JA3118 du 28 octobre 2022 Focus TELECOMS

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GABON LE COMPTE À REBOURS NO 3118 – NOVEMBRE 2022

TOGO LA MÉTHODE FAURE 14 PAGES

SPÉCIAL 30 PAGES

www.jeuneafrique.com

COP27 Ce que veut (et peut) l’Afrique

MAROC-ISRAËL Et maintenant ?

M 01936 - 3118 - F: 7,90 E - RD

Le plus jeune et le plus âgé des chefs d’État au monde sont africains. Le capitaine putschiste burkinabè Ibrahim Traoré, 34 ans, aux commandes depuis un mois, et le doyen camerounais Paul Biya, 89 ans, président depuis quatre décennies. De Yaoundé à Ouagadougou, l’enquête de JA dans les coulisses de deux pouvoirs d’exception.

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Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada 12,99 $CAN Djibouti 12 € • Espagne 9 € • France 7,90 € • DOM 9 € Italie 9 € • Maroc 50 MAD • Mauritanie 200 MRU Pays-Bas 9,20 € • Portugal 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TDN • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4 800 F CFA • ISSN 1950-1285

RD CONGO Le facteur Kamerhe


Focus Télécoms

VINCENT FOURNIER/JA

De gauche à droite : Ralph Mupita (MTN), Hassanein Hiridjee (Axian), Mohamad Damush (Telecel), Jérôme Hénique (Orange) et Peter Ndegwa (Safaricom) .

MERCATO

Les outsiders passent à l’offensive Malgré des années de consolidation, le marché africain regorge toujours d’opportunités d’expansion pour les opérateurs. L’occasion pour les « petits » de bousculer la hiérarchie. Tour d’horizon des principaux deals en cours. JULIEN CLÉMENÇOT ET QUENTIN VELLUET

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ai 2021. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et son administration jubilent. La première partie du processus de privatisation du marché des télécommunications vient de se clore avec l’attribution d’une première licence d’opérateur mobile, concédée pour 800 millions de dollars à un consortium mené par le groupe kényan Safaricom (filiale de Vodacom). Au moins temporairement, nombre d’observateurs y voient la réalisation d’un point d’équilibre, les principaux acteurs s’étant finalement répartis de manière satisfaisante toutes les parts du gâteau en Afrique. Le statu quo fait pourtant rapidement long feu puisque, dès le mois de décembre 2021, Jeune Afrique révèle que le groupe Axian, dirigé par Hassanein Hiridjee, est en passe de conclure un accord définitif, pour environ 100 millions de dollars, avec les actionnaires de Mattel, deuxième opérateur du marché mauritanien, derrière Mauritel, filiale de Maroc Télécom. Las, quelques semaines plus tard, une mésentente de dernière minute sur l’étalement des paiements fait capoter la vente. Il en faut plus pour décourager le challenger des télécoms à l’appétit insatiable. En avril 2022, Axian prend possession, en association avec l’homme d’affaires Rostam Azizi, des filiales du groupe Millicom en Tanzanie (Tigo Tanzania) et à Zanzibar (Zantel). Fruit de près d’un an de travail, le deal aurait été scellé contre un chèque d’environ 100 millions de dollars et la reprise des dettes. Pour le groupe malgache de la famille Hiridjee, il s’agit d’une étape décisive. Avec 14 millions de clients mobiles, les deux sociétés réunies deviennent le premier actif de télécoms du consortium centenaire – également présent dans l’énergie,

la finance et l’immobilier. Pour la première fois, il s’implante sur un marché anglophone. En 2020, l’activité de télécoms (Réunion, Mayotte, Comores, Madagascar, Sénégal et Togo) représentait 400 millions de dollars sur un chiffre d’affaires global de 1,1 milliard. Cette nouvelle présence en Tanzanie apporte d’un coup au groupe 350 millions de dollars supplémentaires et un nouveau marché pour renforcer son expertise dans le domaine du mobile money. Le projet pourrait mobiliser jusqu’à 500 millions de dollars d’investissement au cours des cinq prochaines années.

Axian cherche de nouvelles cibles

Ce changement d’échelle oblige Axian, désormais sixième plus gros opérateur panafricain, selon ses calculs, à renforcer sa gouvernance. Mais ses actionnaires ne semblent pas pour autant décidés à ralentir le rythme de croissance externe. « Les

À Accra, Telecel tente de convaincre le régulateur local de lui laisser reprendre 70 % de la filiale ghanéenne de Vodafone. télécoms sont gourmandes en capital, nous devons absolument écraser nos coûts fixes », explique Hassanein Hiridjee. Au début de février dernier, le holding a levé 420 millions de dollars, principalement auprès d’IFC, bras privé de la Banque mondiale, de British International Investment (ex-CDC Group), de l’allemand DEG et de l’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF). S’il doit aussi intensifier ses investissements au Sénégal, où il est associé à Yerim Sow et à l’homme d’affaires français Xavier Niel, ainsi qu’au Togo, où il est associé à ECP, Axian cherche encore de nouvelles cibles. Le conglomérat négocie actuellement la reprise au Niger de Zamani, détenu par des investisseurs locaux, qui eux-mêmes ont pris la suite d’Orange en 2019. Commencé en avril, le processus mené comme pour toutes les autres transactions du

