, l’un des pasteurs les plus suivis et les plus riches du pays. R.G. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
69
POLITIQUE
CÔTE D’IVOIRE
GUILLAUME SORO L’IMPOSSIBLE RETOUR ? Isolé et exilé en Europe depuis la fin de 2019, l’ancien président de l’Assemblée nationale veut encore croire à son avenir politique. Mais ses déboires judiciaires et ses démêlés avec Alassane Ouattara semblent rédhibitoires.
VINCENT DUHEM, À ABIDJAN
E
n cette soirée du 20 septembre, Guillaume Soro apparaît sur l’écran de l’application Zoom. De passage à Paris pour quarante-huit heures, il a mis pour l’occasion un costume croisé bleu nuit. Sa barbe a pris quelques teintes grisonnantes. Ils sont une vingtaine à participer à cette réunion de « recadrage » et de « remobilisation » convoquée par l’ancien président de l’Assemblée nationale. Parmi eux, ses derniers fidèles et compagnons d’exil, en région parisienne ou à Bruxelles. Et ceux qui tentent, à Abidjan, de maintenir en vie son mouvement Générations et Peuples solidaires (GPS). Depuis combien de temps ne l’avaient-ils pas vu? Six mois? Un an? Cela faisait en tout cas un long moment que leur chef n’avait pas participé directement à une réunion politique.
Irrespectueux En exil en Europe depuis l’échec de son retour en Côte d’Ivoire, à la fin de 2019, Guillaume Soro avait pris « du recul », comme le formulent ses proches. Il avait disparu des médias, même de ces réseaux sociaux qu’il affectionne tant, et changé à plusieurs reprises de numéros de téléphone. Introuvable et injoignable, sauf pour quelques proches, l’ancien chef rebelle avait repris le maquis. « À un moment, certains ont trouvé qu’il parlait trop, que son discours vis-à-vis de son aîné Alassane Ouattara était trop irrespectueux », explique Tehfour Koné, l’un de ses proches,
70
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ancien candidat à la mairie d’Abobo. « Des religieux et des sages le lui ont signifié. Il a décidé de les écouter. » Mais lorsque l’on est en position de faiblesse, l’absence peut avoir de lourdes conséquences : favoriser les initiatives personnelles et les querelles de leadership, pousser les derniers fidèles à quitter le navire. Les rares apparitions de l’ancien leader estudiantin n’ont rien fait pour rassurer les hésitants. En mai, l’homme d’affaires et député Patrick Bologna publie une vidéo sur les réseaux sociaux. On y voit Guillaume Soro fringant, déguster un bon repas avec quelques amis à Bruxelles. Plus tard, dans un appartement de la capitale belge, des bouteilles de Ruinart flottent dans un seau à champagne, des cigares Horacio sont affichés. Grand danseur, Soro esquisse quelques pas de rumba. Bologna, ancien mari de la petite sœur de la femme de Joseph Kabila, est coutumier des frasques sur les réseaux sociaux. Mais la vidéo fait tache, même dans le cercle des amis de Soro. « Il ne donne aucune nouvelle, et on le découvre prenant du bon temps dans un palace de Bruxelles. C’est scandaleux », commentait à l’époque l’un d’eux. C’est l’actualité qui a donné à Guillaume Soro l’occasion de refaire surface. Le 5 septembre, Alpha Condé est renversé par un coup d’État militaire. Deux jours plus tard, l’ancien chef rebelle s’exprime sur Twitter. Soro connaissait bien l’ancien président guinéen. Les deux hommes avaient été
ARNAUD MEYER/LEEXTRA VIA LEEMAGE
À Paris, en août 2020.
POLITIQUE CÔTE D’IVOIRE présentés l’un à l’autre par le Mauritanien Moustapha Chafi à la demande de l’ancien président burkinabè Blaise Compaoré. Soro avait ensuite aidé financièrement « Alpha » lorsque ce dernier était dans l’opposition, puis lors de la campagne présidentielle de 2010. Mais, comme tous les autres chefs d’État du continent dont il croyait avoir le soutien, Alpha Condé ne lui a pas apporté l’aide espérée quand sa brouille avec Alassane Ouattara (ADO) a atteint son paroxysme.
Aujourd’hui, aucun des pairs du chef de l’État ivoirien ne se risque à évoquer le cas de Guillaume Soro en sa présence. Compagnon de ce dernier depuis longtemps, l’ancien député ivoirien Alain Lobognon a néanmoins tenté récemment de solliciter la médiation de Denis Sassou Nguesso (DSN). « Je lui ai fait parvenir deux lettres, en janvier et en juillet 2021, pour qu’il se saisisse de ce dossier car c’est le seul qui peut réconcilier Ouattara et Soro », explique l’ancien ministre des Sports, libéré en juin après dix-huit mois de prison. En déplacement en Suisse lorsque le courrier a été déposé à son cabinet, le président congolais s’est entretenu au téléphone avec Soro au début d’août, précise Lobognon. Les deux hommes se sont ensuite vus à Genève au début de septembre. Contacté par Jeune Afrique, Guillaume Soro n’a pas souhaité s’exprimer. « Sa rencontre avec le président Sassou n’est pas liée à l’initiative de Lobognon. Soro parle directement avec DSN, qui, comme Macky Sall, lui avait d’ailleurs déconseillé de rentrer à Abidjan en décembre 2019. Lobognon veut simplement jouer sa carte personnelle. Il a voulu reprendre la tête de GPS à Abidjan, à la place de ceux qui y tiennent le parti depuis le début de l’exil de Guillaume », estime un ami de Soro. Alain Lobognon dément : « Tout cela est faux. J’ai déjà indiqué à Guillaume que je mettais fin à notre collaboration politique. GPS a été dissous par la justice ivoirienne, et j’ai perdu mes droits politiques pour les cinq prochaines années. » À 49 ans, que peut encore espérer Guillaume Soro? Poursuivi pour complot et atteinte à la sécurité de l’État, il a été condamné le 23 juin à la perpétuité. Son mouvement a été dissous dans la foulée. Et il est pour le moment tenu à l’écart du processus de réconciliation entamé entre Ouattara et ses prédécesseurs, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Les autorités françaises n’ont toujours
SIA KAMBOU/AFP
Tentatives de rapprochement
Des partisans de Guillaume Soro, le 10 octobre 2020, au stade Houphouët-Boigny.
pas répondu au mandat d’arrêt transmis par Abidjan en novembre 2020. Mais elles ont fait comprendre à l’ancien président de l’Assemblée nationale qu’il n’était plus le bienvenu sur leur sol. La raison : au lendemain de l’annonce de la victoire de Ouattara, Soro s’était adressé aux forces de défense et de sécurité dans un discours retransmis en direct sur internet, leur demandant « d’agir » pour faire barrage à Alassane Ouattara. La provocation de trop. Devant ses proches, Soro tente malgré tout d’afficher un semblant de sérénité et continue d’entretenir son rêve de devenir un jour président de la République. « Je suis assis à la place de la force tranquille, leur répète-t-il. On ne peut pas envisager l’avenir de la Côte d’Ivoire dans les cinq, dix prochaines années sans moi. J’ai seulement 49 ans. Ouattara est devenu président à 69 ans. » « Il m’a été rapporté que plusieurs parmi les potentiels successeurs ou candidats à l’élection présidentielle de 2025 se réjouissent du fait que M. Alassane Ouattara me retienne en exil […]. La politique est une course de fond, et bien des prétentions finissent par être coiffées au poteau. Dieu n’a pas dit son dernier mot », a-t-il aussi déclaré le 6 octobre sur Twitter. En attendant, il doit également déminer le terrain sur le plan juridique. Plusieurs procédures sont actuellement en cours : devant le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, devant la justice française pour un enregistrement diffusé par
IL TENTE D’AFFICHER UN SEMBLANT DE SÉRÉNITÉ ET CONTINUE D’ENTRETENIR SON RÊVE DE DEVENIR PRÉSIDENT.
72
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE CÔTE D’IVOIRE le procureur ivoirien Richard Adou, et devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
Coups de fil En juillet, Soro et plusieurs de ses proches ont par ailleurs porté plainte devant la justice française en se constituant partie civile pour torture et tentative d’assassinat contre une dizaine de personnalités de l’appareil sécuritaire ivoirien. Le directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST), le commandant supérieur de la gendarmerie et le directeur de l’administration pénitentiaire sont ainsi visés. Selon nos sources, une juge d’instruction a été nommée le 2 août. Les avocats de l’État ivoirien tenteront de démontrer que la plainte est irrecevable. « Alassane Ouattara a utilisé des méthodes moyenâgeuses pour détruire la carrière politique de Guillaume. Mais celui-ci joue sur l’usure des vieux et sur sa jeunesse. Ouattara sera tôt ou tard tenu de dialoguer avec la classe politique. Et on ne pourra pas exclure Soro. Si celui-ci fait partie du problème, il est aussi un élément de la solution. Et puis, ADO n’a plus personne autour de lui. Il sera obligé de faire la paix », espère un collaborateur de l’ancien président de l’Assemblée nationale. Ces affirmations font doucement sourire dans l’entourage du chef de l’État. « Nous
répétons depuis longtemps que Soro ne pèse rien. C’était le cas lorsqu’il était en Côte d’Ivoire, c’est d’autant plus vrai maintenant. Il a promis qu’Alassane Ouattara ne serait pas président. Sa prophétie ne s’est pas réalisée. Il n’est plus crédible », explique un haut cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHPD, au pouvoir). « Soro fait passer le message qu’il est prêt à se réconcilier avec Ouattara. Mais ce dernier y est opposé tant que le premier n’est pas disposé à lui présenter des excuses publiques. Il considère la trahison de Guillaume envers lui comme étant de nature familiale », précise un intime du président. « Rien n’a changé concernant Soro. C’est un voyou », a récemment confié le chef de l’État à l’un de ses visiteurs du soir. Selon nos sources, Guillaume Soro a tenté à deux reprises de joindre Ouattara : après la mort de l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, en juillet 2020, et plus récemment, en avril dernier. À chaque fois sans succès.
« NOUS RÉPÉTONS DEPUIS LONGTEMPS QUE SORO NE PÈSE RIEN. IL N’EST PLUS CRÉDIBLE », EXPLIQUE UN CADRE DU RHPD.
ISSOUF SANOGO/AFP
Alassane Ouattara (à dr.) et Guillaume Soro, le 28 novembre 2011, à Yamoussoukro.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
73
POLITIQUE
UN LIEU, UNE HISTOIRE
Nkandla, la terre où Zuma est roi Condamné à quinze mois de prison pour outrage à la justice, l’ancien président sud-africain a été libéré pour raisons médicales. Il devrait purger le reste de sa peine dans sa demeure dispendieuse, base arrière de ses combats politiques et judiciaires.
74
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
sécurité », résume ironiquement une enquête menée par le Défenseur public.
Piscine anti-incendie Chaque aménagement est justifié dans un rapport ministériel favorable au président Zuma. La piscine est un bassin anti-incendie. L’amphithéâtre, un mur de rétention des sols. Ajoutez à cela un centre d’accueil pour les visiteurs, une clinique (présentée comme indispensable dans ce désert médical) ainsi qu’un héliport. Le bétail rumine à l’intérieur d’un nouvel enclos, même la basse-cour est repensée pour des questions de sécurité: la volaille nidifie désormais dans un poulailler où elle ne déclenchera pas les détecteurs de mouvements. Ces justifications a posteriori ne convainquent pas. Pis, elles font rire jusqu’à l’étranger. À la télévision américaine, le comédien sud-africain Trevor Noah amuse l’assistance avec l’exemple de la piscine anti-incendie. Mais, en Afrique du Sud, les contribuables voient rouge. « Je pense que ce qui a frappé les Sud-Africains, dans cette affaire, c’est de voir le stéréotype du politicien africain qui se sert de l’argent public pour se construire
EMMANUEL CROSET/AFP
L
a campagne et rien d’autre. Le domaine de Nkandla se niche dans les collines reculées du Kwazulu-Natal. C’est ici que Jacob Gedleyihlekisa Zuma a vu le jour, le 12 avril 1942. Une fois sorti de l’autoroute, il faut emprunter des voies sinueuses et grêlées de nids-de-poule. Le bétail fait parfois obstacle, comme pour rappeler au visiteur qu’il va à la rencontre d’un homme qui, dans son enfance, fut gardien de troupeau. Mais l’opulence de Nkandla Homestead raconte une autre histoire: celle d’un ancien président accusé de corruption et détournement d’argent. Ne cherchez pas les dorures. L’ensemble est d’un style rustique, avec des maisons traditionnelles aux toits de chaume ronds. La propriété, vue de l’extérieur, n’a rien de tapeà-l’œil. Elle est pourtant au cœur de l’un des plus grands scandales de la présidence Zuma. À peine élu, en 2009, le nouveau chef de l’État engage des travaux pour sécuriser la parcelle. Ce qui dev ait être une mise aux normes se transforme en projet d’agrandissement débridé. Le coût du chantier passe de 1,5 million à 12 millions d’euros, financé sur les fonds publics. « Le confort en toute
POLITIQUE
L’ex-chef de l’État devant son domaine, le 4 juillet.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
75
ROGAN WARD/REUTERS
POLITIQUE
Quatre des six femmes de Jacob Zuma y possèdent leur propre maison.
un luxueux palace », explique le journaliste Chris Roper. Il est à l’origine des premières révélations, avec sa consœur Mandy Rossouw, pour le Mail & Guardian en 2009. D’année en année, le Nkandlagate fait boule de neige et fragilise le mandat de Jacob Zuma. Pour avoir ignoré la Cour constitutionnelle, qui lui intimait de rembourser une partie des frais, le chef de l’État s’expose à une procédure d’impeachment en 2016. L’opposition veut sa chute, mais le président sauve son siège grâce au soutien de sa famille politique, qui rejette la motion de censure. « Nkandla, c’était la partie émergée de l’iceberg, résume le politologue Ralph Mathekga. Après cet épisode, il a accumulé les soucis jusqu’à sa démission [le 14 février 2018]. » Lorsqu’il quitte la présidence, Jacob Zuma trouve refuge à
76
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Nkandla. Six cents kilomètres le séparent des institutions judiciaires qui le réclament à Johannesburg. D’abord la commission Zondo, qui enquête sur les soupçons de corruption qui ont marqué ses deux mandats (2009-2018), et qui cherche à l’auditionner. Puis la Cour constitutionnelle, qui veut le convaincre de témoigner devant ladite commission. S’estimant traqué par une justice aux ordres, Zuma tourne le dos aux magistrats et ne répond
Plusieurs personnalités se pressent à Nkandla pour convaincre Zuma de baisser les armes.
qu’au travers de communiqués incendiaires.
Forteresse S’improvise alors un ballet de médiateurs. Plusieurs personnalités se pressent à Nkandla pour convaincre Zuma de baisser les armes. La campagne déshéritée du KwazuluNatal voit défiler de rutilants convois de SUV aux vitres teintées. C’est Julius Malema qui ouvre le bal avec une invitation lancée sur Twitter. « @PresJGZuma pouvons-nous nous retrouver autour d’un thé s’il vous plaît? C’est urgent », propose le leader du parti des Combattants pour la liberté économique (EFF), autrefois farouche adversaire de Zuma. « Ma maison, c’est le village de Nkandla, c’est ici que je passe mes journées. Du thé, j’en ai plein, tu es plus que le bienvenu pour venir boire une tasse », lui répond
POLITIQUE
Son service d’ordre : les vétérans de l’ancienne branche armée de l’ANC, vêtus de treillis. l’ancienne branche armée de l’ANC. Ils débarquent le 14 février au pas militaire, vêtus de treillis, rangers aux pieds. Quand une voiture de police approche, ils lui font rebrousser chemin. « Jacob Zuma a transformé Nkandla en forteresse », constate le journaliste Chris Roper. Lors des manifestations de soutien organisées devant la propriété en juillet, ce sont les vétérans qui font office de service d’ordre, formant parfois une chaîne humaine pour bloquer l’entrée principale du domaine. Plusieurs dizaines d’entre eux seraient toujours présents à Nkandla, alors même que Jacob Zuma bénéficie des services de la protection présidentielle. « Nous défendrons le président Zuma jusqu’à la fin de nos jours », prévient Sanele Zombi. Cet ancien combattant considère Nkandla comme sa seconde maison et les Zuma comme sa deuxième famille. Pour avoir lutté au sein
de l’Umkhonto we Sizwe et dirigé les renseignements de l’ANC, Jacob Zuma conserve d’importants soutiens chez une partie des vétérans. Carl Niehaus, leur porte-parole, est le plus fervent défenseur de Zuma.
Une progéniture qui fait bloc Ce petit village retranché est « comme un royaume », décrit de son côté Themba Nhlanhla Calvin Dlamini, l’un des petits-fils du président. « C’est un endroit qui accueille sa famille, un endroit à la mesure de son importance pour le pays, un endroit ouvert aux visiteurs », détaille ce jeune homme de 26 ans qui vit sur place. Il explique que quatre des six femmes de Jacob Zuma y possèdent leur propre maison. Les autres logements traditionnels – des huttes – sont attribués aux familles des épouses. Les employés de maison logent également sur place et restent à la disposition des résidents. La famille joue un rôle important dans la défense des intérêts de Jacob Zuma. Ce père de 79 ans peut compter sur une progéniture qui fait bloc autour de lui. On se souvient
d’Edward Zuma, posté jour et nuit devant le portail de Nkandla, prêt au sacrifice si un policier venait à franchir le seuil du domaine. On a vu Duduzane, jet-setteur et aspirant leader politique, haranguer timidement la foule aux côtés de son père. Puis Duduzile, sa jumelle, omniprésente sur les réseaux sociaux et assise à la gauche du chef lors d’une conférence de presse organisée à domicile. Nkandla « est une université de la vie », tweetait-elle avec emphase en mars. « Que Dieu protège Nkandla pour que nous puissions continuer à boire dans la fontaine de jouvence de @PresJGZuma », poursuivait-elle. Après deux mois d’incarcération dont un à l’hôpital, l’ancien détenu est retourné parmi les siens en toute discrétion. Jacob Zuma a été remis en liberté conditionnelle pour raisons médicales le 5 septembre. Il devrait purger le reste de sa peine à Nkandla. Une condamnation confirmée par la Cour constitutionnelle le 17 septembre. « C’est avec la plus grande fierté que je porte le badge de prisonnier politique », réagit alors le détenu numéro un de Nkandla, confortable prison de trois hectares. Romain Chanson, à Johannesburg
EMMANUEL CROSET/AFP
l’ancien président. Cette rencontre et les suivantes sont de véritables tea parties. Zuma reçoit en audience, en son domaine. On y voit même le ministre de la Police, Bheki Cele. La médiation fait un flop et la justice accentue la pression sur Zuma. La commission Zondo saisit la Cour constitutionnelle pour demander une peine de deux ans de prison contre l’ancien président. Quand sont prononcées les premières menaces d’arrestation, un service d’ordre est déployé devant la propriété. Ce sont les vétérans de l’Umkhonto we Sizwe,
Des partisans de l’ancien dirigeant devant les grilles de Nkandla, le 3 juillet. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
77
Le Gabon porte-parole de l’Afrique à la COP 26 La COP26 ne sera un succès que si l’Afrique est au cœur des négociations CIRQUE DE LÉKONI DANS LE PARC NATIONAL DES PLATEAUX BATÉKÉ, EST DE FRANCEVILLE, PROVINCE DU HAUT-OGOOUÉ.
L
e 1er novembre 2021, la ville écossaise de Glasgow accueille la 26ème Conférence des Parties (COP26). Après avoir participé aux discussions préparatoires à ce sommet climatique international, le Gabon, qui assure la présidence du Groupe des négociateurs africains (AGN), est plus que jamais déterminé à porter haut la voix unifiée des 54 pays du continent.
Désigné au sortir de la COP25 de Madrid, le Gabon a pris la tête de cet organe technique régional, pour un mandat de deux ans à compter du 1er janvier 2020. Cette instance décisionnelle a pour mandat de représenter les intérêts de l’Afrique
durant les négociations climatiques mondiales, sous la direction de l’Assemblée de l’Union africaine, du Comité des chefs d’État et de gouvernements africains sur le changement climatique (CAHOSCC) et de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE). Dès sa prise de mandat, le Président de la République, Ali Bongo Ondimba a insisté auprès de son conseiller spécial, Tanguy Gahouma-Bekale, également Secrétaire permanent du Conseil National Climat (CNC), et à ce titre point Focal entre la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et l’AGN, de mettre en avant les priorités du continent en matière d’adaptation et de financement climatique, avec l’objectif de renforcer sa résilience.
L’engagement du Gabon dans la lutte contre les changements climatiques Le Gabon est traditionnellement très engagé dans la lutte contre le changement climatique. Le pays a ainsi adopté une loi sur le développement durable qui prévoit notamment l’instauration d’un marché de PAYSAGE PRÈS DE LA RIVIÈRE LÉKONI AU NORD DE FRANCEVILLE, PROVINCE DU HAUT - OGOOUÉ.
COMMUNIQUÉ
Le Gabon est aujourd’hui l’unique pays africain à avoir contribué – à hauteur de 500 000 dollars –, à l’Initiative Africaine d’Adaptation (IAA), véritable cheval de bataille du président gabonais durant son mandat à la tête du CAHOSCC, entre 2017 et 2020. Cette initiative a pour but de collecter des fonds destinés à financer l’adaptation des populations africaines à la nouvelle donne provoquée par le changement climatique. Le Gabon continue de mobiliser les financements nécessaires au succès des politiques climatiques sur le continent.
Le Président Ali Bongo Ondimba vient ainsi de soutenir auprès du Fonds vert pour le climat, un programme africain d’agriculture à faible émission de carbone destiné à 25 pays du continent, avec une
contribution de 21 millions de dollars. Défenseur de l’adaptation en Afrique, le chef de l’État gabonais a été désigné par Ban Ki-moon, pour siéger au Conseil d’administration de la Commission du Centre mondial pour l’adaptation, présidé par le Secrétaire général des Nations-Unies. Enfin, le Gabon vient tout récemment de renforcer son engagement, en adoptant une loi en faveur de la lutte contre les changements climatiques.
Le Gabon lance un cri d’alarme : l’Afrique est le continent qui produit le moins d’émissions, mais qui subit les conséquences les plus néfastes L’Afrique abrite un des plus beaux patrimoines naturels de la planète, en même temps que l’un de ses écosystèmes les plus importants avec le Bassin du Congo. Ces magnifiques forêts sont pourtant encore trop largement méconnues et surtout trop peu valorisées par la communauté internationale. En absorbant environ 750 millions de tonnes de CO2 par an, les 250 millions d’hectares des forêts du Bassin du Congo jouent un rôle crucial dans la régulation du climat, en permettant notamment de contrôler la pluviométrie jusqu’aux confins de l’Éthiopie et de l’Égypte. Bien que l’Afrique contribue peu au réchauffement climatique (4 % des émissions mondiales, soit le pourcentage le plus faible de toutes les régions), elle est dans le même temps la plus fortement exposée à ses conséquences. Une déforestation massive en Afrique centrale et la disparition de l’écosystème qui s’en suivrait, provoquerait une crise écologique
CHUTES DE KONGOU DANS LE PARC NATIONAL DE L’IVINDO, PROVINCE DE L’OGOOUÉ-IVINDO.
d’une ampleur sans précédent. L’Algérie a connu de terribles incendies, le Sahel des inondations dévastatrices, le Mozambique et la Zambie des cyclones. En Afrique australe, plusieurs millions de personnes font face à une menace existentielle en raison de la sécheresse, exacerbée par le changement climatique, qui continue de ravager la région. Ces exemples sont des rappels de ce qui nous attend si rien n’est fait. Il est urgent de prendre des mesures fortes pour lutter contre ce fléau. En tant que président de l’AGN, le Gabon exhorte les pays développés à mobiliser des fonds pour l’adaptation de l’Afrique au changement climatique, sous forme d’investissements privés ou de subventions publiques plutôt que de prêts.
www.presidence.ga PATGabon2021
LES ENJEUX DES PAYS AFRICAINS À LA COP 26 Le rendez-vous de Glasgow donne l’occasion à l’Afrique de voir reconnaître et prendre en compte par la communauté internationale ses besoins et ses particularités. C’est l’une des priorités du continent pour cette COP26, avec les questions de l’adaptation, du financement climatique, du mécanisme de marché (article 6), des Contributions Déterminées au niveau national (NDC), des mécanismes de transparence et enfin de la réalisation des engagements d’atténuation. Selon l’Accord de Paris, les mécanismes de marché doivent relever les ambitions des mesures d’atténuation, soutenir le développement durable et vert des pays africains et financer leur adaptation. Enfin, le continent africain nécessite davantage de financements pour ses projets, comme l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI), ou l’Initiative africaine d’adaptation (AAI). Sous forme de subventions et non pas de prêts qui alourdissent le fardeau de la dette.
DF/DIFCOM - PHOTOS : © YANN ARTHUS-BERTRAND /PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DU GABON
crédit. Le Gabon est également le premier pays d’Afrique à être récompensé pour ses résultats en matière de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. Le pays a reçu 17 millions de dollars, dans le cadre de l’accord historique signé avec l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI).
POLITIQUE
SEYLLOU/AFP
Abdoulaye Wade, à Dakar, le 10 juillet 2017.
80
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE
SÉNÉGAL
LE DERNIER COMBAT DES WADE Le fils est exilé au Qatar, le père retiré dans sa résidence versaillaise. Officiellement, pourtant, Karim et Abdoulaye dirigent ensemble le Parti démocratique sénégalais (PDS). Mais avec quel projet, et dans quel but ?
MARIÈME SOUMARÉ, À DAKAR
A
près une telle carrière politique, que peut-on encore désirer ? Ténor du barreau reconverti en opposant acharné, il est le premier à avoir réussi l’exploit de mener son pays à l’alternance démocratique, en 2000. Chef de l’État pendant une décennie, il a même su faire oublier sa tentative avortée de conserver le pouvoir au-delà du temps imparti. Patriarche respecté, monstre politique, Abdoulaye Wade a-t-il déposé les gants ? Ou joue-t-il, depuis sa résidence versaillaise, la dernière manche d’une interminable partie?
Stratégie jusqu’au-boutiste En juillet 2020, Gorgui (« le Vieux ») taillait à Karim Wade un parti à son image. Propulsant son fils secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais (PDS), il en faisait le numéro trois. Aujourd’hui, travaille-t-il encore à le faire revenir au Sénégal, après cinq années d’exil au Qatar, au risque de nuire aux intérêts de la formation qu’il a fondée il y a presque un demi-siècle ? Le 2 septembre dernier, le PDS s’est retiré avec fracas de la coalition censée faire front commun face à Macky Sall lors du scrutin municipal du 23 janvier prochain. Une décision officiellement prise à la suite de
désaccords avec le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko. Mais la stratégie d’Abdoulaye Wade interroge. « Cela semble insensé que l’opposition éclate à ce stade, soupire un membre de la coalition. Wade est le plus expérimenté d’entre nous. Ce n’est pas à lui que l’on va apprendre à faire de la politique. Il sait bien ce que son départ aura comme conséquence. » Tous rechignent à critiquer ouvertement le patriarche, mais, en coulisse, ils s’étonnent que le PDS, pour la deuxième fois consécutive après les législatives de 2017, fasse voler en éclat la perspective d’une alliance. Ils espéraient profiter de ce scrutin local pour déstabiliser Macky Sall puis renverser la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale lors des législatives prévues en juillet 2022. « On pourrait penser que pour réhabiliter son fils il aurait intérêt à fragiliser Macky Sall, ajoute ce responsable politique. Mais, comme en 2019, il a choisi la voie inverse. » La stratégie jusqu’au-boutiste d’Abdoulaye Wade, qui, faute d’avoir pu imposer la candidature de son fils, avait appelé au boycott de la dernière présidentielle, continue de susciter le trouble. « C’est un homme qui ne veut rien faire comme les autres, explique l’un de ses alliés historiques. Il adore se singulariser. » Au risque de s’exclure? Pour cet opposant, le JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
81
POLITIQUE SÉNÉGAL
SEYLLOU/AFP
Manifestants exigeant la transparence des élections et le retour de Karim Wade, en novembre 2018, à Dakar.
constat est sans appel : « Le PDS n’existe plus sur l’échiquier politique depuis 2019. » Ces trois dernières années, le parti s’est en effet isolé. D’autant que ni son présidentfondateur ni l’héritier de ce dernier ne résident dans le même pays. Abdoulaye Wade, de retour à Dakar en février 2019, a finalement rejoint son épouse en banlieue parisienne en 2021. Depuis sa retraite versaillaise, il continue de suivre avec attention la stratégie de son parti. C’est du moins le message que veulent faire passer ses proches. Ils assurent d’ailleurs qu’il rentrera bientôt au Sénégal. En attendant, le parti bleu et jaune s’affaire autour d’une stratégie en trois axes : réorganisation, mobilisation, retour du candidat. Une source au sein du groupe précise que les instances ont été refondées, que la vente de cartes a été lancée (avec l’espoir d’une adhésion « massive de karimistes ») et que priorité est donnée à la préparation des scrutins locaux. Comme au bon vieux temps, le PDS a finalement reconstitué autour de lui une coalition, Wallu Sénégal, avec laquelle il s’apprête à aller aux élections. S’y retrouvent l’ancien libéral Pape Diop pour la Convergence libérale et démocratique Bokk Gis Gis (BGG), le député Mamadou Diop Decroix pour And-Jëf/ Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ-PADS), le Congrès de la renaissance démocratique (CRD) d’Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, et la coalition Jotna, ancienne alliée d’Ousmane Sonko. Quant à Karim Wade, il reste « au cœur de toutes les discussions », assure Cheikh Dieng,
82
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
l’un des onze secrétaires généraux adjoints du parti. Le fils du patron, promu au rang de « chargé de l’organisation, de la modernisation et de l’élaboration des stratégies politiques », discute quotidiennement avec les responsables de la formation. Au PDS, « c’est un peu Karim propose, Wade dispose », à en croire certains cadres du parti, où l’on assure que les décisions finales reviennent toujours au patriarche.
Candidat mystère Mais hors du parti, beaucoup estiment que c’est Karim Wade qui tire les ficelles depuis Doha. « Les choses sont d’ailleurs difficiles, glisse un membre de Wallu Sénégal. Le fonctionnement est très rigide. Mayoro Faye [mandaté pour représenter le PDS au sein de la coalition] vient aux réunions en apportant un point de vue dont il ne peut pas se défaire. Au moindre changement, il doit en référer à la hiérarchie. Cela complique les discussions. » De quoi provoquer quelques tensions. « Ils [le PDS] pensent que c’est à eux de porter la liste, mais ça n’arrivera pas », ajoute cet opposant. En juillet 2017 déjà, les ambitions du parti libéral (PLS), qui voulait placer l’un de ses cadres à la tête du front uni, lui avaient porté les premiers coups. Le PLS s’était heurté à la volonté de Khalifa Sall, emprisonné mais encore éligible, de mener l’opposition aux législatives. Incapables de s’entendre, les deux partis étaient finalement allés séparément aux élections. Le PDS n’avait récolté que 16,7 %
POLITIQUE SÉNÉGAL des voix, devenant certes le premier groupe d’opposition à l’Assemblée, mais restant loin derrière la majorité de Macky Sall, qui avait remporté 49 % des voix. Aujourd’hui encore, il semble vouloir s’imposer au sein de sa coalition. Mais serait-ce si illégitime ? « Le PDS est un formidable appareil politique, présent dans toutes les communes du Sénégal, souligne l’un de ses alliés. Et les militants de Wade sont comme ses talibés, ses disciples. Pour eux, c’est Wade, un point c’est tout. » Le fils pourrait-il prendre la place du père ? « Nous avions accepté Karim parce que c’est l’aîné de Wade, notre père à tous. Mais les deux hommes sont très différents », lâche un ancien cadre du PDS. De ministre « du Ciel et de la Terre » honni sous la présidence de son père à « prisonnier politique » à la popularité boostée, Karim Wade est devenu le candidat mystère. Celui dont tout le monde parle mais que personne ne voit. L’obstination d’Abdoulaye Wade à en faire son unique héritier et son seul candidat pour 2019 a déjà provoqué l’implosion du parti et le départ de plusieurs de ses cadres.
organiser pour qu’il revienne. » Ses proches, qui le disent « combatif » et « extrêmement confiant », continuent de réclamer la révision du procès au terme duquel il a été condamné à six ans de prison pour enrichissement illicite. Et rappellent que les décisions de justice du Sénégal le concernant ont été à de nombreuses reprises désavouées par d’autres juridictions. Dernier exemple en date, la justice monégasque déboutait le 14 octobre dernier l’État sénégalais d’une demande visant à saisir certains de ses comptes à Monaco. « Si Macky Sall acceptait, Karim Wade serait de retour demain au Sénégal », promet le secrétaire général adjoint. Pas question en revanche d’envisager un retour si cette condition n’est pas remplie, car l’exilé est toujours sous le coup d’une contrainte par corps, qui pourrait le renvoyer directement à la prison de Rebeuss. « Il nous est plus utile libre que dans les geôles de Macky Sall », ajoute Cheikh Dieng. « L’amnistie de Karim est le dernier combat d’Abdoulaye », veut croire un membre de la coalition adverse. L’ancien président aura officiellement 98 ans en 2024, date de la prochaine élection présidentielle. Celui que Léopold Sédar Senghor lui-même avait surnommé Ndiombor (le lièvre, le futé) a plus d’un tour dans son sac. Dans les rangs de son parti, on laisse entendre que tout n’est pas perdu pour faire revenir Karim. Mais qui croit encore à sa venue, tant de fois annoncée? « Nous sommes longtemps restés pour Abdoulaye Wade », ajoute un ancien proche du président, évoquant une décision plus « sentimentale » que politique. « Wade a la peau dure, poursuit notre interlocuteur. Mais aujourd’hui il est presque centenaire, et il ne fait pas de doute que sans lui il n’y a plus de PDS. »
« WADE A LA PEAU DURE, MAIS IL EST PRESQUE CENTENAIRE, ET SANS LUI IL N’Y A PLUS DE PARTI.»
« Dépérissement progressif » Les adversaires de Karim Wade ont fait de lui la cause du « dépérissement progressif » du PDS. Ils ne lui ont pas pardonné de ne pas être venu au Sénégal pour déposer sa candidature en 2019, l’accusant d’avoir fait « faux bond » aux militants et d’avoir tourné le dos à ses responsabilités. Un rendez-vous manqué qui aurait pris même Abdoulaye Wade de court, glissent certains d’entre eux. Fatigué de se quereller avec son aîné, le patriarche aurait néanmoins jeté l’éponge, lui abandonnant la gestion du parti. « Il n’y a pas d’alternative [à Karim], assure Cheikh Dieng. Nous allons nous
GORGUI BIENTÔT DE RETOUR ? « Abdoulaye Wade rentrera bientôt à Dakar », promettent ses proches. Au début de 2022, pour la campagne des élections locales. Cette fois-ci, fini la résidence luxueuse de Fann qu’il louait et dans laquelle il tenait ses audiences. Il a d’ailleurs proposé à Alpha Condé,
renversé par les militaires le 5 septembre dernier et toujours détenu par la junte guinéenne, d’y loger. « Si vous souhaitez, à un moment ou à un autre, un retrait momentané de réflexion, je mets à votre disposition la maison que j’occupe actuellement à Dakar », lui a fait savoir le
patriarche. Lui devrait retrouver la maison familiale du quartier du Point E, où Karim a grandi. C’est là qu’Abdoulaye Wade avait célébré sa victoire et la première alternance démocratique du pays, le 19 mars 2000. Un temps saisie, la bâtisse
a finalement été rendue à la famille en 2019. En rénovation depuis des années, la « modeste » maison d’antan a été considérablement agrandie. Selon un proche de l’ancien chef de l’État, les finitions seront bientôt achevées. M.S.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
83
POLITIQUE
Tribune Mehdi Ba Journaliste à Jeune Afrique
Sommet Afrique-France : Macron est-il allé trop loin?
S’
il est une chose qu’on ne saurait reprocher à Emmanuel Macron, c’est de se complaire dans une approche ankylosée des relations franco-africaines. À plusieurs reprises depuis son élection, le président français aura ainsi fait bouger les lignes, au risque de prendre des coups. Pour preuve, la tenue à Montpellier, le 8 octobre, du sommet Afrique-France a pris un virage en épingle à cheveux que nul n’avait envisagé. En lieu et place de la grandmesse qui, depuis 1973, perpétue entre les chefs de l’État français et une partie de leurs homologues africains la relation consanguine unissant l’ex-puissance coloniale à son continent fétiche, le président quadragénaire a opté, cette année, pour ce que le langage diplomatique, peu avare de litotes, qualifie de « format renouvelé ». L’Élysée aurait pu évoquer un « plan social » inédit : pour la première fois dans l’histoire de ce rituel, les chefs d’État du continent n’avaient pas reçu de carton d’invitation. Pour représenter l’Afrique à Montpellier, Emmanuel Macron a choisi un concept qui se voulait aussi novateur que progressiste : remplacer nos présidents par des représentants de la société civile – aussi jeunes que possible. Était-il conscient qu’en ajoutant cette nouvelle asymétrie à celle préexistante il commettait un
84
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
crime de lèse-majesté(s)? Se doutait-il que même au sein de l’intelligentsia africaine, critique des régimes en place, cette initiative ferait tousser? « L’Afrique n’est pas un pays. » Cette boutade ironique, Emmanuel Macron aurait dû la méditer. Car de sommets Afrique-France en sommets Chine-Afrique ou États-Unis-Afrique, en passant par des sommets Japon-Afrique, Singapour-Afrique, Italie-Afrique, voire Turquie-Afrique, le continent semble réduit à un ensemble uniforme sans que les puissances occidentales ou orientales ne perçoivent l’incongruité de la situation. Imaginerait-on un sommet Côte d’Ivoire-Asie ou RD Congo-Europe? Les Amériques, du Canada à l’Argentine, se réuniraient-elles lors d’un sommet international à l’invitation de Djibouti, du Zimbabwe ou de la Tunisie?
« Ces chefs d’État africains, nous avons beau les détester, nous nous sentons humiliés de les voir ainsi piétinés. » Boubacar Boris Diop, écrivain
À cette première asymétrie, une seconde est venue s’ajouter. Désormais, le continent n’est plus représenté par ses chefs d’État, mais par la société civile. Tandis que la France, elle, l’est par son président de la République. Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir conçu un sommet paritaire? La société civile africaine face à la société civile française; des jeunes intellectuels africains face à leurs pairs issus de l’Hexagone…
Catéchisme franco-africain Sur les images des débats tenus à Montpellier, le décalage évident entre Emmanuel Macron et ses hôtes inspire un certain malaise. Lui, debout, semble savourer d’un air gourmand son initiative. À ses côtés, le Camerounais Achille Mbembe, qui fait office de caution africaine principale de ce sommet « renouvelé », boit, lui aussi, du petit-lait. À la table puis à la tribune, tels des élèves face au maître qui leur ferait passer un examen, de jeunes et brillants représentants de la société civile africaine interviennent tour à tour sur l’évolution qu’ils souhaiteraient voir naître, enfin, dans la relation entre l’Afrique et la France. Devenue l’une des figures iconiques de ce face-à-face inédit, la jeune Burkinabè Eldaa Ragnimwendé Koama a évoqué ainsi avec aplomb une « conversation directe et surtout sans filtre »;
POLITIQUE
GUILLAUME HORCAJUELO/EPA/MAXPPP
Le président français lors du sommet Afrique-France, à Montpellier, le 8 octobre.
une « interpellation » du président qu’elle entendait placer sous le signe « de la vérité, de la sincérité et de la franchise ». De fait, quel chef d’État africain se serait aventuré à renvoyer ainsi le président français au « vocabulaire dépassé, inadapté, dévalorisant qui réside encore dans [ses] discours et dans celui de [ses] institutions lorsqu’[ils] s’adressent à l’Afrique »? Et la jeune femme, poursuivant sur sa lancée avec éloquence, de remettre en question le catéchisme franco-africain, citant sans vergogne son illustre aîné Thomas Sankara : « L’aide, tant qu’elle n’aide pas, tant qu’elle n’amène pas à se départir de l’aide, il faut s’en débarrasser. Car ce type d’aide-là rend esclave. » Enchaînant sans coup férir avec une citation de Joseph Ki-Zerbo – « On ne développe pas, on se développe » –, la jeune représentante du Faso réitère alors ses punchlines iconoclastes, enterrant sans faux-semblant l’un des dogmes de la politique française sur le continent : « Si on ne
développe pas, on ne peut pas non plus aider à développer. Ça fait près d’un siècle que l’aide au développement se balade en Afrique. Ça ne marche pas. »
Révolution factice Quatre ans plus tôt, le 28 novembre 2017, au pays des hommes et des femmes intègres, un Emmanuel Macron fraîchement élu avait scandé une antienne qu’on entend, en France – chez certains essayistes comme au sein de la classe politique –, depuis près de trente ans : « Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France […] parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France! » Les gestes symboliques accomplis sous son magistère en faveur de la restitution des œuvres d’art pillées en Afrique et la visite officielle accomplie en mai 2021 au Rwanda suffisent-ils à affirmer qu’Emmanuel Macron aura tourné la page de la longue histoire postcoloniale de Paris sur le continent africain? L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, qui n’en est pas à un
pavé dans la mare près sur ce sujet, s’est, tout comme d’autres intellectuels africains, retrouvé à contre-emploi : « Ces chefs d’État africains ont beau être ce qu’ils sont, nous avons beau les détester, le fait est que nous nous sentons humiliés de les voir ainsi piétinés », écrivait-il à la veille de ce sommet « renouvelé ». Car pour cet intellectuel intransigeant, derrière le paravent d’une révolution qu’il estime factice, « Macron vend en quelque sorte la mèche en montrant clairement que c’est bien Paris qui a toujours convoqué ses obligés pour tancer les uns, féliciter les autres, unifier les points de vue sur quelques dossiers épineux et, chemin faisant, rappeler au reste du monde son emprise absolue sur les populations de terres lointaines ». Ainsi, le sommet de Montpellier ne serait que le dernier avatar de la célèbre devise de Tancredi dans Le Guépard, de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change et que nous restions les maîtres. »
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
85
POLITIQUE
MAROC
MAKHZEN, MODE D’EMPLOI Les confidences exclusives d’Abdelhak El Merini, historiographe et porte-parole du Palais Les codes complexes de la Maison royale n’ont aucun secret pour lui. Mémoire du Royaume, d’ordinaire très économe de sa parole, ce gardien du temple makhzénien s’est longuement confié à JA. PROPOS RECUEILLIS PAR FADWA ISLAH
H
istoriographe du Royaume et porte-parole du Palais, après avoir été pendant de longues années directeur du Protocole royal, Abdelhak El Merini est l’un des gardiens du temple makhzénien. Si elle n’est pas directement politique, sa mission n’en est pas pour autant anecdotique : préserver, par la mémoire des rites séculaires et le compte rendu méticuleux des activités royales, l’ancrage historique de l’une des plus anciennes dynasties encore régnantes. Rbati pur jus, ayant grandi dans une famille aux traditions ancestrales, descendant de la dynastie mérinide, celui qui a commencé sa carrière comme professeur d’arabe est entré au service de la monarchie alaouite presque par hasard. Féru de littérature et d’histoire militaire, il participe en juillet 1965 à une émission télévisée sur les Forces armées royales (FAR) qui lui vaut d’être repéré par Moulay Hafid El Alaoui. Désireux, au lendemain de l’indépendance, de généraliser l’usage de
86
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
l’arabe dans les échanges avec la direction du Protocole royal et de la Chancellerie, qu’il chapeaute, le général décide de prendre sous son aile ce jeune homme érudit aux manières policées, parfait représentant d’une forme d’aristocratie marocaine. Abdelhak El Merini entre alors au Palais royal comme on entre en religion, en faisant vœu d’abnégation et de discrétion pour le reste de sa vie. Persévérant et méticuleux, attentif aux moindres détails, il apprend peu à peu les us et coutumes de cette illustre maison et gagne la confiance du défunt roi Hassan II, qui le nomme directeur du Protocole royal en 1998. Aujourd’hui, à 87 ans, il continue de servir avec dévouement le trône alaouite, mais cette fois en tant que porte-parole du Palais et historiographe du Royaume, missions qui lui ont été confiées par Mohammed VI à partir de 2010. Exceptionnellement, cet homme d’État à la réserve légendaire a bien voulu nous recevoir, à Rabat. Entretien.
POLITIQUE
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
NAOUFAL SBAOUI POUR JA
Rbati pur jus, issu d’une famille aux traditions ancestrales, il est entré au service de la monarchie alaouite presque par hasard.
87
Jeune Afrique : Vous avez commencé votre carrière comme professeur d’arabe. Comment passe-t-on du lycée au Palais royal ? Abdelhak El Merini : En 1965, au moment du 8e anniversaire de la création des Forces armées royales [FAR], je me suis rendu au siège de la Radiodiffusion Télévision marocaine [RTM] pour participer à l’émission télévisée sur l’histoire des armées du Royaume, depuis l’époque des Idrissides jusqu’aux Alaouites, sujet du livre que j’avais achevé. Au lendemain de la diffusion de ce programme, j’ai reçu un appel du directeur de la télévision, Si Ahmed Bensouda, me demandant de me présenter au Palais royal pour rencontrer le général Moulay Hafid El Alaoui, directeur du Protocole et de la Chancellerie de Feu Sa Majesté le roi Hassan II, que Dieu ait son âme. Ni moi ni Monsieur Bensouda ne savions à quoi nous attendre. C’était une sensation vertigineuse. J’ai d’abord craint d’avoir dit au cours de ce programme télévisé quelque chose d’inconvenant. C’était tout le contraire. Le général Moulay Hafid avait apprécié ma contribution à l’émission sur les FAR. Et tout particulièrement le passage concernant la participation de l’armée marocaine à la Seconde Guerre mondiale, aux côtés des Français, du temps du protectorat, où j’ai expliqué que le roi Mohammed V avait encouragé les Marocains à soutenir l’effort de guerre des Français dans le but de lutter contre le nazisme et de défendre les valeurs de démocratie et de liberté, mais aussi pour pousser les Français à revoir leur position par rapport au Maroc et à son désir d’indépendance. Il m’a interrogé sur qui j’étais, et sur mon parcours. À ce moment-là, j’étais professeur d’arabe au lycée Hassan-II [lycée Gouraud, sous le protectorat], tout en préparant un DES à l’Institut des études supérieures arabo-islamiques relevant de l’université de Strasbourg, après avoir obtenu une licence ès lettres à la faculté de Rabat. Après s’être renseigné sur moi et sur ma famille, il m’a proposé de venir travailler avec lui, car, au lendemain de l’indépendance, il y avait la volonté d’arabiser les documents et les courriers de la direction du Protocole royal. C’est ainsi que je suis entré au service du Palais, en 1965. Vous êtes passionné par les FAR, sur lesquelles vous avez publié plusieurs livres. Pourquoi ne pas avoir opté pour une carrière dans l’armée ?
88
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
DR
POLITIQUE MAROC
Avec le roi Mohammed VI, dans les années 2000.
C’était ma vocation initiale. Depuis l’époque où j’étais élève au collège MoulayYoussef, puis plus tard à l’Institut des Hautes Études marocaines, où j’ai étudié l’histoire militaire du Royaume, je suis resté fasciné par la capacité incroyable de cette armée marocaine à résister aux assauts étrangers, qu’ils soient maritimes ou terrestres. J’étais si féru d’histoire militaire marocaine et animé par un tel sentiment patriotique que j’ai pensé : pourquoi pas ? Moi aussi, je pourrais devenir l’un de ces militaires que j’admirais. En classe de seconde au lycée Moulay-Youssef, j’ai donc fait les démarches
pour entrer à l’École militaire de Saint-Cyr, en France, et répondre à l’appel adressé aux jeunes à ce sujet. Malheureusement, un concours de circonstances m’a empêché de réaliser ce rêve. Plus tard, je me suis présenté au concours de l’Académie royale de Meknès. J’ai réussi brillamment toutes les épreuves, et j’ai été admis. Mais mon père s’est opposé à l’idée d’une carrière militaire. Il souhaitait que je privilégie la connaissance et le savoir, et que j’obtienne un diplôme d’études supérieures. Je n’ai pas voulu le contrarier.
En 1998, il est nommé directeur du Protocole royal par le roi Hassan II. Poste qu’il occupera jusqu’en 2010.
DR
DR
Hassan II m’a recruté, en 1965, j’ai débuté comme attaché à la direction du Protocole royal et de la Chancellerie. Puis, à partir de 1972, j’ai été nommé chargé de mission au ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie. Ensuite, lorsque j’ai accumulé suffisamment d’expérience, j’ai commencé à assurer les remplacements du général Moulay Hafid quand il était absent, notamment lorsqu’il était en déplacement à l’étranger. Avant d’être nommé officiellement directeur du Protocole royal et de la Chancellerie, en 1998. Poste que j’ai eu l’honneur d’occuper jusqu’en 2010. C’est un destin auquel je ne m’attendais pas, mais qui montre que le travail sérieux, la persévérance, l’abnégation et le dévouement sont des valeurs clés dans la vie. Comment avez-vous appris les traditions makhzéniennes, dont vous avez été dépositaire durant de longues années ? À mon entrée au Palais, j’assistais à toutes les activités, ainsi qu’à toutes les réunions de préparation des différents événements, visites d’officiels, etc. Dans un premier temps, j’observais pour intégrer toutes les règles de la Maison et apprendre à veiller sur la préservation des traditions makhzéniennes. Puis on a commencé à me confier de plus en plus de responsabilités. C’est ainsi que j’ai appris à diriger cette institution extraordinaire qu’est le Protocole royal. Avant d’être nommé officiellement à la tête du Protocole royal, j’y ai fait office de directeur pendant de longues années. J’accueillais à l’aéroport les officiels et les personnalités qui venaient en visite au Maroc, j’organisais les dîners officiels et les réceptions, etc.
Comment se transmettent ces traditions makhzéniennes aujourd’hui ? Existe-t-il une école ou une formation au Protocole royal, comme cela se fait par exemple dans la monarchie britannique ? Il n’y a pas d’école du Il n’y a pas d’école du Protocole Protocole royal marocain. Il Après votre entrée au Palais, va de soi qu’au moment de la en 1965, vous avez gravi royal marocain. Les spécificités sélection des candidats nous les échelons un à un, avant et manières propres à la nous assurons qu’ils ont une d’être nommé, en 1998, base solide du fait de leur édudirecteur du Protocole royal Maison royale s’acquièrent cation. Mais les spécificités par Hassan II. d’abord par l’observation. et les manières propres à la Effectivement. Je suis pour Maison royale, traditions milcela extrêmement reconnaislénaires, s’acquièrent d’abord sant à Sa Majesté Hassan II et en observant les membres à Sa Majesté Mohammed VI de du Protocole royal et en assistant aux réum’avoir accordé leur confiance et offert l’honnions de préparation des différents événeneur et le privilège de mettre mes humbles ments. Puis, peu à peu, une fois que la compétences à leur service. Quand le roi JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
89
JACQUELYN MARTIN/AFP
POLITIQUE MAROC
Palais royal de Casablanca, avant l’arrivée du secrétaire d’État américain John Kerry, le 4 avril 2014. z
personne a assimilé suffisamment de connaissances en matière de savoir-faire et de savoir-être makhzénien, elle participe aux cérémonies, les réceptions et autres activités. Il y a bien sûr des rituels et des formules spécifiques au Makhzen à acquérir, mais aussi et surtout une attitude, une démarche, une manière d’être et de présenter, d’exceller dans l’art de la réception, de la conversation et des bonnes manières. En quoi consiste le Protocole royal marocain ? Le Protocole royal renvoie à la manière de préparer les cérémonies, qu’elles soient officielles ou familiales, impliquant la famille royale, mais aussi à l’organisation des audiences de Sa Majesté, que ce soit en amont ou durant leur déroulement. Ce sont les membres du Protocole royal qui accueillent les invités et qui se chargent d’en présenter certains au souverain durant les cérémonies. Depuis les rois amazighs de la Maurétanie tingitane, il y a toute une stratification de
90
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
rites que le temps a façonnée. Mais qui a connu une accélération avec les dynasties des Saadiens et des Alaouites. Bien avant la création de la direction du Protocole, à l’indépendance, le hajib (chambellan) était chargé de veiller au respect des traditions, et des us et coutumes makzéniens. Et d’organiser les différentes cérémonies de la vie au Palais, d’accueillir et de présenter les invités au roi, etc. Au lendemain de l’indépendance, ces rites se sont codifiés par la création d’un ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie. En quoi se différencie-t-il des protocoles japonais ou britannique, ou de ceux d’autres monarchies ? Il n’y a pas de comparaison possible. Nos rituels et traditions sont très différents. Par exemple, à l’entrée de Sa Majesté le roi, les Mokhaznis du Palais, coiffés de leur chachia, et avec à leur tête le caïd du Méchouar, doivent saluer d’une manière très spécifique, en se prosternant, pour lui témoigner
POLITIQUE MAROC leur respect et leur fidélité, et lui souhaiter la bienvenue en déclamant la formule consacrée « Allah ibarek fe 3mer Sidi ». Cela fait partie des règles de bienséance et de politesse à respecter en présence de Sidna, et qui sont spécifiques à la monarchie alaouite. Il y a également des codes vestimentaires. Les dignitaires et les représentants de la nation qui entrent au Palais sont invités à respecter un code vestimentaire de style makhzénien, notamment lors des soirées religieuses ou des cérémonies de la beyaa. Un exemple de ces tenues marocaines traditionnelles : burnous, djellaba de tissu bzioui [fabriqué depuis des siècles à Bzou], jabador, sans oublier le tarbouche national rouge.
la famille royale marocaine m’ont beaucoup marqué. D’autant que ces liens se sont inscrits dans la durée. Monsieur Chirac aimait beaucoup le roi Hassan II, et ce sentiment était partagé. Ces liens se sont poursuivis avec notre souverain Mohammed VI. Il connaissait bien le pays, il y avait ses habitudes. Et les Marocains, qui l’avaient totalement adopté, ne manquaient pas une occasion de lui témoigner leurs sentiments d’amitié. Vous avez servi aussi bien le roi Hassan II que son fils Mohammed VI. Y a-t-il eu des allègements entre les deux règnes en matière de protocole ? Le protocole makhzénien repose sur des traditions séculaires. Les styles peuvent différer, mais tous les rois du Maroc veillent à préserver sa rigueur et à faire respecter ses règles et ses codes, très spécifiques au Royaume. En revanche, certains aspects sont parfois ajustés pour être adaptés à la vie moderne : c’est le cas par exemple du rituel de la prière du vendredi, ou celui de l’Aïd el-Fitr et de l’Aïd el-Adha. Traditionnellement, le souverain se rendait à la mosquée sur son cheval, protégé du soleil par une vaste ombrelle. Sous le règne du roi Hassan II, le convoi à cheval a cédé la place à un cortège en voiture décapotable, à l’intérieur de laquelle le monarque se tient debout. Mais, tout comme autrefois, Sa Majesté sort accompagnée du directeur du Protocole, du hajib royal (chambellan), du caïd du Méchouar et des Mokhzanis. Parfois, le monarque peut choisir de se rendre à la prière à cheval, comme le faisaient ses ancêtres. Ces sorties sont généralement retransmises à la télévision nationale, et très suivies par les téléspectateurs marocains, qui eux-mêmes restent très attachés à ces traditions.
