Focus
R éunir dans un même bâtiment un fonds d’investissement, des services de légalisation, un bureau de l’Office de la propriété indus trielle et commerciale (Ompic), des services postaux et un bureau de sécurité sociale, et y organiser des conférences et autres ateliers : c’est la recette du Technopark pour booster l’entrepreneuriat innovant au Maroc. Accueillies dans cet écosystème, les start-up sont incitées à faire leurs preuves pendant cinq ans, au bout desquels elles doivent avoir musclé leur chiffre d’affaires, doublé leur effectif et être capables de voler de leurs propres ailes.
Implanté à l’entrée de Casablanca, à proximité du centre d’affaires de Sidi Maârouf, cet immeuble à l’architecture futuriste est devenu au fil des années une pépinière de jeunes pousses du royaume Si bien qu’en vingt ans, la société de gestion du lieu, la Moroccan Information Technopark Company (MITC), a accompagné quelque 3 000 entreprises du domaine de la techno logie, « dont 1 500 sont hébergées directement au Technopark », se félicite sa directrice générale, Lamiae Benmakhlouf.
Accompagnement
Une « aventure » qui a démarré en 2001, quand le roi Mohammed VI a donné le coup d’envoi de l’incubateur, dont les services se limitaient alors à la location de bureaux prêts à l’emploi, moyennant moins de 150 euros de loyer mensuel et un accès gratuit à internet dont le prix était très dissuasif à l’époque. « C’est comme cela que nous avons attiré de plus en plus de start-up Mais notre business model s’est transformé au fur et à mesure, et nous avons rapidement identifié que ces entreprises avaient absolument besoin d’un
accompagnement de proximité », explique encore la maîtresse des lieux « À partir de 2010, nous avons ainsi invité des structures d’accompagnement àrejoindrelesstart-upau Technopark », ajoute-t-elle. Comme Maroc Numeric Fund (MNF), le premier véhicule d’investissement qui travaille avec les start-up de la tech.
Outre par la MITC, le Technopark est détenu par la Caisse centrale de garantie (CCG), BMCE Bank devenue Bank of Africa –, Attijariwafa Bank, la Banque centrale populaire (BCP), qui ont mobilisé dès 2010 près de 10 millions d’euros « En plus de l’aide financière, ces jeunes
pousses disposent de tout ce dont elles peuvent avoir besoin au quotidien : un expert-comptable, des assurances, l’Anapec (Agence natio nale de promotion de l’emploi et des compétences), la CIMR (Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite)... », souligne la directrice générale, précisant que chacune de ses équipes suit et accompagne 30 start-up
Il s’agit de permettre aux startupers de se consacrer totalement à leur activité, loin des tracasse ries administratives du quotidien. Une méthode qui a porté ses fruits au vu du bilan présenté en 2021 : 86 % de ces jeunes pousses réussissent après deux ans d’incubation. « C’est énorme en comparaison de celles qui se développent sans
Depuis 2001, le Technopark de Casablanca a accompagné quelque 3 000 start-up de la tech.Il s’agit de permettre aux startupers de se consacrer à leur activité, loin des tracasseries administratives.
l’accompagnement du Technopark et pour lesquelles le taux de réussite est de 30 % dans le meilleur des cas », explique Lamiae Benmakhlouf. Par ailleurs, 25 % des entreprises accompagnées parviennent à exporter leurs services à l’international, et particulièrement en Afrique subsaharienne.
Parmilesexemplesderéussite,Data
Protect, une entreprise de cybersécurité lancée en 2009 avec un capital de moins de 1000 euros dans un espace de moins de 30 m2 , et qui compte aujourd’hui parmi les champions dans son domaine Fondée par Ali El Azzouzi, un consultant passé notamment chez British Telecom, la société réalise aujourd’hui un chiffre d’af faires de plus de 15 millions d’euros, dont les trois quarts proviennent de l’exportdansunequarantainedepays
Monétique
C’estlecasaussideMarocTraitement deTransactions(M2T),unspécialiste des solutions de paiement sécurisé qui revendique2,5 millions de clients par mois, plus de 3 000 agences et 12 millions de dirhams (soit plus de 1 million d’euros) de chiffre d’af faires. Créée en 2001, la société, qui dispose de deux filiales, en France et auSénégal,arapidementaiguisél’ap pétit des investisseurs, dont celui de la Banque centrale populaire (BCP), qui a fini par la racheter totalement en 2018 La start-up compte parmi ses partenaires les opérateurs Maroc Telecom, Inwi ou encore Redal et Amendis, deux filiales de Veolia.