groupe par le cabinet Oversees, dirigé par Stéphane Bénichou, n’est toujours pas officialisé. À Niamey, Zamani est quant à lui conseillé par le cabinet Linkstone Capital, de Pape Diouf. Pendant ce temps, à Nouakchott, un autre challenger pense à son tour pouvoir s’emparer de Mattel. Le groupe franco-libanais Telecel, avec le soutien du français Stoa, a en effet été tout proche de conclure le deal avant que des problèmes de financement précipitent en juillet la fin des négociations. Contrôlé par un trio composé du Français Hugues Mulliez, du Belge Nicolas Bourg et du Libanais Mohamad Damush, Telecel est présent en Centrafrique et à Gibraltar. Il fait actuellement partie des acteurs les plus ambitieux de la consolidation des télécoms africaines aux côtés d’Axian mais aussi d’Africell – qui a lancé ses opérations en Angola en avril, et revendique déjà 5 millions d’abonnés. Au Kenya, ce groupe, qui affirme disposer d’une enveloppe de 700 millions de dollars pour investir dans de nouvelles opérations était, selon nos informations, en discussion avec Helios Investment Partners pour la reprise des parts (60 %) que l’investisseur détient dans Telkom. C’était compter sans l’annonce par ce dernier de la conclusion en septembre d’un accord avec les pouvoirs publics. En tant qu’actionnaire minoritaire du troisième opérateur du pays, Nairobi a en effet décidé d’appliquer son droit de préemption et déboursé un peu plus de 50 millions de dollars pour récupérer l’actif. Contacté par Jeune Afrique, Telecel n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Mattel au centre du jeu

Sur les rives ghanéennes, à Accra, le même Telecel tente de convaincre le régulateur de lui laisser reprendre 70 % de la filiale locale de Vodafone. Mais à l’heure où sont écrites ces lignes, la National Communications Authority (NCA) maintient la transaction en suspens, jugeant que les attentes en matière réglementaire ne sont pas encore remplies. Telecel s’affiche néanmoins confiant et assure travailler avec le ministère ghanéen des Télécommunications, la Banque centrale du pays ainsi que le régulateur afin de « finaliser toutes les JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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FOCUS TÉLÉCOMS exigences réglementaires liées à cette transaction », a affirmé Mohamad Damush dans un communiqué. L’opérateur assure par ailleurs travailler sur trois autres opérations de fusion-acquisition sur le continent. Après l’échec du processus entamé par Telecel à Nouakchott, nul ne sait qui parviendra à amener Mattel dans son giron. Selon nos informations, Orange a repris les discussions, via sa filiale sénégalaise Sonatel, avec les deux actionnaires mauritaniens et Tunisie Telecom pour la reprise des 51 % détenus par ce dernier, mais le jeu reste très ouvert. L’opérateur français, également présent au Mali et au Maroc, deux autres pays frontaliers de la Mauritanie, avait déjà essayé de s’offrir l’opérateur entre 2012 et 2015. Les hésitations de l’État tunisien n’avaient pas permis au projet d’aboutir. Après une période difficile, Mattel a retrouvé un résultat net positif en 2019. À la fin de 2021, il détenait environ 30 % du marché de la téléphonie mobile, grâce à une croissance portée par l’augmentation de la consommation de data de ses clients. Outre son projet de cession de Mattel, Tunisie Telecom pourrait aussi animer le marché en modifiant la structure de son capital. L’émirati TeCom-DIG, qui détient 35 % des parts de l’opérateur, paraît à nouveau décidé à les vendre.

La filiale de Dubaï Holding, entrée au capital de l’opérateur en 2006, a plusieurs fois tenté de céder ses parts. Un accord avait même été conclu en 2017 avec le groupe Abraaj, mais la faillite en 2018 de la société d’investissement dubaïote a fait échouer la vente. Tunis, qui contrôle 65 % de la société, serait, selon une source, prêt à se défaire d’une partie de ses actions pour faciliter l’arrivée d’un nouveau partenaire stratégique au tour de table de l’opérateur public.

Alger nationalise Djezzy

Plus à l’ouest, Alger a, il y a quelques semaines, totalement nationalisé Djezzy en reprenant les actions du groupe Veon, implanté aux Pays-Bas. Désormais, l’État – également actionnaire de Mobilis (Algérie Télécom Mobile) – contrôle deux des trois opérateurs mobiles du pays et pourrait, à terme, vouloir permettre à un nouvel acteur d’entrer sur le marché pour dynamiser la concurrence et l’innovation. Même constat au Ghana, où, depuis 2020, le gouvernement a repris le contrôle d’AirtelTigo, une coentreprise créée en 2017 par l’indien Bharti Airtel et le luxembourgeois Millicom International Cellular pour 1 dollar symbolique. Si l’opérateur continue de garantir la continuité de ses services, aucune solution ne semble pour

l’instant être mise sur la table pour la reprise de l’actif par un opérateur privé. Une autre opportunité a fait parler d’elle en juin en Zambie, où des rumeurs émanant de la direction de l’entreprise ont un temps indiqué que Zamtel, opérateur public surendetté, était à vendre. L’annonce a depuis été démentie par un haut responsable du gouvernement. Reste que l’opérateur, qui traîne une dette de 500 millions de dollars due à l’entreprise libyenne LAP Green Networks, a besoin d’un sérieux refinancement.

L’opérateur national Guinée Télécom (exSotelgui) devrait être relancé au premier semestre de 2023. Dans l’espace francophone, l’opérateur national Guinée Télécom (ex-Sotelgui) devrait être relancé au premier semestre de 2023. Dans les tuyaux depuis 2019, le projet avançait timidement depuis la chute du président Alpha Condé. Fin 2020, un audit des infrastructures de l’ex-opérateur public, qui a cessé ses activités en 2014, a été mené par le cabinet tunisien

WALDO SWIEGERS/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

Au grand dam d’Africell, Nairobi a racheté pour un peu plus de 50 millions de dollars à Helios Investment Partners les parts (60 %) que ce dernier détenait dans Telkom Kenya.

