J A P O N L’A P O C A LY P S E S P É C I A L 8 P A G E S
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e AN ANNÉE ANNÉ NÉE NÉ E • N° 2619•du 261 619 9 • du 20 20 au 26 2 mars 2011
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LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE
Le Sénégal
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
face à ses concurrents
LIBYE COMMENT KADDAFI A ÉTÉ LÂCHÉ DJIBOUTI LE VRAI GUELLEH ENQUÊTE ISRAËL ET LES (NOUVEAUX) ARABES
ALPHA CONDÉ
Peut-il changer la Guinée ? Cet exemplaire vous est offert et ne peut être vendu.
| Not for sale.
CE QUE JE CROIS BÉCHIR BEN YAHMED bby@jeuneafrique.com
Samedi 19 mars
Constat de carence
L
a tragédie qui s’est abattue sur le Japon et les Japonais les a plongés dans le malheur ; le monde entier les regarde et retient son souffle ; nous sommes avec eux, admirons leur courage et leur dignité. Nous nous sentons très proches d’eux, tous autant que nous sommes, ce qui montre bien que notre planète est devenue un grand village. Nous sommes mus à l’égard des Japonais par un élan de solidarité humaine et, en même temps, par l’égoïsme tout aussi humain qui est en chacun de nous : ce qui leur arrive ne risque-t-il pas de nous atteindre, où que nous soyons ? ✷ Ces Japonais sont les seuls à avoir subi le feu nucléaire, en août 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : il était américain et a rasé deux de leurs villes, Hiroshima et Nagasaki. Après les deux bombes atomiques qui leur sont tombées sur la tête il y a plus de soixante-cinq ans, voici que le nucléaire civil leur explose entre les mains en 2011 : pensant l’avoir maîtrisé, ils en avaient fait l’une de leurs principales sources d’énergie… On en vient à se demander si cette nation n’est pas victime d’une malédiction nucléaire. Marquons-lui notre solidarité et souhaitons-lui de l’exorciser. ✷ J’en viens à l’actualité africaine : le bon y côtoie le très mauvais. Je commence par le bon, et c’est la République nigérienne qui nous le donne. Au Niger, les Africains ont engrangé, le 12 mars, un beau succès pour la démocratie, quelques mois après celui enregistré en Guinée à la fin de 2010. La transition militaire a été courte et, tenant ses promesses, elle a conduit à un scrutin qui n’a été marqué par aucun accroc; les Nigériens ont élu, au deuxième tour, un président : Mahamadou Issoufou, qui a rassemblé 58 % des voix. Son adversaire, Seini Oumarou, a jugé superflu tout recours, et s’est incliné avec élégance devant un résultat aussi net. (Lire pp. 20-21) Le Niger et la Guinée sont les voisins de cette Côte d’Ivoire où un certain Laurent Gbagbo s’obstine à refuser le verdict des urnes. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
J’en viens donc au très mauvais, personnifié par les mêmes Kaddafi et Gbagbo, dont les crimes font de plus en plus de victimes parmi les Libyens et les Ivoiriens. La Cour pénale internationale (CPI) tarde à se saisir de ces crimes de guerre et/ou contre l’humanité. ✷ La communauté internationale réprouve et condamne ces actes, mais ne parvient ni à les empêcher ni à mettre leurs auteurs hors d’état de nuire. Au sein de cette communauté, les Euro-Américains ont la volonté d’agir : leurs valeurs les appellent à le faire et il est de leur intérêt d’intervenir. Mais ils n’ont pas réussi à s’entendre sur les moyens, et ont rechigné à s’engager militairement et financièrement : ils craignent de s’embourber dans une nouvelle expédition armée, de s’exposer aux critiques, ou bien encore de se trouver prisonniers d’inextricables guerres civiles. On peut les comprendre. Par ailleurs, ils ne sont parvenus à lever les objections de la Russie et de la Chine, dont l’accord (ou l’abstention) est nécessaire pour obtenir un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, que tardivement. Pour intervenir en Libye contre Kaddafi, pas encore en Côte d’Ivoire pour la libérer de Gbagbo. ✷ Mais les dirigeants arabo-africains, eux, que font-ils pendant ce temps? Rien ou presque, et l’on se doit de stigmatiser ce que j’appellerai, en pesant mes mots, leur passivité criminelle. 1) Depuis plus de soixante ans qu’elle existe, la Ligue des États arabes n’a jamais fait ou dit quoi que ce soit pour retenir les dirigeants des pays qui la composent d’opprimer leurs peuples. Son secrétaire général, Amr Moussa (en poste depuis dix ans), ne s’est exprimé sur les sujets de la liberté et de la démocratie que tout récemment, après que les révolutions tunisienne et égyptienne eurent réussi à abattre la dictature. Le départ de Hosni Moubarak a ouvert devant l’homme politique égyptien qu’est Amr Moussa la perspective de se faire élire à la présidence de son
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CE QUE JE CROIS pays : on l’a alors entendu, pour la première fois, condamner les excès du colonel Kaddafi. Il le reconnaît (et s’en vante) dans une interview au Der Spiegel du 16 mars : « Pour la première fois de son histoire, la Ligue a suspendu un pays membre pour des excès de son gouvernement contre son peuple. Nous avons condamné Kaddafi et exprimé notre solidarité avec les Libyens. » La Ligue a donc exclu le contre-révolutionnaire libyen de ses rangs. Mais il a fallu une forte pression américaine pour qu’elle donne son accord aux Euro-Américains pour imposer une zone d’exclusion aérienne et empêcher ainsi Kaddafi d’utiliser son aviation contre la population. Mais où était l’action de la Ligue, de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), d’un autre dirigeant arabe ou musulman auprès de la Chine, ou de la Russie, pour leur demander d’abandonner leur attitude d’obstruction à l’ONU ? Pourquoi ont-ils tous laissé – Turquie incluse – cette charge sur les épaules des Euro-Américains ? Pourquoi est-il revenu à ces Euro-Américains de dire son fait à Kaddafi et de limiter ses méfaits ? Cela a été leur honneur et pour les dirigeants arabes une indignité. Ils étaient pourtant les plus qualifiés et les plus légitimes pour accomplir ce devoir. ✷ 2) Il en va de même pour l’Union africaine (UA) et le président de sa commission, Jean Ping. Ils n’ont jamais dit un mot pour se féliciter, fût-ce indirectement, de l’avènement de la démocratie en Tunisie et en Égypte, États membres de l’Union.
Ils ont mis trois mois pour en arriver à dire à Gbagbo – après tout le monde – qu’il avait perdu les élections et à Ouattara qu’il était bien, depuis le début du mois de décembre, le président de la Côte d’Ivoire. Mais, là encore, pourquoi le président de l’UA et celui de la Cedeao ne sont-ils pas allés à Moscou et à Pékin, séparément ou ensemble, demander aux dirigeants de ces deux pays d’aider par leur vote (ou leur abstention) aux Nations unies à mettre un terme à l’usurpation par Gbagbo du titre et de la fonction de président de la Côte d’Ivoire ? Qu’attendent-ils pour le faire et en finir ainsi avec ce malheur que subit toute l’Afrique de l’Ouest et dont souffrent des millions d’Africains ? ✷ Passivité, carence, habitude de ne pas se sentir responsable des malheurs dont souffrent leurs peuples. Cette situation dans laquelle se complaisent les dirigeants arabo-africains ou musulmans ne peut pas et ne doit pas se prolonger indéfiniment. Ne les laissons pas continuer à se laver les mains des problèmes créés par certains d’entre eux et à penser que c’est aux Euro-Américains de les résoudre à leur place ! Leur carence a été une aubaine pour Kaddafi ; c’est grâce à eux qu’il a, pour le moment, conservé sa mainmise sur plus de la moitié de la Libye. Et c’est à cause d’eux que nous n’en avons pas fini avec lui. Quant à Gbagbo, il a toujours su qu’il n’avait pas grand-chose à craindre de l’Union africaine et même de la Cedeao. ■
HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. ■ Il
y a des femmes que l’on n’écoute que d’un œil. GILBERT CESBRON
■ Évite d’appeler héros ceux qui n’avaient pas d’autre choix. NASSIM NICHOLAS TALEB
■ Si tu rencontres un homme de valeur, cherche à lui ressembler. Si tu rencontres un homme médiocre, cherche ses défauts en toi-même. CONFUCIUS
■ Les chiens se détestent, mais s’unissent dès qu’ils voient un chacal. PROVERBE AFRICAIN
vision et agir pour qu’elle se réalise. FRANÇOISE GIROUD ■ On ne sait plus ce que c’est que
■ Limite
l’obscurité. À force de vouloir faire la lumière sur tout, on ne distingue plus rien! RAYMOND DEVOS ■ Je reconnais un honnête homme
à ce qu’il se contredit. ROBERT ESCARPIT
Afrique, ils habitent à côté du puits pour chercher l’eau, nous, c’est à côté de Carrefour pour acheter la bouffe. LES NOUVELLES BRÈVES DE COMPTOIR ■ Quand,
dans une discussion conjugale, une femme menace son mari de prendre un amant, c’est déjà fait. PAUL COURTY
■ La condition de la Liberté,
ce sera ceux qui s’aiment, la préservation de l’Égalité, ce sera les camarades. WALT WHITMAN
■ La politique, c’est cela: avoir une
■ En
■ Vous
tes désirs des choses de ce monde et vis content. OMAR KHAYYÂM ■ Un pays neutre, c’est un pays qui
ne vend pas d’armes à un pays en guerre. Sauf s’il paie comptant. COLUCHE
savez, sur ce chapitre des influences qu’a pu subir un écrivain, on ne dit généralement que des sottises. Lui-même n’est guère fixé. HERVÉ BAZIN ■ Ne laissez jamais le temps
au temps. Il en profite. JEAN AMADOU
J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Le Groupe BGFIBank confirme sa solidité et sa rentabilité
Un total bilan sance de en croissance
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Les comptes consolidés font ressortir un total de bilan de 1 390,8 milliards F. CFA en progression de 57% par rapport à 2009.
se de Des dépôts en hausse
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Les encours de crédits qui s’élèvent à 698,8 milliards F. CFA, en hausse par rapport à 2009, affirment la volonté du groupe d’être le partenaire dynamique et optimiste de ses clients.
%
Un produit net bancaire en hausse de
Un investissement citoyen en progrès de
%
ession de Des crédits en progression
La collecte des dépôts à la clientèle en croissance sur un an s’établit à 1 027,6 milliards F. CFA.
Le produit net bancaire s'établit pour 2010 à 82,4 milliards de F. CFA notamment grace à une action commerciale soutenue.
MARS 2011
14 35
%
%
En investissant près de 900 millions de F. CFA (soit une hausse de 35%) dans l'action citoyenne au travers du financement de la fondation BGFIBank et de BGFI Business School, le groupe affiche son engagement sociétal.
48
%
Une distribution de dividendes en augmentation de %
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Le résultat du groupe de 23,2 milliards F. CFA confirme la forte capacité bénéficiaire de l’établissement. Un dividende de 4 125 F. CFA par action, en progression de 10% par rapport à 2009 et représentant un taux de rendement brut de 6.25%, sera proposé à l'Assemblée Générale.
Un effectif en croissance de
19
%
L'effectif total du groupe dépasse les 1000 collaborateurs au 31/12/2010 dont 74% a moins de 40 ans.
En 2011, le Groupe poursuivra son développement à l'international !
www.bgfi.com
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Kaddafi vu par « Idi »
PS: À lire la semaine prochaine notre grande interview du président Idriss Déby Itno.
LIBYE
LE « ROI DES ROIS » EST NU Kaddafi comptait sur la désunion des Arabes, sur la lâcheté des Occidentaux et sur le soutien de la Chine. Cʼest raté. Ils ont voté une résolution contre lui.
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GUINÉE
ALPHA CONDÉ PEUT-IL CHANGER LE PAYS ? Le nouveau président doit réformer le pays tout en ménageant la coalition qui lui a permis dʼaccéder au pouvoir.
COVER AE : PATRICK ROBERT ; COVER IA : YOURI LENQUETTE ; COVER MMO : AP PHOTO/BERNAT ARMANGUE
N’DJAMENA, VENDREDI 18 MARS. Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU vient de déclarer la guerre à la Libye, la capitale tchadienne s’éveille sous un soleil de plomb. Je loge au Libya Hôtel, propriété du holding libyen Laico. Sur un chantier voisin, où le même Laico construit des villas d’hôtes, des contremaîtres lèvent le FRANÇOIS SOUDAN poing à notre passage. Même scène devant l’annexe de l’Université arabe socialiste et populaire de Sebha, toute de vert drapée. Les Libyens du Tchad semblent prêts à suivre leur « Guide » jusque sous les décombres. Et les près de six cent mille Tchadiens de Libye? C’est une autre histoire. À N’Djamena, où l’on dément l’existence d’une filière organisée de recrutement de mercenaires, on n’exclut pas que quelques centaines de ces immigrés puissent servir de soldats d’infortune au régime crépusculaire de Kaddafi: « Que voulez-vous qu’on y fasse… », soupire un proche du chef de l’État. Idriss Déby Itno, justement, la Libye et son colonel, il connaît. Pour les avoir férocement combattus, il y a plus de vingt ans, entre Ennedi et Tibesti, et pour être devenu, depuis, l’ami de ce voisin aussi encombrant qu’envahissant. Depuis le début de la crise, ils se parlent presque quotidiennement au téléphone. Recevant J.A. dans un salon de la présidence, « Idi » se confie: « J’ai donné à Kaddafi ce conseil: si tu t’en sors, il te faudra tout changer. Doter ton pays d’une Constitution, autoriser les partis politiques, organiser des élections. » Déby Itno ne cache pas qu’il est hostile à l’intervention militaire pilotée depuis Paris, Londres et Washington, car l’insurrection venue de l’est est pour lui une rébellion armée: « Je n’ai rien à redire quant aux révolutions pacifiques en Tunisie et en Égypte. Mais là, ils ont pris les armes, et la déclaration d’Alger, en 2003, est claire: pas de prise de pouvoir par la force. Et puis, je sais de source absolument sûre qu’une partie des arsenaux pillés par les insurgés se retrouve aujourd’hui entre les mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Dont des missiles sol-air. » Quelle que soit la validité de ce dernier argument, proche de la rhétorique kaddafienne, une chose est sûre: en exprimant ses réserves vis-à-vis d’une opération punitive du Nord contre un pays du Sud, Idriss Déby Itno traduit l’opinion de bien de ses pairs du continent allergiques aux ingérences. Au fait, le colonel lui a-t-il parlé de sa menace de « tout révéler », à propos d’un supposé financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007? Un clin d’œil en guise de réponse. Que je me ferai expliquer plus tard: oui, Kaddafi lui en parlé, à lui comme à d’autres d’ailleurs. « Idi », qui est un sage et pour qui Sarkozy est aussi un « copain », lui déconseille fortement de s’engager sur ce terrain miné. Réponse du « Guide »: « J’ai promis de tout dire. Je dirai tout. » Nous, on attend… ■
DANS JEUNE AFRIQUE ET NULLE PART AILLEURS
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03 08
CE QUE JE CROIS Par Béchir Ben Yahmed CONFIDENTIEL
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FOCUS
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Libye « Le roi des rois » est nu Haïti Titid résident Bahreïn Tantôt démocrate, tantôt autocrate Lʼhomme de la semaine Mahamadou Issoufou Côte dʼIvoire Sur le sentier de la guerre
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LʼÉVÉNEMENT
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Japon : lʼapocalypse
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE
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Guinée Alpha Condé peut-il changer le pays ? CPI Inventaire ou inventé ? Cameroun Repos, mon général ! Interview Gilchrist Olympio : « Je nʼai pas renoncé à être président » Djibouti Le vrai Guelleh Madagascar La carte Vital
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MAGHREB & MOYEN-ORIENT
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Interview Mohamed el-Baradei Israël-Palestine À lʼépreuve du printemps arabe J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 18 • D U 13 A U 19 M A R S 2 0 11
SOMMAIRE 7
LʼAP CALYPSE
LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE
Le Sénégal
peut-il bousculer ses concurrents ?
JAPON
LʼÉVÉNEMENT
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MOHAMED EL-BARADEI
« JE NE ME PRÉSENTERAI PAS POUR FAIRE DE LA FIGURATION » La transition, les élections, les Frères musulmans, le traité de paix avec Israël... Lʼun des acteurs clés de la nouvelle Égypte parle sans détour.
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Tunisie Que mijotait Ali Seriati ? Forum de Tanger Élues africaines, unissez-vous !
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INTERNATIONAL
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France Insondable Marine Reportage Cette Amérique qui tombe en ruine Francophonie Des quais à lʼavenue Bosquet Chine Les « hackers rouges » attaquent Parcours Regina Ubanatu France Lʼaffaire Dahmane
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L E P L U S D E J E U N E AF R I Q U E
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LE PLUS
SPÉCIAL 32 PAGES
DJIBOUTI
LE VRAI GUELLEH Il avait dit non, puis a fini par « céder ». Le 8 avril, le chef de lʼÉtat sera candidat à sa propre succession. Et cette fois, jure-t-il, ce sera la dernière. Portrait.
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
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Un séisme dʼune incroyable violence, un tsunami dévastateur puis la menace dʼune catastrophe nucléaire... Le pays est au bord du gouffre.
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ISRAËL ET LES (NOUVEAUX) ARABES
Désarçonné par le sursaut démocratique de ses voisins, lʼÉtat hébreu redoute un isolement régional.
L E D E VO I R D ʼ I N FO R M E R , L A L I B E R T É D ʼ É C R I R E
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Microfinance Un modèle en perte de crédit Interview Mohamed Elmandjra Printemps arabe Les banques font leurs comptes
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LʼENQUÊTE DʼECOFINANCE
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Eau Lʼassainissement, nouvelle urgence
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LIRE, ÉCOUTER, VOIR
Le Sénégal peut-il bousculer ses concurrents ?
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Musique Les papys font de la résistance Exposition Made in Africa Cinéma Mémoire (quasi) retrouvée Théâtre Fou rire au féminin Livres La saga du manuscrit retrouvé de Rabearivelo
ECOFINANCE
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VOUS & NOUS
Arbitrage LʼAfrique peine à plaider sa cause La semaine dʼEcofinance
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Courrier des lecteurs Post-scriptum
CONFIDENTIEL
POLITIQUE
RD CONGO CONCLAVE AU SOMMET DANS L’APRÈS-MIDI du 14 mars, la haute main sur le Parlement. Joseph Kabila a réuni pendant C’est la preuve que l’argument plus de deux heures les plus avancé, en janvier, pour justifier hauts responsables de l’État au la suppression du second tour de Palais du peuple. Parmi les préla présidentielle – la nécessité sents : le procureur général, le de faire des économies – n’était Premier ministre, celui de l’Inqu’un prétexte. Le découplage térieur, les présidents du Sénat, nécessite en effet l’organisation de l’Assemblée nationale et de la de deux scrutins au lieu d’un. Commission électorale nationale La signature prochaine d’un acindépendante. Les participants cord avec les Forces démocrationt examiné de près le scénario ques de libération du Rwanda d’un « découplage » de la pré(FDLR) a par ailleurs été ansidentielle et des législatives. La noncée à l’issue de la réunion. première pourrait se tenir en ocLe groupe rebelle, qui compte Le président Joseph Kabila. tobre prochain, les secondes au dans ses rangs d’anciens génodébut de 2012. Un moyen pour le chef de l’État cidaires, menace en effet la paix dans le Nord et fraîchement élu de profiter, lors des législatives, le Sud-Kivu. Il sera « relocalisé » dans une autre de la tendance des électeurs à voter pour le vain- province congolaise, le Maniema. L’accord porte queur de la présidentielle. Et donc de s’assurer sur 1 500 combattants. DENIS BALIBOUSE/REUTERS
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UNION AFRICAINE
DÉVELOPPEMENT ET « GREEN BUSINESS » La gestion du développement, le green business, l’accélération de la croissance… Ces sujets seront abordés lors de la quatrième réunion annuelle conjointe Union africaine-Commission économique pour l’Afrique (CEA), qui rassemblera, les 28 et 29 mars à Addis-Abeba, les ministres africains de l’Économie, des Finances, de la Planification et du Développement. Parmi les autres intervenants, Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien, Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, Jean Ping, président de la commission de l’UA, Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, et Andris Piebalgs son homologue chargé du Développement.
GUINÉE CONDÉ À PARIS C’est à la tête d’une délégation de vingt personnes que le président Alpha Condé se rendra à Paris du 22 au 24 mars. Le chef de l’État guinéen sera notamment accompagné de François Lonsény Fall (secrétaire général de la présidence) et de plusieurs ministres : Kerfalla Yansané (Économie et Finances), Édouard Gnankoye Lamah (Affaires étrangères et Guinéens de l’étranger), Mohamed Lamine Fofana (Mines et Géologie) et Nanténin Chérif (Affaires sociales, Promotion féminine et Enfance). Dans notre dernière édition, nous avions mentionné par erreur les noms des anciens ministres des Mines et de l’Énergie (Mahmoud Thiam) et Bakary Fofana (Affaires étrangères). Outre ses entretiens avec le président Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon et plusieurs ministres français, Alpha Condé rencontrera le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et participera à une conférence-débat à Sciences-Po Paris. Plusieurs membres de sa délégation participeront au ministère de l’Économie et des Finances à une séance de travail consacrée à la dette et aux finances publiques guinéennes. Le 23 mars, le chef de l’État donnera un cocktail privé dont le groupe de communication Euro RSCG, la filiale du groupe Bolloré qui assura sa communication pendant la dernière campagne électorale, prendra en charge l’organisation. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
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TUNISIE EX-BARONS CHERCHENT AVOCATS La descente aux enfers de certains barons de l’ancien régime tunisien se poursuit. Arrêtés le 9 mars devant les caméras de la télévision, Abdelwahab Abdallah, Abdallah Kallel et Abdelaziz Ben Dhia éprouvent les pires difficultés à trouver des avocats pour les défendre. Tous ceux qui, à ce jour, ont été contactés ont décliné, craignant de subir les conséquences, professionnelles et/ou personnelles, d’une collaboration avec trois personnalités vouées aux gémonies par la population.
NESSMA FAIT SON SHOW De la visite éclair de Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, le 17 mars, les Tunisiens retiendront
surtout les quarante minutes d’entretien exclusif accordé à Nessma T V (la conférence de presse of ficielle a été annulée au dernier moment, sans aucun motif). La chaîne avait signifié à certains journalistes critiques à son égard qu’ils étaient persona non grata sur le plateau. En revanche, de nombreuses personnalités travaillant pour des sociétés américaines, notamment Microsoft et General Motors, étaient présentes. Il est vrai que ces compagnies étaient presque chez elles. Directrice de Microsoft Tunisie, Salma Smaoui est, par exemple, l’épouse de Nabil Karoui, codirigeant de Nessma. Certains expliquent la visibilité prise récemment par la chaîne par l’entregent du producteur Tarak Ben Ammar, l’un de ses actionnaires, et de Moez Sinaoui, son ancien directeur de la communication aujourd’hui chargé de mission auprès du Pre-
mier ministre. Une question : Hillary Clinton savait-elle que Mouammar Kaddafi, qu’elle n’a pas ménagé dans ses déclarations, est actionnaire de Quinta Communications, la société de Tarak Ben Ammar ?
DES NERVIS DE BEN ALI PRIS AU PIÈGE EN LIBYE Après la chute du régime de Zine elAbidine Ben Ali, dans la deuxième quinzaine de janvier, une centaine de membres des services de sécurité et de la garde du président déchu avaient été plus chanceux que leur chef, le général Ali Seriati : ils avaient réussi à gagner la Libye. Mais aujourd’hui, ils se font du mauvais sang. Parqués dans une caserne de la banlieue de Tripoli, ils redoutent très fort la chute du régime de Mouammar Kaddafi…
CENTRAFRIQUE
L’Union européenne, qui devait financer 60 % des élections centrafricaines (9,5 millions d’euros), pourrait geler sa contribution au second tour des législatives du 27 mars, boycotté par l’opposition. Le 23 janvier, le premier tour, qui associait présidentielle et législatives, ne l’a en effet pas satisfaite. Catherine Ashton, la chef de sa diplomatie, l’a fait savoir par lettre à François Bozizé, le président réélu. Le rapport de deux experts mandatés par Bruxelles (sous embargo, mais dont Jeune Afrique s’est procuré une copie), souligne par ailleurs que « les scrutins du 23 janvier semblent, au-delà des problèmes logistiques, avoir été marqués par des irrégularités et des fraudes à différents niveaux ». À en croire ce document, « la garde présidentielle a, semble-t-il, apporté son concours aux nombreuses manœuvres frauduleuses et irrégularités ». Le « nombre très élevé de votes par dérogation » pose notamment question : il varie entre la présidentielle et les législatives, ce qui est naturellement impossible dans un vote couplé. En conséquence, l’UE n’a pas assisté à l’investiture de François Bozizé, le 15 mars. Seuls l’ambassadeur de France ainsi que les consuls du Danemark et du Royaume-Uni étaient présents, aux côtés des présidents tchadiens (Idriss Déby Itno), équato-guinéen (Teodoro Obiang Nguema) et gabonais (Ali Bongo Ondimba).
YOURI LENQUETTE
MACHINE ÉLECTORALE GRIPPÉE
Le président Bozizé et son épouse, lors de son investiture, le 15 mars.
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CONFIDENTIEL
ÉCONOMIE
BOURSE
TOURE BABACAR/PANAPRESS
AMADOU KANE À BAMAKO, EN JUIN
La concession du Port autonome a été attribuée, le 11 mars, à Bolloré Africa Logistics.
PORT DE CONAKRY NCT NECOTRANS PORTE PLAINTE LE 16 MARS, NCT NECOTRANS a déposé une plainte contre le groupe Bolloré auprès du procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, et demandé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « corruption internationale ». L’opérateur portuaire n’a pas digéré la résiliation, le 8 mars, par un décret du président Alpha Condé, de la concession du port de Conakry, qui avait été attribuée, en 2008, à Getma International (NCT Necotrans), suite à un appel d’offres international. Le 11 mars, ladite concession a été attribuée à Bolloré Africa Logistics.
ÉNERGIES RENOUVELABLES LES FINANCIERS SE BRANCHENT Le groupe Duet, compagnie britannique de gestion d’actifs, vient d’être choisi comme gestionnaire du Fonds africain des biocarburants et des énergies renouvelables (Faber). Doté de 1 milliard de dollars, ce fonds d’investissement a pour mission, comme son nom l’indique, de financer des projets dans les énergies renouvelables. Créé à l’initiative (notamment) de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) et d’Ecobank, le Faber sera lancé dans le courant de l’année. L’arrivée aux manettes de Duet incite à penser que la rentabilité sera déterminante dans la sélection des projets. Implanté à Londres, New York, Tokyo, Singapour, New Delhi, Dubaï et Istanbul, le groupe est en effet un hedge fund (« fonds spéculatif ») qui gère quelque 2,4 milliards de dollars d’investissements.
TRANSPORT À RABAT, UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR « C’est pour fin avril au plus tôt, assure un responsable d’Alstom. On attend la fin des travaux sur le pont Rabat-Salé. » Premier de son espèce en Afrique, le tramway de Rabat entrera donc en service avec un peu de retard (trois mois). Exploité par Transdev, filiale du géant français Veolia et de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), il assurera une liaison d’une vingtaine de kilomètres. Depuis six semaines, des rames fabriquées par Alstom sur le modèle de celles utilisées par le tramway de Bordeaux sont à l’essai. Après plus de deux ans de travaux qui ont bouleversé la capitale marocaine, les ingénieurs ont encore deux problèmes à résoudre: les vibrations et les accidents de la circulation.
Un changement à la tête de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) était prévu à la fin de 2010. Il n’aura finalement lieu qu’au mois de juin prochain, lors de la prochaine assemblée générale de la Bourse, à Ouagadougou. Ancien directeur Afrique de BNP Paribas, Amadou Kane devrait succéder à Tiémoko Yadé Coulibaly à la présidence du conseil d’administration. En décembre dernier, à Ouaga d ougou, d e s a dmi nistrateurs proches de Coulibaly avaient réussi à faire repousser la date de son départ. CATERING
SERVAIR S’IMPLANTE À CONAKRY A p r è s l ’a é r o p o r t K o toka, à Accra (Ghana), en mars, le groupe français, spécialisé dans la restauration et la logistique du transport aérien, s’apprête à ouvrir une boutique hors-taxe et un snack-bar à l’aéropor t Gbessia, à Conakry (Guinée) , ac tuellement en cours de modernisation. Filiale d’Air France, Servair devrait également s’associer à des opérateurs économiques locaux pour ouvrir d’ici au mois d’octobre une unité de catering (restauration aéroportuaire), qui prendrait le nom de Servair Guinée.
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CONFIDENTIEL
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CULTURE & SOCIÉTÉ
CINÉMA « LA MANGEOIRE », SAMUEL ETO’O ET LES PIEDS NICKELÉS LE CINÉASTE CAMEROUNAIS Jean-Pierre Bekolo, qui n’a plus sorti de film depuis l’étonnant et remarquable Les Saignantes, Étalon d’argent au Fespaco 2007, ne manque pas de projets. Il tournera probablement bientôt, sous forme de polar, La Mangeoire, un long-métrage de fiction évoquant deux visages de l’Afrique: celui du néocolonialisme et celui de l’avenir, représenté par la jeunesse et ses aspirations. Un film, dit-il, dont le contenu pourrait être en résonance avec la situation dans le monde arabe, même si l’intrigue a pour cadre l’Afrique subsaharienne. Par ailleurs, il poursuit la préparation d’un long-métrage sur le footballeur Samuel Eto’o, mais rencontre des difficultés pour le finaliser en raison de problèmes de droits à l’image et de réticences de l’entourage de la star. Enfin, Bekolo a entrepris un film de « montage-fiction », intitulé provisoirement Les Pieds nickelés à l’Élysée, qui, comme ce titre l’indique, évoquera de façon satirique les visites de chefs d’État africains à Paris à partir de documents audiovisuels réels.