Le Palais royal exerce toujours une fascination assez particulière. Comment l’expliquez-vous ? D’abord, cela vient de la personne du roi lui-même. De son charisme et du respect qu’il inspire à ceux qui l’approchent. Je peux en témoigner personnellement, moi qui ai eu la chance et l’honneur de servir aussi bien Sa Majesté Hassan II que Sa Majesté Mohammed VI. Ensuite, au-delà du faste, de l’architecture, des parfums et du décorum propres aux palais marocains, les gens sont marqués par les différents rituels makhzéniens. Je pense par exemple à la cérémonie de préparation du thé, symbolique de l’hospitalité marocaine, telle qu’elle est pratiquée au Palais royal. Elle repose sur une série de gestes précis, accomplis par des Mokhaznis, et fait appel à une multitude d’ustensiles tels que le babor, sorte de samovar, les différentes siniya (plateaux), des présentoirs à gâteaux, des brûle-encens (mbikhra), des lave-mains… Ce rituel s’accompagne d’une profusion de parfums précieux, d’argenterie, de broderies et d’ornements traditionnels choisis parmi ce qui se Les relations privilégiées fait de mieux au Royaume.
Vous étiez présent lors de la tentative de putsch de Skhirat, où vous avez failli perdre la vie. Quel souvenir gardez-vous de d’amitié du président ce jour ? Vous avez passé près de Chirac avec la famille royale J’ai été profondément marqué cinquante-six ans au Palais par l’extraordinaire sang-froid royal, au service de la m’ont beaucoup marqué. dont a fait montre Sidna Hassan II, monarchie. En tant que chef ce qui est la marque d’un très grand du Protocole royal, vous avez roi. Là où n’importe quel autre chef eu à rencontrer des persond’État aurait paniqué, il a su resnalités mondiales de haut ter calme et opérer avec finesse et stratégie. rang. Quelles sont celles qui vous ont le Il nous a sauvé la vie, à moi et à beaucoup plus marqué ? d’autres personnes présentes ce jour-là. J’ai rencontré beaucoup de personnaliFace aux assaillants qui se sont introduits tés et de chefs d’État durant ces années. Je au palais de Skhirat lors de la réception d’anne peux évidemment oublier aucun d’entre niversaire de Sa Majesté, les uns ont fui vers eux. Mais les relations privilégiées d’amitié la plage et la mer, les autres sont restés dans du président français Jacques Chirac avec JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
91
POLITIQUE MAROC l’enceinte du palais, à l’intérieur duquel cerEt l’historiographe est la personne indiquée tains ont pu se cacher. Mais la majorité des pour les renseigner. gens ont été sommés par les rebelles de se L’historiographe est la mémoire du mettre à plat ventre dans la cour centrale, Royaume et des activités officielles qui s’y moi compris. Nous étions tous tétanisés par la tiennent. C’est un travail méticuleux qui peur, convaincus que notre heure était venue. est non seulement compatible avec celui Et au milieu de cette scène dramatique, il y de porte-parole du Palais royal, mais comavait des consignes parfois complètement plémentaire. Lorsqu’il y a un Conseil des absurdes. Je me souviens de ministres présidé par le roi, cette phrase du colonel Ababou, par exemple, en ma qualité qui dirigeait la tentative de soud’historiographe, j’enregistre lèvement, qu’il a prononcée juste tout ce qui a été dit pour l’hisÀ nous tous qui étions au sol, avant de se rendre au siège de la toire du Royaume. Et à la fin RTM : « Servez le dîner à tous ces de la réunion, en ma qualité le roi Hassan II nous a ordonné gens à 19 heures… » Comprendre : de porte-parole, je lis un comde nous relever : “Debout! éliminez tous les Marocains prémuniqué sous l’œil des camésents à 19 heures. ras des médias pour permettre Vous êtes des hommes!” Heureusement, Hassan II a au grand public de prendre pris les choses en main. Avec un connaissance de la teneur de calme et un courage impressionce Conseil. Je dois relayer de la nants, il est venu à la rencontre même manière tous les comdes assaillants, qui étaient armés jusqu’aux muniqués ayant trait aux cérémonies famidents. Ils étaient dans leur ensemble assez liales organisées dans l’enceinte du Palais jeunes et ne comprenaient même pas claireroyal. ment ce qu’ils venaient faire là. Il a d’ailleurs suffi que Sa Majesté, qui était alors en tenue Le roi Mohammed VI voyage beaucoup de plage comme tous les convives puisque en Afrique. L’accompagnez-vous dans c’était le dress code de cette réception, les ces tournées ? fixe en leur demandant : « Savez-vous qui je Il est de mon devoir de le faire, afin de suis ? » pour que les jeunes soldats, pris de tenir à jour le registre des activités royales panique, se prosternent devant lui en claet de rédiger des rapports sur ces voyages. mant : « Allah ibarek fe 3mer Sidi » et en baiCes récits sont ensuite répertoriés dans des sant ses mains. Il leur a alors intimé l’ordre de ouvrages édités chaque année par l’impridéposer les armes immédiatement, et nous merie royale et distribués dans toutes les a demandé à tous qui étions au sol de nous institutions officielles du pays, qu’elles soient relever : « Debout ! Vous êtes des hommes ! » politiques, économiques ou sociales. Puis, sous son égide, nous avons récité tous Son intérêt pour l’Afrique est très fort, il ensemble la sourate de la Fatiha pour remeraime profondément le continent et cela se cier Dieu de nous avoir gardés en vie. voit lors de ces déplacements. Loin de se contenter d’accomplir les activités officielles Vous cumulez depuis 2010 les fonctions et de se retirer comme le feraient beaucoup d’historiographe du Royaume et de de chefs d’État en déplacement, il passe beauporte-parole du Palais royal. Les deux coup de temps à échanger avec les gens, à fonctions sont-elles compatibles ? découvrir le pays, ses habitants, etc. Toujours La fonction d’historiographe du Royaume avec beaucoup de bienveillance, et pour seul consiste à compiler tous les faits et gestes du désir le développement de l’Afrique. monarque, et ses activités, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou famiQuel regard portez-vous sur les liens liales. Cette fonction s’accompagne de celle entre le Maroc et le reste des pays de conservateur du Mausolée Mohammed-V, africains d’un point de vue historique ? ce qui est somme toute logique puisque les Le Maroc a depuis toujours nourri des liens personnalités, les chefs d’État, les personforts avec le reste du continent africain. Cela nalités nationales et étrangères, les délégaremonte au moins au temps des Saadiens, tions officielles qui viennent se recueillir sur et aussi à l’époque du sultan Moulay Ismaïl les tombeaux du roi Mohammed V et de Sa Alaoui, qui, dans le cadre de la restructuraMajesté Hassan II ont généralement des question de son armée, avait créé la faction très tions sur ce lieu historique hautement syminfluente des « Boukharas », d’origine afribolique, construit à l’initiative de Hassan II caine, qui ne comptait pas moins de 150 000 sur les vestiges de la mosquée Hassan, édihommes connus pour leur courage et leur fiée par la dynastie almohade au XIIe siècle. dévouement.
92
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE MAROC comprends pas bien la démarche de l’auteur, qui n’a jamais pris la peine de se rapprocher de nous pour effectuer un travail documentaire sérieux sur la fonction d’historiographe au Maroc.
Sous l’impulsion de Mohammed VI, ces liens séculaires ont été réactivés. Le Royaume est devenu un ambassadeur de l’islam modéré, dont il prône les principes religieux et juridiques sur le continent africain par l’intermédiaire des oulémas, des mourchidine et des chefs spirituels des confréries religieuses. Sans oublier les relations diplomatiques, économiques et culturelles entre le Maroc et les pays africains, qui ne cessent de se développer.
La communication du Palais royal se fait essentiellement par le biais de communiqués. Au point que, dans certains milieux, on vous surnomme « le porte-parole qui ne parle jamais »… Qu’est-ce que cela vous fait ? Absolument rien. C’est quelque part même un compliment à mes yeux. La fonction de porte-parole du Palais royal a été créée pour communiquer autour des activités de Sa Majesté le roi, ainsi que sur les différents événements de la vie du Palais et de la famille royale. Et en aucun cas pour commenter ou improviser des analyses. En ce qui me concerne, je n’ai pas de prétentions personnelles. Depuis 1965, je suis très fier et très honoré de continuer à servir le roi, la famille royale, le trône alaouite et ma chère patrie. La discrétion, le dévouement et l’abnégation font partie de ma mission.
Un roman intitulé L’historiographe du Royaume, de Maël Reynouard, qui met en scène Hassan II et un historiographe, a failli remporter le Goncourt, en France, en 2020. Il ne vous a sans doute pas échappé… Je l’ai lu et ne souhaite pas m’étendre sur le sujet. À titre personnel, et en tant que féru de littérature, ce roman ne m’a pas plu : les distorsions par rapport à la personnalité de Sa Majesté le roi Hassan II, ainsi que celles qui sont relatives au travail d’un historiographe de la cour sont trop importantes pour que je puisse accrocher. Sans compter que je ne
COMMUNIQUÉ
BETTO PERBEN PRADEL FILHOL
L’ARBITRAGE EN AFRIQUE
Succès sur le continent africain
Jean-Georges Betto et Dominique Perben, ancien garde des Sceaux, Avocats associés
Arbitrage et attractivité économique Dominique Perben. L’arbitrage offre une sécurité juridique certaine aux acteurs économiques étrangers qui souhaitent investir ou commercer dans la région. Fiable, rapide et confidentiel, il renforce la confiance des investisseurs étrangers et agit comme un accélérateur d’attractivité économique.
« L’arbitrage agit comme un accélérateur d’attractivité économique. »
Jean-Georges Betto. L’Afrique fait figure de continent d’avenir en matière d’arbitrage. Ce succès se traduit d’abord par l’émergence de lois nationales favorables à l’arbitrage. A cela s’ajoute le nombre important d’institutions arbitrales présentes sur le continent qui s’élève aujourd’hui à plus de 90. Ainsi, à côté de la célèbre CCJA, de nouveaux centres d’arbitrage émergent avec notamment la création récente de la CAMAR. En 2019, 7,5% des parties à un arbitrage CCI, institution majeure de l’arbitrage, provenaient de pays africains.
Le défi majeur de l’arbitrage en Afrique J-GB. La majorité des litiges impliquant des parties africaines font encore l’objet d’arbitrages menés en dehors de l’Afrique. L’appropriation
par les juristes formés sur le continent de toutes les étapes de la vie d’un arbitrage, constitue sans doute le défi majeur.
Les avantages de la médiation DP. La procédure de médiation, en plus de sa compatibilité certaine avec la tradition africaine propice au compromis et à la négociation, présente l’atout de la confidentialité totale. Elle permet également de préserver les relations d’affaires et de renouer le lien de confiance entre les partenaires. La solution dégagée par la procédure détient l’immense avantage de recueillir l’adhésion de l’ensemble des parties, ce qui en facilite son exécution spontanée. BETTO PERBEN PRADEL FILHOL 41, avenue de Friedland - 75008 Paris contact@bettolegal.com +33 (0)1 40 55 38 77 www.bettolegal.com
POLITIQUE
TUNISIE
KAÏS SAÏED FRANCOPHONE RÉFRACTAIRE Après le nouveau report du sommet de l’OIF et les propos polémiques de l’ancien président Moncef Marzouki, « la question française » a brusquement ressurgi dans le débat politique. Explications.
FRIDA DAHMANI, À TUNIS
D
epuis la fin de son mandat, en 2014, l’ancien président Moncef Marzouki, 76 ans, joue à nouveau la partition de l’opposant, qu’il a déclinée sur tous les modes sous le régime Ben Ali. Le 9 octobre, le fondateur du Congrès pour la République (CPR) a ainsi donné de la voix lors d’une manifestation à Paris et franchi, aux yeux de nombreux Tunisiens qui ont pris l’habitude de le surnommer « tartour » (« l’insignifiant »), un pas de trop dans la provocation. Il a ainsi appelé à la révolte contre la dictature et exigé le retour d’une démocratie qu’il estime confisquée depuis le passage en force du président Kaïs Saïed, le 25 juillet, et la mainmise qu’il a établie sur le pouvoir. Un message somme toute audible, si ce n’est qu’il appelle « le gouvernement français à rejeter tout appui à ce régime et à cet homme qui ont comploté contre la révolution et qui ont aboli la Constitution ». Ce qui n’aurait été, en d’autres temps, qu’un non-événement prend
94
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
aujourd’hui les allures d’une affaire d’État. Les déclarations de Moncef Marzouki tombent à pic : elles donnent du poids aux propos de Kaïs Saïed assurant que des groupes d’influence cherchent à exercer des pressions sur l’opinion internationale pour contrer la volonté du peuple d’en finir avec un ancien système corrompu. « Il a violé le principe même de la souveraineté de l’État », assène Faouzi Charfi, secrétaire général du parti Al Massar. Les choses auraient pu en rester là, mais l’ancien président, qui se comporte comme s’il était encore un opposant crédible, a choisi la surenchère en assurant sur France 24 qu’il était satisfait du report d’un an du 18e Sommet de la francophonie, qui devait se tenir à Djerba les 20 et 21 novembre. Kaïs Saïed réagit en annonçant lui-même le retrait du passeport diplomatique de son prédécesseur et l’engagement de poursuites judiciaires. La harangue de Marzouki passe d’autant moins que la Tunisie cherche des appuis
POLITIQUE
YASSINE GAIDI/ANADOLU AGENCY/AFP
Le président de la République, le 23 octobre 2019, au palais de Carthage, peu après son élection.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
95
ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS
POLITIQUE TUNISIE
L’ancien président Moncef Marzouki a appelé, à Paris, « le gouvernement français à rejeter tout appui » au régime et au chef de l’État tunisiens.
une zone d’influence de l’ancienne autorité coloniale et l’usage abondant de la langue française. Un amalgame dû notamment à l’arabisation imposée par le ministre de l’ÉducaAmalgame et simplisme tion Mohamed Mzali dans les années 1970 L’opinion s’insurge contre Moncef Marzouki et à un fort attrait pour un Moyen-Orient et occulte les raisons qui ont conduit au devenu puissant avec ses monarchies report du Sommet du cinquantenaire pétrolières. Conséquence : la mise à de la francophonie. Sa prise de parole l’écart progressive du français, à l’opplace de la République a alimenté un Le sentiment posé de la politique du père de l’inpeu plus un sentiment antifrançais antifrançais dépendance, Habib Bourguiba, qui généralisé. Lequel se nourrit aussi avait inscrit la Tunisie dans l’espace bien du rejet des islamistes – qui généralisé se nourrit francophone. Il fut d’ailleurs l’un des seraient soutenus par la France aussi bien du rejet des fondateurs de l’Organisation interdepuis 2011 – que de celui de l’auislamistes que de celui nationale de la francophonie (OIF) toritarisme – pour qui Paris est aux côtés du Sénégalais Léopold Sédar régulièrement accusé d’avoir un de l’autoritarisme. Senghor, du Nigérien Hamani Diori faible. Chacun voit midi à sa porte. et du Cambodgien Norodom Sihanouk. « La révolution et la transition démocraBourguiba poursuivait l’œuvre réformiste tique ont été perçues comme une période du grand vizir Kheireddine, qui, deux décend’ingérence de différentes puissances, notamnies avant l’établissement du Protectorat, ment la France », commente un ancien diploavait déjà opté pour la langue française et pour mate, qui constate une réelle ignorance de ce une culture ouverte sur le monde moderne. qu’est la Francophonie. De manière simpliste, Pour Bourguiba et ses pairs, la Francophonie elle désigne, pour de nombreux Tunisiens, à l’international, et notamment dans le monde arabe, pour l’aider à surmonter la crise économique qui la plombe.
96
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE TUNISIE était une réalité « non seulement parce qu’elle établit un contact privilégié entre les pays où le français est langue officielle et ceux où elle est langue de travail, mais aussi parce qu’elle rassemble les uns et les autres dans un même univers culturel, parce qu’elle permet aux uns et aux autres de découvrir, même au-delà de la langue, ce qui les unit », déclarait Habib Bourguiba dans son discours d’ouverture du Sommet de Montréal, en 1968. « C’est donc une sorte de Commonwealth que je voudrais voir s’établir entre eux, une communauté qui respecte la souveraineté de chacun et harmonise les efforts de tous », concluait le leader tunisien.
Un arabisant enthousiaste Des propos qui ont une résonance particulière, plusieurs représentants africains ayant fait valoir le rôle moteur de la Tunisie dans la création de l’institution. Quand, en 2016, lors du Sommet d’Antananarivo (Madagascar), la Tunisie a été désignée pays hôte du 18e Sommet, rien ne laissait prévoir que celui-ci serait différé par deux fois. La pandémie de Covid a entraîné le report de la session prévue en novembre 2020 à Tunis, tandis que le président tunisien, Kaïs Saïed, élu en 2019, a souhaité déplacer l’événement à Djerba (Sud) pour valoriser le principe de décentralisation qui lui est cher. À Tunis ou à Djerba, le but était le même : « Donner de la visibilité à un pays qui a réussi son passage en démocratie. » Une crise politique et économique sévère a ralenti la prise de décision, avec des retards importants sur les préparatifs du sommet. « La capitale, où se sont tenus d’autres sommets, avait l’avantage d’être prête pour accueillir cet événement », déplore un urbaniste de la municipalité de Tunis. Houcine Jrad, maire de Houmt Souk, à Djerba, ne vit pas le report comme une sanction, mais comme l’occasion de mener à bien un projet ambitieux qui a été contrecarré par des retards administratifs : « Pendant des mois, nous avons mené une bataille de procédures pour les appels d’offres et obtenu finalement le droit de conclure des marchés de gré à gré sans passer par le gouvernorat. » Certains imputent les lenteurs aux tensions politiques entre la présidence et le gouvernement de Hichem Mechichi. D’autres, comme Mohamed Ben Jemaa, de la fondation Djerba pour le développement durable, regrettent que les alertes transmises à Carthage n’aient pas été entendues, alors que la société civile s’était mobilisée pour que le sommet marque une étape dans la valorisation des potentialités de l’île.
Surtout, la représentation canadienne auprès de l’OIF a estimé que, depuis le 25 juillet, la démocratie a opéré une sortie de route en Tunisie. Un avis partagé par la plupart des pays occidentaux, qui invitent le président tunisien à réinstaurer une instance parlementaire et à lever la suspension de la Constitution. Ce qui permet au passage à Kaïs Saïed de dénoncer une tentative d’ingérence et d’accuser certains Tunisiens de vouloir nuire au pays en colportant de fausses informations auprès des chancelleries. Le débat prend des proportions telles que le report du Sommet du cinquantenaire est oublié. Cela convient à Kaïs Saïed, qui n’a fait qu’hériter d’un projet dont il ne cerne pas la portée politique et qui avait été voulu par son prédécesseur Béji Caïd Essebsi. La représentation Un événement qui peut canadienne auprès paraître inopportun au moment où la tentative de l’OIF a estimé que, de refonte totale du depuis le 25 juillet, la système politique par démocratie a opéré une le président se heurte à une crise majeure des sortie de route en finances publiques. Tunisie. Autre raison, peut-être plus profonde et moins conjoncturelle : Kaïs Saïed ne semble pas très à l’aise avec la sphère francophone, comme le montre son peu d’intérêt pour l’Afrique subsaharienne, où il n’a effectué aucun voyage officiel depuis son arrivée au pouvoir. Avant d’être juriste, le locataire de Carthage est d’abord un arabisant enthousiaste qui met manifestement un point d’honneur à s’exprimer dans l’arabe le plus pur, au risque de ne pas toujours être compris par ses compatriotes. C’est la langue qui a nourri son imaginaire politique et littéraire, même s’il cite volontiers Montesquieu et des sources francophones de droit et de jurisprudence. Kaïs Saïed, comme beaucoup de Tunisiens, a une relation ambivalente avec la Francophonie. « Si elle est rejetée par une partie de la population parce que considérée comme aliénante, néocoloniale ou simplement peu attrayante, elle demeure associée dans la plupart des esprits, y compris chez ses détracteurs, à des images de réussite sociale, de modernité, de liberté, d’efficacité », analyse l’universitaire et ancien directeur de l’éducation à l’OIF, Samir Marzouki. Difficile, dès lors, de s’engager plus avant dans un univers francophone assimilé à un élitisme déconnecté, alors que le président Saïed s’est choisi pour slogan « Le peuple veut » et annonce vouloir une meilleure redistribution des richesses. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
97
POLITIQUE
L’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani (à g.), reçu par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, le 10 mai, à Djeddah.
98
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
POLITIQUE
GOLFE
MBS, MBZ, TAMIM : LA GUERRE DES TROIS Malgré la fin officielle de la brouille, en janvier 2021, la rivalité entre le Qatar et les autres pétromonarchies continue, en coulisses, de battre son plein, tandis que Riyad a tempéré son alliance stratégique avec Abou Dhabi.
LAURENT DE SAINT PÉRIER
BANDAR ALGALOUD/COURTESY OF SAUDI ROYAL COURT/HANDOUT VIA REUTERS
J
our historique, ce 3 octobre, au Qatar : un mois après avoir célébré ses 50 ans d’indépendance, l’émirat organise ses premières législatives. La Choura qui en sera issue restera un organe consultatif, ce scrutin ayant une portée essentiellement symbolique. Et pédagogique, soulignent les autorités. Mais de mauvaises ondes sont venues de l’étranger perturber l’événement national, qui ont mis sur les dents les services qataris. Dès le début d’août, le réseau Twitter a commencé à gazouiller quotidiennement des centaines de hashtags appelant au boycott électoral et à un « printemps qatari » sur le modèle des printemps arabes de 2011. Beaucoup étaient illustrés de captures d’écran d’une rare manifestation, le 9 août, de membres de la tribu des Al-Murrah, dont une partie a été exclue du scrutin par la loi électorale, laquelle n’accorde le droit de vote qu’aux seuls citoyens dont les ascendants étaient qataris en 1930. La déferlante de tweets hostiles au pouvoir a conduit les services qataris à s’intéresser à leur origine, pour constater qu’ils avaient été diffusés via une cohorte de comptes robots (bots) depuis, essentiellement, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite, mais aussi l’Égypte, les trois grands États qui, en juin 2017, avaient rompu tout lien avec l’émirat et, empêchés par l’administration américaine de l’envahir, lui avaient imposé un blocus total. « Huit mois après que le Qatar JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
99
POLITIQUE GOLFE et l’ex-quartet du blocus ont semblé enterrer la hache de guerre avec la signature de la déclaration d’Al-Ula, cette affaire amène à se demander si la crise du Golfe a vraiment pris fin », écrivait le site d’information locale Doha News le 11 août dans une enquête consacrée à cette cybersubversion. En janvier 2021, la famille exigeante des monarques du Golfe avait en effet célébré en grande pompe son entente retrouvée après quatre ans de brouille avec l’indocile Qatar.
Désescalade entre Riyad et Téhéran? Alors que la Russie s’ingère dans les élections des puissances occidentales, qui ne sauraient pour autant la qualifier d’ennemie, ces quelques rafales de tweets dans le ciel du Golfe semblent de faible portée. Mais de nombreux aspects de la réconciliation de janvier laissent à penser que certains anciens ennemis du Qatar n’ont pas désarmé. Mis en scène dans le décor minéral d’Al-Ula, le spectacle de l’unité du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a été donné très opportunément quinze jours avant la prestation de serment du nouveau président américain démocrate, Joe Biden, le 20 janvier. Débridés par les blancs-seings et les absolutions délivrés par son prédécesseur Donald Trump en échange de dizaines de milliards de dollars d’armement, Abou Dhabi, Riyad et Le Caire étaient dans le collimateur des démocrates américains. Le candidat Biden avait même prévenu qu’il ne fraterniserait pas avec des « dictateurs et des autocrates ». La défaite de Trump, mais aussi la position, essentielle pour Washington, acquise par Doha dans la crise afghane ont sonné la fin de la récréation : la levée du blocus contre le Qatar a constitué un gage de modération à l’adresse de la nouvelle administration, en même temps qu’une issue consensuelle à quatre années d’embargo qui n’ont eu d’autres résultats que d’entraver l’économie du Golfe et d’empoisonner le climat politique de la région. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, avait alors espéré « que tous les pays concernés continueraient d’agir dans un esprit positif pour renforcer leurs relations ». Des relations du Qatar avec les membres de l’ex-quartet, celle avec l’Égypte est repartie sur le meilleur pied, les deux États ayant engagé une coopération positive dans les domaines financier et politique, comme à Gaza, mais aussi en Libye, où Le Caire se passerait bien du maréchal Haftar, l’incontrôlable protégé d’Abou Dhabi. Les islamistes, défendus par Doha, ne représentent plus une menace pour l’Égyptien Sissi, maintenant bien installé. À Riyad, paradoxalement, le principal grief des
100
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Saoudiens était l’ouverture du Qatar à l’Iran, mais ils voient aujourd’hui dans l’émirat leur meilleur atout pour engager la désescalade avec le grand rival perse. « Et le prince héritier Mohammed Ben Salman [MBS] est lui aussi dans une situation plus stable qu’il y a cinq ans et peut se permettre de montrer qu’il n’est plus l’affidé du maître d’Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed [MBZ], qui, lui, reste l’ennemi irréductible de l’émir Tamim du Qatar », explique l’analyste en risque politique et spécialiste du Golfe Andreas Krieg, du King’s College de Londres. LA DÉFAITE DE TRUMP En effet, les poisons qui enveET LA POSITION niment les relations entre Doha et Abou Dhabi ne sont ESSENTIELLE ACQUISE pas de ceux qui se métabolisent rapidement. PAR LE QATAR DANS « Des positions idéologiques LA CRISE AFGHANE antagonistes et des ambitions de grandeur concurrentes ont ONT SONNÉ LA FIN DE creusé un fossé entre les deux proches voisins depuis bien LA RÉCRÉATION. plus longtemps qu’il n’y paraît, rappelle Sébastien Boussois, chercheur et auteur des Émirats arabes unis à la conquête du monde (Max Milo, juillet 2021). Le Qatar et les EAU étaient irréconciliables dès le lendemain de leur indépendance, en 1971, quand Doha a finalement refusé d’intégrer la fédération, aujourd’hui sous la coupe d’Abou Dhabi. En 1995, le coup de palais du prince héritier du Qatar, Hamad, contre son père et l’échec, en 1996, du contrecoup ourdi par Abou Dhabi ont attisé les animosités, tout comme le soft power conquérant développé les années suivantes par Doha. En 2011, cette hostilité a éclaté au grand jour sur le théâtre des révolutions arabes mais aussi au-delà. »
Athènes vs Sparte Entre Doha, qui se voit en Athènes du Golfe, championne de la démocratie dans le monde arabe, et Abou Dhabi, qui se veut une nouvelle Sparte, sentinelle musclée de l’ordre et de la sécurité dans la région, la guerre s’est alors livrée sur des terrains secondaires, notamment en Libye, où elle perdure plus qu’ailleurs, les Émirats soutenant à tous crins, malgré ses erreurs, ses excès et ses échecs, le maréchal Haftar, qui se veut l’ennemi juré des islamistes, contre le gouvernement de Tripoli, activement aidé par la Turquie et le Qatar. En Syrie, les Émiratis ne cachent plus leur inclination pour le régime d’Assad depuis la réouverture de leur ambassade à Damas, en 2018, tandis que Doha recevait encore, à la fin de septembre, le président de la Coalition nationale de l’opposition et des forces
révolutionnaires syriennes. En septembre 2020, les influents médias qataris n’ont pas ménagé leurs critiques quand les EAU et Bahreïn ont conclu avec Israël des accords de normalisation. En juin 2021, le ministre émirati des Affaires étrangères appelait en retour à classer terroriste le Hamas palestinien, au pouvoir à Gaza et protégé par les Qataris. Le Qatar s’est-il fait l’incontournable intermédiaire avec les talibans sur le terrain afghan ? Les EAU, seul État avec l’Arabie saoudite à avoir reconnu leur régime dans les années 1990, se montrent aujourd’hui très réservés à leur égard et ont accueilli le président Ashraf Ghani, qui a fui les islamistes en emportant des dizaines de millions de dollars. À l’ouest d’Aden, le continent africain est devenu l’arrière-cour de la compétition entre Doha et Abou Dhabi, plus largement entre un axe Turquie-Qatar et un axe EAU-Arabie saoudite, qui s’y disputent les investissements, les ports et les influences politiques. Il avait été le terrain d’une grande chasse aux soutiens diplomatiques quand, en 2017, les quatre rivaux du Qatar avaient décrété le blocus.
BANDAR AL-JALOUD/SAUDI ROYAL PALACE/AFP
POLITIQUE GOLFE
De g. à dr., Tamim, Mohammed Ben Salman et Tahnoun Ben Zayed, le 17 septembre, à Neom.
Démographie : avantage à Doha La réconciliation officielle n’a pas fait décroître les compétitions qui se jouent de Mogadiscio à Nouakchott. De même, la victoire remportée dans le monde arabe par le camp de la contre-révolution n’a pas atténué la défiance d’Abou Dhabi. MBZ, tacticien des EAU, sait la fragilité des « régimes forts » qu’il soutient et la probabilité de nouvelles agitations sociales. S’il a gagné la partie, il n’a pas encore remporté le match. « Ce qu’il est important de considérer, souligne Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de la péninsule Arabique, c’est que, dans les années 2000, Doha CES PAYS ONT se place pour les Occidentaux comme le lieu du pluralisme, DES RESSOURCES de la démocratie et de la liberté SIMILAIRES, VISENT d’expression, quand Abou Dhabi se positionne comme celui de la LA MÊME NICHE tolérance religieuse vis-à-vis de ces mêmes Occidentaux. » « Lors ET NE PEUVENT des révolutions arabes, en 2011, le ÊTRE QU’EN Qatar est resté fidèle à cette ligne, soutenant les partis de l’islam CONCURRENCE. politique beaucoup moins par affinité que parce qu’il les voyait comme les chevaux gagnants, poursuit le chercheur. Les Émirats ont adopté la position inverse, d’abord sur la défensive puis dans la contre-offensive, en arguant que la révolution c’était l’extrémisme et qu’en tant que défenseur de la tolérance il fallait la contrer. »
Sur le terrain politique, le Qatar possède un atout là où réside l’une des principales fragilités des EAU comme de l’Arabie saoudite : une population homogène, prospère et très restreinte de 300 000 nationaux, facilement contrôlable, qui l’autorise à mener la politique étrangère qu’il souhaite sans conséquences intérieures. Il n’en va pas de même aux EAU, beaucoup plus peuplés et affectés par des disparités, et à plus forte raison en Arabie saoudite. Des faiblesses sur lesquelles les oppositions aux régimes, islamistes en premier lieu, pourraient prospérer. Doha est loin de « s’aligner politiquement sur ses voisins du Golfe, comme le lui commandait l’une des treize conditions émises en 2017 pour la levée du blocus. Cependant, le facteur de tension le plus important mais le plus ignoré dans le Golfe n’est pas dans les antagonismes des positionnements idéologiques, mais, au contraire, dans la similarité des modèles de développement de ces pétromonarchies voisines. Ce sont des pays aux ressources similaires, qui ont finalement adopté des discours similaires, qui sont sur les mêmes lignes, visent la même niche et ne peuvent structurellement qu’être en concurrence. Concurrence entre le Qatar et ses voisins, mais aussi entre les EAU et l’Arabie saoudite. Celle-ci s’exprime de plus en plus ouvertement et pourrait s’aggraver, le modèle saoudien étant calqué sur le modèle émirati, relève Stéphane Lacroix. Je ne vois pas pour l’instant d’issue à cette compétition qui risque de se prolonger ». JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
101
UNE RÉGION, SES DÉFIS
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE ÉCONOMI MIE
Des progrès à pas comptés ALAIN FAUJAS
Malgré une croissance fragile liée à quelques problèmes chroniques – intégration laborieuse, grandes disparités entre États membres, économies insuffisamment diversifiées –, les pays de la Cemac remontent la pente, lentement mais sûrement.
102
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
103
DANIEL RIFFET/PHOTONONSTOP/AFP
Site d’extraction de pétrole, le long du fleuve Ogooué, au Gabon.
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
L
a Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) se redresse doucement. Le choc de la pandémie a été moins violent que celui qui a suivi l’effondrement des cours du pétrole et d’un certain nombre de matières premières à partir de 2014. Certes, ses six États membres ont connu une récession en 2020 (– 3,1 %, selon le FMI), mais la reprise est là, et 2021 devrait connaître une croissance de 2,6 %. La remontée des cours de l’or noir a permis d’engranger des recettes supplémentaires bienvenues et a contribué à améliorer les réserves régionales en devises, qui équivalent à quelque quatre mois d’importations, contre trois mois au plus fort de la crise sanitaire. Il semblerait que l’inflation doive demeurer audessous des 3 % annuels, malgré une poussée vraisemblable au début de 2022. Même dans le domaine de l’intégration régionale, la Cemac progresse à petits pas. Réputée être l’une des régions d’Afrique les moins intégrées, avec des échanges intracommunautaires rapportés à ses échanges totaux inférieurs à 4 % (moyenne continentale : 17 %), elle peut se féliciter d’avoir commencé à mettre en place un roaming sans frais depuis janvier. Cette avancée allégera considérablement le surcoût de ses communications transfrontalières, qui représente, selon l’Union africaine, 1,33 dollar en moyenne, contre 0,10 dollar en Afrique de l’Est.
Quelques nuages noirs La première phase de la fusion des secteurs financiers de la Communauté a été réussie. Grâce aux investissements dans le secteur pétrolier, les États de la Cemac constituent la seule région d’Afrique à avoir vu progresser les investissements étrangers, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Ceux-ci sont passés de 7 milliards de dollars en 2019 à 7,3 milliards en 2020. Reste que la convergence des six économies laisse toujours à désirer et que la différence de développement et de richesse demeure considérable entre le pays le plus avantagé – le
104
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Gabon – et le pays le moins avantagé – la République centrafricaine. La Banque mondiale (BM) appuie donc de tout son poids cette laborieuse intégration inachevée. D’abord en matière d’énergie. « Les pays de la Cemac réussiront leur transition énergétique ensemble ou pas du tout, prévient Abdoulaye Seck, directeur des opérations de la BM pour le Cameroun, le Gabon, le Congo, la Centrafrique et la Guinée équatoriale. En juin 2020, l’institution a approuvé un programme de 385 millions de dollars afin de connecter le nord du Cameroun et le Tchad, en déficit d’énergie électrique, avec les importantes capacités hydroélectriques du sud du Cameroun. »
Les six chefs d’État ont appelé leurs ministères à améliorer leur gouvernance et à développer en priorité le capital humain. L’interconnexion numérique est le deuxième souci de la BM. Pendant une dizaine d’années, l’institution a poussé le projet de dorsale de télécommunications Central African Backbone 4 de manière à fournir un accès à internet haut débit au plus grand nombre de personnes, et ce au plus faible coût. « Le 28 septembre, un programme de 100 millions de dollars a été signé pour accélérer au Cameroun la connexion numérique dans les zones les plus reculées du pays ainsi que dans le secteur agricole, ajoute Abdoulaye Seck. En juillet, Digital Gabon avait été épaulé par un programme de 68,5 millions de dollars pour son service d’identité numérique, dont dépendent aussi bien l’accès aux services publics que les passations de marché. » Sans parler de l’amélioration de la connectivité dans les corridors Douala-Bangui et Douala-N’Djamena. Flottent sur la Cemac quelques nuages noirs qui inquiètent le FMI. Sa croissance est insuffisante : selon le rapport de politique monétaire
publié le 1er octobre par la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), elle devrait demeurer inférieure de plusieurs points aux 5,6 % prévus pour sa sœur jumelle, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Le recul de sa production pétrolière a fragilisé ses réserves, qui demeurent, en réalité, au-dessous de la barre minimale de trois mois d’importations si l’on prend en compte sa dette à l’égard du FMI. La transparence et la gouvernance des recettes pétrolières laissent toujours à désirer. Les négociations avec le suisse Glencore au sujet de la restructuration de leur dette ne se passent bien ni avec le Congo, dont plus de la moitié de la charge de la dette va à cette société suisse, ni avec le Tchad. Même si le gouvernement suisse exerce une forte pression en faveur de cette restructuration, qui conditionne l’accès de ces deux pays à des financements essentiels.
Réunion clé à Paris La dette du Congo est, hélas, libellée en barils, ce qui le prive d’importantes recettes, notamment quand les cours du brut augmentent fortement, comme en ce moment. La Chine continue à refuser de publier certaines de ses créances sur la région, arguant que celles-ci ne sont pas des créances publiques mais privées et qu’elles échappent à tout contrôle. À cause de ces difficultés, le FMI a obtenu des six chefs d’État un sommet extraordinaire par visioconférence le 18 août, afin d’éviter que la Cemac ne connaisse de nouvelles difficultés avec son franc CFA, comme en 2017. Lors de ce sommet, ces dirigeants ont appelé de façon très ferme leurs ministères et leurs administrations à améliorer leur gouvernance, à diversifier leurs économies et à développer en priorité le capital humain. Réaffirmant leur volonté de jouer la carte de l’intégration régionale, ils ont confirmé les onze projets intégrateurs prioritaires, dont les financements ont été mobilisés avec succès lors de la table ronde de Paris, en novembre 2020 (lire encadré). Pour « impulser une nouvelle et forte dynamique à la stratégie régionale de redressement économique et financier », ils ont décidé d’adhérer
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE aux « programmes de deuxième génération » souhaités par le FMI, la BM et la BAD. Histoire de maîtriser les déficits budgétaires et commerciaux, donc l’endettement, et de rassurer les investisseurs, tout en faisant profiter les populations de services publics dignes de ce nom. Le Cameroun et le Gabon sont bien positionnés pour conclure ces nouveaux programmes. Leur extrême vulnérabilité devrait assurer à la Centrafrique et au Tchad de réussir vaille que vaille cet exercice avec la bienveillance des institutions multilatérales. En revanche, le Congo et la Guinée équatoriale, qui ont eu du mal à signer avec le FMI un premier programme, auront plus de difficultés à satisfaire à l’orthodoxie économique et financière qui leur sera demandée. La France a promis d’apporter une aide budgétaire aux pays qui signeront le nouveau programme voulu par le Fonds.
Une réunion de la Cemac, du FMI et de la France prévue cet automne à Paris assurera le suivi du sommet du mois d’août. Au menu, beaucoup de questions très techniques, comme la définition des prêts « non performants » – donc risqués –, qui représenteraient près d’un tiers de la totalité des prêts de la région. Il faudra aussi reconsidérer les avances de trésorerie consenties par la Beac aux six États. On parlera aussi de contenir l’hémorragie financière que représente un déficit courant régional qui se maintient à 4 %-5 % du produit intérieur brut, car cela réduit leurs capacités d’investissement et risque d’inquiéter les marchés et de provoquer une hausse des taux d’intérêt demandés aux six États. À Paris, on abordera également la question de la demande pressante adressée aux États par la Beac afin qu’ils rapatrient leurs recettes provenant des hydrocarbures. Ces États y
sont hostiles, notamment le Congo et le Gabon, car les sociétés pétrolières ont commencé à réduire leurs investissements pour signifier leur opposition à une telle décision. En fin de compte, l’indispensable accélération du développement de la Cemac dépend d’abord de l’augmentation de l’aide internationale nécessaire pour lui permettre de financer totalement ses projets « intégrateurs ». Les bailleurs de fonds devront suivre l’exemple de la BM (IDA, BIRD), qui a prévu de lui apporter, au cours des trois prochaines années, jusqu’à 5 milliards de dollars, dont 1,5 milliard sous forme de dons. Mais le succès de la Cemac dépend surtout du respect de ses promesses de réformes et de la réalisation des chantiers programmés. Car la région a souvent eu bien du mal à mettre en pratique des décisions solennellement actées par les sommets successifs de ses chefs d’État.
Onze chantiers intégrateurs Si l’Afrique centrale est considérée comme une région à la traîne en matière d’intégration, de nombreux projets visant à mieux relier ses villes et ses pays sont sur la table. Revue de détail.
L
e Programme économique et régional (PER) de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), adopté en 2011, vise à consolider et à achever l’intégration régionale. En 2019, compte tenu des crises financières et économiques, dans un contexte budgétaire contraint et en raison du lourd endettement de chacun de ses membres, les chefs d’État de la Cemac ont décidé de concentrer le volet « infrastructures » du PER sur onze projets intégrateurs prioritaires, dont le montant global est estimé à près de 4,1 milliards d’euros – pour lesquels ils ont mobilisé les bailleurs de fonds –, la réalisation de ces chantiers étant prévue sur cinq ans (2021-2025).
Ces projets sont les suivants : – construction d’un pont sur le fleuve Ntem, facilitation du transport et amélioration de la sécurité routière sur la route transnationale Kribi-Campo-Bata, reliant le Cameroun à la Guinée équatoriale; – construction de la voie express Lolabé-Campo (40 km) entre le Cameroun et la Guinée équatoriale; – construction de la route Ndendé-Doussala (144 km) entre le Gabon et le Congo;
– construction de la route Kogo-Akurenam (sud-est de la Guinée équatoriale et Gabon); – corridor Brazzaville-Ouesso-Bangui-N’Djamena (Congo-Centrafrique-Tchad) ; – aménagement hydroélectrique du barrage de Chollet et lignes électriques Cameroun-Gabon-Congo-Centrafrique ; – interconnexion de réseaux électriques Cameroun-Tchad ; – interconnexion du Cameroun avec les autres pays de la Cemac par fibre optique; – construction du port sec de Beloko (corridor Douala-Bangui) ; – construction du port sec de Dolisie (corridor Gabon-Congo) ; – Université inter-États Cameroun-Congo (UIECC). Le financement de ces projets semble assuré par les 3,8 milliards d’euros qui ont été promis par la BDEAC, la BAD, SX Capital Holdings et la société scandinave CCA, ainsi que par l’entreprise chinoise Gezhouba pour l’aménagement du barrage de Chollet. Tous seront financés sous forme de prêts, à l’exception de l’UIECC, qui bénéficiera exclusivement de dons. A.F. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
105
L e c o e u r d e l ’A f r i q u e v o u s e s t o u v e r t
+24101445050
reservation@afrijet.com
www.flyafrijet.online
Cap vers un avenir durable Résolu à préserver le patrimoine naturel d’Afrique Centrale et sa forêt équatoriale, Afrijet fait le choix d’opérer les avions les plus écologiques du marché. Notre mission : apporter une réponse verte à vos besoins essentiels de déplacement. Réduction de la consommation de carburant de 20 à 30 %
@AFRIJET
flyafrijet.online
La plus faible émission de CO2 parmi les avions commerciaux
afrijet-business-service
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
STRATÉGIE
Rigobert Roger Andély Ministre congolais des Finances, du Budget et du Portefeuille public
« Il faut savoir dépasser les contingences politiques » L’ancien vice-gouverneur de la Beac avance ses solutions pour renforcer la résilience économique des États membres de la Cemac.
OLIVIER CASLIN
R
igobert Roger Andély a retrouvé en mai le fauteuil de ministre congolais des Finances et du Budget qu’il avait déjà occupé de 2002 à 2005. À 68 ans, il ressort donc « le Bic rouge » qui lui avait valu son surnom à l’époque. Réputé pour sa rigueur, le grand argentier congolais, également passé par le FMI et la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) durant sa carrière, connaît sur le bout des doigts les grands dossiers qui s’imposent aujourd’hui aux économies des pays d’Afrique centrale. Jeune Afrique : Comment définiriez-vous l’état des économies d’Afrique centrale actuellement ? Rigobert Roger Andély : Comme toutes les économies du monde, elles ont été atteintes de plein fouet par la pandémie de Covid-19, avec une récession très forte dans la zone. La plupart de nos six pays retrouvent aujourd’hui la croissance, mais il va nous falloir du temps pour retrouver certains grands équilibres. Que pensez-vous des initiatives prises par la Beac dans ce contexte de crise ?
108
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Elle a beaucoup fait. Trop, même, d’après les experts de certaines grandes institutions internationales. Elle a exactement agi comme l’avaient fait avant elle les banques centrales américaine et européenne en injectant notamment des liquidités sur le marché, plus de 200 milliards de F CFA [environ 305 millions
auprès des banques, et, si elle ne l’avait pas fait, beaucoup seraient aujourd’hui en grande difficulté. Pour toutes ces raisons, je pense qu’elle a très bien joué son rôle, comme l’ont fait les autres banques centrales.
Nos pays ont pris conscience de leurs fragilités, de leurs insuffisances, et c’est déjà un grand pas.
Et le FMI ? Il est incontournable dans le sens où il pousse les pays à assainir leurs pratiques. Passer sous ses fourches caudines est délicat, et pour l’éviter il n’existe pas d’autres moyens que de bien gérer. Il faut une vraie crédibilité pour pouvoir aller sur les marchés financiers, comme ont très bien su le faire le Ghana et, plus récemment, la Côte d’Ivoire, le Bénin ou le Cameroun.
d’euros]. Elle vient récemment de prendre une décision très importante, en repoussant les échéances des créances qu’elle détient auprès de nos pays et que nous devions commencer à rembourser en 2022. Elle accorde ainsi un véritable ballon d’oxygène aux économies de la région, pouvant aller de 25 à 100 milliards de F CFA en fonction des pays. La Beac est également intervenue
Justement le Cameroun, pourquoi fait-il figure de bon élève économique dans la sous-région ? Le pays connaît des succès, en effet, notamment en matière de mobilisation de la ressource interne, qui est de mon point de vue un exemple à suivre. Le Cameroun est surtout très avancé en matière de diversification, qui est un impératif pour tous les pays de la zone. Nous devons profiter des marges de
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
MINISTÈ RE DES FINANCES
Passé par la Banque sino-congolaise pour l’Afrique (BSCA) et par l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), Rigobert Roger Andély, a retrouvé le ministère des Finances en 2021.
manœuvre apportées par les hydrocarbures pour sortir du tout-pétrole qui caractérise encore trop nos économies. C’est exactement dans ce sens que vont les conclusions du Sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cemac, organisé le 18 août à Yaoundé. Cet événement a montré que nos pays avaient pris conscience de leurs fragilités, de leurs insuffisances, et c’est déjà un grand pas. Il reste encore à mettre en application les décisions prises, notamment concernant cette nécessaire diversification. Certaines solutions, destinées à renforcer la résilience économique de l’Afrique centrale, sont identifiées depuis longtemps en matière de gouvernance financière, de diversification ou d’intégration régionale. Pourquoi est-ce si difficile de les mettre en œuvre ? C’est pourtant exactement ce que nous comptons faire ! Mais il faut pour cela savoir parfois dépasser certaines contingences politiques. Quand elles pensent prendre le pas sur l’économie, cette dernière prend in fine sa revanche. Nos schémas de financement étaient fondés sur
l’endettement de l’État, à coups de milliards… C’est fini, nous avons changé de paradigme. Nous cherchons, par exemple au Congo, à faire venir les investissements directs étrangers (IDE) pour financer nos projets sans creuser la dette, dans l’agriculture et la foresterie, le pétrole et le gaz, les mines, le tourisme. À nous de faire notre marketing auprès des investisseurs. En quoi l’intégration régionale peut-elle être facteur de changement au sein de la Cemac, où les économies sont perçues comme plutôt similaires ? C’est la véritable solution, car elle permet de véritables économies d’échelle, très importantes notamment pour le développement du secteur privé dans les différents pays de la zone, quel que soit leur état de développement. J’ai moi-même fait une grande partie de ma carrière au sein d’institutions vouées à l’intégration, je ne peux donc qu’y croire. De par mes fonctions, je continue à travailler en direction des marchés financiers, à contribuer aux programmes de convergence qui doivent gommer certaines disparités. C’est la voie qu’il faut suivre.
J’ajouterai que ce que l’on appelle la pression par les pairs joue également beaucoup comme facteur de changement. Quand nous nous retrouvons entre nous, les six ministres des Finances de la Cemac, comme cela a été le cas à Yaoundé, mieux vaut respecter ses engagements, sinon une pression peut s’exercer, celle des pairs, qui, qu’on le veuille ou non, contraint à respecter une certaine discipline. Que représente l’arrivée annoncée de la Zlecaf pour la sous-région ? C’est vraiment un challenge et une chance. Un challenge, car chacun doit installer ses structures pour pouvoir mettre son économie à niveau en matière de normes, de qualité. Il ne s’agit pas de produire mais de vendre sur un vaste marché ouvert et concurrentiel. C’est une chance pour une entreprise de se lancer sur un marché qui a le potentiel d’assurer sa réussite. La Cemac s’y prépare, et c’est une priorité de la Commission qui a depuis longtemps demandé à ses membres d’entreprendre les changements nécessaires pour s’intégrer au mieux dans cette future zone de libre-échange continentale. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
109
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
DIVERSIFICATION
Des patrons à la relance Si le manque d’intégration régionale a toujours été l’un des handicaps de l’Afrique centrale, le fait de trop se concentrer sur quelques secteurs d’activité en est un autre. Focus sur deux chefs d’entreprise qui tentent d’innover et de changer la donne.
ESTELLE MAUSSION ET FRANÇOIS-XAVIER FRELAND
TCHAD
AWATIF BAROUD
« Je fais fondre les douilles d’obus en bronze pour fabriquer les boucles et ornements de mes sacs à main, etc. Je fais d’un objet horrible qui massacre l’humanité un objet d’art et de bonheur. » En quelques mots, Awatif Baroud résume son état d’esprit. Cette fille d’un ancien ministre de la Justice, qui a longtemps fui la guerre et la dictature Habré avec sa mère, a le sens des valeurs, de l’égalité et de la justice inscrit dans son ADN. À travers son entreprise Bet Mama – « la maison de maman » –, créée en 2016, Awatif Baroud emploie plus de dix mères célibataires, veuves et femmes battues. « Je les sors de la misère pour tenter de leur donner une deuxième chance et leur permettre de reprendre confiance en elles. » Bet Mama comprend trois secteurs d’activité, tournés vers les femmes et les enfants : la maroquinerie, la cosmétique et l’agroalimentaire. Le chiffre d’affaires avoisine les 35 millions d’euros par an. Diplômée de langue française à l’Alliance française de Paris, titulaire d’un BTS en gestion de petites et moyennes entreprises obtenu à l’Infac, à Bruxelles (1994), Awatif Baroud a d’abord fait carrière dans le secteur
110
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
JEAN-MARC PAU POUR JA
ENTREPRENEUSE ENGAGÉE
pétrolier pendant quatorze ans chez Esso, avant de réaliser son rêve. « Je ne voulais pas travailler toute ma vie dans un bureau. Je voulais tirer mon pays vers le haut en fabriquant du 100 % tchadien et lutter contre la pauvreté. »
À 12 ans, exilée en Libye pendant la guerre, elle dessine des sacs après l’école et aide surtout le week-end sa maman, professeure d’arabe et naturopathe à ses heures. « Je la regardais faire ses concoctions de
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
plantes traditionnelles à la maison, qu’elle revendait ensuite à ses amis pour arrondir les fins de mois difficiles. Elle faisait des pommades à base de cire, des huiles de massage de sésame, du gommage à base de sorgho, autant de recettes que j’ai intégrées dans ma gamme de cosmétique 100 % bio. » Depuis 2019, l’entreprise Bet Mama produit aussi des sirops à base des fruits de la brousse : baobab, tamarin
et savonnier. Toujours dans cette logique de faire le bien autour d’elle, Awatif Baroud a créé une gamme de thés et de tisanes thérapeutiques. « Nous mélangeons le thé vert aux plantes médicinales du désert, comme l’armoise, de la famille de l’artemisia, remède très efficace contre le paludisme et même, assurent certains, contre le Covid-19. » À 51 ans, Awatif Baroud est l’une des femmes d’entreprises les plus en vue du Tchad
et de la sous-région, lauréate du prix Miva (Marché ivoirien de l’artisanat) en 2016. Ses produits sont distribués dans tous les supermarchés, les hôtels de luxe, mais aussi dans les stations-service de N’Djamena et de la sous-région. Enfin, pour ne rien perdre de ses idéaux, Awatif Baroud est très engagée, à travers ses produits naturels, contre la dépigmentation et l’importation des produits chimiques au Tchad.
ANGOLA
SUR LA VOIE DE LA TRANSFORMATION AGRICOLE Un projet à 350 millions d’euros devant créer 1 000 emplois. C’est ce qu’a lancé en juillet le groupe familial Carrinho, dirigé depuis 2004 par Nelson Carrinho, l’un des fils de la fondatrice, Dona Leonor. Comprenant notamment une raffinerie de sucre et une huilerie, ce projet intègre un parc industriel inauguré en 2019. Il compte 17 unités de fabrication de produits agricoles et alimentaires (riz, blé, maïs, gâteaux, pâtes), de produits d’hygiène (savon) et d’emballages. Ce complexe, représentant un investissement de 600 millions d’euros, doit permettre au groupe originaire de Lobito, une ville du sud du pays, de passer du statut d’importateur à celui de producteur et transformateur. Tout un symbole en Angola, pays au fort potentiel agricole (4e producteur mondial de café dans les années 1970), mais qui peine à diversifier une économie centrée sur l’exploitation de pétrole – qui assure près de 90 % des recettes d’exportation. C’est pourquoi les initiatives de Nelson Carrinho, aux manettes avec son frère Rui, bénéficient du soutien de l’exécutif : après avoir assisté à l’inauguration du parc industriel en 2019, le président João Lourenço a donné son accord à l’octroi d’une garantie souveraine pour faciliter le financement (notamment via Deutsche Bank) du projet annoncé cette année. Des pratiques, ont fait
remarquer certains, que l’on pensait révolues depuis le départ de l’ancien président José Eduardo dos Santos. Balayant les critiques, le groupe Carrinho, qui revendique 3 500 salariés mais ne communique pas de résultats financiers, explique avoir su traverser de multiples épreuves
depuis sa création, en 1993, en pleine guerre civile. Après des débuts comme restaurateur pour des sociétés, dont la compagnie pétrolière Sonangol et le brésilien Odebrecht, il est devenu fournisseur du ministère de l’Intérieur et de l’armée, tout en développant des activités d’importation et de transport de marchandises ainsi qu’une chaîne de supermarchés (Bem Barato, « bon marché »). Autant dire que ce nouveau défi industriel ne lui fait pas peur.