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MESSAGE

EUTELSAT’S KONNECT SATELLITE « Nous proposons un outil de réduction de la fracture numérique en Afrique à des conditions abordables »

Philippe Baudrier General Manager Konnect Africa & Michel Mutahali, Country Manager Konnect RDC Pouvez-vous vous présenter brièvement ? Konnect est un service d’Internet par satellite haut débit à destination des personnes et des entreprises situées dans les zones reculées. Il permet de mettre à disposition une connexion Internet fixe, rapide, fiable et abordable dans l’optique de favoriser le développement économique et social en créant de nouvelles routes numériques, en particulier dans les zones blanches. Le satellite géostationnaire de nouvelle génération Eutelsat Konnect, lancé le 16 janvier 2020, assure une vaste couverture satellitaire de l’Europe et de 40 pays du continent afri-

cain. Il offre ainsi une capacité très élevée permettant de proposer des offres à des vitesses pouvant aller jusqu’à 100 Mbps à travers l’Afrique sub-saharienne. Vous vous adressez donc à différents types de clients ? Les administrations publiques, les grandes entreprises et les ONG sont nos principaux clients. Ceux-ci bénéficient des mêmes possibilités que dans les pays industrialisés et peuvent ainsi utiliser Internet dans leur activité quotidienne (mails, échange de données, télétravail, Cloud...). Nous avons également développé une offre « Konnect WiFi » via des relais (« hotspots »)

La République Démocratique du Congo est un bon exemple de votre implantation… Avec une superficie de 2,3 millions de km2, la RDC est le 2ème plus grand pays d’Afrique mais aussi un des pays les plus peuplés du continent avec 92 millions d’habitants. Nous couvrons la totalité du territoire et proposons des offres pour les foyers et les entreprises. Notre satellite a permis aux grandes compagnies minières mais aussi aux particuliers d’avoir accès au très haut débit, où qu’ils se trouvent. La RDC illustre parfaitement notre capacité à offrir un outil de réduc-

RENDEZ-VOUS SUR WWW.KONNECT.COM

tion de la fracture numérique en Afrique tout en générant des emplois au travers des équipes magasins, techniciens et VAD. Quels sont vos projets ? Dans notre volonté de concrétiser l’ambition d’Eutelsat de connecter 1 million de personnes en Afrique subsaharienne à l’Internet haut débit au cours des 5 prochaines années, Konnect doit multiplier son parc de clients par 2. La RDC a un grand rôle à jouer dans notre développement ! C’est ici que l’histoire de Konnect a débuté avec la mise en place d’un réseau de partenaires en 2019 nous permettant aujourd’hui d’avoir une trentaine de points de vente dans le pays. Notre objectif cette année est de multiplier les partenariats avec les entreprises mais aussi de poursuivre les collaborations avec les acteurs locaux et ainsi développer de nouveaux points de vente dans les régions non desservies. Notre offre “Konnect WiFi” est aussi un axe majeur pour accomplir cette ambition. Ces leviers démontrent que le haut débit par satellite Konnect est un catalyseur du développement numérique en Afrique.

JAMG - PHOTOS DR

ENTRETIEN

dans les villages (restaurants, bars, boutiques, revendeurs de produits/services de télécommunications, etc.). Cette initiative permet à la fois de générer de nouvelles sources de revenus pour ces intermédiaires et de garantir un accès à très haut débit aux populations des zones rurales non connectées. La formule a rencontré un vif succès ! En effet, nous avons déployé des centaines de relais « Konnect WiFi » grâce à nos partenaires, connectant ainsi des dizaines de milliers de personnes.


FOCUS TÉLÉCOMS

Le tour d’Afrique des marchés à saisir À l’image du marché européen, les ambitions de consolidations en Afrique n’ont jamais été aussi prégnantes, dans un contexte où les incertitudes politico-économiques incitent les opérateurs à mutualiser leurs forces. JA fait le point sur les opérateurs à vendre, les transactions en cours ou récemment conclues. GHANA : VODAFONE • À vendre Contrat d'action signé avec Telecel Group. La transaction est mise en pause par le régulateur, qui estime que le groupe ne répond pas aux critères réglementaires requis.

ALGÉRIE : DJEZZY • Possible privatisation à terme Après avoir été nationalisé, l'opérateur sera-t-il reprivatisé ou l’État veut-il conserver le contrôle de deux des trois acteurs du marché ?

AIRTEL-TIGO • En attente de mise en vente Revendu au gouvernement en octobre 2020. MAURITANIE : MATTEL • À vendre Recherche de partenariats.

BÉNIN : SBIN • Contrat de gestion Services mobiles lancés fin octobre par le gestionnaire Sonatel sous la marque Celtiis.

TUNISIE : TUNISIE TÉLÉCOM • Part minoritaire à vendre Rumeurs de négociation autour de la cession de la part détenue par le groupe émirati TeCom-DIG.

NIGER : ZAMANI • À vendre En discussion avec Axian.

ANGOLA : AFRICELL • Nouvelle licence Activités lancées en décembre. 5 millions d'utilisateurs revendiqués.

GUINÉE : SOTELGUI • Projet de relance Relance confirmée pour le 1er trimestre de 2023.

TANZANIE : TIGO ET ZANTEL • Vendu Racheté par Axian en avril.

AFRIQUE DU SUD : TELKOM • Vente potentielle MTN a abandonné les discussions. Rain est toujours dans la course

ZAMBIE : ZAMTEL • Rumeurs de vente Rumeurs de vente démenties par le gouvernement.