LE POUVOIR DE LA RUMEUR LE BÉNINOIS IDRISSOU MORA KPAI, qui vient d’obtenir le 3e Prix du documentaire au Fespaco 2011 pour Indochine, sur les traces d’une mère, tournera dans les prochains mois un documentaire qui pourrait s’appeler Vindicte populaire. Il s’agira d’un film évoquant le meurtre, au Bénin, de deux jeunes artistes accusés – faussement – par la rumeur d’avoir enlevé des enfants. Une enquête sur la « justice populaire » et le vide juridique qu’elle révèle, mais aussi sur la montée de la violence dans des pays africains jusqu’ici relativement épargnés.
HUMANITAIRE ARTISTES POUR MADAGASCAR
ARTCURIAL
Artcurial, à Paris, organise le 28 mars une vente aux enchères caritative intitulée « Cent briques pour Madagascar », au profit de l’association Écoles du monde, qui travaille dans les domaines de l’éducation, du reboisement et de la santé sur la Grande Île. Cent artistes ont accepté de travailler à partir d’une brique de terre compactée. Parmi eux, les dessinateurs Enki Bilal, Philippe Druillet, Loustal, Moebius et Plantu, les photographes Mohamed Bourouissa, JR et Pierrot Men, les plasticiens Giuseppe Penone et Philippe Mayaux, les peintres Pierre Soulages et Gérard Garouste, ainsi que l’architecte Jean Nouvel. Chaque brique Brique de terre concassée par Pierre Soulages, sera mise à prix 500 euros. Enki Bilal et Peter Klasen (de gauche à droite).
PEINTURE
TINGATINGA CHEZ LES BELGES La galerie Lumières d’Afrique, à Bruxelles, exposera du 4 au 29 avril le travail du Tanzanien David Mzuguno. L’artiste, qui a renoncé à son style réaliste dans les années 1970, est un représentant original du style populaire « tingatinga », du nom de son inventeur, Edward Saidi Tingatinga (1932-1972). Naïves et colorées, ses peintures sont souvent inspirées par la nature luxuriante de l’Afrique tropicale. Mzuguno est mort d’un cancer en 2010. www.lumieredafrique.eu MUSIQUE
LA LONGUE ROUTE DE BLICK BASSY Le chanteur et guitariste camerounais Blick Bassy sortira le 26 avril son second album, Hongo Calling, puis se produira sur la scène du New Morning, à Paris, le 7 juin. Conçu comme le journal de bord d’un voyage musical qui suit la route des esclaves, du Cameroun au Brésil, en passant par le Bénin, le Sénégal et le Cap-Vert, Hongo Calling a été enregistré pour une large part à Rio de Janeiro en compagnie de nombreux artistes brésiliens (Lenine, Marcos Suzano, Arthur Maia), mais aussi de l’accordéoniste malgache Régis Gizavo, du bassiste camerounais Richard Bona et du koriste malien Sékou Kouyaté.
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AFRICA FRANCE business meetings
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14 FOCUS
LES DERNIÈRES NOUVELLES DU MONDE
LIBYE LE « ROI DES Il comptait sur la désunion des Arabes, sur la lâcheté des Occidentaux et sur le soutien de la Chine. Cʼest raté. Alors quʼil sʼapprêtait à lancer un assaut décisif sur Benghazi, le « Guide » a subi un terrible revers : le vote, au Conseil de sécurité de lʼONU, dʼune résolution autorisant le recours à la force... contre lui.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
M
ouammarKaddafise croyait invincible. Il se voyait déjà rentrant triomphant, à la tête de ses troupes, dans Benghazi la soumise. Mais le 17 mars au soir, l’ONU en a décidé autrement. Pour protéger les populations civiles de son glaive vengeur, les cinq « grands » ont autorisé des frappes aériennes contre son armée. La semaine dernière, le « Guide » promettait la foudre. Aujourd’hui, elle risque de lui tomber sur la tête. Comment a-t-il perdu la partie ? Récit des six jours où la peur a changé de camp. To u t c o m m e n c e l e 12 m a r s , au Caire. La Ligue arabe se réunit dans son immeuble de la place… Al-Tahrir – mauvais augure pour le « Guide » ! Celui-ci sait qu’il joue gros. Dans les quarante-huit heures précédentes, il a appelé plusieurs chefs d’État arabes: l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le Soudanais Omar el-Béchir, le Syrien Bachar alAssad… Il espère qu’ils feront contrepoids aux nouveaux régimes de Tunisie et d’Égypte, mais aussi à son ennemi juré, le roi Abdallah d’Arabie saoudite, et à l’émir du Qatar. Depuis que la chaîne qatarie Al-Jazira a choisi le camp des insurgés, les deux anciens alliés sont à couteaux tirés. C ’e s t sans c ompter ave c A mr Moussa. Le diplomate égyptien n’est « que » secrétaire général de la Ligue,
mais il est aussi l’un des favoris de la future présidentielle dans son pays. Donc, il pèse. Or, il n’aime pas le numéro un libyen, et s’en cache à peine. À un ami, avant la réunion, il confie : « Kaddafi, c’est un boucher. Avec Saddam, on avait déjà eu un boucher. Mais au moins, il n’était pas ridicule. Celui-là détruit notre réputation. » LES FRANÇAIS DÉGAINENT
Après un premier tour de table, les délégués algérien et syrien comprennent qu’ils sont isolés. Ils n’insistent pas. Le soir du 12, la Ligue arabe appelle le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Au début, Mouammar Kaddafi s’en moque. « La Ligue arabe, c’est un club de gens qui s’entendent pour ne pas s’entendre », aime-t-il à dire. Le
« Kaddafi, c’est un boucher. Comme Saddam, mais lui, au moins, n’était pas ridicule. » 14 mars, la réunion du G8 à Paris l’entretient dans ses illusions. Les grands ne sont d’accord sur rien. Même les Occidentaux sont divisés. D’un côté, le Français Nicolas Sarkozy et le Britannique David Cameron poussent en faveur de frappes aériennes. De l’autre, l’Américain Barack Obama et l’Allemande Angela Merkel sont très réticents. Pendant ce temps, les unités blindées de Khamis, l’un des
Scènes de liesse à Benghazi, le 17 mars, après l’annonce du vote de l’ONU.
fils Kaddafi, reprennent une à une les villes passées à la rébellion, le long de l’autoroute côtière qui mène à Benghazi. Le « Guide » jubile et pense déjà à l’après-crise. Dans ses interviews, il distribue bons et mauvais points aux futurs partenaires de son régime… Pourtant, c’est ce même 14 mars que le vent commence à tourner. Depuis plusieurs semaines, l’opi-
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FOCUS 15
PATRICK BAZ/AFP
ROIS » EST NU
nion américaine ne comprend pas les hésitations d’Obama. Le 23 février, Moustapha Abdeljalil, l’ancien ministre libyen de la Justice – aujourd’hui numéro un du Conseil national de transition (CNT) – a af firmé qu’il avait les preuves de l’implication personnelle de Kaddafi dans l’attentat de Lockerbie, en 1988 (270 morts, dont une majorité d’Américains). Au Congrès, à Washington, deux séna-
teurs influents, le républicain John McCain et l’indépendant Joe Lieberman, déposent une résolution demandant à la Maison Blanche de reconnaître le CNT. Le sénateur démocrate John Kerry appuie leur démarche en sous-main. Le 15, Barack Obama se décide. Va pour un troisième front – en plus de ceux d’Irak et d’Afghanistan. Il donne son feu vert à une résolution musclée contre le régime Kad-
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dafi. « Son projet de résolution était même trop va-t-en guerre, confie un diplomate français. Il pouvait effrayer les Chinois et les Russes. » Le 16, les Français dégainent. Le matin, réunion à l’Élysée, en marge du Conseil des ministres. Nicolas Sarkozy consulte son chef de gouvernement, François Fillon, et deux de ses ministres, Alain Juppé (Affaires étrangères) et Gérard Longuet (Défense). L’après-
16 FOCUS resteront inflexibles sur le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. Mais Dmitri Medvedev, le président russe, a déjà interdit toute vente d’armes à la Libye. Ce n’est pas bon signe. Et le « Guide » ne sait pas que l’une de ses fanfaronnades a irrité Hu Jintao, le président chinois. Le 22 février, lors de son premier discours télévisé après le soulèvement de Benghazi, il avait promis « des boucheries » et menacé « les rebelles » d’une riposte « à la Tiananmen » – en référence au massacre de plusieurs centaines d’étudiants par l’armée chinoise, en 1989. Réaction d’un diplomate chinois de très haut rang, lors d’un échange off avec quelques journalistes, à Pékin : « Cela prouve à quel point ce type n’est pas sérieux ». UN PEU « GUEULE DE BOIS »
Le 17 au soir, à New York, le texte proposé par la France est adopté. Votent pour : les États-Unis et les
deux parrains du projet, la GrandeBretagne et le Liban. Mais aussi l’Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, la Colombie, le Gabon, le Nigeria et le Portugal. S’abstiennent: l’Allemagne, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie. Pas une seule voix contre. Benghazi explose de joie et fait la fête toute la nuit aux cris de « Kaddafi ne peut plus nous échapper » et « 1,2,3, vive Sarkozy ! ». Le lendemain matin, le ministère chinois des Affaires étrangères, un peu « gueule de bois », émet de « sérieuses réserves » sur cette résolution, mais explique qu’il n’a pas voté contre à cause « de la position des pays arabes et de l’Union africaine, et des circonstances particulières en Libye ». À Benghazi, la rue peut remercier Amr Moussa. Surtout, elle peut se réjouir de l’exception libyenne. Par ses outrances verbales, sa violence et ses incohérences, le « Guide » a fini par désespérer ses derniers amis. Même les Chinois… ■
PAUL CONROY/REUTERS
midi, alors que les forces de Kaddafi ne sont plus qu’à 200 km de Benghazi, le président français adresse une lettre aux chefs d’État des quatorze autres pays membres du Conseil de sécurité. « Ensemble, sauvons le peuple libyen martyrisé! Le temps se compte maintenant en jours, voire en heures », écrit-il. Au même moment, la France présente au Conseil de sécurité un projet de résolution parrainé par la Grande-Bretagne et le Liban. « Pour ne pas braquer Moscou et Pékin, on est allé moins loin que les Américains, précise une bonne source à Paris. On a bâti le projet autour d’une zone d’exclusion aérienne, et on a ajouté l’euphémisme “toutes les mesures nécessaires” pour permettre des frappes aériennes sans effaroucher nos amis russes et chinois. » La diplomatie, ou l’art de la litote… Le 17, tous les regards sont tournés vers Moscou et Pékin. À Tripoli, Mouammar Kaddafi s’accroche encore à l’espoir que ces deux capitales
JOURNALISTES : À L’ASSAUT ! Le 11 mars, les avions de Kaddafi bombardent une raffinerie du port pétrolier de Ras Lanouf – alors encore aux mains des insurgés. Si les images de la révolte font le tour du monde, c’est grâce à ces journalistes que Kaddafi traque et qualifie aimablement de « chiens errants ». Le New York Times était, depuis le 15 mars, sans nouvelles de ses quatre reporters: Lynsey Addario (extrême-g.), Tyler Hicks (à dr., avec les lunettes), Anthony Shadid et Stephen Farrell. Ils étaient entrés sans visas, par la frontière égyptienne, comme nombre de leurs confrères. Si Ghaith Abdul-Ahad du Guardian, le Brésilien Andrei Netto et trois journalistes de la BBC ont été libérés, Ali Hassan Al-Jaber, un cameraman d’Al-Jazira, a été tué dans une embuscade aux abords de Benghazi. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
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ABDELHAK SENNA/AFP
Des Marocains, fuyant la Libye, débarquent à Tanger, le 6 mars.
Tous dans le même bateau Marocains, Algériens et Tunisiens sont à pied dʼœuvre pour évacuer leurs ressortissants de Libye. Et ‒ divine surprise ‒ les considérations humanitaires lʼemportent sur les vieilles divergences politiques. Le début dʼune nouvelle ère ? MORT-NÉE DEPUIS SA CRÉATION en 1989, l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui regroupe officiellement la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, pourrait tirer bénéfice des récents événements. Jamais aboutie sur le plan politique, l’UMA, dont le secrétariat général est à Rabat, agit concrètement, depuis trois semaines, sur le terrain humanitaire. Au Maroc, comme en Tunisie et en Algérie, les reportages se succèdent sur le thème de la « fraternité maghrébine » qui a permis à plusieurs milliers de personnes de fuir la Jamahiriya du colonel Kaddafi. Avec la coopération de Tunis, Alger et Rabat ont affrété des ferry-boats qui ont permis, selon les chiffres officiels, l’évacuation d’au moins 20 000 de leurs ressortissants. Fait remarquable, les bateaux affrétés par les frères ennemis du Maghreb n’ont pas embar-
qué que leurs nationaux. Plusieurs centaines de Marocains ont ainsi été rapatriés via l’Algérie, notamment sur le Tassili II, tandis que des Algériens ont pu prendre place à bord des bateaux de la Compagnie marocaine de navigation (Comanav). La Royal Air Maroc a également procédé au renforcement des liaisons aériennes entre Tripoli, Tunis et Casablanca. COULEUR DES PASSEPORTS
Les communautés marocaine et algérienne de Libye sont évaluées a minima à quelque 200 000 personnes. Alors que les deux pays continuent leur guerre froide, tristement illustrée depuis 1994 par la fermeture de leur frontière terrestre, les considérations humanitaires semblent avoir pris le pas sur la couleur des passeports. Le geste, même de portée symbolique, est à l’aune de la nouvelle carte
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diplomatique qui semble s’esquisser au Maghreb. Avec, encore une fois, l’entregent des nouvelles autorités tunisiennes. La première visite à l’étranger de Beji Caïd Essebsi, le chef de l’exécutif tunisien, reçu le 16 mars par Mohammed VI, illustre cette nouvelle donne, même si Rabat continue à appeler de ses vœux l’émergence d’une « nouvelle génération » de dirigeants algériens. Témoin des vieux réflexes de méfiance, les médias officiels algériens n’ont pas manqué de signaler qu’aux côtés des Marocains leur marine avait également pris en charge « plusieurs centaines de Sahraouis » à qui un espace « aux couleurs du Polisario » avait été affecté à bord du Tassili II. Rabat n’a pas réagi officiellement à ce qu’un diplomate occidental, en poste dans le royaume, qualifie de « gratouillis diplomatique » et préfère souligner la solidarité du pays avec les victimes du régime Kaddafi. Un hôpital de campagne marocain, doté d’un bloc opératoire et d’une cellule d’aide psychologique, a ainsi été installé à Ras el-Jdir (frontière tunisolibyenne) et accueille quotidiennement près d’un millier de réfugiés. ■ NICOLAS MARMIÉ, à Rabat
18 FOCUS ALAA SHAHEEN
EN HAUSSE
HAÏTI Titid résident
D.R.
L’ex-doyen de la faculté d’archéologie de l’université du Caire est devenu ministre des Antiquités égyptiennes. Il remplace le très médiatique Zahi Hawass, connu pour ses liens avec le régime Moubarak.
GNAKOUDÈ BÉRÉNA
UN PHOTO/MARK GARTEN
Le 15 mars, le général de division togolais a été nommé commandant de la force de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire. L’ancien chef d’étatmajor était conseiller spécial de la présidence depuis 2009.
CYRIL RAMAPHOSA
MIKE HUTCHINGS/REUTERS
L’ancien dirigeant syndical, célèbre militant de l’ANC et PDG du holding Shanduka Group, étend son empire : il détient désormais les actifs de la marque McDonald’s en Afrique du Sud (145 restaurants).
CARLOS GHOSN
YURIKO NAKAO/REUTERS
L’affaire d’espionnage industriel au profit de la Chine qui ébranle Renault depuis janvier était montée de toutes pièces, a admis le PGD du groupe français, qui s’est excusé d’avoir accusé à tort et mis à pied trois de ses cadres.
EHOUD OLMERT
NIR ELIAS/REUTERS
L’ancien Premier ministre israélien va être inculpé, avec dix-sept autres personnes : ils auraient touché 300 000 euros dans le cadre de Holyland, un programme immobilier à Jérusalem, du temps où il était maire de la ville.
CLAUDE GUÉANT
CHARLES PLATIAU/REUTERS
À peine nommé, le ministre de l’Intérieur est accusé de faire le lit du Front national : il a déclaré le 17 mars que « les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux ».
EN BAISSE
JEAN-BERTRAND ARISTIDE n’a pas perdu le sens de la formule. Celui qui parle depuis des mois, à propos de la présidentielle, d’une « sélection » plutôt que d’une « élection », en raison de l’interdiction faite à son parti, Fanmi Lavalas, de présenter un candidat, affirme aujourd’hui qu’il rentre en Haïti pour être un « résident », et non un « président ». Après sept années d’exil forcé en Afrique du Sud, il vient, assure-t-il, « pour contribuer à servir en tant que simple citoyen ». Mais qui y croit ? Bien avant que l’ancien chef de l’État haïtien ne décolle de l’aéroport de Johannesburg le 17 mars et ne foule le sol d’une île qu’il avait été forcé de fuir en 2004, chassé par une rébellion et l’armée américaine, ses partisans fêtaient le retour de « leur » président. À l’entrée de Cité Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince, la capitale, où l’on continue de le comparer au messie, une banderole a été accrochée : « Bon retou Prezidan Titid » (« Bon retour président Titid ») . Dans cette fournaise, tout le monde veut croire que le président des pauvres qu’il fut après sa première élection en 1990 retrouvera son poste. « Quand il sera rentré, il va s’occuper de nous », affirme un chauffeur de taxi. Johnny, un autre partisan, rappelle qu’Aristide est encore jeune (57 ans). Dans les hauteurs de Pétionville la bourgeoise, l’enthousiasme laisse la place à la crispation. Les deux candidats à la présidentielle, dont le second tour devait se dérouler le 20 mars, ne cachent pas leur inquiétude. Ni Michel Martelly, qui fraya dans sa jeunesse avec les milices des Tontons Macoutes (les pires ennemis d’Aristide), ni Mirlande Manigat, une universitaire issue de cette bourgeoisie vomie par Fanmi Lavalas, n’ont osé s’opposer à son retour. Mais tous deux espéraient, comme la France et les États-Unis, qu’il n’intervienne qu’après l’élection. Ils savent que « Titid » est resté très populaire, bien plus que l’autre revenant, Jean-Claude Duvalier, dont le retour surprise, en janvier, après vingt-cinq ans d’exil, a accéléré celui d’Aristide. Même s’il n’est pas à l’abri d’ennuis judiciaires – des procédures pour détournements de fonds et trafic de drogue sont en suspens –, ils savent aussi que « l’avalanche » (lavalas, en créole), le mot d’ordre qui avait porté le petit curé des bidonvilles au pouvoir en 1990, peut reprendre à tout moment. ■
Coucou le revoilà, après sept ans d’exil. Et, comme par hasard, à la veille de la présidentielle.
RÉMI CARAYOL J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Hamad Ibn Issa Al Khalifa (ici avec Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense), dans son palais de Manama, le 12 mars.
BAHREÏN
Tantôt démocrate, tantôt autocrate LE 14 FÉVRIER DEVAIT ÊTRE un jour de fête à Bahreïn : le royaume célébrait le 9 e anniversaire de sa transition d’émirat autocratique en monarchie constitutionnelle. Ce fut un jour de colère et de deuil: dans des villages proches de Manama, la capitale, quelques dizaines d’opposants, partageant l’exaltation des jeunesses d’Égypte et de Tunisie, ont manifesté leur soif de réformes démocratiques. La mort de deux d’entre eux, tombés sous les balles des policiers, a été le point de départ d’une crise qui, sans l’intervention militaire du puissant roi d’Arabie saoudite, aurait pu sonner le glas de la dynastie Khalifa. Pourtant, en 1999, lorsque le prince héritier Hamad Ibn Issa prend, à 49 ans, la succession de son père, le peuple a toutes les raisons d’espérer qu’un des régimes les plus autoritaires de la région s’ouvre enfin à la démocratie. Comme beaucoup de princes arabes de sa génération, le futur souverain a parfait son éduca-
tion en Occident. Il cultive aussi bien l’amour des sports que le goût des disciplines intellectuelles et semble tourné vers une modernité qui contraste avec la figure réactionnaire de son père : après quelques concessions avortées (le Parlement, instauré en 1973, ayant été dissous en 1975), le règne de l’émir Issa Ibn Salman avait, en effet, été marqué par la répression de toute opposition. SITUATION BLOQUÉE
Celle-ci réclame au pouvoir sunnite la restauration du régime parlementaire et l’égalité des droits, les chiites – aujourd’hui 65 % de la population – étant victimes de discriminations à tous les niveaux. Rassemblant de manière inédite libéraux, gauchistes et islamistes, la contestation atteint son paroxysme lors de l’intifada de 1994-1999, entraînant une violente répression, l’exil, l’emprisonnement et la torture de la plupart des opposants.
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MANDEL NGAN/POOL/REUTERS
FOCUS 19 Les mesures libérales prises par Hamad Ibn Issa Al Khalifa après son accession au pouvoir en font d’abord l’un des chefs d’État les plus populaires du monde arabe. En février 2001, 98,4 % des électeurs approuvent la Charte d’action nationale prévoyant la démocratisation et la séparation des pouvoirs. Le Parlement est rétabli, la loi permettant les arrestations arbitraires abrogée, la torture abolie et les prisonniers politiques sont libérés. Dans l’année qui suit, gouvernement et opposition définissent ensemble le nouveau mode de fonctionnement du pouvoir. Mais si Hamad Ibn Issa sait se montrer plus ouvert que son père, cet époux de quatre femmes et père de douze enfants est aussi un homme
Il était l’un des dirigeants les plus populaires du monde arabe. C’est fini. de traditions, adepte de la discipline apprise dans les académies militaires de Grande-Bretagne et des ÉtatsUnis. A-t-il estimé être allé trop loin dans les réformes ? Le 14 février 2002, coup de théâtre : s’arrogeant le titre de roi, l’émir promulgue sans consultation une Constitution qui restreint considérablement les réformes esquissées. Le Wifaq, puissant parti d’opposition chiite, le Wa’ad gauchiste et deux autres formations décident le boycott des élections prévues en octobre. À leur initiative, une conférence est annoncée pour la date symbolique du 14 février 2004, mais le roi refuse désormais le dialogue. Depuis lors, la situation est bloquée. Favorisés par le contexte régional, les derniers événements couvaient depuis longtemps. Faut-il en attribuer la cause à l’inertie monarchique (le Premier ministre, oncle du roi, est en poste depuis l’indépendance, en 1971) ou plutôt aux hésitations d’un souverain tiraillé entre ouverture et conservatisme, dialogue et répression ? Son attitude fluctuante face à la crise actuelle semble prouver qu’il n’a su manier ni la carotte ni le bâton… ■ LAURENT DE SAINT PÉRIER
20 FOCUS
L’HOMME DE LA SEMAINE
Mahamadou ISSOUFOU Nouveau président de la République du Niger
L
e moins que l’on puisse dire est que l’homme est pugnace. Mahamadou Issoufou a été élu, le 12 mars, président de la République du Niger, avec près de 58 % des suffrages, après trois tentatives infructueuses, dont la première remonte à 1992, un an après son entrée en politique et la tenue de la Conférence nationale, qui a introduit le multipartisme au Niger. Après chacune de ses défaites (1992, 1999 et 2004), il a reconnu son échec, n’a jamais manqué de féliciter son rival, puis s’est inscrit dans ce qu’il appelle « une opposition responsable ». Né en 1952 à Dan Daji, dans la région de Tahoua, Mahamadou Issoufou est un Haoussa. Après une licence et un mastère en mathématiques, à l’université Abdou-Moumouni, de Niamey, ce fort en thème obtient un diplôme d’ingénieur des mines en France. Son cursus est également jalonné d’un activisme syndical estudiantin. En 1980, il retourne dans son pays pour y occuper des responsabilités dans l’administration et au sein de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), dont il devient le secrétaire général. Il en démissionnera pour s’engager en politique. Convaincu de l’imminence du Grand Soir, il crée, en 1991, avec d’anciens compagnons de luttes syndicales, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). Sa défaite au premier scrutin présidentiel pluraliste, en 1992, ne l’empêche pas de devenir Premier ministre au sein d’un gouvernement de cohabitation, sous la présidence du social-démocrate Mahamane Ousmane. Mais l’expérience tourne court, et il jette l’éponge au bout d’une année.
Son parti étant la deuxième force politique du pays, il hérite, en 1995, du perchoir de l’Assemblée, qu’il conserve jusqu’au coup d’État du général Ibrahim Maïnassara Baré, le 27 janvier 1996. Commence alors une longue période de coalitions grandiloquentes, d’alliances de circonstance et de petites trahisons. Dans le marigot politique nigérien, Issoufou se distingue par sa constance et la cohérence de ses engagements. Actif au sein de
Dans le marigot politique national, il s’est toujours distingué par sa constance et la cohérence de ses engagements. l’Internationale socialiste, il enrichit son carnet d’adresses. Sur le front interne, il consolide sa position de leader de l’opposition. Intransigeant, prompt à mobiliser la rue, il ne redoute pas l’affrontement. Grèves et bras de fer s’enchaînent. Les pouvoirs successifs lui font payer sa ténacité: cabales judiciaires et calomnies, tandis que ses cadres et militants sont marginalisés par les pouvoirs publics. LA VICTOIRE DE Mahamadou Issou-
fou marque la première véritable alternance démocratique au Niger. Hormis le bref intermède Mahamane Ousmane, la présidence de la République était accaparée, depuis 1974, par des militaires : du général Seyni
Kountché au colonel Mamadou Tandja, en passant par le général Ibrahim Maïnassara Baré. Que fera ce civil de sa victoire? Ses vingt années passées dans l’opposition et les épreuves que lui ont fait subir ses adversaires politiques au pouvoir peuvent-elles nourrir une volonté de revanche ? « Cela ne lui ressemble plus, analyse Amadou Garba, ancien leader syndical à la retraite, qui a longtemps milité aux côtés du nouveau président de la République. L’homme s’est assagi et le politique a mûri. » Autre perspective redoutée: la tentation de transformer l’État-MNSD (du nom de l’ancien parti unique que dirigeait Mamadou Tandja) en État-PNDS. Mais, là aussi, le risque est minime. « Issoufou a
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Lors d’un meeting à Niamey, le 5 mars 2011.
toujours combattu la privatisation de la gestion des affaires de la cité, explique Amadou Boubacar Cissé, ancien Premier ministre et allié d’Issoufou au sein de la CFDR [Coordination des forces pour la démocratie et la République, NDLR], ce n’est pas à son âge qu’il va s’y mettre. » Des propos confirmés par les premières déclarations d’Issoufou à l’issue de sa victoire. S’agissant de la CFDR, alliance politique qui avait combattu le tazartché – « continuer sans s’arrêter », en haoussa – de Tandja et qui a soutenu le candidat du PNDS, il a précisé que ses membres « ne s’étaient pas entendus sur une répartition des postes, car la bonne gouvernance est incompatible avec
l’idée de partage des responsabilités et des hautes fonctions de l’État ». SI MAHAMADOU ISSOUFOU a de la
pugnacité à revendre, il ne manque pas non plus d’ambition pour son pays. Lors de sa campagne, il s’est engagé à mobiliser quelque 6000 milliards de F CFA (plus de 9 milliards d’euros) durant son quinquennat pour créer 250 000 emplois. Cette enveloppe devrait être consacrée à de grands projets structurants, mais aussi à l’éducation et à la santé. Ses priorités économiques ciblent l’agriculture par la mise en valeur de dizaines de milliers d’hectares le long du fleuve Niger pour éloigner le spectre de la famine qui plane sur la moitié
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de la population à la moindre crise alimentaire. Sur le plan de la sécurité des biens et des personnes, il estime que les salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et la criminalité transfrontalière constituent les principales menaces. Issoufou, comme le président malien Amadou Toumani Touré (ATT), préconise une solution militaire, doublée d’une politique de développement des zones sahéliennes. Et il est convaincu, à l’instar d’ATT, qu’une telle option est impossible sans coopération régionale. Avant même son investiture, prévue le 6 avril, Mahamadou Issoufou a déjà endossé ses nouveaux habits de chef de l’État. ■ CHERIF OUAZANI, envoyé spécial à Niamey
DJIBO TAGAZA
FOCUS 21
22 FOCUS
CHIFFRES QUI PA RL EN T
64 % des Américains
considèrent que la guerre en Afghanistan n’en valait pas la peine, selon un sondage Washington Post-ABC publié le 15 mars.
1,1 million de touris-
tes étrangers au Kenya en 2010. Le précédent record (1,05 million) datait de 2007.
2,1 millions
de personnes â g é e s d e 18 à 50 ans se déclarent « de confession musulmane » en France, selon une enquête de l’Ined et de l’Insee.
70% des Français
estiment « probable » la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2012, selon le baromètre Viavoice pour le quotidien Libération, paru le 15 mars.
1,1 million d’euros
pour un mastiff tibétain. Le montant record déboursé par un millionnaire chinois pour acquérir ce chien de race.
