JA3118 du 28 octobre 2022 Objectif Togo

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NOVEMBRE 2022

GABON LE COMPTE À REBOURS NO 3118 – NOVEMBRE 2022

TOGO LA MÉTHODE FAURE 14 PAGES

SPÉCIAL 30 PAGES

www.jeuneafrique.com

COP27 Ce que veut (et peut) l’Afrique

MAROC-ISRAËL Et maintenant ?

Édition IA

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Le plus jeune et le plus âgé des chefs d’État au monde sont africains. Le capitaine putschiste burkinabè Ibrahim Traoré, 34 ans, aux commandes depuis un mois, et le doyen camerounais Paul Biya, 89 ans, président depuis quatre décennies. De Yaoundé à Ouagadougou, l’enquête de JA dans les coulisses de deux pouvoirs d’exception.

M 01936 - 3118 - F: 7,90 E - RD

JEUNE AFRIQUE N O 3 1 1 8

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RD CONGO Le facteur Kamerhe


UN PAYS, SES DÉFIS

OBJECTIF TOGO

EMMANUEL PITA

Faure Essozimna Gnassingbé (à dr.) accueillant son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, à Lomé, le 28 juillet, pour une visite de travail.

La méthode Faure

Résilience face au péril jihadiste, stabilité politique, relance économique, rayonnement diplomatique… Comment le président affronte les vents contraires qui soufflent sur l’Afrique de l’Ouest. GEORGES DOUGUELI

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A

éroport de Lomé, le 3 septembre. Un avion affrété par l’État togolais débarque discrètement un petit groupe au sein duquel on reconnaît Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères, ainsi que trois femmes en uniforme militaire ivoirien. Dussey rejoint aussitôt Abdoulaye Diop, le chef de la diplomatie malienne, et Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet du président ivoirien Alassane Ouattara. Tous se rendent au palais présidentiel de Lomé-2 pour un bref entretien avec le chef de l’État togolais, Faure Essozimna Gnassingbé. S’ensuit l’annonce de la libération de trois des quarante-neuf soldats ivoiriens interpellés le 10 juillet à l’aéroport de Bamako au motif que leur arrivée sur le sol malien n’avait pas fait l’objet de notification ni d’autorisation préalables. Après les discours, militaires et officiels ivoiriens reprennent l’avion pour Abidjan. Ainsi s’est déroulée la partie « publique » de cette opération. Le détail des négociations, menées exclusivement par la diplomatie togolaise, est resté quant à lui soigneusement tenu secret. Même si l’on sait que le président Gnassingbé travaillait déjà à réduire les points de frictions entre Alassane Ouattara et le chef de la transition malienne, Assimi Goïta, avec pour effet d’inciter le président ivoirien à soutenir l’allègement des sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à l’encontre du Mali.

Activisme d’intercesseur

C’est un fait, Lomé veut s’imposer en pivot diplomatique de l’Afrique de l’Ouest. Non pas seulement pour son rôle de médiateur dans la libération des militaires ivoiriens, mais aussi dans son activisme d’intercesseur pour la réintégration du Mali sous transition au sein de la communauté économique régionale. Le 6 septembre 2022, comme en mars 2021, la capitale togolaise a ainsi accueilli la réunion du groupe de soutien à la transition. Pour accroître sa visibilité et son attractivité, le Togo a également décidé d’adhérer au Commonwealth.

Le 22 avril, le Parlement a en effet autorisé l’exécutif à finaliser le processus d’adhésion au « Club des gentlemen », qui regroupe majoritairement d’anciennes colonies de l’Empire britannique. Le Togo espère y gagner une amélioration de son image autant que des opportunités commerciales, eu égard aux perspectives que lui garantit ce vaste marché extérieur pour l’exportation de ses produits nationaux. Cette présence constante sur les scènes diplomatiques régionale et continentale donne de la visibilité à ce pays de taille moyenne – 8,2 millions d’habitants –, tout en valorisant sa stabilité. Une vertu notable à l’heure des coups d’État et des transitions dans la région – au Mali, en Guinée et au Burkina Faso –, et alors que d’autres vacillent sous les attaques du terrorisme islamiste.

En juin, Lomé a adhéré au Commonwealth. Il espère y gagner une amélioration de son image et des opportunités commerciales. Ces derniers mois, la nébuleuse jihadiste a pourtant tenté de fragiliser le Togo en planifiant à cinq reprises des attaques dans la région des Savanes, partie septentrionale du pays, frontalière avec le Burkina Faso. La toute première attaque, dans la nuit du 10 au 11 mai, a visé le poste militaire de Kpékpakandi, faisant 8 morts et 13 blessés parmi les soldats togolais. En juillet, des incursions jihadistes ont frappé les cantons de Gnoaga et Gouloungoussi, où l’état-major général des Forces armées togolaises (FAT) a déploré « plusieurs morts ». Face au péril jihadiste, les autorités ont apporté une réponse d’abord sécuritaire. Depuis le 13 juin, la région des Savanes est placée sous état d’urgence sécuritaire. Le haut commandement des FAT a obtenu un renforcement de ses moyens humains, avec le recrutement de plus

de 2 000 hommes et femmes. Son budget a été augmenté : il est passé à 43,4 milliards de F CFA (plus de 66 millions d’euros), mobilisés pour l’achat d’équipements militaires, auxquels s’ajoutent 21,9 milliards pour la formation et le déploiement des forces. Quant à la loi de programmation militaire 2021-2025 – adoptée à la fin de 2020 –, elle a été dotée d’une enveloppe de 722 milliards de F CFA, avec pour objectif de renforcer les équipements des FAT. En plus de la riposte militaire, le plan de lutte contre l’islamisme radical comporte un volet économique et social visant à réduire la pauvreté, terreau sur lequel se développe l’islam politique. L’État a alloué une enveloppe de 16 milliards de F CFA pour le développement de la région des Savanes, la plus déshéritée du pays. Ce plan comporte un volet de construction d’infrastructures, notamment routières et hospitalières, un programme d’accès à l’eau potable, etc.