JEAN-MARC PAU POUR JA
NELSON CARRINHO
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
111
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
INFRASTRUCTURES
Brazzaville-Kinshasa, un pont nommé désir Symbole fort de l’intégration régionale, le projet de pont entre les deux capitales les plus proches du monde n’en finit plus d’être repoussé. Pourtant, des deux côtés du fleuve et au-delà, les avantages d’un tel ouvrage sont bien connus.
MURIEL DEVEY MALU-MALU
A
près des années de discussions, la RD Congo et le Congo s’étaient enfin mis d’accord. Et tous, ou presque, de se réjouir à l’idée de voir se réaliser enfin un grand rêve : un pont au-dessus du fleuve Congo, entre les deux capitales les plus rapprochées du monde, doté d’une voie ferrée, d’une route à double ligne, de passages piétons et d’un poste de contrôle frontalier sur chaque rive. Mais la pandémie de Covid-19 a joué les trouble-fête, obligeant à reporter la table ronde des partenaires techniques et financiers du projet prévue en mars 2020 à Brazzaville, pour un démarrage des travaux en 2021 et une inauguration en 2023. Dès le départ, le Congo s’est félicité de ce projet intégrateur qui allait faire du pays et de sa capitale une plaque tournante sur la tra safricaine n o 3 (Tripoli-Brazzaville-Le Cap) et le corridor 13 entre PointeNoire, Bangui et N’Djamena. Côté Kinshasa, les réticences émanent surtout de notables et d’élus du Kongo-Central qui craignent que le projet ne signe le déclin de leur province et du port de Matadi. Pour les autorités de RD Congo, il n’y a pas de problème, d’autant que celles-ci ont
112
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
obtenu le prolongement du chemin de fer entre Kinshasa et Ilebo, port situé sur la rivière Kasaï, dans la province du Kasaï, et terminus de la voie ferrée qui mène à Lubumbashi. Ce qui permettra de relier les réseaux ferrés sud et ouest et d’accroître le trafic ferroviaire sur son corridor vers l’océan Atlantique.
4 millions de passagers par an Reste à passer à l’acte, en réunissant d’abord la table ronde, sous la conduite de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac), pour compléter les contributions de la Banque africaine de développement et d’Africa50, le développeur principal. La première phase de réalisation de ce projet, structuré sous forme de partenariat public-privé, porte sur le pont à péage et sur la route jusqu’à Maloukou, côté Congo, et jusqu’à Maluku, côté RD Congo, les deux sites en amont des capitales, où seront établies des zones économiques spéciales (ZES). Soit un investissement de 413,7 millions d’euros. Le rail, dont le coût est plus élevé, ce sera pour plus tard. Aux
80 millions d’euros qu’ont nécessité les études, il faut ajouter 16,174 milliards d’euros pour la construction de la ligne de chemin de fer KinshasaIlebo, longue de près de 1000 km. Selon les estimations, le trafic, actuellement d’environ 750000 personnes et 340 000 tonnes de fret par an, passerait à plus de 4 millions de passagers et à 3 millions de tonnes de fret. Dans un premier temps, c’est le port en eau profonde de Pointe-Noire, par lequel transite une partie des marchandises destinées à Kinshasa, qui devrait profiter du projet. La donne changera inévitablement après la construction de celui de Banana, dont le concessionnaire sera prochainement connu. À moyen terme, les zones situées entre le pont et chacune des capitales devraient voir émerger de nouvelles activités, notamment commerciales et de transport de passagers (bus, taxi). Le trafic fluvial entre les deux ports devrait être maintenu. Une aubaine pour ceux qui souhaitent passer rapidement d’un centre-ville à l’autre, pourvu que taxes et contrôles fantaisistes disparaissent à jamais.
ZIPI/EFE/SIPA
INTERNATIONAL
Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez (à dr.), et le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, au palais de La Moncloa, à Madrid, le 29 mars 2021, avant le lancement de Focus Afrique 2023.
114
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ESPAGNE-AFRIQUE
À l’aube d’une décennie dorée Après avoir dévoilé son Plan Afrique III, Madrid affine sa stratégie. Grâce à son nouveau programme de coopération, baptisé Focus Afrique 2023, le royaume entend devenir en une dizaine d’années un partenaire de premier plan pour le continent.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
115
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
MARIE VILLACÈQUE
D
D epuis le lancement du Plan Afrique III, en 2019, Madrid a fait du continent africain la nouvelle priorité de sa politique extérieure. « Quand l’Afrique, dans quelques années, émergera comme un continent stable et en pleine croissance, l’Espagne devra avoir amélioré sa présence diplomatique, politique, entrepreneuriale, économique », expliquait Raimundo Robredo Rubio, le directeur général pour l’Afrique au ministère des Affaires étrangères, lors de la présentation de Focus Afrique 2023, le 29 mars à Madrid. Un résumé on ne peut plus clair des objectifs espagnols sur le continent. Le programme de Madrid comprend différents volets sur la coopération dans les domaines des migrations, de l’économie, de la sécurité ou encore de l’appui au rôle des femmes dans le développement. Il regroupe plus de 250 actions à réaliser dans les deux années à venir, allant du renforcement des liens diplomatiques et culturels à l’accompagnement des investissements du secteur privé espagnol en Afrique. Bien que le pays compte de nombreuses entreprises implantées sur le continent, les échanges avec ce dernier ne représentent que 6 % de ses exportations et 7 % de ses importations.
Priorité à l’Angola et au Sénégal « Nous allons faire de ces dix prochaines années la décennie de l’Espagne en Afrique », a ajouté le chef du gouvernement Pedro Sánchez, lors de la même présentation, en présence de Nana Akufo-Addo, président du Ghana. Dans la foulée, il s’est envolé pour l’Angola et le Sénégal, deux pays considérés comme prioritaires par Madrid. Le 8 avril, à Luanda,
116
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
il a notamment signé avec João Lourenço, le président angolais, un accord de transport aérien, ainsi qu’un mémorandum d’accord dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’industrie. Au Sénégal, aujourd’hui l’un des principaux partenaires de l’Espagne dans la lutte contre l’immigration illégale depuis le continent, Pedro Sánchez s’est entretenu, le 9 avril, avec Macky Sall, le président sénégalais, avant de rencontrer les équipes locales de la Guardia Civil et de la police espagnole, ainsi que les militaires du détachement Marfil, qui combat le djihadisme au Sahel. Mais le voyage officiel à Dakar a surtout donné un coup de projecteur à l’une des grandes réussites de Madrid cette année : l’ouverture du premier Institut Cervantès en Afrique subsaharienne, en septembre 2021, dont le Premier ministre espagnol a tenu à visiter le chantier.
Le chef de la diplomatie espagnole n’a pas commencé sa tournée par Rabat, comme le veut la tradition, mais par Alger, pour parler gaz, migrations et Sahara occidental. « Ce projet est important pour le gouvernement, c’est un véritable outil diplomatique », explique Nestor Nongo, le directeur de l’Institut Cervantès de Dakar. D’origine congolaise, naturalisé espagnol, cet ancien du ministère de la Culture à Madrid a obtenu son poste en mars 2020. Et entre les retards dus à la pandémie de Covid-19, la recherche des futurs bâtiments et le recrutement du personnel, l’institut, finalement ouvert en septembre, ne sera officiellement inauguré qu’en novembre prochain. Plus de 1,6 million de personnes apprennent aujourd’hui l’espagnol à travers l’Afrique subsaharienne dans son ensemble. Les contingents les plus importants se trouvent respectivement en Côte d’Ivoire (566 000),
au Bénin (412 000) et au Sénégal (350 000), « qui a surtout été distingué pour sa stabilité et parce qu’une association de professeurs espagnols y est très active. Nous venons donc les accompagner », poursuit Nestor Nongo, qui rappelle que son pays a également ouvert une antenne à Abidjan en mars dernier. L’institut doit aussi participer à la mise en place d’un Observatoire de l’espagnol en Afrique subsaharienne.
Stratégies coordonnées Sur la péninsule Ibérique, malgré la crise sanitaire, plusieurs des projets du Plan Afrique III prennent forme. Le programme de bourses attribuées aux fonctionnaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a démarré cette année avec l’arrivée de six boursiers en Espagne, alors que la première Mesa Africa s’est tenue à la fin de 2020. Chapeautée par Alberto Viella, ancien ambassadeur au Sénégal de 2015 à 2020 et aujourd’hui en mission spéciale pour le Plan Afrique III, celle-ci est destinée à coordonner les stratégies de l’administration publique et de la société civile (ONG, think tanks, secteur privé…) sur le continent. Un outil qui n’a d’équivalent dans aucun autre département du ministère. Si l’Afrique subsaharienne retient toute l’attention de Madrid, c’est le Maroc, premier partenaire du royaume ibérique sur le continent africain, qui a occupé le devant de la scène ces derniers mois. Fortement critiquée pour sa gestion de la récente crise diplomatique avec le royaume chérifien (lireencadré), la ministre des Affaires étrangères Arancha González Laya a été remplacée le 12 juillet par José Manuel Albares, jusqu’alors ambassadeur de l’Espagne à Paris. Parfait francophone, ancien élève de l’école américaine de Tanger, le nouveau ministre n’a pas commencé sa tournée nord-africaine par Rabat, comme le veut la tradition, mais par Alger, pour parler gaz, migrations et Sahara occidental. De quoi fragiliser les relations avec le partenaire historique marocain, avec qui ce proche de Pedro Sánchez doit pourtant absolument poursuivre la politique d’apaisement en cours. Tout en assurant la continuité du Plan Afrique III.
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
Espagne-Maroc Par ici la sortie de crise
L
a r é vo c a t i o n d ’A r a n c h a González Laya, le 10 juillet, et la nomination de son successeur, José Manuel Albares, ont été interprétées comme un gage de réconciliation entre Madrid et Rabat. En désavouant sa ministre des Affaires étrangères, l’Espagne espérait-elle que le Maroc passerait l’éponge sur l’affaire Ghali? Tout commence en avril, lorsque la presse espagnole dévoile l’hospitalisation en urgence, dans la province de la Rioja, du chef du Polisario Brahim Ghali, atteint du Covid-19. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire de Rabat, qui reprochait déjà à Madrid de ne pas avoir suivi le président Trump dans la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, le gouvernement espagnol préférant conserver sa neutralité, dans le respect des dispositions onusiennes. En donnant le feu vert à l’entrée de Ghali sur son territoire,
sous une fausse identité, l’Espagne n’a pas pris la mesure de l’ampleur de la crise. Rappel des ambassadeurs, ouverture par le Maroc de la frontière avec l’enclave de Ceuta qui a permis le passage de près 10000 migrants en quelques jours, fermeture des liaisons maritimes entre les deux pays durant deux mois, interdisant tout retour pour l’été des centaines de milliers de Marocains établis de l’autre côté du détroit de Gibraltar… L’exacerbation des tensions entre l’Espagne et son premier partenaire africain a provoqué la pire crise depuis seize ans.
Dissensions persistantes À partir du 20 août, la situation commence à s’apaiser. Le roi Mohammed VI, dans son discours à la nation, parle d’inaugurer « une étape inédite » avec le royaume ibérique. « Nous avons toujours considéré le Maroc comme un allié
stratégique », lui répond Pedro Sánchez, le chef du gouvernement espagnol. Le retour en Espagne de l’ambassadrice du Maroc, Karima Benyaich, est sérieusement évoqué, tandis que la réunion Rabat-Madrid, reportée en raison du Covid-19 puis de la brouille diplomatique, revient dans les agendas. Mais les dissensions d’arrière-fond n’ont pas pour autant disparu. Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les flux migratoires et, surtout, la question du Sahara occidental restent des points épineux entre les deux voisins. En annulant, le 29 septembre, les accords commerciaux de 2019 établis entre le Maroc et l’Union européenne – qui incluaient le territoire et les eaux poissonneuses du Sahara occidental –, la Cour de justice européenne a jeté un nouveau coup de froid sur des relations déjà tendues. Marie Villacèque
Lechêne Iñiguez & Partners Linkedin : Lechêne, Iñiguez & Partners, SL Email : sebastien.lechene@lipadvisory.com Email : javier.iniguez@lipadvisory.com
COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERT
Tél. : (+33) 7829 68 991 - (+34) 616 02 55 65 / 691 43 66 55
www.lipadvisory.com
Conventions fiscales Afrique/Espagne Fort de plus de 20 ans d’expérience en Afrique, le Cabinet Lechêne, Iñiguez & Partners s’engage à mettre au service de chacun de ses clients sa longue expérience africaine et son solide réseau. L’Espagne a conclu un nombre important de conventions visant à éliminer les doubles impositions dont certaines avec des pays africains, à savoir, le Cap-Vert, l’Egypte, le Maroc, le Nigéria, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tunisie. Lesdites conventions, relatives aux impôts sur les revenus et la fortune, ont été rédigées suivant le modèle de l’OCDE et suivent les principes généraux dudit modèle notamment s’agissant des notions de résidence et d’établissement stable ou des techniques d’élimination de la double imposition.
Vous trouverez ci-dessous, une brève présentation des taux réduits de taxation applicables dans un État contractant, lorsque le bénéficiaire effectif est un résident de l’autre État contractant.
Sébastien Lechêne Senior Legal, Tax & Business Consultant Founding partner chez Lechêne, Iñiguez & Partners, SL
Type de revenus
Afrique du Sud
Cap-Vert
Égypte
Maroc
Nigéria
Dividendes et revenus assimilés
5 %* ou 15 %
0 %* ou 10 %
9 %*ou 12 %
10 %* ou 15%
Intérêts et revenus assimilés
5%
5%
10 %
Redevances et revenus assimilés
5%
5%
12 %
Javier Iñiguez Attorney-at-Law. Senior Legal, Tax & Business Adviser Partner chez Lechêne, Iñiguez & Partners, SL
Sénégal
Tunisie
7,5 %* ou 10%
10 %
10 %* ou 15%
10 %
7,5%
10 %
10 %
5 %* ou 10%
7,5 %* ou 3,75%
10 %
10 %
*Si le bénéficiaire effectif est une société de l’autre État remplissant les conditions de détention posées par la convention
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
DIPLOMATIE
José Manuel Albares « L’Espagne a encore beaucoup à offrir à l’Afrique » Quatre mois après sa nomination, le ministre espagnol des Affaires étrangères détaille la mise en œuvre du programme d’action élaboré par Madrid à destination du continent.
MARIE VILLACÈQUE
N
ommé le 12 juillet, José Manuel Albares, 49 ans, a quitté l’ambassade d’Espagne à Paris pour le palais de Santa Cruz, à Madrid. À charge pour lui, désormais, de renforcer les relations du royaume ibérique avec le Maroc et, au-delà, de développer un ambitieux projet de partenariat avec le continent. Jeune Afrique: Vous avez pris vos fonctions en juillet. Quelle est votre feuille de route concernant l’Afrique? José Manuel Albares : L’Afrique a toujours revêtu une importance géostratégique, et nous avons la ferme intention d’accompagner le continent dans ses transformations. Avec 22 ambassades, l’Espagne est l’un des pays de l’Union européenne [UE] les mieux représentés à travers l’Afrique subsaharienne. Madrid a déjà beaucoup fait, et je suis convaincu que nous avons encore beaucoup à offrir. Depuis votre nomination, les relations semblent s’apaiser avec le Maroc. Confirmez-vous cette détente? Nous constatons en effet une amélioration du contexte, et les signaux que nous recevons du Maroc ces derniers mois sont positifs. Les messages
118
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
publics du roi Mohammed VI sont également très clairs. Nous sommes, de notre côté, prêts à ouvrir une étape nouvelle dans notre relation, fondée sur la confiance, la transparence et le respect des engagements pris.
Nous sommes prêts pour une étape nouvelle dans notre relation: confiance, transparence et respect des engagements pris.
Comment deux partenaires comme l’Espagne et le Maroc ont-ils pu connaître une telle crise? Maintenant que la communication est rétablie, le plus important est de travailler pour éviter la répétition de telles situations. Nos relations diplomatiques restent intactes, notre ambassadeur est toujours à Rabat. La décision du retour à un fonctionnement normal de l’ambassade du Maroc à Madrid relève maintenant exclusivement des autorités marocaines.
Avec le Plan Afrique III, dévoilé en 2019, l’Espagne a montré qu’elle avait des ambitions sur le continent africain. Deux ans plus tard, où en êtes-vous? Le Plan Afrique III établit un partenariat global avec le continent, couvrant les domaines sécuritaire, politique et économique. Il implique les institutions – gouvernement, administration, ambassades –, mais aussi la société civile, les collectivités locales, les entreprises et les universités espagnoles. Rien de comparable n’avait jamais été proposé par notre politique étrangère en direction de l’Afrique ou de toute autre région du monde. La pandémie de Covid-19 nous a certes contraints à limiter nos déplacements, mais nous avons accueilli de nombreuses visites de responsables africains. Nana Akufo-Addo, le président ghanéen, était à Madrid en mars lors de la présentation du programme Focus Afrique 2023. Son homologue angolais, João Lourenço, était en visite en septembre. Nous avons également eu des consultations politiques avec le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Soudan et la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, nous avons ouvert des discussions consacrées à l’Afrique avec nos partenaires européens, comme la France, l’Italie ou
COMMUNIQUÉ
PN Holding Group est fier de ses réalisations et souhaite poursuivre son expansion en Afrique P N - H G en Afrique
A
vec une expérience de plus de 20 ans en Europe, PN-HG concentre son activité principale autour de la réalisation de projets de construction verticale. Le groupe espagnol débute en Afrique en 2015 avec la construction de 340 logements sociaux et économiques au Burkina Faso avec sa filiale PN-BF. Depuis, il a entrepris le projet de construction de plus de 6000 logements sociaux économiques au Bénin un projet de 125 Milliards FCFA, confié à sa filiale PN-BN. En 2020, le Groupe s’installe en Côte d’Ivoire avec sa filiale PN-CI pour la construction du nouveau siège de MSC à Abidjan et le démarrage de plusieurs projets de développement immobilier au cœur de la ville. Un futur prometteur pour les filiales de PN-HG qui poursuivent leur expansion en Afrique.
Projet de construction du Siège MSC à Abidjan par PN Côte d’Ivoire (PN-CI), Conception par ATAUB Architectes
PN Holding Group et ses filiales en Afrique ; PN-BF (Burkina Faso), PN-BN (Bénin) et PN-CI (Côte d’Ivoire) se développent autour de 4 axes : • Une constructionverticale : Nos réalisations adoptent les nouvelles technologies comme moyen d’améliorer et de rationaliser le processus de construction. Ceci, dans le but de réduire les coûts et les délais de production, tout en garantissant la satisfaction des besoins de nos clients en respectant les contraintes prédéterminées de chaque projet.
Christain Vande Craen, Directeur développement PN-HG sur le salon de Shelter Afrique à Yaoundé Juin 2021
Penser global, agir local pour faire face aux défis du continent.
• Un logement abordable pour tous en Afrique : PNHG s’engage à construire et développer des projets de logements sociaux accessibles, durables et de qualité suivant son procédé d’industrialisation.
PN-HG compte avec une équipe d’experts à l’international pour apporter toujours des solutions innovantes ayant une valeur sociale et économique au développement local et régional.
• Développement des compétences locales à travers la PN ACADEMY : La formation est une valeur fondamentale du groupe, nous avons formé plus de 2000 collaborateurs sur le site de la Cité de Ouèdo.
PN Holding Group Carrer de Suïssa, 9 - 08917 Badalona - Barcelona, Espagne - Tél. : +34 93 222 03 20 - Email : ceo@pn-hg.com
www.pn-hg.com
JAMG - © : D.R.
• Développons des projets qui améliorent les cadres de vie : Notre ambition se résume à apporter de la valeur afin d’attirer de nouveaux habitants et investisseurs pour faire des villes africaines un centre d’attraction régional fort où il fait bon vivre, habiter et travailler.
MINISTÈRE ESPAGNOL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
José Manuel Albares, au ministère des Affaires étrangères, à Madrid, le 8 septembre 2021.
le Portugal, ainsi qu’avec d’autres pays amis tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. Tout cela témoigne de l’intérêt de l’Espagne à devenir un acteur majeur dans les relations avec le continent. Depuis deux ans, nous renforçons aussi nos relations avec les organisations continentales. Avec l’Union africaine [UA] par exemple, nous négocions à propos d’un nouvel instrument d’une portée beaucoup plus large que le mémorandum d’entente en matière de coopération signé en 2009. Le programme Focus 2023 s’inscrit-il dans la continuité du Plan Afrique III? Il s’agit du programme d’action du Plan Afrique III, avec une importante mise à jour sur deux nouvelles réalités : un défi, celui de la crise du Covid-19 avec la nécessité d’être prêt pour le « scénario post-pandémique » ; et une opportunité, avec la création d’une zone de libre-échange sur le continent africain, la Zlecaf. Celle-ci marquera un tournant sur le continent et aura des répercussions
120
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
directes sur nos relations. Le Plan Afrique n’a pas de date d’expiration, alors que Focus 2023 est assorti d’un délai spécifique de mise en œuvre qui correspond à la durée de la législature. Qu’est-ce que l’Espagne peut apporter de spécifique à l’Afrique? C’est à nos partenaires africains d’évaluer nos forces et nos faiblesses. Notre expérience dans le domaine des réformes institutionnelles, le dynamisme de nos entreprises et leur capacité avérée à s’adapter aux besoins d’autres pays, ainsi que la vocation de la société espagnole à partager ses acquis dans le domaine des droits et des libertés sont des atouts réels qui correspondent, selon moi, aux aspirations des Africains. Diriez-vous que les priorités espagnoles sur le continent sont aujourd’hui davantage axées sur la sécurité et l’immigration, ou sur l’économie? Nosprioritéssontinterdépendantes: la sécurité, la bonne gouvernance et la
mobilité ordonnée sont essentielles au développement durable et au partage équitable des ressources. C’est exactement l’approche de l’Agenda 2063 adopté par l’UA, qui inspire notre orientation stratégique. Nous avons des priorités partagées avec l’Afrique. Ou, plutôt, avec les personnes qui vivent sur le continent. Vous étiez ambassadeur d’Espagne à Paris. Quel regard portez-vous sur la relation de la France avec l’Afrique? La France dispose de solides liens historiques avec l’Afrique subsaharienne, que nous n’avons pas. Mon passage comme ambassadeur à Paris m’a permis de constater que l’expérience française est intéressante pour notre propre stratégie. La décision de placer la société civile, et en particulier les jeunes, au centre du Sommet Afrique-France du 8 octobre à Montpellier coïncide avec notre conviction que les relations entre l’Europe et le continent dépassent celles que les gouvernements entretiennent.
COMMUNIQUÉ
BTESA : infrastructures et solutions de télécommunications pour l’Afrique BTESA, groupe technologique espagnol né il y a 26 ans, a gagné la place privilégiée d’être un des principaux intégrateurs de solutions technologiques clé en main en Afrique, en délivrant une large gamme de solutions telles que : réseaux TNT, centres de production de programmes TV et Radio, réseaux hertziennes et d’accès à internet sans fils, Data Centers, centrales solaires, solutions IoT, défense militaire ou encore des routes intelligentes. LE FAISCEAU HERTZIEN LE PLUS LONG DU MONDE L’un des piliers de BTESA est son engagement dans la mise en œuvre des dernières technologies en Afrique. Parmi les derniers travaux remarquables, l’exécution d’une liaison radio numérique d’une capacité de 1 Gbps et d’environ
300 km, qui sert à l’opérateur de télécommunications équato-guinéen GETESA à relier la ville de Malabo avec la région continentale. Carlos Esono MIKO NSING, directeur général de GETESA, a déclaré : « Nous faisons des efforts et mettons les moyens pour donner à GETESA l’impulsion nécessaire pour être à la pointe de la technologie. Grâce à BTESA qui a déployé l’une des liaisons radio numériques les plus longues et puissantes du monde, en complément de notre réseau de fibre optique, nous multiplions notre efficacité opérationnelle et financière en offrant des avantages qualitatifs à notre opérateur ». RÉSEAUX TNT et CENTRES DE PRODUCTION Dans le domaine de la Télévision Numérique aussi, BTESA est réputé pour déployer les
réseaux et centres TNT les plus robustes du continent, étant l’une des principales activités de l’entreprise qui la fait rester en contact permanent avec les broadcasters africains, actuellement concentrés sur l’extension des réseaux existants. Ces dernières années, la confiance des pays africains et des investisseurs en BTESA s’est accrue, et des projets pour des nouvelles chaînes de radio et de télévision ou même l’actualisation des existants sont déjà en cours, tant dans la sphère privée que publique. José SABATER, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest d’expliquer : « La confiance de nos clients et la bonne réputation de la marque BTESA nous permettent de continuer à croître. Pour cette raison, l’entreprise a pris des décisions stratégiques afin de renforcer et créer des alliances ainsi que d’intégrer des ressources clés ». SOLUTIONS D’ACCÈS À INTERNET Faciliter l’accès à Internet est aussi une des priorités dont les actions se font sur différents axes : - La conception et la livraison de centres de données avec des solutions personnalisées pour les besoins de Data Centers hébergeant des serveurs et des équipements dans des conditions de fonctionnement optimales.
JAMG - PHOTOS DR
- L’accès de dernier kilomètre à travers une filiale du groupe, ALBENTIA Systems, qui fabrique l’un des équipements d’accès Internet pour des opérateurs d’accès sans fil (WISP) les plus robustes et économiques du marché. - D’autres services tels que des campagnes de mesure QoS personnalisées et du conseil pour vérifier la qualité des réseaux cellulaires. Centre National de Distribution pour la TNT, Ouagadougou.
Union Européenne Fonds Européen de Développement Régional - FEDER « Une façon de faire l’Europe »
BTESA (BROAD TELECOM SA) 22, rue Margarita Salas 28918 - Leganes (Madrid). ESPAGNE Tél .: (+34) 91 327 43 63
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
ÉCONOMIE
Business durable Dans sa stratégie Focus Afrique 2023, l’Espagne a placé en tête de ses priorités l’investissement privé, en vue notamment de répondre aux défis du réchauffement climatique et de la gestion des ressources.
«
L
’Espagne est chaque fois plus proche de l’Afrique, et viceversa. » C’était en mars dernier, lors du sommet El Foco Africa 2023. L’occasion pour Pedro Sánchez de souligner combien le continent devient prioritaire pour son pays. « Nous souhaitons faire de l’Espagne la tête de pont de l’Union européenne sur le continent », insistait alors le président du gouvernement espagnol, en se référant à la diplomatie mais aussi aux affaires économiques. À cette fin, Madrid n’hésite plus à marquer sa solidarité à l’égard des grands projets économiques du continent, à commencer par
« Nous souhaitons faire de notre pays la tête de pont de l’Union européenne sur le continent », insiste le président du gouvernement espagnol. celui de l’intégration économique incarné par la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Ni à soutenir les mesures qui favorisent l’investissement privé sur le continent, en particulier dans les secteurs des infrastructures, des énergies
122
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
renouvelables et de l’industrie manufacturière. « À cet égard, l’assistance technique axée sur le développement économique sera renforcée dans les domaines prioritaires pour l’Union africaine et la Cedeao, en s’efforçant de tirer parti de l’expérience des agences de développement régionales espagnoles », explique-t-on du côté des autorités ibériques. Une collaboration renforcée à laquelle s’ajoute la volonté de fluidifier les flux de capitaux vers les pays endettés. L’Espagne participe activement aux négociations du Club de Paris et du G20. L’objectif étant d’octroyer un moratoire sur le service de la dette extérieure des pays à faible revenu, dont 41 sont africains. « Nous encouragerons la prolongation de la durée temporaire de cette initiative jusqu’à la fin de l’année 2021 », promet l’exécutif ibérique.
Partage d’expériences Concrètement, ce rapprochement devrait se traduire par de nouvelles initiatives, notamment dans les domaines de la lutte contre le changement climatique et de la gestion durable des ressources, des thématiques particulièrement sensibles sur les deux rives de la Méditerranée. À ce titre, un forum hispano-africain sur les villes durables devrait être organisé prochainement. Il s’agira d’une plateforme de partage d’expériences susceptible de générer des collaborations techniques et de l’investissement privé.
ANDRES BALLESTEROS/AFP
MARJORIE CESSAC
Dans ce domaine d’ailleurs, l’Espagne compte mobiliser des ressources du Fonds vert pour le climat et contribuer à la construction de cités plus résilientes, en particulier par le biais du programme Recide (Resilient City Development), dirigé en partie par la Banque mondiale. Dans un autre registre, Madrid veut également participer à l’appui de programmes de gestion durable de la pêche, notamment par la promotion
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE
Le président angolais, João Manuel Gonçalves Lourenço, lors du déjeuner officiel organisé au Palais royal de Madrid, le 28 septembre 2021.
d’activités de coopération grâce au navire-école Intermares. En parallèle, la coopération dans le domaine de la recherche océanographique doit également être développée entre les instituts scientifiques espagnols et ceux des pays africains.
Nouveau regard « Un déclic s’est opéré du côté des autorités espagnoles vis-à-vis de l’Afrique. Très clairement, le
regard a changé depuis quelques années », constate Rafael GómezJordana Moya, consultant chez K2 Intelligence. Une évolution qu’il attribue en partie à la prise de conscience du potentiel réel du continent en lien avec la taille de sa population. « Les bonnes intentions du gouvernement sont sincères, néanmoins sa stratégie ne pourra être menée à bien sans l’alliance des entreprises
privées. C’est la clé de la réussite », poursuit-il. Certes, l’Espagne exporte désormais plus vers l’Afrique – qui a par exemple capté 6,4 % de ses exportations en 2019 – que vers l’Amérique du Sud. Toutefois, le montant des investissements reste, lui, encore limité. Moins de 2 % seulement sont destinés au continent. De surcroît, ceux-ci se concentrent encore majoritairement au Maroc et en Algérie, et dans une moindre mesure en Égypte JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
123
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE et en Afrique du Sud, ces quatre pays totalisant 77 % des montants investis en Afrique.
Instruments incitatifs « Que le gouvernement braque le projecteur sur l’Afrique ne peut qu’encourager les entreprises espagnoles à aller vers elle », concède Roberto Barros, directeur international de la chambre de commerce de Tarragone, sans conteste la plus active du pays vis-à-vis du continent. « Il peut y avoir
à la clé des accords de coopération, des instruments d’aide financière qui incitent ces groupes privés à venir nous voir et à sauter le pas pour aller sur le terrain », conclut-il. En dépit de la pandémie, son agence a d’ailleurs tenté de maintenir quelques missions commerciales de terrain. Trois ont été menées dès octobre 2020. Avant que l’activité ne retrouve un semblant de normalité, avec cette année un total de onze missions qui ont permis à une
centaine d’entreprises de se rendre dans une vingtaine de pays. Parmi elles, surtout des PME, comme le fabricant de produits en céramique Saloni, ou les spécialistes des composants technologiques PAT Group ou Bego Costa África & Worldwide. « Désormais, il faudrait que d’autres suivent le mouvement, et pas seulement derrière des écrans, insiste Roberto Barros. Notre savoir-faire ne sera reconnu que si nous nous mobilisons pour aller sur place. »
QUESTIONS À…
Marta Blanco « Les échanges commerciaux Espagne-Afrique ont augmenté de 40 % en dix ans » La très puissante Confédération espagnole des entreprises (CEOE) a nommé un responsable Afrique. Une première qui marque les nouvelles ambitions du royaume ibérique, selon la présidente de la branche internationale de l’organisation patronale.
JAVIER JIMÉNEZ/CEOE
Marta Blanco, en février 2021, au siège de la CEOE.
124
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Jeune Afrique : Pourquoi la Confédération espagnole des entreprises (CEOE) portet-elle une attention particulière à l’Afrique ? Marta Blanco : Depuis que je suis arrivée, il y a trois ans, j’ai pu constater un intérêt grandissant pour l’Afrique. Notre but aujourd’hui est d’intensifier notre présence sur le continent, où nos entreprises sont de plus en plus demandées. Jusqu’en février dernier, la région Afrique dépendait du même département que l’Asie à la CEOE. Désormais, nous avons un responsable chargé exclusivement du continent africain.
INTERNATIONAL ESPAGNE-AFRIQUE Comment soutenez-vous concrètement les actions de vos adhérents en Afrique ? Nous organisons régulièrement des rencontres entre entreprises espagnoles et africaines. Nous travaillons aussi avec le corps diplomatique africain en Espagne. Le but de la CEOE est d’informer davantage sur les marchés en Afrique et, côté africain, de faire connaître les entreprises espagnoles. À la suite des visites officielles, nous mettons en place un suivi avec les organisations patronales du pays concerné. Les déplacements des responsables du gouvernement sont aussi très importants
pour nous car ils ont toujours une dimension économique forte. Que pensez-vous des actions gouvernementales mises en place pour soutenir le secteur privé espagnol sur le continent ? Nous nous félicitons de tous les efforts réalisés depuis la présentation du Plan Afrique III, il y a deux ans. Ils montrent l’importance que l’Espagne accorde au continent africain. Tout récemment, le 7 septembre, le gouvernement a approuvé, sur proposition du ministère de l’Industrie et du Commerce, la création d’une ligne
de financement de 50 millions d’euros pour l’internationalisation des entreprises pour la période 2021-2023. Avec une priorité donnée à l’Asie, mais surtout à l’Afrique. Quels sont les pays africains et les secteurs où les entreprises espagnoles sont le plus présentes ? Dans les secteurs de l’agroalimentaire, des transports, des infrastructures, de l’environnement, du tourisme ou encore de la santé. La très grande majorité d’entre elles est présente au Maroc et en Algérie. L’Afrique du Sud reste de son côté la première
destination subsaharienne pour les exportations espagnoles. En tenant compte du potentiel de nos entreprises, cette présence reste trop peu importante. On note cependant une évolution croissante dans les échanges commerciaux Espagne-Afrique. Ces dix dernières années, ils ont augmenté de 40 %. En 2019, avant la pandémie, ils représentaient 13 % des échanges de l’Espagne avec l’extérieur. En revanche, 1 % seulement des investissements espagnols à l’étranger sont réalisés en Afrique et ils se concentrent pour l’essentiel au Maghreb. Propos recueillis à Madrid par Marie Villacèque
Économie FMI
Les habits neufs du Fonds Réagissant rapidement à la crise du Covid-19, l’institution multilatérale a apporté un soutien remarqué aux pays africains, longtemps critiques à son endroit. D’aucuns la pressent désormais d’abandonner son dogmatisme fiscal et d’intégrer davantage la question climatique à sa feuille de mission. JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO
126
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
résoudre leurs problèmes de balance des paiements. La viabilité de la dette est une garantie essentielle pour les ressources du FMI », insistent ses équipes.
Une dichotomie fonctionnelle Les opérations du Fonds ne se déroulentdoncque dansdescontextes équivoques. Ses activités de surveillanceetd’assistancetechniquepassent le plus souvent inaperçu tandis que ses interventions les plus visibles se déploient dans des situations d’urgence, au cours desquelles l’institution n’opère qu’avec un mandat limité, des contraintes réglementaires strictes – elle ne peut, par exemple, annuler sa créance, mais doit solliciter des subventions auprès des donateurs au nom des pays débiteurs – et une attention jugée excessive aux niveaux d’endettement. Cette dichotomie fonctionnelle a été longtemps couplée à une rigidité des cadres d’analyse et à une part non négligeable d’arrogance, particulièrement perceptibles dans les années 1980 et 1990, quand les équipes de Washington ont eu à traiter de plus en
Joseph E. Stiglitz Prix Nobel d’Économie, ex-économiste en chef de la Banque mondiale À l’heure où la pandémie et ses retombées économiques ont plongé de nombreux pays dans une crise de la dette, le monde a plus que jamais besoin de la main ferme de Mme Georgieva aux commandes du FMI.
plus de crises dans les nouveaux pays membres non industriels (la phraséologie a depuis évolué vers « émergents », « en transition », « à revenus faibles ou intermédiaires », etc.). En Afrique, cela explique en partie le profond décalage existant entre la part réelle du continent dans les opérations du FMI et la place
XAVIER DE FENOYL/MAXPPP
T
echniquement, nul État n’est obligé d’obéir au Fonds monétaire international (FMI). Pareillement, aucun individu n’est obligé de subir une chimiothérapie… à moins d’en avoir vraiment besoin. Tel est le dilemme fondamental de « cette institution importante mais mal-aimée », selon la formule de l’économiste Dani Rodrik, qui fut longtemps le critique le plus célèbre de l’organisation créée en 1945 pour « assurer la stabilité du système financier mondial ». Contrairement à la Banque mondiale, le FMI n’est pas une structure d’aide au développement ou de lutte contre la pauvreté. Sa mission consiste à anticiper les crises financières et à intervenir aux côtés d’États confrontés à une détérioration rapide de leur situation financière et commerciale extérieure, une dégradation de leur réserves de change et une instabilité monétaire et bancaire accrue. « En vertu de ses statuts, le FMI ne peut fournir ses ressources générales que sous réserve de garanties adéquates et seulement pour aider les membres à
prépondérante qu’il occupe dans les esprits et les controverses économiques. Du point de vue strictement comptable, l’Afrique ne représente qu’une part mineure du portefeuille d’actifs du Fonds. À la fin d’avril 2021, les prêts consentis aux pays africains via le Compte des ressources générales (General Resources Account), principal guichet de financement du Fonds, représentaient environ 26 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS), soit près de 37 milliards de dollars. C’est à peine 30 % de l’ensemble des prêts de ce guichet et moins que le poids de l’Argentine (35,54 %). Au demeurant, l’Égypte compte à elle seule pour
Kristalina Georgieva, Félix Tshisekedi, Emmanuel Macron et Macky Sall à la fin du Sommet sur le financement des économies africaines, à Paris, le 18 mai 2021.
la moitié du stock africain parmi ces prêts (14,75 %). Vilipendé pour ses recettes « ultralibérales », ses « Programmes d’ajustement structurel » (PAS) menés à coups de réduction des dépenses publiques, de privatisations accélérées et de libéralisation à marche forcée des économies de la fin du siècle dernier, le Fonds a connu une période de déclin dans les années 2000, avec peu d’interventions, des effectifs réduits et nombre d’États, dont l’Algérie, jurant de ne jamais plus faire appel à ses « interventions ». La seconde moitié de la décennie 1990 est aujourd’hui encore connue sous le nom « les années FMI » par les Sud-Coréens,
soumis à un draconien régime d’austérité fiscale qui a vu le taux de chômage tripler de 2 % à près de 7 % entre 1996 et 1998.
Les effets régénérateurs de la crise Mais l’institution septuagénaire a fait montre d’une remarquable capacité de résilience et de réinvention, fût-ce dans un cadre limité. La crise des subprimes de 2007-2008 est venue lui redonner une nouvelle vigueur. Sous la houlette de Dominique StraussKahn et dans un contexte de véritable panique au sujet de la stabilité du système financier mondial, les pays du G20, ses principaux actionnaires,
LUDOVIC MARIN/POOL VIA REUTERS
La galaxie de Claudio Descalzi, directeur général d’ENI Transport aérien Heureux comme Air France-KLM dans le ciel africain Industrie Dessine-moi une ZES Mozambique Qui peut sauver le Cabo Delgado ? Wave Mobile Money Aux sources d’une déferlante ouest-africaine
UN NOUVEAU FMI ?
ont approuvé de nouveaux mécanismes d’intervention rapide, et alloué, en 2009, près de 182 milliards de dollars de DTS (voir p. 130) pour aider les États face à la crise. À de nombreux égards, la pandémie de Covid-19 a eu le même impact régénérateur sur l’institution que pilote depuis octobre 2019 la Bulgare Kristalina Georgieva. « Depuis le début de la crise du Covid-19, le FMI a soutenu 86 pays pour un montant de plus de 110 milliards de dollars, en utilisant variété d’instruments. Les prêts accordés à l’Afrique subsaharienne l’année dernière, par exemple, ont été 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle de la décennie précédente », rappellent les équipes de Kristalina Georgieva. C’est justement sur ce volet des crédits « rapides » que l’action du Fonds a été le plus remarquable. Ces derniers, déboursés par tranches et à des taux concessionnels, sont censés contrer des chocs exogènes intervenus de manière soudaine. Ils sont comptabilisés en dehors des « ressources générales » et déployés dans des conditions plus flexibles, à travers notamment le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance (PRG Trust). Les crédits accordés à travers cette fenêtre représentaient 17,9 milliards de dollars en avril 2021, en hausse de 26 % sur un an. Environ 75 % de ces ressources ont été accordées aux pays africains, aux premiers rangs desquels le Ghana, la
128
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
L’orthodoxie néolibérale mise en doute Les quelque 650 milliards de dollars de DTS approuvés par le Fonds et les crédits rapides octroyés ont déjà des effets palpables dans plusieurs pays du continent. Ainsi, la RD Congo a vu ses réserves de change grimper de plus de 60 % en deux mois, pour atteindre 3,36 milliards de dollars à la mi-septembre, grâce en particulier à une injection d’environ 1,5 milliard de dollars de DTS, permettant au pays de gagner cinq ans sur le calendrier de renforcement de son encours de devises. « Cela contribuera à modifier la perception extérieure et permettra aux étrangers d’avoir une vision plus nuancée du pays », se félicite la représentante d’une banque internationale très active en RD Congo.
Henri-Claude Oyima Président du groupe BGFIBank Y a-t-il un seul pays au monde qui se soit développé avec un programme du FMI? La réponse est non. Peut-on continuer avec ces schémas? Je ne crois pas que ce soit la bonne approche.
« Il n’y a pas de doute : pendant la crise, le FMI a démontré une agilité inhabituelle et ajouté à ses politiques des considérations favorables à un agenda moins restreint. Il y avait des signes avant-coureurs. Lorsque [le Français] François Bourguignon était
Carlos Lopes Professeur à l’université du Cap L’agilité démontrée par le FMI pendant la crise ne change pas le sort des États africains, qui se laissent séduire par des sommes ridicules et par l’application de règles […] que les pays riches n’ont pas à suivre. Est-ce juste?
économiste en chef [de la Banque mondiale], il avait exprimé des doutes sur certains préceptes de l’orthodoxie néolibérale comme le ciblage de l’inflation et les niveaux « optimaux »de déficit public. Mais la machine ne l’avait pas suivi », se souvient Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique. En 2011, dans un rapport dévastateur sur l’échec du FMI à anticiper la crise financière mondiale de 2007-2008 – objet central de son mandat –, le bureau indépendant d’évaluation du Fonds avait fustigé « un degré élevé de pensée de groupe », « des approches analytiques incomplètes », « la faiblesse de la gouvernance interne », « une culture insulaire » et « des contraintes politiques ». Un document de la très orthodoxe Banque centrale européenne notait, à la fin de 2019, « une corrélation négative entre le nombre de conditions et la réalisation des objectifs de politique publique, tandis que les résultats macroéconomiques ont été généralement inférieurs aux attentes ». Ces critiques venues des milieux autorisés et parfois de l’intérieur
VINCENT FOURNIER/JA
Akinwumi Adesina Président de la BAD Félicitations à ma chère sœur Kristalina Georgieva pour la forte confiance que le CA du FMI vous accorde. Redoublons d’efforts pour relever les défis mondiaux que sont la pandémie de Covid-19, la dette et le changement climatique.
Côte d’Ivoire, le Kenya, le Cameroun et Madagascar. « Le FMI a été particulièrement audacieux et rapide dans sa réponse et son soutien. Il a accordé un allégement du service de la dette en 2020 à ses membres les plus vulnérables, dont 22 pays africains, et a récemment prolongé son soutien dans le cadre du programme jusqu’en octobre 2021. En outre, la décision du conseil d’administration du FMI de procéder à une allocation de DTS permettra de renforcer uniformément les réserves de tous les membres et de réduire encore la pression sur la balance des paiements », se félicite Hippolyte Fofack, économiste en chef de la Banque africaine d’import-export.
BRUNO LEVY POUR JA
VINCENT FOURNIER/JA
ÉCONOMIE
même de l’organisation ont sans doute contribué à remettre en question certaines idées reçues et à promouvoir une approche plus humble et plus ouverte aux questions sociales. À titre d’illustration, selon le décompte de Jeune Afrique, entre 1997 et 2011, le mot « inégalité » n’est apparu que 28 fois en titre des articles de recherche publiés par le FMI. Entre 2012 et 2021, il n’est apparu pas moins de 78 fois. « Un autre signe précurseur a été l’acceptation par le FMI de principes comme celui de l’industrialisation de l’Afrique, l’intégration régionale ou la transformation structurelle », complète Carlos Lopes. Ce dernier note l’énergie impulsée par Kristalina Georgieva et la nouvelle économiste en chef du FMI, Gita Gopinath, Américano-Indienne venue de Harvard en janvier 2019 et qui y retournera dès le début de 2022.
Le débat que Washington évite Pour autant, « les Africains sont toujours tenus par des principes et un
UN NOUVEAU FMI ?
Hippolyte Fofack Économiste en chef d’Afreximbank Le FMI a été particulièrement audacieux et rapide dans sa réponse à la crise et dans son soutien. Il a accordé un allégement du service de la dette en 2020 à ses membres les plus vulnérables, dont 22 pays africains.
système financier qui évaluent leurs économies comme étant en situation de détresse quand ce sont ceux qui reçoivent le moins de capital et quand les financements vraiment concessionnels (ceux à des taux d’intérêt de 1 %, voire moins) sont presque
AFREXIMBANK
ÉCONOMIE
complètement acheminés vers les pays riches. Voilà le débat qu’on évite à Washington » , fustige Carlos Lopes, aujourd’hui professeur à l’Université du Cap et à Sciences Po Paris. Pour autant et en dépit des critiques qu’il suscite, d’aucuns, à l’instar de Mark Plant, du Center for Global Development, estiment que l’expertise accumulée et l’adaptabilité dont le FMI a su fait preuve en période de crise en font l’acteur le mieux placé pour ajouter une nouvelle corde à son arc : la lutte contre le changement climatique. En mai dernier, le Fonds a annoncé un plan pour inclure les risques liés au climat, mais également aux inégalités, à la démographie et aux évolutions des technologies numériques. Début octobre, une task force du FMI a plaidé pour qu’une part des DTS soit orientée vers un nouveau Fonds pour la résilience et la durabilité (RST). « Avec de la conditionnalité, bien sûr… » rappelle, implacable, Carlos Lopes.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE SAHAM Assistance change de dénomination et devient :
« Africa First Assist »
Casablanca, le 20 Septembre 2021 - Un tournant majeur dans l’histoire d’un pionnier ! SAHAM Assistance change de dénomination et devient dès aujourd’hui : Africa First Assist. Ainsi, la compagnie affiche désormais son ancrage africain et son rayonnement continental, acquis tout au long de ses 40 ans d’existence. En effet, la compagnie propose aujourd’hui ses solutions d’assistance à travers 21 pays du continent, au profit de millions d’assurés. Aussi, la dénomination de la Compagnie se devait-elle d’évoluer pour refléter sa dimension panafricaine et traduire son leadership continental. D’où l’adoption d’un nouveau nom qui affiche clairement l’identité panafricaine de la Compagnie (Africa), tout en revendiquant son statut de leader continental de l’Assistance (First Assist). A cette occasion, Driss Chafik, Directeur Général de Africa First Assist, explique que ce rebranding « confirme le passage à une nouvelle dimension de développement pour faire de notre compagnie la référence sur le continent africain ». Et d’ajouter que « l’installation de cette nouvelle marque ouvre également des perspectives prometteuses de croissance à l’international, avec un fort potentiel de création de valeur pour nos clients, nos partenaires et nos collaborateurs. »
Déploiement d’une nouvelle identité visuelle L’installation de la marque Africa First Assist est un événement majeur qui se traduira notamment par l’adoption d’un nouveau logo, le déploiement d’une nouvelle signalétique à travers nos points de vente en Afrique ainsi que la mise en ligne d’une nouvelle plate-forme digitale couvrant le continent. Enfin, une vaste campagne de communication 360° démarre aujourd’hui autour de la nouvelle marque à destination du grand public et de l’ensemble de nos partenaires et parties prenantes à travers le continent. L’objectif de cette campagne, déployée via les médias locaux et internationaux à audience africaine, est de dévoiler les éléments de l’identité visuelle de Africa First Assist et d’en expliquer le sens et la portée. A propos de Africa First Assist Africa First Assist est une compagnie qui opère dans le domaine de l’assistance couvrant les principales activités : Voyage, Véhicules, Domicile, Médical et Décès. Présente au Maroc depuis 1981, Africa First Assist s’est engagée dans la politique de développement continentale et propose aujourd’hui des solutions d’assistance dans 21 pays africains, à des millions d’assurés. Grâce à l’engagement et au professionnalisme de ses 300 collaborateurs et 460.000 prestataires dans le monde mobilisés 24h/7j, Africa First Assist délivre une qualité de service connue et reconnue qui lui a valu d’être certifiée ISO 9001 V2015 et SERVICERT. Contact-presse : Loubna GARTOUM Manager Marketing et communication externe
GSM : +212 666 922 669 E-mail : communication@africafirstassist.com
Pour plus d’informations sur Africa First Assist, consultez : www.africafirstassist.com
ÉCONOMIE
FINANCEMENT
De quoi les DTS sont-ils le nom ? Rôle, allocation, valeur… Comment les désormais célèbres droits de tirage spéciaux fonctionnent-ils ? En quoi sont-ils censés aider les pays africains ? Décryptage. SOLÈNE BENHADDOU
A
u début d’août, le conseil des gouverneurs du FMI a approuvé l’allocation de 456 milliards de droits de tirage spéciaux (environ 650 milliards de dollars) aux pays membres. Une « décision historique » et une « bouffée d’oxygène pour l’économie mondiale », s’est félicitée Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds. Créé en 1969 par le FMI, un droit de tirage spécial est un actif de réserve international. Autrement dit, le FMI crée une nouvelle forme de monnaie, utilisable par les banques centrales. Leur première utilité est de consolider la monnaie et d’assurer les réserves de ces dernières. Si un État décide de conserver ses DTS, il percevra des intérêts (le taux actuel est de 0,05 %). Mais si un pays dispose de moins de DTS qu’il lui en a été alloué, il devra payer des intérêts. Ces
Allocation de DTS en millions de dollars Burkina Faso
171
Bénin
176
Tchad
199
Togo
209
Cameroun Sénégal Tunisie Côte d’Ivoire Angola
393 460
RD Congo SOURCE: FMI
Une « goutte d’eau » pour l’Afrique
Les DTS sont approuvés par le conseil des gouverneurs à une majorité de 85 % du total des voix, et alloués au prorata de la quote-part de chaque pays membre, « laquelle traduit leurs positions économiques relatives dans l’économie mondiale », explique l’institution. Selon le système de quotesparts, les pays africains devraient recevoir au total 33 milliards de dollars de DTS (sur les 650 milliards). Une « goutte d’eau » avait estimé le président sénégalais Macky Sall. À titre de comparaison, les États-Unis recevront 118 milliards de dollars (83 milliards de DTS), la Chine environ 43 milliards de dollars. Sans surprise, l’Afrique du Sud est le pays du continent qui en bénéficiera le plus avec 4,3 milliards de dollars soit 776 0,6 % de l’allocation totale. 926 Suivent : le Nigeria
Maroc Égypte Nigeria Af. du Sud
130
DTS peuvent également être échangés avec une autre banque centrale contre des devises. Ce mécanisme permet à un État d’obtenir de l’argent immédiatement afin de financer des projets d’investissement. La plupart des échanges de DTS sont volontaires, mais ils ne peuvent en aucun cas être échangés directement avec des entreprises privées ou des individus. Leur détention par des acteurs privés est interdite.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
1 053
(3,5 milliards de dollars), l’Égypte (2,9 milliards), le Maroc (1,3 milliard de dollars), la RD Congo (1,5 milliard), l’Angola (1 milliard) et la Côte d’Ivoire (926 millions de dollars). Lors du sommet sur le financement des économies africaines, le président de la République française et les dirigeants africains ont demandé la réallocation de 100 milliards de DTS des pays les plus riches vers les pays africains. « La France y est prête, le Portugal aussi, a indiqué Emmanuel Macron. Il faut maintenant convaincre les autres de faire le même effort, notamment les États-Unis. » La réallocation de DTS n’est cependant pas si simple. Cette dernière doit se faire sous la forme de prêts et dépend des banques centrales, qui sont soumises à des règles strictes. Des projets, tels que le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance du FMI, sont à l’étude afin de faciliter les réallocations. Les DTS peuvent être détenus par trois types d’entités : le FMI, les pays membres et quinze détenteurs agréés tels que des banques centrales ou des banques de développement. Parmi les institutions africaines agrées, on retrouve la Banque africaine de développement (BAD), la BEAC (Afrique centrale), la BCEAO (Afrique de l’Ouest) et la Banque est-africaine de développement (EADB).
1 264 1 517 2 899 3 468 4 342
ÉCONOMIE
UN NOUVEAU FMI ?
INTERVIEW
Abebe Aemro Selassie : « L’Afrique a changé. Le FMI aussi ! » Transparence, dette, investissements… Le directeur du département Afrique du Fonds monétaire international analyse les relations entre l’institution de Washington et le continent. PROPOS RECUEILLIS PAR ESTELLE MAUSSION
Ce soutien a-t-il été à la hauteur des besoins de l’Afrique?
La question de la transparence dans l’utilisation des fonds se pose
HO TO
Jeune Afrique : Le dernier rapport du FMI sur l’Afrique subsaharienne, publié en octobre, tire la sonnette d’alarme sur le fossé grandissant entre les trajectoires de développement des pays. Peut-on inverser la tendance? Abebe Aemro Selassie : Ces divergences, qui existaient avant le Covid19, se sont accrues avec la crise. Cela dit, je suis convaincu que l’on peut changer la donne. D’une part, le continent a déjà montré, par le passé, sa très grande résilience. D’autre part, les dynamiques de démographie et de croissance confirment un énorme potentiel de transformation. Deux éléments sont cruciaux : s’assurer que les politiques publiques répondent bien aux besoins identifiés, et maintenir un soutien financier extérieur pour donner aux pays les moyens d’agir.