CÔTE DʼIVOIRE
Sur le sentier de la guerre DE L’AVEU MÊME de Laurent Gbagbo, la situation est devenue incontrôlable à Abidjan. Tel est le message qu’il a adressé au président Blaise Compaoré, le 16 mars, en le priant d’intercéder auprès d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro pour qu’ils calment leurs troupes. Le facilitateur burkinabè lui a alors suggéré de suivre les conseils que Jacob Zuma, le président sud-africain, lui avait prodigués la veille. À savoir : se conformer aux décisions de l’Union Dans le quartier d’Abobo, à Abidjan, le 15 mars. africaine (UA), demandant à Ouattara de former sible » (insurgés composés d’éléments des FN, de jeunes pro-Ouattara et de transfuun gouvernement d’ouverture. « Avec les deux chefs d’État, Gbagbo est resté évages des Forces de défense et de sécurité) sif, raconte un diplomate ouest-africain. Il se battent quotidiennement. « Cet exode a promis d’examiner les propositions de a pris une telle ampleur qu’il fait craindre l’UA tout en continuant à consulter ses une catastrophe humanitaire, faute d’entroupes. Encore une fois, il joue la montre droit où accueillir les déplacés », s’alarme en espérant renverser une situation qui lui la Fédération internationale des ligues des est de plus en plus défavorable. » droits de l’homme (FIDH). Toute la semaine dernière, le camp Depuis deux semaines, les forces proGbagbo a fait courir le bruit d’une interOuattara lancent des opérations éclairs vention télévisée imminente, au cours au-delà de leur fief d’Abobo, comme de laquelle son chef devait décréter l’état à Yopougon et à Koumassi. Perdant le d’urgence ou l’état de siège. Avant de se contrôle de la ville, les éléments des forces contenter, le 18 mars, d’un simple comde sécurité proches de Gbagbo ont sorti muniqué appelant à l’ouver ture d’un l’artillerie lourde, tirant, le 17 mars, des « dialogue interivoirien ». obus sur les habitations d’Abobo. Bilan, selon l’Onuci : une trentaine de victimes et BARRAGES ET LYNCHAGES plus de cinquante blessés. Dans plusieurs Sur le terrain, l’horreur le dispute à quartiers d’Abidjan, les partisans des deux l’abominable. Lentement mais sûrement, camps ont érigé des barrages de fortune. le pays bascule dans la guerre civile. Prise De simples contrôles d’identité se termientre deux feux, la population vit dans la nent parfois en lynchage. Le camp Ouatterreur. Dans l’Ouest, les violents comtara dénonce les agissements de miliciens bats opposent les Forces nouvelles (FN), qui « forcent les portes des domiciles, font dont l’objectif est de progresser vers le sortir les adultes et les jeunes hommes sud pour contrôler la boucle du cacao et et les abattent froidement devant leur le port de San Pedro, aux troupes fidèles famille », et a adressé un mémorandum à Gbagbo. Ces affrontements ont poussé à la Cour pénale internationale (CPI). De plus de 80 000 personnes à s’exiler au leur côté, la FIDH et l’Onuci appellent les Liberia voisin. deux parties à mettre fin aux hostilités. Un À Abidjan, près de 200 000 habitants ont appel qui a toutes les chances de rester fui les quartiers périphériques, où les mililettre morte… ■ PASCAL AIRAULT taires pro-Gbagbo et le « commando inviISSOUF SANOGO/AFP
CES
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FOCUS 23
La gâchette et le gâchis
SE BATTRONT-ILS – AUSSI – pour être le premier pays… importateur ou exportateur d’armes ? Publiée le 14 mars, l’étude de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) sur les ventes d’armes dans le monde entre 2006 et 2010 a fait l’effet d’une bombe. Durant ces quatre années, les ventes ont augmenté de 24 % par rapport à la période 20002005. En pleine récession, en 2009, le marché explosait ainsi de 8 %, à 401 milliards de dollars (288 milliards d’euros). « Les exportateurs sur les marchés à gros budgets d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Amérique latine se livrent à une véritable compétition », indique le think-tank suédois qui suit les évolutions de ce secteur depuis 1966. Même surenchère du côté des acheteurs: la région Asie-Océanie est aux avant-postes (43 % des importations totales entre 2006 et 2010), loin devant l’Europe (21 %), le Moyen-Orient (17 %), le continent américain (12 %) et l’Afrique (7 %). À elle seule, l’Inde a acheté 9 % des armes vendues dans le monde. Juste pour l’année 2010, elle a déboursé 3,3 milliards de dollars. Deuxième sur le podium, le Pakistan, son voisin et rival, a plus que doublé sa facture entre 2009 et 2010 (de 1,1 milliard à 2,6 milliards de dollars). « Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient représentent des marchés lucratifs potentiels, compte tenu des profits réalisés ces dernières années grâce à leurs ressources naturelles. Les tensions internes et interétatiques nourrissent aussi bien une demande croissante que des inquiétudes certaines », note le Sipri. Entre 2006 et 2010, les Émirats arabes unis, Israël, l’Égypte et l’Algérie ont été les plus dépensiers. L’an passé, l’Algérie (791 millions de dollars), l’Égypte (681 millions), le Nigeria (189 millions), l’Afrique du Sud (183 millions) et le Maroc (138 millions) étaient arrivés en tête. « On s’attend à ce que les importations marocaines et saoudiennes augmentent significativement ces prochaines années », prédit le Sipri. ■ JEAN-MICHEL MEYER J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
ILS ONT DIT ANITA CORTHIER
« Le malheur, c’est que, une fois la victoire acquise,
les femmes ne font plus partie du jeu. Elles doivent reprendre leur place dans la cuisine. La politique, c’est une affaire d’hommes, chez nous. Je crains que ce scénario ne se répète… » KHADIJA BENGUENNA Journaliste vedette de la chaîne Al-Jazira
« N’a-t-on pas donné un peu d’air au peuple égyptien,
opprimé et furieux, avant de le ligoter à nouveau ? Sans le concours de l’Égypte, Israël ne peut plus organiser le siège de Gaza. Les États-Unis peuvent-ils accepter cela ? » ARUNDHATI ROY Romancière indienne
« Je n’ai pas de poste officiel, je ne peux
donc pas être critiqué. Est-ce qu’on critique la reine d’Angleterre pour sa politique ? » MOUAMMAR KADDAFI « Guide » de la Jamahiriya libyenne
« Kaddafi est un chat qui s’accroche aux carreaux pour se sauver de la noyade. L’histoire montre que celui qui tire sur son peuple finit mal. » UMBERTO BOSSI Dirigeant de la Ligue du Nord (Italie)
« Pour les Français, nous sommes des métèques. » CARLA BRUNI-SARKOZY Épouse du président français (à propos d’elle et de son mari)
LE DESSIN DE LA SEMAINE LEAHY • THE COURIER MAIL (Australie)
THE NEW YORK TIMES SYNDICATION
VENTES DʼARMES
Le Japon sous la menace nucléaire.
SHIHO FUKADA/THE NEW YORK TIMES/REA
24 L’ÉVÉNEMENT
Scène de désolation à Kesennuma, dans le nord-est du pays.
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LʼAP CALYPSE Un séisme dʼune incroyable violence, un tsunami dévastateur puis la menace dʼune catastrophe nucléaire... Le Japon est au bord du gouffre. Mais la résistance et la dignité de la population forcent lʼadmiration.
ITSUO INOUYE/AP
26 L’ÉVÉNEMENT
Le tsunami a jeté dans les rues des milliers de rescapés, comme ici à Rikuzentakata.
L
SAMY GHORBAL
’
a mpleu r du désast re dépasse l’entendement. Un séisme océanique d’une magnitude 9 sur l’échelle de Richter, à 120 km au large de Sendai, sur la côte pacifique du Japon, suivi d’un terrible tsunami. L’épicentre est trop proche du rivage. En dépit de l’alerte donnée trois minutes après la secousse, les habitants du littoral n’ont pas le temps de se mettre à l’abri. Une vague monstrueuse, atteignant par endroits 10 m de hauteur, déferle sur la région du Tohoku et balaie tout sur son passage. L’eau boueuse pénètre sur une dizaine de kilomètres à l’intérieur des terres. C’est le début d’un engrenage infernal.
L’eau et les gravats endommagent le système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, située à une centaine de kilomètres au sud de Sendai (1 million d’habitants) et à 250 km au nord de l’agglomération de Tokyo, la plus peuplée au monde, avec ses 35 millions d’habitants. Or les cuves des six réacteurs doivent, en permanence, être refroidies pour empêcher les cartouches de combustible radioactif de se dégrader et d’entrer en fusion. Les défaillances se succèdent. La situation échappe à tout contrôle. Le 16 mars, l’empereur Akihito s’adresse à la population pour dire sa préoccupation et inciter les Japonais à s’entraider pour surmonter l’épreuve. Sur la côte pacifique, morts et disparus se chiffrent en dizaines de milliers,
LE PAYS DE TOUTES LES TRAGÉDIES
9-10 mars 1945
7 mars 1927 SÉISME DE TANGO Plusieurs milliers de personnes périssent dans ce séisme d’une magnitude de 7,3 sur l’échelle ouverte de Richter.
CALAMITÉS ET RÉSILIENCE
Pourtant, si incroyable que cela puisse paraître, les Japonais affichent un calme, un sang-froid, une dignité qui forcent l’admiration. Il ne sert à rien de céder à la panique ou de se révolter, car, comme aiment à le dire les Japonais, « il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien faire », et les grands séismes, malheureusement, en font partie. Mais ce sentiment de l’inéluctable, ancré au
BOMBARDEMENT DE TOKYO Le raid de l’US Air Force, qui largue des bombes incendiaires, est le plus meurtrier de la Seconde Guerre mondiale. Le bilan dépasse les 100 000 morts.
SÉISME DE TOKYO ET YOKOHAMA La secousse (d’une intensité de 7,9), l’incendie et le raz-de-marée font quelque 140 000 victimes. Près des trois quarts de Tokyo sont détruits. 1er sept. 1923
tandis que le froid et la neige s’abattent sur la région. C’est la désolation. Dans la seule ville d’Ishinomaki, ce sont au moins 10 000 personnes qui ont disparu, selon le maire. Mais tous les regards sont braqués sur Fukushima-Daiichi. Tokyo retient son souffle. Le drame peut virer au cauchemar absolu.
6 et 9 août 1945 BOMBARDEMENTS ATOMIQUES Les Américains lâchent leur première bombe le 6 août à 8h15 sur Hiroshima, puis trois jours plus tard à 11h02 sur Nagasaki. Plus de 210000 personnes sont tuées. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
KIM KYUNG HOON/REUTERS
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Évacuation d’une zone dans la ville de Koriyama, située près de la centrale de Fukushima.
POLLUTION À MINAMATA De 1932 à 1966, la société chimique Chisso a rejeté du mercure en mer, au sud du pays. On comptera au moins 900 décès et 10 000 personnes seront indemnisées.
incendies, déclenchés un peu partout et attisés pendant deux jours par des vents furieux, qui ont anéanti la ville dans un rayon de 15 km, provoquant 140 000 morts. Commémorée chaque année par la défense civile, qui organise, dans les écoles, les entreprises et les administrations, d’impressionnants exercices de préparation et d’alerte, cette tragédie a marqué le début des constructions parasismiques. Le Japon fut ainsi le premier pays à adopter des normes antisismiques rationnelles et efficaces. Novateur mondial, Sano Toshikata (1880-1956), nommé chef de la section architecture de l’agence pour la reconstruction de Tokyo, prôna la généralisation des constructions rigides en béton armé, selon une technique qu’il avait développée. L’expérience avait
SÉISME DE KOBE Ce séisme, d’une intensité de 7,2, fait 6 433 victimes et des dizaines de milliers de blessés. Les dégâts se chiffrent à 100 milliards de dollars de l’époque.
1966
17 janvier 1995
montré que les seuls édifices intacts et non fissurés étaient ceux qui possédaient des structures en béton armé, et que, à l’inverse, ceux construits selon la « méthode américaine », avec des structures en métal léger, n’avaient pas résisté. Après guerre, les conceptions d’un autre ingénieur japonais, Majima Kenzaburo (1873-1941), furent mises à l’honneur. Reposant sur un postulat radicalement différent – pour absorber les chocs sismiques, une construction doit être souple et flexible –, les vues de Majima se sont avérées les plus adaptées aux constructions de grande taille, comme les gratte-ciel, dont la capitale impériale commença à se doter en 1968. Développé et perfectionné depuis huit décennies, ce savoir-faire a permis à la mégapole japonaise de survivre
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plus profond de l’âme nippone, et que d’aucuns assimilent, à tort, à du stoïcisme, s’accompagne d’un refus obstiné de céder au fatalisme et à la résignation. L’histoire japonaise est une histoire tragique, une histoire de calamités et de résilience. L’archipel, situé sur une ligne de faille, compte 108 volcans en activité et a tout connu et tout enduré au XXe siècle: les éruptions, les séismes, les tsunamis, les guerres, et l’apocalypse nucléaire de 1945. Et il s’est toujours relevé, plus fort qu’il ne l’était. Le grand séisme du Kantô, le 1er septembre 1923 – une secousse d’une magnitude de 7,9 survenue alors que la ville essuyait un effroyable typhon – a détruit aux trois quarts les villes de Tokyo et de Yokohama. Plus que le tremblement de terre, ce sont les
SÉISME DE CHUETSU-OKI D’une magnitude de 6,8, il a fait 11 morts, plus de 1 000 blessés et entraîné la fermeture, pour vingt et un mois, de la centrale nucléaire de KashiwazakiKariwa, après un incendie.
11 mars 1997
PREMIER ACCIDENT NUCLÉAIRE Dans l’usine de retraitement de Tokai-Mura, à 140 km de Tokyo, une explosion provoquée par un incendie entraîne l’irradiation de 37 personnes. Des incidents surviennent dans d’autres sites en 1999 et 2004. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
16 juillet 2007
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à la secousse la plus puissante sante de son histoire. Tokyo a tremblé, les tours de Shinjuku ont vacillé, mais aucun immeuble mmeuble ne s’est effondré. L’archipel a tiré les leçons du séisme de Kobe, la dernière grande catastrophe à avoir frappé rappé le pays au siècle dernier. Le drame rame du 17 janvier 1995 a constitué un électrochoc salutaire. Constructions ions trop fragiles, services de secours dépassés, coordination défaillante, promiscuité omiscuité déplorable dans les abris, et rescapés obligés de patienter pendant de longs mois avant le rétablissement dee l’eau et de l’électricité : le Japon se croyait yait prêt à faire face. Il ne l’était pas. Mais, là encore, la ville a été reconstruite, ite, en un temps record. Et sans bruit. Aujourd’hui, ourd’hui, à Kobe comme à Hiroshima, less séquelles du drame sont invisibles. Les stigmates de la tragédie, pourtant tant bien présents, sont indéchiffrables pour une conscience étrangère. Pudiques, les Japonais n’aiment pas extérioriser leur malheur. Et ont
SOURCES : JAPAN NUCLEAR POWER PROGRAM ; USGS ; INSTITUT PHYSIQUE DU GLOBE
28 L’ÉVÉNEMENT
Sapporo Sappor
Limites des plaques tectoniques Réacteurs endommagés Centrales nucléaires Séisme du 11 mars
Sendai da Fukushima Daiichi iichi Plaque Pla que Eurasiati Eurasi atique que
Kyoto TOKYO YO Nag Nagoya Plaque des Phili ilippi ppines ppi nes
appris à garder leur calme en toutes circonstances. Cette fois pourtant, ils semblent pris au dépourvu. Car à la calamité naturelle s’en ajoute une autre, humaine celle-là. L’ombre terrifiante d de l’l’accident fi cide nucléaire léai plane la sur l’archipel. À l’heure où nous écrivions ces lignes, les dernières informations de Fukushima faisaient état de fusions
Scénario catastrophe 2- Les barres de combustible dans le cœur du réacteur sont en surchauffe. Cela produit de la vapeur d’eau et de l’hydrogène. L'exploitant, Tepco, a alors dépressurisé le réacteur pour éviter l'explosion du cœur. Mais l'hydrogène au contact avec l'oxygène a provoqué l'explosion du bâtiment.
1- Le tremblement de terre a entraîné une coupure d’électricité et, en raison du tsunami, les générateurs de secours n’ont pas démarré. Le système de refroidissement du réacteur ne fonctionne plus.
Cuve du réacteur en acier Enceinte de confinement
Cœur du réacteur
4- Malheureusement, le cœur en surchauffe est entré en fusion et a endommagé l'enceinte de confinement. Le combustible en magma s'échappe.
4
3
Circuit de refroidissement Alternateur Turbines
1
DOCUMENT JEUNE AFRIQUE/SFEN
NATUREL RISQUÉ ENVIRONNEMENT NATU
médecins japonais En août 1945, les méde décrire les terrifurent les premiers à décr bles conséquences de la « maladie des radiations dizaines de milliers, les di io ». Par di in d hibakushas, les survivants de Hiroshima et de Nagasaki, succombèrent, rongés par un mal invisible et incurable. Ce souvenir hante encore la conscience collective. L’accident de Fukushima le réactive. Sauf que, cette fois, les Américains n’y sont pour rien. Et la fatalité non plus. Les ingénieurs de Tepco, qui avaient parfaitement intégré le risque sismique, n’avaient tout simplement pas envisagé celui d’un tsunami dévastateur. Le pari nucléaire du Japon peut sembler,
Le pari du nucléaire peut sembler d’une témérité frisant l’inconscience.
3- Pour refroidir le cœur, l'opérateur cherche par tous les moyens à immerger les barres de combustible.
2
des cœurs de partielles d réacteurs et d’une trois réacte préoccupante élévation pr température des de la temp de stockage piscines d combustible usagé du combu réacteur 4, combusdu réacteu tible qui se désintègre maintenant à l’air libre. hélicoptères envoyés Les hélicopt les canons à sur zone et le Plaque Pla pour tenter, eau utilisés p Pacifique Pac désespérément, de refroidir les bien le réacteurs semblaient semb dérisoires. déri risoires. On ne peut plus exclure désormais supérieur à celui désorm rmais un impact supé Tchernobyl. de Tcher ernobyl.
Plaque que d'Okho khotsk tsk
rétrospectivement, d’une témérité frisant l’inconscience. Le choix de l’atome pouvait se justifier et se défendre d’un point de vue économique et stratégique, car le pays avait besoin d’énergie pour sa croissance. Mais il obéissait aussi à une nécessité plus intime. Il y avait une forme de défi prométhéen à vouloir développer la filière nucléaire civile dans un environnement naturel si risqué. Les Japonais, on doit l’espérer, pourront et sauront faire face aux conséquences catastrophiques de l’accident. Mais, une fois pansées leurs plaies, ils ne pourront sans doute pas faire l’économie d’une révision déchirante de leur rapport à la technologie et à la nature… ■
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JAPON L’APOCALYPSE 29
INTERVIEW
Francis Sorin D.R.
DIRECTEUR DU PÔLE INFORMATION DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DʼÉNERGIE NUCLÉAIRE (SFEN)
« Le nucléaire a une image dégradée, mais nous en avons besoin » La catastrophe au Japon met en lumière les risques de cette technologie, mais selon cet expert, les besoins énergétiques sont tels quʼil est inenvisageable de sʼen passer. JEUNE AFRIQUE : Comment expliquer une telle série de défaillances dans la centrale de Fukushima ? FRANCIS SORIN : La centrale puisait l’eau de refroidissement dans la mer, mais le tsunami a détérioré ses pompes et bloqué le système de refroidissement. Le cœur des réacteurs [sur les six réacteurs, trois étaient à l’arrêt au moment de la catastrophe, NDLR] a alors commencé à chauffer. Les systèmes de secours et les groupes électrogènes n’ont pu prendre le relais car le tremblement de terre avait également mis hors d’usage le réseau électrique. Pourquoi et comment cette surchauffe du cœur du réacteur conduit à une explosion ? Les éléments combustibles n’étant plus immergés, ils produisent avec l’air de l’hydrogène – qui, au contact de l’oxygène, explose. Puis, étant donné la très forte température, l’eau se transforme en vapeur d’eau. Ce mélange vapeur-hydrogène provoque une surpression. Les ingénieurs de Tepco, l’exploitant, ont alors dépressurisé l’enceinte de confinement en le rejetant dans le bâtiment. Ils savaient qu’ils risquaient une explosion, mais c’était un moindre mal : mieux vaut une explosion de la structure du bâtiment que dans la cuve du réacteur. Comme à Tchernobyl ? La centrale de Tchernobyl n’avait pas d’enceinte de confinement. Le cœur en fusion s’est donc retrouvé à l’air libre. Qui plus est, l’incendie du graphite [forme de carbone utilisée à Tchernobyl] a propulsé les produits radioactifs dans l’atmosphère.
Quels sont les risques de contamination à Fukushima ? À partir du moment où des matières radioactives s’échappent lors de l’explosion, il y a contamination, mais à faible intensité. En revanche, si les enceintes de confinement lâchent, les éléments très radioactifs du cœur vont émettre par rayonnement des radiations autour du site. C’est ce que l’on appelle l’irradiation. Et puis il y a la contamination via les retombées d’atomes radioactifs qui se répandent dans l’environnement. Cette catastrophe au Japon peut-elle remettre en cause l’appétence pour l’énergie nucléaire au niveau mondial ?
Oui. Le nucléaire va avoir une image dégradée, mais nous en avons besoin. La population sera de 9 milliards d’habitants en 2050, la demande énergétique va donc augmenter, même si on fait des économies. Or les combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon), sur lesquels on s’appuie pour produire 85 % de l’énergie mondiale, sont en voie de raréfaction et émettent des gaz à effet de serre, dont le CO2. Le nucléaire (6,5 %) est, lui, capable de prendre le relais, car les autres énergies renouvelables ne peuvent répondre à la demande: l’hydraulique ne représente que 2,5 % de la production, le solaire et l’éolien oscillent entre 1 % et 2 % malgré de considérables investissements, le reste étant de la biomasse. ■ Propos recueillis par PHILIPPE PERDRIX
LES PRÉCÉDENTS ACCIDENTS MAYAK, 29 SEPTEMBRE 1957 (RUSSIE)
Le site militaire soviétique de Mayak connaît le premier accident nucléaire de l’histoire. Une panne d’électricité entraîne l’explosion d’une cuve de déchets hautement radioactifs dont les retombées contaminent une zone de 23 000 km2. Le bilan est de 200 morts et au moins 470 000 personnes exposées.
THREE MILE ISLAND, 28 MARS 1979 (ÉTATS-UNIS)
Une série de pannes et d’erreurs empêche le refroidissement d’un réacteur, dont le cœur commence à fondre. Aucun rejet radioactif n’est constaté, l’enceinte de confinement ayant rempli
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son rôle, mais 140000 personnes sont déplacées. L’accident est classé au niveau 5 de l’échelle internationale des événements nucléaires (Ines), qui en compte 7.
TCHERNOBYL, 26 AVRIL 1986 (UKRAINE)
Le réacteur numéro 4 de la centrale soviétique explose au cours d’un test de sûreté. Il ne disposait pas d’enceinte de confinement. L’accident, classé au niveau 7, est la plus grande catastrophe nucléaire à ce jour. Son impact et son bilan font encore débat: l’Agence internationale de l’énergie atomique évoque 4000 morts, les écologistes 200000. Les trois quarts de l’Europe auraient été contaminés.
YOMIURI YOMIURI/REUTERS
30 L’ÉVÉNEMENT
Amoncellement de voitures sur le port de Hitachi, dans le nord-est du pays.
État de choc économique
de production. Un atout qui se révèle un talon d’Achille quand certains fournisseurs ne peuvent plus honorer les commandes. Selon les analystes de Goldman Sachs, Nissan et Honda pourraient perdre jusqu’à 17 millions d’euros par jour d’interruption. L’imta, Nissan, Honda et les autres –, ont pact irait jusqu’à 54 millions d’euros été forcées d’arrêter leurs chaînes de pour Toyota. Même situation, à peu production. Et même si leurs usines de chose près, dans l’électronique et d’assemblage sont le plus souvent l’optique – Sony a fermé huit de ses localisées hors de la région du Tohounités de production, Canon (premier ku, directement frapproducteur mondial pée, elles ne pourront d’appareils photo) et REPÈRES pas reprendre leur Panasonic ont égaleL’indice Nikkei a perdu un activ ité nor malement réduit fortement cinquième de sa valeur, ment avant plusieurs leur activité. entre le 11 et le 15 mars. semaines. Car c’est La région de Sendai, dans ce secteur que la plus touchée, était Toyota pourrait perdre le Japon a poussé le un centre industriel jusqu’à 54 millions d’euros plus loin la gestion important (télécoms, par jour. des usi nes en f lu x électronique, machitendu, en limitant au nes-outils, etc.), mais La prévision de croissance minimum le niveau l’essentiel n’est pas là. de 1,6 % en 2011 sera des stocks de pièces La pénurie d’électricité revue à la baisse. pour baisser les coûts et la désorganisation
Une certitude, les secteurs de lʼautomobile et de lʼélectronique sont sévèrement touchés. Des conjectures : le coût des destructions et les conséquences à plus long terme.
D
u fait de l’accumulation des catastrophes qu’il subit, le Japon est atteint par un véritable tsunami économique. La chute en forme de krach de la Bourse de Tokyo, qui a perdu un cinquième de sa valeur entre le 11 et le 15 mars, avant un rebond « technique » sans grande signification, n’a fait que traduire l’inquiétude des investisseurs, qui craignent un effondrement de l’activité économique. Les informations connues avaient, il est vrai, de quoi les effrayer. Tout porte à croire que la prévision de croissance pour 2011 du Fonds monétaire international (FMI), de 1,6 %, sera revue à la baisse. Les entreprises phare du pays, les constructeurs d’automobiles – Toyo-
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JAPON L’APOCALYPSE 31
Le coût des dégâts pour le Japon reste difficile à évaluer, les chiffres qui circulent allant de 100 à 300 milliards de dollars (de 72 à 215 milliards d’euros). C’est énorme, et très pénalisant à court terme. Mais, pour un pays de cette taille, ce n’est pas insurmontable : cela ne représente que quelques pour cent du PIB. Et, même s’il est un peu tôt pour se livrer à de telles conjectures, l’expérience prouve également que les efforts de reconstruction dopent la croissance économique. Ce qui serait une bonne nouvelle pour l’archipel, qui n’a jamais réussi à retrouver un rythme de développement économique satisfaisant depuis l’éc latement des bu l les boursière et immobilière il y a une vingtaine d’années. Et qui, à l’ima-
Les efforts de reconstruction devraient doper la croissance. ge de sa population vieillissante, paraît avoir perdu son dynamisme d’autrefois. Le reste du monde pourrait aussi être affecté. Le Japon fournit par exemple 21 % du marché mondial des semi-conducteurs et représente 14 % de la production d’électronique. Tokyo devrait aussi rapatrier ses immenses avoirs en dollars et en euros pour financer la reconstruction. Au point de fragiliser la reprise économique mondiale qui s’annonçait depuis quelques mois ? On ne peut encore avoir de certitudes à ce sujet. ■ RENAUD DE ROCHEBRUNE
Sur le continent, seule lʼAfrique du Sud produit de lʼénergie nucléaire. Dʼautres pays ont affiché leur intention dʼadopter cette technologie.
S
ur les 442 réacteurs recensés dans le monde, le continent n’en compte que deux, à Koeberg, en Afrique du Sud. Cependant, une demi-douzaine d’autres États possèdent un ou deux réacteurs de recherche. Des menaces somme toute limitées.
KOEBERG, EN AFRIQUE DU SUD, À LA MERCI D’UN SÉISME ? Le site de Koeberg – deux réacteurs de 900 MW qui fournissent 6 % de l’électricité du pays – fait la fierté de l’Afrique du Sud. Située à 30 km du Cap (et de ses quelque 3,5 millions d’habitants), au bord de l’Atlantique, la seule centrale nucléaire du continent est aussi source d’inquiétudes. Des géologues rappellent que la région pourrait être touchée par un séisme d’envergure comme en 1969 (6,3 sur l’échelle de Richter, 12 morts). Mais la menace reste mineure et un tsunami est peu probable. « L’usine de Koeberg est conçue pour résister à un séisme de niveau 7 sur l’échelle de Richter et à une vague de 8 m », fait savoir le National Nuclear Regulator, l’autorité de régulation du nucléaire en Afrique du Sud.
LES RÉACTEURS DE RECHERCHE SONT-ILS DES MENACES ? L’Afrique compte une dizaine de réacteurs, destinés non à la production, mais à la recherche et à la formation. Ils se trouvent en Afrique du Sud (près de Pretoria), en Algérie (Aïn Oussera, à environ 200 km d’Alger, et Draria, dans la banlieue de la capitale), en Égypte (deux à Inshas, près du Caire), en Libye (Tajoura, près de Tripoli), au Maroc (Maamora, près de Rabat), en Tunisie (Tunis), au Ghana (Accra) et au Nigeria (Zaria, dans le Nord). À Kinshasa, le réacteur est à l’arrêt depuis 2004 et nécessite 3 millions de dollars pour être remis en service. Certains de ces pays, particulièrement le Maroc et l’Algérie (qui se trouvent sur la ligne sismique qui sépare
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ZIMBABWE BOTSWANA BO Pretoria Johannesburg
Centrale nucléaire léai de Koeberg Océan Atl. Le Cap
MOZ.
ÉVALUATION HASARDEUSE
LʼAfrique doit-elle trembler?
NAMIBIE
totale des circuits logistiques – les transports, la fourniture de pétrole par les raffineries, etc. – touchent tous les secteurs et la plupart des régions du pays. Et la situation ne s’améliorera évidemment pas si Tokyo reste sous la menace de la catastrophe nucléaire, qui conduit déjà de nombreux employés à ne plus aller au bureau – une première pour un pays où le travail est considéré comme sacré.
AFRIQUE DU SUD
SWAZ.
LESOTHO Durban Océan Indien 300 km
les plaques africaine et européenne), ainsi que l’Égypte, ne sont pas à l’abri d’un séisme, ni même d’un tsunami. Mais ces réacteurs sont cent à mille fois moins puissants que ceux servant à la production d’énergie. Leur dangerosité est de ce fait atténuée.