SFM Technologies afin d’identifier les équipements encore en état de fonctionner et d’imaginer un plan de relance. En juin, Bamba Oliano, secrétaire général du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, a effectué une visite au sein de Guinée Télécoms, repreneur de Sotelgui en 2017, pour réaffirmer que le projet faisait partie de la feuille de route de son administration. Reste à savoir si l’ambition autrefois formulée par les autorités guinéennes d’accueillir un partenaire industriel au capital de Sotelgui est toujours d’actualité. Dans ce vaste mercato des télécoms, les géants du secteur paraissent in fine plus discrets que leurs challengers.

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KENYA : TELKOM • Vendu L’État applique son droit de préemption et rachète les parts d’Helios Investment Partners.

MALAWI : MALCEL PLC. • Une troisième licence délivrée L’opérateur prévoit de lancer ses activités en 2023.

Ils n’en demeurent pas moins à l’affût du moindre mouvement stratégique. Bien que concentré sur la croissance organique de ses différentes plateformes, MTN n’a pas hésité à se positionner, mi-juillet, comme candidat à une prise de contrôle de Telkom en Afrique du Sud. Ce dernier, troisième opérateur du pays, revendique 400 000 foyers connectés à ses offres d’internet fixe, et a également reçu une proposition de fusion avec le fournisseur de réseau 4G et 5G Rain. Tandis que l’investisseur sud-africain Toto Investment Holdings a proposé en août 432 millions de dollars pour la reprise des parts que le gouvernement détient dans Telkom, MTN a finalement abandonné les négociations

le 19 octobre». L’autre mastodonte africain, Orange, « n’a jamais caché son intérêt pour le marché nigérian », selon les mots de sa nouvelle directrice générale, Christel Heydemann. Le groupe français, depuis longtemps en quête d’un « mouvement stratégique » lui permettant d’occuper une place de leader incontesté, assume son intérêt pour la première économie du continent, ou pour l’Afrique du Sud. La récente visite d’une délégation d’Orange Afrique et MoyenOrient à Abuja a fait couler beaucoup d’encre, sans qu’aucune information précise n’ait fuité. De quoi continuer à alimenter les débats dans un secteur qui, décidément, semble résolu à se redéfinir sans cesse.



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FRAIS D’ITINÉRANCE

Chronique d’une fin agitée

Alors que le Gabon et le Togo ont mutuellement supprimé les frais de roaming, cette réforme sur laquelle planchent depuis quinze ans opérateurs et régulateurs fait encore, malgré de nombreux succès régionaux, l’objet de divers blocages.

ADAM ILCI POUR JA

VALENTIN GRILLE

La fin des frais d’itinérance semble d’autant plus logique que des plateformes comme WhatsApp représentent déjà une alternative aux communications à l’international.

L

e 8 août, à Lomé, Lin Mombo, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) du Gabon, a volontiers serré la main de Michel Yaovi Galley, son homologue togolais. Les deux pays actaient la fin des frais d’itinérance (roaming). Cette décision permet aux habitants du Gabon et du Togo qui voyagent dans l’un ou l’autre pays de profiter, selon les institutions de chacun de ces États, d’« une baisse drastique des prix sur les communications mobiles (voix, data et SMS) ».

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C’est un accord bilatéral de plus pour Libreville, pionnier en la matière, qui a déjà conclu des partenariats avec le Congo et le Rwanda. L’initiative est rare à l’échelle d’un continent où la fin des frais d’itinérance entre les pays se profile encore en pointillé. À ce jour, la seule réussite régionale se trouve en Afrique de l’Est, avec le One Network, amorcé en 2014 et adopté par le Kenya, le Rwanda, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Burundi et la Tanzanie. En Afrique centrale, la Cemac devait acter la fin du roaming en 2021. Mais, en pratique, les prix n’ont

pas bougé. En Afrique de l’Ouest, la Cedeao a rallié en 2017 certains pays à des principes communs sans parvenir à rassembler tous ses membres dans une phase d’expérimentation. Elle a finalement réuni le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée, le Togo, le Sénégal et le Bénin en 2021, autour d’un texte commun, pas encore appliqué. À l’échelle du continent, le projet phare dans le domaine s’inspire du modèle est-africain. Lancé en 2016, One Africa Network est un projet de marché unique piloté par l’initiative Smart Africa, qui regroupe


MESSAGE

L’innovation en passe de transformer le plan de numérisation africaine

Open Access Data Centres transforme l’Afrique numérique. contactus@openaccessdc.net

Open Access Data Centres (OADC) est un nouvel opérateur de data center (DC) transformationnel, fondé en 2018 et appartenant au groupe WIOCC. Depuis l’obtention d’un financement à la fin de l’année dernière, OADC n’a pas perdu de temps : près de 30 DC déployés en Afrique du Sud et d’autres en construction, tant dans ce pays qu’au Nigeria.

Au vu de la croissance de l’adoption du numérique par les entreprises et l’abonnement de près de la moitié de la population à des services mobiles selon la GSMA, c’est l’infrastructure de communication physique qui ralentit le progrès. Des îlots de forte connectivité sont concentrés dans les zones largement urbanisées, alors que le déploiement du réseau vers les zones moins densément peuplées est limité par l’investissement en capital requis et les retours difficilement prévisibles. OADC améliore grandement cette situation, grâce au déploiement de DC dans tout le pays et à leur ajustement à la demande locale (à très grande échelle, intermédiaire, périphérie). Cette architecture cœur-périphérie unique permet : • d’assurer la rentabilité des opérateurs fixes et mobiles lorsqu’ils déploient leur réseau