Si l’appui financier du FMI est largement salué, il est aussi questionné. À Nairobi, un mouvement « Stop loaning Kenya » a émergé. Comment l’expliquez-vous? Les pays de la zone sont écartelés entre des injonctions budgétaires contradictoires. Ils doivent dépenser plus pour répondre aux besoins de développement tout en maîtrisant un endettement croissant alors même qu’ils peinent à augmenter les recettes fiscales. Pour autant, il est impossible de limiter les dépenses : on ne peut se passer de vaccins contre le Covid-19 ni, par exemple, suspendre le soutien aux PME. Concernant les recettes fiscales, sujet de politique interne par excellence, nous apportons conseils et expertise lorsque nous sommes sollicités. Dans ce contexte contraint, il faut progresser sur un point : l’investissement dans les projets pertinents produisant le maximum de résultats.
FP
On est bien loin du temps des plans d’ajustement structurel… L’Afrique a changé, le FMI aussi ! C’est normal. Notre volonté est de demeurer un conseiller de confiance pour chacun des États membres. Dans la plupart des cas, les relations sont très cordiales.
Y H A N C O C K /I M
Le FMI a répondu présent et a joué son rôle de filet de sécurité financier dans beaucoup de pays. J’en suis très fier. Être là en cas de besoin, c’est la raison d’être du Fonds.
C OR
I
l entame sa sixième année comme le « M. Afrique subsaharienne » du FMI. Sollicité en marge des assemblées annuelles d’octobre, Abebe Aemro Selassie, qui a rejoint l’institution en 1994, met en avant le rôle du FMI dans la résilience de la région. Résultat, une prévision de croissance de 3,7 % pour 2021 et de 3,8 % pour 2022. Pour autant, l’Afrique demeure le moins vacciné des continents, le plus vulnérable aussi. D’où la nécessité, souligne l’Éthiopien, de se montrer plus exigeant sur la mise en œuvre des politiques de développement.
aussi. Au Cameroun, la gestion des enveloppes Covid donne lieu à des soupçons de détournement… La directrice du FMI a été très claire dès juin 2020. Elle a enjoint de « dépenser autant que possible » mais également de bien « garder les reçus ». Cet appel vaut pour tous. Nous avons recommandé un renforcement des institutions d’audit et apporté notre soutien aux pays qui ont essayé de renforcer les mesures de transparence. Par exemple, avec l’obligation de rendre obligatoire la révélation d’identité des détenteurs de sociétés dans le cadre d’appels d’offres. Faut-il revoir les priorités d’investissement? Par le passé, un fort accent a été placé sur les infrastructures. Dans le contexte actuel et à l’avenir, avec la pression liée au changement climatique, la priorité sera donnée au volet social. Par exemple, les montants alloués à chaque pays dans le cadre de la récente émission de droits de tirage spéciaux doivent être fléchés vers la vaccination et les systèmes de santé afin de bénéficier aux plus vulnérables. L’accès aux vaccins en Afrique est crucial pour éviter une flambée des cas et assurer une reprise solide. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
131
ÉCONOMIE
DIRECTION GÉNÉRALE
L’après-Georgieva a déjà commencé Soutenue par l’Europe et l’Afrique, la patronne du Fonds a sauvé son siège. En coulisse, certains continuent de protester, tandis que d’autres préparent la suite.
AURÉLIE M’BIDA
U
n conseil d’administration réuni en urgence – ou de manière exceptionnelle – pour décider du maintien de la directrice générale à sa tête? Une situation qui, hélas, a tendance, ces dernières années, à se répéter pour l’institution. À telle enseigne que lorsque l’actuelle DG du FMI a été récemment éclaboussée par le scandale du rapport « Doing Business » 2018, les chances de la voir partir semblaient assez minces. En effet, avant Kristalina Georgieva, en poste depuis octobre 2019, les noms de Dominique Strauss-Kahn, de Rodrigo Rato ou
Paris a œuvré pour rallier à sa cause Berlin et Rome, avant qu’ils tentent, à trois, de convaincre Britanniques et Américains. encore de Christine Lagarde, DG du Fonds jusqu’en 2019, ont été ballotés dans l’enceinte de l’organisation internationale. Reconnus coupables, relaxés, poursuivis ou ayant bénéficié d’une affaire classée sans suite, les trois derniers numéro un du FMI ont vu leurs actes passés au crible. Finalement, seul l’Espagnol Rodrigo Rato aura été poursuivi pour des faits intervenus après son mandat au sein de l’institution washingtonienne. Strauss-Kahn, lui, sera d’abord blanchi par le FMI avant d’être contraint à la
132
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
démission après des accusations d’agression sexuelle. Quant à Christine Lagarde, elle sera confortée à son poste malgré une condamnation pour négligence dans une affaire d’arbitrage alors qu’elle était ministre française de l’Économie.
Pays émergents Mais, dans le cas présent, plusieurs points méritent de retenir notre attention. Tout d’abord, le rôle joué par Kristalina Georgieva – première ressortissante d’un pays de l’ex-bloc soviétique à occuper de telles fonctions – dans la protection des économies les plus touchées par la crise du Covid-19 constitue un argument de taille en sa faveur… Son positionnement a emporté le soutien de ces pays pauvres ou émergents, africains en tête, soucieux de préserver une continuité entre les règles édictées en 2020 et leur application concrète dans le temps. Ce que rappelle une cadre au sein d’une institution financière africaine interrogée par JA : « Le FMI est le dépositaire par défaut des droits de tirage spéciaux [DTS] équivalant à 650 milliards de dollars supplémentaires alloués pour tous les pays, dont 33 milliards pour l’Afrique. » Et sous l’impulsion de sa directrice générale, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) a abouti, ajoute-t-elle. Une analyse qui rejoint le soutien apporté, dans les colonnes de JA, par de nombreux ministres africains à la haut fonctionnaire. Ou encore, dans la société civile, la voix du milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim, qui rappelle que « ce soutien est vital pour les
nations africaines ». D’autre part, du fait des règles, tacites, de désignation du DG du FMI, la voix de l’Europe pour sauver le soldat Georgieva a largement compté. Traditionnellement, le patron du FMI est européen, tandis que le président de la Banque mondiale est américain. Le soutien du Vieux Continent à Georgieva fait donc sens face aux réticences des deux plus gros actionnaires du conseil d’administration que sont les États-Unis et le Japon. Même si, en définitive, la décision du maintien de la Bulgare n’est pas intervenue après un vote formel, comme le conseil en a la possibilité, mais a, d’après plusieurs sources, fait l’objet d’un consensus. Consensus qui a atténué le rapport de force entre les pays membres. En la matière, la voix de la France a été déterminante, affirme un institutionnel français. C’est Paris qui aura œuvré pour rallier à sa cause Berlin, puis Rome, avant qu’ils tentent, à trois, de convaincre Britanniques et Américains. Ces tractations et leur air de déjà-vu ont toutefois permis de remettre au centre des débats une autre revendication, ancienne, latente. Celle qui veut rebattre les cartes de la désignation du DG du FMI. À quand un représentant émergent, ou un binational (pour respecter la tradition européenne) ? Plusieurs chefs d’État du continent plancheraient,selonnosinformations, sur un scénario qui verrait l’un de leurs ressortissants – plus vraisemblablement un Européo-Africain – prendre un jour les rênes de l’institution à l’issue du mandat de Kristalina Georgieva. Une révolution?
ÉCONOMIE
UN NOUVEAU FMI ?
QUESTIONS À…
HIC HE M
Hakim Ben Hammouda Ancien ministre tunisien de l’Économie et des Finances (2014-2015)
« Ne pas accepter d’accord impossible à respecter »
L
’
économiste tunisien, ancien conseiller spécial du président de la BAD et ex-ministre de l’Économie et des Finances (2014-2015), a été tour à tour inspecté et inspecteur. Il donne quelques conseils aux gouvernements africains pour se protéger, un peu, des rigueurs du Fonds. Jeune Afrique : Comment se déroule une visite annuelle du FMI dite de « l’article IV » ? Hakim Ben Hammouda : Si la situation du pays est plutôt bonne, trois ou quatre de ses experts passent une semaine dans le pays, analysent sa situation et proposent une coopération technique. Si le pays est « sous programme », l’atmosphère est totalement différente. Autour d’un chef de mission, une quinzaine d’experts vérifient pendant un mois les « repères structurels », soit les conditions à respecter pour obtenir le déblocage par tranche des fonds alloués par le FMI. Son soutien est essentiel, car il déclenche l’appui des autres organisations financières internationales et ouvre l’accès aux marchés financiers. Cet examen est-il difficile à vivre ? Oui, car, un mois avant l’arrivée de la mission, le ministre des Finances vérifie l’état d’avancement des repères structurels et prévient le chef du gouvernement des difficultés à venir. Quand arrive la mission, toutes les administrations du ministère des Finances à la Banque centrale sont mobilisées pour répondre à ses questions : masse salariale, subventions, collecte de l’impôt, déficits du budget, santé des entreprises publiques et du secteur bancaire… Cela génère beaucoup de stress. Pour quelles raisons ? Les experts du Fonds ne veulent pas comprendre, par exemple, qu’un gouvernement puisse négocier avec les syndicats une augmentation de la masse salariale de la fonction publique, alors qu’elle pèse déjà 13 % du budget et qu’elle pourrait atteindre 16 %. Tous les services sont sur les dents. Quand cela se passe mal, nous demandons à l’administrateur du FMI qui représente l’Afrique au conseil d’administration de plaider notre cause. Le
moment le plus tendu est celui où il faut rédiger le communiqué final qui concrétise l’accord et permet de débloquer les fonds. Il faut négocier parfois un nouvel objectif ou demander un report pour l’atteindre. Quelle attitude préconisez-vous face au FMI ? Le Fonds recherche surtout la stabilité des finances publiques et du compte courant du pays. Il faut que celui-ci assure une bonne gestion macroéconomique. Cela prouve sa volonté de négocier et lui permet de se montrer ferme avec le FMI quand il est en détresse. Ensuite, il ne faut pas accepter un accord impossible à respecter, comme le font certains ministres en panique. Par ailleurs, les pays africains mettent en face des experts du FMI les fonctionnaires du ministère des Finances et de la Banque centrale, qui ne font pas assez le poids. J’avais recruté dans mon ministère la fine fleur des économistes tunisiens. Ils nous ont permis de tenir tête au FMI, qui voulait nous imposer un relèvement des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, ce qui risquait de casser l’investissement. Nos économistes ont démontré au Fonds que cette inflation n’était pas d’origine monétaire, mais due à des circuits de distribution inadaptés. Le FMI a accepté leurs arguments. Enfin, il ne faut jamais être en retard. J’avais organisé mon cabinet pour être au courant en temps et en heure du suivi des repères structurels. Le FMI impose-t-il les mêmes remèdes de cheval que par le passé pour éviter une crise financière ? Le Fonds applique à tous les pays une stabilité macroéconomique et financière très orthodoxe, mais, depuis le passage de Dominique Strauss-Kahn à sa tête et les crises financière de 2008 et sanitaire de 2020, il a desserré ses contraintes. Durant la pandémie, il a fermé les yeux sur le non-respect de la règle des 3 % de déficit public. Je regrette que le FMI ne soit pas plus compréhensif pour les pays dont le gouvernement n’a pas la force politique de prendre des décisions difficiles. Car comment privatiser une entreprise publique alors que le taux de chômage du pays dépasse les 16 %? Propos recueillis par Alain Faujas JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
133
ÉCONOMIE
HYDROCARBURES
La galaxie de Claudio Descalzi Marié à une Congolaise, ancien patron des filiales de Lagos et de Brazzaville, fin connaisseur de la Libye… L’ingénieur milanais de 66 ans, qui croit plus que jamais au potentiel africain pour ENI, dispose d’un réseau italo-africain des plus étoffés. En voici les personnages clés.
S
oulagé par son acquittement à la fin de mars 2021 par le tribunal de Milan dans l’affaire nigériane de l’OPL 245, où son groupe et lui-même étaient accusés de corruption, Claudio Descalzi, qui pilote le géant italien des hydrocarbures depuis 2014, est ces derniers mois reparti à l’offensive sur le continent, où ENI se targue d’être la première compagnie extractive de pétrole et de gaz. Le groupe tire du sous-sol africain autour de 1 million de barils-équivalent pétrole par jour dans une quinzaine de pays, ce qui le place devant TotalEnergies, à quelque 900 000 barils par jour. Alors que le cours du baril de brent est revenu à
des niveaux élevés – au-delà de 85 dollars le 18 octobre –, le directeur général a fait une visite remarquée à Abidjan au début de septembre. Les équipes d’ENI ont annoncé une découverte majeure estimée à plus de 1,5 milliard de barils de pétrole dans l’offshore ivoirien, et le patron du groupe a indiqué au président Ouattara qu’il comptait démarrer la production dès 2024. Descalzi a également fait plusieurs voyages à Alger au cours des derniers mois en vue de tisser des liens étroits avec la Sonatrach dans le domaine gazier, avec l’objectif d’obtenir l’aval des autorités au rachat par ENI des actifs algériens de BP, actuellement en discussion.
ENIENI, ROPI-REA
LA SPHÈRE PUBLIQUE
Vice-ministre italien des Affaires étrangères de 2013 à 2015, ancien député européen pour le parti démocrate de Mateo Renzi, Lapo Pistelli est responsable des relations publiques et institutionnelles internationales d’ENI depuis 2017. Familier des réseaux italo-africains ainsi que des pays de la Corne, de l’Égypte et de la Libye, il se trouvait avec Claudio Descalzi à Abidjan au début d’octobre. Numéro un de Confindustria, représentant le patronat italien de 2008 à 2012, Emma Marcegaglia a été la présidente du conseil d’administration d’Eni de 2014 à 2020.
134
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
La milliardaire de 55 ans est actuellement à la tête du B20 – groupe qui réunit les représentants patronaux des pays du G20 –, présidé cette année par l’Italie, qui a élevé l’accroissement des échanges économiques avec l’Afrique au rang de priorité. Ministre italienne de la Justice de 2011 à 2013 dans le gouvernement de Mario Monti, Paola Severino a depuis remis sa robe d’avocate et retrouvé ses fonctions d’universitaire. C’est elle qui a défendu Claudio Descalzi dans le procès de l’OPL 245 à Milan.
LUIGI MISTRULLI/SIPA
CHRISTOPHE LE BEC
ÉCONOMIE
ENI
LA SQUADRA AFRICA
Depuis 2020, le Libyen Fuad Krekshi est à la tête des zones Moyen-Orient, Extrême-Orient et Afrique du Nord. Entré chez ENI en 1990, cet ancien cadre de la Libyan National Oil Corporation était à la tête du Western Libyan Gas Project, mené par le groupe italien, avant d’être nommé patron de la branche gazière en Libye en 2020. Abdulmomen Arifi dirige depuis 2019 la filiale
d’ENI en Libye, dont il est originaire. Cet ingénieur pétrolier qui compte plus de trente-cinq ans d’expérience dans le secteur, passé par le siège milanais du groupe, a travaillé notamment sur le mégaprojet égyptien Zohr, entré en production en un temps record. Experte-comptable devenue spécialiste des politiques de contenu local, la Nigériane Callista Azogu
a fait ses classes dans son pays, puis à Milan, avant de devenir directrice générale chargée des ressources humaines et de l’organisation de Nigerian Agip Oil Company (NAOC), la filiale d’ENI dévolue à la production pétrolière dans le delta du Niger. Directeur général délégué d’ENI Angola depuis 2014 et vice-président de la région Afrique subsaharienne pour l’amont
pétrolier depuis 2018, l’Angolais João Maria Da Silva Junior est un ingénieur pétrolier spécialiste de l’exploration, notamment dans son pays natal et au Nigeria. L’ É gy p t i en n e Mar wa Elhakim est chargée depuis janvier 2021 de la direction diversité et inclusion après avoir été vice-présidente des négociations internationales pour l’Afrique du Nord.
ENI
CC
LES INGÉNIEURS-PILOTES DE L’E&P
N o m m é e n j u i l l e t 2 0 2 0, Alessandro Puliti est le patron de la puissante division « ressources naturelles » d’ENI, qui recouvre toutes les activités extractives (pétrole, gaz et énergies renouvelables). Très actif sur le continent, ce géologue florentin de 58 ans, passé notamment par la filiale égyptienne d’ENI, est considéré comme le numéro deux du groupe. Il accompagnait Claudio Descalzi lors de sa visite à Abidjan le 2 octobre. Guido Brusco, ancien patron de la filiale angolaise puis de l’exploration-production subsaharienne et nommé patron de l’amont pétrolier en 2020, était également dans la capitale
LA SIGNORA économique ivoirienne. Antonio Panza veille sur la région Afrique du Nord d’ENI depuis 2017. Cet ingénieur minier qui dispose de trente-cinq ans d’expérience dans l’exploration-production est également, depuis la même année, PDG des filiales libyenne et égyptienne. Luca Vignati, au début d’octobre, a été nommé patron de la région Afrique subsaharienne d’ENI. Ingénieur minier passé par les filiales du Congo, du Nigeria, de la Libye et de la Tunisie, il était auparavant le chef des négociations commerciales du groupe.
Née d’un père franco -italien et d’une mère congolaise, MarieMagdalenaIngoba–surnommée Mado – est l’épouse de Claudio Descalzi, qui a dirigé la filiale d’ENI à Brazzaville de 1994 à 1998. Selon sa biographie officielle, disponible sur son site internet, c’est une femme d’affaires reconvertie exclusivement dans la philanthropie, directrice de la fondation Ingoba-Descalzi, consacrée à l’éducation et à la santé de la jeunesse congolaise. Une enquête de l’hebdomadaire italien L’Espresso la soupçonne toutefois d’être impliquée dans les malversations de la société chypriote Cambiasi Holding Ltd, qui contrôle plusieurs sociétés africaines d’importation de pétrole liées à ENI. Elle ne fait pour l’instant l’objet d’aucune poursuite judiciaire. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
135
ÉCONOMIE
TRANSPORT AÉRIEN
Heureux comme Air FranceKLM dans le ciel africain En difficulté à l’échelle mondiale, la compagnie européenne a pu s’appuyer sur le continent pour amortir l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur ses comptes. VALENTIN GRILLE
CHRISTOPHE PETIT TESSON/EPA/MAXPPP
En 2021, alors que se profile la reprise économique, les bonnes nouvelles africaines se confirment. Sur les six premiers mois de l’année, l’Afrique, en tant que destination, se paie le luxe de repartir à la hausse, alors que le chiffre d’affaires global a décliné de 21 %. De quoi faire du continent, malgré sa place réduite dans le portefeuille de la multinationale, un relais important pour la reprise.
La continuité du service comme mot d’ordre
Air France-KLM, grâce à sa très dynamique activité fret, a réussi à surnager durant la crise.
H
enri Hourcade, ancien directeur général Afrique d’Air FranceKLM – il est passé au début d’août à la tête de la direction France – pouvait avoir le sourire, en juillet, à Abidjan. « La Côte d’Ivoire est l’un des rares pays dans le monde où Air France retrouve un niveau d’activité comparable à celui qu’il avait avant la crise sanitaire », s’était réjoui le manager français. À la clé, 14 vols hebdomadaires entre les capitales française et ivoirienne. L’an dernier, pendant la crise liée au Covid-19, ce nombre s’était réduit à une fourchette de 1 à 4 vols. Le réveil de la destination la plus importante du portefeuille africain du groupe, desservie depuis quatre-vingts ans, n’a rien d’un épiphénomène. Pour le
136
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
pavillon français, c’est tout le continent qui a surnagé en 2020 et en 2021. « Sur l’année 2020, le chiffre d’affaires a connu une croissance régulière, pour atteindre à l’été un indice 75 par rapport à 2019. Alors que certaines zones sont à des indices 20 ou 10 », note la compagnie au sujet du portefeuille de 48 destinations africaines d’Air France-KLM et de Transavia (sa filiale low cost), dont 43 sont situées au sud du Sahara. En 2020, au plus fort de la pandémie, le groupe réalisait 586 millions d’euros de ventes en Afrique, soit une baisse de 51 % par rapport à 2019 et son 1,19 milliard d’euros de chiffre d’affaires africain. Dans le même temps, le chiffre d’affaires mondial avait lui baissé de 60 %, à 11 milliards d’euros, contre 27,2 milliards en 2019.
L’une des raisons principales de ce dynamisme est la continuité du transport passagers. « Nous avons maintenu la plupart de nos dessertes, même si nous avons dû réduire nos fréquences », souligne sans détour Air France-KLM. Le continent a vu sa capacité se réduire de 56 % sur le long-courrier. Une performance légèrement inférieure à celle de la zone océan Indien (– 48 %) ou à celle du pôle Inde et Moyen-Orient – aidé par son rôle de correspondance vers l’Amérique du Nord et l’Afrique –, mais bien mieux que les reculs observés en Amérique du Nord (–71 %) ou en Asie (– 86 %). La bonne performance du transporteur français sur le continent fait cependant l’objet d’interprétations divergentes. Richard Maslen, analyste au Capa Centre for Aviation, spécialiste de la recherche sur le secteur aérien, indique ainsi que : « Air France a une présence historiquement solide en Afrique, et ce marché a souvent délivré de bons résultats. Avec la fermeture de marchés clés
ÉCONOMIE comme les lignes transatlantiques, le réseau africain a logiquement un rôle important à jouer. » Un professionnel ouest-africain du secteur remarque, pour sa part, qu’« Air France n’a pas de mal à ce que l’Afrique s’en sorte mieux : l’Amérique du Nord est fermée, le Brésil aussi, l’Asie est perturbée. Alors, ne serait-ce que par élimination… ». En dépit des performances relatives des autres régions, le groupe Air France-KLM s’est montré particulièrement performant sur le continent, même en comparaison avec ses concurrents. Le transporteur a récupéré trois quarts de son chiffre
À plus long terme, le groupe envisage l’ouverture de nouvelles lignes pérennes en Afrique. d’affaires en Afrique, quand l’Association internationale du transport aérien (Iata) estime que le revenu passager dans la région, en juin 2021, reste amputé en moyenne de deux tiers (67 %) par rapport au mois de juin 2019. De plus, la compagnie a su tirer un plein profit du dynamisme du fret. La recette unitaire de son activité cargo (le prix payé par tonne transportée) en Afrique a crû de 10 % en 2020, malgré un marché mondial en baisse de 8,7 %. Interrogé, Air France attribue en partie cette hausse au transport de vaccins et de matériel médical, mais plus certainement au transport de matières premières de l’Afrique vers l’Europe : fleurs fraîches, légumes, poisson… Surtout, le transporteur a opéré à moindre coût. « Air FranceKLM a ramené sa flotte d’avions tout cargo à six appareils en exploitation au 31 décembre 2020, en mettant la priorité sur les soutes d’avions passagers et sur les combis (prévus pour transporter à la fois des passagers et du fret), dont les coûts d’utilisation sont nettement inférieurs. Les soutes transportent désormais près de 80 % du fret du groupe », analyse ainsi le cabinet Xerfi dans son dernier rapport
sur l’aérien, consulté en exclusivité par Jeune Afrique. Une stratégie de fret d’autant plus payante qu’elle a été combinée à la continuité des dessertes, quand Qatar Airways, par exemple, échouait à opérer ce virage (– 2,8 % de son activité cargo dans le monde sur l’année 2019-2020). Seul Ethiopian Airlines a pu véritablement montrer plus de muscles sur ce créneau, avec ses 20 millions de vaccins transportés et ses 25 avions reconfigurés pour le fret.
Réorganisation de la direction commerciale Alors que la reprise du secteur aérien semble bien amorcée à travers le monde, Air France-KLM réorganise sa direction commerciale, qui passe de huit à quatre pôles. Aux côtés des trois directions, France, Benelux et Europe, le groupe franco-néerlandais a regroupé l’Afrique, le Moyen-Orient ainsi que l’Asie et les deux Amériques sous une seule et même entité. La nouvelle direction long-courrier est pilotée depuis août par l’expérimenté Zoran Jelkic, ancien DG France. Il supervise Jean-Marc Pouchol, nommé directeur général délégué pour l’Afrique, après quasiment cinq années consacrés à l’Amérique du Sud. Les nouveaux managers installés par Air France-KLM ont pour mission d’être à l’offensive. D’abord
sur les lignes estivales saisonnières en Afrique (Monastir, Agadir, Tanger et Djerba depuis Paris, Tunis depuis Nice), qui bénéficient à plein de la reprise du trafic passager-loisirs, alors que le segment voyage d’affaires reste encore atone. Ces destinations estivales ont permis au groupe d’atteindre ces derniers mois un niveau d’offre similaire à celui de 2019. À plus long terme, le groupe envisage l’ouverture de nouvelles lignes pérennes. Ainsi, Monrovia, au Liberia, a trouvé son public en direction de l’Amérique du Nord durant l’hiver 2020-2021. Zanzibar est couvert par KLM. En fin d’année, c’est Maputo et Banjul qui ouvriront sous pavillon français la filiale néerlandaise KLM, qui couvre déjà Zanzibar, en Tanzanie, se positionnant elle à Mombasa (Kenya). Entre Paris et Amsterdam, on ne rogne pas non plus sur l’extension de la flotte (deux nouveaux Airbus A350 et plusieurs nouveaux Boeing 787 pour KLM en Afrique). Cette stratégie d’expansion en Afrique intervient alors que les anciennes « chasses gardées » sont de plus en plus exposées à la concurrence. Qatar Airways a ainsi lancé en juin trois vols Doha-Abidjan. Pour Air France-KLM, l’heure n’est plus à la parade. Ou peut-être que si, justement.
PAS ENCORE DE PARTAGE DE CODES AVEC AIR CÔTE D’IVOIRE La compagnie abidjanaise continue d’avancer sur le codeshare (le partage de codes), qui lui permettrait de vendre des billets sur les vols assurés par Air France-KLM et d’assurer des correspondances pour la compagnie franco-néerlandaise. Selon un proche d’Air Côte d’Ivoire, les deux compagnies attendent la fin des expertises réglementaires pour s’entendre sur les vols de correspondance intra-africains. « Mais ces correspondances ont peu d’intérêt pour Air France, qui couvre déjà beaucoup de destinations africaines », souffle-t-il. L’enjeu à plus long terme sera le partage de codes sur le long-courrier, quand Air Côte d’Ivoire pourra se lancer hors d’Afrique. Notamment vers l’axe préférentiel d’Air France-KLM, entre Paris et Abidjan. En « partenariat stratégique » avec Air Côte d’Ivoire, Air France-KLM réalise la maintenance de la plupart de ses avions. Et détient 10 % de son capital, le reste étant notamment distribué entre l’État (55,8 %), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD, 7 %) et le fonds Goldenrod, de l’Ivoiro-Malien Mohamed Sidi Kagnassi (15 %). V.G.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
137
ÉCONOMIE
DR
Numéro un du trafic conteneurisé en Méditerranée, Tanger Med, qui a démarré ses activités en 2007, est connecté à plus de 180 ports et 70 pays. Le port marocain connaît un fort essor malgré la crise liée au Covid-19.
INDUSTRIE
Dessine-moi une ZES Tanger Med au Maroc, Nkok au Gabon, demain Adetikope au Togo. Malgré quelques succès indéniables, le bilan industriel des zones économiques spéciales (ZES) africaines reste famélique. Une nouvelle étude coproduite par l’Africa CEO Forum dévoile les facteurs clés de réussite. THIBAUD TEILLARD
L
e développement éco nomique de l’Afrique passe-t-il par les zones économiques spéciales (ZES), ces périmètres dans lesquels les règles économiques et fiscales sont plus souples que dans le reste d’un continent au climat des affaires jugé peu favorable par les investisseurs ? « La question centrale est de savoir véritablement enclencher l’industrialisation de l’Afrique, répond Amaury de Féligonde, consultant chez Okan Partners et coauteur d’un rapport détaillé sur les ZES présenté au début d’octobre. Les ZES peuvent
138
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
être des outils efficaces pour créer de l’emploi industriel, qui produit toujours un effet d’entraînement. Mais à condition de les bâtir de façon intelligente. » Selon la Banque africaine de développement (BAD), l’Afrique se trouve tout en bas de la chaîne de valeur mondiale, dont elle pèse moins de 2 %. Depuis les années 1970, la production manufacturière du continent a stagné à environ 10 % du PIB. La forte croissance économique de nombreux pays africains au début des années 2000 n’a pas profité à la population en âge de travailler, trop importante par rapport au nombre
d’emplois créés. Pour absorber les jeunes entrant sur le marché du travail, l’Afrique doit créer 12 à 15 millions d’emplois par an. Il existe aujourd’hui plusieurs exemples de ZES en Afrique, mais assez peu à l’échelle des 5 400 zones qui sont recensées à travers le monde. Tiré par la locomotive Renault, Tanger Med (80 000 emplois dans 1 000 entreprises sur 5 000 ha) est le meilleur exemple de réussite et, insistent les auteurs du rapport, n’est pas le seul. Il y a d’autres succès, la zone franche industrielle (ZFI) développée par Filatex à
ÉCONOMIE Ankadimbahoaka, à Madagascar (7 000 emplois dans le textile), la zone économique spéciale de Nkok, au Gabon (10 000 emplois rien que dans le bois), celle d’Hawassa, en Éthiopie (30 000 emplois dans le cuir et le textile), au cœur d’une zone de 5 millions d’habitants. Et aussi des zones prometteuses, dont celles développées par le singapourien Arise : la plateforme industrielle d’Adetikope (PIA), au Togo, celle de Nkok, ainsi que la zone de Glo-Djigbé, au Bénin, pour transformer le coton ou l’anacarde. Il en va de même pour la zone d’Onne, au Nigeria, dans la sous-traitance pétrolière, ou le PK24 d’Abidjan que plébiscite le groupe CFAO.
Miser sur les secteurs porteurs de croissance verte Néanmoins, l’émergence des ZES en Afrique est lente et le continent loin d’avoir su copier le modèle chinois des années 1980. Les 2 500 zones économiques, qui pèsent près d’un quart du PIB et 60 % des exportations chinoises, ont largement contribué au réveil de l’empire du Milieu, jusqu’à faire en moins de deux décennies d’un pays communiste, a priori peu favorable au business, l’usine du monde et le fournisseur privilégié des consommateurs africains. Pendant ce temps, 80 % des Africains vivent dans des pays où coexistent un chômage de masse et une valeur ajoutée manufacturière inférieure à 100 dollars par habitant. Alors que l’Afrique a une carte à jouer, selon un rapport publié en septembre par McKinsey sur la transition économique et écologique de l’industrie africaine. D’après l’un des principaux cabinets de conseil dans le monde, le développement de l’industrie manufacturière en Afrique au cours des trente prochaines années pourrait s’appuyer sur la croissance rapide de nouvelles industries à plus faibles émissions. Les secteurs porteurs de croissance verte sont l’agriculture, les biocarburants, les matières premières, l’énergie, les emballages et les plastiques, les transports, ainsi que le textile. L’Afrique pourrait se concentrer sur de nouveaux produits – qui remplaceraient ceux qui existent actuellement et qui ont une
forte empreinte carbone – comme les protéines végétales, qui sont en train de gagner rapidement des parts de marché dans le monde entier. Et aussi sur le développement de nouvelles industries et de nouveaux processus qui soutiennent le transport vert ou facilitent la transition énergétique. McKinsey cite deux exemples : la fabrication de composants d’éoliennes pour alimenter le secteur éolien, en pleine croissance sur le continent, et la production de motos électriques. Mais les projets publics ont-ils bien identifié ce potentiel ? « À de rares exceptions près, les ZES africaines ont été pensées par les seuls acteurs publics, qui les ont mal gérées », convient Amaury de Féligonde. Le projet du parc industriel de Kribi, adossé à un port en eau profonde, est emblématique, avec 450 ha de potentiel très largement vide. Pour réussir, une ZES doit être développée par phases, comme un port, afin de ne pas devenir un éléphant blanc. Même si Tanger Med, projet public porté au plus haut niveau
Une administration qui offre un cadre juridique et fiscal stable est une condition sine qua non à l’investissement. de l’État à travers l’agence TMSA autour d’un grand port de transbordement, est le meilleur des contreexemples. Le public a su faire aussi à Hawassa, en Éthiopie, loin de toute connexion portuaire, mais grâce à un partenariat public-public (PPP) avec des industriels d’État chinois. « Néanmoins, pour aller plus vite en Afrique, il faut associer le privé, car la culture du client roi n’est pas celle du secteur public », insiste Amaury de Féligonde. L’approche customer centric (dans le jargon, nécessité de satisfaire des clients industriels exigeants) est l’obsession de Filatex, à Madagascar, et de Nkok, codéveloppé au sein de la coentreprise GSEZ (Gabon Special Economic Zone) avec
Arise – au sein du groupe singapourien aux racines indiennes Olam –, fin connaisseur des enjeux de logistique et de matières premières. Chaque fois qu’une ZES fonctionne, c’est qu’elle a su s’appuyer sur un avantage compétitif. À Nkok, il y a du bois disponible en grande quantité que l’on peut transformer sur place. À Madagascar, de la main-d’œuvre, au Bénin ou au Togo, de grandes quantités de coton pour constituer une industrie textile, en Éthiopie, pays d’élevage, du cuir.
Être situé au cœur de bassins de population importants Le succès d’une ZES est impossible sans une bonne connexion à son environnement. Il lui faut, outre des matières premières et de la maind’œuvre, une logistique amont ou aval efficace, de niveau mondial, qui la branche correctement à un corridor et à un ou plusieurs ports maritimes pour l’approvisionner et évacuer les produits transformés. Il lui faut aussi des utilités – eau, électricité – disponibles de manière fiable et à un coût correct, ce qui reste une difficulté en Afrique, avec pourquoi pas dès lors une production autosuffisante (centrales, puits propres à la zone). Il faut encore une administration qui fonctionne et offre un cadre juridique et fiscal stable, facilement compréhensible par un investisseur international. Les zones doivent être situées au cœur de bassins de population importants, avec une offre de logements disponibles et une montée en gamme des offres de formation qui accompagne l’augmentation de la valeur ajoutée produite. Au risque de ne pas réussir à conserver les employés les mieux formés ou expérimentés, débauchés au sein d’une même zone ou à proximité selon la loi de l’offre et de la demande. « La main-d’œuvre est devenue très mobile, confirme le patron d’une entreprise de Libreville, avec parfois des salaires très attrayants proposés par des entreprises chinoises qui s’implantent en profitant des exonérations. » La question de l’exemption fiscale est un sujet délicat que regardent de près les bailleurs de fonds. Mais, tempère Amaury de Féligonde, « s’il y a un JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
139
ÉCONOMIE
La prolifération des ZES De 1970 à 1980
De 1990 à 2000
De 2000 à 2010
TUNISIE MAROC ALGÉRIE
CAP-VERT
ÉGYPTE
MAURITANIE MALI
SÉNÉGAL GAMBIE
SOUDAN
ÉRYTHRÉE DJIBOUTI
BURKINA FASO NIGERIA
SIERRA LEONE LIBERIA
CAMEROUN
TOGO GUINÉE ÉQUAT.
GHANA
KENYA
GABON
RWANDA BURUNDI
TANZANIE
SEYCHELLES
Voir grand, faire frugal et aller vite Loin du modèle opaque de l’industrialisation asiatique, les ZES doivent aussi prendre en considération les exigences sociétales et environnementales des consommateurs occidentaux, en appliquant les labels type FSC pour les produits forestiers ou Rainforest dans l’agroalimentaire. Créer des « poubelles » juste bonnes à accueillir les industries polluantes dont les pays développés et la Chine ne veulent plus serait un échec majeur, avec aujourd’hui même un risque pénal en filigrane. « Il est difficile de comparer le modèle africain d’aujourd’hui à celui de la Chine des années 1980 ou du Vietnam des années 1990. Ce qui était acceptable en Asie ne l’est plus. Deux générations ont passé. La ZES de demain, en Afrique ou ailleurs, ne peut être que verte et durable », estime Amaury de Féligonde, citant les efforts de Nkok pour s’afficher à terme neutre en carbone. « L’Afrique n’est pas condamnée à être un désert manufacturier. L’industrie du continent peut être compétitive. » Voir grand, faire frugal et aller vite, « tel est l’enjeu pour les autorités publiques et les promoteurs privés auxquels revient la responsabilité de propulser l’Afrique dans le XXIe siècle », clament Benjamin Romain, associé d’Okan, et Gagan Gupta, le directeur général d’Arise et patron de GSEZ, à l’occasion de la parution du rapport.
140
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ANGOLA
MALAWI
ZAMBIE
MOZAMBIQUE
NAMIBIE
MAURICE MADAGASCAR
AFRIQUE DU SUD
Pays comptant le plus de ZES 61
Kenya
Spécialisée 10%
18
Éthiopie
Cameroun
Logistique 1%
38
Nigeria
Égypte
Répartition par type
10
89% Multisecteur
9
Une réussite en demi-teinte Part de l’industrie manufacturière dans le PIB en Afrique subsaharienne
état d’avancement des projets de ZES
X
Succès Délais / résultats en deçà des objectifs
Tanger Libreville Tananarive Addis-Abeba Adetikope Mbao Tema Abidjan Kano Olokola Kribi Brazzaville Kinshasa Banjul
X X X X X
17 %
X X X X
1980
11 %
2019
SOURCE : RAPPORT AFRICA CEO FORUM ET OKAN (« LES ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES, CATALYSEURS DE L’INDUSTRIALISATION AFRICAINE »)
débat légitime, l’exemple de Tanger Med montre que ce que l’État donne en exemption, il le reçoit en retour en matière d’activités, tout en appliquant le même droit social que dans le reste du pays ». À Nkok, ajoute l’auteur du rapport d’Okan Partners, « vu que l’État gabonais est actionnaire, il peut recevoir en dividendes ce qu’il ne reçoit pas en impôts ». Néanmoins, la question fiscale est « illusoire ». « Raisonner par ce prisme, ce n’est pas bien poser le sujet. Les enjeux fiscaux ne comptent pas pour plus de 10 % dans l’équilibre d’un investissement en ZES, qui nécessite, pour réussir, de satisfaire de nombreux facteurs. Autrement, il est évident que ces zones afficheraient des niveaux d’implantation bien supérieurs. »
PAUL KAGAME/FLICKR
ÉCONOMIE
Le président rwandais, Paul Kagame (g.), et son homologue mozambicain, Filipe Nyusi, passant en revue les troupes à Pemba, chef-lieu de la province, le 24 septembre 2021.
MOZAMBIQUE
Qui peut sauver le Cabo Delgado ? Si la situation sécuritaire dans le nord du pays, potentiel géant gazier mondial, est stabilisée, les défis à relever pour le président Nyusi et son parti, le Frelimo, restent considérables. ESTELLE MAUSSION
L
a visite officielle de deux jours n’a pas eu lieu à Maputo, la capitale du M o z a m b i q u e, m a i s à Pemba, au cœur du Cabo Delgado, cette province du nord du pays victime d’une violente insurrection jihadiste en mars. C’est là que Filipe Nyusi, le président mozambicain, a accueilli son homologue rwandais, Paul Kagame, pour une cérémonie saluant leurs efforts de sécurisation
de la zone. Intervenue le week-end du 25 septembre, date anniversaire du début de la guerre d’indépendance et jour des forces armées au Mozambique, la célébration, conduite par deux présidents en uniforme militaire, a surtout permis d’envoyer un message à la communauté internationale : la situation est sous contrôle au Cabo Delgado. La maîtrise de cette province, située à plus de 2000 km de la capitale et qui
recèle d’immenses réserves de gaz, est fondamentale pour le président Nyusi comme pour son pays. Sans une stabilité de long terme, impossible de relancer les projets des compagnies pétrolières, dont celui du français TotalEnergies, chiffré à près de 20 milliards de dollars. Des projets qui promettent, depuis des années, un destin doré au potentiel « Qatar de l’Afrique ». Sauf que le temps passe et que les difficultés s’accumulent, JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
141
ÉCONOMIE transformant le rêve d’eldorado en cauchemar « presource curse » – la malédiction des matières premières avant même leur exploitation. Pour l’heure, le président Nyusi peut se prévaloir d’une rapide reprise en main sur le plan sécuritaire. Dès le début de septembre, il a annoncé maîtriser à nouveau la quasi-totalité du Cabo Delgado. Une réaction plus que nécessaire après la spectaculaire attaque, en mars 2021, de la ville de Palma par des insurgés affiliés à l’État islamique appelés Al-Shabab (mais sans lien avec le groupe somalien éponyme), qui a conduit TotalEnergies à déclarer l’état de force majeure et à suspendre son projet situé sur la péninsule d’Afungi, non loin de Palma. Face à une armée dépassée et à des compagnies de sécurité (le russe Wagner, les sud-africains Dick Advisory Group et Paramount) ne produisant pas les résultats escomptés, le chef de l’État mozambicain, ancien ministre de la Défense et peu enclin à laisser ses voisins intervenir chez lui, a favorisé une solution bilatérale. La reconquête s’est ainsi réalisée grâce au déploiement, à partir de juillet, d’un contingent de 1000 Rwandais – première incursion de Kigali en Afrique australe. Ces 700 militaires et 300 policiers ont été rejoints le mois suivant, après de nouvelles pressions diplomatiques, par une mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), composée de troupes du Botswana, du Zimbabwe, de Tanzanie et d’Afrique du Sud. Des officiers américains et portugais sont mobilisés depuis plusieurs mois (formation et renseignement), et une mission de l’UE (formation et équipements non létaux) était annoncée pour la mi-octobre.
La prudence reste de mise Pourtant, les voix optimistes se font rares. Parmi elles : Akinwumi Adesina, le patron de la Banque africaine de développement (BAD), espère voir les projets gaziers reprendre dans douze à dix-huit mois. La BAD cofinance à hauteur de 400 millions de dollars une usine intégrée de gaz naturel liquéfié (GNL) codéveloppée par TotalEnergies. L’italien ENI, qui développe le projet offshore Coral
142
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
South FLNG, maintient son objectif d’un démarrage de la production en 2022. TotalEnergies, qui veut sortir du délicat « stop and go » de ces derniers mois, attend d’avoir plus de visibilité pour prendre une décision sur la relance de son projet – tout comme Exxon, également engagé sur le site d’Afungi. « Nombre d’insurgés se sont repliés dans des zones forestières, profitant de la porosité de la frontière avec la Tanzanie. Il y a le risque qu’après une période d’accalmie les attaques reprennent », explique une source diplomatique européenne, résumant une crainte largement partagée. « Nous sommes dans une phase de succès, mais il est trop tôt pour crier victoire », a reconnu à la fin de septembre le président Nyusi. Maintenir la stabilité au Cabo Delgado relève toutefois du casse-tête. « Le Mozambique n’est pas l’Afgha-
Le Mozambique n’est pas l’Afghanistan. Personne ne prévoit d’y rester durant les vingt prochaines années. nistan. Personne ne prévoit d’y rester durant les vingt prochaines années. Ni le Rwanda ni la SADC ne constituent une solution de long terme. Une telle solution passe par la formation des forces de sécurité mozambicaines et par la consolidation du renseignement et de la logistique », souligne Robert Besseling, fondateur de la société d’intelligence Pangea-Risk. Or ce processus prendra du temps, notent Robert Besseling et des sources diplomatiques européennes. Et, pour qu’il porte ses fruits, il suppose une coordination entre les différents formateurs et, surtout, l’adhésion de l’armée et de la police. Ces corps fragilisés sont aujourd’hui régulièrement accusés de corruption et ne bénéficient que d’un faible soutien au sein des populations locales. Selon des témoignages collectés par des chercheurs et par des ONG, une partie des jihadistes a combattu avec des armes et des uniformes de l’armée mozambicaine,
qui auraient été, dans certains cas, dérobés aux soldats réguliers, dans d’autres, vendus par ces derniers…
Trafic d’héroïne Le Cabo Delgado héberge, au demeurant, nombre d’activités lucratives. Riche en charbon et en graphite, la province abrite aussi nombre de pierres précieuses, notamment des rubis, dont le Mozambique est le premier producteur mondial, rappelle le Trésor français. Ces dernières années, des universitaires ont aussi pointé son rôle de plaque tournante dans le trafic d’héroïne sur la route allant de l’Afghanistan à l’Afrique du Sud et à l’Europe. Une étude de 2018 estimait que cette drogue était « probablement » devenue le deuxième produit d’exportation du pays, contribuant « jusqu’à 100 millions de dollars par an à l’économie locale ». « Un énorme travail a été accompli par la police dans les aéroports, mais la géographie de notre pays nous rend beaucoup plus vulnérables à nos frontières terrestres et maritimes », avait alors réagi la police mozambicaine. Depuis plusieurs années, Maputo collabore aussi avec l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour faire face aux trafiquants. Reste que, selon la société civile, des chercheurs et plusieurs observateurs, ces activités bénéficient notamment à l’élite mozambicaine, haut gradés et membres du parti au pouvoir, le Frelimo. Si le sujet demeure tabou, Nyusi, à la fois chef d’État et président du Frelimo, ne peut néanmoins ignorer qu’un contrôle accru de la zone serait vu d’un mauvais œil par une partie de son camp. Dans ce contexte, peut-il vraiment compter sur ses forces de sécurité ? Va-t-il recourir de nouveau aux compagnies de sécurité pour avoir les mains libres ou négocier une collaboration de long terme avec le Rwanda ? Ces questions demeurent sans réponse. La solution rwandaise semble d’autant moins durable qu’elle soulève de vives critiques. « Coût, financement, contrepartie ? Trop de zones d’ombre l’entourent », déplore João Feijó, sociologue mozambicain expert du Cabo Delgado, chercheur indépendant de l’Observatoire du milieu rural.
MAURO VOMBE/PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DU MOZAMBIQUE
ÉCONOMIE
Le président mozambicain, Filipe Nyusi, et le PDG de Total, Patrick Pouyanné, à Paris, le 17 mai 2021.
Si Paul Kagame assure que son pays finance l’opération – estimée à plusieurs millions de dollars par mois –, Filipe Nyusi n’a donné aucun détail sur le sujet. Les rencontres des deux hommes avec Emmanuel Macron en mai, à Paris, précédées d’un rendez-vous Nyusi-Kagame en avril et suivies d’un entretien Macron-Kagame en juin, alimentent les rumeurs d’une contribution française. Une lecture rejetée par Paris, qui affirme inscrire son soutien à Maputo dans le seul cadre de l’Union européenne. Même flou sur l’existence de contreparties. Si rien ne semble (pour l’heure) avoir été négocié au niveau économique, ONG et observateurs déplorent des faits troublants sur le plan politique : à Maputo, un journaliste rwandais critique du régime de Kigali, Ntamuhanga Cassien, est porté disparu depuis mai quand un autre exilé, l’entrepreneur et ancien officier Revocant Karemangingo, a été abattu de neuf balles à la mi-septembre – deux dossiers qui font l’objet d’une enquête de la police mozambicaine.
Mal-développement Pour beaucoup, le manque de transparence autour de l’intervention du Rwanda n’est qu’une illustration des failles de la gouvernance mozambicaine, à l’origine de la crise au Cabo Delgado. De fait, si le conflit a une dimension internationale, touchant aux intérêts des majors pétrolières, des bailleurs de fonds et des pays
africains voisins, il demeure avant tout un problème interne de mal-développement au sein d’un pays, ancien « donor darling » (favori des bailleurs de fonds), pris dans un cercle vicieux d’opacité et de corruption. Cette réalité, qui a éclaté au grand jour sous la présidence d’Armando Guebuza avec le scandale de la dette cachée de 2 milliards de dollars, continue d’éclabousser la nomenklatura Frelimo, dont Filipe Nyusi, ancien ministre de la Défense de Guebuza. Elle explique les piètres performances du Mozambique : 181e sur 189 selon l’indice de développement humain des Nations unies et un PIB par habitant de 425 dollars, soit le quatrième plus faible du monde, d’après le FMI. Est-ce vraiment une surprise qu’au Cabo Delgado, province souffrant du plus fort taux d’analphabétisme du pays (53 %, contre 40 % en moyenne), une partie de la jeunesse sans perspective se soit radicalisée sous l’influence d’un islamisme venu de l’étranger et ait fini par prendre les armes ? « Il y a nécessité à encourager le développement socio-économique et le dialogue social parce que la solution au problème du Cabo Delgado n’est pas que militaire », a reconnu en août le président Nyusi, lui-même originaire du nord du pays. Si personne ne met ce constat en doute, le plus dur reste à faire. Une Agence de développement intégré du Nord (Adin) a bien vu le jour il y a un an,
mais ses résultats sur le terrain sont maigres. La pression s’accroît donc sur les épaules de Nyusi et, surtout, du Frelimo – l’actuel chef de l’État devant tirer sa révérence en 2022 à l’issue des deux mandats prévus par la Constitution – pour corriger le tir avant les élections de l’an prochain. Les bailleurs de fonds, qui poussent à la reprise des projets gaziers tout en finançant les actions de développement du gouvernement, doivent aussi prendre leurs responsabilités. « Leur intervention peut être cruciale pour résoudre les problèmes du Nord, mais elle pourrait aussi mettre de l’huile sur le feu si elle était précipitée et mal calibrée, ignorant ou marginalisant la société civile par exemple », met en garde Éric Morier-Genoud, professeur à la Queen’s University de Belfast et spécialiste du Mozambique. Certains, dans les milieux diplomatiques européens, se veulent rassurants. Ils affirment que la situation actuelle ne fait que retarder un développement inéluctable en raison de la combinaison des ressources gazières, de l’accès à la mer et de la position stratégique du pays entre l’Asie et l’Europe. Un essor qui passera par la construction d’infrastructures, la création d’emplois et la dynamisation du tissu local d’entreprises. « Le Mozambique deviendra probablement dans quelques années un acteur important du marché mondial du GNL. Il accédera alors rapidement au rang de pays à revenu intermédiaire, alors qu’il compte aujourd’hui parmi les plus pauvres au monde », prédisait ainsi en 2017 une note du Trésor français. Qui rappelait aussi les prévisions du FMI, les projets gaziers pouvant générer jusqu’à 100 milliards de dollars d’investissements directs étrangers sur trente ans, soit la garantie d’une forte hausse des recettes budgétaires et la perspective d’une croissance du PIB de plus de 20 % par an. Connaissant la puissance de la malédiction des matières premières, on est toutefois en droit, comme le sociologue João Feijó, d’en douter. « Le Mozambique n’a jamais été préparé à recevoir de tels projets gaziers, pointe-t-il. Et, sauf à mettre en place des réformes profondes assurant un essor local et inclusif, il risque de ne jamais être prêt. » JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
143
ÉCONOMIE
WAVE MOBILE MONEY
Aux sources d’une déferlante ouest-africaine Aujourd’hui populaire, la start-up américano-sénégalaise qui a défrayé la chronique par une levée de fonds record de 200 millions de dollars n’a pas surgi de nulle part. Voici son histoire.
WAVE
QUENTIN VELLUET
Wave Mobile Money emploie plus de 800 personnes entre son siège social africain de Dakar, son siège new-yorkais, sa filiale à Abidjan et le reste du monde.
U
n romancier pourrait faire débuter l’histoire de Wave à peu près n’importe où au Sénégal. Sur la proue d’une pirogue de pêcheur échouée sur la plage de Soumbédioune, à Dakar. Dans les travées d’une rizière de la région de Kolda, en Casamance. Ou dans une petite boutique du marché central de Kaolack, dans le centre du pays. Le service de mobile money a en effet commencé dans ces endroits que les acteurs traditionnels du secteur ont longtemps désertés : chez les petits commerçants de l’informel ou au sein des campagnes, où nombreuses sont les personnes non bancarisées qui ne possèdent
144
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
pas de smartphone. « Quand nous entrons sur le marché, en 2018, nos concurrents ne nous repèrent pas car nous ne leur prenons pas de parts de marché. Nous nous concentrons sur les filières économiques qui fonctionnent encore majoritairement au cash, comme les agriculteurs, les mareyeurs ou les pêcheurs », témoigne Coura Carine Sène, directrice générale de Wave pour l’Afrique de l’Ouest, également membre du comité de direction du groupe. À ce moment-là, l’entreprise créée par Drew Durbin et Lincoln Quirk, deux Américains qui ont fait connaissance sur les bancs de la Brown University, aux États-Unis,
est concentrée sur ses enquêtes de terrain. Objectif : comprendre ce qui éloigne certaines populations de la révolution en cours dans les services financiers sur téléphone mobile. Les ambitions du duo d’entrepreneurs dans le mobile money sont d’autant plus grandes que les deux créateurs de Sendwave, un service spécialisé dans les transferts de fonds internationaux, ont constaté les limites de leur modèle ouest-africain et les besoins des populations rurales. « Ce qui nous a séduits, à l’origine, c’est la quasi-obsession de l’expérience client au sein de l’équipe », explique Tidjane Dème, codirigeant du fonds d’investissement Partech Africa, qui a participé
ÉCONOMIE aux deux tours de table de l’entreprise. Ce travail de terrain va aboutir à un modèle d’affaires ultra-concurrentiel et relativement indépendant des opérateurs de télécommunications, puisque Wave va croître de 2018 à 2020 sans application mobile.