Un parcours quelque peu similaire à celui de Value Pass, un intégrateur SAP qui a vu le jour au Technopark, avant de se déployer en Tunisie, en Algérie et dans plusieurs pays au sud du Sahara. En 2018, la start-up, qui brasse plus de 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, a été rache tée par le français Inetum, ex-Gfi Informatique. « Nous sommes convaincus que le développement économique et social du continent africain passera aussi par sa trans formation numérique. Le Groupe Gfi Informatique est fier de pouvoir contribuer à cela à travers la création [d’un] pôle, leader dans les technologies SAP, autour de Value Pass », explique le PDG du groupe français, Vincent Rouaix.
Ancienresponsablecommercialdu français Trigone, passé par le groupe Jeune Afrique en tant que respon sable du département numérique, Nasreddine Belghiti a lui aussi pris son envol au Technopark en fondant IPRC, une société spécialisée dans la télégestion informatique qui supervise plus de 5500 guichets automatiques bancaires pour le compte de plusieurs banques au Maroc et en Afrique subsaharienne, ainsi que la moitié du flux monétique marocain. Le succès de la start-up est tel qu’elle a été rachetée en 2020 par HPS, une multinationale leader dans la fourniture de solutions de paiement.
directrice générale de MITC, qui s’at telledésormaisàétendrel’expérience à d’autres régions du royaume.
Crescendo
«
Tout ce qui a trait au marketing digital, à l’outsourcing, à la maintenance des réseaux s’exporte.»
Autre exemple de success-story : Arrow Ecs, qui propose des solu tions technologiques (cloud, data intelligence,intégrationdesystèmes) dans les domaines des télécommunications, des systèmes d’information, de l’électronique médicale ou encore des transports. Implantée en Afrique francophone, en Europe et en Israël, l’entreprise réalise un chiffre d’af faires de 24,5 millions d’euros
« Tout ce qui a trait au marketing digital, à l’outsourcing, à la maintenance des réseaux s’exporte. Je peux citer aussi l’exemple de Manageo, qui a déployé un CRM (Customer Relationship Management) pour des TPE et des PME à très bas prix. Cela a commencé au Technopark, puis l’entreprise a été financée par le fonds MNF, ce qui lui a permis de se développer et de créer une filiale en Côte d’Ivoire », illustre Lamiae Benmakhlouf
« Nous avons créé plus de 15 000 emplois directs à travers l’ensemble de ces start-up, qui génèrent un chiffre d’affaires annuel de 900 millions de dirhams (près de 85 millions d’euros), soit 10 % du marché natio nal IT, hors télécoms », résume la
Après avoir lancé un Technopark à Rabat en 2012, puis à Tanger en 2015, la Moroccan Information Technopark Company a en effet dupliqué le projet en 2021 à Agadir, où elle gère parallèlement depuis 2020 une « cité de l’innovation », en attendant d’investir d’autres villes « Nous avons par ailleurs trois projets en développement à Fès, à Oujda et à Tiznit. Nous sommes sollicités par d’autres régions, mais on va y aller crescendo parce qu’il faut ficeler un partenariat solide avec les régions pour réussir ces projets », nous confie la dirigeante.
Une expansion qui illustre les nouvelles orientations de dévelop pement du royaume, qui fait la part belleàl’innovationetàlarégionalisa tion. « C’est pour ça que nous voulons ouvrir des antennes un peu partout au Maroc, car les talents existent dans tout le pays dans le domaine de la technologie. L’idée est de donner la chance à tout citoyen marocain porteur d’une idée innovante de la transformer en entreprise performante, tout en garantissant des stan dards de qualité identiques, quel que soit le lieu d’implantation », précise notre source
Pour permettre au Technopark de continuer de remplir ses missions, un nouveau fonds a été lancé en 2018 avecuneenveloppedeprèsde20 millionsd’euros,soitledoubledelataille du fonds créé en 2010. Baptisé Maroc Numeric Fund II, l’organisme, plus ambitieux,veutdonneruncoup d’ac célérateur « aux start-up à fort potentiel et aux technologies de pointe ».