Une opposition inaudible

Ces préoccupations géopolitiques et sécuritaires semblent avoir relégué au second plan les questions de politique intérieure. Il faut reconnaître que l’exécutif n’a pas beaucoup de souci à se faire en la matière depuis la fin de la dernière séquence électorale, la présidentielle de 2020, qui a vu Faure Essozimna Gnassingbé être réélu sans surprise dès le premier tour, avec 70 % des suffrages exprimés. En fait, la dernière sérieuse montée en pression de l’opposition contre la stabilité du pouvoir remonte aux appels à l’insurrection de l’opposant radical Tikpi Atchadam, le leader du Parti national panafricain (PNP), en 2017. Menace qui a été circonscrite et a signé l’entrée en léthargie de l’opposition. Celle-ci a perdu sa capacité à mobiliser, alors que, par le passé, ses leaders contrôlaient la rue togolaise. À 86 ans, l’opposant historique Gilchrist Olympio, le président de l’Union des forces de changement (UFC), vit la plupart du temps à Paris. Quant à Jean-Pierre Fabre, le patron de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), il n’a pas repris son rôle de leader de l’opposition JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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EMMANUEL PITA

OBJECTIF TOGO

Le chef de l’État et sa Première ministre, Victoire Tomegah-Dogbé, le 13 septembre, à Kpalimé, dans la région des Plateaux, où était organisé un séminaire gouvernemental sur l’avancée des projets prioritaires.

depuis qu’il a été doublé, lors de la dernière présidentielle, par l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo dans la course à la candidature unique de l’opposition. De son côté, l’exécutif tente de faire avancer ses programmes, malgré les conséquences de la pandémie de Covid-19 et, désormais, de celles de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Après son élection pour un quatrième mandat, Faure Essozimna Gnassingbé a nommé à la primature, en septembre 2020, une spécialiste du développement : Victoire Tomégah-Dogbé. Depuis, la cheffe du gouvernement se concentre sur la mise en œuvre du plan national de développement (PND), tout en adaptant les priorités aux urgences imposées par les aléas géopolitiques et conjoncturels : programme de solidarité Novissi

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(dispositif de transfert d’argent en urgence pour les plus démunis, mis en place moins de trois semaines après le début de la pandémie,

L’État a alloué une enveloppe de 16 milliards de F CFA pour le développement de la région des Savanes, la plus déshéritée du pays. en 2020) ; plan d’urgence agricole pour soutenir la production et garantir l’autosuffisance alimentaire ; mesures pour lutter contre la vie chère (subventions aux produits pétroliers et aux denrées de première

nécessité, plafonnement des prix, etc.). La crise sanitaire désormais circonscrite, la feuille de route 20202025 du gouvernement s’articule autour de la stratégie dite des « trois R » : riposte, résilience, relance. Et force est de constater que le pays s’est remis en marche : sa croissance, qui s’est maintenue à 1,8 % en 2020, devrait, selon le FMI, rebondir à 5,6 %. « L’objectif est d’opérer une transformation économique de notre agriculture et du secteur industriel, en valorisant davantage les filières, à travers une approche de chaînes de valeur plus productives », explique Victoire Tomegah-Dogbé. La recette permet jusqu’à présent au pays de se donner les moyens de résister aux chocs extérieurs et de préserver sa stabilité, qui est finalement son atout majeur.



De g. à dr., Jean-Pierre Fabre (président de l’Alliance nationale pour le changement), Gerry Taama (Nouvel Engagement togolais), Tikpi Atchadam (Parti national panafricain) et Agbéyomé Kodjo (Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement).

Qui pour incarner l’opposition ? Des élections régionales et législatives sont prévues en 2023. Pourtant, les principaux adversaires du chef de l’État peinent à revenir sur le devant de la scène. Certains sont en exil, d’autres en phase d’autocritique, ou d’apprentissage. CHARLES DJADE, À LOMÉ

À

mi-quinquennat – Faure Essozimna Gnassingbé a été réélu pour un quatrième mandat avec 70,78 % des suffrages exprimés au premier tour le 22 février 2020 –, l’opposition reste déstabilisée et peine à reprendre des forces. D’autant que l’ex-Premier ministre Agbéyomé Kodjo, candidat du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD) et de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle avec 19,46 % des suffrages exprimés (contre 0,9 % en 2010), a « pris le maquis » depuis la mi-2020. Un basculement dans la clandestinité à la suite d’une nouvelle convocation de la justice pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État », « diffusion de fausses

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informations » et « troubles aggravés à l’ordre public », après qu’Agbéyomé Kodjo s’était autoproclamé « président élu ». En mars 2021, depuis son exil, il a officiellement cédé son siège à l’Assemblée nationale.

Hégémonie de l’Unir

La réélection de Faure Essozimna Gnassingbé a évidemment conforté le poids de l’Union pour la République (Unir), qui, depuis les législatives de 2018 – boycottées par les principaux partis d’opposition, dont l’Alliance nationale pour le changement (ANC) –, dispose d’une large majorité de 59 sièges sur 91 à l’Assemblée nationale, sans compter les 18 députés indépendants dont les positions lui sont souvent favorables. Face au parti présidentiel et à ses alliés, l’opposition ne compte que 14 élus, dont

7 sont issus de l’Union des forces de changement (UFC), fondé par l’ex-opposant historique Gilchrist Olympio, lequel s’est rapproché,

« L’activité partisane a été comme plongée dans la léthargie; le parti au pouvoir a réussi son coup. » depuis 2010, du pouvoir en place. Le Nouvel engagement togolais (NET), de Gerry Taama, compte quant à lui 3 députés ; le MPDD, d’Agbéyomé Kodjo, 2 ; le Parti national panafricain (PNP), d’Innocent Kagbara,

BAUDOIN MOUANDA POUR JA ; BRUNO LEVY POUR JA ; PIUS UTOMI EKPEI/AFP

OBJECTIF TOGO



OBJECTIF TOGO et le Mouvement des républicains centristes (MRC), d’Abass Kaboua, ne disposant que de 1 siège chacun. « L’activité partisane dans notre pays a été comme plongée dans la léthargie, et le parti au pouvoir a réussi son coup : il est parvenu à laminer l’opposition », analyse Senyéebia Yawo Kakpo, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université de Kara. Une léthargie d’une telle ampleur que les formations politiques n’ont pas toutes participé aux réunions de concertation ouvertes par le gouvernement pour obtenir le consensus autour des réformes électorales et institutionnelles, en particulier dans la perspective des scrutins régionaux et législatifs prévus en 2023.