CETTE CATASTROPHE VA-T-ELLE RALENTIR LES PROJETS ? Depuis quelques années, les Africains se sont lancés dans la course à l’atome. La Tunisie et l’Égypte, qui ont annoncé le lancement de leur production autour de 2020, sont considérées comme les candidates les plus sérieses, devant l’Algérie, le Maroc et la Libye. D’autres se sont contentés d’annoncer leurs ambitions : le Nigeria, le Soudan, la Namibie, le Sénégal… Cette catastrophe peut-elle les freiner? « Il est trop tôt pour l’affirmer », indique une source française. Comme après Tchernobyl, des pays pourraient prendre le temps de la réflexion : en 1986, l’Égypte avait suspendu son programme par mesure de précaution ; elle ne l’avait relancé qu’en 2007. Le blocage pourrait également venir des bailleurs. Avant même la catastrophe japonaise, ils étaient peu enthousiastes à l’idée de financer RÉMI CARAYOL le nucléaire civil. ■ Reportage sur le réacteur de recherche de Kinshasa, en RDC, sur jeuneafrique.com
32 AFRIQUE SUBSAHARIENNE
ALPHA CONDÉ PEUT-IL
Réformer le pays tout en ménageant la coalition qui lui a permis dʼaccéder au pouvoir... Cʼest lʼexercice difficile auquel se livre, depuis bientôt trois mois, le nouveau chef de lʼÉtat.
S
THÉOPHILE KOUAMOUO, envoyé spécial à Conakry
urtout, faire preuve de discrétion. Commercer avec quelqu’un que l’on connaît bien. Avant la transaction, regarder à gauche et à droite, histoire de ne pas se faire surprendre par les forces de police. Ces préceptes de prudence ne sont pas tirés d’un quelconque bréviaire du
trafiquant de drogue, mais constituent le guide de survie des « monéteurs », ces agents de change qui exercent dans l’informel à Conakry. Et pour cause : depuis le 10 mars, le gouvernement guinéen a décidé de suspendre l’activité des cambistes, qu’ils disposent d’une autorisation ou pas. Cette corporation participerait à aggraver l’inflation galo-
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 33
CHANGER LA GUINÉE?
PASCAL GUYOT
Le 3 décembre, à Conakry. La Cour suprême vient de confirmer sa victoire à l’élection présidentielle.
pante dans le pays (+ 11 % en 2010) et la dépréciation du franc guinéen. Pour faire comprendre à tous qu’elles ne plaisantaient pas, les autorités ont multiplié les saisies de lourds sacs remplis de devises diverses sur les marchés. « Le président Alpha Condé veut mettre de l’ordre partout. C’est chaud! » commente le petit entrepreneur Sidiki Camara, à la fois admiratif et inquiet.
Moins de trois mois après son investiture, le nouveau chef de l’État guinéen a les mains dans le cambouis. La priorité: les graves problèmes économiques qui menacent d’étrangler le pays, après des décennies d’incurie au plus haut sommet de l’État et deux années d’une transition militaire chaotique. Il y a la question monétaire – aggravée par le recours excessif à la planche à billets –, qu’Alpha Condé tente de régler à travers de nouvelles mesures réglementaires : l’interdiction faite aux entreprises locales d’émettre des factures dans des devises étrangères et la fin des prêts octroyés au Trésor public par la Banque centrale de Guinée. Il y a aussi le renchérissement des prix des produits de première nécessité, comme le riz, l’huile et le sucre, auquel le gouvernement tente de répondre – sans grand succès pour l’instant – en s’improvisant importateur « low cost ». Afin de rationaliser la dépense publique et de préserver des ressources, de nombreux audits ont été lancés. Le premier à avoir été bouclé a débouché sur la publication d’une liste de « débiteurs de l’État » – quarantedeux personnes physiques ou morales censées devoir près de 27 milliards de francs guinéens (environ 3 millions d’euros) au Trésor public. Alpha Condé ne compte pas en rester là. Les contrats des entreprises qui exploitent le sous-sol national seront « remis à plat », a-t-il promis. Dans un pays où les mines représentent 16 % du produit intérieur brut et 80 % des recettes d’exportation, l’annonce a fait l’effet d’une bombe. L’État entend désormais détenir entre 33 % et 39 % du capital des sociétés spécialisées. « Nous avons l’intention de réaffirmer un principe simple: celui de notre droit de propriété sur nos ressources », explique Aboubacar Koulibaly, ministre du Contrôle économique et des Audits. Un nouveau code minier est d’ores et déjà en voie d’élaboration. La Guinée n’a de toute façon pas le choix : elle doit montrer patte blanche si elle veut atteindre le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et bénéficier de l’appui des insti-
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tutions de Bretton Woods, incontournable pour un pays qui doit investir à nouveau dans des infrastructures ravagées par plus d’une décennie de marasme. CHALEUREUX MAIS CASSANT
Et si Hercule était guinéen ? Celui qu’on appelle dans son pays kôrô Alpha (« grand frère Alpha »), ou tout simplement « professeur », a bien l’intention de s’attaquer à ses « douze travaux » en continuant d’incarner la rupture, le fameux « changement » tant attendu, dont la promesse lui a ouvert les portes du palais Sékoutoureya. L’ancien opposant historique, qui répète à l’envi son slogan « La Guinée is back » et insiste sur la nécessité de construire – enfin – un vrai État, ne renie rien de son style. Stratège brouillon, à la fois chaleureux et cassant, Alpha Condé est énergique et parle dru, quitte à choquer. Notamment à l’occasion de sa croisade contre les « commerçants véreux » qui ont, il en est persuadé, décidé de « saboter » ses efforts en tirant artificiellement les prix vers le haut. « Nous ne leur laisserons plus le temps », a martelé le numéro un guinéen lors d’un meeting dans la ville de Kindia, allant jusqu’à prendre des accents marxisants pour menacer de donner « des moyens aux femmes pour qu’elles fassent le commerce », à travers des structures « d’autogestion ». Rien n’est simple en Guinée. Professeur de droit formé en France, ayant longtemps vécu à l’étranger mais maîtrisant sur le bout des doigts son pays et ses passions secrètes, Alpha Condé le sait. Comme il sait que ses critiques contre les cartels qui contrôlent la distribution des biens de première consommation peuvent être considérées comme hostiles à la communauté peule, qui exerce un monopole de fait sur certains secteurs et qui s’est rangée, lors de la dernière présidentielle, derrière Cellou Dalein Diallo, candidat malheureux au second tour. La dénonciation de la convention de concession liant le port de Conakry au groupe Getma International dans le cadre de l’exploitation du terminal à conteneurs est saluée comme une rupture par Aziz Diop, le secrétaire général
34 AFRIQUE SUBSAHARIENNE du Conseil national des organisations de la société civile, qui affirme que des « intérêts politiques » locaux avançaient masqués derrière cette entreprise. Mais Getma a porté plainte pour « corruption internationale » et le transfert du contrat au groupe Bolloré, ainsi que la réquisition des installations de Getma pour le compte du nouvel arrivant, suscitent la réprobation dans les cercles de l’opposition. À les en croire, « Alpha » aurait manœuvré pour récompenser son ami Vincent Bolloré, qui l’a aidé dans sa communication de campagne via Euro RSCG. « Quand on casse une convention issue d’un appel d’offres, on en ouvre un autre », persifle l’ancien Premier ministre Sidya Touré. Ce à quoi Mamadouba Sankhon, directeur général du Port autonome de Conakry, répond que « le code des marchés publics guinéens stipule que, quand le premier sélectionné a été défaillant, le second vient automatiquement. Or Bolloré était le second ». Comment se dégager une marge de manœuvre économique tout en préservant intacte la coalition hétéroclite qui a permis son accession à la magistrature suprême ? Dilemme cornélien. Après avoir été éliminé à l’issue du premier tour de la présidentielle, l’homme d’affaires El Hadj Mamadou Sylla s’est rallié
à Alpha Condé et l’a soutenu aussi bien politiquement que financièrement. Un zèle qu’il juge aujourd’hui mal récompensé : son nom apparaît en tête sur la liste des créanciers de l’État, ce qu’il conteste vigoureusement. L’opposition en profite et a bien l’intention de le coopter au sein du Forum des forces vives. Une alliance née sous le régime Conté et qu’elle compte ressusciter pour accentuer la pression sur les nouvelles autorités. MURMURES DÉSAPPROBATEURS
pendante (Ceni) et de procéder à un recensement général de la population avant cette échéance. Du coup, le vote ne devrait pas se tenir avant la fin de l’année. « Ce serait inapproprié, martèle Sidya Touré. Les accords de Ouagadougou [signés en janvier 2010, après la tentative d’assassinat dont a été victime
Pas sûr que les militaires acceptent de voir leurs budgets limités et surveillés.
Mais Sylla n’est pas le seul des anciens soutiens de Condé qui le boude ostensiblement. Il y a aussi l’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté, en séjour prolongé à l’étranger, et l’ex-ministre des Finances Kassory Fofana. Selon leurs proches, qui se contentent pour l’instant de murmures désapprobateurs, les promesses des temps enfiévrés de campagne se seraient évaporées sous l’effet de la chaleur vive de ces mois de saison sèche… Au sein du sérail politique, la question de la date de la tenue des élections législatives cristallise les tensions. Le chef de l’État envisage de réformer la Commission électorale nationale indé-
le capitaine Dadis, NDLR] stipulent que les législatives doivent se tenir six mois après la présidentielle. Si l’échéance doit être reportée, la question doit être négociée à l’occasion d’un débat national. » Lui considère que toute réforme de la Ceni en dehors d’un consensus global serait « inacceptable ». Jusqu’où les adversaires d’Alpha sontils capables d’aller pour l’empêcher de consolider les bases de son pouvoir et d’instaurer son hégémonie sur l’administration et, au final, sur le pays? Telle est la principale inconnue d’un pays dont l’équilibre reste précaire. Les militaires, qui ont pris goût au pouvoir et à ses privilèges, accepteront-ils de voir leurs
LES HOMMES DU PRÉSIDENT MOHAMED DIANÉ Ministre, directeur de cabinet du président Il était jusqu’à présent le secrétaire administratif du parti présidentiel. À 55 ans, il se pose aujourd’hui comme le gardien « du temple RPG » et joue, dans les faits, le rôle d’un Premier ministre bis.
À 59 ans, il succède à JeanMarie Doré. Économiste de formation, ce haut commis de l’État est sans passé politique. En le nommant, Alpha Condé récompense la région de la Basse-Côte, à dominante soussoue, dont Fofana est originaire.
KERFALLA YANSANÉ Ministre de l’Économie et des Finances Ancien gouverneur de la Banque centrale, ex-consultant auprès de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, il mettra sa bonne connaissance des institutions de Bretton Woods au service du pouvoir.
LE GÉNÉRAL KÉLÉFA DIALLO Chef d’État-major général Ex-commandant de la région militaire de Kankan, il a remplacé le général Nouhou Thiam, indiscipliné notoire présenté comme le « sous-marin » de Sékouba Konaté, l’ancien patron de la transition.
IDRISSA SOUMARE
MOHAMED SAÏD FOFANA Premier ministre
IDRISSA SOUMARE
Avec qui gouverne « Alpha » ? « Fondamentalement, il dirige seul. Sa forte personnalité domine celle de tous ses collaborateurs », estime un bon connaisseur du personnel politique guinéen. De fait, les centres de décision s’équilibrent entre la présidence, où les membres de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), dominent très clairement, et le gouvernement, plus ouvert aux diverses forces alliées. Revue de détails.
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 35
MOUSSA TIÉGBORO CAMARA Secrétaire à la présidence Il est chargé de la répression du grand banditisme, de la lutte antidrogue et des services spéciaux. Lieutenant-colonel mis sur orbite par Moussa Dadis Camara, dans un pays gangrené par le narcotrafic et la contrebande, il n’est
SÉKOU TOURÉ, L’HOMME DU « NON » À LA COMMUNAUTÉ FRANCOAFRICAINE, se méfiait de l’ancienne puissance coloniale et d’un grand nombre d’États voisins qui, estimait-il, complotaient contre lui. Lansana Conté, le « président-paysan », se vantait de ne pas participer aux sommets de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qu’il jugeait inutiles. L’avènement d’Alpha Condé marque donc le grand retour de la Guinée dans le concert des nations. Ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone (Feanf) en France, familier des milieux militants et des palais présidentiels du continent, il est le premier président guinéen à forte tendance « internationaliste ». Depuis son investiture, il a beaucoup voyagé. En Afrique, il a commencé par le Burkina Faso, dont le chef de l’État, Blaise Compaoré, était médiateur dans le cadre de la transition guinéenne et, par le passé, lui a rendu quelques « services ». Il s’est rendu au Sénégal, au Mali et en Angola, pays avec lequel il compte renforcer les liens. Il soigne également ses relations avec l’Afrique du Sud, leader continental. En France, où il a étudié et où il bénéficie de soutiens fidèles – à l’image de l’ancien chef de la diplomatie Bernard Kouchner –, Alpha Condé « vendra » les atouts d’un pays avec lequels tout n’a pas toujours été simple dans le passé. Mais qui vient de passer un examen de passage essentiel, avec la première présidentielle vraiment ouverte depuis l’inT.K. dépendance. ■ Aboubacar Koulibaly. Il faut reconnaître que des gens ont été victimes durant ces dernières années, qu’ils doivent être dédommagés et leurs bourreaux identifiés. Il faut aussi attaquer d’urgence
les racines de la crise économique, qui ne peut qu’aggraver les clivages si elle persiste. » À Conakry, on est en tout cas bien conscient que « la démocratie, ça ne se mange pas ». ■
responsable que devant le chef de l’État.
Condé. Dans les faits, son influence est plutôt limitée.
FRANÇOIS LONSÉNY FALL Ministre d’État, secrétaire général de la présidence
ÉDOUARD GNANKOYE LAMAH Ministre des Affaires étrangères À 65 ans, le chef de la diplomatie guinéenne a un profil plutôt atypique : médecin, il est plus habitué aux congrès qu’aux grandsmesses diplomatiques. YOURI LENQUETTE
LE GÉNÉRAL BOURÉMA CONDÉ Chef d’État-major particulier Ex-gouverneur de N’Zérékoré, en Guinée forestière, il est réputé proche d’Alpha Condé, ce qui lui a valu d’être la cible des partisans de Cellou Dalein Diallo pendant les derniers mois de la transition.
« LA GUINÉE IS BACK ! »
Ancien Premier ministre de Lansana Conté et candidat au premier tour de la présidentielle, il avait fini par apporter son soutien à Alpha
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RACHID N’DIAYE Conseiller spécial chargé de la communication Journaliste bien connu dans le « village » franco-africain, ami des bons et des mauvais jours d’Alpha Condé, c’est lui qui verrouille les relations avec les médias et la stratégie de communication.
DJÉNÉ KABA CONDÉ Première dame Épousée il y a peu, elle met en place une fondation qui s’occupera notamment des questions relatives à la santé maternelle et infantile. Influente, elle a su, pendant la campagne, mobiliser les jeunes et les femmes.
YOURI LENQUETTE
budgets limités et surveillés ? Sékouba Konaté, l’ancien président par intérim dont le bilan est vivement taillé en pièces à la fois par le pouvoir et ses adversaires, a récemment manifesté son irritation contre « les civils ». Début mars, une mutinerie a éclaté à Kissidougou, dans le sud-est du pays. Des centaines de « recrues » faisant partie de la masse de plus de cinq mille jeunes enrôlés par Dadis Camara, l’ex-chef de la junte, se seraient révoltées pour des motifs catégoriels. Les élèves-soldats revendiquaient l’octroi de numéros matricules, sans lesquels ils ne peuvent être rémunérés. Bilan : trois morts et un nombre indéterminé d’éléments ayant disparu dans la nature avec des armes à feu. Conscient de l’enjeu militaire, Alpha Condé pilote personnellement cette question. Au point de cumuler sa fonction de chef d’État avec celle de ministre de la Défense. Il espère désamorcer la bombe en entretenant des relations personnalisées avec les hommes en armes. Pour résoudre le malaise national né des clivages communautaires exacerbés durant la campagne électorale, il n’envisage pas, pour l’instant, de grandmesse théâtralisée de la réconciliation. « Ce n’est pas avec des paroles que nous dépasserons nos problèmes, mais avec des actes concrets, analyse le ministre
36 AFRIQUE SUBSAHARIENNE JUSTICE
Inventaire ou inventé ? Au procès de Jean-Pierre Bemba, les déclarations dʼune victime présumée sèment le doute sur la manière dont la Cour pénale internationale a recueilli ses informations en Centrafrique.
DESIREY MINKOH/AFP
qui portaient le logo de la CPI ». « Luimême, il a pris la feuille. Lui-même, il a pris le stylo. Ce n’était pas moi qui lui dictais ce qu’il devait mentionner. » Tout avait mal commencé pour « monsieur Emmanuel ». Interrogé sur ses biens dérobés, le témoin 73 n’avait mentionné que de menus articles – des gâteaux ou du bois de chauffe. « Les Blancs sont disposés à venir vous donner de l’argent mais au lieu de […] bien te comporter, tu te comportes comme quelqu’un qui veut perdre l’argent que les Blancs veulent offrir », s’indigne alors « monsieur Emmanuel ». Le témoin 73 lui attribue ensuite ces propos: « Je vais te mettre une machine à briques de tel montant. Mais toi, il faut dire que tes filles ont été violées. » « Tout le monde accourait pour pouvoir se faire enregistrer », poursuit le témoin.
Patrouille de Banyamulenge fidèles à l’ancien vice-président congolais au nord de Bangui, en novembre 2002.
U
n « téléviseur complet », une « machine de presse à briques », un poste de radio, une mobylette, du « bois de chauffe »… Cet inventaire à la Prévert serait trivial si son auteur n’était pas témoin au procès de Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale (CPI). Et si Aimé Kilolo, avocat de l’accusé, n’y voyait pas « la démonstration qu’un certain nombre de faits ont fait l’objet d’un montage dans le seul but d’accabler » son client. Ancien vice-président de la RD Congo, Jean-Pierre Bemba comparaît depuis novembre à La Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ils auraient été commis par ses troupes, les Banyamulenge, entre octobre 2002 et mars 2003 en Centrafrique. Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, tient leur chef pour responsable. Le procès ouvert, l’accusation a commencé à faire entendre ses témoins – la défense devrait prendre son tour en juin. L’auteur de l’inventaire est le numéro 73. Il entre en scène le 21 février. Son identité est tenue secrète. Habitant
du « PK 12 », une zone périphérique de Bangui où les Banyamulenge avaient établi leur QG, il s’exprime en sango. Un interprète traduit. Après avoir décrit les exactions des troupes de Bemba, le témoin 73 raconte comment fut recueillie, en mai 2009, sa déposition comportant la liste de ses biens dérobés pendant l’occupation du PK 12. C’est ce récit qu’utilise aujourd’hui la défense pour parler de « montage ». Question de la défense : « Est-ce que l’un ou l’autre des objets énumérés dans cette liste vous a été dérobé ? » Réponse du témoin 73 : « Sur cette liste, la seule chose que j’ai perdue est mon poste récepteur radio. […] Mais les autres articles, les autres appareils, non, je ne reconnais pas avoir possédé ces choses-là. » La défense : « Pourquoi avez-vous apposé votre signature à cette liste […] ? » Le témoin décrit alors les méthodes d’un certain « monsieur Emmanuel », disposant de « documents
DISCRÉDIT
La déclaration du témoin 73 n’a été mise en ligne par la CPI que le 17 mars, expurgée de la mention du « monsieur Emmanuel ». Auparavant, c’est Ève Bazaiba, sénatrice du Mouvement de libération du Congo (MLC), le parti de Jean-Pierre Bemba, qui nous en avait fait part. Juriste en droit international, elle avait dit avoir toujours milité pour la mise en place de la CPI, « mais ce n’était pas pour qu’elle soit biaisée, où est la place des victimes dans tout cela? » Si elles étaient confirmées, les déclarations du témoin 73 jetteraient le discrédit sur la collecte des témoignages en Centrafrique. Mais comment croire celui qui reconnaît avoir menti ? La
« Lui-même, il a pris le stylo. Ce n’est pas moi qui dictais », TÉMOIN 73, à La Haye possibilité d’une manipulation n’est pas exclue. Une source évoque aussi la confusion qui a caractérisé les déclarations du témoin : « Il est vulnérable et ne comprend pas grand-chose », dit-elle. Le bureau du procureur n’a pas tenu à s’exprimer. ■ MARIANNE MEUNIER
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 37 CAMEROUN
Repos, mon général!
D
u quat uor de générau x « m i s e n r é s e r v e de l a République », le 11 mars, Pierre Semengue, 76 ans, est sans doute le plus emblématique. En cinquante-cinq ans de service, il aura occupé les fonctions les plus prestigieuses dans l’institution militaire, jusqu’à celle de contrôleur général des armées. La courbe de ses promotions suit celle des événements politiques au Cameroun. Sous A madou A hidjo, alors qu’il est nouvellement diplômé de l’école militaire de Saint-Cyr, en France (en même temps que l’ancien président tunisien, Ben Ali), il est
promu capitaine et se vante de ne « jamais avoir eu à porter le galon de lieutenant dans l’armée camerounaise ». En 1961, lors de la réunification des deux Cameroun, il est promu à la tête de l’armée avec le grade de chef de bataillon après avoir lutté contre une rébellion dans la région d’Édéa. Il devient général en 1973 et découvre, en août 1983, un « complot contre la sûreté de l’État ». On retiendra aussi de Pierre Semengue cette petite phrase, glissée dans un livre-entretien paru en 2002. Il y déclarait, à propos des manifestations pour la tenue d’une conférence nationale souveraine, en 1991 : « Je vous
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CIN ARCHIVES
Pour la première fois, le président Biya a décidé de se passer de plusieurs hauts gradés. Parmi eux, lʼemblématique Pierre Semengue.
Après cinquante-cinq ans dans l’armée, il a été mis à la retraite.
l’avoue aujourd’hui, si la conférence nationale s’était effectivement tenue, l’armée aurait fait un coup d’État. » ■ CLARISSE JUOMPAN-YAKAM,
envoyée spéciale à Yaoundé
38 AFRIQUE SUBSAHARIENNE
INTERVIEW
Gilchrist Olympio
PRÉSIDENT DE LʼUNION DES FORCES DE CHANGEMENT (UFC)
« Je nʼai pas renoncé à être président » Lʼaccord quʼil a passé avec le gouvernement a fait éclater son parti, mais il ne regrette rien. Pour la première fois, lʼex-figure de proue de lʼopposition togolaise revient sur les raisons de son ralliement.
N
i interview ni explication officielle. Depuis qu’il a accepté que les membres de son parti, l’Union des forces de changement (UFC), entrent au gouvernement en mai dernier, l’homme se fait rare. La rumeur le dit malade, mais, lorsqu’il nous reçoit dans son vaste appartement du 16e arrondissement de Paris, Gilchrist Olympio n’en laisse rien paraître. À 74 ans, celui qui fut longtemps l’une des principales figures de l’opposition togolaise se prête de bonne grâce à la longue séance de photos que lui impose Jeune Afrique. Dans cet intérieur haussmannien encombré d’antiquités africaines, le fils du premier président du Togo (assassiné lors d’un coup d’État orchestré par le père de l’actuel président) a tout de l’« aristo » britannique. Et c’est avec un soupçon d’accent, hérité de son passage à la London School of Economics et de ses longues années d’exil au Ghana, qu’il explique enfin pourquoi il a renoncé à la vendetta qui opposait sa famille à celle de Faure Gnassingbé. Quitte à faire imploser son parti. JEUNE AFRIQUE : Comment avezvous décidé, après des années d’opposition, de conclure un accord avec le gouvernement ? GILCHRIST OLYMPIO : Tout est parti de ma rencontre avec le président Faure Gnassingbé à Rome, en juillet 2005. Il avait demandé à me voir alors qu’en quarante ans de confrontation je ne m’étais jamais entretenu avec son père, Gnassingbé Eyadéma. Nous étions seuls lui et moi dans une pièce.
Il m’a dit : « Je suis jeune et on me met tous les péchés de mon père sur le dos. À la mort de votre père [Sylvanus Olympio, tué le 13 janvier 1963, NDLR], je n’étais même pas né. Je voudrais vous assurer que la succession n’est pas juste un changement de personne. J’espère pouvoir tourner cette page de notre histoire et tout recommencer. » C’était notre premier contact. Que lui avez-vous répondu ? Je l’ai remercié. Je l’ai trouvé ouvert à la discussion. Nous étions d’accord sur presque tout et nous nous sommes revus quelques semaines après. Puis ce furent les discussions qui ont abouti à l’accord de Ouagadougou, en août 2006. Qui a négocié l’entrée au gouvernement ? En 2010, le président m’a envoyé deux de ses proc he s c hez moi, à Paris : Pascal Bodjona et Barry Moussa Barqué. Ils m’ont dit que le chef de l’État souhaitait que nous l’aidions à reconstruire le pays. Plus tard, nous avons discuté avec le Premier ministre, Gilbert Houngbo : il nous proposait cinq ministères, nous en avons obtenu sept.
elles nous ont aussi demandé d’aller vite, car il était urgent de lutter contre le chômage et la pauvreté. C’est sur cette base que cet accord a été signé. J’ai même consulté des chefs d’État de la sous-région. Tous m’ont dit que c’était la seule solution. Comment se passe la cohabitation ? Je suis content de dire que, huit mois après notre entrée au gouvernement, nous n’avons pas eu de problèmes majeurs avec le parti au pouvoir. Quand il y a un souci, on le met sur la table. Dans les prochains jours, on va entamer des négociations pour la nomination de cadres aux postes clés. Ça va changer les choses. Nous ne proposerons pas que nos militants, mais aussi des personnes issues d’autres partis politiques. Pensez-vous que le ralliement de l’UFC a finalement été accepté ? Au départ, certains n’en voulaient pas. Mais, maintenant que l’accord est signé, les gens attendent des résultats : ils veulent une amélioration de
« Je n’ai rien décidé seul. Le parti a été consulté. Des chefs d’État de la sous-région aussi. »
Votre parti, l’UFC, vous a-t-il donné son feu vert ? Je n’ai rien signé tout seul. J’ai consulté les quarante fédérations de l’UFC. Et 82 % d’entre elles m’ont non seulement donné leur feu vert, mais
leurs conditions de vie. Ils veulent que des routes soient construites et que les finances publiques soient mieux gérées. Faure Gnassingbé a déclaré que vous étiez appelé à jouer un grand rôle. Lequel ? Nul autre que celui de conseiller spécial, que j’ai aujourd’hui ! Je donne mon point de vue sur les grands problèmes, quand le président veut bien
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 39 BIO EXPRESS
1936 Naissance à Lomé 1959 Entre à la London School of Economics 1963 Assassinat de son père, Sylvanus Olympio 1967 Crée le Mouvement togolais pour la démocratie 1991 Retour au Togo après vingt-cinq ans d’exil 1992 Crée l’Union des forces de changement. La même année, il est visé par un attentat à Soudou Mai 2010 Signe un accord avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir)
VINCENT FOURNIER/J.A.
devant la Commission Vérité, Justice et Réconciliation ? Non. Le moment n’est pas encore venu.
me consulter. Laissons les postes stratégiques aux jeunes qui montent. Cela signif ie-t-il que vous avez renoncé à accéder à la présidence du Togo ? En politique, on ne renonce à rien. Tout dépend des circonstances. Cela dit, je ne me sens pas indispensable. L’accord que vous avez conclu avec le gouvernement a conduit à la scission de l’UFC. Tout cela vous a fragilisé… Je récuse le mot scission. Des gens ont quitté notre parti pour des raisons idéologiques et personnelles. Ces genslà ne représentent pas l’épine dorsale de l’UFC. Quelles relations entretenez-vous avec vos anciens camarades qui ont
fondé en octobre 2010, avec JeanPierre Fabre, l’Alliance nationale pour le changement (ANC) ? Je leur avais demandé ce qu’ils proposaient pour sortir le Togo de la crise. Fallait-il continuer à nous opposer de manière frontale alors que nous n’avons jamais été en position de force ? Car en dépit de notre force sur le terrain, nous ne sommes pas représentés au sein des institutions… Mais ils n’ont rien proposé de crédible. Avez-vous le sentiment que JeanPierre Fabre vous a trahi ? Je le connais depuis longtemps. C’est un homme travailleur. Mais il a ses faiblesses. Il devrait garder à l’esprit qu’en politique il faut avoir de la patience et de la tolérance. Avez-vous fait votre déposition
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Le moment n’est pas venu de faire la lumière sur l’assassinat de votre père ? Non. Peut-être le premier président de ce pays est-il plus utile mort et enterré au Bénin qu’au Togo… Nous devons être très prudents. En ce moment, nous essayons de réconcilier le Nord avec le Sud, et le Sud avec lui-même. J’ai dit à Mgr Barrigah, qui dirige la commission, que nous pouvions honorer le président Olympio de diverses manières. L’important n’est pas d’aller exhumer sa dépouille au Bénin pour la ramener au Togo. Pour l’instant, nous essayons de susciter un grand pardon. Même si pardon ne signifie pas oubli… Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de trahir sa mémoire ? Sylvanus Olympio a toujours voulu le bien de son pays. S’il était vivant aujourd’hui, il comprendrait notre démarche. Nous avons expérimenté la confrontation, organisé des grèves générales qui ont duré neuf mois, des villes mortes, etc. Ce fut un échec. Il faut le reconnaître et nous adapter. Ceux qui estiment que c’est cela trahir la mémoire du premier président n’y comprennent rien. ■ Propos recueillis par GEORGES DOUGUELI
PATRICK ROBERT
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DJIBOUTI Le vrai Guelleh
Il avait dit non, puis a fini par « céder ». Le 8 avril, le chef de lʼÉtat sera candidat à sa propre succession. Et cette fois, jure-t-il, ce sera la dernière. Portrait.