5,5 millions d’utilisateurs mensuels Un taux de commission unique de 1 % du montant de la transaction est appliqué. Surtout, l’usage est simplifié, avec un parcours client facilité pour les professionnels, notamment pour le paiement de masse, qui séduit des PME, comme la Société de culture légumière, à Saint-Louis. L’entreprise de 5 000 salariés gère sa paie avec Wave depuis 2018. En parallèle, la start-up développe un système déjà expérimenté par le français Famoco, mais promu par l’américain comme une innovation de rupture. L’idée réside dans une carte dévolue aux utilisateurs de téléphone basique sur laquelle est imprimé un code QR unique relié à un portefeuille numérique personnel. Ainsi, l’utilisateur qui souhaite effectuer une transaction dématérialisée n’a qu’à se tourner vers un agent Wave, qui se charge pour lui de l’effectuer après avoir scanné son code. Ce n’est qu’en 2020 que Wave lance une application mobile en bonne et due forme, qui vient compléter son offre. Ces différents canaux lui permettent de revendiquer 5,5 millions d’utilisateurs actifs mensuels au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où l’application est lancée à la mi-2021, ainsi qu’un volume de transactions de « plusieurs milliards de dollars », selon le site spécialisé TechCrunch. « Ce nombre de clients paraît aberrant au regard de la démographie du Sénégal », relativise néanmoins un bon connaisseur du mobile money continental, conscient que Wave n’est présent en Côte d’Ivoire que depuis 2019 et vient tout juste de se lancer en Ouganda et au Mali. Du reste, la start-up séduit désormais les utilisateurs urbains et plus aisés, et commence à rivaliser avec des acteurs traditionnels comme Orange Money ou MoMo, de MTN. Au début de septembre, Wave finit par prendre la lumière et faire couler
beaucoup d’encre. Émancipée de Sendwave – ses deux fondateurs ont revendu le service à WorldRemit en 2020 –, la start-up conclut la plus grosse série A de l’histoire du continent. Avec une levée de fonds de 200 millions de dollars injectés par de prestigieux investisseurs américains (l’entreprise Stripe ou le fonds Founders Fund, de Peter Thiel, qui a cofondé PayPal avec Elon Musk et figure parmi les premiers investisseurs de Facebook), la marque au pingouin s’est hissée dans le club très fermé des licornes africaines (une valorisation de 1,7 milliard), une première pour une société d’Afrique francophone. Entreprise « distribuée », à l’image des big tech américaines, Wave Mobile Money emploie plus de
Son succès fulgurant a dérangé ses concurrents, qui ont été contraints de baisser leurs tarifs. 800 personnes entre son siège social africain de Dakar (450 personnes), son siège new-yorkais, sa filiale à Abidjan et le reste du monde. « L’ingénierie et les équipes “produits” sont plus nombreuses hors d’Afrique », indique Coura Carine Sène. Un réseau de 25 000 agents complète ces effectifs. Le succès de ce nouveau venu étonne au sein de la tech africaine, d’autant qu’il ne communique pas volontiers ses chiffres. « C’est une levée de fonds qui a du sens. Ni la taille du ticket ni la valorisation ne sont surestimées. Autour de la table, il y a des investisseurs sérieux qui sauront accompagner l’entreprise dans sa prochaine étape de croissance », se défend l’investisseur de Partech Africa. « L’industrie du mobile money n’est pas très rentable et met plusieurs années à atteindre l’équilibre [dix ans en moyenne] », rappelle quant à lui notre expert. Selon lui, entre les commissions reversées à son réseau d’agents (en moyenne 50 % du chiffre d’affaires, sachant que Wave indique garantir une juste
rémunération de ces acteurs) et l’animation de celui-ci, sans compter les charges liées aux plus de 800 salariés et les frais de communication et de marketing pour se faire connaître des nouveaux marchés, l’entreprise dépense beaucoup. Mais l’expérience de l’équipe et le potentiel du marché rassurent les investisseurs. « Le travail effectué sur le réseau d’agents est très intéressant, et l’expérience client est réputée très bonne », indique notre source. « Avec l’expérience de Sendwave, l’équipe de Wave a l’habitude d’opérer sur plusieurs marchés. Ils ont travaillé en Tanzanie, au Nigeria et en Éthiopie. Et l’Afrique francophone est plus attrayante qu’il n’y paraît puisqu’il s’agit d’un espace de régulation homogène composé de huit pays », justifie le dirigeant de Partech Africa. Au Sénégal, en tout cas, le succès du service a dérangé Sonatel. L’opérateur a tenté de freiner le développement de Wave en lui interdisant de distribuer du crédit téléphonique via son application et le canal USSD. Le litige a provisoirement été tranché par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes en faveur de Wave, qui est autorisé à poursuivre cette activité de manière limitée. Plus largement, les tarifs concurrentiels de la plateforme ont forcé les opérateurs à baisser leurs prix. Et Wave demeure sous bonne surveillance du premier opérateur du pays.
Extension régionale imminente Le pingouin sur fond bleu n’en a que faire et continue son chemin. Ses activités seront bientôt lancées au Togo, au Burkina, au Bénin et au Niger. « La question est désormais de savoir combien de temps ils vont tenir avec ce modèle, qui semble perdre de l’argent », s’interroge l’analyste. Ce succès fulgurant n’est en effet pas sans rappeler celui de Wari, entreprise sénégalaise de services financiers autrefois active dans 62 pays et dont les clients et prestataires ne parviennent plus à récupérer leur argent. Kabirou Mbodj, son fondateur, a d’ailleurs été condamné en septembre à six mois de prison ferme pour abus de confiance. Une chute vertigineuse, qu’un romancier aurait aussi pu imaginer. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
145
Dossier Télécoms INFRASTRUCTURES
Les « towercos » à l’heure de la maturité Les opérateurs accélèrent l’externalisation de leurs équipements pour se concentrer sur leur cœur de métier : les services. Une aubaine pour IHS, Helios, American Tower et Gyro Group, qui ont enfin convaincu les marchés de la rentabilité de leurs activités sur le territoire africain.
KÉVIN POIREAULT
P
etite révolution dans le monde africain des télécoms. IHS Towers, premier gestionnaire de tours de télécoms (« towerco ») en Afrique, a lancé, depuis son siège nigérian, son introduction à la Bourse de New York le 4 octobre 2021. Avec des objectifs clairs : lever autour de 380 millions de dollars en produit net et atteindre une valorisation de plus de 7 milliards de dollars, dette comprise. Cela en ferait la plus grosse cotation jamais enregistrée pour une société africaine. L’entrée en Bourse d’IHS survient moins de deux ans après celle de son concurrent Helios Towers, coté à la Bourse de Londres depuis octobre 2019. Les deux towercos avaient tenté leur chance une première fois en 2018, avant de renoncer, notamment à cause de l’instabilité des marchés africains sur lesquels ils opéraient. Aujourd’hui, ils ont diversifié leur portefeuille et jouissent d’une belle croissance. IHS possède près de 30 000 tours dans cinq pays d’Afrique (Nigeria,
146
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Côte d’Ivoire, Cameroun, Zambie et Rwanda) ainsi qu’au Brésil, au Pérou, en Colombie, au Koweït, et cherche à s’installer en Arabie saoudite et en Égypte. Après une année difficile « à cause du Covid-19 », confie un représentant d’IHS à Jeune Afrique, le leader des towercos en Afrique a
Le chiffre d’affaires d’Airtel a grimpé de 19 % en 2020, celui de MTN de 10,9 % et celui de Vodacom de 7,4 %. enregistré une croissance de 21,2 % de son chiffre d’affaires au deuxième trimestre de 2021. Helios, troisième sur le continent, est propriétaire de plus de 8 000 tours en Tanzanie, en RDC, au Ghana, au Congo, en Afrique du Sud, au Sénégal, à Oman, et explore une expansion dans neuf nouveaux pays africains, notamment au Maroc,
en Égypte et à Madagascar. La société a enregistré une croissance de 4 % de son chiffre d’affaires lors du premier semestre de 2021.
Hausse du mobile money « Le marché africain des télécoms apporte de grandes opportunités de croissance, avec une population importante et en hausse, une adoption des smartphones qui demeure basse mais qui croît à une vitesse record, notamment avec l’usage de services numériques comme le mobile money », indique Dion Bate, spécialiste des télécoms de la zone Afrique et Moyen-Orient chez Moody’s. Cette croissance est indiscutable chez les opérateurs africains : le chiffre d’affaires d’Airtel a grimpé de 19 % en 2020, celui de MTN de 10,9 % et celui de Vodacom de 7,4 %, selon Moody’s. Pourtant, ces bons résultats ne s’appuient plus sur les revenus liés à la voix (VoIP), mais bien à une plus grande pénétration d’internet sur le continent. Les opérateurs africains, encore détenteurs de près de 60 % des
VINCENT FOURNIER POUR JA
Après une année 2020 difficile, les gestionnaires de tours de télécoms (ici à Djibouti) repartent à l’offensive.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
147
DOSSIER TÉLÉCOMS tours de télécommunications du continent, préfèrent désormais se concentrer sur leur cœur de métier, les services numériques, et tendent à externaliser la gestion de ces infrastructures passives. Cette pratique est largement adoptée aux États-Unis, où 90 % des tours appartiennent à des towercos indépendants, selon le cabinet EY, mais aussi en Amérique latine (55 %) et
en Inde (52 %). « Elle a commencé à être adoptée en Afrique avec l’arrivée de l’indien Bharti Airtel sur le continent il y a dix ans », rappelle Thecla Mbongue, analyste pour le cabinet Omdia. En confiant la gestion des infrastructures de télécoms passives à des sociétés indépendantes, les opérateurs se délestent des coûts de maintenance. Le towerco, de son côté, loue l’accès à sa tour, non plus
au seul opérateur qui la lui a vendue, mais à plusieurs, mutualisant ces mêmes coûts. En théorie, tout le monde y gagne. « On pensait qu’Airtel allait externaliser toutes ses infrastructures », poursuit l’analyste. « Le manque de régulation dans certains pays et la peur de la concurrence » en ont décidé autrement pour la firme indienne, qui gère certaines de
Technologie Pourquoi MTN a opté pour l’OpenRAN L’opérateur sud-africain est l’un des premiers au monde à généraliser l’utilisation des nouvelles fréquences 4G et 5G. Un pari qui devrait lui permettre de faire des économies importantes et de rendre ses infrastructures plus évolutives.
L’
inclusion numérique passe par une volonté politique et par des choix technologiques. MTN l’a bien compris. Le 16 juin 2021, le premier opérateur mobile du continent a annoncé qu’il commencerait le déploiement de son « réseau ouvert d’accès radio » – OpenRAN, en anglais – dans toutes ses filiales africaines d’ici à la fin de 2021. C ette technologie e st un ensemble de spécifications techniques décidées par un organisme de coopération (l’O-RAN Alliance), qui rend interopérables les dispositifs matériels et les logiciels de technologie mobile commercialisés par les différents opérateurs de télécoms – tels Nokia, Ericsson, Samsung ou Huawei – pour une meilleure couverture 4G et 5G. Grâce à l’OpenRAN, au lieu de se fournir entièrement chez un seul équipementier, un opérateur peut acheter chaque élément d’un réseau d’accès radio (RAN) chez un fabricant différent et « ainsi faire jouer la concurrence et baisser les prix », estime Anil Bhandari, vice-président en charge de la gestion de produits chez Altiostar, spécialiste américain d’équipements et logiciels OpenRAN appartenant à l’opérateur japonais Rakuten. Son
148
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
entreprise est partenaire de MTN pour le déploiement de la nouvelle architecture réseau en Afrique, avec les autres américains Mavenir et Parallel Wireless et les indiens Voyage et Tech Mahindra.
Réseaux virtualisés « L’OpenRAN favorise l’innovation grâce à son architecture plus flexible, couvre mieux les régions les plus reculées en rendant les équipements moins coûteux, et, grâce à sa modularité, s’assure que les réseaux répondent à la croissance de la demande en ajoutant brique par brique les éléments télécoms dont on a besoin », indique Vishal Mathur, responsable du déploiement au sein du Telecom Infra Project (TIP), second organisme mondial de référence sur les technologies OpenRAN. Celui-ci rassemble les acteurs des télécoms pour favoriser le développement de ces architectures ouvertes. L’OpenRAN s’appuie aussi sur des réseaux virtualisés, ou vRAN, qui permettent de transférer certaines fonctions aujourd’hui prises en charge par les équipements matériels vers des logiciels, hébergés dans un cloud. Grâce à cette virtualisation, les opérateurs pourraient réduire de manière conséquente
le temps entre le développement d’une nouvelle offre et sa commercialisation. La virtualisation permet une automatisation inédite des fonctions réseau, ce qui améliore les performances (latences plus faibles, débits plus élevés…) et favorise une réduction des coûts de maintenance pour les opérateurs et de consommation d’énergie.
Son défi est son adoption Le principal défi de l’OpenRAN, c’est son adoption. À ce jour, seul Rakuten a déployé un réseau OpenRAN à large échelle, au Japon. Depuis quelques mois, cette nouvelle architecture ouverte gagne des partisans, comme Samsung. Les plus gros opérateurs européens (Orange, Deutsche Telekom, Vodafone et Telefónica) ont tous des projets d’OpenRAN – et poussent l’Union européenne à soutenir l’initiative. « Nous avons plus de 50 expérimentations de l’OpenRAN et 13 laboratoires dans le monde », précise Vishal Mathur, avant de conclure, confiant : « Notre industrie a besoin de transformer sa vision dictée par les fabricants à une vision portée par les opérateurs, et cela passera par le déploiement de l’OpenRAN. » Kévin Poireault
Huawei Northern Africa, ce sont des milliers de connexions africaines Plus de 100 000 km de fibres optiques déployés dans la région Northern Africa
5 millions de ménages desservis en haut débit dans la région Northern Africa
Plus de 1 000 villages et 2 millions de personnes reliés dans les zones rurales africaines grâce à la solution RuralStar
ses infrastructures africaines en interne. Pour Thecla Mbongue, l’externalisation des infrastructures télécoms a stagné un temps en Afrique, avant de gagner un nouvel élan ces trois dernières années. MTN a joué un rôle majeur dans cette dernière accélération : l’opérateur revend actuellement ses infrastructures télécoms à tour de bras, notamment en Afrique du Sud. Il compte aussi profiter de l’entrée en Bourse d’IHS pour réduire ses parts dans l’entreprise, de l’ordre de 29 %, pour les réinvestir dans les services numériques. Orange, Airtel, Millicom, Vodacom, et d’autres lui emboîtent le pas. Parfois, cette externalisation prend la forme de consortiums constitués d’un towerco et d’un ou plusieurs opérateurs. IHS vient de signer un accord de ce type avec Egypt Telecom, le 6 octobre 2021, donnant naissance à IHS Telecom Egypt. D’autres encore décident, non pas de confier la gestion de leurs infrastructures à une autre société, mais de créer une filiale dédiée. C’est le cas du sud-africain Telkom avec Gyro Group. Cette stratégie pourrait aussi être celle de Vodacom, qui imiterait ainsi sa maison mère Vodafone, qui a créé Vantage Towers en 2019 à cet effet, selon le site TowerXchange.
Accélérer la transition énergétique En échange de cette délégation des tâches, et toujours dans une optique de moderniser les réseaux, les opérateurs africains réclament aux towercos des économies d’échelle. D’autant plus qu’ils subissent « une pression
NYSE
DOSSIER TÉLÉCOMS
Managers et actionnaires célébrant l’introduction d’IHS à la Bourse de New York, le 14 octobre 2021.
accrue des gouvernements à développer des réseaux dans des zones reculées, souvent jugées comme non rentables », ajoute Thecla Mbongue. Ainsi, le marché des towercos tend à se concentrer sur trois acteurs : IHS, pionnier sur le continent, American Tower, qui a racheté le panafricain Eaton Towers en 2019, et Helios Towers, qui a acquis le sud-africain SA Towers la même année. Le reste des towercos africains est constitué d’Africa Mobile Networks, Pan African Towers, Infratel, l’américain SBA Communications, qui a racheté Atlas Towers, acteur majeur en Afrique du Sud, et une poignée de towercos nationaux. « Cette concentration du marché a toutes les chances de s’accélérer à l’avenir car elle est favorisée par
l’adoption de la 4G et, à plus long terme, de la 5G. Cette dernière devrait demander aux towercos de densifier leur parc, tout en installant de plus en plus de small cells [petites infrastructures radio pour une meilleure couverture des réseaux de dernière génération]. Par ailleurs les opérateurs demandent d’accélérer la transition énergétique des towercos vers des énergies plus vertes », juge Sola Lawson, directeur d’African Infrastructure Investment Managers (AIIM), actionnaire d’IHS Towers. Avant de conclure : « La pandémie que nous venons de vivre a prouvé la résilience des infrastructures télécoms. » À charge pour IHS, Helios et consorts, de transformer l’essai et de prouver que leur modèle permet à l’Afrique de rattraper son retard de connectivité.
Cet entrepreneur américain, qui a grandi à Beyrouth durant la guerre du Liban, a travaillé chez Libancell, avant de rejoindre le Nigeria comme directeur adjoint de Motophone, le premier opérateur mobile du pays, à la fin des années
150
1990. En 2001, alors que le gouvernement nigérian prévoit de privatiser son secteur des télécoms, il fonde IHS Nigeria.« IHS est passée d’entreprise nigériane à société ouest-africaine, puis panafricaine, et c’est aujourd’hui une
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
multinationale présente sur trois continents », indique Sola Lawson, directeur d’African Infrastructure Investment Managers (AIIM), actionnaire d’IHS Towers et admiratif de son expansion. Kévin Poireault
IHS
SAM DARWISH L’HOMME QUI A TRANSFORMÉ IHS NIGERIA EN MULTINATIONALE
Profitez de l’Internet haut débit peu importe où vous vivez en Afrique Konnect, l’Internet haut débit par satellite, partout et pour tous Le haut débit, pour particuliers et professionnels où que vous soyez Grâce aux dernières technologies satellitaires, Konnect (groupe Eutelsat) participe au développement du continent africain en agissant pour la réduction de la fracture numérique en Afrique. Konnect a créé une gamme de services et forfaits permettant de répondre aux besoins de connectivité même dans les zones blanches (mal couvertes par la fibre ou la 4G). Konnect c’est la promesse d’un Internet haut débit de qualité à des tarifs compétitifs. Konnect propose aux institutions publiques, aux particuliers et aux entreprises des offres de connectivité flexibles, abordables économiquement, accessibles partout là où aucune solution haut débit fiable n’est disponible. Konnect propose 2 gammes de forfaits Internet fixe. La gamme Simply composée de forfaits (Easy / Zen / Max) allant de 5 Go et 250 Go de data, jusqu’à 50Mbps (avec l’option Speed) et à partir de 14$/mois, s’adaptant ainsi aux besoins et moyens de chacun. Ces offres sont toutes éligibles au Bonus Fidélité pour un renouvellement anticipé avant échéance du forfait offrant ainsi 20% de data supplémentaire. Konnect offre également à ses clients un boost de data (entre 150 et 300GB) la nuit de 22h et 6h. La gamme Unlimited quant à elle comporte 2 offres illimitées à partir de 55$/mois. Ces services sont disponibles selon un modèle prépayé afin de répondre aux usages du marché africain. Konnect n’oublie pas les zones très isolées en proposant également une solution adaptée et légère, baptisée Express Wifi et permettant un accès à l’Internet via Wifi par le biais de « Hotspots » et ce dans un rayon de 100m. Ces hotspots sont et pourront être localisés dans des commerces, écoles, mairies, exploitations agricoles,
Contactez-nous au :
+225 05 85460987 Ou plus d’infos sur :
konnect.com
hôpitaux, etc. L’accès au service s’effectue en achetant des bons de recharge (vouchers), valides de quelques heures à 1 mois, à partir de 0,25$.
La connectivité au service du developpement Konnect collabore régulièrement avec les gouvernements africains et institutions publiques pour apporter une connectivité de qualité dans les zones les plus reculées. Ces actions rendent possible, entre autres, la continuité du service public même en cas de crises ou conditions extrêmes, elles permettent aux hôpitaux isolés de bénéficier de la télémédecine ou encore connectent des milliers d’écoles et professeurs et facilitent l’accès au savoir. Enfin nous permettons à chacun de connecter sa famille au monde ou de développer son activité, peu importe sa localisation géographique. Ce sont près de 40 pays d’Afrique qui peuvent bénéficier des services Konnect.
Konnect, en quelques mots: 1. 2. 3. 4. 5.
L’Internet haut débit PARTOUT en Afrique et jusqu’à 100 Mbps Conçu POUR TOUS – particuliers et professionnels - dès 14$/mois Surfez, télétravaillez, streamez sans limite (qualité vidéo full HD) Un territoire totalement connecté en haut débit grâce à Konnect Express Wifi Rejoignez l’aventure Konnect, devenez partenaire (revendeur, installateur) ou diversifier vos sources de revenus en ouvrant un hotspot Express Wifi
DOSSIER TÉLÉCOMS
STRATÉGIE
Abidjan-Dakar, le moteur à deux temps d’Orange Du juridique au marketing, en passant par les ressources humaines et les infrastructures, le géant français optimise ses performances en s’appuyant sur ses deux centres de décision, qui pèsent conjointement 54 % de ses revenus sur le continent et au Moyen-Orient.
QUENTIN VELLUET
A
u début de juin à Dakar, le torchon brûle entre Wave, un nouveau venu du mobile money, et Sonatel, leader du marché des télécoms et filiale d’Orange. Le premier, qui secoue la position confortable de l’opérateur avec une offre ultra-concurrentielle, vient d’entamer un recours auprès du régulateur des télécoms. Avec comme objectif que Sonatel lui permette à nouveau de distribuer du crédit Orange à travers son application mobile, et qu’il pratique la même politique tarifaire qu’avec ses autres partenaires. Le conflit qui a agité les médias et les réseaux sociaux pendant une dizaine de jours s’est conclu par une décision temporaire du régulateur en faveur de Wave. Même période, à Abidjan, Wave lance en grande pompe cette même offre de mobile money appliquant une commission unique de 1 % sur les transactions. Et, pourtant, pas de conflit médiatisé ou de guerre d’influence dans les couloirs du régulateur. Si Orange Côte d’Ivoire (OCI), premier opérateur du pays, n’a pas encore lancé d’offensive contre le nouveau venu sur les bords de la lagune Ebrié, c’est d’abord parce que Mamadou Bamba, son directeur, dispose du retour d’expérience de son homologue sénégalais, Sékou Dramé. Et prend le temps de se préparer à un potentiel bras de fer. Vu les ambitions sous-régionales de la start-up américaine, qui a levé 200 millions de dollars au début
152
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
de septembre pour soutenir son développement, nul doute que l’ensemble des filiales ouest-africaines d’Orange se coordonnent à l’heure où sont écrites ces lignes pour proposer une offre concurrentielle et pour se défendre sur le terrain réglementaire.
Deux socles prospères Supervisé par la direction d’Orange Afrique et Moyen-Orient (Omea), à Casablanca, qui réunit chaque semaine les directeurs généraux de filiales, ce travail en réseau est l’une des principales forces du groupe français. La présence de l’opérateur dans huit des seize pays d’Afrique de l’Ouest est gérée à travers ses deux centres de décision. À Dakar avec Sonatel, qui gère les filiales au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau, en Sierra Leone, et abrite le siège d’Orange International Networks Infrastructures. Et à Abidjan avec OCI, qui pilote le Burkina Faso, le Liberia, et héberge Orange Bank Africa, les services de maintenance et compliance d’Orange Money ainsi que Mowali, la société d’interopérabilité détenue à 50 % avec MTN. Avant d’inspirer les synergies actuelles, cette structuration a historiquement été motivée par des considérations financières. « Il y a un intérêt politique à ce que ces sociétés soient contrôlées par des acteurs locaux, mais la création d’OCI a surtout été une stratégie financière très rentable qui a permis à Orange de répartir ses risques et d’éviter une double fiscalité
(taxes locales et impôts sur les dividendes rapatriés) en facilitant le réinvestissement des bénéfices dans les filiales », explique une source bien informée au sein du groupe. Ensemble, ces deux socles prospères représentent 54 % du chiffre d’affaires d’Omea, soit 3,1 milliards d’euros, des revenus en croissance de 7 % par rapport à 2019. Ils donnent à Ramon Fernandez, directeur financier du groupe et président du comité d’investissement d’Orange SA, plus de latitude lors des opérations de croissance externe sur le continent.
Au Burkina Faso, Mamadou Bamba, directeur d’OCI, prend le temps de se préparer à un potentiel bras de fer. Quand, par le passé, Sonatel prenait automatiquement en charge la gestion des nouveaux marchés de la sous-région, le comité peut maintenant trancher entre qui de Dakar ou d’Abidjan doit gérer la filiale, à partir de différents critères. « Outre les réseaux professionnels des dirigeants locaux qui parfois facilitent les processus d’appel d’offres ou l’attraction de coactionnaires, d’autres données sont prises en compte comme la
DOSSIER TÉLÉCOMS
UN MANAGEMENT AFRICAIN À TROIS TÊTES
TUNISIE MAROC
Hub de Casablanca • Siège social d’Orange Afrique et Moyen-Orient(Omea) • Bureau régional Afrique du Nord et Moyen-Orient • Centre d'ingénierie réseau • Centre de sécurité
MALI
ÉGYPTE
SÉNÉGAL GUINÉE BISSAU
GUINÉE
SIERRA LEONE LIBERIA
BURKINA FASO CÔTE D'IVOIRE CAMEROUN
Hub de Dakar • Siège social de Sonatel • Centre de services financiers partagés • Siège social de Djoliba (réseau panafricain de fibre optique) • Centre de supervision du réseau
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Hub d’Abidjan • Siège social d'Orange Côte d'Ivoire • Siège d'Orange Bank Africa • Siège social de Mowali (système de paiement et transfert d'argent sur mobile) • Centres de conformité et de services partagés Orange Money
MADAGASCAR BOTSWANA
Filiales Orange 1 000 km
capacité de financement ou encore le management disponible », indique à Jeune Afrique un expert de l’IFC (groupe de la Banque mondiale) qui connaît bien le secteur.
Jeu de chaises musicales À l’image de Sonatel, qui a dû définir une ambitieuse politique de recrutement et de formation de ses cadres au tournant des années 2000 pour accompagner son expansion géographique, la holding ivoirienne est à son tour devenue une pépinière de talents. Ces derniers quittent Abidjan pour parfaire
leurs compétences dans les filiales libérienne ou burkinabè. Jean Marius Yao, actuel directeur général d’Orange au Liberia, a par exemple fait ses armes au sein du service marketing d’OCI. Dans le sens inverse, Fanta Sidibé, actuelle directrice de l’expérience client chez Orange Côte d’Ivoire, a fait ses classes au cœur du département communication de Sonatel. Ce jeu de chaises musicales est une des synergies apportées par le maillage d’Orange en Afrique de l’Ouest. Tout comme la mise en commun de ses infrastructures, dont
Djoliba est le parfait exemple. Mis en service en décembre 2020, le réseau de fibre optique de 10 000 kilomètres parcourt huit pays (dont six marchés d’Orange) et représente « quelques centaines de millions d’euros » d’investissements selon Alioune Ndiaye, PDG d’Omea. Cette somme a été répartie depuis plusieurs années entre les filiales, qui investissent chaque année 15 % de leurs revenus dans les aménagements de réseau. Mais elles se partagent désormais les bénéfices – pour le moment inconnus – de cette infrastructure commune. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
153
DOSSIER TÉLÉCOMS
INFOGRAPHIE INTERNET MOBILE
Dans quels pays la data est-elle le moins cher ?
TOGO
8,64
Prix de 1 gigaoctet de données mobiles en dollars en 2020
Afrique de l’Ouest
Afrique du Nord
À 5 dollars le gigaoctet en moyenne, SIERRA LEONE GAMBIE LIBERIA le coût de la connexion a baissé NIGER GUINÉE SÉNÉGAL CÔTE de 28 % entre 2018 et 2020, D’IVOIRE MALI GUINÉEALGÉRIE CAP-VERT BISSAU mais reste élevé sur NIGERIA GABON BURKINA FASO 6 TUNISIE le continent. Tout le 7,78 ÉGYPTE MAROC COMORES BÉNIN GHANA 4 monde n’est pas 2 TCHAD KENYA ÉTHIOPIE logé à la même 8,64 MADAGASCAR 0 SOUDAN enseigne : les RDC MAURICE RWANDA CAMEROUN différences restent 8 Afrique SOMALIE ZAMBIE très importantes, centrale BURUNDI MOZAMBIQUE Afrique OUGAND A CONGO ANGOLA même entre pays de l’Est 8,47 TANZANIE voisins. LESOTHO
GUINÉE ÉQUATORIALE
34,57
S
i la fracture numérique se réduit sur le continent, le coût de l’internet mobile reste élevé par rapport aux revenus. En 2020, le prix médian de 1 giga de données mobiles en Afrique s’élevait à plus de 5 dollars, contre près de 7 dollars en 2018, soit une baisse de 28 %, explique Alliance for Affordable Internet (A4AI) dans son dernier rapport. À titre de comparaison, il fallait compter 3,50 dollars pour un giga au sein de l’Union européenne en 2020. D’un pays à l’autre, les écarts de coûts demeurent très importants. Ainsi, en Guinée équatoriale, il fallait débourser en 2020 plus de 35 dollars pour obtenir 1 giga de données mobiles, soit, selon A4AI, le tarif le plus élevé du monde. Le pays
154
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
NAMIBIE
6,62
SOURCE : A4AI
AFRIQUE DU SUD
Afrique australe
est relié à trois câbles sous-marins de fibre optique, mais est pénalisé par une population peu nombreuse et le manque de concurrence. Les choses s’améliorent en RDC, mais il fallait encore payer 8 dollars pour 1 giga de données mobiles en 2020 (10,70 dollars l’année précédente, soit une baisse de 25 %), addition salée due notamment à la difficulté d’installer et d’entretenir des réseaux dans des régions reculées et pauvres. À l’inverse, parmi les pays africains où le prix de l’internet mobile est le plus faible, on retrouve le Soudan, l’Égypte et le Maroc. Dans le royaume chérifien, le prix du giga est passé de 5 dollars en 2019 à 2 dollars en 2020, résultat de la stratégie Maroc Digital 2020, centrée
sur la réduction de la fracture numérique. 8,06 Pour les Nations unies, l’accès à internet est abordable lorsque le coût de 1 giga est inférieur à 2 % du revenu mensuel brut. Or, sur le continent, ce ratio est de 5,7 %, contre 2,7 % en Amérique du Sud et 1,6 % en zone Asie-Pacifique. « Seulement 14 des 48 pays africains participant au classement ont un accès à internet abordable », estime l’A4AI. En Centrafrique, 1 giga représentait 24,4 % du revenu mensuel moyen en 2020, en RDC, 20,6 %. En revanche, il équivalait à seulement 0,5 % du revenu mensuel à Maurice, 0,8 % en Algérie et 1,3 % au Gabon. Solène Benhaddou, Christophe Le Bec BOTSWANA
LIBYE
11,38
Un environnement propice à l’innovation Une économie diversifiée Un hub régional en transports et logistique Des infrastructures et services aux standards internationaux De nouvelles offres touristiques
Un port d’attache pour les investisseurs
© V. FOURNIER pour J.A. - Droits réservés
Au carrefour de l’Afrique, du monde arabe et de l’Asie
DOSSIER TÉLÉCOMS
RD CONGO
Au cœur de la bataille pour la fibre optique À la faveur d’une relative accalmie politique à Kinshasa, des installateurs d’infrastructures, comme Benya Capital ou Liquid Intelligent Technologies, se lancent dans la course au câblage du deuxième plus grand pays d’Afrique. QUENTIN VELLUET
N
ous sommes une place to be, comme diraient les Anglais. » Après deux années d’incertitudes politiques liées à la collaboration laborieuse entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, puis à la quête de l’Union sacrée de l’actuel président de la République, Augustin Kibassa Maliba ne cache ni son soulagement ni sa détermination. À 49 ans, le ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de RDC peut enfin entamer l’une des missions qu’on lui a confiées le 26 août 2019 : attirer des investisseurs capables de câbler rapidement son pays, décrié pour son environnement incertain des affaires, sa topographie difficile et la faiblesse de son internet mobile. La RDC fait effectivement partie des pays africains les moins équipés en infrastructures de réseau. La faible densité de son maillage a des conséquences importantes à l’apparition de la moindre panne. La dernière en date est intervenue à la mi-juillet, à la suite d’une coupure sur une ligne de fibre optique terrestre connectant Muanda, sur la côte Atlantique, à la capitale, Kinshasa (environ 360 km à vol d’oiseau). L’incident a causé un net ralentissement du trafic au cours de l’après-midi du 16 juillet pour des millions d’abonnés d’Orange et de Vodacom.
156
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
BENYA
«
Le DG de la Société congolaise des postes et télécommunications, Didier Musete Lekan (à g.), avec Ahmed Mekky, patron de l’équipementier Benya Capital, le 28 juin 2021, au Caire.
Doté, en matière numérique, d’un cadre réglementaire très ancien – le texte le plus récent date de 1987 –, le deuxième plus vaste pays du continent, qui, par sa localisation, pourrait devenir un carrefour d’interconnexion pour l’Afrique, enregistre paradoxalement une faible pénétration de l’internet mobile, de 25 % (+ 5 points en quatre ans). Publiée en 2017, la dernière édition de l’indice de développement des technologies de l’information et de la communication de l’Union internationale des télécoms (UIT) plaçait la RDC au 171e rang sur 175 États en matière d’équipement. Du fait de ces lacunes, le coût de la donnée mobile est élevé. Qu’ils vivent
à Kinshasa, Goma, Lubumbashi ou dans des zones bien moins couvertes, les utilisateurs congolais doivent débourser en moyenne 8 dollars pour s’offrir un gigaoctet de data (voir p. 154). Figurant au nombre des pays africains où le coût de la donnée est le plus élevé, la RDC fait là encore figure de mauvais élève.
Rattraper le retard technologique « Il faut reconnaître que nous avons pris du retard, ce n’est pas une honte », confesse Augustin Kibassa Maliba. Ce natif du Katanga, au fait des objectifs définis par le Plan national du numérique publié en septembre 2019, estime que son pays a besoin d’au moins 50 000 km
DOSSIER TÉLÉCOMS À son tour, la société britannique LMS Holdings a signé, à la fin de juillet, un contrat dit build, operate, transfer avec la SCPT. Il prévoit la construction et la gestion d’un câble de 640 km reliant Kasindi à Bukavu, puis un transfert de compétences, la rénovation des équipements de la station d’atterrissement du câble West Africa Cable System (Wacs), à Muanda, ainsi qu’une meilleure informatisation de l’entreprise publique. Le contrat est estimé à 35 millions de dollars. « L’idée est de stimuler les investissements privés, mais aussi les partenariats publicprivé », commente Augustin Kibassa Maliba. L’ensemble de ces projets booste la confiance des investisseurs étrangers. IFC et deux sociétés de capital-investissement, Adenia Partners et African Infrastructure Investment Managers (AIIM), ont injecté 130 millions de dollars dans Eastcastle Infrastructure, un gestionnaire de tours de télécoms qui prévoit d’en implanter de nouvelles en RDC.
Confiance des investisseurs Quelques jours plus tard, Facebook et Liquid Intelligent Technologies (ex-Liquid Telecom) – qui dispose déjà de 2 500 km de fibre dans le pays – ont annoncé un partenariat pour la construction et l’exploitation d’un câble parcourant 2 000 km, à vol d’oiseau, du centre du pays au point d’atterrissement du câble 2Africa, à Muanda. Le groupe, contrôlé par le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa, avait annoncé quelques mois plus tôt un autre projet conçu avec Orange, qui prévoit, lui, un câble de 4000 km entre la ville de Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga, et Inga, dans le Bas-Congo. Le coût de l’opération est estimé à 20 millions de dollars.
158
La RDC veut couvrir 50 % à 70 % de son territoire d’ici à trois ans.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
De son côté, Africell, quatrième opérateur du pays, a bien l’intention d’investir une part des 205 millions de dollars qu’il est parvenu à lever auprès de la coopération américaine et de plusieurs banques dans l’extension
Ces dernières semaines, les annonces concernant la signature de projets de pose de fibre optique ont commencé à pleuvoir. de son réseau et le développement de nouveaux services dans le pays. « Notre objectif est de couvrir 50 % à 70 % du territoire d’ici à trois ans », assure le ministre. Cet ambitieux engagement dépendra beaucoup de la façon dont les pouvoirs publics encadreront et accompagneront ces projets. Si le secteur privé se structure avec le soutien des institutions concernées, il faut encore que l’administration se coordonne afin de définir une gouvernance claire. Pour l’instant, difficile de distinguer les prérogatives respectives d’Augustin Kibassa Maliba et de Désiré Cashmir Eberande Kolonge, le nouveau ministre du Numérique. « Des projets plutôt transversaux sont déjà attribués à mon collègue, indique le ministre des Télécoms, mais nous attendons encore l’ordonnance d’attribution des missions pour chaque ministère », indique-t-il à Jeune Afrique. Une troisième personne est censée intervenir dans les TIC : Dominique Migisha, conseiller spécial du chef de l’État chargé du Numérique. Créé en mars 2019, ce poste semble néanmoins être plus stratégique qu’opérationnel, autour de la définition du plan national du numérique. VINCENT FOURNIER/JA
de fibre optique pour rattraper son retard technologique. Il n’hésite donc pas à revêtir un costume de VRP en télécoms afin d’attirer les investisseurs. À la mi-juin, il s’est rendu à Paris sur le stand de la délégation congolaise au salon Vivatech. Quelques semaines plus tard, il découvrait le Mobile World Congress de Barcelone, raout mondial des télécoms, où il a pu observer les stands de Huawei et d’Orange et échanger avec ses homologues du continent sur la nécessaire harmonisation des différents cadres juridiques. À Kinshasa, le travail porte ses fruits. Ces dernières semaines, les annonces concernant la signature de projets de pose de fibre optique ont commencé à pleuvoir. Le 28 juin, l’équipementier égyptien Benya Capital a ouvert le bal en signant un contrat avec la Société congolaise des postes et télécommunications (SCPT) – opérateur historique et gestionnaire des infrastructures de télécoms du pays – pour la pose et l’exploitation de 16 000 kilomètres de fibre optique.
CULTURE
À Jeune Afrique, à Paris, le 19 octobre 2010.
160
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
MÉMOIRES
Autoportrait à l’encre verte Les souvenirs de Béchir Ben Yahmed sortent le 3 novembre aux Éditions du Rocher, sous le titre J’assume. Ils retracent une foisonnante épopée, qui vit coïncider la vie d’un homme, la réussite d’une entreprise et l’émergence d’un continent. FRANÇOIS SOUDAN
par un jeune historien, l’universitaire François Robinet, puis par l’une de ses proches collaboratrices, elle-même écrivaine et journaliste à Jeune Afrique, Joséphine Dedet. Danielle, son épouse, se chargea du cahier photos. Le manuscrit venait à peine d’être remis aux Éditions du Rocher, dont le patron, Bruno Nougayrède, avait manifesté un vif intérêt pour le projet, que la pandémie de Covid-19 frappa de plein fouet Béchir Ben Yahmed, emporté à l’aube de ses 94 ans. Restait à décider du titre. L’auteur lui-même hésitait entre « À l’encre verte », littéraire certes, mais réservé aux initiés (BBY n’a jamais cessé d’écrire avec une encre de cette couleur) et « J’assume », plus provocateur. C’est finalement ce dernier titre qui a été choisi. Un « J’assume » qui n’est ni une posture ni un moyen de clore le débat ou de se débarrasser d’une polémique, mais un « J’assume » de responsabilité. Cet Africain dans le siècle que fut Béchir Ben Yahmed, « grand témoin et haute conscience de l’ère postcoloniale », selon Emmanuel Macron, qui a rendu hommage à sa « lucidité clinique » et à sa « fraternité d’âme », raconte et se raconte dans ces passionnants Mémoires. En français courant, « J’assume » signifie « circulez, il n’y a rien à voir ». C’est ici tout le contraire: lisez, il y a tant à apprendre.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
BRUNO LÉVY POUR JA
S
ix mois jour pour jour après sa disparition, le 3 mai 2021, à Paris, Béchir Ben Yahmed nous livre à titre posthume ses Mémoires, tant attendus et longtemps espérés par tous ceux que la personnalité et le parcours exceptionnels du fondateur de Jeune Afrique fascinent, passionnent et intriguent à la fois. Le making of de cette foisonnante traversée du siècle qui vit, dans un singulier alignement de planètes, coïncider la vie d’un homme, la réussite d’une entreprise et l’émergence d’un continent, aura duré une décennie entière. Au départ réticent (« Ce qui est intéressant ce n’est pas ma personne, c’est Jeune Afrique »), puis convaincu par quelques proches, parmi lesquels Jean-Louis Gouraud et Renaud de Rochebrune, de la nécessité historique et pédagogique de l’exercice, BBY se prêta tout d’abord au jeu du livre-interview. Un tandem constitué par Philippe Gaillard (aujourd’hui décédé) et le journaliste marocain Hamid Barrada, et, plus tard, son beau-fils Zyad Limam (directeur d’Afrique Magazine) menèrent ces entretiens entre 2010 et 2016 avant que Béchir Ben Yahmed ne reprenne directement la main. Dans ce travail, qui consistait à la fois à compléter ces conversations inachevées tout en les enrichissant avec la masse considérable de ses archives personnelles, BBY fut assisté
161
CULTURE
BBY, le journalisme dans la peau V. FOURNIER/JA
Ponctués par les saisissants portraits de Bourguiba, Hassan II, Boumédiène, Houphouët, Hô Chi Minh, Nasser, Che Guevara…, ses souvenirs brassent près d’un siècle d’histoire de l’Afrique et du monde. PAR SOPHIE BESSIS
Journaliste et historienne franco-tunisienne, coauteure, avec Souhayr Belhassen, d'une biographie de référence sur Habib Bourguiba (éd. Elyzad, 2012), d’Histoire de la Tunisie de Carthage à nos jours (Tallandier, 2019) et de Je vous écris d’une autre rive, lettre à Hannah Arendt (éd. Elyzad, 2021).
162
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
panafricain, l’hebdomadaire Jeune Afrique. Cette passion pour son continent, et c’est par une déclaration d’amour que se termine cet ouvrage souvent empreint d’une forte charge émotionnelle que ne laissait guère paraître son auteur, il la doit peutêtre au lieu de sa naissance. L’île de Djerba, où il a vu le jour en 1928, est à la fois berbère et arabe, musulmane et juive,
ARCHIVES JEUNE AFRIQUE
ARCHIVES PERSONNELLES DE LA FAMILLE BEN YAHMED
C
et homme avait le journalisme dans la peau. Dans les Mémoires que Béchir Ben Yahmed nous a heureusement laissés en héritage, chaque chapitre est ciselé comme un article, concis et allant à l’essentiel, et pratiquement chacun d’eux peut se lire indépendamment de celui qui le précède ou le suit. Cependant, ces 500 pages ont la cohérence d’une vie passée au service de quelques causes et d’un journal, sa création, son enfant, qu’il a mené dans toutes les aventures de son époque et sauvé plus d’une fois des dangers qui le menaçaient. BBY, comme tout le monde l’appelait au journal, et son itinéraire sont un cas unique dans l’histoire de l’Afrique au XXe siècle. Voilà en effet un personnage, car il en était un, qui a pensé très tôt, très jeune, l’Afrique comme un tout et n’a cessé de vouloir jeter des ponts entre le nord et le sud du Sahara, que tant de commentateurs présentent comme une frontière infranchissable entre deux mondes que rien ne réunit. Lui, ce Tunisien issu d’une région et d’une culture où les populations noires souffrent toujours d’un racisme aux racines profondes, a cru en un continent dont il voulait contribuer à réunir les parties pour mener le double combat de la libération et du développement. Il a donné à cette conviction un outil résolument
En haut, Béchir Ben Yahmed (à g.) avec Mohamed Ben Smaïl, avec qui il fonda L’Action, en 1955, puis Afrique Action, en 1960. Ci-dessus, le collège Sadiki, à Tunis, où il étudia de 1939 à 1947, avant d’intégrer HEC, à Paris.
CULTURE
ARCHIVES JEUNE AFRIQUE
Au centre, avec Habib Bourguiba (à g.), peu après la signature de l’accord sur l’autonomie interne de la Tunisie, en 1955.
méditerranéenne et africaine, et Béchir Ben Yahmed a grandi au sein de cette pluralité où, si les relations entre populations de couleurs ou de confessions différentes n’étaient pas toujours idylliques, elles reflétaient un certain art de vivre ensemble que l’enfant devenu adulte a essayé sa vie durant de mettre concrètement en pratique. Djerba est une île désertique, splendide et pauvre, où l’agriculture incertaine ne nourrit guère ses habitants, qui excellent en revanche dans le commerce et ont essaimé dans tout le pays, et même à l’étranger, pour tenir des boutiques où l’on trouve de tout à l’heure que l’on veut. En arabe dialectal tunisien, djerbien et épicier sont quasiment synonymes, et le destin de tout Djerbien digne de ce nom est de faire de l’épicerie son métier. Gamin, Ben Yahmed en était convaincu, et c’est probablement de cette origine que lui est venu un sens des affaires qui ne s’est jamais démenti. Mais, pour lui, le destin en a décidé autrement, et, l’aisance financière de sa famille aidant, il a fait de belles études en France, la métropole d’alors, études commerciales quand même puisqu’il est diplômé de HEC.
Pages savoureuses Au début des années 1950, la lutte tunisienne de libération nationale entre dans sa phase finale, et la capitale française voit aller et venir
plusieurs de ses hauts responsables. Ben Yahmed avait déjà côtoyé au collège Sadiki quelques figures de ce combat. À Paris, il se met d’emblée au service de ses chefs. Et voilà ce jeune homme à peine entré en politique propulsé au sommet, devenant le chauffeur attitré et, par voie de conséquence, le confident de Bourguiba, qui le traite rapidement comme son fils. Cette période nous vaut quelques-unes des pages les plus savoureuses des Mémoires, dans lesquels pullulent les anecdotes
Tout laissait à penser que ce débutant talentueux, devenu ministre, ferait de la politique son métier. Mais il voit plus loin: c’est la presse qui l’attire. sur les dessous des négociations franco-tunisiennes d’autonomie puis d’indépendance et des portraits de leurs protagonistes qui sont autant de morceaux d’anthologie. Tout laissait à penser que ce débutant talentueux ferait de la politique son métier. D’autant que Bourguiba en fait son plus jeune ministre dans le premier gouvernement de la Tunisie indépendante et que Ben Yahmed
voue une admiration sans bornes au « Combattant suprême », devenu pour le meilleur un chef d’État moderniste et visionnaire. Et pour le pire? BBY est resté d’une certaine manière toute sa vie un « bourguibiste » déclaré. J’ai eu maintes fois l’occasion de le vérifier lors de nos longs échanges sur l’histoire contemporaine de la Tunisie. Mais il a rapidement compris la dimension autocratique de son mentor, qui se mue vite en président autoritaire, ne supportant ni critique ni contestation.
Oracle de la semaine Et puis, tout en aimant son pays et en aspirant à le servir, BBY voit plus loin. C’est le journalisme qui l’attire – une manière, en somme, de faire de la politique autrement. Jeune Afrique est créé en 1961, mais c’est dès 1955 qu’il s’est lancé dans l’aventure, avec L’Action d’abord, puis Afrique Action. Après quelques années romaines, l’hebdomadaire s’installe à Paris en 1964. Il devient dès lors le journal de référence de toute l’Afrique francophone, adulé, craint, décrié – souvent à tort et parfois à raison –, passionnément commenté par ses partisans comme par ses ennemis. Le « Ce que je crois » de son directeur, c’est ainsi que s’appelle l’éditorial, est attendu dans les capitales comme l’oracle de la semaine. JA est partout, suscite de folles admirations et des haines tenaces, mais tient debout. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
163
ARCHIVES JEUNE AFRIQUE
CULTURE
Avec Pham Van Dong, le Premier ministre vietnamien, à Hanoï, en avril 1967.
Mêlée au récit pudique des moments importants de sa vie personnelle, comme sa rencontre avec Danielle, qui deviendra sa femme, c’est cette saga que nous conte Ben Yahmed, ses moments de gloire et ses moments les plus difficiles, ceux où Jeune Afrique était au bord du gouffre. Au fil des pages, surtout, il explique le pourquoi des positions qu’il a prises et a fait prendre à son journal, et livre le récit de ses rencontres avec des personnages célèbres, de Che Guevara à Hô Chi Minh et tant d’autres. Il n’a pleuré qu’à la mort de trois d’entre eux : Farhat Hached, le leader syndicaliste tunisien assassiné en 1952 par l’équivalent de l’OAS en Tunisie, Patrice Lumumba, liquidé lui aussi par les services occidentaux et leurs supplétifs congolais, et Che Guevara, le révolutionnaire professionnel dont les services américains ont fini par avoir la tête. Trois hommes massacrés par des pouvoirs qu’ils mettaient en danger, trois héros aux yeux du directeur de Jeune Afrique, qui ne cesse tout au long de son livre de se présenter comme un homme de gauche. On peut trouver cela étrange de la part d’un patron intransigeant et parfois brutal, ce qu’il reconnaissait d’ailleurs volontiers, et d’un libéral en matière économique. Mais on peut le comprendre en se souvenant que la génération à laquelle il appartient a adhéré avec enthousiasme à la lutte anticoloniale, a vibré à l’anti-impérialisme,
164
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
et a voulu œuvrer à rendre au Tiers Monde sa dignité volée. Cela suffit, aux yeux de BBY, pour continuer à se dire de gauche, malgré tout.
Amis et adversaires Au-delà du plaidoyer pro domo, somme toute normal quand on entreprend de raconter sa vie et ses œuvres, sa plume nous fait revivre des épisodes centraux de l’histoire africaine depuis les années 1950. Selon ses affinités politiques, le lecteur sera d’accord ou non avec les analyses contenues dans l’ouvrage. Elles m’ont en tout cas rappelé quelques-unes des controverses
J’assume, de Béchir Ben Yahmed, Éditions du Rocher, 528 pages, 24,90 euros
que j’ai pu avoir avec leur auteur. Sur le président tunisien Ben Ali, entre autres, pour lequel BBY a une indulgence que j’ai toujours trouvée incompréhensible et qui lui a fait mal comprendre les ressorts profonds de l’insurrection de 2011. Sur l’Algérie aussi, dont il n’est pas parvenu à mesurer l’étendue du désastre où l’ont mené ses dirigeants. Nous en avions parlé, mais je n’avais pas réussi à le faire changer d’avis. À l’inverse, ses portraits au scalpel des dirigeants marocains, de l’opposant Mehdi Ben Barka assassiné en 1965 au roi Hassan II – auquel il était lié, si l’on peut dire, par une antipathie réciproque –, sont d’une juste cruauté. Il n’aime pas cette monarchie aux allures médiévales, même s’il a adopté sans faillir une position pro-marocaine sur le Sahara, ce qui a valu à Jeune Afrique une longue interdiction dans cette Algérie à laquelle il semble pardonner. En souvenir de sa lutte pour l’indépendance, que le journal a accompagnée pas à pas ? Peut-être. Après tout, des Mémoires sont un exercice qui autorise la subjectivité, et BBY n’hésite pas à en faire usage. Il a eu des amis et des adversaires. Des premiers, il parle avec tendresse et en trace des portraits d’une étonnante douceur quand on sait de quelle dureté il pouvait faire preuve. Ainsi de Serge Guetta ou de Jean Daniel, les compagnons de toujours, d’Alassane Ouattara, l’ami de longue date, et de quelques autres. La fidélité en amitié semble avoir été un de ses principes de vie. Il peut être injuste, aussi, en parlant de ceux par qui il estime avoir été trahi. BBY a toujours exigé qu’on lui soit loyal. Quelle vie ! se dit-on en refermant ce livre. Et bien des gens de ma génération doivent penser comme moi que, malgré les divergences, les ruptures parfois, nous avons eu la chance de partager une partie de l’aventure, elle en valait la peine. La disparition de Béchir Ben Yahmed signe aussi la fin d’une époque. D’autres défis et d’autres luttes attendent ceux et celles qui ont l’âge qu’il avait quand tout a commencé pour lui. À eux de prendre le monde à bras-le-corps pour essayer d’en changer le cours.
CULTURE
SURTITRE TITRE
Béchir le panafricain L’idée d’une unité du continent n’a pas survécu aux égoïsmes nationaux. Mais elle s’est incarnée dans un magazine, Jeune Afrique, né du rêve d’un seul homme.
PAR JEAN-LOUIS GOURAUD
Éditeur et écrivain, directeur de la rédaction de Jeune Afrique (1968-1974), membre du Conseil éditorial de La Revue. www.jeuneafrique.com NO 3105 – OCTOBRE
2021
PALMARÈS
MAROC Aziz le magnifique AFFAIRE SANKARA La fin de l’Histoire ?
LES
200
PREMIÈRES BANQUES AFRICAINES 32 PAGES
DEMAIN L’AFRIQUE DE L’OUEST Spécial 14 pages
D
e toutes les grandes et belles idées qui, dans les années 1960, ont agité les milieux intellectuels du Tiers Monde – les tiers-mondistes et les tiers-mondains –, il ne reste pas grand-chose. Non-alignement, négritude, panarabisme : toutes ces notions, lorsqu’on les évoque aujourd’hui, ne déclenchent plus que des petits sourires de commisération, parfois teintés de nostalgie. Quant à l’idée grandiose du panafricanisme, elle n’a pas survécu aux égoïsmes nationaux nés des indépendances ni à la volonté des roitelets locaux de conserver leur pouvoir. C’est bien connu : mieux vaut être numéro un chez soi que numéro deux ou trois dans un plus vaste ensemble. Aussi toutes les tentatives de rapprochement, de fusion ou, plus modestement, de fédéralisme ontelles avorté. Le dernier à avoir essayé quelque chose dans ce sens a été le mage libyen Mouammar Kadhafi, mais l’inconstance du personnage a fait que nul n’y a jamais vraiment cru, même si beaucoup ont fait semblant, pour en tirer quelque profit.
L’évocation d’une de ces lubies dont Kadhafi était coutumier me rappelle une anecdote. C’était dans les années 1990. J’avais rejoint à la terrasse d’une brasserie des ChampsÉlysées un des hommes les plus proches du leader libyen, mon ami Brahim Bshari, de passage à Paris. Il sirotait une vodka on the rocks, en compagnie d’un personnage pittoresque, Ahmed Kadhaf Eddam, cousin germain du colonel, qui préférait, quant à lui, le champagne.
Jolies filles Au moment de trinquer, ce dernier, tout en contemplant le va-et-vient incessant des jolies filles sur la plus belle avenue du monde, s’exclama en levant son verre : « À l’Unité du monde arabe… à condition que la capitale soit Paris ! » Ce n’était, bien sûr, qu’une plaisanterie, mais qui en disait long sur la crédibilité dont bénéficiaient les grands projets de Kadhafi auprès même de ses plus proches collaborateurs et amis. En ce qui concerne l’idée du panafricanisme, j’ai beau chercher, je n’en vois guère de trace de nos jours.
armée, Bédié, Soro, avenir, réconciliation, Gbagbo, Troisième mandat, de l’État ivoirien. exclusive du chef Guinée… Une interview
E - RD
M 01936 - 3105 - F: 7,90
« Je veux tran nouvelle le témoin à une génération »
:’HIKLTD=[U\^U^:?n@b@a@f@k"
O 3 1 05 JEUNE AFRIQUE N
TTARA ALASSANE OUAsme ttre
9 € • Belgique 9 € Algérie 420 DA • Allemagne 12,99 $CAN • Espagne 9 € Burundi 25 000 BIF • Canada € • Maroc 50 MAD 9 € • DOM 9 € • Italie 9 9€ France 7,90 € • Grèce Pays-Bas 9,20 € • Portugal Mauritanie 200 MRU • 15 CHF • Tunisie 8 TDN RD Congo 10 USD • Suisse 4 800 F CFA • ISSN 1950-1285 CFA TOM 1 000 XPF • Zone
AFRIQUE-FRANCE À Montpellier, Macron entend tourner la page
Née dans l’enthousiasme des indépendances, l’Organisation de l’unité africaine a eu beau changer de nom (pour devenir, sous l’impulsion du même Kadhafi, l’Union africaine), elle n’a pas fait la preuve au cours de sa longue histoire – un demi-siècle! – de la moindre efficacité ou, pis, de la moindre utilité. Non, vraiment non : l’idée panafricaine n’a pas connu le moindre commencement d’application, le moindre début de concrétisation.