En juillet 2021, le fonds a investi 4 millions de dirhams (370 000 euros) dans Damanesign, une entreprise qui édite des solu tions de signature électronique, 550000 euros dans Yalla Xash, une fintech spécialisée dans le transfert d’argent à l’international à très faible coût, et près de 300000 euros dans Aza Petrosolutions, qui conçoit des solutions technologiques destinées au secteur de la distribution pétrolière.
Entre Orange, Inwi et Maroc Telecom, la bataille de la fibre
Érigé en chantier stratégique dans le royaume, le déploiement de cette infrastructure aiguise les appétits. Et les différends entre opérateurs.
BILAL MOUSJIDLes autorités marocaines avaient, dès 2019, fait du développement du marché de la fibre optique une priorité. Selon le Plan national de connexion optique, annoncé à cette époqueparlegouvernement,l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) devait connecter 50 % des ménages maro cains aux services de fibre optique à
très haut débit avant 2025 « Le marché marocain, à l’instar du marché mondial, sera animé par l’arrivée de nouvelles technologies qui appellent à un renouvellement, parfois massif, des infrastructures, induisant d’importants investissements pour le déploiement des réseaux à très haut débit », présentait alors une note d’orientation générale adoptée par le régulateur. Le développement de ce
segment est devenu encore plus stra tégique avec la crise liée au Covid-19.
Voilà un défi pour Maroc Telecom, Orange Maroc (filiale du groupe français) et Inwi, dont le nombre cumulé d’abonnés aux offres de fibre optique ne dépassait pas 330000 à la fin de septembre 2021. Mais c’est aussi et surtout une aubaine pour les trois opérateurs, qui se livrent à une course au leadership sur cette
technologie. En mai, Orange Maroc s’est ainsi engagé auprès du gouvernement à réaliser, durant les trois prochaines années, un investissement de 530 millions d’euros visant le déploiement du haut et du très haut débit à travers, entre autres, la construction de son infrastructure FTTH (Fiber To The Home). En 2018, Maroc Telecom (notamment détenu parl’émiratiEtisalat)avaitaussisigné avec l’exécutif une convention similaire prévoyant un programme d’investissement de plus de 930 millions d’euros sur trois ans.
« Non-sens économique »
Est-ce suffisant pour donner un coup d’accélérateur à la fibre optique ? Non, selon l’ANRT. « Les objectifs de déploiement de réseaux d’accès au haut et très haut débit ne sauraient être remplis sans d’importants investissements, qui peuvent et doivent être rationalisés par un partage effec tif des infrastructures », indiquait la note d’orientation de 2019.
Le partage des infrastructures, c’est justement là que le bât blesse. La fibre optique est ainsi au cœur d’une bataille commerciale et judiciaire entre Orange, Inwi et Maroc Telecom. Ce dernier, opérateur historique du royaume, refusant de partager ses infrastructures.
De fait, dans certaines zones déjà couvertes par le FTTH de Maroc Telecom, Inwi et Orange Maroc se trouvent parfois dans l’obligation de construire les leurs, « ce qui est un non-sens économique », dénonce une source au sein de l’ANRT. Et pour cause :« Commelegéniecivilestcher près de 70 % du coût de l’infrastructure globale –, il est préférable de louerl’infrastructureexistante,cequi devrait arrangertoutlemondeetpermettre l’accélération du déploiement delaFTTH »,détaillelamêmesource.
Un argument partagé par plusieurs experts, à l’image d’Ahmed Khaouja, ancien directeur des opérations et de la concurrence à l’ANRT. « Économiquement, il ne paraît pas logiquequechaqueopérateurdispose de sa propre infrastructure pour arriverjusqu’auxabonnés[…]Enplusdes autrespartagesdel’infrastructurequi peuvent être envisagés, la partie terminaledesréseauxdevraitégalement
être mutualisée entre les opérateurs afin de faciliter la concurrence », écrit le consultant sur le site spécialisé FTTH.ma.