Kodjo, contestataire et contesté

Dans sa confrontation avec le parti présidentiel, qu’il connaît bien pour avoir été, en son temps, l’un des piliers du Rassemblement du peuple togolais (RPT, devenu Unir), Agbéyomé Kodjo a raté l’occasion d’être le porte-flambeau d’une opposition qui ne l’accepte pas, alors qu’il a recueilli plus de 19 % des suffrages exprimés à la présidentielle, loin devant JeanPierre Fabre, dont le parti reste néanmoins la première force d’opposition en matière de maillage territorial, avec 138 conseillers municipaux élus lors des scrutins locaux de 2019. « Agbéyomé Kodjo a fait beaucoup de mal à l’opposition par ses interventions, par ses mensonges et par ses agressions, avant, pendant et après la présidentielle », tacle un cadre de l’opposition, qui ajoute que « Kodjo n’a jamais milité pour l’opposition », en faisant référence à son passé « RPTiste ». Même si, pour la campagne présidentielle, il a largement bénéficié de l’aura de l’ancien archevêque de Lomé, Mgr Philippe Kpodzro, qui espérait une candidature unique de l’opposition et l’avait choisi pour être le candidat du « SaintEsprit », Agbéyomé Kodjo n’a pas réussi à faire l’unanimité au-delà de la DMK. Désormais absent du territoire, ses interventions se font sur les réseaux sociaux, mais n’affichent pas de fort suivi chez les Togolais. « Le score d’Agbéyomé Kodjo [à la présidentielle]

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n’est pas étonnant lorsque l’on connaît le poids et l’influence de l’Église catholique au sein de la société togolaise, estime Essohanam Batchana, enseignant-chercheur à l’université de Lomé. Mais son avenir sans la Dynamique est incertain. » Et, sur le terrain, c’est la DMK qui l’a soutenu et qui bat encore campagne, sous la houlette de Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, convaincue qu’un réveil des Togolais pour l’alternance est pour bientôt.

Fabre en opération reconquête

Sorti fragilisé de la présidentielle, où il n’a recueilli que 4,68 % des suffrages (contre plus de 35 % en 2015 et près de 34 % en 2010), Jean-Pierre Fabre a longtemps gardé le silence. Réputé intransigeant, le leader de l’ANC soutient être « celui qui incarne l’opposi-

« L’implication de Mgr Kpodzro dans la campagne présidentielle, très empreinte d’amateurisme, est venue atomiser l’opposition. » tion », mais s’est tenu loin des médias pour faire son autocritique. Alors que le contexte post-présidentielle lui est favorable, avec le départ d’Agbéyomé Kodjo, et que son parcours politique le crédibilise aux yeux des Togolais, notamment pour ne s’être jamais « compromis » avec la majorité, Fabre peine cependant à s’imposer de nouveau. Son opération de reconquête des militants, sous-tendue par des engagements fermes à ne plus prendre part à des coalitions ni à des regroupements de partis, a été freinée par les interdictions de rassemblement imposées par les pouvoirs publics dans le cadre de la riposte contre la pandémie de Covid-19 par le gouvernement. À la mi-septembre, l’ANC a d’ailleurs interpellé la Première ministre, Victoire Tomégah-Dogbé, accusant le gouvernement de vouloir « réduire au silence les partis politiques de l’opposition et les

organisations de la société civile qui œuvrent pour l’instauration de l’État de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance ». Bon an mal an, en attendant la levée des contraintes sanitaires, Jean-Pierre Fabre enchaîne les réunions en petit comité, avec l’objectif de « créer la surprise » lors des prochains scrutins, à commencer par les régionales et les législatives, prévues en 2023. Toujours mesuré, le centriste Gerry Taama, lui, se prépare pour la présidentielle de 2030 plutôt que pour celle de 2025. Son premier mandat au sein de l’Assemblée lui permet de gagner en expérience et de muscler son parcours politique pour peser davantage au sein de l’opposition. Reste que, pour le moment, ses choix laissent perplexes une partie de cette dernière, qui le taxe d’être « un opposant satellite du régime », arguant qu’il a participé aux législatives de 2018, quand les principaux partis appelaient au boycott.

Casting raté

Pour certains, la « vraie » opposition togolaise, radicale, reste incarnée par Tikpi Atchadam. En 2017, la verve du tribun avait rapidement conquis les partisans du changement, et, jusqu’alors inconnu, celui-ci s’était imposé en quelques mois comme une figure majeure de l’opposition togolaise. Tout le monde garde en mémoire les manifestations, durement réprimées, qui ont secoué le pays le 19 août 2017. Reste que, dès la fin de cette année-là, Tikpi Atchadam est quasiment tombé aux oubliettes. « Agbéyomé Kodjo essaie d’occuper la place vide laissée par Atchadam, mais son passif avec l’ex-RPT et sa participation aux législatives de 2018 ne servent pas sa cause actuelle », souligne un observateur. Selon Senyéebia Yawo Kakpo, la situation de l’opposition togolaise résulte d’un casting raté lors de la campagne présidentielle. « Elle a été mal gérée, voire mal négociée, surtout avec l’implication de l’ancien archevêque, Mgr Kpodzro, très empreinte d’amateurisme… Son intervention n’a pas du tout arrangé la situation. Au contraire, elle est venue atomiser l’opposition, exacerbant la méfiance et les accusations de part et d’autre. »