À un âge où certains soignent leurs bobos, il s’employait à diversifier le groupe qu’il avait créé. Sauf, peut-être, sous la forme discrète d’une entreprise privée, qui est la réalisation du rêve d’un seul homme, Béchir Ben Yahmed. Cette entreprise, c’est Jeune Afrique. Énoncée comme cela, cette affirmation peut paraître exagérée, JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
165
ARCHIVES JEUNE AFRIQUE
AGOSTINO PACCIANI POUR JA
CULTURE
née du souci de flatter, ou aveuglée par l’amitié. Ce n’est pourtant pas le cas. J’ai, certes, beaucoup d’amitié et d’admiration pour Béchir Ben Yahmed (que tout le monde désigne sous ses initiales, BBY) mais ce n’est pas ce qui me motive ici. Né au tout début des années 1960, à la veille de (ou pendant) l’accession à l’indépendance des quelque cinquante nations qui composent le continent africain, Jeune Afrique est un journal qui, d’emblée, s’est voulu et proclamé panafricain. C’est-à-dire exprimant les sensibilités de tous les Africains, du Nord comme du Sud, blancs ou noirs, musulmans ou chrétiens (ou autre). Cela peut paraître aujourd’hui banal : un même journal, lu aussi bien à Alger qu’à Kinshasa, en Guinée équatoriale qu’à Madagascar. Mais, à l’époque, c’était une idée insolite, une étrangeté, un pari, tant était profond le fossé entre les deux Afrique, celle du Nord et celle du Sud : loin de créer un lien entre ces deux mondes, le Sahara constituait un mur infranchissable. Un mur qu’avec un certain culot, et un réel courage, Ben
166
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Yahmed, ressortissant d’un des plus petits pays du continent, la Tunisie, décida d’abattre, au moyen d’un simple journal. Béchir Ben Yahmed réussit à imposer son magazine aussi bien aux uns qu’aux autres, grâce, naturellement, à la justesse des causes défendues, à la qualité professionnelle du produit, mais aussi grâce à l’absence de concession à ce qu’il aurait été commercialement raisonnable de faire.
Obstination Je suis bien placé pour en témoigner : j’ai été directeur de la rédaction de Jeune Afrique de 1968 à 1974. Plusieurs fois, nous avons tenté de convaincre BBY qu’il fallait diversifier le magazine en proposant une ou plusieurs couvertures par numéro, afin de mieux accrocher localement le lectorat. Avec un bel entêtement, une admirable obstination, Ben Yahmed s’y est (de mon temps du moins) toujours opposé. Un seul et même journal, une seule et même couverture pour tout un continent : c’était son option, sa conviction, sa contribution
REA
AGOSTINO PACCIANI POUR JA
De haut en bas, et de g. à dr., BBY avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor (1979), avec le Centrafricain François Bozizé (2003), avec le Comorien Assoumani Azali (2003) et avec l’Ivoirien Alassane Ouattara (2011).
à la création sinon d’une identité panafricaine, du moins d’une solidarité entre les peuples qui composent la mosaïque continentale. Un demi-siècle plus tard, bien obligé de constater que c’est lui qui avait raison. Toutes les tentatives de concurrencer Jeune Afrique en régionalisant ou « tribalisant » la presse ont échoué. Jeune Afrique reste aujourd’hui la voix unique de l’Afrique, de toute l’Afrique. L’obstacle de la langue a été contourné par le lancement de publications sœurs en langue anglaise. De toutes les qualités de Béchir Ben Yahmed – l’intelligence, le talent, le sens des affaires, le courage : la liste est longue, aussi longue que serait long l’énoncé de ses défauts –, celle qui me paraît la plus remarquable, comme la plus redoutable, était, je l’ai dit, son obstination. À un âge où la plupart des gens raisonnables lèvent le pied, se consacrent à soigner leurs bobos ou à évoquer avec nostalgie une époque où tout allait mieux qu’aujourd’hui, Béchir Ben Yahmed persistait, s’entêtait, s’acharnait à diversifier le groupe qu’il avait créé, à lui greffer des filiales, des succursales, des compléments ou des annexes : édition de livres, production audiovisuelle ou sa dernière invention – une belle et grande revue dont le sous-titre exprimait bien l’ambition qui a été aussi le constant souci de son fondateur : l’intelligence du monde.
A PARAÎTRE EN LIBRAIRIE
LE 3 NOVEMBRE 2021 ISBN : 978-2-268-106 18-2 éditions du
rocher
CULTURE
LITTÉRATURE
Abdulrazak Gurnah, Nobel sans frontières Le style de ce Tanzanien de 73 ans, natif de Zanzibar et peu connu du grand public, a séduit la prestigieuse Académie suédoise. Au cœur de son œuvre : le sort des réfugiés et les ravages du colonialisme.
EPA-EFE/NEIL HALL/MAX PPP
NICOLAS MICHEL
À Londres, le 8 octobre.
I
l existe plusieurs manières de présenter le romancier Abdulrazak Gurnah, selon le point de vue d’où l’on se place. Ainsi, on peut dire qu’il est le second romancier noir d’origine africaine à recevoir le prix Nobel de littérature, après le Nigérian Wole Soyinka, en 1986. Mais on peut également dire qu’il est le cinquième auteur africain
168
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
à recevoir cette récompense internationale, après Wole Soyinka, Naguib Mahfouz (Égypte, 1988), Nadine Gordimer (Afrique du Sud, 1991) et J.M. Coetzee (Afrique du Sud, 2003). Cela n’empêchera pas pour autant les journaux yéménites de revendiquer quelques miettes de gloire : « Gurnah a grandi en Tanzanie et a fait ses études au Royaume-Uni
après y avoir trouvé refuge à la fin des années 1960, écrit Aden Time. Mais il est hadrami par ses deux parents. » Entendez : la maison de famille du Prix Nobel se trouverait à Al-Dis Al-Charqiya, une ville de la province du Hadramaout, au Yémen. Quant aux Britanniques, ils voient en lui la seconde célébrité de leur pays à être née en Tanzanie, et plus
Photos : Bendskins © Les Films d’Ébène - Bessie Coleman, première aviatrice noire © Les Films d’un Jour / STM Wéo la télé Hauts-de-France / Pictanovo - Kenda © Stéphane Mendonça / Trace - Les maternelles d’Afrique © Stéphane Kone - Platine Africa © Artibella et 2C Production / TV5MONDE - Voyage de rêve © Go Productions / Sky Prod / TV5MONDE
La plateforme VOD francophone mondiale
EN NOVEMBRE
Spécial Afrique Le meilleur des programmes africains est sur TV5MONDEplus. SÉRIE
TV5MONDE
Côte d’ivoire France-Guadeloupe
MAGAZINE
TV5MONDE
Togo / France
DOCUMENTAIRE
TV5MONDE France
DIVERTISSEMENT
TV5MONDE France
CINÉMA
De Narcisse Wandji Cameroun
JEUNESSE
TV5MONDE
Côte d’ivoire / France
SCANNEZ-MOI !
tv5mondeplus.com Partout. Tout le temps. Gratuitement.
CULTURE précisément à Zanzibar. La première n’étant autre que le chanteur Farrokh Bulsara, connu sous le nom de scène de Freddie Mercury ! Bien sûr, tous ont raison, mais définir Abdulrazak Gurnah par rapport à ses origines géographiques serait commettre une lourde erreur. Né à Zanzibar en 1948, l’écrivain a en effet passé sa vie, depuis son premier roman, Memory of Departure (1987), à travailler sur la question du déracinement, de l’exil, de l’appartenance à un lieu ou à une société. Si l’on voulait résumer sa démarche de manière abrupte, l’on pourrait dire que Gurnah écrit sur – et pour – les réfugiés de toutes origines. L’Académie suédoise ne s’y est pas trompée en le distinguant pour « son analyse pénétrante et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés, écartelés entre cultures et continents ». Auteur de dix romans écrits en anglais, cet homme discret n’a cessé de raconter les histoires de ceux qui, en général, se voient ignorés par les livres d’histoire ou renvoyés à la masse indistincte de leur grand nombre. Des réfugiés, des étudiants, des soldats indigènes des armées coloniales connus sous le nom d’askari, des petits commerçants, des employés de maison, que beaucoup préfèrent ne pas voir, mais qui ont, malgré tout, une existence pleine et entière. Que ce soit avec By the Sea (2001) ou avec The Last Gift (2011), Gurnah s’intéresse aux réfugiés qui essaient de reconstruire leur vie au RoyaumeUni. Que laissent-ils derrière eux ? Que gardent-ils ? Que reçoivent-ils de la société qui les accueille, bon gré mal gré ?
« Terreur vindicative » Gurnah sait de quoi il parle, bien entendu, puisqu’il a été contraint de fuir Zanzibar. Élevé dans la religion musulmane, il grandit sur cette île alors sous protectorat britannique. Après l’indépendance, accordée le 10 décembre 1963, une violente révolution frappe l’archipel, entraînant massacres et pillages, notamment à l’encontre des commerçants arabes et indiens. « Des milliers de personnes furent massacrées, des centaines
170
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
furent emprisonnées, et des communautés entières furent expulsées, écrit Gurnah. Avec les tourments et les persécutions qui suivirent, une terreur vindicative s’abattit sur nos vies. » En compagnie de son frère, Gurnah trouve le moyen de fuir vers l’Angleterre à la fin des années 1960. Il y devient enseignant à l’université du Kent, spécialiste des lettres anglaises et des études postcoloniales. « L’écriture est née de la situation dans laquelle je me trouvais, a-t-il confié au Guardian, c’està-dire la pauvreté, le mal du pays, l’absence de qualification, d’éducation. Quand vous êtes dans cet état de misère, vous commencez à coucher les choses par écrit. Je ne me suis pas dit : “Tiens, je vais écrire un roman”. »
« L’écriture est née de la situation dans laquelle je me trouvais : la pauvreté, le mal du pays, l’absence de qualification et d’éducation… »
Aujourd’hui à la retraite et installé à Canterbury, l’essayiste et romancier savoure une consécration qui fut longue à venir et se demande ce qu’il fera des 840 000 livres sterling [995 000 euros] que représente le prix. Son éditrice, Alexandra Pringle, se réjouit qu’une certaine injustice soit enfin réparée : « C’est l’un des plus grands écrivains africains vivants, et personne n’avait vraiment prêté attention à lui. Ça me tuait ! » a-t-elle déclaré au Guardian. En France, seuls trois des romans de Gurnah ont été traduits (Paradise, Près de la mer, Adieu Zanzibar) et ils ne sont, pour l’heure, plus disponibles à la vente. Un manque d’attention à une cause qui fait pourtant souvent la une des journaux ? C’est possible. Raison de plus pour en faire des romans. Au Guardian,
encore, Gurnah déclarait : « Le sujet des déplacements [de populations] est la grande affaire de notre époque, celle de ces gens qui doivent reconstruire et refaire leur vie loin de l’endroit où ils sont nés. Et il existe plusieurs dimensions à ce problème. De quoi se souviennent-ils ? Comment vivent-ils avec ce dont ils se souviennent? Comment vivent-ils avec ce qu’ils trouvent ? Ou, en effet, comment sont-ils reçus ? »
Lois mesquines Lui-même se souvient d’avoir été victime, à son arrivée, d’un racisme direct, sans fard. Si les choses semblent s’être améliorées de ce point de vue – le langage s’est policé –, le rapport aux migrants reste violent. « Nous avons de nouvelles lois portant sur la détention des réfugiés et des demandeurs d’asile qui sont si mesquines qu’elles me paraissent criminelles », dit-il. Au cœur de son œuvre, il y a aussi la question coloniale. Dans son deuxième roman, Paradise (1994), qui se déroule juste avant la Seconde Guerre mondiale et raconte notamment comment les troupes allemandes enrôlaient des Africains de force. Dans son dernier roman, Afterlives (2020), qui s’ouvre sur la rébellion des Maï-Maï (1905-1907) contre la domination coloniale allemande et narre le destin de communautés cherchant à survivre en dépit des règles imposées par les puissances occupantes successives. L’Allemagne exerça son autorité sur le Tanganyika jusqu’en 1919, puis les Britanniques s’emparèrent du pouvoir et le gardèrent jusqu’à l’indépendance, en 1964. Présenté ainsi, le nouveau Nobel a tout d’un écrivain engagé. Il ne faut pourtant pas le réduire à cette dimension. Si la fiction est pour lui un moyen d’informer, elle est aussi un moyen de raconter, de donner du plaisir et de rendre compte d’une expérience après tout universelle : d’une certaine manière, nous sommes tous des réfugiés ou des exilés. Gurnah, lui, n’est retourné à Zanzibar que dix-sept ans après son départ. Il était terrifié, il craignait sa réaction comme celle des autres. Mais tout s’est bien passé, tout le monde a été heureux de le revoir.
POUR TOUT COMPRENDRE DE L’ÉVOLUTION D’UN PAYS OU D’UNE VILLE
GRAND FORMAT ABIDJAN AMÉNAGEMENT p. 174 | POLITIQUE p. 194 | LOISIRS p. 206
RENAUD VANDERMEEREN/EDJ
Vue aérienne du quartier du Plateau.
Capitale 3.0 Métropole en mutation permanente, porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, la capitale économique ivoirienne n’en finit pas de s’étendre et de se redessiner. Portrait d’une ville qui veut grandir sans perdre son âme. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
171
Pour vous, BGFIBank Côte d’Ivoire fait de l’Excellence, une exigence.
Certification
Certification
Système de management de la qualité.
Sécurisation des données bancaires clients. Depuis 2019
ISO 9001:2015 Depuis 2018
Marcory, Boulevard Valery Giscard d’Estaing, Côte d’Ivoire Tél. : +225 27 21 56 91 56 - Eqc: +225 27 22 50 80 70 Fax: +225 27 21 26 82 80 E-mail Ecoute Qualité Clients : eqc@bgfigroupe.com
www.cotedivoire.groupebgfibank.com
PCI DSS
Notation financière
A+
Risque de solvabilité financière maitrisé. Depuis 2020
GRAND FORMAT ABIDJAN
Édito
Marwane Ben Yahmed
Demain, Abidjan
D
e toutes les villes d’Afrique de l’Ouest, Abidjan est sans doute la plus captivante. Elle le doit à sa nature, qui lui vaut le surnom de « perle des lagunes », mais surtout à son histoire, à son évolution désordonnée, à son cosmopolitisme, au dynamisme et à l’inventivité d’une population qui n’attend guère de l’État ce dont elle a besoin. Celle qui, à la fin du XIXe siècle, n’était qu’une épaisse forêt dont la presqu’île n’abritait que quelques hameaux de pêcheurs tchamans, puis un splendide mouillage à l’abri de la redoutable barre crainte de tous les navigateurs depuis plusieurs siècles est aujourd’hui le centre névralgique de cette partie francophone du continent.
Ville de bric et de broc Économiquement, cela ne fait aucun doute : avec son port en eau profonde, son aéroport international, sa gare ferroviaire, elle est l’une des principales portes d’entrée et de sortie en Afrique de l’Ouest. Mais, Abidjan, c’est surtout une ville de bric et de broc, une fourmilière composée de toutes les ethnies de Côte d’Ivoire, mais aussi d’habitants et de visiteurs venus du continent,
voire du reste de la planète. Abidjan, c’est le Plateau, petit Manhattan qui abrite le cœur du monde des affaires mais aussi une partie de l’administration, les quartiers résidentiels de Cocody ou Riviera, les populaires Adjamé, Abobo, Treichville ou Yopougon. La Zone 4, plus récente, où salariés et fêtards se croisent au petit matin. Abidjan, c’est le mythique hôtel Ivoire, symbole de l’euphorie des années Houphouët, quand la jeunesse dorée de l’époque se pressait sur la glace de sa patinoire, la seule d’Afrique, qui a aujourd’hui retrouvé son lustre après une complète rénovation. Ses embouteillages interminables, malgré la multiplication d’infrastructures routières, comme le pont Henri-Konan-Bédié. Ses maquis comme ses restaurants de luxe. Ses logements précaires construits à la va-vite comme ses
La capitale économique est confrontée à un défi majeur : se réinventer.
villas inouïes imaginées par des architectes de talent au mitan des années 1970. Son grand marché et ses centres commerciaux ultramodernes. Ses villages de pêcheurs, mais aussi son yacht-club ou ses havres pour ultrariches. Ses bars chics où le champagne coule à flots et ses vendeurs de gnamakoudji. Ses églises et ses mosquées. Abidjan est unique.
Du rêve et du pratique La capitale économique, comme tous les grands pôles urbains dans le monde, a fortiori en Afrique, où leur croissance démographique est exponentielle, est aujourd’hui confrontée à un défi majeur : se réinventer. Il ne s’agit plus de bricoler, de rénover ou de prévoir à courte vue. Ni même de glaner des mètres carrés ici ou là, hors de ses frontières actuelles, voire sur la lagune. 65 000 habitants en 1934, plus de 5 millions désormais. 11 millions si l’on inclut le chapelet de villes-satellites qui s’égrène de Dabou à Aboisso ou à Adzopé. Il faut de la place, évidemment, des logements, surtout, mais aussi des transports, de l’énergie, des infrastructures scolaires et sanitaires pour traiter les déchets ou nourrir la population, des espaces de loisirs, d’autres pour accueillir les voyageurs d’affaires et les touristes classiques. De la culture, aussi. De l’internet accessible (et fonctionnel). Du rêve et du pratique, en somme. En respectant l’âme d’une ville à nulle autre pareille, ce qui n’est pas le moindre des défis… JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
173
GRAND FORMAT ABIDJAN
AÏSSATOU DIALLO
I
ssa Diabaté, associé du cabinet d’architecture Koffi & Diabaté Group, est un amoureux de la ville d’Abidjan. Il partage sa passion lors de visites guidées dans les communes de la capitale économique ivoirienne. Le jeudi 30 septembre, depuis ses locaux à Cocody, qui allient modernité et économie d’énergie à travers des ouvertures laissant entrer la lumière naturelle dans les pièces, il a accordé une interview à Jeune Afrique. L’occasion pour lui d’évoquer la conservation du patrimoine et la nécessité de revenir à des techniques anciennes et plus durables. Jeune Afrique : Que reste-t-il de l’héritage architectural colonial dans la ville d’Abidjan ? Issa Diabaté : C’est principalement le choix même du site. Abidjan est un héritage de l’administration coloniale, qui a décidé de venir s’y installer après l’épidémie de fièvre jaune à Grand-Bassam. La ville a certainement été sélectionnée à cause de son élévation et de sa ventilation. Le Plateau, où l’administration était installée, a une situation géographique qui permettait de garder un œil sur les indigènes, qui, eux, habitaient à Treichville. Il y avait un système de pont-levis au nord du Plateau qui permettait d’éviter une insurrection. C’est à partir de là que s’est déployé le plan directeur d’Abidjan. Dans les années 1960, Félix Houphouët-Boigny a voulu tourner la page et a remplacé de nombreux édifices coloniaux par ce qui devait à l’époque projeter l’ensemble du pays dans la modernité. Nous avons moins de patrimoine architectural colonial qu’une ville comme Dakar, par exemple. Les photographies de la construction du palais de la présidence sont assez intéressantes. On y voit le palais du gouverneur en train d’être démantelé et la présidence en cours de construction sur les ruines de l’ancien bâtiment. C’est le même
174
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
La tour Postel 2001 (à g.), gratte-ciel de vingt-six étages haut de 105 m, et l’immeuble Caistab (104 m). Bâtis tous les deux dans les années 1980, ces buildings emblématiques de la ville ont longtemps abrité ministères et grandes administrations.
GRAND FORMAT ABIDJAN
PAYSAGE URBAIN
Issa Diabaté « Nous devons revaloriser une approche architecturale locale » Architecte
NABIL ZORKOT
Moins imprégnée de l’héritage colonial que d’autres villes d’Afrique de l’Ouest, Abidjan abrite quelques monuments ayant su marier les exigences de la modernisation avec les contraintes locales, notamment climatiques. Mais, pour l’architecte Issa Diabaté, il manque aujourd’hui un projet clair mêlant urbanisme et politique de développement.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
175
GRAND FORMAT ABIDJAN gabarit, la même taille, le même site, mais l’architecture est complètement différente. Cela illustre bien pour moi la volonté d’effacer l’époque coloniale afin d’entrer dans une époque qui nous est propre. La Pyramide du Plateau, construite par l’architecte Rinaldo Olivieri, est de nouveau la propriété du gouvernement ivoirien, après un bras de fer judiciaire. Si elle fait partie de l’image de la ville, son avenir est pourtant en danger. Comment la sauver ? La Pyramide, de par sa forme et sa typologie architecturale, c’est-à-dire brutaliste des années 1970, est vraiment emblématique de la skyline du Plateau. Lorsque l’on regarde les cartes postales de l’époque, c’est elle qui permet de savoir que l’on est à Abidjan. Au-delà de la Côte d’Ivoire, c’est un bâtiment dont on parle dans plusieurs ouvrages architecturaux, car elle reflète l’esprit de cette période. Mais ce bâtiment ne correspond pas à une logique contemporaine où l’on doit tout valoriser financièrement. Il y a très peu d’espace à l’intérieur et il n’y a donc pas une très forte rentabilité par rapport au foncier sur lequel il se trouve. Pour moi, ce bâtiment doit entrer dans le patrimoine de l’État afin d’être conservé. Pour cela, il faudrait y amener des fonctions d’intérêt public de type musée ou galerie, pour continuer à l’occuper, à l’entretenir et à le préserver. Malheureusement, au cours des dernières années, à part quelques actions de l’Unesco à Grand-Bassam et sur les mosquées, on ne voit pas beaucoup d’actions de l’État vis-àvis du patrimoine architectural. Si l’État n’a pas de vision sur son patrimoine, il est tout à fait capable d’imaginer que c’est un site à valoriser en matière de foncier, comme cela fut le cas pour beaucoup d’autres sites. Il pourrait donc être détruit pour reconstruire quelque chose de plus rentable à la place. Ce qui, pour moi, serait une catastrophe, car l’identité d’Abidjan est très marquée par la Pyramide. Pour vous, l’approche bioclimatique et la durabilité doivent être
176
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
au centre des préoccupations des architectes dans la conception d’un bâtiment… Prenons l’exemple de l’immeuble Caistab (Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles). Il fait partie d’un ensemble de bâtiments lancés dans les années 1970 et est l’une des premières tours du paysage abidjanais. Il est aussi l’une des rares tours construites suivant une approche bioclimatique. C’est un bâtiment avec des bardages en aluminium qui permettent de briser le soleil et d’éviter l’ensoleillement direct à l’intérieur des espaces vitrés. Ce sont des principes basiques d’architecture bioclimatiques qui permettent en même temps d’avoir une vue maximale sur la ville. Pour moi, c’est quelque chose qui résonne encore aujourd’hui par rapport à notre intérêt grandissant pour la revalorisation de systèmes
Abidjan est en pleine explosion démographique. Et il y a un énorme déficit de logements dans la ville.
simples qui font partie du vocabulaire architectural local. Lorsque l’on regarde nos espaces traditionnels et la façon dont on construit dans toute l’Afrique, on remarque que les typologies architecturales sont liées de façon étroite à l’environnement climatique. Dans le sud de la Côte d’Ivoire, on voit beaucoup de bâtiments avec des lattes de bois, ce qu’on appelle le bambou de raphia, tout simplement parce qu’elles permettent une ventilation traversante. On n’accumule donc pas l’humidité à l’intérieur des maisons, contrairement aux constructions en béton en ville. Quand on remonte vers des territoires un peu plus secs, on constate l’utilisation de la terre pour l’isolation thermique. Il est très important pour nous d’avoir une approche architecturale qui épouse
ces techniques, même si visuellement le résultat ressemble à des choses contemporaines. Mais on a le sentiment, à vous entendre, que ces principes étaient mieux respectés il y a quelques décennies ? Ce qu’on remarque concernant l’immeuble Caistab, c’est que ce sont des matériaux très durables qui ne se dégradent que très peu. À travers l’utilisation de petites pierres au sol et de petits carreaux fabriqués localement, il y avait une démarche d’expérimentation et de création avec les matériaux dont on disposait. Beaucoup d’éléments, comme les luminaires et les boiseries, ont été spécialement conçus pour le bâtiment. Aujourd’hui, lorsqu’on crée un bâtiment, on pense surtout à optimiser les coûts et on s’oriente vers des matériaux industriels. Il y a aussi une forme de paresse intellectuelle de la part des architectes, dans le sens où il est plus facile d’acheter du carrelage dans un catalogue plutôt que d’essayer de faire revivre une technique ancestrale qui demande beaucoup de recherche et d’expérimentation. Face à la multiplication des effondrements d’immeubles ces derniers mois, provoquant parfois des morts, le gouvernement a décidé qu’un cabinet d’architectes et un cabinet de contrôle devaient être associés à tous les chantiers. Qu’en pensez-vous ? Cela ne va pas changer grand-chose à la problématique. Abidjan est une ville en pleine explosion démographique, et il y a un énorme déficit de logements dans la ville. Elle se développe beaucoup plus rapidement qu’il y a quelques années, et l’État n’a pas les moyens de se déployer pour la maîtriser. Si 5 % des bâtiments qui sortent de terre passaient par la case « permis de construire », ce serait déjà beaucoup. Nous subissons encore les conséquences des programmes d’ajustement structurel des années 1980-1990, lorsque l’État a dû se désengager de grands projets de logements. Des quartiers comme la cité des Arts, le lycée technique,
GRAND FORMAT ABIDJAN la Riviera 1, la Riviera Golf, Koumassi, Port-Bouët, etc., qui avaient été créés avant cela, structurent encore la ville. Il y avait une vraie vision de l’État. Après le désengagement de ce dernier, c’est le privé, motivé par le profit avant tout, qui a pris le relais. La croissance démographique que nous connaissons ces dernières années n’a fait qu’accroître le phénomène. À quel niveau se situe le problème ? Est-il technique ? Urbanistique ? Pour moi, l’urbanisme que l’on déploie aujourd’hui dans nos villes n’est pas adapté aux situations que nous vivons. On voit apparaître également des quartiers plus ou moins
précaires qui vivent en autogestion, où il y a des problèmes d’assainissement, d’inondation, d’effondrement, d’électrification… Il y a toute cette énergie de développement qui existe, mais qui n’est pas canalisée par une vision. Dans notre démarche, en tant qu’architectes, et aussi de plus en plus chez la jeune génération, émerge le besoin de revenir à des échelles humaines. Cela passe aussi par l’apprentissage de l’urbanisme en revisitant le village. Dans un village, la centralité n’est jamais loin. Le chef connaît tous ses habitants, et ceux-ci le connaissent également. La gouvernance est plus directe. Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ? Notre cabinet travaille en ce moment sur divers projets avec le gouvernement béninois. Il s’agit notamment d’une cité administrative, d’une cité ministérielle,
178
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
JOANA CHOUMALI
Avec l’urbanisme, on est nourri par des disciplines comme la sociologie, la culture, la mobilité, le développement durable.
« L’idée, c’est de créer des cités dans lesquelles on puisse pratiquer nos activités dans un rayon de 3 km. »
d’un bâtiment pour le port et d’un programme de 20 000 logements sociaux et économiques. Les logements sont conçus sur un modèle de location-vente sur dix-sept ans, avec des prix abordables. L’État apporte le foncier et crée les voiries primaires, le reste est supporté par l’opération. Plus on avance dans notre carrière d’architecte, plus on est intéressé par l’urbanisme. Avec l’urbanisme, on est nourri par d’autres disciplines comme la sociologie, la culture, le
développement durable, la mobilité, etc. L’idée, c’est de créer des cités dans lesquelles on puisse pratiquer l’essentiel de nos activités à pied et à vélo dans un rayon de 3 km. On peut aussi intégrer la création d’énergie à échelle humaine. Pourquoi ne pas créer des champs solaires, par exemple, uniquement pour cet environnement ? Il est aussi possible de réfléchir à des solutions pour l’agriculture urbaine, la santé, l’éducation, etc. Et, après, rien n’empêche de déployer ce modèle à l’infini.
GRAND FORMAT ABIDJAN
DÉVELOPPEMENT
Bingerville en plein boom L’ancienne capitale de la Côte d’Ivoire (1900-1933) concentre depuis moins de dix ans une activité immobilière intense. Logements sociaux, économiques ou de haut standing foisonnent à la lisière d’Abidjan.
BAUDELAIRE MIEU
L
a forte congestion et la cherté des logements à Abidjan, la capitale économique, ont favorisé un boom immobilier dans ses banlieues. Bingerville, l’ancienne capitale, bénéficie de ce développement né de la croissance économique soutenue observée au cours des dix dernières années, laquelle a engendré l’émergence d’une classe moyenne qui saisit toutes sortes d’opportunités pour acquérir un logement décent. La proximité de cette cité, située à 30 km du centre-ville, en fait un endroit prisé par les promoteurs immobiliers et par les acquéreurs, au point qu’aujourd’hui Abidjan se confond avec Bingerville.
Signalisation et bitumage Toutes les forêts, toute la végétation ont disparu au profit des chantiers à ciel ouvert et de grands terrassements. « Avant, toute référence à Bingerville ramenait à l’hôpital psychiatrique implanté dans la ville. Aujourd’hui, tout a changé avec le développement de l’immobilier », explique un vétéran de cette ville. L’ouverture de l’hôpital Mère-Enfant de la première dame, Dominique Ouattara, a aussi rendu la cité encore plus attrayante. La ville, longtemps confinée autour de l’unique artère, l’avenue Nampé-Dioulo, qui la traversait de part en part, a connu des extensions dans des proportions grandioses. Le bitume cabossé d’autrefois a été remplacé, une « deux fois deux voies » a été construite, et
180
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
quelques rues secondaires ont été reprofilées et bitumées. Une signalisation des voies de la ville a été réalisée pour mieux guider les nouveaux venus. Mais les anciens repères demeurent, comme le carrefour Bandji ou la rue Poto-Poto. Ce n’est pas par hasard si le gouvernement a décidé de bâtir un tribunal de première instance, financé par la France à plus de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros), qui sera le troisième dans le district d’Abidjan après celui du Plateau et celui de Yopougon. Un centre d’observation des mineurs y est prévu.
Disponibilité foncière, projets de désenclavement, prix abordables des loyers ou des acquisitions, air pur… La disponibilité foncière, malgré quelques litiges, est une motivation supplémentaire. Plusieurs programmes de construction du gouvernement, d’abord annoncés comme des logements sociaux, se sont mués en programmes économiques, voire de haut standing, excluant une partie de la population à faibles revenus. Il s’agit souvent de productions en série de maisons pilotées par des opérateurs qui ont obtenu des contrats de l’État.
Et l’attractivité de Bingerville ne devrait pas se démentir au cours des prochaines années : le gouvernement prévoit plusieurs projets de désenclavement de cette zone, qui est une presqu’île. Un projet de pont est sur la table pour enjamber un bras de la lagune Ébrié et rejoindre Grand-Bassam. Cette infrastructure évitera aux riverains de traverser tout Abidjan pour se rendre à l’aéroport international Félix-HouphouëtBoigny. Un deuxième pont verra le jour pour relier Bingerville à Bonoua, sur la route d’Assinie. La cité balnéaire du Sud-Est est un haut lieu de villégiature, prisé tant par les grosses fortunes que par les cadres supérieurs.
Voie de contournement Le boom de l’immobilier est également favorisé par les prix abordables des loyers ou des acquisitions, dont les résultats sont observables dans des quartiers comme Eloka, AdjaméBingerville, Marina et Bregbo résidentiel. Les maisons y poussent à un rythme accéléré, parfois à la vitesse de l’éclair. Une voie de contournement d’Abidjan dénommée Y4, qui partira des abords de l’aéroport international, passera par plusieurs communes et à proximité de Bingerville. Cette infrastructure, lancée par le gouvernement en prélude à l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations de football en 2023, est financée en partie par la Banque mondiale. Les retombées de ce projet d’envergure bénéficieront
ISSAM ZEJLY POUR JA
GRAND FORMAT ABIDJAN
Vue aérienne des nouvelles zones d’habitation construites à Bingerville. CÔTE D’IVOIRE
à Bingerville, qui deviendra encore plus attractive. Car, à l’heure actuelle, et malgré tous les travaux d’infrastructures routières, la ville reste partiellement enclavée. Aux heures de pointe, les résidents vivent un calvaire pour atteindre Abidjan et passent parfois des heures dans les bouchons pour rallier la capitale économique. La ville continue d’ailleurs d’attiser les convoitises de groupes de BTP : actuellement, six promotions immobilières sur dix en cours dans le district d’Abidjan se trouvent à Bingerville. L’entreprise Opes Holding, fondée par l’homme d’affaires Siriki Sangaré, président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire (CNPC-CI), développe par exemple un projet de 15 000 logements. « Bingerville est une cité pour l’avenir. L’air est encore pur, et il n’y a pas d’industrie
polluante. Ce sera l’endroit où il faudra être au cours des prochaines années », confie-t-il. Cette explosion de l’immobilier n’a pourtant pas encore atteint les objectifs du gouvernement. À la fin de septembre, le Premier ministre, Patrick Achi, a rencontré les promoteurs immobiliers bénéficiaires des contrats de l’État pour la réalisation des logements, dans le but de faire avec eux un point à mi-parcours et surtout d’évoquer les difficultés du secteur.
« The place to be » Le développement de l’immobilier connaît en effet quelques failles. Malgré la multitude de programmes immobiliers dans le secteur, rien n’est prévu pour le moment concernant l’implantation de centres commerciaux qui éviteraient aux résidents de parcourir plusieurs kilomètres pour s’approvisionner. Des lieux de loisirs manquent aussi
BINGERVILLE ABIDJAN
aux acquéreurs. Issouf Doumbia, le maire de la ville, se veut pourtant confiant : « Bingerville ne sera plus comme avant. Ce sera the place to be. Des projets de construction de lieux de loisirs, de restauration et de tourisme sont en réflexion, tout le long de la lagune. » Selon le maire, toutes ces transformations permettront à ses concitoyens de ne plus se rendre à Abidjan que pour y travailler. Un vrai changement pour une ville longtemps considérée comme une simple cité-dortoir dont l’unique attrait était le parc botanique et ses nombreuses espèces florales. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
181
Performances publiques CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DES MINES, DU PÉTROLE ET DE L’ÉNERGIE
PRIORITÉ STRATÉGIQUE : MISE EN VALEUR DU POTENTIEL MINIER ET ÉNERGÉTIQUE DE LA CÔTE D’IVOIRE La Côte d’Ivoire dispose de ressources minières et énergétiques largement inexploitées. La stratégie du Gouvernement ivoirien consiste à exploiter ce potentiel afin de favoriser le développement économique et social dans une logique de respect de l’environnement. Cette stratégie affiche d’ores et déjà des résultats positifs. formations géologiques réputées riches en minéralisations aurifères. Les premières études réalisées depuis l’indépendance, notamment par la Société pour le Développement Minier de la Côte d’Ivoire (SODEMI), ont mis en évidence d’importants gisements : - de pierres fines et pierres précieuses (diamant brut) ; - de métaux précieux (or) ; - de métaux de base (manganèse, nickel, bauxite, colombo-tantalite, phosphate et ilménite etc.).
Potentiel minier de la Côte d’Ivoire
Entretien avec Monsieur Thomas Camara, Ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie
Substances Fer
Quel a été le chiffre d’affaires réalisé en 2020 par les sociétés minières en Côte d’Ivoire ? Le bilan du secteur minier à fin décembre 2020 fait ressortir que le chiffre d’affaires déclaré par l’ensemble des sociétés d’exploitation minière a atteint 988,793 milliards de FCFA, en hausse de 29,76% par rapport à 2019 (761,995 milliards de FCFA).
Nickel latéritique Bauxite
Le volume total des investissements réalisés en 2020 dans le secteur minier est estimé à 302,791 milliards de FCFA contre 136,346 milliards de FCFA en 2019 (+122,1 %).
Diamant
Quelle est l’évaluation globale du potentiel minier de la Côte d’Ivoire ? La Côte d’Ivoire dispose d’un important potentiel minier. Plus des deux tiers du territoire ivoirien sont couverts par des
Manganèse
Or Cuivre Nickel Tantalite
Localisations
Ressources estimées Monts Klayo-Tia, Plus de 4 milliards Gao, Monogaga de tonnes Sipilou, Plus de 260 millions Foungbesso de tonnes Plus de 1,2 milliard Divo, Bénéné et Toumodi de tonnes Plus de 12 millions Bondoukou, de tonnes Lauzoua, Zemougoula Bobi et Tortiya Plus de 11 millions de carats Nord, Centre, Plus de 600 tonnes Ouest, Sud-Est Ouest Plus de 50 millions de tonnes Issia Plus de 145 tonnes
Évacuateur de crues du barrage hydroélectrique de Soubré.
La mine d’or d’Ity (département de Zouan - Hounien).
À la suite des récentes découvertes de réserves de pétrole aux larges de ses côtes, la Côte d’Ivoire peut-elle prétendre intégrer le club des pays pétroliers africains ? C’est ce à quoi nous aspirons et nous travaillons. Pour l’heure, la Côte d’Ivoire est un producteur modeste de pétrole brut et de gaz naturel. Avec la récente découverte de la major ENI, estimée, en termes de ressources en place, à environ 1,5 milliard de barils de pétrole brut et à environ 2 000 milliards de pieds cubes de gaz naturel, nous espérons augmenter substantiellement notre production pétrolière et gazière.
Comment peut-on expliquer le succès de la couverture électrique en Côte d’Ivoire ? Le succès de la couverture électrique repose sur deux importants programmes qui ont contribué à l’amélioration de la couverture et de l’accès à l’électricité depuis 2014 : - PRONER (Programme nationale d’électrification rurale) s’est fixé pour objectif d’électrifier toutes les localités de plus 500 habitants par le réseau conventionnel et le reste des localités par mini-réseau hybride. Ainsi, le taux de couverture est passé de 38,55% en 2014 à 79,6% en 2020. - PEPT (Programme Électricité pour tous) quant à lui envisageait de connecter les ménages à faibles revenus sans frais de connexion. Ces frais sont étalés sur la facture du client pendant une période de 10 ans. Le nombre d’abonnés (ménages) est passé de 1,165 million en 2014 à 2,692 millions en 2020, et le taux d’accès de 78 % à 98 %.
Comment encouragez-vous concrètement l’exploration et le développement du secteur des hydrocarbures ? Le Gouvernement ivoirien, depuis l’accession de S.E.M Alassane OUATTARA à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire, a œuvré pour améliorer de façon très significative le climat général des affaires. Dans le secteur des hydrocarbures, le pays s’est doté, dès 2012, d’un contrat-type de partage de production beaucoup plus compétitif. Aussi, des campagnes de promotion pétrolière lors d’évènements internationaux sontelles régulièrement organisées, ce qui a permis, entre autres, la signature de plusieurs contrats avec des majors pétroliers tels que TotalEnergies et ENI.
Le Ministre Thomas Camara, Ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie en visite de chantier du projet de construction du nouveau pipeline de gaz naturel.
Quelle est la stratégie de la Côte d’Ivoire en matière d’énergies renouvelables ? Lors de la COP21, la Côte d’Ivoire a pris l’engagement de porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique à 42 % d’ici 2030. Les efforts en matière de planification ont permis d’abandonner l’option charbon (700 MW), fortement émettrice de gaz à effet de serre, au profit du gaz naturel. Cette planification permettra de respecter les engagements annoncés avec la mise en service, d’ici 2030, d’une capacité de 490 MW de solaire et de 311 MW de biomasse, inexistante à ce jour dans le bouquet énergétique de la Côte d’Ivoire. Afin de continuer à jouer son rôle de locomotive de la sousrégion en matière d’énergie, l’interconnexion des réseaux avec le Mali, le Burkina, la boucle Ouest (CLSG) et Est (VRA + CEB) permettra d’asseoir à la longue un marché sous régional de l’électricité, dont les industries pourront tirer pleinement profit pour le rayonnement économique de la Côte d’Ivoire et de sa sous-région.
www.energie.gouv.ci
JAMG - © Droits réservés
COMMUNIQUÉ
GRAND FORMAT ABIDJAN
AMÉNAGEMENT
Une transformation capitale Vitrine et souvent porte d’entrée du pays, Abidjan fourmille de grands projets. On pense bien sûr au quatrième pont et au métro, mais la lagune et le port font aussi l’objet de toutes les attentions, tandis qu’un nouveau quartier d’affaires est à l’étude.
ISSOUF SANOGO/AFP
BAUDELAIRE MIEU
184
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
GRAND FORMAT ABIDJAN
L
a Côte d’Ivoire tout entière est toujours en chantier, et la capitale économique, Abidjan, porte d’entrée et vitrine du pays, bénéficie de grands projets de développement. Le gouvernement du Premier ministre, Patrick Achi, a validé le nouveau Plan national de développement (PND) pour la période 2021-2025. Ce programme ambitieux prévoit des investissements de plus de 59 000 milliards de F CFA (90 millions d’euros) qui amorceront le changement structurel du pays. Il reprend les différents projets qui n’ont pas été réalisés lors
Des techniciens chinois et ivoiriens à pied d’œuvre sur le nouveau terminal à conteneurs du port, le 27 mars 2019.
des deux précédents quinquennats. L’achèvement du PND favorisera une reprise forte de la croissance à 8 % pour la période 2021-2025. À Abidjan, le port, cœur névralgique de l’économie nationale, est en chantier. Plusieurs projets d’envergure sont en cours de réalisation pour doter la ville d’infrastructures modernes.
Élargissement du canal de Vridi La plateforme portuaire d’Abidjan est en travaux. Plusieurs grands projets, nés d’un ambitieux plan d’investissement datant de 2012, sont en cours de réalisation. L’un des défis de Hien Sié, le directeur général du port, est de rendre ce dernier attractif et compétitif. Le manque d’investissements, durant plus de vingt ans, a favorisé le rattrapage du port par ses concurrents. « Nous accélérons les investissements. Notre problème est surtout la congestion du port. Le boulevard qui le traverse est aujourd’hui saturé. Il a été construit dans les années 1960, quand le port réalisait un trafic de 4 millions de tonnes », explique Hien Sié. La compétitivité du port demeure un problème. La congestion de cette plateforme logistique a un impact sur ses performances. Pour lever tous ces obstacles, Abidjan intensifie les projets et veut demeurer le principal port du golfe de Guinée, malgré les investissements accrus dans les sites concurrents de Tema, au Ghana, Lomé, au Togo, ou Kribi, au Cameroun. Ce vaste plan prévoyait, entre autres, l’élargissement et l’approfondissement du canal de Vridi, la principale voie d’entrée, pour permettre l’accès de grands navires marchands. Cette infrastructure, financée à plus de 150 milliards de F CFA, a été réalisée et livrée en février 2019. La fin des travaux du terminal à conteneurs 2 est prévue pour juillet 2022. Ce joyau logistique de plus de 727 milliards de F CFA permettra à Abidjan de consolider sa place de hub sur la côte ouest-africaine, entre Tanger, au Maroc, et Durban, en Afrique du Sud. La capacité installée passera de 1,5 million d’EVP par an à 3 millions, encore loin de Tema et de ses 3,7 millions d’EVP. Le port poursuit sa stratégie de spécialisation de
ses quais, en vue de rendre fluides les activités et les opérations de manutention. Le chantier du terminal roulier, consacré aux importations et aux exportations en vrac, a été livré. D’autres projets, comme le quai céréalier, porté par les Japonais, sont en cours de réalisation. Pour juguler les engorgements, plusieurs remblaiements de la baie de Vridi ont été effectués afin de donner de la disponibilité en matière d’entrepôts de stockage et de favoriser l’implantation de nouvelles unités industrielles. Un terminal minéralier plus moderne est en chantier, et un projet de création d’une zone logistique est prévu dans la nouvelle zone industrielle PK24 d’Akoupé-Zeudji, dans le nord d’Abidjan, aux abords de l’autoroute, l’axe routier principal qui relie la ville à une grande partie du
À terme, les nouvelles infrastructures permettront au port de consolider sa place de hub sur la côte ouest-africaine. pays. Tous les investissements sont estimés à plus de 1 500 milliards de F CFA, supportés par l’État, le port et les banques. Malgré le retard accusé avant les investissements massifs, le port d’Abidjan demeure le numéro un dans la région, avec un trafic de 25 millions de tonnes de marchandises, suivi par Tema, avec plus de 20 millions. À terme, les nouvelles infrastructures marqueront le retour d’Abidjan dans le club des ports modernes et lui permettront de demeurer la locomotive de l’économie ivoirienne.
Indemnisations Ce projet phare du chef de l’État, Alassane Ouattara, depuis son premier mandat sera opérationnel au plus tard en 2025. C’est le vœu de l’actuel Premier ministre, Patrick Achi, qui a mobilisé toutes ses équipes pour lever les difficultés et avancer. Le gouvernement a entrepris JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
185
ISSOUF SANOGO/AFP
GRAND FORMAT ABIDJAN
Un ingénieur devant les turbines de la centrale thermique d’Azito, en septembre 2016.
d’accélérer le processus d’indemnisation. « Les indemnisations sont prêtes, nous ne pouvions pas faire déguerpir les emprises pendant l’année scolaire écoulée. Nous avons attendu les vacances pour lancer le processus », a expliqué Patrick Achi, qui a visité le tronçon de la ligne 1 en août dernier, en compagnie de certains membres du gouvernement, notamment les ministres Amadou Koné (Transports), Bruno Koné (Construction, Logement et Urbanisme) et Amadou Coulibaly (Communication, Médias et Francophonie). La Côte d’Ivoire a entrepris l’indemnisation des populations installées sur les emprises du parcours, et une opération de déguerpissement s’est ensuivie. Le consortium Société de transport abidjanais sur rail (Star), composé des français Bouygues Travaux Publics, Colas Rail, Alstom et Keolis, a créé une entreprise chargée des travaux, la Société ivoirienne de construction du métro d’Abidjan, qui s’active sur les
186
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
prémices du chantier. La ligne 1, qui reliera la commune d’Anyama, dans le nord d’Abidjan, à l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny, plus au sud-est, longue de 37,4 km, traversera les quartiers d’Abobo, d’Adjamé, du Plateau, de Treichville, de Marcory et de Koumassi. Le coût du projet est estimé à 1,36 milliard d’euros. Mais les retards accumulés devraient alourdir le budget. Après la signature de l’accord définitif, en 2019, les travaux n’ont pas pu démarrer. Le projet devait être mis en service avant la compétition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN)
Grâce à la matérialisation de ce projet vieux de trente ans, Abidjan sera la septième ville africaine à être dotée d’un réseau de métro.
2023 de football, dont la Côte d’Ivoire est l’organisatrice. La matérialisation de ce projet vieux de plus de trente ans fera d’Abidjan la septième ville du continent africain à être dotée de ce mode de transport interurbain. Cette infrastructure sera utilisée quotidiennement, selon les prévisions, par 540000 personnes dans le district d’Abidjan.
Électricité : fournir plus La dernière crise énergétique des mois de mars à juin a mis en lumière la fragilité et l’équilibre précaire du secteur de l’électricité. L’objectif du président Alassane Ouattara d’atteindre 4000 MW de capacité de production à l’horizon 2020, affiché dès son arrivée au pouvoir, en 2011, n’a pas été atteint. La capacité actuelle est de 2230 MW. Des projets d’extension des deux plus importantes centrales thermiques du pays sont en cours. La première, exploitée par le britannique Globeleq, augmentera sa puissance à plus de 253 MW sur son site de Yopougon
GRAND FORMAT ABIDJAN Azito. Et Ciprel V, du français Eranove, construira dans la région de Jacqueville une centrale d’une capacité installée de 390 MW. Ces deux projets d’extension, qui apporteront un surplus de plus de 650 MW à la production nationale, nécessiteront un investissement de plus de 500 milliards de F CFA, dont le financement est déjà bouclé. Sous pression, Thomas Camara, le ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, a visité les deux chantiers. « Ces centrales thermiques seront alimentées par du gaz naturel, explique-t-il. Il est important que nous nous assurions que, lorsque ces centrales seront sur le point de démarrer, le gaz soit disponible, prêt pour les alimenter. »
Le gouvernement veut faire de l’extension de la cité financière un symbole de l’excellente santé économique du pays. Un e t ro i s i è m e c e n t r a l e d e 372 MW est envisagée dans le district d’Abidjan, celle du groupe ivoirien Starenergie, en partenariat avec China Energy Engineering Corporation (CEEC). Le bouclage du financement est prévu pour 2022. La production d’électricité dans le district d’Abidjan et sur le territoire dépend fortement du secteur thermique, qui représente plus de 77,9 % (contre 22 % pour l’hydroélectricité, provenant de cinq barrages opérationnels). Le nouvel objectif du gouvernement est d’atteindre 6000 MW en 2030, avec l’ambition de devenir le hub énergétique de l’Afrique de l’Ouest.
Chère baie de Cocody Lancé en 2018, le projet de sauvegarde et de valorisation de la baie de Cocody fait partie des aménagements les plus coûteux d’Abidjan. Ce projet, né de la coopération ivoiro-marocaine, nécessitera plus de 346,9 milliards de F CFA, soit une contribution de l’État ivoirien à
188
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
hauteur de 158,6 milliards de F CFA, plus 188,3 milliards mobilisés auprès des bailleurs de fonds. La partie marocaine joue quant à elle le rôle de prestataire – le marocain Marchica Med et plusieurs entreprises internationales et locales travaillent sur le site –, payé par le gouvernement. Selon ses concepteurs, à la fin des travaux, cet endroit deviendra pour Abidjan l’équivalent de la tour Eiffel pour Paris, de Big Ben pour Londres ou de la statue de la Liberté pour New York. Ce projet devait être terminé pendant le deuxième quinquennat, mais de nombreux retards ont été enregistrés. Le modèle économique a également changé. L’État ivoirien a dû mobiliser des fonds auprès de plusieurs partenaires et de la Banque islamique de développement (BID). La première phase, portant sur le remblaiement des berges, le dragage complémentaire du fond de la lagune Ébrié et la réalisation de la plateforme de la future Marina, est sur le point d’être terminée. Les travaux en cours concernent à la fois la construction d’un échangeur, la réalisation d’une unité de triage de déchets solides ainsi que d’une station de traitement et de purification de l’eau de ruissellement. Cette étape permettra un meilleur écoulement des eaux, souvent ensablées – ce qui provoque inondations et congestion du trafic routier.
Marina et hôtels de luxe La construction d’un viaduc et d’un pont à haubans reliant le quartier de Cocody à celui du Plateau est programmée pour fluidifier la circulation. À terme, une marina verra le jour, avec un port de plaisance proposant des activités de loisirs, notamment des parcs d’aventure et des restaurants. Des hôtels de luxe sont prévus. Les concepteurs du projet ont imaginé dans la phase finale un circuit de transport lagunaire jusqu’à l’aéroport international d’Abidjan pour permettre aux voyageurs en transit de profiter de la baie. L’État ivoirien a pensé à concevoir un nouveau quartier d’affaires pour reloger certains grands services et directions. Ce projet comprend la construction d’un immeuble annexe adossé à la tour F des finances,
déjà existante. Dans le quartier du Plateau, la cité administrative et des affaires d’Abidjan, s’élèvera une infrastructure immobilière ultramoderne de 14 étages à partir de la fin de 2022, si les délais de livraison sont respectés. Financée à hauteur de 15 milliards de F CFA sur le budget de l’État, la nouvelle tour F des finances abritera 208 bureaux sur une superficie de 900 m2. L’ancienne tour, bâtie au cours des années 1970, sera liée à la nouvelle par une passerelle de 30 m. L’entreprise sélectionnée pour réaliser cet immeuble est le cabinet d’architecture Arq’Urbis Concept, dirigé par l’Ivoirien Jean-Paul Monin, bien connu dans le secteur. Moussa Sanogo, ministre du Budget et du Portefeuille de l’État, s’informe régulièrement de l’avancement du projet.
SIA KAMBOU/AFP
Des ouvriers sur le chantier de la future ligne de métro, en septembre 2019.
Cette extension de la cité financière a un double objectif pour le gouvernement, qui veut en faire un symbole de l’excellente santé économique du pays. La tour, futuriste, sera classée dans la catégorie des bâtiments dits intelligents, car elle sera dotée des dernières technologies dans le domaine.
Le plus grand pont du pays Le quatrième pont d’Abidjan, qui reliera à la fois le grand quartier dortoir et industriel de 2 millions d’habitants de Yopougon au Plateau et à la commune commerçante et marchande d’Adjamé, enregistre plusieurs mois de retard. L’ouvrage devait être livré à la fin de 2020, mais quelques difficultés sont apparues sur le chantier depuis le démarrage des travaux, en 2018.
Ce pont aura une longueur totale de 7,2 km et s’intégrera dans une architecture routière d’autoroutes urbaines. Il sera le plus grand de Côte d’Ivoire avec deux fois trois voies, des échangeurs et un viaduc surplombant la baie du Banco, une forêt luxuriante en pleine ville. Le coût est estimé à 142,216 milliards d’euros, mais sera revu à la hausse du fait des retards observés. Le délai supplémentaire est imputable à certains services de l’État qui n’ont pas pu parachever le déguerpissement des populations riveraines dans les délais prévus, à quoi s’ajoutent deux grèves du personnel local du chantier, qui demandait de meilleures conditions salariales et d’environnement de travail au groupe chinois China State Construction Engineering Corporation (CSCEC), chargé des travaux.
La pandémie de Covid-19 a eu un impact sur la circulation des ingénieurs chinois du chantier. Enfin, le projet a dû être remodelé pour intégrer le nouveau système de déplacement urbain en gestation, le Bus Rapid Transit (BRT). Tous ces retards constatés ont agacé la Banque africaine de développement (BAD), principal bailleur de fonds du projet avec une mise de 150 millions d’euros. Le quatrième pont, à péage, permettra la circulation quotidienne de 70 000 véhicules et désengorgera l’autoroute, principale voie d’accès à la capitale économique depuis Yamoussoukro. Cette infrastructure est une composante du projet de transport urbain d’Abidjan, dont le coût global est estimé à 769,78 millions d’euros. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
189
GRAND FORMAT ABIDJAN
SÉCURITÉ
CAAT : décollage imminent Un suspect repéré dans la salle des e-visas est conduit dans les locaux de la CAAT.