FRANÇOIS SOUDAN, envoyé spécial à Djibouti
I
smaïl Omar Guelleh, 63 ans, est un homme fidèle à… Jeune Afrique. C’est à J.A., en février 2008, qu’il a annoncé, au détour d’une interview, son souhait de ne pas se représenter à l’élection présidentielle du 8 avril 2011. C’est à J.A., en mai 2010, qu’il a expliqué les raisons pour lesquelles il avait en définitive changé d’avis et fait pour cela modifier la Constitution par
le Parlement. Et c’est à J.A. que le candidat à sa propre succession assure, lors d’un entretien recueilli ce 9 mars dans sa résidence de Djibouti, que son prochain mandat de cinq ans sera le dernier. « Oui, absolument : il me restera soixante mois, pas un de plus. Quand je vous ai déclaré, il y a trois ans, que j’avais l’intention d’arrêter, j’étais sincère. Mais vous n’imaginez pas à quel
point les Djiboutiens m’ont harcelé pour que je revienne sur cette décision : “Où est la relève? Qui peut vous remplacer? Qu’allons-nous faire des chantiers que vous avez initiés ? Vous n’avez pas le droit de nous laisser tomber !” Alors j’ai cédé. J’ai dit d’accord, mais à condition que mon mandat soit réduit à cinq ans. Après, je partirai. » Cette explication vaut ce qu’elle vaut et nul doute qu’elle ne convaincra pas une opposition qui, faute de s’entendre sur un leader
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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 41 ÉCLAIRAGE
Âge 63 ans Au pouvoir Depuis onze ans et onze mois Vie familiale Époux de Kadra Mahamoud Haid, père de quatre enfants (deux garçons et deux filles) Loisirs Lecture (histoire, biographies), natation, séries TV américaines Dernier livre lu Phares, de Jacques Attali (éd. Fayard) Vacances À la station climatique du Day (Djibouti), à l’île Maurice, à Dubaï Langues (lues et parlées) Arabe, français, anglais, somali, amharique Biens immobiliers Une résidence à Djibouti-ville, un appartement à Paris (acquis il y a douze ans sur crédit bancaire, en cours de remboursement) Dans le bureau présidentiel, fin 2010.
au pouvoir, un ambitieux programme dont le but est d’extirper ce petit pays de 850 000 habitants de la gangue de la pauvreté. Développement de la géothermie, création de hubs portuaires desservant l’Éthiopie à Djibouti et à Tadjourah, mise en place d’une plateforme de télécommunications transcontinentales (les cinq câbles sous-marins reliant l’Asie à l’Europe transitent par les eaux territoriales djiboutiennes), pérennité des rentes que procurent les bases militaires française, américaine et japonaise : c’est sur cette chaise à quatre pieds qu’est assis l’avenir, longtemps improbable, de Djibouti. Et c’est cette économie de services qu’Ismaïl Omar Guelleh entend installer au cours des cinq prochaines années. « Notre problème est existentiel, dit-il. Trentequatre ans après, l’indépendance de Djibouti est encore perçue comme une
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MI-IRONIQUE, MI-INQUISITEUR
Impossible de disjoindre l’itinéraire de cet homme rond, courtois sans familiarité aucune, aux accès de colère maîtrisés et au regard intense, mi-ironique, mi-inquisiteur, de l’histoire contemporaine du dernier confetti africain de l’empire colonial français. Son grandpère, Guelleh Ahmed « Batal », important notable de la communauté issa, fut l’un des cosignataires des traités additifs signés avec la France en 1914. Son père, Omar Guelleh, premier instituteur indigène de la colonie, fut tour à tour fonctionnaire au gouvernorat, pointeur sur les quais du port du Havre, puis cheminot le long de la voie ferrée franco-éthiopienne achevée en 1917. C’est d’ailleurs à l’ombre de la gare de Diré Daoua, en Éthiopie, où la Compagnie du chemin de fer avait affecté son père, qu’est né Ismaïl Omar Guelleh, le 27 novembre 1947. La famille Guelleh, qui regagnera Djibouti en 1960, est politisée, pro-indépendantiste et tout entière acquise à l’une des principales figures politiques de la colonie: le député Hassan Gouled Aptidon. Une légende, qui perdure encore aujourd’hui, veut que Gouled soit l’oncle d’IOG : « C’est inexact, précise ce dernier, nous sommes issus du même clan issa, mais je ne suis pas son neveu. Nous ne sommes pas de la même famille. » Ce qui n’empêche pas l’allégeance. Si Ismaïl Omar Guelleh se reconnaît en effet un mentor, c’est bien cet ancien berger devenu le premier président de la République de Djibouti, qu’il servira fidèlement pendant deux décennies et à qui il succédera au pouvoir. En ce début des années 1960, le jeune IOG confectionne la nuit des banderoles appelant à l’indépendance et fréquente le lycée Charles-de-Foucauld. Mais, lorsque son père prend sa retraite, en 1964, il doit interrompre ses études pour compléter les modestes revenus de la famille. Son frère aîné, Idriss, est totalement immergé dans la politique, et l’on compte sur lui. Dans une certaine mesure, Ismaïl Omar Guelleh est donc un autodidacte contraint, qui ne
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et pleine de défiance concernant les conditions d’un scrutin démocratique, a choisi de boycotter toutes les élections depuis six ans et de surfer sur la vague des révolutions arabes. Le 18 février, en plein cœur de Djibouti-ville, une manifestation d’étudiants et de lycéens a ainsi dégénéré en affrontement avec la police, faisant deux morts. Même si les opposants au régime ne sont pas parvenus depuis à renouveler cette mobilisation, IOG (comme le surnomment ses partisans) a senti passer le vent de la contestation, d’autant qu’aux jeunes scolarisés s’étaient mêlés des centaines de chômeurs venus du quartier déshérité de Balbala. Des mesures sociales d’urgence ont été prises et le président a puisé dans ces événements – les premiers de cette ampleur depuis l’indépendance, en 1977 – une motivation supplémentaire pour achever,
Religion Musulman sunnite de rite chaféite
anomalie par ses voisins. Si nous voulons nous imposer, il nous faut acquérir une véritable identité nationale. La clé ne se trouve ni dans les discours à l’ONU, ni dans la protection qu’offre la présence de troupes étrangères, ni dans la politique politicienne. La clé, c’est le développement. »
ARCHIVES
42 AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Dans les années 1960, il est inscrit au lycée Charles-de-Foucauld. ▲ ▲ ▲
cessera de compenser cette fêlure intime par une boulimie de lectures et de savoir, un peu comme on prend sa revanche sur les aléas du destin. Figure de proue de l’Assemblée territoriale de la colonie, Hassan Gouled recommande son protégé au patron français de la Sûreté nationale. Le voici embauché au sein de la police djiboutienne, où il s’occupera du fichier central d’immigration. Une position délicate, parfois déchirante, quand Ismaël doit assister impuissant à l’arrestation de son frère Idriss, emprisonné pendant cinq ans sur ordre du vice-président du Conseil Ali Aref Bourhan, l’homme de Jacques Foccart, un Afar qui entretient un climat de psychose anti-Issas. En 1973, dans un contexte d’extrême tension intercommunautaire et de violences où l’armée française, qui assure un maintien de l’ordre meurtrier, a toute sa part, IOG
Omar Guelleh s’occupe tout d’abord des relations avec la frange de la communauté afar qui ne se reconnaît pas en Ali Aref. En l’occurrence celle d’Ahmed Dini, une très forte personnalité qu’IOG qualifie aujourd’hui encore de « nationaliste pur et dur, excellent orateur, intransigeant au point de refuser toute médaille française » et qui sera plus tard, jusqu’à sa mort en 2004, son adversaire le plus important. JOUR DE JOIE
adhère secrètement à la Ligue populaire africaine pour l’indépendance fondée par Hassan Gouled. L’année suivante, il est limogé de la Sûreté à la demande expresse d’Ali Aref, qui l’a depuis longtemps repéré. Un chapitre se referme, un autre s’ouvre, qui s’écrit encore aujourd’hui : la politique. Au sein d’un parti qui se veut résolument national et transethnique, Ismaïl
En 1977, IOG prend la tête du cabinet du président Aptidon.
À partir de 1976, après la mise à l’écart d’Aref, Ismaïl Omar Guelleh, devenu entre-temps le bras droit de Hassan Gouled Aptidon, participe à toutes les négociations ouvrant enfin la voie à l’indépendance – laquelle est proclamée le 27 juin 1977. « Ce fut un jour de joie, dit-il, mais aussi de gravité. Nous devions absolument éviter que cela apparaisse comme la victoire d’une communauté sur une autre. Et nous savions que ni l’Éthiopie ni la Somalie n’étaient prêtes à accepter notre existence. » Aussitôt nommé chef de cabinet du nouveau président, IOG est chargé de la sécurité, des renseignements et de la communication. Sur fond de guerre de l’Ogaden entre Mogadiscio et AddisAbeba, et alors que se multiplient les attentats, les enlèvements et les atta-
« Au début des années 1980, j’avais l’image du diable, mais j’assume. »
Avec un chef de tribu, dans la région d’Ali Sabieh.
ques de postes de gendarmerie, il ne va pas chômer. Pendant six ans, jusqu’au milieu des années 1980, Ismaïl Omar Guelleh assure seul le rôle du Père Fouettard. Face aux militants afars marxisants du Mouvement populaire de libération (MPL), entrés en rébellion armée, il ne lésine pas sur les moyens. Arrestations, bavures, tortures parfois, IOG « couvre » tout. « À cette époque, j’avais l’image du diable. J’étais coupable de tout car je devais à la fois défendre l’État en gestation et servir de paratonnerre au président. Cela dit, et puisqu’il faut le dire : j’assume. » À condition de préciser, ajoute-t-il, qu’il lui est plus d’une fois arrivé de combattre avec une égale détermination les haines claniques et les provocations émanant de son propre camp. Ainsi, lorsqu’en 1991 l’irrédentisme afar ressurgit sous la forme nettement plus structurée et redoutable du Front pour la restauration de l’unité
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Visite d’un centre de formation technique, en novembre dernier.
Contraint d’arrêter ses études, il développe une boulimie de lecture.
Dans les jardins de sa résidence.
et de la démocratie (Frud), lequel ne tarde pas à embraser le Nord sous la houlette d’un Ahmed Dini en rupture totale avec le pouvoir, Guelleh est, avec le Premier ministre Hamadou Barkat Gourad, un partisan rapide de la négociation. Il impose sa ligne au président Gouled face aux faucons, qui prônent la poursuite des combats, lesquels ont pour chef de file le directeur de cabinet du président, Ismaël Guedi Hared, entouré de quelques ministres. La volonté conciliatrice d’IOG ne gêne pas que les durs du régime, elle agace aussi les généraux français de la base de Djibouti, nostalgiques de l’époque Ali Aref, dont le jeu pour le moins trouble en faveur des rebelles du Frud vaudra à François Mitterrand cette petite phrase courroucée de Hassan Gouled : « Si la France a décidé de recoloniser Djibouti, il faut me le dire. » L’animosité de certains milieux militaires de l’ex-puissance coloniale ouvertement « afarophiles » à
l’encontre d’IOG sera directement à l’origine d’un épisode encore non éclairci qui aurait pu lui coûter la vie. En décembre 1994, quelques mois après la conclusion des premiers accords de paix avec le Frud, le chef de cabinet reçoit à la présidence une cassette vidéo postée à Marseille et saupoudrée de C4, un explosif puissant censé exploser à l’ouverture de l’emballage. Guelleh porte plainte. L’enquête conduira jusqu’aux grilles d’une caserne d’Aix-en-Provence, avant de se heurter au mur du silence de la Grande Muette.
ministre djiboutien de la Justice. IOG, dont on fera plus tard le commanditaire de ce que la justice française qualifiera d’assassinat, dément, bien sûr, toute implication : « Il était 6 h 30 ce matin-là, dit-il. Un Français, attaché
En décembre 1994, il reçoit une cassette vidéo piégée, postée depuis Marseille.
DAUPHIN QUASI DÉSIGNÉ
Moins d’un an plus tard, le 18 octobre 1995, survient une affaire qui n’a cessé, depuis, de peser sur ses relations avec Paris: la mort du Français Bernard Borrel, conseiller technique auprès du
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de presse à la présidence, accompagné du conseiller juridique du chef de l’État, est venu me voir chez moi pour me dire que Borrel avait disparu. J’ai cru à un enlèvement et j’ai mis en alerte la police des frontières de Loyada, point de passage avec la Somalie. Le lendemain, son corps calciné était retrouvé. Les Français ont alors pris en main l’enquête de A à Z. Je n’avais jamais rencontré
PHOTOGRAPHIES : PATRICK ROBERT
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M. Borrel. Je connaissais vaguement son existence. J’étais très loin d’imaginer que cette tragique histoire allait empoisonner ma vie. » Pourtant, avant de rebondir au début des années 2000, l’affaire Borrel ne fait guère de vagues. L’heure est à la succession d’un Hassan Gouled Aptidon fatigué et longuement hospitalisé à Paris au début de l’année 1996. Dauphin quasi désigné, IOG est en butte à l’hostilité farouche d’Ismaël Guedi Hared, qui revendique le poste. Une bataille s’engage pour le contrôle du parti, remportée d’autant plus aisément par Guelleh que le vieux Gouled pèse en sa faveur. En février 1999, ce dernier annonce qu’il ne se représentera pas à la présidentielle d’avril et qu’il apporte tout son soutien au candidat de son choix, Ismaïl Omar Guelleh. L’élection du 9 avril est dès lors une formalité : avec 74 % des voix face à Moussa Ahmed Idriss, un proche d’Ahmed Dini, IOG devient le deuxième président de la République djiboutienne. MOTIFS PERSONNELS
L’Histoire, désormais, s’écrit au présent. Réélu en 2005, à l’issue d’un scrutin où il est seul face aux urnes, Ismaïl Omar Guelleh semble depuis à la recherche désespérée d’une opposition modérée et conviviale. Or, celle-là est à la fois radicale (la stratégie du boycott) et intransigeante. Dans ce petit pays où tout le monde se connaît, la majorité des opposants d’envergure de 2011 ont à un moment ou à un autre collaboré avec le chef de l’État. Guedi Hared fut son collègue avant 1997, Aden Robleh Awaleh, son conseiller et l’un de ses députés de 2003 à 2009, l’homme d’affaires Abdourahmane Boreh, son consultant financier et le patron du port et de la zone franche. Seuls Daher Ahmed Farah, qui vit à Bruxelles, et le septuagénaire Jean-Paul Noël Abdi, de la Ligue djiboutienne des droits de l’homme, échappent peu au prou à cette grille de lecture. Mais tous relèvent beaucoup plus d’une opposition fondée sur des motifs personnels que sur des divergences idéologiques ou programmatiques. Et aucun ne dispose d’un parti digne de ce nom pour une raison simple: à Djibouti, où la mentalité d’assisté fait encore des ravages, il ne viendrait à l’idée d’aucun militant (ou presque) de payer ses cotisations – pas même à ceux du Rassemblement popu-
C’est chez lui que le président reçoit les doléances des anciens (ici en novembre 2010).
laire pour le progrès (RPP, au pouvoir), pour qui la somme exigée est pourtant symbolique : 100 francs djiboutiens (0,40 euro). « Ici, tout le monde dépend de l’État ou en attend quelque chose, soupire le président, y compris le secteur privé, qui vit des marchés de l’État. Les opposants ont le même état d’esprit : ils ne cherchent ni à s’implanter ni à se structurer. Ils veulent l’alternance immédiate sur un plateau. » Quand on lui fait observer qu’il serait souhaitable que l’opposition, qui a tout de même rassemblé 37 % des voix lors des dernières législatives auxquelles elle a participé (en janvier 2003), soit représentée au Parle-
Il a une conscience aiguë de la fragilité d’un État à peine nation et un fort désir de le protéger. ment, Ismaïl Omar Guelleh répond qu’il réfléchit à insuffler une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin, mais ajoute aussitôt : « Pensez-vous que ce soit là l’essentiel ? » Manifestement, ce type de questions l’ennuie, alors qu’il se montre intarissable sur les chantiers de son prochain quinquennat : le port de Tadjourah, l’électrification du chemin de fer Djibouti-Addis, une usine de dessalement de l’eau de mer avec Veolia, un parc d’éoliennes avec Alstom, 30 000 logements sociaux et des chantiers navals à Djibouti-ville, une cimenterie, une verrerie… « Inch’Allah, nous y arriverons. Petit pays, grandes espérances. » Grande fragilité aussi. On sent chez cet homme une sorte d’angoisse, une conscience aiguë de la
vulnérabilité de son État à peine nation, en même temps qu’un fort désir de le protéger face à des voisins incommodes. Si les relations avec l’Éthiopie sont bonnes, elles sont en effet complexes avec le Somaliland et franchement exécrables avec l’Érythrée, auquel l’oppose un vif conflit frontalier. « Le président Issayas Afewerki ne supporte pas que nos rapports avec le gouvernement d’Addis-Abeba soient fluides », explique Ismaïl Omar Guelleh, qui n’a plus aucun contact avec son homologue érythréen depuis près de trois ans. En dépit de la médiation du Qatar, rien n’indique qu’une normalisation soit en vue… SANS OSTENTATION
Avant de rejoindre son escorte pour l’une de ces tournées en brousse qu’il affectionne, ponctuée de longues palabres sous un arbre avec les nomades, IOG parle de sa famille. Ici, assuret-il, pas l’ombre d’un syndrome Ben Ali ou Moubarak, avec son cortège de népotisme ravageur. Son épouse, Kadra, issue de la communauté issak, lui apporte ce qui fait l’une de ses forces : l’électorat féminin. Son fils aîné, Liban, importe des climatiseurs, et le cadet est étudiant en relations internationales à Paris. Quant aux filles, l’une est entrepreneuse privée, alors que la plus jeune, Haibado, formée en France et aux États-Unis, conseille son père – sans en avoir le titre – dans les domaines de l’économie et de la communication. « Nous sommes une famille discrète, conclut-il, je sais d’où je viens. » Dans un pays où le combat pour la survie est, sur bien des plans, un défi quotidien, l’ostentation serait il est vrai pire qu’une faute politique : un crime. ■
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PATRICK ROBERT
44 AFRIQUE SUBSAHARIENNE
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La carte Vital En reconduisant le général Camille Vital à la primature, le 16 mars, le président de la transition a réaffirmé quʼil était bien aux commandes. Et que sans lʼarmée, il nʼétait rien.
I
l est petit, massif, du genre ferme et direct, et pas plus à l’aise dans ses interventions publiques que dans ses costards. Camille Vital, fils d’administrateur colonial venu du sud lointain, est l’exact contraire du président de la transition, Andry Rajoelina, l’ancien DJ qui sait parler au peuple, le bourgeois des hauts plateaux né avec une cuillère d’argent dans la bouche. On l’imagine mal derrière des platines, un samedi soir enfiévré dans une boîte de la capitale, entouré des plus belles de ces dames. Sa place à lui, c’est au mess des officiers. Là où l’on ne parle pas pour ne rien dire. Aujourd’hui, Vital et Rajoelina ne se quittent plus. Quinze mois après sa nom i nat ion sur pr ise au poste de Premier ministre, en décembre 2009, le colonel, devenu entre-temps général, est toujours là. Le 16 mars, Andry Rajoelina l’a reconduit à son poste. Cinq jours plus tôt, Vital avait démissionné à la suite de la signature par la plupart des mouvances politiques de la feuille de route de sortie de crise élaborée par le médiateur de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), Leonardo Simao. Ces mouvances ont proposé sept noms au président de la transition, mais c’est Vital que Rajoelina a choisi, au risque de s’aliéner une partie de la communauté internationale et de donner du grain à moudre à l’opposition. Vital ne correspondrait
pas aux critères de la feuille de route, qui stipule que le Premier ministre ne doit pas être issu de la majorité présidentielle. Lui s’en défend: « Je ne suis ni politicien ni membre d’une quelconque formation politique. Je suis militaire et je ne serai pas candidat aux différentes élections à venir. » « AUCUNE AMBITION POLITIQUE »
C’est pour cela que Rajoelina lui fait confiance. « Il ne risque pas de lui faire de l’ombre, analyse un diplomate européen en poste à Antananarivo. Vital
Le 15 mars 2011, à Antananarivo.
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n’a aucune ambition politique. » Il n’a même aucun talent en la matière, il est le premier à le reconnaître : faible orateur, piètre visionnaire, c’est aussi « un technicien incompétent », affirme un de ses ministres. Mais c’est un homme de parole – un militaire, un vrai. Il faut dire que, sans Rajoelina, Vital serait peut-être toujours ce colonel en semi-retraite reconverti en obscur homme d’affaires qu’il était avant sa nomination. Qui connaissait, à l’époque, cet ingénieur en génie civil de 58 ans originaire de Tuléar, la capitale du Sud ? Pas grand monde. Malgré des formations en URSS et dans différentes écoles de guerre, Vital stagnait au grade de colonel quand des officiers plus jeunes étaient devenus généraux. Sous l’ère Ravalomanana, qu’il n’appréciait guère, il s’était lancé dans les affaires. Il avait monté une société de sécurité et de gardiennage et présidait la Chambre de commerce de Tuléar quand Rajoelina est venu le chercher. « Rajoelina lui a tout donné : il venait de nulle part, il est devenu général », explique un des six autres candidats à la primature. « Il lui restera fidèle jusqu’à la fin. » Mais la dépendance est réciproque. Si Rajoelina le garde, ce n’est pas seulement parce que Vital accepte volontiers de rester dans l’ombre. C’est aussi parce qu’il en a besoin pour sa survie. En 2010, Vital et les officiers de son gouvernement ont mis en échec deux tentatives de coups d’États fomentés par des frères d’armes. Ils ont également fait face avec succès aux multiples tentatives de déstabilisation et ont traité les opposants un peu trop gênants comme de simples troufions qui auraient dérapé : en les envoyant au trou – ce qui a eu le don de les calmer. Aujourd’hui, plus que jamais, le Premier ministre tient l’armée. Et l’armée est la base du régime de transition. ■ PRÉSIDENCE DE LA HAUTE AUTORITÉ DE LA TRANSITION DE MADAGASCAR
MADAGASCAR
RÉMI CARAYOL
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INTERVIEW
« Je ne me présenterai pas La durée de la transition, les prochaines élections, ses relations avec les Frères musulmans, la situation en Libye, le traité de paix avec Israël... Lʼun des acteurs clés de la nouvelle Égypte livre son analyse sans détour.
U
Propos recueillis par FAROUK HATTAB
n père grand avocat et opposant à Nasser. Des études de droit au Caire et à New York. Une maison de vacances dans le sud-ouest de la France. Un goût prononcé pour la musique classique… Mohamed elBaradei, 69 ans, marié et père de deux enfants, est un citoyen du monde. Mais en 2003, le jour où il a résisté aux Américains sur l’Irak, le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est devenu un homme politique. Prix Nobel de la paix 2005, il s’est attaqué à la forteresse Moubarak dès février 2010. Le mois dernier, à la chute du raïs, la place Al-Tahrir l’a ovationné. Aujourd’hui, les militaires au pouvoir veulent aller aux élections le plus vite possible. D’où le référendum du 19 mars. Mais Mohamed el-Baradei – comme Amr Moussa, d’ailleurs – n’est pas d’accord…
JEUNE AFRIQUE : Pourquoi avezvous voté non au référendum constitutionnel du 19 mars ? MOHAMED EL-BARADEI: Je pense, comme beaucoup, que l’ancienne Constitution s’est désintégrée avec Moubarak. Quand on passe d’une dictature de trente ans à la démocratie, il faut se débarrasser de l’ancienne Constitution. Essayer de la rapiécer n’est pas la bonne méthode. En l’état, celle-ci confère au président un pouvoir impérial, ne donne aucune réelle autorité au Parlement, ni ne garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’amender pour
permettre à davantage de personnes de concourir à la présidentielle est une question mineure. Si l’on réactive la Constitution actuelle, il risque d’y avoir des législatives biaisées. La plupart des gens qui ont fait cette révolution ne sont pas organisés en parti. De toute façon, il n’est toujours pas possible de créer un nouveau parti. Ces élections profiteront donc aux Frères musulmans, que je respecte, et à l’ancien régime, dont les membres sont d’ailleurs réfugiés dans les campagnes, où ils ont des ressources. Donc, il ne faut pas se précipiter… Tout à fait. Après trente ans, c’est normal si la transition dure un an ou trois ans. On a vu cela en Indonésie, en Afrique du Sud… Ce que je propose, c’est un Conseil présidentiel de trois personnes – deux civils et un militaire – et la mise en place d’un Comité national d’une cinquantaine de personnes représentatives. Dans notre cas, elles seraient choisies par le Conseil militaire suprême et discuteraient d’une nouvelle Constitution, d’un nouveau type de régime. Ensuite, ses décisions seraient soumises à référendum. Et d’ici un an ou un an et demi, il y aurait des législatives, et enfin une présidentielle. Ne plaidez-vous pas pour une transition plus longue pour vous faire mieux connaître en Égypte ? Non, cela n’a rien à voir avec des perspectives personnelles. Je ne cours pas derrière un poste. Ma priorité, c’est de m’assurer que le pays est sur
les bons rails. Que je sois candidat ou non est une question secondaire. Vous n’êtes pas encore sûr de vous présenter à la prochaine présidentielle ? J’ai dit que je me présenterai, et beaucoup de personnes me le deman-
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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 47
Mohamed el-Baradei
Au milieu des manifestants, le 28 janvier, au Caire.
dent pour mener la révolution à son terme. Mais j’ai aussi dit que je n’irai pas pour faire de la figuration. Il faut que le cadre démocratique soit pleinement instauré. La durée de la période de transition n’inf lue pas sur mon éventuelle candidature. Mais que je me présente ou non, je continuerai à
dire que l’on ne peut pas changer un régime de trente ans en six mois. Comptez-vous fonder un parti politique avec les manifestants de la place Al-Tahrir ? Oui, c’est une possibilité. Il faut une structure. Aujourd’hui, il y a beau-
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coup de bénévoles qui veulent changer ce pays. Et sans parti, on ne peut pas utiliser ces personnes. C’est très frustrant. Il y a deux mois, les Frères musulmans vous ont demandé de les représenter lors de certaines rencontres
KHALED EL FIQI/EPA/MAXPPP
pour faire de la figuration »
avec l’ancien régime. Quelle est votre relation avec eux aujourd’hui ? Quand je suis rentré en Égypte il y a quinze mois, j’ai établi un programme en sept points pour la démocratie, et les Frères musulmans l’ont soutenu. Malgré les intimidations, un million de personnes ont signé cet appel. Des gens ont alors vu leur famille menacée, d’autres ont perdu leur emploi. J’étais presque radioactif ! Pour en revenir aux Frères musulmans, eux et moi avons des visions idéologiques différentes, mais nous avons lutté ensemble pour la démocratie. À présent, je veux travailler en coordination avec eux. Mais pour l’instant, ils préfèrent amender l’ancienne Constitution. Nous pouvons être d’accord sur certaines choses, en désaccord sur d’autres, comme avec tout autre parti politique. Les Frères musulmans peuvent-ils constituer une menace islamiste pour votre pays ? Non. C’est un groupe religieux conservateur, mais ils ne sont ni violents ni corrompus, d’où leur popularité. Tant qu’ils soutiennent une Constitution qui garantit à chacun les mêmes droits et les mêmes devoirs, qu’il soit musulman, chrétien copte ou juif, c’est parfait. Mais comme ailleurs, il y a une ligne jaune : n’établir ni de parti fasciste ni d’État religieux. Tant que tout le monde respecte cette ligne jaune, chacun est libre d’exprimer son opinion. Pensez-vous qu’ils représentent 20 %, 30 % de l’opinion ? Oui, c’est à peu près cet ordre de grandeur. Mais cela dépendra de l’offre des autres partis, des sociaux-démocrates, des libéraux. Dans une compétition libre, je ne sais pas combien de voix ils rassembleront. À mon sens, les Égyptiens voudront un État moderne. Pensez-vous que les Frères musulmans et les nostalgiques du régime Moubarak laisseront un espace politique à d’autres candidats, comme vous et Amr Moussa par exemple ? Oui, il y a de la place. Si l’ancienne Constitution est maintenue et s’il n’y a pas de nouveau parti, ce sera moins vrai au Parlement. Mais les règles du jeu seront différentes pour la présidentielle. Et les Frères musulmans ne pensent pas présenter de candidat. Le nouveau Premier ministre, Essam Charaf, pourrait-il être le candidat
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Avec Saad al-Katatni, membre des Frères musulmans, le 5 juin 2010, au Caire.
de l’ancien régime ? Non, c’est un homme de la révolution. Il est le choix des manifestants de la place Al-Tahrir. Pourrait-il se présenter en son nom, avec un nouveau parti ? Oui, il en a le droit, comme tout le monde. Pensez-vous que l’ancien régime présentera un candidat ? Je ne pense pas qu’il ait une chance au niveau national. Seule une petite minorité voudra encore voter pour lui. Il laisse un pays où 40 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et qui compte 27 % d’analphabètes, sans oublier les tensions entre musulmans et coptes.
décennies. On a travaillé ensemble au ministère des Affaires étrangères. Nous avons des avis communs, d’autres divergents. Nous présenterons nos idées et les gens décideront. Que pensez-vous de son bilan à la Ligue arabe ? La Ligue arabe, c’est un groupe d’États incapables de s’entendre sur la moindre chose. C’est presque une farce. Elle reflète l’état actuel du monde arabe, et ce n’est pas la faute d’Amr Moussa. Si vous vous présentez à la présidentielle, votre expérience à la tête de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sera-t-elle utile ? Oui. Bien sûr, diriger un pays et une agence internationale, c’est différent. Travailler avec 150 pays qui ne s’entendent sur rien, c’est même plus compliqué. Mais une grande partie de mon travail consistait à faire converger des opinions opposées et à trouver des compromis. J’ai appris à identifier les points forts de chacun et à diriger une équipe. En Égypte, justement, nous n’avons jamais appris à travailler en équipe. Je peux apporter cela.
« Les dirigeants libyens peuvent gagner une bataille, mais pas la guerre. » Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, sera-t-il le candidat de l’ancien régime ou de la révolution? [Sourire]. Beaucoup l’accusent d’avoir travaillé avec les anciennes autorités. Il le reconnaît, mais dit avoir été souvent en désaccord avec elles. C’est un de mes amis, et un collègue depuis des
Lorsque vous travailliez à l’AIEA, les pays occidentaux vous reprochaient de n’être pas assez ferme avec l’Iran.