OBJECTIF TOGO

Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson « L’alternance est pour bientôt » Porte-parole du candidat Agbéyomé Kodjo lors de la dernière présidentielle, la coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro analyse la situation de l’opposition avant les scrutins régionaux et législatifs de 2023. PROPOS RECUEILLIS À LOMÉ PAR CHARLES DJADE

Jeune Afrique : Deux ans après la présidentielle de 2020, vous persistez à réclamer la victoire de votre candidat, Agbéyomé Kodjo. N’est-il pas temps de passer à autre chose? Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson : Le temps ne compte pas pour mener ce combat. Cela fait plus de deux ans, certes, mais cette question continue de préoccuper les Togolais comme si c’était hier. Renoncer à discuter du contentieux électoral né de la présidentielle, c’est

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ANGE OBAFEMI/PANAPRESS VIA MAXPPP

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ecrétaire générale de la C o nve n t i o n d é m o c r a tique des peuples africains (CDPA) et coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK), Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, 63 ans, a été la porte-parole de l’ex-Premier ministre Agbéyomé Kodjo alors qu’il était candidat à la présidentielle du 22 février 2020. Selon les résultats officiels – que son groupement refuse toujours de reconnaître –, ce dernier est arrivé deuxième avec 19,46 % des suffrages exprimés, derrière Faure Essozimna Gnassingbé (70,78 %) et devant Jean-Pierre Fabre (4,68 %). La juriste, qui a par ailleurs été, en 2010, la première femme du pays candidate à une élection à la magistrature suprême, explique la situation de l’opposition aujourd’hui et ses objectifs, en particulier dans la perspective des élections régionales et législatives, prévues respectivement au début et à la fin de 2023.

sacrifier l’alternance au Togo, cette alternance que nous recherchons depuis plus de trente ans et qui est reconnue comme quelque chose de normal dans tout pays démocratique. Ce 22 février 2020, nous avons compris que les Togolais, en allant exprimer leur suffrage, disaient « oui », qu’ils étaient d’accord pour aller enfin vers l’alternance. C’est une responsabilité énorme pour le candidat de la DMK, Agbéyomé Kodjo, et pour nous qui sommes de la DMK, de faire en sorte de ne pas leur laisser un goût d’inachevé et qu’ils voient qu’ils n’ont pas voté pour rien. Nous en appelons donc à des discussions franches sur ce sujet important, pour garantir aux Togolais que cet épisode ne se répétera pas.

Concrètement, qu’attendez-vous? Il faut que l’on trouve des solutions durables pour apaiser les Togolais. Mais nous ne pouvons pas passer l’éponge. Nous pensons qu’il est normal d’opérer un transfert du pouvoir s’il s’avère que, au terme des discussions, il n’a pas été tenu compte des suffrages des Togolais. Ces derniers ont tellement subi qu’ils ne sont plus prêts à accepter de compromis boiteux, quel qu’il soit. Nous ne voulons d’aucun compromis aboutissant au statu quo. Quand Agbéyomé Kodjo pourrat-il revenir au Togo? Comme tout Togolais, nous demandons le retour de ceux qui ont dû partir parce qu’il leur est reproché de


MESSAGE

Marquer les hydrocarbures pour améliorer leur conformité et augmenter les recettes fiscales des Etats

Lutter contre le commerce illicite par le biais d’un système numérique de gestion de vignettes fiscales de haute sécurité

Quelles solutions pour augmenter les recettes fiscales ? Alors que l’Afrique fait face à une dette publique des plus élevées depuis 20011, le FMI rappelle que la mobilisation des recettes fiscales est un outil indispensable pour l’assainissement budgétaire et le financement des plans de développement. Pour faire face aux flux financiers des activités illicites qui échappent massivement aux pays africains et épuisent leur capacité de financement2, et éviter la sous-déclaration et l’évasion fiscale, plusieurs pays d’Afrique ont déployé un système de marquage et de traçabilité des produits, domestiques et/ou importés. Deux solutions à la pointe de la technologie, développées par l’entreprise suisse SICPA, se distinguent : un système numérique de gestion de vignettes fiscales de haute sécurité pour les produits soumis aux droits d’accise et une solution de marquage forensique des hydrocarbures. Augmentation de la collecte des droits d’accise et amélioration de la conformité D’après la Banque Mondiale3 et l’OMS4, le commerce illicite génère une perte annuelle des recettes sur la taxation du tabac et des boissons alcoolisées à hauteur de 50 et 28 milliards de dollars respectivement. Les enjeux restent également importants dans d’autres secteurs clés comme le commerce des hydrocarbures où l’équivalent de 133 milliards de dollars de carburants sont adultérés ou détournés annuellement des canaux de distribution légitimes5, générant ainsi des pertes fiscales substantielles pour les gouvernements. Les solutions robustes de SICPA, fortes de décennies d’expérience et d’innovation de l’entreprise dans les solutions de sécurité matérielle et numérique, permettent d’adresser ces enjeux de manière efficace. Selon un rapport publié par les autorités6, le montant collecté pour les droits d’accise au Togo a ainsi augmenté de 35% sur la bière et le tabac depuis la mise en place de la Solution Automatisée de Marquage (SAM) en 2020, alors qu’en Tanzanie, les autorités fiscales ont constaté une 1 2 3 4 5 6 7