OLIVIER POUR JA
Mise en place il y a bientôt dix ans, la Cellule aéroportuaire antitrafics peinait à exister vraiment. Le décret gouvernemental du 16 juin en portant officiellement création devrait lui donner un nouvel élan.
FLORENCE RICHARD
S
hort en jean, veste trop large aux motifs blanc et rose, paire de baskets aux pieds, rien ne distingue vraiment d’un autre le jeune homme noyé au milieu de dizaines de passagers à sa descente d’avion en provenance de Lagos. Mais voilà, contrairement aux autres, pressés de récupérer leurs valises et de quitter l’aéroport d’Abidjan Félix-Houphouët-Boigny en cette fin de matinée, il s’attarde très longuement en salle des e-visas, dont il n’a pas besoin puisqu’il est détenteur d’un passeport nigérian à la photo si floue qu’on le reconnaît à peine. Une attitude suspecte qui attire l’attention de deux agents de la Cellule aéroportuaire anti-trafics (CAAT). Le jeune homme doit être soumis à une fouille dans l’unique salle dont dispose la CAAT à l’aéroport, à une centaine de mètres des « arrivées ». Elle se trouve au second étage d’un bâtiment à l’intérieur délabré. La salle étroite, encombrée et sans fenêtre, qui fait aussi office de salle de réunions, n’est pas vraiment adaptée à ce type de contrôle. La fouille ne révèle rien. En revanche, un test urinaire se révèle positif à la cocaïne. Simple consommateur ou « mule »
190
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
transportant de la drogue ingérée par boulettes ? Direction le centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody pour un scanner. À ce stade, l’affaire n’est plus entre les mains de la CAAT, mais entre celles de l’Unité de lutte contre la criminalité transnationale organisée (UCT).
En partenariat avec Interpol La CAAT d’Abidjan a vu le jour en décembre 2012 dans le cadre du projet Aircop, un projet multi-agence porté par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en partenariat avec Interpol et l’Organisation mondiale des douanes (OMD), et financé par l’Union européenne. Son objectif : « Déstabiliser les réseaux criminels dans les pays d’origine, de transit et de destination, en renforçant les capacités d’interception et de détection des drogues et autres produits illicites, ainsi que des passagers à risque élevé, parmi lesquels les combattants terroristes étrangers, dans les aéroports internationaux. » Pour ce faire, Aircop s’appuie sur dix-sept CAAT en Afrique ainsi que sur dix en Amérique latine et dans les Caraïbes, dont il facilite la transmission sécurisée d’informations opérationnelles en temps réel entre les
services au niveau national, régional et international, en les connectant à la base de données criminelles d’Interpol et de l’OMD. Celle d’Abidjan dépend aujourd’hui du ministère de la Sécurité et a été placée sous le contrôle administratif du Comité interministériel de lutte antidrogue (Cilad). Près de dix ans après la mise en place de la CAAT, le gouvernement n’a pris que le 16 juin dernier un décret portant sur sa création, ses attributions, sa composition, son organisa-
Ordinateurs hors service, pas de ligne téléphonique, aucune voiture de fonction, locaux inadaptés… Tout cela doit changer. tion et son fonctionnement. « Avec ce décret, la CAAT, qui n’avait pas véritablement d’existence légale jusqu’à présent, va bénéficier d’un nouvel élan », espère le commissaire principal de police, Assoumou Assoumou,
placé à la tête de ce service depuis août. Un fonctionnaire chevronné qui attend de ses équipes « des résultats », malgré le peu de moyens mis à leur disposition. Des ordinateurs tous hors service, pas de ligne téléphonique ni de connexion internet, aucune voiture de fonction pour rallier des sites éloignés (notamment celui du service de courrier DHL que les équipes de la CAAT doivent contrôler, à plus de 1 km de l’aéroport), pas de locaux adaptés, pas de cellule de fouille à l’arrivée, aucun scanner. Le décret prévoit que l’Autorité nationale de l’aviation civile (Anac) fournisse des locaux fonctionnels et prenne en charge l’installation et le bon fonctionnement des lignes téléphoniques, d’internet, un accès à l’eau et à la climatisation, ainsi que « toutes les autres commodités nécessaires à un environnement de travail décent, efficace et efficient ». « Nous allons rattraper cela », assure le patron de l’UCT, le commissaire divisionnaire Adomo Bonaventure, tuteur opérationnel de la CAAT.
Le « profilage » reste privilégié En plus de ce manque de moyens, la quarantaine d’agents (gendarmerie nationale, police, douane, eaux et forêts) fait aussi face à une absence de coopération des compagnies aériennes, censées leur fournir une
OLIVIER POUR JA
GRAND FORMAT ABIDJAN
Le commissaire Assoumou Assoumou dirige la CAAT depuis août 2021.
liste des passagers et, pour chacun, le détail sur les vols pris. « Ce détail des vols est indispensable. Où s’est rendu le passager ? A-t-il payé cash ? Qui a acheté le ticket ? Si nous n’avons qu’un nom, cela ne sert pas à grand-chose », insiste le commissaire Assoumou Assoumou, installé dans son minuscule bureau au bord des pistes. Sur dix-sept compagnies, seules trois coopèrent pleinement. La technique la plus efficace reste alors celle du « profilage » à la descente d’avion : un passager qui s’attarde trop aux toilettes ou au service des e-visas, un autre s’agitant. Celle du renseignement porte aussi ses fruits : « Dans le cas d’un trafic d’êtres humains, par exemple, nous attendons que les passeurs et les victimes se présentent à l’aéroport pour caractériser l’infraction. » Autre difficulté majeure : la grande adaptabilité des trafiquants.
« Entre 2017 et 2019, la CAAT a saisi beaucoup de drogues, mais aujourd’hui les trafiquants savent que cette cellule existe, ils sont très vigilants et passent par d’autres circuits », déplore le commissaire divisionnaire Adomo Bonaventure. En 2021, la CAAT a saisi 2 639 kg de marchandises, principalement des produits cosmétiques contrefaits (1 600 kg) et de faux médicaments (550 kg). Parmi les drogues, ses agents ont mis la main sur 46 kg de tramadol.
Spectre de la corruption Dernier défi de taille, celui de la corruption. En 2018, quatre agents de la CAAT ont été accusés d’avoir extorqué 100 000 F CFA à un homme d’affaires belge qui refusait de se soumettre à un test urinaire, et placés en détention provisoire. « Le recrutement se déroule sur la base d’un appel à candidatures, les fonctionnaires doivent montrer patte blanche. Ils passent un entretien et sont soumis à un polygraphe. Ils doivent être au-dessus de tout soupçon, incorruptibles », assure le secrétaire général de la Cilad, Kouma Yao Ronsard Odonkor. Conscient de l’enjeu, le commissaire Assoumou Assoumou entend bien en faire une priorité : « Il faut faire tout notre possible pour que la corruption ne s’implante pas. »
OLIVIER POUR JA
Les policiers procèdent à la fouille du sac du suspect (de dos), qui sera confondu par un test urinaire.
192
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
IVOIRE TRADE CENTER Cocody, central & Moderne Nouvelle adresse résolument contemporaine, l’Ivoire Trade Center est le nouveau lieu incontournable d’Abidjan.
4 Tours de 4 étages
13.000 M2 De bureaux
4.000 M2 De galerie
www.ivoiretradecenter.com
13 boutiques 5 cuisines éclectiques
UNE OFFRE AVANT-GARDISTE Baignée de lumière par sa pyramide de verre, la galerie Ivoire Trade Center, pratique et conviviale, propose une offre parfaitement ciblée avec des enseignes de proximité et une nouvelle génération de marques très dynamiques comme Air France, Monop, Franck Provost, Aby concept store, la brasserie Le Comptoir et bien d’autres. Si le pratique est au cœur de ce lieu, l’évasion culinaire et les pauses gourmandes n’ont pas été oubliées. La Kitchen, un food-hall unique avec ses cuisines éclectiques (Africafé, Uchico, l’Atelier du Méchoui) vous plonge dans une expérience originale inégalée à tout moment de la journée, le tout animé par un grand bar central.
ROOFTOP L’Ivoire Trade Center n’a pas fini de vous surprendre et vous dévoilera bientôt, sur son rooftop côté lagune, des salles de réunions et de séminaires ainsi qu’un club cigare avec une vue imprenable sur tout Abidjan.
CERTIFICATION EDGE L’Ivoire Trade Center est le premier centre d’affaires d’Afrique de l’Ouest à bénéficier d’une démarche environnementale ambitieuse EDGE, assurant une consommation d’eau et d’électricité maitrisée.
À PROPOS DE PFO IMMOBILIER :
PFO immobilier est la foncière du groupe PFO AFRICA, dédiée à la promotion immobilière et à la gestion d’actifs fonciers et immobiliers. La foncière a la capacité d’investir sur toutes les classes d’actifs. Nous développons aussi bien des projets immobiliers tertiaires (bureaux, hôtellerie, commerces), que résidentiels ou logistiques dans toute la sous-région ouest-africaine.
PFO IMMOBILIER, grâce à ses équipes qualifiées et à son solide réseau d’experts, maîtrise en interne l’ensemble des étapes de la chaîne de développement d’un projet immobilier (recherche de foncier, commercialisation, gestion locative, recherche de financement). L’ensemble des sociétés du groupe PFO AFRICA permettent de créer une synergie autour des projets immobiliers afin de les livrer « clé en main » en intégrant la conception, la réalisation et le facility management.
GRAND FORMAT ABIDJAN
PORTRAIT
Robert Beugré-Mambé : Abidjan, c’est lui Ministre-gouverneur du district autonome de la ville depuis 2011, député de Songon depuis 2018, ce poids lourd de la majorité veut rendre la capitale économique plus attractive.
AÏSSATOU DIALLO
P
lus de dix années sont passées. Mais Robert BeugréMambé s’en souvient-il encore lorsqu’il s’installe dans son vaste bureau au Plateau ? En février 2010, il était président de la commission électorale indépendante (CEI) et tentait de sauver sa tête. Contre vents et marées, il avait refusé de démissionner. Il vivait alors reclus dans sa villa des Deux-Plateaux, où une centaine de militants de l’opposition montaient la garde. Le bruit avait couru qu’il risquait d’être arrêté. La foi de ce prédicateur et fils de pasteur l’avait alors aidé à tenir. Face aux accusations de fraude des autorités, il
Depuis 2011, il est à la tête de la ville dont Ouattara a fait la vitrine de la modernisation qu’il souhaite apporter au pays. confiait, impassible, à Jeune Afrique : « C’est la croix que je dois porter. Je la porterai avec toute la sérénité nécessaire. Ma foi profonde est que la vérité de Dieu va finir par s’imposer. » La suite ? Dissolution du gouvernement par Laurent Gbagbo et destitution de Robert Beugré-Mambé. Puis, un second tour, contesté, qui
194
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
plonge le pays dans une crise sanglante. Après une telle disgrâce, le voilà aujourd’hui à la tête d’Abidjan, au cœur du pouvoir économique et politique du pays et qui concentre près de 5 millions d’habitants, d’après le dernier recensement de 2014. Depuis 2011, ce poids lourd du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) est à la tête de la ville dont Alassane Ouattara a fait la vitrine de la modernisation qu’il souhaite apporter à la Côte d’Ivoire.
En perpétuel chantier Né le 1er janvier 1952 à Abiaté, près de Dabou, à quelques kilomètres d’Abidjan, Beugré-Mambé termine vice-major de l’École nationale supérieure des travaux publics (ENSTP) en 1976, puis poursuit sa formation d’ingénieur au Centre des hautes études de la construction (CHEC), à Arcueil, près de Paris. De retour au pays, il intègre le Bureau d’études techniques et est promu directeur de cabinet du ministre de la Construction, en 1981. Il suit alors les grands dossiers en matière d’habitat, d’environnement et d’aménagement urbain. En 1997, il quitte la fonction publique pour devenir consultant pour la Banque mondiale et pour divers cabinets privés, puis accède, en 2002, au poste de vice-gouverneur du district autonome d’Abidjan. Devenir gouverneur en 2011, après la crise, était comme un retour à la
maison. Mais, cette fois-ci, c’est lui le capitaine à bord. Beugré-Mambé nourrit des projets pour les treize communes qui forment Abidjan. D’Abobo à Bingerville en passant par Cocody ou Yopougon, chacune a ses réalités et ses défis. « Abidjan est doux », aime-t-on à répéter sur les bords de la lagune Ebrié. Mais, surtout, elle est en perpétuel chantier pour absorber le flot grandissant de populations venues d’autres villes du pays ou d’expatriés. En 2014, le gouverneur a lancé un programme de désenclavement des villages du district autonome d’Abidjan. Cent cinquante villages sont concernés par des projets de bitumage, d’électrification, d’adduction en eau potable et d’assainissement. « Après une première phase qui a permis de construire 110 km de voies pour un budget de 53 milliards de F CFA [plus de 80 millions d’euros], nous lançons une autre phase de 156 km », se réjouit Nicolas Baba Coulibaly, responsable de la communication du district. Le gouverneur est aussi à l’initiative de la construction de logements économiques et sociaux à Bingerville et à Grand-Bassam, pour répondre à la demande de plus en plus importante. « C’est une satisfaction de constater qu’Abidjan reprend la place qu’elle n’aurait pas dû perdre à cause des crises passées. La réapparition des organisations internationales est la preuve que la Côte d’Ivoire est de
GRAND FORMAT ABIDJAN
ISSAM ZEJLY POUR JA
En 2014, le gouverneur a lancé un programme de désenclavement de 150 villages du district autonome d’Abidjan, ainsi que la construction de logements sociaux à Bingerville et à GrandBassam.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
195
LUDOVIC MARIN/AFP
GRAND FORMAT ABIDJAN
Avec le président français, Emmanuel Macron, à qui il remet les clés de la ville après l’avoir fait citoyen d’honneur, le 21 décembre 2019.
retour et prend toute sa place de locomotive de la sous-région », ajoute Nicolas Baba Coulibaly.
Réseau international Une dizaine d’années après son arrivée au district, Beugré-Mambé occupe une place de choix dans la majorité. En mars 2018, il est élu député de Songon, une commune du district à l’ouest de Yopougon, permettant au parti de renforcer son assise sur la ville. Il s’est également construit un réseau à l’international et est secrétaire général de l’association des maires francophones. Lorsque la Côte d’Ivoire accueille les Jeux de la francophonie, en 2017, c’est lui qui est à la manœuvre en tant que ministre chargé du dossier auprès du président de la République. Le district qu’il dirige bénéficie d’une certaine autonomie dans sa gestion. Il est financé en partie par
196
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
des recettes affectées par l’État, par la collecte de taxes locales et par des projets spécifiques. Mais, au quotidien, cette gestion est souvent source de tensions entre les différents
Lorsque la Côte d’Ivoire accueille les Jeux de la francophonie, en 2017, c’est lui qui est chargé du dossier en tant que ministre. niveaux d’administration. Des conflits opposent régulièrement le district d’Abidjan aux communes. Dernier exemple en date, le bras de fer très politique qui a opposé Beugré-Mambé à Jacques Ehouo, maire PDCI (Parti
démocratique de Côte d’Ivoire) du Plateau, la commune la plus puissante du district. Le jeune élu avait dénoncé un abus de pouvoir lorsque, au début de juillet, des équipes du district avaient démoli des aménagements d’embellissement financés par la mairie et dont les travaux étaient presque terminés. Les équipes du gouverneur avaient répondu avec fermeté ne pas accepter un passage en force et ne pas se laisser dépouiller de leurs prérogatives. Le ministère de l’Intérieur, qui chapeaute ces deux entités, a été saisi. En juin dernier, Alassane Ouattara a signé un décret créant 12 nouveaux districts. Ils sont désormais au nombre de 14, avec celui de Yamoussoukro et celui d’Abidjan. Le chef de l’État a rencontré les nouveaux gouverneurs, qui bénéficient du titre de ministre, afin de détailler le rôle qu’ils auront à jouer pour une décentralisation plus efficace.
Performances publiques
COMMUNIQUÉ
CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DES TRANSPORTS
Sous la haute égide du Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, tous les secteurs des transports en Côte d’Ivoire se modernisent grâce à la mise en œuvre des Plans Nationaux de Développement 1 et 2. Conformément aux piliers 3 et 4 du PND 2021-2025, relatifs à l’accélération de la transformation structurelle de l’économie par l’industrialisation et au développement des infrastructures harmonieusement reparties sur le territoire national et la préservation de l’environnement, le pays continue la mise en œuvre de projets ambitieux visant l’accroissement de la mobilité urbaine et le développement
des infrastructures de transports maritimes, aéroportuaires, lagunaires et terrestres. Des réformes ambitieuses relatives à la sécurité et à la sûreté des transports seront au cœur de nos actions. L’adoption le 7 juillet 2021 d’une stratégie quinquennale de sécurité routière et son financement nous permettra par la digitalisation de tenir nos engagements de réduction du nombre de tués de 50% sur nos routes à l’horizon 2030. Les capacités opérationnelles du Port Autonome d’Abidjan seront doublées avec la livraison d’importants chantiers dont le second Terminal à conteneurs (TC2). Air Côte d’Ivoire, quant à elle, opérera sur de nouvelles destinations et le pays adoptera au cours de l’année 2022 une stratégie de développement logistique. Enfin, dans le cadre de la décentralisa-
Amadou Koné,
Ministre des Transports tion et de la décongestion, nous avons fait l’option de doter les villes secondaires de moyens de transports propres, modernes et sûrs. Le PND 3 offre l’opportunité au secteur privé de prendre une part considérable dans cette ambition de faire de la Côte d’Ivoire un Hub logistique, avec des territoires au développement équilibré.
LA CÔTE D’IVOIRE FACE AU DÉFI DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE Face à l’augmentation du nombre de décès sur les routes ivoiriennes, le gouvernement ivoirien est désormais intransigeant et développe une approche systémique. Avec à la clé, des résultats encourageants, la stratégie du gouvernement est axée sur le renforcement de la sensibilisation, l’intégration des nouvelles technologies et une formation accrue des acteurs de la route, notamment des chauffeurs routiers.
© Jacques Torregano / Divergence pour JAMG
« Des réformes ambitieuses relatives à la sécurité et à la sûreté des transports au cœur de nos actions».
CÔTE D’IVOIRE
Performances publiques
MINISTÈRE DES TRANSPORTS
Système de vidéo vidéo-verbalisation. verbalisation
Centre opérationnel du Système de Transport Intelligent (STI).
S
elon l’OMS, les accidents de la route représentent la principale cause de décès des jeunes de moins de 30 ans. En Côte d’Ivoire, on a enregistré 1 509 tués sur la route en 2018 contre 1 284 en 2017 et 814 en 2013, soit une augmentation de plus de 90% du nombre de morts en seulement 5 années. Selon l’Office de Sécurité Routière (OSER), 94% des cas d’accidents de la route en Côte d’Ivoire sont causés par le facteur humain, notamment les mauvais comportements des conducteurs.
L’État, à travers le Ministère des Transports, a axé un pan de sa politique sur le renforcement de capacité des acteurs du routier
Face à cette situation, le gouvernement ivoirien se veut désormais intransigeant. Dans le cadre de la stratégie nationale de la sécurité routière, le conseil des ministres du 7 juillet 2021, présidé par S.E.M. le Président Alassane Ouattara, a adopté un plan quinquennal 2021-2025. Ce plan est essentiellement axé sur le renforcement de la sensibilisation et l’intégration des nouvelles technologies dans le contrôle et la répression, avec pour objectif de lutter efficacement contre l’incivisme routier, principale cause des accidents de la route.
La vidéo-verbalisation pour des routes plus sûres Pour lutter contre l’incivisme et l’insécurité routière, la Côte d’Ivoire s’est en effet dotée de solutions technologiques basées sur la vidéo-verbalisation, une composante du Système de Transport Intelligent (STI) développé par l’opérateur technique
MÉTRO D’ABIDJAN : L’INDEMNISATION DES PERSONNES IMPACTÉES A DÉBUTÉ En débutant officiellement la remise de chèques aux personnes affectées par le projet (PAP) de la ligne 1 du Métro d’Abidjan, le 10 août 2021, le gouvernement ivoirien entend tout mettre en œuvre pour réussir le programme de réalisation de cet important projet de mobilité urbaine pour la capitale économique ivoirienne. Accompagné du Ministre des Transports, le Premier Ministre, Patrick Achi a donné le coup d’envoi de l’opération. Le Premier Ministre a assuré de la disponibilité des fonds pour mener à bien cette opération. Le
processus d’indemnisation concerne 8 090 personnes : il débute par les 8090 personnes de la Zone Nord, à savoir les communes d’Anyama, d’Abobo, d’Adjamé, et Plateau. Elle se terminera par la Zone Sud, notamment les communes de Treichville, de Marcory et de Port-Bouët. Il est important de souligner que cette opération de remise de chèque fait partie d’un processus débuté depuis 2018. Il a consisté en des séances de consultations publiques, la gestion des plaintes, des négociations individuelles et la signature des certificats de compensation.
Par ailleurs, parallèlement à cette opération d’indemnisation et selon les besoins de l’entreprise en charge des travaux de réalisation du Métro d’Abidjan, une première phase de libération des emprises a été réalisé dans la Zone Nord. La ligne 1 du Métro d’Abidjan est longue de 37,4 Km du Nord au Sud. Elle comprend deux voies, 18 stations, 21 ponts rails et routes, 1 pont viaduc sur la lagune Ébrié. Le trafic attendu à terme est de 550 000 passagers par jour.
© Nabil zorkot pour JAMG
© Jacques Torregano / Divergence pour JAMG
COMMUNIQUÉ COMMUNIQUÉ
L’administration s’est dotée d’outils modernes afin d’assurer la sécurité des usagers et des biens de Côte d’Ivoire.
Quipux Afrique. Celui-ci s’appuie sur le déploiement d’un réseau de radars fixes et embarqués, destinés à la détection électronique des infractions au Code de la route. La vidéo mise en œuvre par la vidéo-verbalisation est associée à un système de gestion automatisée des amendes et à la mise en place d’un système d’information sur les accidents de la route.
LA SOTRA AMÉLIORE LA MOBILITÉ URBAINE À L’INTÉRIEUR DU PAYS
Après plus de 3 mois de sensibilisation, la vidéo-verbalisation est entrée dans sa phase active le 7 septembre 2021 à Abidjan, à la suite de la prise de textes réglementaires en la matière. Elle a pour objectifs, entre autres, d’améliorer significativement la sécurité routière ; de doter l’administration d’outils modernes en vue d’une meilleure maîtrise de la mobilité des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire national ; et de favoriser le changement progressif du comportement des usagers sur les routes. Afin d’accompagner les usagers dans ce nouveau processus, le Ministre des Transports a mis en place un centre d’assistance technique, le call center 1302, qui enregistre en moyenne
© Sia Kambou pour JAMG
Bouaké, capitale du centre de la Côte d’Ivoire, est un carrefour commercial réputé pour la forte densité de sa population multiculturelle, mais aussi pour le flux important de personnes en séjour ou de passage, estimé à près de 4 millions par jour. Un défi pour le secteur du transport dans un environnement où l’essentiel des moyens de transport dans cette ville est assuré par les taxis-villes, les mototaxis et les minicars, vétustes, inadaptés et insuffisants pour répondre au besoin des populations. Aussi, pour améliorer la mobilité urbaine sur toute l’étendue du territoire national et en prélude à la Coupe d’Afrique des Nations 2023, l’État a décidé d’étendre l’activité de la Société de Transport Abidjanais (SOTRA) à Bouaké et aux grandes villes du pays. La cérémonie de lancement officiel de la présence de la SOTRA à Bouaké a eu lieu le 24 septembre 2021, en présence du Premier Ministre Patrick Achi, de plusieurs membres du gouvernement et des populations en liesse.
CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DES TRANSPORTS
Performances publiques
400 demandes par jour. Et depuis la mise en œuvre effective de la vidéo-verbalisation le 7 septembre 2021, une nette amélioration de la circulation dans la capitale économique ivoirienne est constatée. En attendant une extension sur toute l’étendue du territoire ivoirien, avec la vidéo-verbalisation, les routes abidjanaises deviennent déjà plus sûres, car chaque usager est désormais conscient qu’il est suivi. D’autres projets relatifs à la mobilité dans le Grand Abidjan sont à l’étude en vue de fluidifier davantage la circulation.
Le Ministre des Transports a mis en place un centre d’assistance technique, le call center 1302, qui enregistre en moyenne 400 demandes par jour
Une formation renforcée des acteurs de la route Dans une approche systémique de la question de la sécurité routière, l’État, à travers le Ministère des Transports, a axé un pan de sa politique sur le renforcement de capacité des acteurs du routier en vue de la professionnalisation du secteur pour une excellente qualité de transport. Ainsi, il faut désormais être titulaire d’un Certificat d’Aptitude à la Conduite Routière (CACR) pour prétendre être chauffeur professionnel en Côte d’Ivoire. Un diplôme qui sera délivré après une formation de 6 mois. Elle prendra en compte la dimension du « savoir être » lié au « savoir conduire ». Le contenu de la formation va, par conséquent, porter non seulement sur la conduite mais, également sur la maintenance des voitures, la réglementation et le secourisme. Ceci impose un renforcement des capacités des moniteurs d’autoécoles d’une part, et, d’autre part, une harmonisation de l’enseignement dans les différentes auto-écoles. Ces actions témoignent de l’engagement du gouvernement à mener la campagne de la sécurité routière avec des moniteurs bien formés.
En formant les moniteurs, en charge de former les candidats aux tests de permis de conduire, l’Etat vise à inculquer un outil pédagogique adapté et capable d’influencer le comportement sécuritaire, coopératif et responsable sur la route. « Une auto-école n’est plus un lieu où est enseigné simplement à apprendre le nombre des panneaux de signalisation ou le nom des équipements routiers, mais un endroit où l’on va aussi pour apprendre à se conduire sur la route », souligne le ministre des Transports, Amadou Koné.
Le Projet de Renouvellement du Parc Automobile, initié par le Gouvernement, à travers le Ministère des Transports, constitue une réponse stratégique à la problématique de la vétusté des véhicules. Ce projet vise à assainir le secteur et à contribuer efficacement à l’amélioration des conditions de travail et de voyage de la population. Ce projet a plusieurs composantes : un partenariat avec une institution financière internationale et une firme automobile étrangère portant sur la fourniture de véhicules de modèles différents ; un volet dédié aux Taxis Ivoire, de dernière
génération ; et un partenariat avec le Groupe de la Banque Mondiale et la Société Financière Internationale portant sur la fourniture de véhicules à usage de taxis compteurs et communaux Les résultats constatés à ce jour sont satisfaisants avec la mise en circulation de 500 véhicules à usage de taxis compteurs et de 832 véhicules de types camions, camionnettes, cars et minicars
la mise en circulation de 300 camions gros porteurs dans le cadre du PAMOSET en collaboration avec le Groupe de la Banque Mondiale et la Société Financière Internationale ; ainsi que de 1 500 minicars et 2000 taxis compteurs et communaux dans le cadre du PMUA en collaboration également avec ces deux organismes.
Le projet prévoit, notamment, le renforcement du parc des taxis compteurs et communaux et des minicars à raison de 500 véhicules neufs au moins par an ;
www.transports.gouv.ci
JAMG - © Droits réservés sauf mention
RENOUVELLEMENT DU PARC AUTOMOBILE : UN PROJET À GRANDE ÉCHELLE
GRAND FORMAT ABIDJAN
GESTION LOCALE
Ces maires qui changent tout Élus en 2018 dans un contexte politique marqué par des tensions entre le RHDP, au pouvoir, et le PDCI, ils se sont attelés à la modernisation de leurs municipalités en multipliant les projets innovants.
AÏSSATOU DIALLO
JEAN-MARC YACÉ COCODY S’ANIME
MAIRIE COCODY
C’est à l’issue des municipales très disputées de 2018 que Jean-Marc Yacé, 60 ans, s’est hissé à la tête de Cocody, l’une des plus grandes communes d’Abidjan, avec ses 132 km2 (une trentaine de plus que la ville de Paris). Il avait alors battu l’édile sortant, Mathias Aka N’Gouan, un poids lourd du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui se présentait sous les couleurs du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), en pleine crise politique entre les deux partis. Fils d’une famille influente du paysage politique, Jean-Marc Yacé, lui, avait eu le soutien du PDCI. Il est le neveu de Philippe Yacé, un ancien président de l’Assemblée nationale et ami de Félix Houphouët-Boigny, et un proche d’Henriette Bédié, l’épouse de l’ancien président Henri Konan Bédié.
« Toujours une cité d’excellence » « La particularité de Cocody, c’est sa richesse culturelle. On y compte 11 villages, dont 6 atchans et 5 attiés, en plus des différents quartiers. Le moderne et le traditionnel s’y côtoient », se réjouit-il. Officier de l’armée à la retraite, ceinture noire de taekwondo – en lice pour la présidence de la fédération ivoirienne de la discipline –, Jean-Marc Yacé cultive son image de maire de proximité. Il dit vouloir apporter son expérience acquise au sein du secteur privé dans la gestion de la commune. D’ici à 2023, celle-ci sera notée afin
d’obtenir des financements pour ses chantiers. « La pandémie de Covid-19 a ralenti certains de nos projets, mais, d’ici au début de 2022, nous comptons renouveler notre parc de taxis communaux. Nous travaillons également à réduire le nombre de véhicules qui circulent dans la commune. Pour cela, nous avons lancé une étude et sommes en discussion avec les autorités », explique-t-il. Jean-Marc Yacé poursuit également les projets d’aménagement de trottoirs et de reverdissement lancés sous l’ancien
maire. Il compte rapprocher la mairie des administrés en créant des extensions dans différents sites, et en permettant de faire des démarches sur internet. Cocody a une image de commune riche, longtemps perçue comme une ville-dortoir pour l’élite abidjanaise. Pour Jean-Marc Yacé, c’est désormais du passé : « Il y a de plus en plus d’activités. Des sociétés, des administrations et des commerces s’installent. Cocody n’est plus seulement un dortoir. C’est toujours une cité d’excellence, mais avec plus de diversité. » JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
201
GRAND FORMAT ABIDJAN
IBRAHIM CISSÉ BACONGO
JACQUES EHOUO
UNE « SMART CITY » SUR UN PLATEAU À 49 ans, Jacques Ehouo est à la tête de la commune la plus puissante d’Abidjan : le Plateau. Elle abrite non seulement le centre des affaires de la capitale économique, mais aussi la présidence, les ministères et les sièges de nombreuses institutions internationales. Le Plateau suscite la convoitise des partis politiques, et les municipales de 2018 avaient été le théâtre d’une lutte impitoyable pour en prendre le contrôle.
Un espace vert et connecté Homme d’affaires actif dans le domaine de l’agroalimentaire, Jacques Ehouo a été désigné pour porter les couleurs du PDCI lorsque l’influent Noël Akossi Bendjo, dont il est proche, avait été révoqué de ses fonctions de maire du Plateau. Jusque-là inconnu du grand public, il avait alors dû faire face à Fabrice Sawegnon, u n p r o c h e d ’A l a s s a n e Ouattara. Mais les poursuites judiciaires à son encontre pour détournement de fonds, en 2019, puis la mise sous tutelle de la commune après l’élection du conseil municipal l’ont propulsé sur le devant de la scène. Une séquence dont le maire estime toutefois qu’elle appartient désormais au passé. « Aujourd’hui, nous devons prouver par les résultats que
nous méritons d’être là. Nous avons été élus sur un programme que nous voulons mettre en place », insistet-il. Il veut faire du Plateau une smart city : un espace vert et connecté. Selon lui, cela commence par la réduction du nombre de véhicules qui y entrent chaque jour – environ 150 000 – en redonnant de l’espace aux piétons d’ici à 2022. Les embouteillages sont l’un des problèmes majeurs au sein de la commune. Jacques Ehouo a un projet de construction de parkings en silo à la périphérie. « Nous mettrons aussi en place des navettes électriques et des VTC intra-muros, et nous créerons des stations de location de vélos en libre-service devant les écoles, les gares de bateaux et les lieux de rendez-vous pour les covoiturages. » Au début d’octobre, Jacques Ehouo était à Paris, où il a rencontré des patrons d’entreprises françaises. La commune a entamé des démarches pour se faire noter afin de bénéficier de financements à l’international. Le maire a aussi lancé la modernisation de l’état civil et compartimenté la police municipale en trois brigades chargées de la circulation, de la salubrité et des interventions liées à la sécurité.
Depuis son élection, en 2018, Ibrahim Cissé Bacongo a métamorphosé Koumassi, l’une des communes les plus peuplées d’Abidjan. Le député-maire, qui avait pour slogan de campagne « Koumassi autrement, c’est possible », est en passe d’atteindre son objectif. Il a multiplié les opérations de déguerpissement de commerces anarchiques et dégagé les artères principales de la ville. Il a aussi fait de l’assainissement et de la sécurité ses priorités. En plus de changer l’image de la commune, Ibrahim Cissé Bacongo espère y développer des pôles d’activités en regroupant les professionnels dans des lieux spécifiques. En novembre 2019, il a notamment inauguré la Bourse du bois, un espace aménagé pour accueillir les travailleurs du secteur. Il a également regroupé les garagistes et artisans de la commune sur un même site. Le forum Investir à Koumassi, qu’il a lancé, a pour but d’attirer les entreprises dans sa commune.
Un fidèle de Ouattara Juriste de formation, Ibrahim Cissé Bacongo est un cadre du RHDP et un fidèle d’Alassane Ouattara. Le 26 juillet, il a été nommé conseiller spécial du président chargé des affaires politiques, avec rang de ministre. Il aura pour mission, avec d’autres caciques, de restructurer le parti au pouvoir, dans un contexte où l’opposition se prépare pour la présidentielle de 2025. Laurent Gbagbo, rentré de la Cour pénale internationale après une dizaine d’années, vient de lancer son parti. Et le PDCI, d’Henri Konan Bédié, lui, est aussi en pleine réorganisation. Depuis le décès du Premier ministre Hamed Bakayoko, le maire de Koumassi est aussi l’un des derniers « vrais » politiques parmi les proches du président, lequel a plutôt eu tendance, récemment, à s’entourer d’une équipe de technocrates. Le retour au palais présidentiel d’Ibrahim Cissé Bacongo permettra aussi de préparer le dialogue avec l’opposition dans le cadre d’une réconciliation nationale. Il avait déjà été sollicité par Alassane Ouattara pour travailler sur la réforme constitutionnelle de 2016.
FB IBRAHIM CISSÉ BACONGO
PAUL AKO
LE MINISTRE DE KOUMASSI
Performances publiques CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE, DES TÉLÉCOMMUNICATIONS ET DE L’INNOVATION
LA TRANSFORMATION DIGITALE, OUTIL DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE LA CÔTE D’IVOIRE Entretien avec Roger Félix Adom, Ministre de l’Économie numérique, des Télécommunications et de l’Innovation Monsieur le Ministre, quel bilan pouvez-vous dresser concernant le 27e congrès de l’Union Postale Universelle (UPU) qui s’est tenu à Abidjan du 9 au 27 août 2021 ? La tenue de ce congrès représentait un double défi. D’une part, en raison de la dimension de l’évènement qui a rassemblé 3000 délégués pendant une durée exceptionnelle : trois semaines. Abidjan a démontré, une fois de plus, sa capacité à organiser des événements de taille mondiale et son attractivité en matière de tourisme d’affaires. L’autre défi concernait la capacité à accueillir et organiser ce congrès en dépit de la pandémie du Covid-19. La formule hybride, combinant le présentiel et le digital, a été retenue et a bien fonctionné. Pour toutes ces raisons je pense que le bilan est très positif. Quelle est la stratégie voulue par S.E.M. le Président de la République en matière d’économie numérique ? À travers le Plan Stratégique Côte d’Ivoire 2030, la Côte d’Ivoire a fixé un nouveau cap en misant sur la transformation structurelle de son économie avec pour objectif d’atteindre une croissance forte, soutenue et durable. Le développement de l’économie numérique est l’un des principaux piliers de cette transformation. La « Stratégie numérique de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2025 » incarne l’ambition du Gouvernement d’accélérer la digitalisation pour faire de la Côte d’Ivoire un pays majeur en termes d’innovation et repose sur 7 piliers. Nous souhaitons que la part de l’économique numérique passe de 12 % actuellement à 25 % en 2030. Notre approche est globale. Elle repose sur la création d’une infrastructure numérique mais aussi sur la vulgarisation de l’utilisation du digital aux populations, sur la formation du capital humain et l’encouragement à la création d’un écosystème de l’économie numérique avec l’ensemble des parties prenantes : l’administration publique, les entreprises privées, les startups et les acteurs internationaux (startups, investisseurs, fonds, etc.). Compte tenu de sa position en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire peut être un hub sousrégional en matière d’innovation et de technologie.
« Notre ambition est de faire de la Côte d’Ivoire un hub sous-régional en matière d’innovation et de technologie sur les 5 prochaines années » LES 7 PILIERS DE LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE DE LA CÔTE D’IVOIRE 1. Déployer une infrastructure numérique qui permet un accès abordable aux services numériques pour les populations sur toute l’étendue du territoire national. 2. Concevoir et mettre en place une administration connectée au service du citoyen, des entreprises, ainsi que la diffusion des services numériques dans les tous secteurs économiques. 3. Accroître la contribution des services financiers numériques à l’inclusion financière des populations et au développement du commerce électronique. 4. Développer les compétences numériques par la formation du capital humain nécessaire à la croissance de l’économie numérique ivoirienne. 5. Développer une industrie du numérique créatrice d’emplois et de richesse grâce à la promotion de l’innovation. 6. Renforcer la cybersécurité afin d’assurer la confiance et la sécurité dans l’utilisation des services et outils numériques. 7. Créer un environnement des affaires propice à l’investissement et à l’entreprenariat en s’appuyant sur le numérique.
COMMUNIQUÉ
Allocution de Roger Félix Adom, Adom lors du 27e Congrès postal universel universel, à Abidjan.
Pouvez-vous nous mentionner quelques projets dans le cadre de cette stratégie ? Au vu de l’importance que revêt l’agriculture dans notre pays, nous avons lancé le Programme de Solutions numériques pour le Désenclavement des zones rurales et l’e-Agriculture (PSNDEA), qui a pour objectif principal, d’accroitre l’accès aux services numériques dans les zones rurales et l’usage des plateformes numériques pour améliorer la productivité agricole et l’accès aux marchés. Nous souhaitons donner des outils aux agriculteurs pour qu’ils puissent pleinement profiter des fruits de leur travail et améliorer leurs revenus. Je souhaiterais mentionner le Startup Act qui a pour objectif principal de créer un environnement favorable au développement d’un écosystème de l’économie numérique en Côte d’Ivoire. Il s’agit de favoriser la création et le développement des
Abidjan, lle 15 octobre Abidj t b 2021, 2021 présentation é t ti de d l’avant-projet l’ t j t de d loi, l i dénommé « Startup Act » par Roger Félix Adom.
startups ivoiriennes mais aussi de capter davantage de capitaux étrangers. Le projet de loi inclut des dispositions en matière d’avantages (fiscaux notamment), de labellisation des startups, cybersécurité, etc. Quel est votre message à l’intention des acteurs étrangers du numérique (startups, entreprises, investisseurs, etc.) ? La Côte d’Ivoire offre une conjonction exceptionnelle d’atouts : stabilité politique ; croissance économique régulière de 8 % par an depuis dix ans, à l’exception de 2020 en raison du Covid-19 ; existence de compétences humaines et d’entrepreneurs ivoiriens dynamiques ; et respect des règles du jeu. Le Gouvernement de la Côte d’Ivoire souhaite que les acteurs étrangers du numérique soient une partie prenante stratégique du processus de développement de l’économie numérique. Mon message est simple : ayez confiance en nous !
Roger Félix Adom,
Ministre de l’Économie numérique, des Télécommunications et de l’Innovation
Né en 1966 à Paris, de parents ivoiriens, Roger Félix Adom obtient son diplôme d’ingénieur à l’École nationale supérieure de mécanique, devenue l’École centrale de Nantes, et complète sa formation avec un MBA de l’Institut d’administration des entreprises de Paris. Il commence sa carrière en tant que consultant au sein du groupe Capgemini puis dans le cabinet EY (entreprise). En juillet 2003, il occupe le poste de Directeur des systèmes d’information du groupe Orange Côte d’Ivoire avant d’en devenir Directeur Général Adjoint. En 2010, Ro-
ger Adom est promu au sein du groupe Orange France basé à Paris, où il devient Directeur des systèmes d’information de la zone Afrique, Moyen-Orient, et Asie. En mars 2017, Roger Adom rejoint la Banque africaine de développement (BAD), à Abidjan, en tant que directeur des technologies de l’information. En mars 2020, il est nommé Directeur Général de Vivendi Afrique en Côte d’Ivoire, un poste qu’il occupe pendant quelques mois, avant de rejoindre le Gouvernement
de la Côte d’Ivoire. Il est en effet nommé ministre de la Modernisation de l’administration et de l’Innovation du service public, le 13 mai 2020, puis ministre de l’Économie numérique, des Télécommunications et de l’Innovation, le 6 avril 2021. Lors de la cérémonie de passation de pouvoirs, qui a lieu le 8 avril 2021, le ministre est élevé au rang de commandeur de l’ordre du Mérite ivoirien de l’Économie numérique. Le 15 octobre 2021, il reçoit la distinction au grade d’Officier de l’Ordre National.
www.telecom.gouv.ci
JAMG - © Droits réservés
L’ÉLABORATION ET LE PILOTAGE DE LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE CONFIÉS À UN EXPERT RECONNU
GRAND FORMAT ABIDJAN
LUXE
La seconde vie du Lepic Villa Hotel Depuis son rachat et sa rénovation, en 2019, cet établissement singulier situé à Cocody s’est imposé comme une adresse incontournable pour les personnalités à la recherche d’un lieu discret et calme dans l’effervescente capitale économique.
C’est au fond d’une impasse, rue Lepic, dans la commune huppée de Cocody, qu’est niché l’établissement. Ne comptez pas sur des panneaux ou des écriteaux pour vous signaler l’endroit. Murs blancs, portail blanc. L’entrée est intentionnellement sobre. L’adresse se repasse grâce au bouche-à-oreille. « Nos clients viennent ici pour être à l’abri des regards, pour se sentir protégés et avoir la sensation de s’évader d’Abidjan, alors même que nous sommes au
206
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Joel Bohui, directeur de cette « boutique hôtel » devenue incontournable.
cœur de la capitale économique », explique l’Ivoirien Joel Bohui – qui a suivi des études d’hôtellerie en Afrique du Sud –, directeur du lieu depuis deux ans. C’est sous son impulsion que la « boutique hôtel » est montée en gamme, jusqu’à devenir cette adresse incontournable. Le Lepic Villa Hotel expose des œuvres de nombreux artistes. Face au bar, près de la terrasse, se trouve une toile très pop du peintre Kadarik, un Français résidant à Abidjan. Au détour d’un escalier, on tombe sur une superbe série de portraits de la star ivoirienne DJ Arafat (décédé en 2019 dans un accident de moto) réalisée par le flamboyant photographe Louis Philippe de Gagoue, lui aussi disparu, cet été, à Abidjan. Quelques marches plus haut, une banquette rouge
ISSAM ZEJLY POUR JA
À l’abri des regards
A ISS
P
our le Nouvel An, la superstar congolaise de la musique Fally Ipupa a choisi le Lepic Villa Hotel afin de donner une grande fête, avec des invités triés sur le volet. Plus récemment, c’est une princesse dubaïote qui a séjourné plusieurs jours dans l’une des chambres de cet établissement. Des ministres, des députés, des hommes d’affaires, des artistes, des footballeurs – comme Didier Drogba – s’y croisent et ont ici leurs habitudes. En quelques années, le Lepic Villa Hotel s’est imposé comme un lieu prisé de personnalités à la recherche de calme et de discrétion, un luxe dans l’effervescente capitale économique ivoirienne.
M ZE JLY POUR JA
FLORENCE RICHARD
GRAND FORMAT ABIDJAN
L’ancienne résidence du premier gouverneur d’Abidjan donne à sa clientèle, huppée, la sensation d‘être protégée et de s’évader de la ville.
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
207
ISSAM ZEJLY POUR JA
GRAND FORMAT ABIDJAN
Le lieu a été imaginé au début des années 1980 par le Français Henri Chomette, architecte en chef de la ville d’Addis-Abeba dans les années 1950.
réalisée par l’artiste ivoirien Jean Servais Somian orne le palier.
Ancienne résidence du premier gouverneur d’Abidjan, le Lepic Villa Hotel a été imaginé au début des années 1980 par le Français Henri Chomette, connu pour avoir été l’architecte en chef de la ville d’Addis-Abeba dans les années 1950 et à qui l’on doit notamment l’hôtel de ville d’Abidjan, inauguré en 1956, l’ambassade de France à Ouagadougou, en 1966, ou encore le Centre de conférences de Dakar, en 1979. L’hôtel a été racheté et rénové en 2019 par Yohannes Mekbebe, homme d’affaires américain d’origine éthiopienne, à la tête depuis cet été de la chambre de commerce américaine en Côte d’Ivoire. « Sa mère a eu un véritable coup de cœur pour l’endroit, qui était alors dans un état piteux », confie Joel Bohui. Et, tandis qu’à Abidjan se multiplient les hôtels qui appartiennent à de grandes chaînes internationales, le Lepic Villa Hotel tient à son indépendance. « C’est un endroit unique
208
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ISSAM ZEJLY POUR JA
Comme à la maison
« Avec dix-sept chambres, je peux me targuer de connaître tous les clients », déclare le directeur, Joel Bohui.
de par son histoire et son positionnement. Avec dix-sept chambres, je peux me targuer de connaître tous les clients et d’être aux petits soins pour eux. Nous voulons que chaque hôte se sente comme à la maison », insiste le directeur. Une vingtaine de personnes y sont employées, de l’administration aux cuisines
– le restaurant dispose de soixante places. Une extension ainsi que certaines rénovations, comme celle du spa, sont en projet. Joel Bohui, qui est aussi titulaire d’un diplôme de sommelier, entend également développer prochainement une solide carte des vins pour ses clients, exigeants.
Performances publiques
COMMUNIQUÉ
CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DES TRANSPORTS
Le canal de Vridi élargi et approfondi.
VVue d’ensemble d’ bl du d Terminal T i l roulier li achevé h é (à gauche) h ) et du d TC2 en construction (à droite).
PORT AUTONOME D’ABIDJAN :
UNE PLATEFORME EN PLEINE ÉVOLUTION Ouvert à la navigation en 1951, le Port d’Abidjan, principale porte maritime de la Côte d’Ivoire, a toujours joué un rôle économique important, d’où son appellation très évocatrice de « poumon de l’économie nationale ». Les investissements engagés devraient renforcer sa position de hub portuaire et logistique en Afrique de l’Ouest.
E
n 2020, 76,61 % des échanges extérieurs (en volume) du pays ont été effectués à partir des installations portuaires d’Abidjan et les services des douanes y ont perçu 76,45 % de leurs recettes nationales. Leader sur la côte ouest-africaine, son trafic global de marchandises est en constante évolution. Sur les cinq dernières années, on enregistre une croissance de +16,6 % avec 25,3 millions de tonnes (Mt) en 2020 contre 21,7 Mt en 2016. Au niveau du trafic conteneurs, on note une progression de 19,58 %, avec 760 149 EVP en 2020 contre 635 647 EVP.
Pour apporter une réponse au manque d’investissements structurants pendant la décennie 2000-2010, l’Autorité portuaire a conçu et mis en œuvre, dès 2011, un plan stratégique basé essentiellement sur la modernisation des infrastructures existantes et la construction de nouvelles pour répondre aux exigences du secteur.
Des investissements multiples Ainsi, ont été réalisés plusieurs projets dont les plus emblématiques sont : ● L’élargissement et l’approfondissement du Canal de Vridi, opérationnel depuis février 2019. La passe d’entrée du port d’Abidjan, ainsi redimensionnée, permet désormais au premier port ivoirien d’accueillir convenablement des navires d’une capacité de 14 000 EVP sans limitation de longueur. ● Le deuxième Terminal à Conteneurs (TC2), dont les travaux de construction des infrastructures sont terminés. Il est bâti sur 37,5 hectares et dispose de trois postes à quai avec un tirant d’eau de 16 mètres. Il sera opérationnel au début du second semestre 2022, après l’achèvement de la mise en place, par le concessionnaire, des superstructures dont la première pierre a été posée par le Président de la République, S.E.M Alassane Ouattara, le 5 octobre 2020.
CÔTE D’IVOIRE
Performances publiques
MINISTÈRE DES TRANSPORTS
En outre, les dispositions prévues sur le second terminal à conteneurs apporteront un plus à la gestion de l’environnement. En effet, ce terminal ultra-moderne offrira des solutions digitales connectées et sera respectueux des normes environnementales. Grâce aux équipements entièrement électriques, il sera labélisé « Green Terminal » pour sa faible émission de CO2. Au titre de la gestion financière, une amélioration notable est à souligner, au regard de la bonne notation attribuée au PAA par l’agence de notation Bloomfield Investment Corporation, qui s’est établie, en 2020, à A- pour le court terme avec perspective stable et AA- pour le long terme avec perspective stable. Projet de décongestion du complexe Ville Ville-Port. Port ●
Des perspectives encourageantes
Le Terminal Roulier, opérationnel depuis mars 2018. Il dispose de 8 hectares de terre-pleins et de deux postes à quai avec 14 mètres de tirant d’eau. Grâce à cette infrastructure, le Port d’Abidjan ambitionne d’être la première plateforme logistique pour le transit des engins roulants à destination des pays sans littoral de la sous-région ouest africaine, avec une perspective de trafic estimée à 70 000 véhicules par an.
L’ambition de l’Autorité portuaire est de transformer le Port d’Abidjan afin qu’il devienne un véritable complexe industrialo-portuaire avec des zones franches développées sur ses réserves foncières de 3 500 hectares, sur l’Ile Boulay et à l’ouest du canal de Vridi.
L’ensemble de ces trois projets représentent un investissement global de 933,4 millions de dollars US, financé grâce à un accord de prêt avec l’Eximbank Chine. ●
Cela va nécessiter la réalisation d’infrastructures de desserte pour permettre la décongestion totale du port et de la ville d’Abidjan. Ainsi seront réalisés : ● Un franchissement de la baie de Biétry par une liaison Vridi-Boulevard de Marseille. ● Un tunnel sous le canal de Vridi couplé à une rocade entre la zone portuaire et le pont de Jacqueville (60 km à l’ouest d’Abidjan). ● Un parking de stationnement des camions en dehors du port.
Le Terminal Céréalier, dont les travaux lancés le 16 janvier 2020, avancent à un rythme satisfaisant. À terme, l’ouvrage permettra au Port d’Abidjan de devenir le principal hub pour la redistribution des céréales qui sont importées en grandes quantités chaque année par les États de la sous-région pour les besoins de consommation des populations. Ce projet est financé à hauteur de 102 millions de dollars US, à travers un accord de coopération avec le gouvernement japonais.
Avec toutes les infrastructures en cours et prévues, le Port d’Abidjan consolidera davantage sa compétitivité et accroîtra son trafic global de marchandises qui devrait atteindre, selon les données prévisionnelles du Port Autonome d’Abidjan, 39,1 millions de tonnes en 2030 en partant de 26,2 millions de tonnes en 2021.
Des performances reconnues
Quant au trafic conteneurs, il est prévu 783 000 EVP en 2021 et 1,87 MEVP en 2030.
Outre les projets de développement infrastructurels, la compétitivité du Port d’Abidjan repose également sur la qualité de ses prestations et sa gouvernance. Ainsi, des efforts ont été consentis pour améliorer les conditions d’exploitation du port, en vue de l’obtention et du maintien des certifications aux normes qualité ISO 9001 version 2015 sur l’accueil des navires et 14001 version 2015 sur la gestion environnementale. Les installations du Port d’Abidjan sont reconnues conformes aux exigences du code ISPS depuis juillet 2004, grâce aux importants investissements réalisés pour maintenir un bon niveau de sûreté.
Trafic Total (en millier de tonnes) 45 000 40 000 35 000 30 000
25 351
26 259
2020
2021
27 789
28 991
29 889
2023
2024
31 347
33 617
35 423
37 011
38 660
39 107
2029
2030
25 000 20 000 15 000 10 000 5 000 2022
2025
2026
2027
2028
COMMUNIQUÉ
Image du Plan directeur du port de San Pedro et des zones d’influences.
PORT AUTONOME DE SAN PEDRO :
LES GRANDS CHANTIERS Le plan directeur de développement du port de San Pedro à l’horizon 2035 prévoit une extension et une modernisation des infrastructures du port de San Pedro ainsi qu’une augmentation de ses capacités opérationnelles. Les investissements réalisés jusqu’ici ont permis un accroissement du trafic et une amélioration des indicateurs de l’activité portuaire.
E
n 1968, la Côte d’Ivoire entreprend la plus importante des opérations de développement de la première décennie de son indépendance nationale, « l’Opération San Pedro ». Il s’agit de mettre en valeur une région restée jusqu’alors en marge du « miracle » ivoirien, le Sud-Ouest du pays, une région aux potentialités économiques considérables en ressources agricoles, minières, forestières et touristiques. Mais c’est une région enclavée qui fait frontière avec le Liberia à l’Ouest, bordée par l’Océan Atlantique au Sud et ses périphéries orientale et septentrionale, à peine effleurées par le réseau routier existant, s’étendent jusqu’à l’Est de la Guinée et au Sud du Mali.
Des infrastructures déficientes Le moteur de l’opération : un port, qui est créé de toutes pièces à San Pedro, à quelques 350 km à vol d’oiseau à l’ouest d’Abidjan. Premier port en eau profonde construit en Côte d’Ivoire, les activités du port de San Pedro furent lancées en mai 1971 avec l’accueil du navire « Korhogo » de l’ancienne Société Ivoirienne des Transports Maritimes (SITRAM). Il fut officiellement inauguré le 4 décembre 1972 par Son Excellence Feu le Président Félix Houphouët-Boigny.