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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 49 [Ton agacé]. À la fin du mois, je publie un livre, traduit pour l’instant en dix langues, qui répond à cette question. Il ne s’agissait pas d’être dur avec qui que ce soit, mais de faire mon travail de fonctionnaire international. Vous trouverez tous les détails dans ce livre. Certains estiment que la révolution pourrait finir en coup d’État militaire. Qu’en pensez-vous ? Je ne le pense pas. J’ai discuté avec le Conseil militaire suprême et je crains plutôt l’inverse. Ils veulent mener une transition rapide, mais il ne faut pas qu’ils se précipitent. Pensez-vous que le maréchal Tantawi est sincère dans sa démarche ? Oui, je pense qu’il est honnête, mais c’est un militaire. Il n’est pas préparé à diriger un pays. Nous avons discuté de ma vision des choses. Sur la gestion des périodes de transition démocratique, je reçois aussi les conseils de beaucoup de dirigeants étrangers que j’ai connus à l’AIEA. Le président de la Slovénie, celui des Maldives, le Premier ministre grec. Ils ont connu cela, et ils m’aident beaucoup. Hillary Clinton, Catherine Ashton… Tout le monde vient au Caire en ce moment pour nous aider à mener cette transition à bien. Si nous y parvenons, nous pourrons être un modèle et aider les pays arabes à évoluer sans imploser. Nous pourrons même être un modèle pour l’Afrique subsaharienne, comme me l’a dit Kofi Annan. Avez-vous rencontré le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, lors de son passage au Caire ? Non, il n’a pas demandé à me voir, mais je le connais. Nous nous sommes rencontrés au Cameroun [lors d’un colloque à Yaoundé, en mai 2010, NDLR]. Quelles sont les différences entre les révolutions tunisienne et égyptienne ? La Tunisie était une cocotte-minute qui avait atteint une température telle qu’elle ne pouvait qu’exploser. Et il s’est passé la même chose ici. Dans les deux cas, c’est la classe moyenne qui s’est mobilisée pour les libertés politiques et sociales. Maintenant, on affronte les mêmes défis : que faire des gens de l’ancien régime ? Comment aborder la Constitution ? Je sais que les Tunisiens préparent une
Assemblée constituante. Leur révolution a influencé psychologiquement les Égyptiens, qui étaient désespérés. Ils ont ressenti ce que disait Barack Obama : « Yes we can! » Pourquoi ce mouvement est-il parti de Tunisie ? Leur niveau de vie et d’éducation est meilleur. Et puis Ben Ali était pire que Moubarak. Ça aurait pu commencer chez nous, mais nous sommes reconnaissants aux Tunisiens de nous avoir montré que c’était possible. Les deux plus beaux moments de ma vie, ce fut quand j’ai appris par hasard à la télévision que j’avais reçu le prix Nobel de la paix et quand le vice-président Omar Souleimane a annoncé que Moubarak quittait le pouvoir. J’en ai pleuré.
Je lui recommande de suivre la décision française. Dans quels autres pays vous attendez-vous à un soulèvement ? Je ne peux pas prédire l’avenir. Mon conseil aux leaders arabes, c’est d’écouter le peuple et d’agir avant que la situation ne leur explose au visage. Vous dites que l’Égypte doit retrouver sa fierté d’être une nation arabe. Pensez-vous qu’elle n’a pas été assez ferme avec Israël ? Il y a l’accord de paix entre l’Égypte et Israël, qui est d’ailleurs plutôt une « paix froide ». L’Égypte ne peut pas être en paix avec Israël si aucun des pays de la région ne l’est. Il faut que le problème
« Nous pourrons même être un modèle pour l’Afrique subsaharienne. »
Aprè s la T u n i sie et l’Égypte, la Libye s’est soulevée. Qui des insurgés ou du régime de Kaddafi gagnera la guerre ? Je pense que le peuple gagnera, c’est un tsunami. Les dirigeants libyens peuvent gagner une bataille, mais pas la guerre. Toute cette violence, ce n’est pas une guerre civile. C’est un régime autoritaire qui essaie de se débarrasser du peuple. L’ONU a fait sienne, en 2005, la « responsabilité de protéger » les populations devant les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Il faut activer ce principe. Et en Iran? Pensez-vous que la République islamique soit menacée ? Il y a des dissidents et des manifestations, mais je ne pense pas que le régime soit menacé dans l’immédiat. Avez-vous été surpris que Nicolas Sarkozy reconnaisse le Conseil national de transition libyen ? Oui, et j’en suis content. C’est un acte courageux. Je suis souvent en désaccord avec lui, mais là je soutiens vigoureusement sa décision. Pourquoi Barack Obama est-il plus prudent ? Il a sûrement de nombreuses raisons nationales. Il craint probablement de s’impliquer militairement dans un autre pays. C’est pourquoi il faut mener une action internationale.
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palestinien soit résolu par la création d’un État indépendant. Israël ne peut pas continuer à occuper toujours plus de terres palestiniennes. Le monde arabe doit répondre à ce sentiment d’humiliation, à cette colère. Il faut un « ménage à trois » [en français dans l’entretien]. Désormais, les paramètres de la solution sont connus. Moubarak a-t-il été trop faible avec Israël ? Je ne connais pas les détails de sa gestion du dossier. L’Égypte n’avait pas assez d’influence sur un monde arabe divisé. Il faut aussi le soutien des Européens et des Américains. Actuellement, il y a une paix entre les gouvernements égyptien et israélien, mais pas entre les peuples. Or c’est nécessaire pour que cela soit durable. L’Égypte doit-elle nouer de nouvelles relations avec le Hamas ? Oui, on ne peut pas ignorer un million et demi de personnes. Il faudra revoir l’accès des Gazaouis aux soins et à la nourriture en Égypte. Le monde entier devrait avoir honte de cette situation. On ne peut pas punir des civils collectivement, même si l’on n’aime pas leurs dirigeants. Au temps des sanctions contre Saddam Hussein, on avait déjà commis cette injustice envers le peuple irakien. ■
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À lʼépreuve du printemps arabe Désarçonné par le sursaut démocratique de ses voisins, lʼÉtat hébreu redoute autant une poussée islamiste quʼun isolement régional. Pendant ce temps, la rue palestinienne appelle le Fatah et le Hamas à la réconciliation.
«
I
sraël n’a pas de politique étrangère », affirmait Henry Kissinger, l’incontournable messager de la diplomatie américaine au temps de la guerre froide. Cette déclaration retrouve aujourd’hui toute son acuité face au vent de révolte qui, depuis trois mois, balaie une grande partie du monde arabe. La vague démocratique se propage, fulgurante et irrépressible. Elle a déjà sonné le glas des régimes autoritaires tunisien et égyptien, que l’on croyait pourtant solidement implantés. Les observateurs ont été surpris, tant ils sont peu habitués à voir les peuples du Moyen-Orient et du Maghreb prendre leur destin en main, prêts à l’ultime sacrifice au nom de cette liberté que leurs aînés ont à peine effleurée dans l’ivresse des indépendances. Cette mutation bouleverse tous les schémas de la région, et condamne
Israël à revoir ses sempiternels paradigmes sécuritaires et politiques. Sa rhétorique aussi, celle d’un pays fier de se présenter, depuis des décennies, comme « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Menacés de perdre ce monopole et incapables de prédire à quoi aboutiront ces révolutions arabes, les responsables israéliens se montrent prudents. « Plus les fondements de la démocratie sont solides, plus ceux de la paix le sont aussi, a rappelé le Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Nous voulons voir une floraison de la liberté dans le monde arabe, pas des dictatures qui foulent aux pieds les droits de l’homme, freinent les réformes démocratiques et constituent une menace pour la paix. » Le printemps arabe est pourtant loin d’enthousiasmer l’État juif, dont il a ravivé les peurs et les angoisses instinctives, la crainte d’être isolé pour
toujours, voire celle de disparaître, ce que d’aucuns identifient comme le syndrome de l’encerclement. Une perception clairement apparue au travers des récentes révélations de WikiLeaks, dont les câbles secrets dépeignent un leadership israélien pour le moins anxieux, observant avec inquiétude un environnement hostile et des alliés régionaux peu sûrs rendant l’avenir des plus incertains. La chute de Hosni Moubarak sonne, de ce point de vue, comme le douloureux rappel d’une réalité peu exaltante. Pour une large frange de l’opinion israélienne, le raïs égyptien était perçu comme un élément stabilisateur de la région. Certains l’ont même soutenu jusqu’au bout. « Il est irremplaçable », a regretté l’ancien ministre travailliste Benyamin Ben Eliezer, réputé proche de Moubarak. À l’évidence, sa disparition de la scène moyen-orientale porte un nouveau coup dur à la diplomatie israélienne, à peine remise de la perte de son allié turc, en juin dernier, conséquence de l’assaut mené contre une flottille humanitaire se dirigeant vers Gaza, le 31 mai 2010. Le dictateur égyptien était considéré comme un « rempart »
« PAX ECONOMICA » ? DEUX MILLIARDS DE DOLLARS. C’est le montant estimé des échanges entre Israël et le monde arabe en 2010 (hors Autorité palestinienne, qui importe chaque année à elle seule pour 2,5 milliards de dollars de marchandises israéliennes en moyenne). Les pays arabes restent un marché convoité par les Israéliens. « Ils commercent de façon déguisée ou par l’intermédiaire de tierces parties », explique Gil Feiler, directeur de la société d’analyse financière Info-Prod Research. Ce type de contournement permet de réaliser des transactions discrètes comme en Tunisie, où la loi interdit les importations en provenance de Tel-Aviv. L’an passé, 101 000 dollars de produits chimiques et de matériels de communication ont ainsi été livrés sur le sol tunisien, tandis que le régime de Ben Ali aurait acheminé une faible quantité de pétrole vers l’État hébreu. La facture: 2 millions de dollars. Avec le Maroc, les échanges sont légèrement plus soutenus. Les ventes à destination du royaume se sont élevées à 13,4 millions de dollars en 2010, pour 5,1 millions de dollars d’achats de vêtements et denrées alimentaires. S’agissant des pays du Golfe, les exportations
israéliennes les plus importantes sont réalisées avec les Émirats arabes unis : 11,4 millions de dollars. La donne pourrait néanmoins radicalement changer. « Si le monde arabe devient un espace démocratique, les affaires seront multipliées par dix, assure Gil Feiler. Les Arabes nous voient comme un peuple de génies, ils rêvent de relations normales avec nous. » La pax economica au Moyen-Orient ne serait donc plus une chimère. Depuis 2004, ce principe est déjà concrétisé en Égypte et en Jordanie via des zones industrielles qualifiantes (QIZ) où sont implantées des sociétés israéliennes. En contrepartie, leurs produits sont exonérés de taxes à l’exportation, notamment vers les États-Unis. À ce jour, avec des importations avoisinant 855 millions de dollars (+ 31 % par rapport à 2009), l’Égypte constitue un partenaire de premier ordre pour Israël. Principal intérêt de l’État hébreu : le gaz naturel, qui représente 40 % de ses besoins énergétiques. Avec la chute de Moubarak, d’autres projets pourraient renaître, comme celui d’un parc d’énergie solaire commun dans le désert du Sinaï. ■ M.P. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Check-point à la frontière israélo-égyptienne, le 10 février.
contre l’islamisme, mais aussi contre une nouvelle guerre israélo-arabe. Sous son règne, le traité de paix signé en 1979 par son prédécesseur, Anouar al-Sadate, a résisté à toutes les tensions régionales, deux Intifadas et deux conflits au Liban, qui n’avaient pas manqué, en leur temps, d’enflammer la rue égyptienne. Fatalement, la voie est désormais libre pour les Frères musulmans, dont l’ascension politique constitue la hantise de l’État hébreu. Appelée à jouer un rôle majeur dans l’après-Moubarak, la confrérie rêve de rompre le pacte stratégique israéloégyptien. « Nous reconnaissons le droit des Juifs, mais pas ceux d’Israël, qui est un État terroriste », déclarait, au début de février, à la chaîne Sky News, Mohamed Badie, le très conservateur chef du mouvement islamiste, censé représenter à lui seul un quart du corps électoral égyptien. ACCULÉ SUR TOUS LES FRONTS
Il n’en fallait guère plus pour agiter la plume des commentateurs israéliens, chacun y allant de son scénario du pire : vague d’attaques terroristes dans la péninsule du Sinaï, fermeture du canal de Suez et, surtout, résurgence de l’état de guerre sur le front sud, une situation à laquelle les généraux de Tsahal avouent eux-mêmes ne pas être préparés. « Si un régime hostile prend
le relais en Égypte, l’armée devra se restructurer et déployer des forces adéquates », précise un haut gradé, inquiet d’un éventuel face-à-face avec des forces égyptiennes équipées de pied en cap par les États-Unis. Prise au dépourvu, l’armée israélienne s’est vue octroyer une rallonge budgétaire de 200 millions de dollars (143 millions d’euros) pour renforcer son dispositif le long de la frontière égyptienne, là où, depuis novembre 2010, l’édification d’une barrière électronique se poursuit activement afin d’empêcher l’infiltration de réfugiés subsahariens. Cet alarmisme ambiant est néanmoins trompeur. Loin de se préparer à une énième guerre d’usure, l’état-major israélien a choisi d’envoyer un message fort en direction du Caire. Le mois dernier, deux divisions égyptiennes ont été autorisées à se positionner dans le secteur démilitarisé d’El-Arich, en proie à une insurrection bédouine. Mais, sur le plan sécuritaire, l’équation des révolutions arabes comporte d’autres inconnues pour l’État hébreu. Les regards se tournent vers la bande de Gaza, où le Hamas apparaît plus que jamais renforcé politiquement, à l’instar des Frères musulmans, dont il est une émanation. « Les peuples
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d’Égypte et de Tunisie nous ont ramenés à la vie », a admis Khaled Mechaal, figure de proue d’une organisation islamiste affaiblie depuis l’offensive israélienne de 2009. De quoi nourrir tous les espoirs d’antan : « La première étape [pour libérer Jérusalem de l’occupation] consiste à refuser de négocier avec Israël et à établir une position palestinienne nouvelle et unifiée, fondée sur la résistance [djihad] à l’État hébreu », conclut-il. Précisément, c’est un resserrement de l’axe Iran-Hamas
Merkel à Netanyahou : « Vous n’avez strictement rien fait pour faire avancer la paix. » que redoute le gouvernement Netanyahou, considérant Gaza comme une base arrière de Téhéran. En ligne de mire : le secteur frontalier de Rafah, dans le sud de l’enclave palestinienne, voie de transit pour les tunnels de contrebande d’armes. Jusqu’ici, les militaires égyptiens s’efforçaient tant bien quel mal de freiner ce trafic. Mais qu’en sera-til désormais ? Se pose aussi l’épineuse question du blocus de Gaza, facteur d’impopularité pour Moubarak, que les futures autorités du Caire chercheront au moins à alléger.
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52 MAGHREB & MOYEN-ORIENT Alors que la colère gronde toujours en Jordanie – ultime alliée d’Israël dans la région – et menace la pérennité du royaume hachémite, que le Liban glisse doucement entre les mains du Hezbollah chiite, l’État hébreu pourrait être acculé sur tous les fronts. Du mauvais côté de l’Histoire pendant la crise égyptienne, accusé par le président yéménite Ali Abdallah Saleh de déstabiliser son pays depuis « une salle d’opérations à Tel-Aviv », Israël se retrouve cette fois dos au mur. Contraint de reprendre l’initiative, Netanyahou s’apprêterait à formuler un plan de relance du processus de paix avec les Palestiniens, fondé sur une approche progressive et assorti de mesures sur le terrain. « Le Premier ministre a réalisé que l’impasse politique actuelle ne joue pas en faveur d’Israël, explique l’un de ses proches conseillers. Après plusieurs semaines de révolte dans le monde arabe, il est convaincu qu’il existe des opportunités, pas uniquement des menaces, et qu’il est important de tirer profit de cette situation. » LE CHEMIN DE DAMAS
Nul doute qu’Israël cherche aussi à briser son isolement croissant sur la scène internationale. À New York, le récent veto américain n’a pas fait illusion, comme en témoigne l’accrochage survenu entre Netanyahou et Angela Merkel au téléphone, que rapporte dans ses colonnes le quotidien Haaretz. Après le vote de l’Allemagne pour une résolution condamnant la colonisation, le Premier ministre israélien fit remarquer à la chancelière allemande qu’il était déçu par son attitude. Furieuse, Merkel lui aurait rétorqué : « C’est vous qui nous dépitez, vous n’avez pas effectué un seul pas pour faire avancer la paix. » Outre les Palestiniens, l’État hébreu pourrait être tenté de s’aventurer sur un autre dossier crucial: la Syrie. Le ministre de la Défense, Ehoud Barak, qui plaide pour une aide militaire américaine accrue – celle-ci s’élève déjà à 3 milliards de dollars par an – face aux « conséquences potentielles des révolutions arabes », dit avoir reçu plusieurs signaux en provenance de Damas. Conscient qu’Israël se doit d’effectuer un « geste audacieux », Barak verrait d’un bon œil un accord de paix avec le régime de Bachar al-Assad. C’est assurément à ce prix qu’une normalisation des relations avec le monde arabe sera possible. ■ MAXIME PEREZ, à Jérusalem
Quand les Palestiniens parlent dʼune seule voix DES DRAPEAUX PALESTINIENS SEULEMENT ! Telle était la consigne numéro un des organisateurs des manifestations du 15 mars. « Le peuple veut la fin de la division », ont scandé, à Ramallah, Naplouse, Hébron ou Gaza, des milliers de jeunes, anonymes ou membres d’une vingtaine de mouvements politiques ou citoyens. Depuis février, les Palestiniens sont descendus à plusieurs reprises dans la rue pour exiger la fin de la division du pays entre la Cisjordanie, gérée par le Fatah, et la bande de Gaza, sous contrôle du Hamas. Brandis côte à côte, les portraits de Yasser Arafat, cofondateur du Fatah, et de Cheikh Ahmed Yassine, leader du Hamas assassiné. Des représentants de partis, au drapeau jaune du Fatah ou vert du Hamas, ont bien tenté de récupérer la mobilisation – déclenchant des affrontements et des arrestations à Gaza –, mais le message d’unité n’a pas été dévoyé. Et un nouveau rendez-vous est fixé pour le 30 mars. Bien sûr, comme les Tunisiens, les Libyens ou les Yéménites, les Palestiniens aspirent à la démocratie. « Par notre pluralisme, nous sommes depuis longtemps des démocrates sans État », rappelle le jeune diplomate Majed Bamya. Mais, en refusant de reconnaître la victoire, pourtant transparente, du Hamas aux législatives de 2006, le monde a donné aux Palestiniens
une bien amère leçon… Aujourd’hui, le Hamas contrôle la bande de Gaza hors de tout cadre légal et le mandat de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a expiré en janvier 2009. Mais ce n’est pas cela qui les préoccupe le plus. MAHMOUD ABBAS À GAZA
« Notre problème à nous, c’est l’occupation. » Tel est le consensus à Ramallah. Pour Hassan Faraj, le représentant des jeunesses du Fatah dans la campagne populaire En finir avec la division, « la réconciliation est nécessaire, car c’est un raccourci vers la fin de l’occupation ». « Pour les Israéliens, notre division est une aussi grande victoire que la création
« La réconciliation est un raccourci vers la fin de l’occupation. » HASSAN FARAJ de leur État, en 1948 ! » complète Ali Hlayl, de l’Union démocratique palestinienne. Mais les tentatives de réconciliation, souvent menées sous l’égide de l’Égypte, n’ont pas abouti. Pressés par les révolutions dans la région et les exigences croissantes de la population, les deux partis ont lancé de nouvelles initiatives. Le Premier ministre, Salam Fayyad, a offert au Hamas d’intégrer un gouvernement d’union jusqu’aux élections de septembre 2011, tandis qu’Ismaïl Haniyeh,
INTERNET, INDISPENSABLE LIEN EN PALESTINE, le taux de connexion à internet atteint 32 %, selon Sabri Saidam, conseiller de l’Autorité palestinienne pour les nouvelles technologies : « Le Net est un outil indispensable aux Palestiniens pour transcender les barrières physiques qui leur sont imposées. » Gazaouis et Cisjordaniens restent par exemple en contact grâce à la vidéoconférence, dont les Palestiniens sont, selon Saidam, les plus grands utilisateurs au monde depuis 2002. Mais l’accès aux technologies Wimax ou 3G est interdit par le ministère israélien de la Défense. « En cette période révolutionnaire, le rôle des 600 000 inscrits palestiniens à Facebook est très important, poursuit le conseiller du président Abbas, d’autant que 200 000 d’entre eux y sont actifs pour la cause palestinienne. » C’est notamment sur ce réseau social qu’a circulé l’appel à manifester du 15 mars. ■ C.D. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Honneur aux leaders historiques, tous partis confondus, le 15 mars, à Ramallah.
le Premier ministre du gouvernement Hamas, a invité « le président [Mahmoud Abbas] à une rencontre immédiate à Gaza pour mettre en œuvre la réconciliation ». Celui-ci a accepté, sans toutefois fixer de date pour sa visite. L’ARME DE LA NON-VIOLENCE
Lassés, les Palestiniens s’investissent dans des initiatives de résistance pacifique. Iyad Burnat pilote le Comité populaire de Bil’in, un village qui manifeste chaque vendredi depuis six ans. « Maintenant, de plus en plus de personnes de tous bords s’intéressent à notre stratégie non violente. » Elle a porté ses fruits puisque la Cour suprême israélienne a ordonné le déplacement du mur de séparation qui traversait Bil’in. En ville, des citoyens inscrivent « Libérez la Palestine » sur des billets de banque israéliens, les shekels, qu’utilisent aussi les Palestiniens. « Comme ça, les Israéliens ne peuvent pas nous oublier », explique Nancy Sadeq, une animatrice de cette campagne. Après quelques jours, un distributeur donnait déjà des billets marqués, mais certaines banques les refusent. Une bataille juridique pourrait s’engager. Après l’échec de la lutte armée, tout le monde convient aujourd’hui que vingt ans de négociations n’ont pas non
plus donné de résultats. « Nous n’avons jamais eu d’arbitre honnête qui rappelle les règles, et notre adversaire, en réalité, ne veut pas jouer », analyse Husam Zomlot, de la Commission des relations internationales du Fatah, en écho au premier match officiel de l’équipe nationale palestinienne de football sur son sol – en Cisjordanie –, le 9 mars. La révélation par Al-Jazira de documents des négociateurs palestiniens montrant que ceux-ci semblaient prêts à d’importantes concessions sur Jérusalem et le retour des réfugiés a déclenché un scandale, poussant à la démission leur chef de file, Saeb Erekat. À l’Unité de soutien aux négociations, on s’apprête à mettre la clé sous la porte fin mars. De toute façon, il n’y a plus de négociations officielles depuis le refus israélien de prolonger le moratoire sur la colonisation, en septembre 2010. « Nous n’avons plus besoin de négocier, les paramètres sont connus, confie Issa Kassissieh, bras droit d’Erekat. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un accord. » À défaut, on évoque de plus en plus sérieusement des solutions radicales, comme un seul État binational, la dissolution de l’Autorité palestinienne ou la mise sous tutelle de l’ONU… « Ce sont des pistes que nous proposons pourtant depuis longtemps », rappelle l’universi-
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taire Samir Abou Eisheh, ancien ministre proche du Hamas dans le bref gouvernement d’union de 2007 et membre du Palestine Strategy Study Group. UN ÉTAT EN 2011 ?
L’année 2011 pourrait être un tournant. Selon son plan, Salam Fayyad devrait déclarer en août prochain un État palestinien. Si certains jeunes manifestent pour maintenir la pression, d’autres sont plus prudents. « Peut-être vaut-il mieux être patients, calcule Mahmoud, 24 ans, banquier à Ramallah. Les choses changent, et faire une révolution, pour nous, c’est risqué. D’autant que l’Autorité a de nombreux arrangements sécuritaires avec Israël. » Pour l’éditorialiste égyptien Hossam el-Hamalawy, la passivité du Caire pendant la seconde Intifada, en 2000, a accentué l’impopularité du régime Moubarak. En retour, les jeunes Palestiniens s’inspirent de l’utilisation du web et des méthodes non violentes de la récente révolution de leurs voisins. À Bil’in, en février, les manifestations du vendredi leur étaient dédiées. Reste à savoir si la nouvelle Égypte allégera le blocus de Gaza et aidera enfin la Palestine à faire aboutir sa propre révolution. ■ CONSTANCE DESLOIRE,
envoyée spéciale à Ramallah
MAXIME PEREZ
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54 MAGHREB & MOYEN-ORIENT TUNISIE
Que mijotait Ali Seriati ? dite. Deux jours plus tard, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis ordonnait l’ouverture d’une enquête judiciaire contre le général et ses adjoints pour « complot contre la sûreté intérieure de l’État », « actes d’agression » et « incitation à s’armer, à commettre des crimes et à provoquer le désordre sur le territoire tunisien ». Lors de sa première déposition devant le juge d’instruction, Seriati a livré une version qui se veut émouvante, destinée, selon toute vraisemblance, à le laver de tout soupçon de « complot ». « Ben Ali, a-t-il dit en substance, n’avait pas l’intention de fuir et devait rester au palais. Il a accompagné sa famille à l’aéroport sur l’insistance de son fils Mohamed Zine el-Abidine (6 ans), qui pleurait à chaudes larmes. Il est ensuite monté à bord de l’avion pour faire ses adieux à son épouse Leïla Trabelsi, à l’une de ses filles, Halima, et au fiancé de cette dernière, et pour consoler Mohamed. Finalement, il est resté à leurs côtés, disant qu’il allait les accompagner dans leur voyage et revenir à Tunis. » Même si la tendresse de Ben Ali pour son fils est de notoriété publique, on a de la peine à croire que celui qui était chef de l’État et commandant suprême des forces armées ait cédé au caprice d’un enfant et abandonné ses responsabilités, ne serait-ce que vingtquatre heures, alors que la révolte se généralisait dans l’ensemble du pays.
On en sait désormais un peu plus sur le rôle du « sécurocrate » de lʼancien régime dans la fuite du président déchu et dans les violences qui ont secoué le pays.
HICHEM
RÉUNION AVEC BELHAJ KACEM
Le général Ali Seriati, ancien chef de la garde présidentielle.
H
omme clé dans la fuite, le 14 janvier, de Zine elAbidine Ben Ali, dont il était le « sécurocrate », le général Ali Seriati roulait-il pour ce dernier ou pour lui-même ? La question se pose avec insistance depuis le départ aussi précipité que mystérieux du raïs déchu. Chef de la garde présidentielle, superviseur des forces
de sécurité intérieure (police, garde nationale, etc.), accusées d’avoir tiré à balles réelles sur les manifestants (le dernier bilan fait état de 300 morts et 700 blessés), Seriati a été arrêté par deux officiers de l’armée au moment où l’avion présidentiel décollait de la base militaire d’El-Aouina, mitoyenne de l’aéroport de Tunis-Carthage, pour se rendre à Djeddah, en Arabie saou-
Ridha Grira, alors ministre de la Défense, est l’homme qui a donné ce jour-là l’ordre d’arrêter Seriati. Dans un entretien à J.A., ce civil diplômé de l’École centrale de Paris, de Sciences-Po et de l’École nationale d’administration (ENA) pointe une série de signes et d’indices qui lui ont paru « suspects » dans les relations de Seriati avec l’armée durant les événements. Rappelons qu’aux termes de la loi les militaires ne sont censés intervenir que pour protéger les institutions de la République et les édifices publics afin de permettre aux forces de sécurité intérieure de se consacrer aux opérations de maintien de l’ordre.
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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 55 Troisième indice suspect : alors que Belhaj Kacem avait été remplacé la veille par Ahmed Friaa, les militaires informent leur ministre, dans la soirée du 13 janvier, vers 20 heures, que, dans certaines régions, des membres des forces de sécurité intérieure stockaient leurs armes dans les casernes de l’armée. Grira téléphone au Premier ministre Mohamed Ghannouchi et lui fait part de son inquiétude. « J’ai trouvé que c’était louche, dit-il, et j’ai e x pr i mé au P r e m ie r ministre mes craintes, car je redoutais un complot contre l’armée. J’ai donné des instructions pour que l’on arrête de recevoir ces armes et j’ai pris contact avec mon collègue de l’Intérieur à ce propos. Le lendemain matin, le 14 janvier, à 7 h 30, Ben Ali m’explique que l’opération est destinée à empêcher que ces armes ne tombent entre les mains des manifestants. Comme c’est le président qui le dit, j’ai donné l’ordre de reprendre la réception des armes. »
dire qu’un hélicoptère se dirige vers moi [au palais présidentiel, NDLR] avec à son bord des hommes encagoulés chargés de me tuer. » Grira lui répond que seule l’armée dispose d’hélicoptères, lesquels ne peuvent décoller que sur ordre écrit du ministre de la Défense et que lui-même n’en avait pas donné. Grira lui demande s’il a perdu confiance en l’armée. Non, lui répond Ben Ali, qui l’invite à vérifier quand même l’information sur l’hélicoptère.