IMF, African Department, Revenue Mobilization in Sub-Saharan Africa during the pandemic, January 2022 CNUCED, Le développement économique en Afrique, 2020 World Bank Group, Confronting Illicit Tobacco Trade, 2019 World Health Organization, Global status report on alcohol and health, 2018 United Nations University UNU-WIDER, Global oil theft : impact and policy responses, February 2022 OTR et INSEED, Institut National de la Statistique et des Études Économiques et Démographiques Public Eye, Dirty Diesel, September 2016

augmentation de 65 millions de dollars dans la collecte des taxes sur les carburants, dès la première année de mise en place de la solution SICPA. En Ouganda, l’adultération de l’essence a aussi drastiquement décliné de 30% à moins de 1% suite à l’introduction de cette solution7, un bénéfice non négligeable pour les communautés. En effet, améliorer le niveau de conformité des carburants permet de réduire l’utilisation de carburants adultérés et frelatés, qui contiennent de fortes concentrations en substances toxiques telles que le soufre, un composé irritant et nocif pour les personnes et l’environnement. Le secteur des télécommunications : un marché important à surveiller pour les autorités fiscales et de régulation Le marché des télécommunications représente une source de revenus fiscaux importante pour les Etats. En effet, les taxes dans ce secteur étant majoritairement collectées sur le modèle autodéclaratif, le recouvrement des impôts par les autorités fiscales pourrait être optimisé. SICPA propose une solution complète et modulaire permettant aux autorités gouvernementales de surveiller les revenus des services de télécommunications de façon très précise et en temps réel. Avec un impact immédiat et durable, la solution permet d’accroître la conformité aux réglementations en vigueur et améliore la mobilisation des recettes fiscales.

SICPA Siège international Av de Florissant 41 CH- 1008 Prilly, Switzerland

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OBJECTIF TOGO s’être mêlés de la gestion politique du pays ou d’avoir exercé leur droit de citoyen. Agbéyomé Kodjo doit revenir, d’une part, en tant que candidat reconnu (selon les résultats, que nous contestons) être arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle de 2020. Et, d’autre part, en tant que victime de violations des droits de l’homme, lesquelles ont été reconnues par la Cour de justice de la Cedeao, qui a condamné l’État togolais et lui a demandé de réparer les torts causés. Créer les conditions du retour d’Agbéyomé Kodjo dans son pays fait justement partie de cette réparation. L’arrêt de la juridiction de la Cedeao implique aussi que les poursuites judiciaires engagées par l’État togolais contre Agbéyomé Kodjo et contre tous les membres de la DMK soient annulées, car elles n’ont plus de raison d’être. En 2023 auront lieu les premières élections régionales du pays. Serez-vous au rendez-vous, comme lors des municipales de 2019? Au vu de la cherté de la vie, il est étrange de vouloir mobiliser des milliards de francs CFA pour des élections régionales alors même que le premier niveau de la décentralisation, le communal, n’est pas encore maîtrisé. Ces régionales ne sont pas opportunes, et nous nous opposons à leur organisation coûte que coûte, parce qu’elles visent à installer ensuite un Sénat, lequel servira de maison de retraite et créera des charges supplémentaires pour les Togolais. Un autre grand sujet d’actualité est la lutte contre le terrorisme, autour de laquelle les autorités souhaitent un front uni. Y êtes-vous favorable? Le front uni s’impose, mais seuls les actes posés créeront cette alliance. Cela ne se décrète pas. Nous sommes dans un pays dont les dirigeants pensent, depuis des décennies, que tout se décrète et s’obtient de force, mais une telle pratique a ses limites. C’est pour cela que la DMK en appelle à un sursaut patriotique. Il faut arrêter les subterfuges, comme cette rencontre avec la Première ministre, Victoire Tomégah-Dogbé, que l’on

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veut faire passer pour un « dialogue avec la classe politique ». Les Togolais ne sont plus dupes… Qu’auriez-vous fait si vous étiez au pouvoir? Je sais que ce n’est pas facile, mais j’aurais pris mon courage à deux mains et assumé mes responsabilités en tant que première responsable. J’aurais arrêté d’écouter les mauvais conseillers qui sont autour de moi et dit : « J’aime mon pays, il est en danger, je suis la seule à pouvoir faire ce qu’il faut. » Et j’aurais appelé mes opposants, mes vrais opposants – pas mes amis, comme on le fait actuellement au sein du cadre permanent de concertation –, ceux qui ne partagent pas ma vision, et nous aurions échangé, même si cela aurait risqué de me coûter le pouvoir. Car là où il y a des échanges sérieux entre des gens de bonne volonté jaillissent des solutions qui peuvent sauver.

Au vu de la cherté de la vie, il est étrange de vouloir mobiliser des milliards de francs CFA pour des régionales. Entre l’Alliance nationale pour le changement, de Jean-Pierre Fabre, et le Parti national panafricain, de Tikpi Atchadam, quelle place reste-t-il aux partis membres de la DMK au sein de l’opposition? Nous sommes ouverts et discutons avec d’autres partenaires. L’idéal est que tout le monde revienne à la raison et comprenne que nous n’en sommes pas encore au stade où nous pourrions faire jouer le pluralisme politique et la compétition entre partis… Parce que, justement, ce pluralisme nous a été jeté à la figure comme un appât, dans le but de nous diviser. À ce stade, nos différentes chapelles et intérêts partisans ne doivent pas prévaloir sur notre lutte politique. Il faut que nous nous unissions pour instaurer véritablement des institutions républicaines qui jouent leur rôle et pour créer les conditions