Emplacements des centres de données OADC AFRIQUE DU SUD

Centres existants Centres planifiés Station d’émergence de câble sous-marins

• à la communauté cloud de rapprocher le contenu de la périphérie du réseau • de proposer la récupération en cas de catastrophe et de traiter de larges ensembles de données près du point d’origine • de déployer de nouvelles applications génératrices de revenus, mais sensibles au temps de latence • d’optimiser les coûts des connexions des liaisons du réseau. En Afrique du Sud, près de 30 DC « périphérie » d’OADC livrent du contenu au point d’utilisation, quand une installation «cœur» est opérationnelle à Durban. D’ici la fin de l’année, quatre DC intermédiaires seront prêts au Cap et à Johannesburg. Le DC phare d’OADC à Lagos, au Nigeria, est une installation «cœur» conçue pour livrer des dizaines de mégawatts de facteur de charge essentiel. À partir de 2023, l’architecture cœur-périphérie d’OADC sera déployée dans l’ensemble du pays, puis dans d’autres pays de l’Afrique subsaharienne. Clairement, l’Afrique est prête pour ce niveau d’infrastructure numérique neutre et de haute qualité. La facilité d’accès à une infrastructure ouverte offrant de hauts niveaux de connectivité et soutenant des écosystèmes d’interconnexion locale est primordiale à la réussite du déploiement et de l’adoption de la 5G, de l’IdO et d’autres avancées génératrices de croissance régionale pour les années 2020.

www.openaccessdc.net

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L’

arrivée des technologies numériques entraîne une amélioration radicale des façons de vivre, travailler, jouer et communiquer des populations. Ce constat est d’autant plus vrai en Afrique subsaharienne : la numérisation favorise l’accès à des services susceptibles d’améliorer le quotidien de personnes, communautés et entreprises sinon exclues par le manque d’infrastructure, de compétences ou de financements. Des tendances régionales clés, notamment l’adoption croissante du numérique par les entreprises et l’une des populations les plus jeunes au monde, révèlent une demande de connectivité dernière génération de plus en plus forte. Selon l’association professionnelle GSMA, la 5G sera disponible sur au moins sept marchés africains en 2025, y compris au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud, pour un total de 28 millions de connexions.


FOCUS TÉLÉCOMS trente-deux pays signataires. « C’est un plan qui se met en place par paliers, souligne Lacina Koné, son directeur général. Il y a d’abord des initiatives bilatérales, sous-régionales puis régionales. L’adoption de lignes directrices harmonisées permettra ensuite une véritable intégration continentale. » Si une alliance regroupant États africains et acteurs privés des télécoms comme de la tech continentale et mondiale prend en charge ce chantier, c’est parce que les blocages politiques demeurent nombreux. « L’accès à internet dans les pays africains est un droit régalien, ce qui implique des négociations sur le trafic de gros entre les pays », souligne par exemple Giuseppe Renzo D’Aronco, économiste à la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies. Le roaming n’est pas non plus vu comme une priorité pour certains États, et ce pour des raisons fiscales. Outre la taxation des surcoûts, « le roaming fera diminuer le chiffre d’affaires des opérateurs, qui sert d’assiette aux calculs de nombreuses taxes, dont une partie non négligeable de surtaxes sectorielles », analyse un porte-parole du groupe Orange interrogé par Jeune Afrique. Un autre problème repose aussi sur la structure de la clientèle africaine. « Le roaming est lié aux abonnements, mais 95 % des gens consomment des abonnements prépayés. Cela pose un souci d’identification de ces clients à l’étranger », explique Aissatou Dieng Diop, ancienne directrice des opérations internationales de Sonatel et consultante chez Africa Telecoms Consulting. Le prépaiement impose donc de légiférer et de mieux coordonner la récolte et l’échange d’informations. En Afrique de l’Ouest, la gratuité du roaming a par exemple été limitée à 300 minutes sur 30 jours pour éviter les fraudes. Bien qu’ils s’y préparent, les opérateurs restent réticents à l’adoption de la mesure en raison des potentielles pertes financières. « Les opérateurs étaient hésitants il y a quelques années du fait de la perte de revenus et des investissements à réaliser dans les réseaux terrestres

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Essor de nouvelles offres

Signature du protocole d’accord mettant fin aux frais d’itinérance entre le Gabon et le Togo, le 8 août, à Lomé.

nécessaires à l’interconnexion », souligne Aissatou Dieng Diop. Mais, aujourd’hui, les infrastructures ne posent plus de problème. « Il n’y aura pas de difficulté à court terme, précise Thomas King, CTO du fournisseur d’interconnexions DE-CIX. Même si des investissements peuvent être requis sur le long terme, notamment

Les pays d’Afrique de l’Est ont vu leur trafic augmenter jusqu’à 150 % après la disparition des frais liés au roaming. du fait de l’usage croissant des données. » Quant aux pertes de revenus, elles pourraient être associées à une explosion des usages, qui les surcompenseraient. « Les pays d’Afrique de l’Est ont vu leur trafic augmenter jusqu’à 150 % » après la disparition des frais liés au roaming, soutient Giuseppe Renzo D’Aronco. La fin des frais à l’international motiverait l’essor de nouvelles offres commerciales. Aissatou Dieng Diop observe déjà des dynamiques positives, avec des forfaits internationaux qui se démocratisent. « Les opérateurs ont intérêt à faciliter le voyage : cela fidélise les clients et ralentit

l’essor des plateformes », estime-telle. Encore faudrait-il régler le cassetête comptable qu’implique cette décision, qui nécessite une surveillance à l’international. Orange a par exemple mis en place une chambre de compensation, à la manière des financiers internationaux, pour faciliter les transactions. Sur le plan pratique, la fin des frais d’itinérance n’est pas une idée révolutionnaire. Les opérateurs l’appliquent déjà entre leurs filiales, voire entre eux. Et la physionomie du marché africain n’est pas non plus très complexe. « Une demi-douzaine de grands opérateurs contrôlent la quasi-totalité du marché, rappelle Lacina Koné. Il est donc possible de trouver un compromis. » La fin des frais d’itinérance semble d’autant plus logique que des plateformes comme WhatsApp représentent déjà une alternative pour les communications à l’international. « Le roaming téléphonique n’a déjà plus d’intérêt économique, il faut donc privilégier le roaming des données internet, c’est là que se trouve encore la valeur » , soutient Giuseppe Renzo D’Aronco. Et l’horizon de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) laisse entrevoir un effet catalyseur supplémentaire. « La Zlecaf et One Africa Network visent tous deux l’intégration continentale, laquelle ne sera pas possible sans de véritables outils de communication », résume ainsi Lacina Koné.