Doté à la fin de 2020 d’un réseau de 45000 km de câbles à fibre optique, Maroc Telecom dispose en effet d’une longueur d’avance sur ses concurrents. Une situation qui ne manque pas d’agacer Orange Maroc, dont le réseau ne dépasserait pas les 10000 km. Ce partage des infrastructures « se fait partout dans le monde afin d’éviter les abus de position dominante et de créer les conditions pour une concurrence loyale », avait déjàdéclarél’anciendirecteurgénéral adjoint, Bruno Mettling, en 2017, lors d’un événement à Marrakech.
Rechignant à appliquer les injonctions de l’ANRT, Maroc Telecom s’est vu infliger, en juillet, une deuxième sanction.
Selon un consultant en télécoms qui a passé plus de dix ans à la tête d’un département de l’opérateur historique, cette situation s’explique d’abord par le laxisme du régulateur « Il suffit que l’ANRT tape du poing sur la table pour que les choses changent. C’est à elle de rappeler à l’ordre les opérateurs récalcitrants », tonne-t-il. Une responsabilité que rejette notre source au sein de l’agence : « L’ANRT a approuvé un catalogue relatif au génie civil qui permet de louer les infrastructures FTTH de Maroc Telecom. On ne peut rien faire d’autre. »
Il faut dire que ce n’est pas le seul litige qui oppose à ses concurrents l’opérateur dirigé par Abdeslam Ahizoune Sur le marché du fixe, Maroc Telecom s’est vu infliger en 2020 une amende de 3,3 milliards de dirhams(un peu plus de 300 millions d’euros) pour abus de position dominante. La raison : une succession de comportements depuis 2013 « ayant eu pour effet d’empêcher et de retarderl’accèsdesconcurrentsaudégroupage et au marché du fixe », accusait
lerégulateurenjanvier 2020.Enclair, Maroc Telecom a refusé de partager ses lignes téléphoniques en cuivre avec Orange et Inwi.
La guerre des offres
Rechignant à appliquer les injonctions du régulateur, Maroc Telecom s’est vu infliger, en juillet, une nouvelle sanction de 2,45 milliards de dirhams cette fois et a fait appel en août. L’ANRT peut-elle sévir contre Maroc Telecom au sujet de la fibre optique ? Dans sa dernière note d’orientation, il est simplement indiqué que « l’encouragement de la mutualisation des infrastructures sera renforcé, à travers des obligations d’information sur les projets à venir, dans différentes zones ».
En attendant, la bataille commerciale fait rage. Face à Maroc Telecom, qui propose des offres en fibre optiqueallant de 500 à 1000 dirhams avec un débit variant de 100 à 200 Mb/s, Inwi et Orange tentent d’augmenter leur parc d’abonnés à travers des forfaits qui commencent à 249 dirhams pour un débit de 20 Mb/s, sensiblement plus chers, donc, que l’offre de leur concurrent. Globalement, « les tarifs restent très élevés par rapport, par exemple, à la France,oùlesoffresrelativesàlafibre optique restent comparables à celles del’ADSL »,comparel’ancienresponsable de Maroc Telecom.
Si, pour l’heure, les abonnés ne se bousculent pas au portillon, l’opérateur historique semble cependant satisfait, comme en témoignent ses résultats du premier semestre de 2022, lesquels font état d’une « crois sance soutenue des revenus de la data fixe au Maroc grâce à l’essor du parc FTTH », qui a enregistré une forte croissance (45 %) par rapport à la même période de l’année dernière.
Bien que peu de données soient disponibles sur leurs parcs respec tifs, Orange et Inwi (filiale à 69 % du holding royal Al Mada) profitent aussi malgré tout de l’essor de la fibre optique. En 2020, ce dernier a par exemple remporté un appel d’offres pour desservir l’ensemble des habitants de l’« écocité » Zenata, une nouvelle ville de 300000 habitants située à mi-chemin entre Rabat et Casablanca.