« Qu’est-ce qui lui prend ? s’exclame Ben Ali. Il est en train de perdre les pédales ! »
HÉLICOPTÈRE FANTÔME
Le quatrième indice est encore plus mystérieux. C’était le 14 janvier, trois à quatre heures avant la fuite de Ben Ali. Dans la matinée, le raïs donne le feu vert à Grira pour autoriser l’armée, à la demande de Seriati, à ne plus s’en tenir au périmètre qui lui avait été assigné au niveau de la base d’El-Aouina, ce qui a permis aux blindés de se positionner dans les alentours du palais présidentiel de Carthage, surtout vers Le Kram, où une grande manifestation avait lieu. Entre 13 h 00 et 14 h 00, c’est un Ben Ali plutôt inquiet qui téléphone de nouveau au ministre de la Défense. « Si Ridha, lui dit-il, on vient de me
Ce qu’il fait auprès de l’état-major, avant de rappeler le chef de l’État pour lui confirmer ce qu’il lui avait dit. « Mais qu’est ce qui lui prend ? s’exclame alors Ben Ali, Seriati est en train de perdre les pédales… ! » Ce serait donc ce dernier qui aurait inventé ce « dangereux » hélicoptère, au moment où il semblait chercher par ailleurs à semer la panique pour convaincre le couple présidentiel de prendre la fuite. Au milieu de la matinée, plusieurs milliers de Tunisiens manifestent avenue Habib-Bourguiba devant le ministère de l’Intérieur aux cris de « Ben Ali dégage ! » Les brigades d’intervention de la police font alors usage de leurs armes pour les disperser. Le cinquième indice est une inconnue : qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants et de les violenter devant le ministère de l’Intérieur ? Plus tard, Friaa, qui n’est plus ministre depuis le 27 janvier, répondra à cette question sur la chaîne satellitaire Al-Arabiya par une pirouette, rappelant que,
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Le premier indice remonte au 9 janvier, soit plus de trois semaines après le déclenchement de la révolution populaire. Ben Ali informe Grira de sa décision de généraliser la coordination entre les ministères de l’Intérieur et de la Défense dans l’ensemble du pays pour faire face aux manifestations. Jusque-là, cette coordination se faisait par téléphone entre « techniciens ». Il lui demande de participer à une première réunion avec le ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem, et son staff. « Seriati était présent à cette réunion, note Grira, et j’ai été surpris et gêné de constater que c’était lui qui avait en main la coordination des opérations de maintien de l’ordre entre l’Intérieur et la Défense. Ce que j’ai redouté sur-le-champ, c’est qu’il puisse donner des ordres aux officiers de l’armée. En outre, il parlait d’utiliser de l’argent pour lutter contre les manifestations. J’ai immédiatement exprimé mon rejet de telles méthodes. Dès notre retour au ministère de la Défense, j’ai rappelé aux officiers supérieurs ce qu’ils savaient déjà, à savoir qu’ils n’avaient d’ordre à recevoir de personne, sauf du chef de l’État, commandant suprême des forces armées, et du ministre de la Défense. » Le deuxième indice suspect date du 13 janvier. « Seriati m’a téléphoné pour me dire ceci, se souvient Grira : “Si l’armée continue à traîner les pieds comme elle le fait, demain, il n’y aura plus personne au palais présidentiel.” » Que voulait-il dire par cette remarque ? « On peut le prendre du bon côté, répond Grira, mais on peut aussi en déduire qu’il voulait qu’on fasse usage de nos armes. Il ne pouvait pas le dire expressément, parce qu’il savait qu’il n’avait pas le droit de nous donner l’ordre de tirer. »
56 MAGHREB & MOYEN-ORIENT
CONVOQUÉS AU PALAIS
Sixième indice : Seriati s’est occupé du départ de Ben Ali de A à Z. Les militaires ont été tenus à distance, y compris les officiers de l’armée de l’air de la base d’El-Aouina, d’où a décollé, à 17 h 45, l’avion présidentiel. Aussitôt, les militaires et les gardes de Seriati se retrouvent face à face, alors que des membres des
Manifestation devant le ministère de l’Intérieur, le 14 janvier, à Tunis.
répondu qu’il était dans le petit salon d’honneur de la base. Je lui ai donné l’ordre de l’arrêter et de lui retirer son téléphone portable. » Le septième indice sera fatal, parce que c’est lui qui va permettre de vérifier la théorie du complot. En effet, peu après le décollage de l’avion présidentiel, Sami Sik Salem, l’un des adjoints de Seriati, convoquait d’urgence au palais de Carthage les trois piliers des institutions: le président de la Chambre des députés Fouad Mebazaa, celui de la Chambre des conseillers Abdallah Kallel et le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, ainsi que le général Ammar, qui se trouvait au ministère de l’Intérieur, qu’il ne quittera pas. Grira raconte qu’il avait appelé Ghannouchi « pour l’informer du départ de Ben A li et solliciter une entrevue pour lui parler de l’arrestation de Seriati. Ghannouchi savait que Ben Ali était parti. J’ai demandé au Premier ministre où il se trouvait. Il me répond qu’il est devant la porte d’entrée du palais présidentiel. Je crie qu’il ne faut surtout pas qu’il y entre avant que nous puissions le sécuriser, mais il est quand même entré, tout en restant avec moi au téléphone ». Les trois dignitaires, venus contre leur gré, sont accueillis comme des malfrats. L’un d’eux est même poussé dans le dos par le canon d’un fusil. On les place devant une
L’un des trois dignitaires est poussé dans le dos par le canon d’un fusil. clans Ben Ali et Trabelsi cherchaient en vain un vol pour prendre la fuite. Les officiers de l’armée, qui voulaient sécuriser ces civils pour les remettre à la justice, informent leur ministre qu’il y a un grand risque d’affrontement avec les hommes de Seriati, qui n’étaient plus dans leur rôle sur la base aérienne après le départ de Ben Ali. C’en était trop. La seule solution était de neutraliser leur chef. « J’ai appelé l’officier de l’armée de l’air, précise Grira, et je lui ai demandé où se trouvait Seriati. Il m’a
caméra de télévision, et Ghannouchi lit un bout de papier pour annoncer qu’il assure l’intérim de la présidence en raison de l’absence provisoire de Ben Ali, conformément à l’article 56 de la Constitution. Sik Salem expliquera plus tard devant le juge d’instruction que, n’ayant pas réussi à joindre Seriati au téléphone, il avait pris l’initiative de convoquer les trois responsables pour assurer la passation de pouvoir Pourquoi cette convocation par un adjoint du chef de la garde présidentielle pour assurer la continuité des institutions ? Sur l’ordre de qui a-t-il agi ? Il semble en tout cas acquis qu’il y avait un plan pour organiser la fuite de Ben Ali et une prise du pouvoir. Mais par qui ? La suite de l’instruction nous le dira. Une chose est sûre : ce plan a échoué grâce à l’arrestation de Seriati et à la vigilance de la population, qui, la nuit même, a exigé que l’intérim soit assuré par Mebazaa, aux termes de l’article 57 de la Constitution, pour rendre impossible tout retour de Ben Ali. Seriati roulait-il pour l’ex-raïs ou pour lui-même ? Dans la première hypothèse, son arrestation a privé Ben Ali de celui qui était disposé à provoquer un bain de sang pour lui permettre de revenir au pays et de reprendre le pouvoir. Dans la seconde hypothèse, Seriati s’est fourvoyé en pensant que l’armée allait le laisser s’emparer du pouvoir. Dans les deux hypothèses, la Tunisie l’a échappé belle. ■ ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis
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ONS ABID
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ce jour-là, Ben Ali avait chargé le général Rachid Ammar, chef d’étatmajor de l’armée de terre, de diriger les opérations. Mais ce n’est qu’à moitié vrai, car Ammar n’a pris la tête des opérations de coordination au ministère de l’Intérieur qu’après la répression de la manifestation de l’avenue Bourguiba. Selon le récit du ministre de la Défense, c’est entre 14 h 30 et 15 heures que Ben Ali lui a téléphoné pour lui demander où se trouvait le général Ammar. Grira répond que celui-ci est justement en sa compagnie. « Dis au général Ammar d’aller immédiatement diriger les opérations au ministère de l’Intérieur », demande alors Ben Ali. C’était le rôle assuré jusque-là, dans les faits, par Seriati, qui avait nommé les principaux responsables des forces de sécurité intérieure. Ben Ali avait-il perdu confiance en son sécurocrate ? « Je ne peux pas aller jusqu’à dire qu’il a eu des soupçons, commente Grira, je dirais plutôt qu’il pensait que Seriati était dépassé par les événements. Il a donc demandé à Ammar de prendre les choses en main, d’autant que celui-ci, général de corps d’armée trois étoiles, est plus gradé que Seriati, qui n’est que général de brigade. »
MAGHREB & MOYEN-ORIENT 57 FORUM DE TANGER
Élues africaines, unissez-vous! Le Maroc a accueilli, du 8 au 11 mars, le premier rendez-vous destiné à créer un véritable réseau de leadership féminin à lʼéchelle du continent.
MAURITANIE
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VINCENT BORRELLY
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uotas, parité, égalité des droits et coopération décentralisée. Telles sont quelquesuns des thèmes sur lesquels se sont penchées plus de cinq cents élues africaines, venues de trente-huit pays du continent, lors du premier Forum des femmes élues locales d’Afrique, qui s’est tenu à Tanger du 8 au 11 mars. Pendant quatre jours, la Capitale du Détroit a semblé accueillir un défilé de mode, la quasi-totalité des participantes ayant revêtu leurs plus belles toilettes nationales. Dans une constante bonne humeur – comme en témoignaient les chants traditionnels entonnés dans les palaces de Tanger –, les élues ont échangé, parfois avec passion, sur de réels enjeux de bonne gouvernance tels que posés par les Objectifs du millénaire pour le développement de l’ONU. L’ambition de ce forum panafricain est la mutualisation des expériences au niveau local pour créer un véritable réseau de leadership féminin. Certains pays, comme l’Afrique du Sud, le Lesotho ou la Namibie, sont déjà en pointe dans le long combat pour l’égalité en affichant des taux de représentation des femmes élues au niveau local supé-
Le forum a rassemblé plus de cinq cents élues locales venues de trente-huit pays du continent.
rieurs à 40 %. « Une féminisation du leadership de proximité dont ne peuvent se prévaloir que très peu de pays occidentaux », remarque Amina, une conseillère municipale malienne. Même si l’enjeu d’une mise en place d’un niveau légal de féminisation des collectivités locales fait partie des objectifs de ce réseau, « il faut surtout éviter que nous soyons étiquetées femmes-quotas », explique une élue malgache. Largement représentées, le forum étant organisé par la direction des collectivités locales du ministre marocain de l’Intérieur, les élues marocaines ont pu s’associer à la demande d’Amina Bouayach, la présidente de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), qui veut profiter de la future révision constitutionnelle promise le 9 mars par Mohammed VI pour inscrire l’égalité hommes-femmes dans le Texte
fondamental. En 2010, le roi avait réaffirmé devant l’Assemblée générale de l’ONU sa volonté d’œuvrer « au renforcement de la représentation politique de la femme et de sa participation effective et agissante à la vie publique ». Les progrès réalisés par le royaume pour la promotion des femmes (notamment avec la réforme de la Moudawana), mais aussi pour la décentralisation de la problématique du développement économique et social, ont été unanimement salués par les participantes. « Nous lançons également un appel pour la réintégration du Maroc dans l’Union africaine », a par ailleurs déclaré la parlementaire canadienne Fatima Houda. Preuve que les considérations diplomatiques ne sont jamais absentes d’une telle rencontre, fût-elle placée au niveau local. ■ NICOLAS MARMIÉ, à Tanger
Tolérance zéro pour le terrorisme
as de pitié pour les terroristes. » Depuis près d’un an, c’est la ligne de conduite de la Mauritanie face au djihadisme. Le 15 mars, la cour criminelle a ainsi condamné à la peine de mort Mohamed Abdallahi Ould H’Mednah pour le meurtre d’un ressortissant américain, le 23 juin 2009, revendiqué par AlQaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Abattue de trois balles dans la tête en plein centre de la capitale, la victime, âgée de 48 ans, dirigeait Noura, une ONG active dans l’éducation. Les deux coaccusés comparaissant au côté de Mohamed Abdallahi Ould H’Mednah ont écopé respectivement de trois et de douze ans de prison. Les avocats de la défense ont anJ E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
noncé leur intention de faire appel. La peine capitale n’a pas été appliquée depuis 1987. En mai dernier, la cour criminelle de Nouakchott avait déjà prononcé des condamnations à mort à l’encontre de trois membres d’Aqmi. Leurs avocats avaient introduit un recours en appel, qui n’a pas encore été instruit. Ils avaient été déclarés coupables de l’assassinat de quatre touristes français, en décembre 2007, à Aleg, à 250 km au sud-est de la capitale. Revendiqué par Aqmi, l’attentat avait entraîné l’annulation de la tenue du rallye Dakar dans le pays et donné le coup d’envoi d’une série d’attaques contre les étrangers. ■ MARIANNE MEUNIER
58 INTERNATIONAL
FRANCE INSONDABLE Comment interpréter les sondages qui ont récemment placé lʼhéritière du clan Le Pen en tête des candidats potentiels au premier tour de la présidentielle de 2012 ? Réponses de spécialistes.
E
ALAIN FAUJAS
n propulsant Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, Jean-Daniel Lévy, responsable du département opinion du sondeur Harris Interactive, a fait un tabac, le 6 mars. Pensez ! La toute nouvelle présidente du Front national (FN) mettant hors jeu soit le président sortant, soit la patronne du Parti socialiste ? Un joli coup médiatique. Il n’en a pas fallu davantage pour relancer le vieux débat sur la véracité et la légitimité des sondages. À la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon dénonce une « guignolisation de la politique », tandis qu’à l’Élysée on rappelle que l’institut Harris s’était trompé en prédisant une victoire du oui au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. L’enjeu est de taille, alors qu’à l’approche de la présidentielle les sondages ont tendance à se multiplier : 157 en 1995, 193 en 2002 et 293 en 2007. Après la publication par Le Parisien-Aujourd’hui en France de celui de Harris, tout le monde s’est penché sur les méthodes de sa fabrication. Réalisée en ligne entre le 28 février et le 3 mars auprès d’un échantillon de 1618 personnes, l’enquête prétendait mesurer les intentions de vote en faveur de onze candidats supposés. Trois se détachaient nettement du lot : Marine Le Pen avec 23 % des suffrages, suivie de Nicolas Sarkozy et
de Martine Aubry, ex aequo avec 21 %. Certains s’étant étonnés que l’un des favoris, le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, n’y figure pas, un nouveau sondage Harris a été réalisé, donnant grosso modo le même résultat. BRICOLAGE ET PIFOMÈTRE
Mais plusieurs informations n’ont pas tardé à jeter le doute. Il est apparu que les résultats « bruts » obtenus par Harris accordaient presque exactement le même score aux trois champions: entre 20 % et 21 %. Pour tenir compte du fait
que les sondages minimisent toujours les résultats du FN en raison de la gêne des personnes interrogées à avouer leur préférence pour un parti pas vraiment démocratique, les sondeurs « corrigent » les chiffres en leur affectant un coefficient de redressement, dont la Commission des sondages connaît le détail. D’autre part, Harris a reconnu qu’il motivait son panel de sondés en tirant au sort, tous les trois mois, un « gagnant » : 7 000 dollars en jeu ! Bricolage et pifométrie ? Manipulation de l’opinion pour faire peur ou mobiliser ? Pour en finir avec ces soup-
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INTERNATIONAL 59
Les méthodes de calcul des instituts de sondage font débat.
çons, le Sénat a, le 24 février, adopté à l’unanimité une proposition présentée par les sénateurs Hugues Portelli (UMP) et Jean-Pierre Sueur (PS) rénovant la loi de 1977. « Avant de déposer notre proposition, explique ce dernier, nous avons reçu tous les protagonistes, la presse, les sondeurs et la Commission des sondages. Tous sont d’accord avec les deux premières mesures : publication du nom de l’acheteur du sondage et des questions posées aux sondés. En revanche, les professionnels renâclent à publier les marges d’erreur de leurs calculs. En l’occurrence, la marge est
comprise entre + 2 % et – 2 %. Soit moins que l’écart entre les candidats. En aucun cas on ne peut donc conclure que Le Pen est en tête. C’est une nécessité pédagogique absolue. » 18 % POUR LE PEN ?
Autre mesure conflictuelle : le dépôt des critères de « redressement » et des chiffres « bruts », qui seront consultables par tous. « Les sondeurs y rechignent, regrette Jean-Pierre Sueur. Ils nous rétorquent que c’est leur secret de fabrication. Ou alors, qu’ils ne peuvent communiquer leurs chiffres à n’impor-
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JOHN LUND/SAM DIEPHUIS
MARINE te qui. Nous estimons qu’il ne faut pas craindre la transparence et ouvrir un vrai débat. » La loi a suscité l’opposition du gouvernement, peu soucieux de se mettre à dos les instituts de sondage à un an d’un scrutin majeur. Mais qu’en pensent vraiment ces derniers ? « Les chiffres utilisés en sciences sociales ne sont ni des litres ni des kilos, estime Roland Cayrol, directeur de recherche associé à la Fondation nationale des sciences politiques et cofondateur de l’institut CSA. Il est faux de dire que l’on sait calculer la marge d’erreur dans le système des quotas, car elle change en fonction de chaque chiffre. Elle est beaucoup plus grande sur 90 que sur 2. » S’agissant de la publication des règles de redressement et des résultats bruts, Cayrol n’est pas moins catégorique: « Si nous publiions des chiffres bruts, ils seraient faux, parce que les abstentionnistes ont honte de leur incivisme et préfèrent dire qu’ils voteront, par exemple, pour les écologistes, ce qui fait surestimer le vote Vert et sous-estimer l’abstention. » Pour approcher la réalité, les sondeurs utilisent un coefficient de correction qui intègre l’analyse des votes lors des élections précédentes. « Vous imaginez les cris d’orfraies que pousseraient les candidats redressés, si nous publiions les chiffres bruts ? poursuit Cayrol. Arrêtons d’accuser le thermomètre quand il y a une poussée de fièvre ! L’important dans le sondage Harris, c’est que le FN se situe entre 20 % et 24 %. Bien malin qui pourrait dire qui arrivera en tête en 2012. Mon hypothèse est que le score de Marine Le Pen est gonflé par un cinquième des électeurs qui ont voté Sarkozy au premier tour de 2007, mais qui souhaitent lui donner une leçon. Elle devrait redescendre à 17 %-18 %. » Et Roland Cayrol de plaider pour une « réflexion adulte », qui analyse ce que veulent dire les sondages. Il rappelle que ces derniers ne cessent d’évoluer. « Une simple photo » à un instant donné et qui ne présage en rien de l’avenir. L’Assemblée nationale sera-t-elle appelée à en débattre, malgré la mauvaise grâce du gouvernement ? ■
60 INTERNATIONAL REPORTAGE
Cette Amérique qui tombe en ruine Symbole dʼun passé industriel glorieux, la région nord-est des États-Unis est frappée par une effrayante récession. On la surnomme désormais la Rust Belt ‒ la « ceinture de rouille ». Et le mal gagne peu à peu dʼautres régions.
A
vec son aciérie qui fume à gros nuages et ses trains de marchandises, Braddock, Pennsylvanie, est typique de la Rust Belt américaine, cette « ceinture rouillée » qui s’étend de l’ouest de l’État de New York jusqu’aux confins du Michigan, en s’enroulant autour des Grands Lacs. Depuis cinquante ans, ses usines ferment une à une. Un véritable tsunami économique. Hôpital éventré à l’entrée de la ville, commerces murés sur la rue principale, parcmètres hors d’âge… Cette bourgade de 2 500 habitants est littéralement sinistrée. Devant sa dernière aciérie trône encore une statue d’ouvrier tordant fièrement une barre d’acier, mais l’usine a perdu 90 % de ses salariés. Et la ville, le même pourcentage de sa population. Un tiers de ses habitants
vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Braddock, comme Detroit, comme Flint, comme beaucoup d’autres… La région fut naguère le cœur industriel des États-Unis. Peut-elle encore renaître de ses cendres ? « BUSINESS FRIENDLY »
John Fetterman, son maire, en est convaincu. Œil noir et physique d’Hercule, il est devenu le chouchou des médias. « Il faut que les gens aient envie de venir et de vivre à Braddock », dit-il. Plus facile à dire qu’à faire. Dans l’immédiat, des potagers ont été créés sur des friches industrielles, des toits écologiques posés ici et là, des ruines repeintes de couleurs vives… L’opération a été financée avec le million et demi de dollars versés par la compagnie Levi’s, qui a tourné MICHIGAN
NEW YORK
WISCONSIN
ILLINOIS PENNSYLVANIE INDIANA
OHIO
Zones touchées par la récession.
Nombre de chômeurs en pourcentage de la population active
LES ÉTATS « ROUILLÉS »
MICHIGAN dont ville de DETROIT OHIO INDIANA PENNSYLVANIE Moyenne nationale
1980 7,5 15,3 (1990) 6 8 7 5,8
2010 12 28,5 10 10 10 8,9
ici une publicité. La renaissance de la ville y était présentée comme « la dernière frontière »… Youngstown, Ohio, autre ville fantôme. À en croire les panneaux installés sur Federal Street, cette ancienne capitale de l’acier est l’une des dix villes d’Amérique les plus « business f riendly ». On veut bien le croire, mais, en pleine journée, l’artère principale est déserte. Et l’entrée de la plupart des bâtiments qui la bordent, murée. « Grandir dans une ville en ruine, c’est difficile pour l’estime de soi. Je n’attends rien de Youngstown », commente amèrement Noah Cicero, 30 ans et encore étudiant. Pour ne pas mourir, la ville compte beaucoup sur son maire, élu en 2005. À la Maison Blanche comme sur les plateaux télé, celui-ci s’efforce de « vendre » les atouts de sa ville : terrains disponibles à foison, taxes et loyers insignifiants… La dernière start-up à s’installer ici a créé 170 emplois. Depuis, son fondateur passe pour un sauveur. « Lorsque j’ai un problème, il me suffit de passer un coup de fil au maire ou au sénateur », explique-t-il. En mai 2010, le président Obama est venu à Youngstown. Il y a annoncé que, dans le cadre du « paquet » de mesures adopté en 2009 afin de relancer l’économie, la ville allait se voir allouer 14 millions de dollars (environ 10 millions d’euros). Avec 300 emplois à la clé. Le salut de Youngstown passe aussi par la réduction de sa taille. Comme partout dans la Rust Belt, sa population a beaucoup diminué (– 60 %). Quarante pour cent des maisons y sont vacantes et la plupart tombent en ruine. « Ce qui s’est passé ici, c’est comme l’ouragan Katrina, mais sur trente ans », commente un habitant. Aujourd’hui, la municipalité rase à tour de bras et crée à la place des potagers. Quelque cinq mille maisons attendent encore d’être détruites. L’économie verte, c’est également la voie choisie par Detroit, où General Motors construit désormais des voitu-
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KIRSTEN LUCE/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
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Camden,
res à hydrogène. « Un tiers les, toutes les villes sont New Jersey, déplore de la ville est aujourd’hui au bord de la banqueroute. le plus en friche, soit la superficie Detroit – 327 millions de fort taux de San Francisco », explique dollars de déficit en 2010 – d’homicides un responsable municipal. a été contraint de réduire du pays. Nous menons une guerre de de moitié les effectifs de reconquête qui est suivie de la police municipale. Faute très près dans tout le pays. Parce que la d’employés des pompes funèbres, les décrépitude industrielle gagne à précadavres non réclamés par les familles sent la Sun Belt » – les États du Sud et s’entassent dans les morgues. de l’Ouest, a priori plus dynamiques. À Youngstown, on ne recense que trois inspecteurs des travaux publics, PAS DE POTAGERS, DES JOBS ! contre vingt-sept dans La partie est loin d’être gagnée. À les années 1970. Pour Braddock, la récente fermeture de reconvertir son cinél’hôpital a provoqué la perte de six ma délabré, la ville a cents emplois. Les pionniers urbains demandé 8 millions de se font attendre et les choix de la dollars à l’État de l’Ohio, municipalité ne font pas l’unanimité. lui-même en crise bud« Nous n’avons pas besoin de potagers gétaire structurelle. au milieu de la ville, mais de jobs. Il Mais la Rust Belt n’est pas seule n’y a rien ici, et l’aciérie n’emploie concernée. Camden, dans le New Jersey, pas les Noirs », proteste un Africaincompte le plus fort taux d’homicides Américain. À Youngstown, malgré les de tout le pays, mais a été contraint efforts du maire, la population contide licencier la moitié de ses policiers. nue de décroître, les banlieusards, Fresno, en Californie, fait appel à des plus aisés, refusant obstinément de bénévoles pour jouer les gardiens de s’installer dans le centre-ville. la paix. San Diego aussi, mais pour Mais les idées ne suffisent pas, il entretenir ses parcs. Harrisburg, capifaut aussi de l’argent. Lequel manque tale de la Pennsylvanie, est en quasicruellement. Faute de rentrées fiscacessation de paiement…
Et les États ne sont pas mieux lotis. « Nous sommes fauchés », ne cesse de répéter le gouverneur du Wisconsin pour justifier la réduction des pensions des fonctionnaires et briser leurs syndicats. Quant au robinet fédéral, avec un déficit équivalant à 10 % du PIB, il est tari. Il paraît évident que, faute d’argent, nombre des promesses de Barack Obama ne pourront être tenues. C’est notamment le cas du réseau de voies
« Ce qui s’est passé ici, c’est comme l’ouragan Katrina. Mais sur trente ans. »
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ferrées à grande vitesse. Dernièrement, le projet de liaison Tampa-Orlando a été annulé, la Floride refusant de régler la facture. Quant à l’éducation, elle est touchée de plein fouet par les licenciements massifs de New York à la Californie, en passant, bien sûr, par la Rust Belt. Cette dernière n’est pas seulement le passé de l’Amérique. Elle pourrait bien préfigurer son avenir. ■ JEAN-ÉRIC BOULIN, envoyé spécial
62 INTERNATIONAL FRANCOPHONIE
Des quais à lʼavenue Bosquet
C
Abdou Abdou Diouf dansdans son son bureau et, àet, dr.,à la cour intérieure de l’immeuble de l’avenue Diouf bureau dr., la cour intérieure de l’immeuble avenue Bosquet.
ette fois, ça y est. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est installée dans son nouveau siège, au 19-21, avenue Bosquet, dans le 7e arrondissement de Paris. Celuici a été inauguré le 18 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la francophonie, en présence du secrétaire général de l’organisation, Abdou Diouf, et du président français, Nicolas Sarkozy. Une heureuse conclusion après le rendez-vous manqué du 20 mars 2010 (voir J.A. no 2566). Les travaux ont été rondement menés : deux ans. Le résultat ? Un écrin haussmannien préservé, mais avec aménagement intérieur hightech. Les deux bâtiments unifiés ont une superficie totale de 8 656 m2, sur sept niveaux. À peine plus que les 8 515 m2 qu’occupait auparavant l’institution sur ses cinq sites parisiens et bordelais, mais l’ensemble est beaucoup plus fonctionnel puisqu’il réunit en un même lieu le secrétariat général, l’administration, les directions et leurs services. Soit 250 personnes, qui disposent d’une salle de conférence, de deux salles de réception, de six salles
de réunion, d’une cafétéria et, nouveauté, d’un espace public d’information qui sera opérationnel avant l’été. Un bureau de liaison a en outre été mis en place pour l’Assemblée parlementaire de la francophonie et les différents opérateurs*. FLAMBANT NEUF
Depuis des mois, l’OIF préparait ses troupes au grand remue-ménage, qui s’est fait en trois jours (18-20 février). « L’ensemble du personnel a été consulté sur ses besoins et ses at tentes, précise Clément Duhaime, l’administrateur général désormais comblé. Nous avons aussi pris l’habitude de numériser les documents, pour des raisons environnementales et parce que nous savions que seuls 3 m linéaires par personne étaient autorisés avenue Bosquet. » Mis à part les archives récentes, quelques symboles et objets personnels, tout, du mobilier aux ordinateurs, est flambant neuf. Conformément à la convention signée en octobre 2008, la Société de valorisa-
tion foncière et immobilière (Sovafim), détenue à 100 % par l’État français, a acquis le siège de l’avenue Bosquet auprès de l’État et de l’Office national interprofessionnel des grandes cultures (59 millions d’euros) et en a assuré les coûts de rénovation (18 millions). Moyennant un bail de cinquante ans renouvelable, la Sovafim loue désormais l’ensemble à l’État (5,3 millions par an), qui le met à la disposition de
Secrétariat général, administration, directions… Tout est réuni en un seul lieu. la Francophonie. L’OIF versera quant à elle à la France le produit de la vente de son ancien siège parisien (15, quai André-Citroën) et de ses locaux bordelais (15, quai Louis-XVIII). ■ CÉCILE MANCIAUX
* Agence universitaire de la francophonie (AUF), Association internationale des maires francophones (AIMF), Université Senghor d’Alexandrie et TV5 Monde.
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VINCENT FOURNIER/J.A.
Le projet piétinait depuis plus de huit ans. Le 18 mars, le nouveau siège de lʼOIF, dans le 7e arrondissement de Paris, a enfin été inauguré.
INTERNATIONAL 63 CHINE
Les « hackers rouges » attaquent
D
epuis le début de l’année, les attaques se sont multipliées. Ministères français, canadiens et sud-coréens, banques américaines, multinationales du pétrole… Tous ont été victimes d’attaques informatiques plus ou moins graves lancées depuis la Chine. « Les pirates informatiques sont très actifs dans ce pays, où il existe une vraie culture du piratage, assure Scott Henderson, un spécialiste. C’est la génération post-Tiananmen. Plutôt que de se battre pour la démocratie, elle préfère se définir par opposition à l’Occident. Ils se disent patriotes et se sont surnommés les “hackers rouges”. On ne peut pas dire qu’ils travaillent directement pour le gouvernement, mais ils rendent des services, ça revient au même. » Ce « hacking patriotique » chinois est apparu à la fin des années 1990 avec des associations comme la Red Hacker’s Alliance ou la China Eagle Union, qui comptent des milliers de membres. En 1999, après le bombardement par les États-Unis de l’ambassade de Chine à Belgrade, ils ont fait leurs premières armes en s’en prenant à des réseaux américains. La même année, lors de l’investiture à Taipei d’un nouveau chef de l’État très hostile à Pékin, des systèmes taiwanais ont été pris pour cible. Au mois de janvier suivant, après diverses déclarations d’hommes politiques niant l’existence du sac de Nankin par les troupes impériales, en 1937 (plusieurs centaines de milliers de morts), ce fut le tour du Japon. C’est à cette époque qu’une équipe spéciale placée sous l’égide de la Commission de la
ANDREW HETHERINGTON/REDUX-REA
Souvent formés dans les plus grandes universités du pays, ce sont des petits génies de lʼinformatique. Les « cyberguerriers » ont déclaré la guerre à lʼOccident.