d’une compétition saine entre partis politiques. Croyez-vous toujours à l’alternance? Oh que oui ! Et je pense que nous n’en sommes plus loin. C’est pour cela que je voudrais exhorter les Togolais à davantage de détermination et à se dire que, si nous intensifions les actions, l’alternance est pour bientôt. Les Togolais donnent l’impression d’être résignés, mais si l’on continue de les pousser à bout, nous risquons tous d’en payer le prix. Je suis convaincue qu’en continuant à nous battre nous irons à l’alternance, parce que nous apprenons de notre cheminement. Et si la DMK est sur cette position aujourd’hui, c’est parce que, justement, nous avons tiré les leçons de ce cheminement. Nous sommes les héritiers de cette longue lutte engagée par les Togolais depuis plusieurs décennies. Vous militez depuis les années 1990. Pensez-vous à prendre votre retraite? [Rires.] Pour moi, c’est une mission. Et cette mission, on l’exerce à vie. Je me bats pour la démocratie, et cela suppose qu’il y ait du changement, une rotation. Ce serait normal de quitter un jour mes fonctions pour devenir une simple militante de base. Même si je n’ai plus de responsabilités, je continuerai à apporter la contribution qui correspond à ma position. Quelle a été votre principale force? C’est ma conviction, celle de devoir contribuer à changer ma société positivement. C’est aussi ma foi. Les deux sont liées et me permettent de rester dans ce combat depuis plus de trente ans, même si on a l’impression que les choses ne bougent pas ou très peu, même si l’on reçoit des coups de toutes parts. Ce qui explique que certains vous surnomment « la dame de fer »… Mais ce n’est pas le cas. Je souffre et je ressens l’échec comme tout le monde, je ne suis pas une superfemme. J’essaie d’avancer en dominant ma peur, qui est un sentiment naturel. Je suis juste une femme comme toutes les autres.


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OBJECTIF TOGO

ÉCONOMIE

L’art du rebond Avec une transformation structurelle en marche, des investissements soutenus et un déficit maîtrisé, Lomé a retrouvé le chemin de la croissance, qui devrait atteindre 5,6 % cette année. NADOUN COULIBALY, ENVOYÉ SPÉCIAL À LOMÉ

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epuis six mois, l’inflation rogne chaque jour un peu plus le panier de la ménagère, et la région des Savanes – dans le nord du pays, frontalier avec le Burkina Faso – est confrontée aux incursions de groupes jihadistes, lesquels font peser une menace sur les populations comme sur l’économie. Le Togo saura-t-il préserver son attractivité et sa réputation de pays où il fait bon vivre et faire des affaires ? Les pouvoirs publics semblent en tout cas déterminés à trouver un compromis entre inflation et croissance, ainsi qu’à renforcer la stabilité sécuritaire, économique et sociale. « L’insécurité freine l’élan positif et détourne les autorités des priorités de développement puisqu’elles doivent consentir davantage de ressources dans les effectifs et équipements militaires. Il est donc primordial de garantir la sécurité, qui attire les investisseurs », reconnaît le patron d’un groupe bancaire établi à Lomé. Concernant la situation sécuritaire, force est de constater que l’exécutif togolais a été actif dans sa réponse à l’avancée jihadiste afin d’éviter l’endoctrinement des jeunes ou le radicalisme religieux. Pour accompagner la région des Savanes, un plan d’urgence a été mis en place et doté de près de 260 milliards de F CFA (plus de 396 millions d’euros), mobilisés après quelques coupes budgétaires opérées dans les ressources initialement allouées aux secteurs de l’agriculture, de l’eau

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et de la santé. « Nous faisons tout pour contenir la menace, ce qui nous oblige à y consacrer plus de moyens, explique un membre du gouvernement. Le président Faure Gnassingbé est convaincu que les solutions militaires et sécuritaires ne suffiront pas : il faut y associer un élan de mobilisation citoyenne, éveiller une conscience collective et accroître la vigilance de chacun, pour éviter l’enracinement du phénomène. Cela requiert un esprit de dialogue avec les chefs coutumiers, la société civile et les autorités religieuses. »

Objectifs contrariés

Dans ce contexte régional également fragilisé par les coups d’État et les transitions en cours au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, auxquels s’ajoutent les conséquences de la pandémie de Covid-19 et le contrecoup de la guerre en Ukraine, l’exécutif a réajusté son Plan national de développement (PND) et tient rigoureusement le cap sur sa feuille de route 2020-2025. « Nos objectifs ont été contrariés au sortir de la pandémie de Covid-19, mais, malgré tout, nous avons maintenu une croissance aux alentours de 2 % en 2020. Malheureusement, nous sommes confrontés à un double défi. D’abord sécuritaire : même s’il y a des éclaircies sur la situation au Mali et au Burkina, le contexte reste volatil et fragile, confirme Gilbert Bawara, le ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social.

Notre pays a subi des attaques, et l’on constate que s’opère un glissement des groupes armés vers les pays côtiers. L’autre défi est lié la guerre en Ukraine et à ses corollaires : la flambée des prix des engrais et des céréales, et une inflation galopante, partout. » Exposé comme la plupart des pays de la région à la fluctuation des prix, Lomé essaie de prendre des mesures pour en atténuer l’impact. Et, alors que les subventions


JACQUES TORREGANO POUR JA

OBJECTIF TOGO

Le siège du groupe panafricain Ecobank, sur le boulevard du Mono, à Lomé.

aux produits pétroliers frôlent la somme « insoutenable » de 20 milliards de F CFA, l’exécutif a procédé à des hausses successives des prix à la pompe et mis un terme aux aides accordées sur le gaz. Articulée autour des « trois R » (riposte, résilience, relance), la feuille de route du gouvernement togolais se concentre ces derniers mois sur la reprise de la croissance, qui s’est maintenue à 1,8 % en 2020 et, selon le

FMI, devrait rebondir à 5,6 % en 2022 – au lieu des 6,2 % initialement attendus. Principaux objectifs : conforter le pays dans son rôle de plateforme logistique et de hub financier ; développer les pôles manufacturier et de transformation agricole (notamment à travers les investissements publics et privés) ; sans oublier de consolider le développement social, à plus forte raison dans la conjoncture actuelle, marquée par la cherté

de la vie. Cette stratégie repose sur des projets phares, en particulier dans le secteur de l’énergie, à commencer par le parc solaire de Blitta, dans le centre du pays, inauguré en juin 2021. Réalisée dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) et portée par Amea Togo Solar, filiale locale du groupe dubaïote Amea Power, cette centrale d’une puissance installée de 50 mégawatts (MW) a nécessité un investissement de 21,5 milliards JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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OBJECTIF TOGO de F CFA. Située sur la zone du port de Lomé, la centrale à cycle combiné (gaz-vapeur) Kékéli Efficient Power a elle aussi commencé à tourner en 2021. Elle est développée et détenue à 75 % par le groupe panafricain Eranove, avec l’État togolais pour coactionnaire (25 %) à travers la société d’investissement Kiféma Capital. Un investissement de 85 milliards de F CFA, pour une capacité de 65,5 MW – la plus importante du pays. Ces deux projets permettent d’alimenter en électricité quelque 400 000 foyers.