MESSAGE

DES SERVICES NUMÉRIQUES ET DES INFRASTRUCTURES INTERNATIONALES POUR ACCOMPAGNER ENTREPRISES ET OPÉRATEURS AFRICAINS

Les fournisseurs de services mondiaux jouent donc un rôle important en Afrique et sont au cœur des processus de transformation actuelle-

ment en cours. Ils fournissent des connexions internationales rapides, à la fiabilité et la sécurité élevées faisant le lien entre les infrastructures d’entreprises et résidentielles et les principaux fournisseurs de cloud à l’échelle géographique. Sparkle, qui figure parmi les premiers fournisseurs de services mondiaux et qui représente le deuxième opérateur en Afrique pour le trafic Internet, fournit une connectivité internationale et des services numériques à tout le continent et particulièrement en Afrique du Nord, grâce à son vaste réseau continental, ses points de présence (PoP) au Nigeria, au Maroc et à Djibouti et son Hub stratégique de Sicile, principal point d’échange

du trafic Internet de l’Afrique vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Parmi les services proposés, l’IP, la capacité, le cloud, le centre de données, les données mobiles et la voix. Ils sont fournis via une infrastructure « dorsale » de fibre optique propriétaire de plus de 600 000 km s’étendant de l’Europe à l’Afrique, aux Amériques et à l’Asie. En utilisant les services de Sparkle, les opérateurs de télécommunications nationaux et régionaux et les FAI peuvent à leur tour offrir un accès Internet haut débit, le cloud, l’itinérance et de nombreux autres services de télécommunications internationaux à leurs utilisateurs finaux. En collaborant avec Sparkle, les entreprises multinationales peuvent entreprendre une transformation numérique de manière progressive et ciblée, grâce à un accompagnement à 360° sur tous les aspects concernés - réseau, cloud, sécurité et gestion. En fait, les services numériques de Sparkle vont des solutions de connectivité sécurisée - reliant, par exemple, les bureaux d’une entreprise répartis dans diverses parties du monde - au Cloud et au Multicloud, pour guider les

tisparkle.com

entreprises dans leur parcours de numérisation, et à l’IoT pour contrôler leurs données et leurs infrastructures numériques. Avec Sparkle, c’est tout le réseau qui est en constante évolution, car l’opérateur s’est associé à Google et à d’autres pour la construction du système de câbles sous-marins Blue et Raman et toute une nouvelle infrastructure intercontinentale s’étendant de l’Italie à l’Inde avec des points d’atterrissage en Méditerranée et en mer Rouge parmi les itinéraires, visant à améliorer communications entre l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud. En fournissant des infrastructures, une connectivité avancée et des services numériques performants, Sparkle contribue à la transformation numérique du continent.

CONTACT DÉTAILS Telecom Italia Sparkle S.p.A. Via di Macchia Palocco 223, 00125 Rome, Italie C linkedin.com/company/tisparkle D @TISparkle

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Dans quelle mesure la connectivité internationale influence-t-elle le développement économique et social ? Une étude du Centro Studi TIM donne des éléments de réponse : selon elle, le haut débit a contribué pour environ 1 100 milliards de dollars à la croissance du PIB africain entre 2009 et 2019 et les investissements à venir dans la capacité et la connectivité internationales pourraient avoir encore plus d’impact sur le PIB par habitant, entre 0,42 % et 0,58 % au cours des 2 à 3 premières années suivant la mise en place de la nouvelle infrastructure.


FOCUS TÉLÉCOMS

HAUT DÉBIT

Le nigérian Tizeti tente sa chance en Afrique francophone Fournisseur d’accès à internet via des bornes solaires, au Nigeria et au Ghana, le groupe, fondé il y a dix ans, va mettre le cap sur la Côte d’Ivoire et le Togo, deux marchés déjà bien occupés par les opérateurs traditionnels.

MAHER HAJBI

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« stratégique » pour l’avenir du continent. Leurs arguments? « Le fossé du haut débit en Afrique est encore très élevé. Les opérateurs comme Tizeti doivent s’étendre en veillant à ce que davantage d’Africains aient accès à un réseau internet fiable, abordable et véritablement illimité », explique Kendall Ananyi en marge de la deuxième édition de l’événement annuel Tizeti NextGen 2.0, qui a réuni en août les passionnés de nouvelles technologies.

Muscler l’infrastructure

TIZETI

our les dix ans de Tizeti, Kendall Ananyi, aux commandes de la start-up nigériane fondée en 2012, a sorti le grand jeu : entre prévisions de croissance, projets d’expansion et entrée en Bourse, cet ancien membre de l’incubateur californien Y Combinator affiche fièrement la couleur. L’entreprise aux 300 employés et 3884 points d’accès au Nigeria et au Ghana avance ses pions pour se lancer sur deux marchés pourtant déjà bien desservis par les opérateurs de télécoms traditionnels. Si Tizeti espère ouvrir une brèche au Togo – où l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) appelle les opérateurs de téléphonie mobile et fixe à « améliorer la qualité des services et à baisser les prix » –, des concurrents de taille pourraient freiner les ardeurs ivoiriennes du fournisseur d’accès à internet (FAI) pour les particuliers et les professionnels. Orange, MTN et Moov contrôlent les services de l’internet mobile avec, respectivement, 44,1 %, 35,7 % et 20,2 % de parts de marché au premier trimestre 2022. Selon les données de l’Autorité ivoirienne de régulation des télécommunications (ARTCI), l’opérateur français domine également, et largement, le marché du fixe à hauteur de 97,6 %, suivi par le FAI français GVA

Kendall Ananyi a fait ses armes au sein de Microsoft.

