![](https://assets.isu.pub/document-structure/230208171139-98f55d9c0e491cffb8f969e93cfe6a39/v1/68a031f501e2e7966ede48f62d07e1bc.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
3 minute read
Tribune Seidik Abba
Journaliste et écrivain
Révolution scolaire, l’écoleavant le pétrole
Advertisement
estl’undeces parfaits paradoxesdontleNiger aparfoislesecret.
Celui d’êtrelepaysqui aenfanté le professeur Abdou Moumouni Dioffo(l’universitéde Niamey porteson nom), premier Africain francophoneagrégé de sciencesphysiques(1956), et le professeur Boubakar Ba,agrégé de mathématiques,premier ressortissant d’Afrique subsaharienne àentrerà l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm, à Paris (1956);etd’êtreàlafoiscelui qui aaffiché,en2022, lestauxde réussiteaux examens scolaires les plus médiocresdelasous-région. Derrière lestrèsmauvais résultats desélèvesaubaccalauréat (28,95 % de réussite)etaubrevetd’études secondaires (27,18%)secache la longueetdouloureuseagoniede l’école.
Àbien l’examiner, cettedescente auxenferscommenceenréalité dans lesannées1990,aumoment où, après la chute du cours de l’uranium, sonprincipal produità l’exportation, leNiger s’estrésolu àrecourirauProgramme d’ajustementstructurel (PAS). L’écoleavait alorspayéuntrèslourd tribut. Sur l’autel deséconomies budgétaires, l’État, avec àsatêteleConseil militairesuprême(CMS) de Seyni Kountché,choisitdesupprimer les internatsdes établissementssecondaires (lycée et collège).
Mais il pritsurtout la décision d’abandonner le principede«la programmation»,une tradition qui voulait que chaque Nigérien qui obtenaitson bac sacheàl’avance pour quelle institutionpublique ou parapubliqueil travailleraità la fin desaformation. Dansunpaysoù l’on étudiait exclusivement pour devenirfonctionnaire, l’abandon de la programmation eutl’effet d’un tremblement de terre. Un divorce entrel’école et lasociété!
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230208171139-98f55d9c0e491cffb8f969e93cfe6a39/v1/208a4f49bfb8bf9eb38973128ae9c626.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
L’entrée du pays, bien plustard, dans l’èredumultipartisme n’apas servilacause de l’école nigérienne. En effet, la gestion trop partisane descarrièresetdes affectations des enseignantsa beaucoup desservi lesperformances scolaires.Mais, le vraiproblème de cette école,son défistructurel,quelsque soient la périodeetlerégime au pouvoir, c’estcelui de la démographie de 20000 classes et de 20000 enseignants; même dans l’hypothèse d’installer quatreenfantspar table-banc,ilenaurait fallu 20000 Le Niger ayant choisi l’option de la gratuitédel’écolepublique, il faut bonanmal an dépenser au moins 6milliards de FCFA (un peuplus de 9millions d’euros)pour l’acquisition desmanuels scolaires,rienque pour le seul cycle primaire. scolaire, qui estelle-même en lien avec la croissancedémographique du pays,estiméeà3,9 %par an.
En 2020,817000 enfants nigériens ont frappéaux portes de l’école publique.À supposer que l’État décide d’accueillir 40 élèves par classe,lepaysaurait eu besoin
Bazoum en fait son affaire Fautedemieux,lepaysserésout àdes solutions qui s’apparentent plutôt àdubricolage.Ainsi, afin de faireface àlacroissance démographique,les écoles recourent àlatechnique ditedeladouble vacation ou du doubleflux,qui consiste àaccueillirunpremier grouped’élèves le matin et un autre l’après-midi. Le déficit d’infrastructuresscolairesest quant àlui contourné par le recours aux classes en matériau non définitif, dont leslimitesont étéprouvéespar les incendies dramatiquesdesalles en paillote,enavril 2021 àNiamey et en novembredela même annéeà Maradi,latroisième ville du pays. Enseignant de formation, de profession et de vocation, MohamedBazoum adonc hérité de cetteécole nigérienne agonisante en s’installant, en avril2021, dans le fauteuil présidentiel. Il achoisi d’en faireson affaire, laissant le pétrole et l’uranium àson gouvernement. Bien plus qu’unsimple changement de paradigme,saproposition de cesser de fairedel’école nigérienne la seule affaire du pouvoir et des enseignants et de l’ériger en contrat social qui associe la société civile, les parents et les autres acteurs du pays apparaît, à certains égards, révolutionnaire.
La nouvelle offre éducative, encore en construction, repose sur une grande réforme des curriculums (restés inchangés entre 1988 et 2019), une réhabilitation de la profession enseignante – à travers le rétablissement des prérogatives de l’enseignant –, la réhabilitation et la construction des infrastructures scolaires En y ajoutant la dépolitisation du secteur éducatif, on est fondé à faire le pari d’une nouvelle école nigérienne mieux adaptée aux défis de son environnement et aux réalités nationales.
Au Niger, le choix de miser sur l’école avant les matières premières ne relève pas seulement du bon sens. Il est surtout dicté par la déception laissée d’abord par l’uranium, puis par le pétrole. Le boom de l’uranium a certes permis, dans les années 1980, de construire à Niamey des joyaux architecturaux tels que l’hôtel Gaweye et le Palais des congrès, mais il n’a pas changé fondamentalement le bien-être des Nigériens. Si l’entrée du pays, en 2011, dans l’ère pétrolière a boosté statistiquement la croissance économique, elle n’a pas non plus transformé leur quotidien.
Investissement durable
Rien n’indique, au demeurant, que le passage de la production pétrolière de 20000 barils par jour (b/j) actuellement à 110000 b/j en 2023 changera grand-chose à la vie quotidienne du Nigérien ordinaire. L’effondrement du cours de l’uranium, en 2011, après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, et la volatilité du prix du pétrole sont venus rappeler que ces deux matières premières, même avec des perspectives intéressantes pour les prochaines années, ne sauraient être des valeurs refuges pour le pays.
En revanche, le pari d’une école nigérienne nouvelle, repensée, mieux adaptée aux réalités socioculturelles ainsi qu’à l’environnement économique, semble beaucoup moins aléatoire et plus prometteur pour le pays. Il ne fait aucun doute qu’au Niger plus qu’ailleurs l’école est un investissement durable et rentable sur le long terme. Il n’y a qu’à voir les exemples de la Corée du Sud et des dragons asiatiques ou, plus près de nous géographiquement, de la Tunisie de Bourguiba ou de la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny pour s’en convaincre
La profession enseignante a fourni au Niger deux présidents. Le premier, Hamani Diori (de 1960 à 1974), sorti de l’École normale William-Ponty, est considéré, aux côtés de son emblématique ministre de l’Éducation nationale, Harou Kouka, comme le fondateur de l’école nigérienne moderne. Le second président nigérien enseignant, Mohamed Bazoum, philosophe, formé à l’université Cheikh-Anta-Diop (Ucad) de Dakar, réussira-t-il à être l’artisan de la nouvelle école nigérienne, réconciliée avec la société et orientée vers la prospérité?
Faisons crédit à l’ancien professeur de philosophie au lycée de Tahoua (nord-ouest du pays) et au lycée de Maradi (Centre-Est), en attendant l’heure du bilan, à la fin de son mandat, en 2025.
Entretiens avec Boubakar Ba. Un Nigérien au destin exceptionnel, de Seidik Abba, éditions L’Harmattan, février 2019.