Forte valeur ajoutée

Autres principaux moteurs de la reprise : les investissements, qui doivent permettre de développer les capacités du pays et d’engager une transformation structurelle de son économie, avec des projets à forte valeur ajoutée et à même de créer des emplois locaux. On retiendra en particulier l’acquisition, à la fin de 2021, de 90 % des parts de la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI) par IB Holding, du géant burkinabè du BTP Mahamadou Bonkoungou. Au-delà de cette opération de plus de 6,4 milliards de F CFA – de quoi renflouer les finances publiques –,

la capitale togolaise continue de renforcer sa position de hub financier. Ecobank, Oragroup, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) y ont établi leur siège depuis plusieurs années, et de nombreux groupes sont désormais présents à Lomé, comme la Banque de

Actionnaire majoritaire de la NSCT, le géant Olam devrait permettre de porter la production de coton à 200 000 tonnes dès 2023. développement du Mali (BDM), qui y a ouvert une filiale à la fin de 2021. Le développement du numérique a permis d’accélérer la croissance de ce secteur comme de bien d’autres. En effet, la digitalisation des services de l’État et la dématérialisation des procédures administratives engagées depuis le début des années 2010 portent leurs fruits, aussi bien pour ce qui est de « faciliter le

business » que pour améliorer la formation et, plus généralement, pour les démarches de la vie quotidienne des entreprises comme des particuliers : services de sécurité sociale, paiement des impôts et formalités de douanes en ligne, cartes de séjour numériques, etc. De leur côté, les investissements drainés par la plateforme industrielle Adétikopé (PIA) sont déjà estimés à 140 milliards de F CFA. Et, sous l’effet des investissements qui y sont prévus, les crédits à l’économie ont franchi la barre des 3 000 milliards de F CFA à la fin du premier semestre de cette année. Inaugurée en juin 2021 à une vingtaine de kilomètres de Lomé, la PIA est née d’un PPP entre l’État togolais (35 %) et Arise IIP, filiale du groupe Arise (65 %). Son financement, d’un coût global de 247 millions d’euros, dont 175 millions de prêts, est désormais bouclé. En effet, Arise IIP, qui avait déjà obtenu un financement de 30,5 millions d’euros de la BOAD, a signé le 16 août une convention de prêts de 145 millions d’euros avec un pool de banques mené par Afreximbank (85 millions d’euros), Ecobank (45 millions) et la Banque internationale pour l’Afrique (BIATogo, 15 millions).

MSC seul maître à bord au port de Lomé Au début de 2023, le groupe Bolloré cédera ses activités logistiques en Afrique à l’armateur Mediterranean Shipping Company. Qui confortera ainsi son hégémonie dans la capitale.

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rincipale porte d’entrée et de sortie du commerce international du Togo, le Port autonome de Lomé (PAL) a intégré en 2021 le « One Hundred Container Ports », se classant ainsi premier port à conteneurs d’Afrique de l’Ouest et quatrième du continent, mais aussi deuxième plateforme de transbordement des marchandises conteneurisées

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en Afrique subsaharienne, derrière Durban. Avec la cession, qui doit être finalisée d’ici à la fin du premier trimestre 2023, des activités africaines du groupe français Bolloré Transport Logistics (BTL) au géant italo - suisse Mediterranean Shipping Company (MSC), premier armateur mondial, c’est toute la chaîne logistique togolaise qui entre dans

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une nouvelle ère, avec, en toile de fond, le développement de la plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA), inaugurée en juin 2021, à une vingtaine de kilomètres de Lomé. Ces dernières années, l’activité du PAL n’a cessé de croître, le volume global traité enregistrant une hausse de 38,4 % de 2019 à 2021, année où il s’est établi à 23,6 millions de tonnes.

Une tendance qui fonde certains observateurs à estimer que l’activité de la zone portuaire représenterait désormais plus de 50 % du PIB national. « Le départ de Bolloré renforce la position de MSC, qui devient seul maître à bord au port. Stratégiquement, pour Bolloré, c’est un soulagement, au regard de la mauvaise image qu’il avait.


OBJECTIF TOGO

REPÈRES Reprise confirmée, dette en hausse 2019

2020

5,5

1,8

0,7

1,8

2021

2022

2023

5,1

5,6 4,1

6,2

4,3

4,6 13,3

2,0

Projections

(en %)

Croissance (PIB réel, à prix constants) Moyenne en zone Cedeao

Inflation (moyenne annuelle) Moyenne en zone Cedeao

(en % du PIB)

Solde budgétaire global (dons compris) – 3,6

– 6,9

– 6,5

– 4,9 – 6,2

– 4,0

– 1,5

– 3,3

– 5,9 – 3,2

– 6,4

52,4

60,3

63,8

63,6 46,9

62,3

17,6

28,7

25,8

28,0 18,4

27,4

Moyenne en zone Cedeao

Solde extérieur courant (dons compris) – 0,8 Moyenne en zone Cedeao

Dette publique Moyenne en zone Cedeao

Dette extérieure Moyenne en zone Cedeao

SOURCES : FMI, MAI 2022

Dans le domaine de l’agriculture, le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa) a été privatisé afin de muscler le dispositif d’accompagnement des producteurs ruraux par la mise en place de fermes modernes (semences, engrais bio, etc.). Une agence de transformation agricole, qui doit tenir un rôle clé dans la

MSC, qui était déjà partie prenante sur la plateforme portuaire avec le plus grand terminal à conteneurs – Lomé Containers Terminal [LCT] –, va asseoir son hégémonie », commente un entrepreneur togolais.