(1,5 %), et le marocain Moov (0,3 %). « Je ne connais pas Tizeti, je n’ai pas eu l’occasion de me rendre compte de leurs opérations au Ghana et au Nigeria, bien que j’y sois souvent », commente un important acteur des télécoms implanté au Togo et en Côte d’Ivoire. Pourtant, les responsables de la start-up nigériane, qui compte aujourd’hui 2,8 millions d’abonnés, restent optimistes et jugent leur projet d’expansion en Afrique francophone

Cofondateur et directeur de l’exploitation de la start-up au chiffre d’affaires évalué à plus de 11 milliards de nairas sur dix ans (près de 26 millions d’euros), Ifeanyi Okonkwo met en avant la stabilité financière de Tizeti, sa rentabilité au cours de trois des quatre dernières années et le premier dividende versé aux actionnaires en 2021. « Avec une balance positive ces dernières années, nous avons le flux de trésorerie disponible pour continuer d’investir dans notre réseau et stimuler notre expansion dans les zones mal desservies d’Afrique de l’Ouest, anglophone comme francophone », souligne Ifeanyi Okonkwo, dont l’entreprise se fournit en bande passante chez son compatriote MainOne. Pionnier de la connectivité internet sans fil en Afrique de l’Ouest,


DR

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FOCUS TÉLÉCOMS

En 2022, la start-up nigériane compte 2,8 millions d’abonnés.

Tizeti achemine son réseau depuis les câbles sous-marins et des terminaux alimentés à l’énergie solaire. En effet, la start-up nigériane tire profit de la baisse des coûts de développement des panneaux photovoltaïques et de l’importance de sa bande passante pour « commercialiser des forfaits illimités à des tarifs disruptifs pour se démarquer des concurrents », souligne Kendall Ananyi, qui a fait partie des investisseurs de Paystack avant son rachat par l’américain Stripe il y a deux ans. Une performance solide qui s’est renforcée avec la récente expansion dans plusieurs États au Nigeria et au Ghana, mais aussi par un rapprochement stratégique avec Nokia. En 2020, Tizeti avait confié à la multinationale finlandaise de télécommunications le renforcement de son réseau internet à l’aide de nouveaux modules radio et routeurs. Objectif : muscler son infrastructure, offrir une connectivité plus robuste, répondre à

la demande croissante et aux futures mises à niveau pour évoluer, à terme, vers la 5G. Un choix gagnant puisqu’en 2021 le fournisseur nigérian a « livré plus de 38,648 millions de Go, et multiplié par 2,5 son bénéfice avant amortissement et dépréciation des bénéfices malgré la pandémie », confirme la direction.

Ambitions légitimes

« Il y a encore de la place pour la croissance », estime Kendall Ananyi, ex-ingénieur formé au Canada, et passé par Microsoft et ExxonMobil. « Il y avait 303 millions de personnes connectées à l’internet mobile en 2020. Leur nombre atteindra 450 millions en 2025 », selon les estimations de l’Association mondiale des opérateurs de télécoms (GSMA). D’où les ambitions « légitimes » du patron de Tizeti, qui, convaincu de l’attractivité de sa start-up, œuvre à élargir son dispositif en Afrique de l’Ouest. Un

positionnement que Kendall Ananyi et ses partenaires comptent acter à travers un appel à l’épargne publique, au Nasdaq (États-Unis) ou au London Stock Exchange (Royaume-Uni), ainsi

Il y avait 303 millions de personnes connectées à l’internet mobile en 2020. Elles seront 450 millions en 2025. que sur la place nigériane NGX. Avec un bilan positif et des comptes dans le vert, Tizeti prévoit une offre publique initiale (IPO) sur le marché boursier pour les investisseurs-actionnaires qui pourrait s’étendre aux pays francophones et anglophones de la sousrégion. JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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FOCUS TÉLÉCOMS

DATA CENTERS

AMINE KANDIL

pionnier du cloud marocain, connecteur panafricain Moins de quinze ans après sa création, N+One, spécialiste des centres de données et leader incontesté dans le royaume, accélère son expansion au sud du Sahara. Récit d'une success-story qui promet de transformer des pans entiers de l’économie. BILAL MOUSJID

«

J

e ne l’avais pas perçu comme un risque mais comme une opportunité. » Lorsque Amine Kandil lance en 2008 N+One Datacenters, pionnier marocain de l’industrie des data centers, l’économie chérifienne était encore peu digitalisée, et les entreprises peu enclines à externaliser leurs systèmes d’information. « Je ne concevais pas une économie se digitalisant sans data center. Le Maroc avait besoin de technologies et de services aux normes internationales », se souvient-il. Un pari qui s’est révélé gagnant. En 2017, après une première infrastructure d’une capacité de 2 mégawatts installée à Casablanca, l’ingénieur marocain crée un deuxième centre de données à Bouskoura, une commune située à quelque 20 km de la capitale économique du royaume, pour un investissement de 150 millions de dirhams (un peu plus de 14 millions d’euros). Doté d’une capacité de 4 mégawatts alimentant 10 000 serveurs, le nouveau data center permet à N+One de diluer les risques tout en continuant à répondre aux besoins du marché marocain. Ce dernier devrait drainer quelque 30 millions d’euros d’investissements d’ici à 2026, selon un rapport du cabinet français ReportLinker, qui évalue le taux de croissance du secteur à 6 % en moyenne au cours de cette période. « Le marché ne peut que se développer, étant donné que la