Le port de San Pedro est investi d’une double mission consistant, d’une part à stimuler l’économie de l’Ouest ivoirien et, d’autre part, à promouvoir la coopération régionale en offrant un débouché maritime aux régions limitrophes sans littoral, notamment le Mali et la Guinée Forestière. La croissance des activités du port de San Pedro n’a malheureusement pas été suivie ni du développement de nouvelles infrastructures, ni de l’entretien requis pour les ouvrages et équipements existants. En outre, en raison de la crise économique des années 80, « l’Opération San Pedro » fut dissoute. Ainsi, les infrastructures du port, sous le poids de l’exploitation et en absence d’investissements adéquats, se sont graduellement dégradées jusqu’à atteindre un niveau critique au début des années 2000. Cette situation a affecté le fonctionnement, l’attractivité, la performance et la compétitivité du port de San Pedro. Le port a été victime de son exiguïté, de la mutation de la structure du trafic du port de commerce, de l’augmentation de la taille des navires susceptibles d’accoster au port et de l’inadéquation des voies de desserte de son hinterland.
Travaux de construction du Terminal Industriel Polyvalent de San Pedro
Un nouveau départ Afin de pallier le dysfonctionnement de ses équipements et résorber sa déficience infrastructurelle, la Direction Générale du Port Autonome de San Pedro (PASP) a réalisé en 2012, avec l’appui de l’Union Européenne et de la Banque Africaine de Développement (BAD), le plan directeur de développement du port de San Pedro à l’horizon 2035 et les études de faisabilité technique, juridique, économique et financière afférentes au Projet d’extension et de modernisation du port de San Pedro.
DE NOUVEAUX PROJETS EN VUE • La poursuite de la mise en œuvre du plan directeur de développement en 2022 permettra de renforcer la compétitivité du port de San Pedro en disposant d’une offre de services diversifiés et d’une plus grande faculté d’amélioration de performances. Plusieurs projets sont prévus : • Le déplacement et l’extension du terminal à conteneurs : deux postes à quai longs de 806 mètres sont prévus. Ils devraient permettre d’accueillir simultanément deux navires d’une capacité de 14 000 EVP et offrir 30 hectares de terre-pleins. La capacité de manutention sera portée à 1 million d’EVP/an. • L’achèvement de la construction et l’exploitation d’un terminal industriel polyvalent (TIPSP) : il s’agit de deux quais de 300 mètres de linéaire avec une profondeur de 15 mètres. La superficie prévue est de 14 hectares. Le nouveau terminal sera dédié au trafic de minerais (fer, manganèse, clinker, engrais, etc.). • L’aménagement et l’exploitation d’un terminal polyvalent commercial (TPCSP) dans l’enceinte portuaire actuelle, sous douane, pour le traitement de marchandises conventionnelles, le trafic roulier, l’exportation d’huile de palme et l’importation de céréales. • L’aménagement d’une zone économique industrielle de 150 hectares dans le domaine portuaire. • La réalisation des études et des travaux du Grand Terminal minéralier relié au chemin de fer San Pedro-Man.
Performances publiques
Grues Mobiles du Terminal de San Pedro.
Le nouveau programme de réhabilitation et de développement des infrastructures portuaires a été conçu pour étendre et moderniser les infrastructures du port de San Pedro et augmenter ses capacités opérationnelles. La construction du terminal industriel polyvalent de San Pedro a été lancée : les travaux sont pratiquement achevés (taux de réalisation de 80 % en septembre 2021). Les investissements en équipements ont permis de faire passer le nombre de grues mobiles de 3 en 2011 à 8 en 2021. Le temps d’attente des navires a été ramené de 60 heures à 40 heures. La qualité du management a été améliorée : le port a reçu trois certifications des activités aux normes qualité ISO 9001 version 2015, ISO 14001 et ISO 45 001. Les résultats opérationnels et financiers de l’activité portuaire à San Pedro sont en hausse constante depuis 2011. Le trafic global annuel de marchandises est passé de 1,8 million de tonnes (Mt) en 2011 à 5,1 Mt en 2019 et frôle aujourd’hui les 6 Mt, soit une progression de 233 %. Le chiffre d’affaires est en progression continue depuis 2011 avec un taux de croissance annuel de 10 %. Les recettes douanières collectées au port de San Pedro sont en hausse constante, puisqu’elles sont passées de 130 milliards de F CFA en 2011 à 204 milliards de F CFA en 2020 (+57 %). TRAFIC GLOBAL DE MARCHANDISES 2011 - 2021 7 000 000 6 000 000 5 000 000 4 000 000
JAMG - © Droits réservés
CÔTE D’IVOIRE MINISTÈRE DES TRANSPORTS
3 000 000 2 000 000 1 000 000
2011
2012
2013
2014
ORIGINE DESTINATION
2015
2016
2017
TRANSBORDEMENT
2018
2019
2020
2021
TOTAL MARCHANDISES
www.transports.gouv.ci
GRAND FORMAT ABIDJAN
LOISIRS
Sidick Bakayoko, ambassadeur de l’e-sport À la tête de sa société Paradise Game, cet ingénieur en informatique est devenu le principal animateur du secteur des jeux vidéo en Côte d’Ivoire.
JULIEN CLÉMENÇOT
D
ici à quelques semaines, un millier de jeunes viendront de tous les quartiers de la capitale économique – et parfois de bien plus loin – au centre commercial Cosmos, à Yopougon, pour en découdre. Les autorités ne s’inquiètent pas, les combats resteront virtuels. Une dizaine de tournois d’e-sport (sport électronique) vont être organisés du 25 au 28 novembre à l’occasion de la 5e édition du Festival de l’électronique et du jeu vidéo d’Abidjan (Feja5). « Au total, nous distribuerons 10 000 euros de prix », se réjouit Sidick Bakayoko, créateur, en 2019, de ce rendez-vous et fondateur de la société Paradise Game. Piqué aux jeux vidéo depuis ses études en informatique aux ÉtatsUnis, Sidick Bakayoko, qui a commencé par travailler dans le secteur des télécoms, est aujourd’hui l’un des principaux ambassadeurs de l’e-sport en Afrique de l’Ouest. « J’ai commencé avec ma sœur Bintou, en 2017, en louant quelques consoles aux opérateurs de télécoms en marge de concerts. D’abord trois, cinq, puis une dizaine », se souvient-il. Sur le continent, le secteur en est à ses balbutiements. Les compétitions d’e-sport pèsent moins de 5 millions dollars en Afrique du Sud, selon le site Statista, quand ses revenus atteignent 1 milliard au niveau mondial, portés par le sponsoring, les droits médias, la publicité et les ventes de billets. Mais l’écosystème se structure, assure Sidick Bakayoko : « Chaque mois, je parle aux responsables de
RODGER BOSCH/AFP
’
À son initiative, Yopougon accueillera plusieurs tournois d’e-sport du 25 au 28 novembre.
Bandai Namco [poids lourds japonais du jeu vidéo]. Il y a trois ans, je n’étais pas sur leurs tablettes. » Les compétitions internationales, qui, jusqu’à récemment, excluaient le continent, s’ouvrent aux joueurs d’Afrique du Sud, du Nigeria, d’Égypte ou du Ghana.
Gros succès sur les smartphones Difficile en revanche pour les studios locaux de se faire une place au soleil. « Quand vous développez un jeu avec quelques dizaines de milliers d’euros, vous ne pouvez pas rivaliser avec des créations dont les budgets atteignent des dizaines de millions de dollars », constate l’entrepreneur. C’est sur les smartphones que les productions africaines rencontrent le plus de succès, enregistrant parfois plusieurs dizaines de milliers
de téléchargements. Pour les aider à grandir, Sidick Bakayoko a déjà emmené plusieurs créateurs africains dans des salons internationaux. Son souhait serait de voir les meilleurs nouer des partenariats avec de gros studios. « On n’y est pas encore, mais cela viendra », soutient-il. En attendant, il poursuit son « évangélisation » des masses à la télévision ivoirienne, où il anime chaque samedi Paradise Show, une émission consacrée aux jeux vidéo. En contact avec les autres promoteurs de l’e-sport en Afrique, Sidick Bakayoko se verrait bien dupliquer ses activités dans d’autres pays. « D’ici à dix-huit mois, nous aurons renforcé notre encadrement et nous serons prêts à lever de l’argent pour nous lancer. L’écosystème sera lui aussi plus mature », promet-il. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
213
GRAND FORMAT ABIDJAN
Tribune Gauz Écrivain ivoirien
Les Shawarmamas
«
L
a route précède le développement », disait HouphouëtBoigny. « Tout commence par la route », clament les pontes du FMI. Alors, imaginez une ville planifiée par des houphouëtistes passés par le FMI. Abidjan grandit, grossit, s’étire et s’étale en de larges et belles routes. Des balafres noir macadam sillonnent la ville dans tous les sens. Le développement ne doit pas être loin. Alors on chouchoute nos routes. On les confie aux Shawarmamas. Quand on circule en ville, il est impossible de ne pas remarquer cette armée de femmes âgées sur les grands boulevards. Consciencieusement, elles balaient le sable venu des plages où elles ne mettent jamais les pieds. Dans l’étuve géante tropicale, elles sont recouvertes, jusqu’aux phalanges gantées : uniforme vert, chapeau de paille et bottes de plastique. Je les surnomme les Shawarmamas parce qu’elles cuisent, chauffées au-dessus par le soleil et en dessous par le goudron. Sisyphe modernes des tropiques, elles passent et repassent sur le même ouvrage parce que cette ville est pauvre en beaucoup de choses, mais pas en sable. L’état permanent d’embouteillage obligeant à rouler au pas, les Shawarmamas profitent
214
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
pleinement des gaz d’échappement. Elles sont gracieusement servies par des camions antédiluviens comme par des berlines dernier cri ou encore des « france-aurevoir », vieilles voitures importées d’Europe qui se refont une vie en voies de développement sur les routes africaines. Les Shawarmamas sont les témoins silencieuses du commerce florissant des embouteilleurs et embouteilleuses. Car à Abidjan, au moindre ralentissement, les routes pour lesquelles
Au moindre ralentissement, les routes se transforment en marchés bitumés. le pays s’endette sur les marchés financiers se transforment en marchés bitumés. Vendeurs et vendeuses apparaissent d’on ne sait où et se précipitent entre les voitures. Des légions d’enfants et de très jeunes adultes. Personne ne s’étonne qu’ils ne soient pas en classe, encore moins qu’ils « travaillent » à leur âge. Du sachet d’eau fraîche à l’électroménager, de l’artisanat local à la chinoiserie bancale, faire ses courses révèle tout son sens en
ces lieux et circonstances. Abidjan roads mall! Mouvement commercial par vitres interposées. L’argent circule au sens propre.
Ruissellement Alors les Shawarmamas se courbent, passent le balai avec plus de vigueur. Pas seulement parce qu’un superviseur tranquillement assis à l’ombre les observe, mais parce qu’elles sont pleines de l’espoir que la route chérie fasse ruisseler un jour sur elles autre chose que des litres de sueur. L’espoir est tout ce qui reste à qui concède déjà tant en dignité à passer la journée à balayer une route qu’un camionbalai peut nettoyer en quelques minutes. Elles ne sont pas dupes. Elles savent que leur travail permet à quelqu’un d’engranger une meilleure marge bénéficiaire tout en clamant que lui, au moins, « offre » un emploi « à des centaines de nos mères ». Elles ont peu de choix pour ne pas que leurs enfants finissent comme ceux avec qui elles partagent la chaussée. Peut-être qu’à force de balayer les routes c’est l’ensemble du pays qui va devenir propre. Rester digne, s’accrocher à la symbolique. Quand la route aura définitivement mené au bonheur, peut-être se souviendra-t-on qu’un jour, à Abidjan, les camions-balais étaient des Shawarmamas.
RÉGIE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
ACCÉLÉRATEUR DE VISIBILITÉ COMMUNICATION PANAFRICAINE & LOCALE
COMMERCIAL.ADVERTISING@CANAL-PLUS.COM DÉCOUVREZ NOS OFFRES SUR WWW.CANALPLUSADVERTISING.COM Source : N°1 en part d’audience (Kantar-Africascope) et en chiffre d’affaires (Omédia)
Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 - Email : f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris - France
ANNONCES CLASSÉES
carrières Nations Unies
Retrouvez toutes nos annonces sur le site : RECRUTEMENT
www.jeuneafrique.com
Êtes-vous un professionnel de la santé ayant une expertise dans la gestion des soins de santé, avec une supervision des services cliniques et de la santé au travail au niveau d’un établissement, d’un état, d’un pays ou d’un pays ? Le Secrétariat des Nations Unies recherche un Directeur(trice) médical(e) adjoint(e) de niveau D-1 au sein du Département de l’appui opérationnel à New York. Le Directeur(trice) médical(e) adjoint(e), aussi appelé Administrateur(trice) médical(e) général(e), supervise le travail et les résultats de la Division de la gestion des soins de santé et de la sécurité et de la santé au travail, et agit en tant que conseiller sur toutes les questions liées au bien-être, à la santé et à la sécurité au travail du personnel des Nations Unies dans les entités du Secrétariat des Nations Unies. Le directeur(trice) médical(e) adjoint(e) contribue à l’établissement de normes et de pratiques mondiales pour l’ONU et assure la qualité des soins de santé fournis par l’ONU. Le candidat idéal possède une solide expérience en médecine clinique, en santé au travail, en santé publique et/ou en gestion des soins de santé, y compris au niveau de la direction. Une expérience de la gestion d’équipes multiculturelles dans la prestation de soins de santé dans un contexte international serait un avantage. Soumettez votre candidature avant le 28 novembre 2021. Pour plus informations sur ce poste et sur la procédure de candidature, veuillez consulter le site : www.careers.un.org. N° de l’appel à candidature : 162316.
Avis de recrutement international La Société Immobilière et d’Aménagement Urbain (SImAU) est une société anonyme avec Conseil d’Administration au capital de cinq (05) milliards de francs CFA. Elle a pour objet, toutes les activités se rapportant à la promotion immobilière, l’assistance à maitrise d’ouvrage et la maitrise d’ouvrage déléguée, la construction et l’aménagement urbain. Avec un portefeuille de projets évalué à plus d’un (1) milliard d’euros, la SImAU se positionne comme un acteur majeur du secteur de l’immobilier au Bénin. Pour la conduite efficace de ses projets, la SImAU recrute pour sa direction générale : - un (01) Directeur Technique ; - deux (02) chefs de projets ; - un (01) Directeur du Contrôle. Les fiches de postes détaillées sont disponibles sur le site internet de la SImAU (www.simaubenin.com). Dossier de candidature Le dossier de candidature doit être constitué des pièces suivantes : - Une lettre de motivation signée du candidat et adressée au Directeur Général de la SImAU ; - un curriculum vitae détaillé (précisant trois (3) personnes de référence) ; - les photocopies des diplômes et attestations ; - les preuves des expériences requises ; - une indication du délai de disponibilité du candidat. Les dossiers de candidature doivent être reçus par voie électronique à l’adresse : recrutement@simaubenin.com, au plus tard le lundi 15 novembre 2021 à 00 heures précises. Pour tous renseignements complémentaires, veuillez écrire à l’adresse suivante : info@simaubenin.com. Conditions d’emploi - Le lieu de travail est le siège de la SImAU à Cotonou. - La durée du contrat est deux (2) ans, renouvelable sur la base de la performance de l’employé. - Une période d’essai sera observée conformément aux textes en vigueur.
216
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ANNONCES CLASSÉES
République de Côte d’Ivoire MINISTÈRE DE L’HYDRAULIQUE
PROJET DE RENFORCEMENT DE L’ALIMENTATION EN EAU POTABLE ET D’ASSAINISSEMENT EN MILIEU URBAIN (PREMU-FA) IDA 6452 CI
AVIS À MANIFESTATION D’INTÉRÊT N° 033/PREMU-FA/CB/2021 RELATIF AU RECRUTEMENT D’UN CONSULTANT EXPERT SENIOR HYDROLOGUE / HYDROGÉOLOGUE POUR L’APPUI À LA DIRECTION DE L’HYDROLOGIE DU MINISTÈRE DE L’HYDRAULIQUE
2. L’objectif de la mission du Consultant : Pour répondre aux sollicitations de la Direction de l’Hydrologie, le PREMU-FA se propose de recruter un Expert senior hydrologue/hydrogéologue (Expert) pour l’appui à la Direction de l’Hydrologie du Ministère de l’Hydraulique. Les objectifs spécifiques de la mission incluent les appuis techniques et administratifs pour : - les appels d’offres et les demandes de propositions ; - le suivi des études ; - le suivi des travaux ; - l’opérationnalisation de la Direction de l’Hydrologie. 3. Le présent Avis à Manifestation d’intérêt a pour objectif de solliciter du consultant individuel avec des qualifications avérées en Génie civil, Génie rural, Hydrologue, Hydrogéologue ou équivalent en vue du recrutement d’un consultant expert senior Hydrologue / Hydrogéologue pour l’appui à la direction de l’Hydrologie du Ministère de l’Hydraulique. 4. La durée nécessaire pour accomplir la mission est de vingt-quatre (24) mois à compter de la date de notification de démarrage. 5. La Cellule de Coordination du Projet de Renforcement de l’alimentation en Eau potable et d’Assainissement en Milieu Urbain (PREMU-FA) invite les consultants admissibles à manifester leur intérêt, à fournir les services décrits ci-dessus. Les Consultants intéressés doivent fournir un dossier comportant une lettre de manifestation d’intérêt et des informations pertinentes indiquant qu’ils sont qualifiés pour exécuter les prestations demandées notamment les brochures, références concernant l’exécution de contrats analogues, expérience dans des conditions semblables (années de réalisation, coûts, clients). 6. Compétences et qualifications du consultant : L’Expert senior hydrologue/ hydrogéologue sera un consultant individuel expert sénior en Hydrologie/ hydrogéologie. Il sera résident en Côte d’Ivoire à plein temps sur toute la durée de sa mission. Il sera Ingénieur (Bac + 5) en Génie civil, Génie rural,
Hydrologue, Hydrogéologue ou équivalent avec quinze (15) ans d’expérience minimum dans le domaine de l’hydrologie. Les candidats détenteurs d’un Doctorat en Hydrologie, Hydrogéologie ou Ressources en eau sont vivement encouragés. Il devra avoir participé à un minimum de cinq (05) études hydrologiques ou hydrogéologiques comprenant : - un minimum de deux (02) études incluant la modélisation de bassins versants ; - un minimum de deux (02) études incluant la modélisation de nappes souterraines ; - un minimum d’une (01) étude ou mission incluant l’installation de plateforme de collecte de données hydrologique (PCD) ; - un minimum d’une (01) mission de mise de cartographies SIG interactives sur Web ; - un minimum d’une (01) étude ou mission incluant des systèmes d’alerte précoce. L’expérience de la langue française parlée et écrite courante est exigée. Les candidatures féminines sont fortement encouragées.
MANIFESTATION D’INTÉRÊT
1. Le Projet de Renforcement de l’Alimentation en Eau Potable et d’Assainissement en Milieu Urbain (PREMU-FA) s’est consacré à la réalisation d’ouvrages hydrauliques (châteaux d’eau, bâche, Stations de Traitement, exhaure etc.), en vue d’accroitre la production de l’eau potable dans cinq (5) centres urbains à savoir : (i) Agboville, (ii) Béoumi, (iii) Bingerville, (iv) Korhogo-Ferkessédougou, (v) Tiassalé - N’Zianouan, N’Douci - Sikensi. Il ne prévoyait pas les travaux de raccordement des quartiers ou localités traversés par les conduites ou abritant ces ouvrages. En s’inscrivant dans la continuité des objectifs spécifiques sectoriels planifiés sur le projet, la réalisation du financement additionnel permettra d’élargir la cible et de renforcer ainsi les résultats et impacts du PREMU initial. Afin de bonifier les impacts des investissements réalisés dans le cadre du PREMU initial, un fond additionnel d’un montant de 150 000 000 Dollars US a été octroyé à l’Etat de Côte d’Ivoire par la Banque mondiale. Il est prévu d’utiliser une partie de ces ressources financières pour le paiement de prestation de service de consultant individuel pour le recrutement d’un consultant expert senior Hydrologue / Hydrogéologue pour l’appui à la direction de l’Hydrologie du Ministère de l’Hydraulique.
7. Le Consultant sera recruté sur la base des procédures définies dans le Règlement de Passation des Marchés dans le cadre du Financement de Projets d’Investissement (FPI) pour les Fournitures, Travaux, Services autres que des Services de Consultants et Services de Consultants de la Banque mondiale version de Juillet 2016, révision Novembre 2017 et Août 2018. 8. Les consultants intéressés peuvent obtenir les termes de référence à l’adresse ci-dessous et aux heures suivantes : de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures (heures locales). 9. Les manifestations d’intérêt devront être soumises en français et en six (06) exemplaires dont un original et une version électronique à l’adresse ci-dessous au plus tard le Vendredi 26 Novembre 2021 à 10 heures précises (heure locale) et porter la mention « Manifestation d’intérêt pour le recrutement d’un consultant expert senior Hydrologue / Hydrogéologue pour l’appui à la direction de l’Hydrologie du Ministère de l’Hydraulique ». 10. L’ouverture se fera le même jour en séance publique à 10 heures 30 minutes (heures locales)à l’adresse ci-dessous. 11. Les Termes de référence sont disponibles sur le site internet. L’adresse à laquelle il est fait référence ci-dessous est : https://www.prici.ci/up/2109291149.pdf Adresse de dépôt et ouverture des offres : Cellule de Coordination du Projet de Renforcement de l’alimentation en Eau potable et d’Assainissement en Milieu Urbain sise aux Deuxplateaux – Vallon, cité LEMANIA, lot 1802 Rez-de-chaussée au Bureau de la Passation de Marchés 08 BP 2346 ABIDJAN 08 –Côte d’Ivoire Tel : (225) 27 22 40 90 90 / 91 Adresse électronique : gekpini@yahoo.fr en copie lucrecey@yahoo.fr
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
217
ANNONCES CLASSÉES
MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES
SOLLICITATION DE MANIFESTATION D’INTÉRÊT SERVICE DE CONSULTANT Recrutement de consultant pour la fourniture de services d’audit des mines d’or en activité au Mali.
ATTRIBUTION DE MARCHÉ - MANIFESTATION D’INTÉRÊT
1. Contexte Le Directeur des Finances et du Matériel du Ministère de l’Économie et des Finances invite les bureaux de consultant admissibles à manifester leur intérêt à rendre le service cité ci-dessus. Les bureaux intéressés doivent fournir les informations indiquant qu’ils ont les qualités et compétences à réaliser ladite prestation justifiée par les preuves suivantes : - Expériences similaires attestées soit par l’attestation de bonne exécution, soit par un procès-verbal de réception provisoire ou définitive, accompagnée de copie des pages de garde et de signature du marché correspondant émanant d’organisme publics ou para publics ou internationaux. NB : les nouveaux bureaux qui ont moins d’une (01) année d’existence doivent apporter la preuve de leur existence par la fourniture de l’agrément ou la carte professionnelle. Ils doivent en plus de ces pièces justifier leur capacité à mener cette étude par la fourniture des CV signés par le titulaire et contresigné par le Responsable du cabinet du personnel clé détenant une expérience spécifique dans le domaine recherché.
RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL Un Peuple - Un But – Une Foi ----- -- ----Ministère de l’Eau et de l’Assainissement
2. Objectif L’objectif principal de la présente étude est double et consiste à réaliser un diagnostic global des activités d’exploitation minière à travers les composantes qui sont définies dans les termes de référence. 3. Durée et lieu de la mission La mission s’étendra sur une période de cent vingt (120) jours à compter de sa date de notification. 4. Financement de la mission : Le financement est assuré par le Budget national du Mali Lieu de dépôt des dossiers de candidature. Les manifestations d’intérêt doivent être déposées sous pli fermé avec la mention « Recrutement de consultant pour la fourniture de services d’audit des mines d’or en activité au Mali » au secrétariat de la Division Approvisionnement et Marchés Publics de la Direction des Finances et du Matériel du Ministère de l’Économie et des Finances au plus tard le 2 décembre 2021 à 10h et l’ouverture des plis aura lieu le même jour à 10 H 30 mn dans la salle de Conférence de ladite Direction, Hamdallaye ACI 2000 Bamako. Le Directeur Yehia Bouya TANDINA Chevalier de l’Ordre National
Agence Néerlandaise pour l’Entreprise RVO.nl
Agence Française de Développement
OFFICE NATIONAL DE L’ASSAINISSEMENT DU SÉNÉGAL AVIS D’ATTRIBUTION PROVISOIRE DE MARCHÉ
Numéro du Marché : N°T-DT-002 Dénomination du Projet : Conception et réalisation d’une station d’épuration clé en main dans le cadre du Projet de Dépollution de la Baie de Hann. Nombre d’offres reçues : Douze (12) 1. Groupement ABENGOA /EUROFINSA 2. Groupement SUEZ INTERNATIONAL /CDE 3. DENYS 4. SHAPOORJI PALLONJI 5. Groupement STEREAU/RAZEL BEC/GE 6. Groupement EIFFAGE GENIE CIVIL/EIFFAGE SENEGAL 7. POWER CHINA 8. QDICC 9. CGCINT 10. GROUPEMENT COSTRUZIONI DONDI/CSE 11. ALKE 12. GROUPEMENT BESIX/INCATEMA
218
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Nom et adresse de l’attributaire provisoire : Groupement SUEZ International/CDE 183, Avenue du 18 juin 1940 92508 Rueil Malmaison Cedex – France TéI. : +33(0) 46 25 60 00 Email : thierry.gillet@suez.com cde@orange.sn Montant de l’offre retenue : 32 306 911 717,25 F CFA HT/HD Délai d’exécution : 28 mois La publication du présent avis est effectuée en application de l’article 84, alinéa 3 du code des Marchés Publics. Elle ouvre dans un premier temps le délai pour recours gracieux auprès de l’Autorité Contractante (ONAS) puis dans un deuxième temps d’un recours auprès du Comité de Règlement des Différends de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics, en vertu de l’article 90 dudit code. Le Directeur Général de l’ONAS M. Ababakar MBAYE
ANNONCES CLASSÉES
AVIS D’APPEL D’OFFRES INTERNATIONAL N° 001 /PAPN-DG du 11 Octobre 2021 BP : 711 – Pointe-Noire République du Congo E-mail : info@papn-cg.org Web : www.papn-cg.org
Le Port Autonome de Pointe-Noire (PAPN), se propose de réaliser dans le cadre de son budget d’investissements exercice 2021, les travaux de dragage d’entretien des accès nautiques du Port de Pointe-Noire. 1- Les travaux à réaliser dans le cadre du projet comprennent, entre autres : - Le dragage du piège à sable ; - Le dragage du chenal d’accès ; - Le dragage du bassin portuaire ; - La mise en dépôt de l’ensemble des matériaux dragués dans la zone de SONGOLO afin de créer des terre-pleins gagnés sur la mer à la cote +3,00 m CM. 2- Le délai d’exécution des travaux est estimé à trois (03) mois. 3- Le Maître d’Ouvrage entend retenir un entrepreneur ou groupement d’entrepreneurs possédant de bonnes références dans le domaine des travaux de dragage maritime et portuaire et, une assise financière suffisante, en rapport avec l’importance des travaux. 4- Le présent appel d’offres sera de type ouvert, avec préqualification intégrée. 5- Les critères de pré qualification sont repris dans le dossier d’appel d’offres. Les critères d’évaluation des offres des candidats qualifiés sont également définis dans le dossier d’appel d’offres.
APPEL D’OFFRES
6- Les principaux critères de qualifications financières, techniques et d’expériences, auxquels les soumissionnaires doivent satisfaire, sont les suivants : o Après avoir réalisé un chiffre d’affaires annuel moyen pour les travaux similaires au cours des cinq (05) dernières années d’un montant équivalent à Cinq Milliards (5.000.000.000) FCFA ; o Avoir réalisé avec succès en tant qu’entrepreneur principal au cours des Cinq (05) dernières années au moins trois (03) projets de travaux similaires ; o Disposer de liquidités et/ou présenter des pièces attestant que le soumissionnaire a accès ou a, à sa disposition, des facilités de crédit d’un montant au moins équivalent à Deux Milliards (2.000.000.000) FCFA ; Les soumissionnaires éligibles et intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires auprès de M. Jean-Jacques MOMBO, Directeur de l’Equipement et Infrastructures (jeanjacquesmombo250@gmail.com ; + 242.05.553.20.89) ou : M. Gaétan MBAMA, Chef de département Génie Maritime (gaetanmbama@yahoo.fr ; +242.06 900.71.93) ou Edmond OTSOA, Responsable de la Cellule de Passation des Marchés (edmondotsoa5@gmail.com ; +242.05.747.91.91 ), les jours ouvrés de 08h00 à 13h00 et de 14h00 à 16h30. 7- L’ouverture des plis sera réalisée en deux (02) phases : Phase n°1 : la première enveloppe contenant les documents administratifs ainsi que les justificatifs de compétences, de moyens techniques et financiers sera ouverte pour tous les soumissionnaires ayant rendu leurs offres dans les délais requis et en nombre suffisant. Après analyse du contenu de cette première enveloppe, une sélection des candidats retenus sera effectuée en fonction des critères de qualification repris dans le dossier d’appel d’offres. Phase n°2 : la seconde enveloppe des soumissionnaires retenus en phase n°1 sera ouverte en vue de l’analyse des offres financières. A l’issue de celle-ci, le soumissionnaire qui aura présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sera déclaré, comme adjudicataire. 8- Les candidats intéressés peuvent retirer le dossier d’appel d’offres complet, moyennant paiement de la somme d’Un Million (1.000.000) FCFA non remboursable, auprès des services habilités de la Direction Financière et Comptable du PAPN. Une visite des sites des travaux est prévue dans les dix (10) jours suivant la publication de l’AAOI. 9- Les dossiers d’appel d’offres sont rédigés en français. Toutes les offres seront intégralement rédigées en langue française et devront être remises en 06 exemplaires (01 original + 5 copies) et une version électronique. Les documents officiels en langue étrangère doivent être accompagnés d’une traduction certifiée en langue française. 10- Les offres sont adressées par voie postale (normale ou expresse), ou remises contre récépissé à l’adresse mentionnée ci-après : Direction Générale du Port Autonome de Pointe-Noire - B.P. 711, Avenue de Bordeaux (Enceinte du Port) Pointe-Noire, République du Congo La date limite de dépôt des offres est fixée au 15 novembre 2021, à 12 heures (heure de Pointe-Noire). L’ensemble des documents devra être envoyé par courrier dans une enveloppe unique, en indiquant lisiblement « TRAVAUX DE DRAGAGE D’ENTRETIEN DES ACCÈS NAUTIQUES DU PORT AUTONOME DE POINTE-NOIRE ». Deux enveloppes placées à l’intérieur de cette enveloppe unique porteront respectivement les mentions suivantes : « Documents administratifs et techniques » et « Offre financière ». Les offres remises en retard ne sont pas acceptées. L’enveloppe devra indiquer les noms et adresse du Soumissionnaire pour permettre son retour sans qu’elle ne soit ouverte, si l’offre est arrivée hors délai. 11- Les offres seront ouvertes le 15 novembre 2021 à partir de 12 h 30 mn dans la salle de conférence de la Direction Générale du PAPN en présence des soumissionnaires présents ou de leurs représentants uniques désignés officiellement. Les offres devront être valides pour une période de 180 jours. Pointe-Noire le, 11 octobre 2021 Le Directeur Général du Port Autonome de Pointe-Noire Mr Séraphin BHALAT
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
219
ANNONCES CLASSÉES
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
AVIS DE REPORT - APPEL D’OFFRES
Société Nationale d'Électricité SA
Avis d’Appel d’Offres International Sélection d’un Prestataire des services de maintenance des infrastructures de fibres optiques de la Société Nationale d’Électricité SA Avis d'appel d'offres international AOI n°004/SNEL SA/DG/DEQ/DGR/CPM/2021/MT Sélection d'un Prestataire chargé des services de maintenance des infrastructures de fibres optiques de la Société Nationale d'Electricité SA
Dans le cadre du projet des marchés d’électricité en Afrique australe financé par la Banque mondiale et la Banque Européenne d’investissement, des câbles à fibres optiques ont été déployés par la Société Nationale d’Électricité SA ( « SNEL SA ») notamment entre les centrales hydroélectriques d’Inga (proches de Kinshasa) et Kasumbalesa (située à la frontière avec la Zambie) sur une longueur de plus de 2 200 km ainsi que sur le réseau électrique à haute tension au Bas-Congo et à Kinshasa. Les câbles à fibres optiques sont installés notamment sur les câbles de garde de nouvelles lignes électriques et certaines lignes existantes à haute tension ainsi que sur l’une des lignes très haute tension existantes entre Inga et Kolwezi.
Les Candidats pourront se procurer le Dossier d’Appel d’Offres à partir du 4 octobre 2021 auprès du Département de l’Équipement et Électrification Rurale à l’adresse ci-après : Société Nationale d’Électricité SA « SNEL SA » Direction Générale Département de l’Équipement et Électrification Rurale 2831, Croisement des Avenues de la Justice et BATETELA, Quartier SOCIMAT Kinshasa- Gombe République Démocratique du Congo E-Mail : cdp_snel@yahoo.com Tél. :+ 243 814907466 / 243 815 025 285
SNEL SA, ayant mis à disposition une partie des fibres optiques non nécessaires à ses besoins aux opérateurs (dont Vodacom, Airtel et Liquid Telecom), souhaite recruter un Prestataire pour les services de maintenance des Câbles à fibres optiques ainsi que les équipements d’énergie (groupes, batteries, redresseurs, ateliers solaire) des zones d’accueil des opérateurs tout au long de son réseau de fibres optiques.
La demande du Dossier d’Appel d’Offres devra être effectuée formellement par courrier ou courriel/e-mail et devra préciser qu’il s’agit d’une « Demande du Dossier d’Appel d’Offres pour les services de maintenance des fibres optiques sur les câbles de garde des lignes à haute tension de la SNEL ». A la réception de la demande, le Dossier d’Appel d’Offres sera remis dans les locaux de SNEL SA ou envoyé par courriel/e-mail par SNEL SA. Les offres des Soumissionnaires, présentées selon la forme requise par le Dossier d’Appel d’Offres, devront être déposées au plus tard le 30 novembre 2021 à 14 h 30 TU à l’adresse susmentionnée, en portant expressément la mention « Offre pour les services de maintenance des infrastructures de fibres optiques de la Société Nationale d’Électricité ». Toute offre remise en dehors de la date et de l’heure limites de soumission ne sera pas acceptée. Le dépôt des offres électroniques n’est pas permis. Les Soumissionnaires seront informés de la suite donnée à leur candidature dans les conditions et selon les modalités prévues au Dossier d’Appel d’Offres. Le Directeur Général Jean-Bosco KAYOMBO KAYAN
Par le présent avis, SNEL SA lance un appel d’offres aux candidats intéressés par les services de maintenance de ses fibres optiques sur les câbles de garde de ses lignes à haute et très haute tension existantes. La durée de prestation desdits services est de cinq (5) ans. La rémunération et les charges du Prestataire seront financées par les opérateurs exploitant les fibres optiques sur le réseau de SNEL SA. Le descriptif synthétique du réseau de fibres optiques de SNEL SA et la liste des critères d’évaluation et de qualifications, des déclarations requises et des documents nécessaires, sont repris dans le dossier d’appel d’offres (le « Dossier d’Appel d’Offres ») auquel cet avis est assujetti.
Kinshasa, le 06 oct. 2021
Société Nationale d'Électricité SA
N/Réf. : DG/DEQ/DGR/CPM/390/062/CWF/2021
AUX CANDIDATS
Concerne : - Sélection d’un Prestataire chargé des services de gestion de la maintenance des infrastructures de fibres optiques de la Société Nationale d’Électricité SA - Report de la date de remise des offres Suite à la visite des sites qui sera organisée avec des Candidats au courant du mois de novembre 2021 dont le programme vous sera communiqué au préalable, nous avons l’avantage de porter à votre connaissance que la date de remise des offres initialement prévue pour le 30 novembre 2021 est reportée au 14 janvier 2022 à 14h30, heure de Kinshasa (TU+1). Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de notre parfaite considération. Le Directeur du Département de l’Équipement et Électrification Rurale José MAHOLO FUKA
220
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
ANNONCES CLASSÉES
Banque des États de l’Afrique Centrale - Services Centraux Commission Générale de passation des marchés n°01 Appel d’offres international ouvert no 133/BEAC/SG-DPMG/AOIO/Tvx/2021 du 07 octobre 2021 pour la construction du nouvel immeuble de la Direction Nationale pour le Cameroun à Yaoundé
Dans le cadre de sa politique de gestion du patrimoine, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale envisage, sur ressources propres, de construire un nouvel immeuble devant abriter sa Direction Nationale à Yaoundé. A cet effet, elle invite, par le présent avis d’appel d’offres, les entreprises qualifiées, intéressées et remplissant les conditions requises, à présenter une soumission.
La participation au présent appel d’offres est conditionnée par le paiement de la somme non remboursable de deux millions (2 000 000) francs CFA ou l’équivalent dans une monnaie librement convertible. Le paiement devra être effectué par virement bancaire ou en espèces aux guichets de la BEAC à l’exception du Bureau de Paris.
Le processus se déroulera conformément aux dispositions du Règlement n°01/ CEMAC/UMAC/CM/18 portant adoption du Code des marchés de la BEAC.
Les soumissions, obligatoirement accompagnées d’une garantie bancaire de soumission sous forme de garantie autonome à première demande, conforme au modèle indiqué dans le DAO sans aucune mention manuscrite et d’un montant forfaitaire de deux millions (2 000 000) FCFA, devront être déposées à l’adresse indiquée ci-après, au plus tard le jeudi 02 décembre 2021 à 12 heures précises. Les soumissions reçues après le délai fixé seront rejetées.
Les entreprises peuvent obtenir un complément d’information à l’adresse cidessous, entre 9 heures et 12 heures, les jours ouvrés. Le dossier d’appel d’offres rédigé en français peut être consulté gratuitement, acheté et retiré à l’adresse indiquée ci-dessous.
BANQUE DES ÉTATS DE L’AFRIQUE CENTRALE – SERVICES CENTRAUX BUREAU D’ORDRE 15ème étage, porte 15.01 ‰ : 736 Avenue Monseigneur Vogt - BP 1917 Yaoundé - Cameroun
APPEL D’OFFRES - DIVERS
BANQUE DES ÉTATS DE L’AFRIQUE CENTRALE – SERVICES CENTRAUX Direction Générale de l’Exploitation – CGAM, 14ème étage, porte 1412 ‰ : 736 Avenue Monseigneur Vogt - BP 1917 Yaoundé - Cameroun Ë : (+237) 222 23 40 30 ; (+237) 222 23 40 60 postes 5452, 5431, 5412 ou 5403 6 : (+237) 222 23 33 29 @ : cgam.scx@beac.int
Les soumissions seront ouvertes en deux phases. Les plis administratifs et techniques seront ouverts, le jeudi 02 décembre 2021 à 13 heures aux Services Centraux de la BEAC à Yaoundé. Les plis financiers, pour les offres jugées conformes, seront ouverts à une date qui sera communiquée ultérieurement. Le Président de la Commission
BÂTIMENTS GALVANISÉS EN KIT Steel Shed
Solutions
La Société Immobilière et d’Aménagement Urbain (SImAU) est mandatée par le Port Autonome de Cotonou (PAC) pour la conduite du Projet de construction du Centre des Affaires Maritimes (CAM) à Cotonou, en République du Bénin. Dans ce cadre, elle sollicite des offres sous pli fermé de la part de candidats éligibles et répondant aux qualifications requises pour la réalisation des travaux dudit projet.
+ ROBUSTE + QUALITATIF + ABORDABLE 0 I 27
ur 40 ’OT
48m
20,6m
~900m²
$50 89 1
Les candidats intéressés par cette annonce sont invités à consulter l’Avis d’Appel d’Offres International complet sur le site : www.simaubenin.com dans la rubrique « APPEL D’OFFRES ».
Cotonou, le 29 septembre 2021
*
8m
Date limite de dépôt des offres : Jeudi 30 décembre 2021 à 10 heures (GMT+1) au plus tard.
1 Con te
0 I 36
I 450
En raison de l’évolution de la pandémie de Covid-19 qui limite les déplacements, les soumissionnaires qui le souhaitent, pourront déposer leurs offres en ligne. Les offres seront ouvertes le même jour, le jeudi 30 décembre 2021 à 10 heures 30 (GMT+1) et les soumissionnaires qui le désirent sont invités à y assister uniquement par visioconférence.
~1 000 ² m
$49 05 0
1 Con tene
I 450
Avis d’Appel d’Offres International
+ DE 400 000 M² VENDUS EN AFRIQUE
neur
*
40’OT
8m
25m
36m
*Prix départ HT, voir site internet. Photos non contractuelles. Sauf erreur ou omissions.
00352 621 355 134 commercial@batimentsmoinschers.com Tél : 00352 20 20 10 12 afrique.batimentsmoinschers.com
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
221
PROPOSITIONS COMMERCIALES
ANNONCES CLASSÉES
Assemblage intelligent & rapide sur site
Supervision par un monteur ou un partenaire Frisomat expérimenté
Transport et livraison vite & optimal
Plus de 1.000 bâtiments installés en Afrique
San Pedro
Bonoua
Frisomat Afrique | +32 3 353 33 99 | info@frisomat.africa | www.frisomat.africa
HTG INDUSTRY SAS FRANCE A MEMBER OF
GROUP
ce un sou f~ e d’ava n
LIGNES COMPLÈTES DE SOUFFLAGE ET DE REMPLISSAGE POUR BOUTEILLES EN PET, CANETTES ET BOUTEILLES EN VERRE
APPLICATION Eau plate, jus, boissons gazeuses, lait, huile végétale, produits chimiques et brasseries clé en main.
CADENCE 1,000 BPH à 24,000 BPH
FABRICATION EUROPÉENNE Machines tropicalisées garanties 3 ans Service après-vente local assuré
HALL1 D1-6 et HALL 2 PAVILLON FRANCE Adresse
42 AV FOCH, 60300 SENLIS, FRANCE
222
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Visitez pour plus d'informations
www.htgindustry.com
Téléphone
+33 (0) 344 265 893
Contact
contact@htgindustry.com
JEUNE AFRIQUE & VOUS Le tour de la question Paroles d’abonnés
FETHI BELAID/AFP
À Tunis, TLScontact travaille avec les gouvernements du monde entier pour fournir des services consulaires et des visas.
Les visas de la discorde Le Maghreb, victime collatérale d’enjeux franco-français?
«
C
hirac, des visas ! » scandait la foule lors d'une visite triomphale à Alger de l’ancien président, en 2003. Dix-huit ans plus tard, la question migratoire reste au cœur des relations entre la France et ses ex-colonies d’Afrique du Nord, qui trustent le top 3 des pays de naissance des immigrés arrivés en France en 2019, selon l’Insee. L’annonce du gouvernement français, le 28 septembre, de réduire de moitié le nombre de visas délivrés aux ressortissants marocains, algériens et tunisiens – la baisse n’est « que » de 30% pour ces derniers – a fait l’effet d’une bombe. C’est que Paris s’agace du faible nombre de laissez-passer consulaires délivrés par les autorités des trois pays pour reconduire à la frontière leurs ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une préoccupation qui avait en partie motivé la tournée maghrébine du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en novembre 2020, lors de laquelle il n’avait obtenu que des réponses
dilatoires. La décision française, aux allures de punition générale, est tombée moins d’un an plus tard. Les trois pays se défendent en faisant valoir la complexité des dossiers évoqués. L’identification formelle des personnes faisant l’objet d’une OQTF se révèle impossible. Les individus sont présentés devant plusieurs consulats pour être identifiés, le plus souvent en vain. Surtout, les autorités maghrébines s’agacent d’une décision politique, voire électoraliste. Un avis partagé par certains lecteurs de JA. « Une campagne électorale aux dépens des pays du Maghreb », a sobrement commenté l’un d’eux, tandis qu’un autre y voit les prémices du recul de l’influence française : « L’anglais va petit à petit devenir la deuxième langue au Maroc. » À l’approche de l’élection présidentielle française, avec un Éric Zemmour présenté comme potentiel finaliste, le thème de l’immigration est plus brûlant que jamais, et la tentation de l'instrumentaliser, probablement grande. Jihâd Gillon
Bras de fer entre le Mali et la France : peut-on espérer un apaisement des tensions?
OUI 66,7%
NON 33,3%
OUI. Les deux pays sont condamnés à collaborer, car ils ont des intérêts supérieurs à ceux de leurs dirigeants. Issaka SIMPORE, Burkina Faso NON. Il y a trop de tensions « interethniques ». Et chaque groupe s’appuie, au gré de ses intérêts, soit sur la France soit sur d’autres puissances internationales, comme la Russie. Michel-Alain BOISSON, France
NOTRE RÉPONSE L’orage menace toujours entre Paris et Bamako. Et les accusations «d’abandon» réitérées à l’encontre de la France à propos de la fin de l’opération Barkhane, tout comme l’annonce de futures négociations avec des jihadistes liés à Al-Qaïda, ne sont pas de nature à apaiser les tensions. Si les deux alliés dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel ont l’un et l’autre envie de poursuivre leur collaboration – quoi qu’ils en disent –, leur relation future dépendra très certainement aussi de la décision de Bamako de faire appel ou non à la société privée russe Wagner. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
223
JEUNE AFRIQUE & VOUS
Ce jour-là…
7 novembre 1987 Ben Ali déboulonne Bourguiba À Tunis, il y a trente-quatre ans, un ambitieux général évinçait le vieux chef de l’État qui avait fait de lui son Premier ministre. Un drame shakespearien raconté à l’époque par François Soudan.
I
l est 6 heures, en cette matinée du samedi 7 novembre. La radio nationale diffuse des romances de Fairouz, des chants de laboureurs et des airs folkloriques. Ceux qui écoutent – et ils sont nombreux à se lever tôt pour aller au travail – remarquent aussitôt que quelque chose a changé. Point de directives présidentielles, d’hymnes patriotiques ni de soulaima, ces sortes de gospels religieux « détournés » à la gloire de Bourguiba. Point de musique militaire non plus.
discrètement la mort politique du Père. « Je l’aime, il est tout pour moi, nous dira une employée d’hôtel. Pourquoi lui ont-ils fait cela? » Fatma Achour, l’épouse du leader syndicaliste Habib Achour,
Engourdis et pétrifiés À 6h30 précises, Zine el-Abidine Ben Ali déclare… Aux deux premières phrases, beaucoup croient à l’annonce du décès de Bourguiba. Mais, rapidement, la voix un peu sourde sur les ondes grésillantes ne laisse plus aucune place au doute : « Face à sa sénilité et à l’aggravation de son état, et se fondant sur le rapport y afférent, le devoir national nous impose de le déclarer dans l’incapacité absolue d’assumer les charges de la présidence de la République. De ce fait, et en application de l’article 57 de la Constitution, nous prenons en charge, avec l’aide du Tout-Puissant, la présidence de la République et le commandement suprême de nos forces armées. » La plupart des auditeurs se sentent comme engourdis par une sorte d’immense soulagement, comme pétrifiés face à cette chape de plomb qui, tout à coup, disparaît. Certains, pourtant, pleurent
224
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
« La Tunisie avait besoin d’un homme, elle l’a trouvé. » privé de liberté depuis deux ans et en butte à l’hostilité déclarée de l’hôte du palais de Carthage, elle, ne se pose pas cette question. Elle se précipite dans la chambre où son époux sommeille encore, esquisse un pas de danse, bat des mains, rit aux larmes. « Mais que
se passe-t-il ? » demande Habib Achour. « Bourguiba est tombé », répond Fatma. Habib Achour repose sa tête sur l’oreiller et murmure : « Dieu existe, Dieu existe… »
Un direct au foie Réveillé par un coup de téléphone, Ahmed Mestiri, le président du Mouvement des démocrates socialistes, a tout juste le temps de capter les dernières phrases de la déclaration du nouveau chef de l’État. « Je m’y attendais un peu, nous dirat-il. Depuis deux semaines, c’était Bourguiba ou Ben Ali. » Mestiri voyait peut-être le drame se nouer, mais Béchir Khantouche, vice-président de l’Assemblée nationale, l’a reçu comme un direct au foie, avant de faire la preuve de ses étonnantes facultés de récupération. Le jeune avocat est à Tripoli, en Libye, dans sa chambre d’hôtel lorsqu’un collègue syrien le tire de son sommeil. « Bourguiba… Ben Ali… », Khantouche blêmit, se crispe et écoute, sidéré, les radios étrangères. Rapidement, son visage se transforme et se détend. « La Tunisie avait besoin d’un homme, elle l’a trouvé. » De retour à Tunis, un peu plus tard dans la journée, il ira directement de l’aéroport au ministère de l’Intérieur, pour se jeter dans les bras de Ben Ali. La nuit du 6 au 7 novembre entrera dans l’Histoire comme le dénouement d’un conflit shakespearien, d’un drame de sérail et de coulisses que le peuple tunisien a vécu en spectateur.
AVEC JEUNE AFRIQUE DIGITAL, PROFITEZ : + de tous nos contenus digitaux pour plus d’analyses, d’informations exclusives et de débats + de nos newsletters et de nos alertes pour suivre toute l’actualité africaine en temps réel + de nos archives pour comprendre l’évolution du continent africain
Abonnez-vous à Jeune Afrique Digital à partir de
Rendez-vous sur jeuneafrique.com/abonnements pour découvrir nos offres
1 € seulement
et profitez de toute l’actualité africaine décryptée pour vous.
Post-Scriptum Georges Dougueli
Ces « maris de nuit » qui nuisent à l’Afrique
français. Et Tonda d’ajouter que ces personnes, qui ne sont plus capables de travailler, s’en vont chercher la délivrance dans les Églises de réveil. Pour l’universitaire, ce rêve n’est ni plus ni moins que l’expression d’une « accumulation de frustrations liées aux conditions matérielles dans lesquelles se débattent les individus. L’argent qui fait défaut, la maison qu’on ne peut pas construire ou acheter, les études qu’on ne peut entreprendre… Bref, les maris de nuit sont tous ces obstacles et toutes ces frustrations qui se transforment, par le travail du rêve, en entités sans visage, sans nom, sans âge et même sans genre… Ils sont des figures de l’imaginaire qui symbolisent tous les désirs irréalisés et irréalisables. » Qui a jamais osé établir un lien entre « maris de nuit » (sorcellerie) et capitalisme? On en écarquille les yeux.
Structure du malheur
U
n livre peut être une petite bombe à retardement. Professeur de sociologie et d’anthropologie à l’université OmarBongo de Libreville, Joseph Tonda a discrètement tenté de larguer la sienne en publiant, en mai dernier aux éditions Karthala, Afrodystopie. La vie dans le rêve d’autrui. Auraitelle explosé qu’il aurait déjà été excommunié de la communauté des intellectuels africains pour intelligence avec l’ennemi néocolonialiste. Pour l’instant, le livre, qui connaît un relatif succès dans les librairies de France, fait monter la température dans des forums de messagerie instantanée, où des collègues d’Afrique francophone instruisent le procès de l’auteur, tant il est vrai que, dans cette communauté, la chasse aux intellectuels soupçonnés de « stigmatiser le continent pour plaire aux blancs » devient une activité à plein temps. Quitte à faire un sort à un essai qui sent bon l’exotisme à la Tarzan, autant le proposer en objet de débat. Déjà, il faut ouvrir le livre et y entrer sans trébucher sur le titre, Afrodystopie. Ô paradoxe! Les laboratoires en sciences humaines et sociales sont gangrenés par la novlangue que dénonçait pourtant
226
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
George Orwell, le maître de la dystopie, du reste omniprésente dans l’ouvrage. Tonda, comme la plupart de ses collègues, est difficile à lire. Mais ne lui jetons pas plus la pierre que l’encens sans ausculter son propos. L’anthropologue tente d’expliquer le malheur du continent par le fait que, sous l’empire du néolibéralisme triomphant, les Africains ont érigé l’argent en « valeur suprême ». Pour étayer son analyse, il met en exergue le phénomène dit des « maris de nuit », des entités rêvées qui ont des rapports sexuels avec des hommes ou des femmes pendant leur sommeil. « Ces entités procurent une extrême jouissance à celles et ceux qu’elles visitent, et l’expérience est si physique et puissante que, dans le même temps, elle les transforme dans la vie réelle en zombies », explique l’auteur dans un entretien à un quotidien
« Des figures de l’imaginaire qui symbolisent tous les désirs irréalisés et irréalisables. »
Relevons tout de même, pour le déplorer, que cet essai repose sur un phénomène – les maris de nuit – existant mais marginal. En outre, la réalité qu’il décrit est aussi vieille que les peuplades bantoues. Pour exister, elle n’a pas attendu l’argent du colonisateur et encore moins les églises pentecôtistes. Reste que, vrai ou faux, le propos mérite d’être questionné. L’auteur titille notre intelligence en donnant une interprétation nouvelle à la vie psychique de la société africaine contemporaine, alors qu’il est établi que cette dernière a été profondément et durablement affectée par les situations coloniales et postcoloniales. D’ailleurs, La vie dans le rêve d’autrui explique peut-être, aussi, la propension de la classe dirigeante à privilégier ses intérêts égoïstes au détriment du bien-être général. Elle qui est mue par un irrépressible désir de conserver ou d’accumuler de la puissance pour dominer et soumettre ses semblables. En tout cas, Joseph Tonda en est persuadé: « C’est cela la structure du malheur dans lequel nos sociétés sont enfermées. » Pour en sortir, l’anthropologue prône la « révolution intellectuelle ». La formule est trop vague pour engager, mais ça ne coûte rien de l’approuver.
REJOIGNEZ L’AVENIR
L’AFRIQUE EN MOUVEMENT Moov Africa est la marque commerciale qui rassemble l’ensemble des filiales de Maroc Telecom dans les 10 pays de présence du groupe : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger, République Centrafricaine, Tchad et Togo. La marque Moov Africa révèle au monde l’empreinte panafricaine du Groupe Maroc Telecom et illustre sa vision d’une « Afrique en mouvement » qui réside dans le principe de partage du savoirfaire du groupe et sa capacité d’innovation au profit des pays dans lesquels il opère. Moov Africa c’est la promesse d’une offre multiservices pour répondre aux besoins essentiels des populations dans les domaines des télécoms, de l’éducation, du mobile banking, de la culture et du développement durable. MOOV AFRICA UN MONDE NOUVEAU VOUS APPELLE
MOBILISÉS POUR NOS 175 000 ENTREPRISES CLIENTES EN AFRIQUE