Marges de progrès

Présent dans l’actionnariat de LCT à travers sa filiale Terminal Investment Ltd (TIL), MSC a prévu un plan d’investissements de 500 millions d’euros sur dix ans dans la plateforme portuaire togolaise, dont 30 millions ont déjà été débloqués pour augmenter

stratégie de mécanisation et pour l’irrigation des plaines agricoles aménagées, a également vu le jour. Pour relancer la production cotonnière, engluée dans un cycle de contreperformance liée à la désorganisation de la filière, l’État mise sur les PPP. La prise de participation à hauteur de 51 % du géant singapourien

les capacités du LCT, de 2,2 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) à 2,7 millions actuellement, avec l’objectif de les porter à plus de 4 millions de « boîtes » par an à l’horizon 2030. « Nous tirons les conséquences du départ de Bolloré. Pour nous, il y a des marges de progrès, assure un ministre togolais. Aussi, nous mettons les bouchées doubles pour digitaliser les procédures au sein du hub portuaire par la création d’un port sec, situé à la plateforme industrielle d’Adétikopé. Il permettra d’accueillir

Olam dans le capital de la Nouvelle Société cotonnière du Togo (NSCT) – ex-Société togolaise de coton (Sotoco) – devrait permettre, dès la campagne 2022-2023, d’atteindre une production de 200 000 tonnes (t) de coton. Laquelle devrait trouver un transformateur au sein du nouveau parc textile développé par Togo Clothing Company (TCC), implanté sur la PIA. Spécialiste mondial de la confection, le groupe a déjà recruté plus de 1 000 employés pour démarrer la production et prévoit d’investir un total de 20 milliards de F CFA pour transformer quelque 56000 t de coton par an. Enfin, dans une tout autre filière industrielle, la Cimenterie de la Côte ouest-africaine (Cimco) – filiale de Cim Metal Group, de l’homme d’affaires burkinabè Inoussa Kanazoé – a construit dans la zone portuaire de Lomé une usine dotée d’une capacité de production de 2 millions de t de ciment par an. Un investissement de 65 milliards de F CFA, appuyé à hauteur de 25 milliards par la BOAD. La cimenterie devrait bientôt tourner à plein régime, au vu des aménagements en cours et, en particulier, du programme de construction de 3 000 logements lancé en 2021 par l’État et Shelter Afrique.

les véhicules en transit et de désengorger la zone portuaire. Nous devons améliorer la chaîne logistique avec la PIA, assurer

qui partent desservir les pays de l’hinterland et, depuis son inauguration, un port sec d’une capacité de 150000 EVP ainsi qu’un

Selon certains observateurs, la zone portuaire contribuerait désormais à hauteur de plus de 50 % au PIB national. la fluidité du parcours des marchandises et nous attaquer à la gouvernance. » La PIA comprend déjà des entrepôts de stockage, un parking pour les camions

terminal à conteneurs pouvant accueillir 12 500 unités y ont été construits. Le retrait de Bolloré ne signifie donc pas la fin de la montée en

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OBJECTIF TOGO puissance de l’attractivité du PAL pour Lomé, lequel, bien au contraire, compte doper ses activités. « Nous nous attelons à réformer la gouvernance portuaire. Ce qui manque au PAL, c’est la transparence », assure-t-on dans l’entourage présidentiel. Un audit économique, dont les résultats ne sont pas encore disponibles, a d’ailleurs été commandé.

Compétitivité accrue

et le climat des affaires entre les acteurs du commerce, et en réduisant considérablement les délais de traitement des marchandises. Cette plateforme dématérialisée, accessible 24 heures sur 24 par Internet ou par

Le guichet unique pour le commerce extérieur a amélioré le climat des affaires et considérablement réduit les délais de traitement des marchandises. Opérationnel pour l’ensemble des trafics de marchandises depuis 2015, le Guichet unique pour le commerce extérieur (Guce) a également contribué à accroître la compétitivité du port en améliorant la transparence

réseau privé, met en relation tous les opérateurs et usagers intervenant dans les opérations de commerce international au Togo (import, export, transit, transbordement), quel que soit le type de transport.

« Ce guichet permet une meilleure traçabilité des marchandises et connecte directement la douane, le Port autonome de Lomé, les consignataires et les banques », souligne l’Association des grandes entreprises du Togo (Aget), qui reconnaît que ces réformes ont été particulièrement bénéfiques pour le port. L’Aget préconise aujourd’hui de moderniser le port minéralier en doublant la capacité d’accostage des navires vraquiers, de réaliser des chemins de fer pour relier le port à l’hinterland et d’installer de nouvelles capacités de stockage pour faire face à la concurrence des ports de la région : Tema, au Ghana ; Abidjan, en Côte d’Ivoire ; et Cotonou, au Bénin. Nadoun Coulibaly

ANDREW ESIEBO/PANOS/REA

En attendant, l’autorité portuaire, qui endossait jusqu’à présent la double casquette d’opérateur et de régulateur, a vu ses pouvoirs réorganisés autour de deux fonctions distinctes. Les réformes opérées ces dernières années, qui visent notamment la dématérialisation des procédures – en particulier au

sein de la division des opérations douanières Lomé Port (DODLP) –, ont permis de développer les activités du PAL et son chiffre d’affaires, passé de 26 milliards à 35 milliards de F CFA (de 39,6 à 53,3 millions d’euros) de 2017 à 2021.

Le terminal à conteneurs de Terminal Investments Limited (TIL), filiale de MSC, à Lomé.

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