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digitalisation n’en est encore qu’à ses débuts dans notre région », confirme Amine Kandil. Ce flair et ce goût pour le risque, l’ancien banquier les a développés d’abord aux États-Unis. Le baccalauréat en poche, Amine Kandil entame en 1995 des études d’ingénieur à l’université Fairleigh-Dickinson, dans le New Jersey, dont il sortira diplômé en ingénierie électrique en 1999, avant de décrocher un MBA en finance au New Jersey Institute of Technology en 2003. Son expérience au sein de la banque d’investissement Merrill Lynch, où il occupe le poste de respon-

« Au Maroc, j’ai eu la chance de trouver un écosystème qui m’a permis de me lancer, et des clients qui m’ont fait confiance. » sable de la plateforme de gestion de patrimoine et de gestion d’actifs, l’initie à « une certaine rigueur dans le travail et à une culture où l’on ne craint pas l’échec ». En 2006, Kandil rejoint l’aventure d’Overture Financial, une plateforme internationale de conseil et de gestion d’actifs qui compte parmi ses clients et partenaires

des fonds souverains et nombre de grandes banques. Une expérience new-yorkaise « pleine d’énergie, avec un peu cette dimension de rêve américain », se remémore-t-il. De retour au Maroc, l’ingénieur électrique de formation se lance ainsi seul dans l’aventure, en misant sur un marché vierge où la confiance se construit sur le long terme. « J’ai eu la chance de trouver un écosystème qui m’a permis de me lancer et, surtout, des clients qui m’ont fait confiance », raconte-t-il. Parmi ces derniers : l’Office national des aéroports (Onda), la compagnie Royal Air Maroc (qui figure encore parmi ses clients) et de nombreuses entreprises privées dont il refuse de dévoiler les noms – comme il refuse de dévoiler les résultats de l’entreprise.

Neutralité totale

Selon les déclarations fiscales consultées par Jeune Afrique, N+One a réalisé en 2020 un chiffre d’affaires de 80,3 millions de dirhams, contre 44,2 millions en 2018. Colocation, hébergement totalement géré, infrastructures de cloud computing… la société se targue aujourd’hui d’être « le premier opérateur de data centers neutres dans la région », c’est-à-dire non adossé à un opérateur. Car, selon Amine Kandil, la carrier neutrality, ce qui signifie une « totale indépendance par rapport aux opérateurs de télécoms », est un atout majeur. « [Un] data center véritablement


FOCUS TÉLÉCOMS et la souveraineté numérique pour favoriser une transformation digitale responsable » et de « développer des data centers souverains nationaux et régionaux, en s’appuyant sur des partenariats public-privé (PPP) pour permettre à l’État et aux entreprises marocaines d’héberger leurs actifs stratégiques ».

Coopération Sud-Sud

Douze ans après le lancement de N+One, Amine Kandil a décidé de mettre le cap vers l’Afrique subsaharienne. À commencer par le Sénégal, où il développe depuis 2020 trois centres de données interconnectés. Un choix stratégique dicté par l’essor du numérique en Afrique de l’Ouest ainsi que par la présence de plus en plus importante des banques marocaines dans le pays. « Cette coopération Sud-Sud, dans un contexte où l’Afrique connaît

N+ONE DATACENTERS

« Il y a une très belle dynamique au Sénégal, qui est un hub régional où beaucoup de startup voient le jour. »

Amine Kandil a été formé en ingénierie et en finance aux États-Unis. Ici à Casablanca, le 30 septembre 2022.

neutre par rapport aux transporteurs fournit un service entièrement indépendant de tout réseau, matériel ou logiciel. Comme il n’est affilié à aucun partenaire, il peut attirer dans ses installations le plus grand nombre de fournisseurs de connectivité », vante l’entreprise sur son site. Autre argument de N+One : la territorialité des données, une affaire de « souveraineté » aux yeux mêmes de l’État. « Il y a, par exemple, des banques ou des institutions gouvernementales qui ne peuvent pas avoir recours à l’externalisation », explique celui qui a lancé en 2019 la première plateforme marocaine multicloud. « La question de la protection des données et la position géographique

du data center sont primordiales. Le pays de localisation des serveurs où sont stockées les données conditionne les lois qui seront appliquées et auxquelles les entreprises seront soumises », avait déclaré celui qui siège au conseil d’administration d’Ubik, un spécialiste des centres de données basé à Dubaï, en 2019, lors d’un séminaire organisé par la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI, sous la tutelle de l’administration de la Défense nationale). Une vision défendue aussi par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), une institution officielle qui a recommandé, dans un avis publié en mars, d’améliorer « la cybersécurité

une croissance considérable du numérique, est une opportunité sur laquelle nous allons capitaliser avec nos partenaires marocains pour pouvoir implanter trois data centers de dernière génération dans l’un des hubs numériques les plus dynamiques d’Afrique, et ainsi attirer les grands opérateurs internationaux du cloud », a déclaré l’année dernière Yankhoba Diatara, le ministre sénégalais de l’Économie numérique et des Télécommunications. Pour Amine Kandil, il s’agit d’un premier pas en dehors du royaume avant d’accélérer l’internationalisation de l’entreprise sur le continent. « Il y a une très belle dynamique au Sénégal, qui est un hub régional où beaucoup de start-up voient le jour », souligne-t-il, précisant que la présence de banques marocaines permet à N+One de « répondre à un écosystème en tirant profit des synergies avec le Maroc ». JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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