Kang Lingyi, dirigeant de très nombreux sites web nationalistes.
science, la technologie et l’industrie pour la défense nationale a été mise en place. Des « superpirates », en somme, chargés de contrôler cette meute de jeunes loups. TROIS CENT MILLE VOLONTAIRES
Les petits génies chinois de l’informatique sont pour la plupart diplômés de deux établissements : l’université Jiao Tong, à Shanghai, et l’École professionnelle de Lanxiang, dans la province du Shandong. L’une et l’autre sont régulièrement évoquées dans les rapports de l’ambassade américaine à Pékin. Notamment, l’an dernier, lors
Parmi les victimes : des ministères, des banques, des multinationales du pétrole. des opérations de piratage qui ont visé Google (à la suite desquelles l’entreprise américaine a fermé son site et son moteur de recherche en Chine). Jiao Tong d i sp ose de l’u n de s meilleurs cursus informatiques du pays. En 2010, elle a remporté une épreuve internationale de programma-
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tion, devant Stanford et d’autres grandes universités américaines. Lanxiang a quant à elle formé des bataillons d’informaticiens, dont les meilleurs ont été recrutés par l’Armée populaire de libération (APL). Son réseau informatique est géré par une société proche de Baidu, principal moteur de recherche chinois et… concurrent direct de Google. Les enquêtes menées par les services de renseignements occidentaux remontent souvent jusqu’à ces deux universités. Et jamais plus haut. « La Chine utilise un modèle de réseaux informatiques complètement différent de ceux que nous connaissons, explique James Mulvenon, directeur du Centre américain pour la recherche et l’analyse. Au lieu de confier l’espionnage informatique à des agences traditionnelles, comme la CIA ou le NSA américains, le gouvernement fait faire le boulot par des volontaires, une très discrète armée composée de plus de 300000 “hackers patriotes”. Cette force de frappe unique au monde explique que, depuis trois ans, la Chine occupe la tête du hit-parade des “prédateurs informatiques”. » Plus de la moitié des attaques commises dans le monde lui sont imputables. ■ STÉPHANE PAMBRUN, à Pékin
64 INTERNATIONAL
ILS VIENNENT D’AFRIQUE, ILS ONT RÉUSSI AILLEURS
PARCOURS
Regina UBANATU
Atteinte de poliomyélite alors quʼelle était enfant, cette Nigériane bourrée dʼénergie préside lʼassociation Réponses Initiatives Femmes handicapées.
I
l était une fois une petite fille qui savait changer la malchance en fortune. L’histoire de Regina Ubanatu commence en 1965 au Nigeria, dans l’hôpital de brousse où elle est née, le jour où des médecins blancs se seraient trompés de dose de vaccin et lui auraient injecté la poliomyélite au lieu du remède censé combattre la maladie. Deux ans plus tard, l’enfant aux hanches paralysées sera conduite vers le Gabon, puis la France et les États-Unis. Cette histoire aurait pu tomber dans l’oubli si sa principale protagoniste ne s’était tournée vers le passé, quarante ans plus tard, pour la raconter. Droite dans son fauteuil roulant, Regina Ubanatu livre avec verve cette vie qu’elle a d’une certaine manière redécouverte en écrivant son autobiographie, La petite fille qui dansait dans sa tête. « Je suis arrivée en France sans passé », explique-t-elle. Regina Ubanatu est aujourd’hui parisienne, employée du département des ressources humaines d’une grande entreprise et présidente de l’association Réponses Initiatives Femmes handicapées (RIFH). Elle affirme avoir écrit « pour se réapproprier son identité ». Elle a mené l’enquête, épluché les archives et revisité les étapes marquantes de son destin. Elle a même rencontré Bernard Kouchner, pour l’écouter raconter le Biafra où, médecin, il l’a peut-être tenue dans ses bras. Dans la tourmente du conflit qui éclate en 1967 dans cette région du Nigeria, les parents de Regina Ubanatu profitent de la présence de missions humanitaires pour confier aux médecins étrangers leur enfant qui ne peut pas marcher. Ils ne savent pas que cet acte bienveillant va les séparer de leur fille. Avec d’autres petits Biafrais, elle est envoyée en urgence au Gabon dans un camp géré par l’ONG Caritas. Dans la précipitation du transfert, elle perd son frère, ses papiers et son prénom. À la fin de la guerre, le prêtre qui s’est occupé d’elle la conduit en France pour la soigner. Elle a 5 ans et s’appelle désormais Mary.
de prise en charge psychologique, affective et éducative », poursuit-elle. De ces sombres années auprès des religieuses, Regina Ubanatu conserve une foi inébranlable, assortie d’une conception très personnelle de la religion chrétienne où Dieu partage son office avec le Dibia, un esprit sorcier qui figure au panthéon de son peuple, les Ibos. CHEZ LES SŒURS, son seul rayon de soleil était la visite hebdomadaire d’une famille française qui avait choisi de la parrainer depuis son départ du Gabon. Sur sa souffrance, elle reste muette. Ses bienfaiteurs réaliseront tardivement pourquoi la petite est si souvent en colère. « Si elle n’avait pas été révoltée, elle aurait été écrasée par la dépression », soutient Odile, la fille du couple parrain. « La colère m’a sauvée, confirme Regina Ubanatu. Elle était alimentée par la conviction que je n’avais pas été abandonnée. » Elle a 12 ans lorsque son intuition se révèle juste. Ses parrains mettent la main sur sa famille nigériane: un père, une mère, trois belles-mères et une ribambelle de frères et sœurs. En retrouvant ses parents, Mary retrouve prénom, date d’anniversaire et lieu de naissance.
« Le but du jeu était de sortir avec un garçon valide, et si possible le plus beau du lycée. »
AVEC LE STATUT DE « RECUEILLIE TEMPORAIRE », elle
passe son enfance dans une institution de l’Orne dirigée par des sœurs de la Providence. « Cet établissement était très maltraitant », admet Claude Roquet, qui a inspecté le centre à l’époque et tenté d’alerter la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). « Les enfants se voyaient dénier leur douleur et souffraient d’une absence
« C’est à ce moment-là que j’ai découvert le racisme, dans le regard méprisant que portaient les Occidentaux sur ma famille africaine et polygame », ajoute-t-elle. Le choc est d’autant plus brutal que la DDASS lui annonce son retour définitif au village natal, dans un pays qui lui est devenu inconnu et dont elle ne parle plus la langue. Cette fois, devant la détresse de leur protégée, ses parrains réagissent immédiatement. « Regina était devenue française culturellement, même si elle n’a obtenu la nationalité que bien des années plus tard et qu’il a fallu que mon père, à l’époque gouverneur du Lions Club de France, fasse jouer toutes ses relations pour obtenir ses papiers », raconte Odile. En fait de retour au pays, son séjour au village ne dure que trois semaines. Les retrouvailles avec l’Afrique sont difficiles. Sa famille célèbre sa venue avec joie, mais le fossé creusé par le temps et la distance est trop large. Après cette visite, Regina Ubanatu n’est plus retournée au Nigeria pendant des années. Elle n’a jamais réappris sa lanJ E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
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1965 Naissance à Ihiala, au Nigeria 1968 En pleine guerre du Biafra, Regina est envoyée au Gabon, et, deux ans plus tard, en France 1978 Retourne pour la première fois dans son village natal 1996 Crée son association RIFH 2003 RIFH organise un défilé de mode à l’Espace Cardin : le Défimode 2010 Publie son autobiographie, La petite fille qui dansait dans sa tête, aux éditions de l’Archipel
gue. Le lien avec son pays persiste autrement: « Je suis fière de mes origines, j’ai hérité cette fierté de l’Afrique. Les Ibos marchent la tête haute et mon attitude rebelle vient d’eux, comme ma coquetterie! » POUR REGINA UBANATU, coquetterie a longtemps rimé
avec défi. Aujourd’hui mariée, elle était pensionnaire dans un « lycée mixte » accueillant « handicapés » et « valides », quand elle s’est découvert un grand pouvoir de séduction. Le fauteuil roulant ne l’empêchait pas de danser au milieu de la piste et de roucouler dans les boums. « Le but du jeu était de sortir avec un garçon valide et si possible le plus beau du lycée! » explique-t-elle en riant. Des années plus tard, lors d’un séminaire aux États-Unis, elle réalise à quel point sa sensualité assumée est rare chez les femmes handicapées, en France. Cette révélation est à l’origine de la création, en 1996, de son association RIFH. Elle met en place des groupes de parole autour de la sexualité, la maternité, la santé. Puis l’équipe de RIFH, une dizaine de bénévoles, se lance dans l’organisation d’événements. En 2003, seize jeunes femmes handicapées défilent en haute couture à l’Espace Cardin. Leur message est celui de Regina Ubanatu : « Il n’y a pas de personnes handi-
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capées, sinon des personnes en situation de handicap ponctuellement, à un moment où l’environnement n’est pas adapté! » C’est l’un de ses plus beaux souvenirs. Mais ce refus du statut de handicapée ne lui attire guère de sympathies. Selon Denis Pavier, bénévole de l’association, « Regina est détestée dans le milieu du handicap en France, parce qu’au lieu de prôner l’assistanat elle dit: Prenez-vous en main! Bougez-vous! » À 45 ans, Regina Ubanatu a repris ses études tout en continuant d’exercer son métier. Une revanche sur son passé de cancre. Après une licence en économie sociale, elle s’est inscrite en master de relations humaines à Sciences-Po Paris. Elle aimerait quitter la présidence de RIFH et se consacrer à des projets « plus personnels ». Son rêve : un mémorial pour le Biafra. « J’ai eu beaucoup de chance et, sans cette guerre, je serais peut-être en train de ramper quelque part, ou morte », dit-elle, comme si elle avait contracté une dette envers la tragédie à l’origine de sa destinée. Car depuis ce terrible cadeau du hasard, et malgré les mauvais coups qui ont suivi, Regina Ubanatu continue de croire en sa chance. ■ ZOÉ LAMAZOU
Photo : CAMILLE MILLERAND pour J.A.
66 INTERNATIONAL FRANCE
Lʼaffaire Dahmane
U
n c oup de té lé phone a sonné le glas de ses huit années d’amitié avec Nicolas Sarkozy. Le 11 mars, alors qu’il se trouvait à Nice, Abderrahmane Dahmane a reçu un appel de Christian Frémont, directeur du cabinet du président de la République, qui lui a annoncé son limogeage de son poste de conseiller à l’intégration. Il avait été nommé le 12 janvier précédent. Interrogé par J.A., Franck Louvrier, le conseiller en communication du président de la République, a estimé n’avoir « aucun commentaire à faire ». La veille, lors d’une réunion organisée à la Grande Mosquée de Paris, Dahmane avait qualifié l’UMP, que dirige Jean-François Copé, de « peste pour les musulmans ». Et appelé ces derniers à ne pas renouveler leur adhésion au parti présidentiel tant que le débat sur la laïcité, qui doit s’ouvrir le 5 avril, n’aurait pas été annulé.
TURQUIE
C
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LAHCÈNE ABIB/SIGNATURES
Le conseiller à lʼintégration de Sarkozy avait dénoncé le débat sur la laïcité que sʼapprête à lancer lʼUMP. Limogé, il appelle les musulmans à sanctionner son ex-mentor dans les urnes. Par ailleurs inspecteur général de l’Éducation nationale et président du Conseil des démocrates musulmans de France, Dahmane estime que ledit Abderrahmane Dahmane: « L’UMP de Copé, débat a « dévié », parce qu’« il c’est la peste pour les musulmans. » y a à l’UMP des gens très proches du Front national ». Sa Le CFCM déclare pour sa part n’avoir protestation a vite fait tache d’huile. « aucune affinité particulière » avec Chargé de mission au Conseil français Dahmane. du culte musulman (CFCM), AbdalEn 2005, Sarkozy avait confié à ce lah Zekri a par exemple découpé en Franco-Algérien un poste clé à l’UMP : petits morceaux sa carte de l’UMP et secrétaire national chargé de l’immiappelé tous les musulmans à l’imiter. gration. Participant actif (et controQuant à Dalil Boubakeur, recteur de versé) lors de la campagne présidenla Grande Mosquée de Paris et ami tielle de 2007, Dahmane avait sans de longue date de Jacques Chirac, il a doute espéré être récompensé par un dénoncé un « islam bouc émissaire », ministère, lui qui a fait « plus que quiavant de se raviser. Dès le 12 mars, conque » pour Sarkozy. Justifiant son il a reçu Jean-François Copé, lui a revirement par le changement de poannoncé qu’il acceptait finalement la litique de son ex-mentor vis-à-vis des tenue du débat sur la laïcité, et jugé musulmans, il a appelé « à voter contre « légitime » l’émotion suscitée par l’UMP » lors des cantonales et de « toules propos « excessifs et insultants » tes les élections qui suivront ». ■ JUSTINE SPIEGELA tenus à la Grande Mosquée de Paris.
Imperator et survivor
UMIT BEKTAS/REUTERS
est une immense star dans son pays et dans pel à Michael Lemore, le médecin qui avait opéré avec suctout le Moyen-Orient, qu’il envoûte de ses aracès Gabrielle Giffords, cette membre du Congrès américain besk – des chansons populaires aux sonorités victime d’une attaque similaire, en janvier. orientales. Ibrahim Tatlises, alias Ibo (« l’empeTatlises (« douce voix », en turc) est loin d’être un enreur »), a été victime d’une tentative d’assassinat dans la nuit fant de chœur. Cet ancien ouvrier kurde natif de Sanliurfa du 13 au 14 mars, alors qu’il sortait d’un (Sud-Est), qui a enregistré trente albums et studio de télévision à Istanbul. Ses deux tourné dans de nombreux films, est aussi un assaillants l’ont criblé de balles avant de redoutable homme d’affaires. Propriétaire de prendre la fuite. Malgré de graves blessusa maison de disques, d’une chaîne de télévires à la tête, le « Pavarotti turc » semble en sion et de restaurants, il a étendu son busimesure de s’en sortir. L’instinct de survie ness à l’Irak du Nord. Un différend financier de ce gaillard de 59 ans a surpris ses mépourrait être à l’origine de ce règlement de decins. Ces derniers précisent que, d’après compte. Mais d’autres pistes restent ouvertes. les résultats d’un scanner du cerveau, la Celle des séparatistes kurdes du PKK, qui mefonction du langage – et donc la voix – est nacent régulièrement les personnalités jugées intacte, mais que Tatlises pourrait rester trop proturques. Ou une énième provocation partiellement paralysé. de « l’État profond », ce mélange de militaires Les moyens déployés sont à la mesure ultralaïcs et de barbouzes prêts à tout pour de sa popularité : trente policiers ont été déstabiliser le gouvernement. ■ Ibrahim Tatlises, mobilisés pour l’enquête, et l’on a fait apJOSÉPHINE DEDET le roi de l’arabesk.
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LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE
Le Sénégal
peut-il bousculer ses concurrents ?
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
Potentiel agricole prometteur, tissu de PME-PMI diversifié... Le pays a tout, ou presque, pour marquer des points dans la compétition économique régionale. Atouts et faiblesses dʼun leader en puissance.
La nouvelle route de la Corniche, à Dakar, aux abords de la place du Millénaire.
LE PLUS 69
LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE
Le Sénégal
PRÉLUDE
peut-il bousculer ses concurrents ? MARWANE BEN YAHMED
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
Prévoir et gouverner PA N O R A M A
Le paradoxe sénégalais p. 70 U R BA N I S M E
Planification capitale p. 78 I N FR A S T R U C T U R E S
Petits moyens et grands projets p. 80 S E C T EU R S TR AN SP O R T M AR ITI M E
La guerre des mondes p. 84 É N E RG IE
Takkal, pour faire la lumière p. 85 TO U R I SM E
Trop chère Teranga p. 86 AG R I CULT U R E
Les fruits de la Goana p. 88 PH OSPH ATE S
Des ICS en cure dʼinvestissements p. 89 AG R OALI M E N TAIR E
Consommation dʼorigine contrôlée p. 92
A SSU R AN CE S
Des compagnies trop à lʼétroit p. 93 FIN AN CE
Un pays « bankable » p. 94 INTE R N E T
Google fait son nid p. 94 PORTRAITS
Aïssatou Diagne Déme, Ameth Amar, Algor Bocoum, Thiendiaté Bouyo Ndao p. 95
Direction : Danielle Ben Yahmed et Marwane Ben Yahmed Rédaction en chef : Cécile Manciaux, avec Ophélie Negros
MAIS QUE DIABLE MANQUE-T-IL AU SÉNÉGAL pour devenir, compte tenu de ses atouts géographiques et politiques, le leader d’une sous-région en proie à l’instabilité ? Il y a, d’un côté, les multiples avancées constatées ces dernières années, malgré les retards à l’allumage ou à la conclusion: infrastructures multiples et variées, ouverture aux investissements étrangers, coopération multilatérale, etc. De l’autre, l’impression de naviguer à vue et d’oublier l’essentiel : quelle est l’identité du pays et, donc, ses atouts et ses handicaps dans la compétition économique qui se joue actuellement en Afrique de l’Ouest ? Alors que la Côte d’Ivoire s’enlise dans une crise sans fin, que le géant nigérian n’exploite pas la moitié de son hallucinant potentiel, que le Ghana poursuit son bonhomme de chemin sans pour autant prendre le pas sur ses concurrents, quel rôle peut jouer ce Sénégal stable et relativement homogène, « équipé » en moyens humains ? Celui qu’il se choisira, serait-on tenté d’écrire… C’est là que le bât blesse : le Sénégal n’a jamais su (ou pu) se fixer un cap auquel il se tiendrait sur le moyen et le long terme. Outre la quête tous azimuts d’investisseurs – ce que tous les États de la planète peuvent faire –, le pays n’a pas de ligne directrice : on mise tantôt sur les nouvelles technologies, tantôt sur l’agriculture – sans résultats probants – ou sur les services au sens large, etc. On colmate, on bricole… Les problèmes d’électricité (production et fourniture) n’ont jamais été réglés et l’argument, logique, consistant à expliquer que le Sénégal ne produit pas de pétrole et qu’il ne peut donc être jugé responsable des délestages ne tient pas. D’autres pays africains, eux, parviennent à s’en sortir, sans exciper de leur absence de matières premières. Voici le véritable paradoxe sénégalais: le libéralisme est le socle du parti au pouvoir et de son chef, Abdoulaye Wade, mais la défiance vis-à-vis du secteur privé est notoire. Les décisions économiques majeures, l’octroi d’un certain nombre de marchés, la mise en concurrence de certains secteurs: tout, ou presque, émane de l’État et de sa tête. Le choix des entreprises, des hommes, des secteurs clés à développer incombe au chef. Or le chef en question est versatile. Il a les défauts de ses qualités, ce qui, en matière économique, peut poser problème. Abdoulaye Wade est un Zébulon : il ose, tente, essaye, se rétracte, trouve une autre voie, un chemin de traverse, rebrousse chemin. Il a une idée, tente l’expérience, constate échec ou succès et en tire les conséquences : parfois la marche avant, souvent la marche arrière. À l’orée de la prochaine présidentielle (prévue en 2012), l’heure des comptes a sonné. Nul doute que le Sénégal a progressé et s’est doté d’outils indispensables à un développement économique pérenne. Il n’en demeure pas moins qu’il est loin de son potentiel présumé, que beaucoup de temps et d’énergie ont été gaspillés à tâtonner, essayer, faire et défaire. En matière économique, une seule règle – outre la pertinence des choix, évidemment : la vision, d’abord, la continuité ensuite. Il serait grand temps, d’ailleurs, que le débat politique permanent dont sont friands les Sénégalais se mue en vrai débat économique… ■
Rédaction : Michael Pauron, envoyé spécial, Aurélie Fontaine et Cheikh Yérim Seck, à Dakar, Stéphane Ballong, Julien Clémençot et Alain Faujas
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Coordination : Myriam Karbal Difcom, 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris Tél. : + 33 1 44 30 19 60 Fax : + 33 1 45 20 08 23
70 LE PLUS SÉNÉGAL
PANORAMA LE PARA Alors quʼil compte parmi les premières économies régionales, le pays ne parvient pas à asseoir sa compétitivité. Ni à gagner les quelques points de croissance qui lui permettraient de quitter le lot des pays les moins avancés. Il a pourtant toutes les cartes en main.
L
e Sénégal piétine à une marche du podium. Quatrième économie d’Afrique de l’Ouest après le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana – et deuxième au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), derrière la Côte d’Ivoire –, le pays cultive le paradoxe. Démocratique et relativement stable politiquement, comptant parmi les États les plus industrialisés de la sous-région, doté d’une ouverture sur l’Atlantique, d’un important potentiel de terres cultivables (500 000 hectares irrigables) et de ressources minières (phosphates, or, fer…), le Sénégal a de nombreux atouts en main pour devenir un leader économique africain. Il progresse, d’ailleurs, sur la voie de l’émergence, mais en dents de scie. Si bien que la croissance de son produit intérieur brut (PIB) reste en deçà du seuil nécessaire pour faire reculer la pauvreté. Le taux de croissance s’est tout de même établi à 4 % en 2010, pour un PIB de 12,7 milliards de dollars, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI, voir tableau p. 72), soit 6 160 milliards de F CFA (9,58 milliards d’euros), revues à la hausse,
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
MICHAEL PAURON, envoyé spécial
mi-mars, à 14 milliards de dollars, par l’agence de notation Moody’s. Alors, que manque-t-il au pays de la Teranga (« hospitalité » en wolof) pour gagner les trois points de croissance manquants et atteindre le statut de pays émergent visé par le gouvernement ? SIGNES EXTÉRIEURS DE PROGRÈS
Incontestablement, le pays avance et se modernise. À commencer par sa capitale. Quiconque remet les pieds à Dakar après quelques années d’absence ne peut qu’être impressionné
en découvrant les nouveaux aménagements. Une corniche à quatre voies inaugurée à l’occasion du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en 2008. Des hôtels de luxe. Un centre commercial, le Sea Plaza, de classe internationale. Partout, des immeubles en construction… La liste des signes extérieurs du dynamisme économique est longue. La mise à niveau des infrastructures routières s’est imposée comme l’une des priorités de l’État (lire pp. 80-81). L’investissement privé (1,8 milliard
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LE PLUS 71
DOXE SÉNÉGALAIS Océan Atlantique
MAURITANIE Saint-Louis
Dakar
Thiès
SÉNÉGAL MALI
GAMBIE
GUINÉE-BISSAU
La chambre de commerce de Dakar, place de l’Indépendance.
d’euros en 2009), soutenu par des groupes locaux de stature internationale, s’est développé autour du Programme d’amélioration de la mobilité urbaine (Pamu, lire pp. 78-79) et des compétences – reconnues par tous – de l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix). La croissance annuelle du BTP a ainsi atteint une moyenne de 10 % ces dernières années, tirant vers le haut la contribution du secteur secondaire au PIB, qui, selon la Banque mondiale, s’est établie à 21,1 % en 2010.
Le secteur s’est également redressé grâce à la remise sur les rails de deux fleurons – les Industries chimiques du Sénégal (ICS, lire p. 89) et la Société africaine de raffinage (SAR) – et à la constitution progressive d’une base industrielle qui manquait jusque-là dans certaines filières, notamment dans la transformation de produits locaux (lire p. 92). Une tendance qui pourrait s’accélérer si les pouvoirs publics facilitaient la création de PMEPMI (qui représentent actuellement 20 % du PIB et 30 % des emplois).
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GUINÉE
100 km
Le développement des PME-PMI devrait d’ailleurs bénéficier de la vigoureuse consommation du pays, portée – et c’est une constante – par l’envoi d’argent de la diaspora, qui a représenté 1,2 milliard de dollars en 2010. Autre facteur tendant à densifier le tissu économique, la crise ivoirienne, qui a poussé certaines sociétés à s’installer au Sénégal. Le secteur bancaire sénégalais en bénéficie pleinement et s’est renforcé. Avec dix-neuf établissements, il constitue le deuxième marché bancaire de l’UEMOA, après la Côte d’Ivoire (lire p. 94). Les résultats du tourisme ( lire pp. 86-87), levier de croissance encore sous-exploité, restent quant à eux décevants : à peine plus de 461 000 visiteurs en 2010, quand l’objectif est de 1,5 million en 2015 – un but qui semble d’ores et déjà hors d’atteinte, même si les arrivées touristiques ont connu un léger frémissement l’an dernier. Les quelques mesures prises pour booster les investissements dans le secteur et le démarrage de Sénégal Airlines en janvier (lire p. 81) redonnent cependant espoir aux professionnels. Surtout, le tourisme d’affaires a, lui, bien progressé. Hôtels de luxe dotés de salles de conférences, desserte facilitée depuis l’aéroport, multiplication des événements (salons, foires et autres forums) permettent en effet à l’hôtellerie d’afficher des taux de remplissage annuels excédant les 75 %.
72 LE PLUS SÉNÉGAL L’optimisme gagne aussi l’agriculture (lire p. 88), qui semble enfin avoir engagé sa révolution. « Après des résultats négatifs sur plusieurs campagnes, [la production] s’est redressée en affichant une progression annuelle moyenne de 6,4 % entre 2006 et 2009 », note la Banque africaine de développement. Aidée par des conditions climatiques favorables, la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), lancée en 2008 par le président Abdoulaye Wade, semble donner des résultats. Du côté des industries extractives aussi, les indicateurs sont au vert grâce à l’essor de la filière phosphates (lire p. 89) et à l’annonce de la mise en production, d’ici à 2012, de deux nouvelles mines d’or à Goulouma et Massawa, dans la région de Kédougou. Avec 5 t en 2010, le Sénégal est pour le moment le treizième producteur africain d’or, loin derrière les 50 t du Mali voisin, troisième producteur du continent.
UNE BASE CONTINENTALE POUR LES MULTINATIONALES LE CLIMAT SEMBLE PROPICE à la prospérité des sociétés internationales. Elles gagnent de l’argent, elles ne veulent pas partir. Mieux, depuis six mois, une tendance de fond se confirme : les multinationales affluent vers le pays, qui leur offre une stabilité politique et macroéconomique. Le retour des bailleurs de fonds, les investissements structurants de ces dernières années et la volonté affichée de résoudre de manière durable la crise énergétique donnent confiance aux investisseurs étrangers, échaudés, en outre, par la situation ivoirienne. Hewlett-Packard ou IBM, entre autres, sont venus s’installer ces trois derniers mois. Petit marché avec seulement 13 millions d’habitants, le Sénégal constitue avant tout, pour ces groupes, une base M.P. pour aller conquérir l’ensemble du marché sous-régional. ■
DES FREINS STRUCTURELS
Reste que globalement, « il y a encore des efforts à faire sur la productivité des investissements et la gouvernance », remarque Valeria Fichera, représentante permanente du FMI à Dakar. Par ailleurs, la croissance se trouve amputée par les activités informelles, qui représenteraient 55 % des flux financiers du pays. « Des fortunes sont bâties via le secteur informel, sur lequel l’État
LE PAYS DANS LA COMPÉTITION RÉGIONALE Bénin
UEMOA
en millions d'habitants
9
PIB en 2010 (1) en milliards de dollars (prix courants)
Croissance variation du PIB, en % (prix constants) 2009
2010 (1)
6,5
2,5
2,8
Climat des affaires
PIB par habitant
Inflation
en dollars
en %
classement « Doing Business » 2011(2)
673
2,8
170
Burkina Faso
15
8,7
3,2
4,4
590
2,3
151
Côte d’Ivoire
20
22,4
3,8
2,9
1016
1,4
169
Guinée-Bissau
1,7
0,8
3
3,5
498
1,5
176
Mali
14
9,1
4,4
5,1
649
2,1
153
Niger
15
5,6
– 1,2
3,5
383
3,4
173
Sénégal
13
12,7
2,2
4
964
0,9
152
7
3,1
3,1
3,3
441
2,2
160
11
4,3
– 0,3
3
421
15,4
179
3
3,5
– 1,1
4,7
1096
6,1
165
32
91,7
4,9
4
2868
1,5
114
Togo Guinée
Hors UEMOA
Population
té nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) n’a pas encore su relever le défi de faire face à une demande en hausse de 8 % par an en moyenne, mais « l’État semble avoir compris et placé l’énergie en tête des priorités », selon Valeria Fichera. Au-delà du plan d’urgence lancé en février (lire p. 85), la bonne nouvelle vient peut-être de la note (B1) attribuée au Sénégal le 9 mars par Moody’s grâce à sa « relative stabilité macroéconomique ». Elle pourrait en effet permettre à l’État sénégalais de solliciter plus aisément les marchés internationaux afin de lever quelque 500 millions de dollars (plus de 230 milliards de F CFA), dont une partie serait affectée au secteur énergétique. ■
Mauritanie Maroc
(1) Estimations - (2) sur 183 pays classés selon la facilité pour faire des affaires
SOURCES : UEMOA - FMI, OCTOBRE 2010 - BANQUE MONDIALE « DOING BUSINESS » 2011
n’exerce aucun contrôle », rapporte un observateur. Un problème auquel pourrait remédier la création récente d’un centre fiscal pour les PME, qui permettrait d’accroître les contrôles. Autre faiblesse : la crise énergétique. Selon une étude publiée le 16 mars par la Direction de la prévision et des études économiques du ministère des Finances, elle a provoqué une perte de croissance de 1,4 % en 2010 et menace les prévisions de la Banque mondiale (+ 4,5 %) pour 2011. Les délestages pourraient, comme ce fut le cas en 2009, « fortement affecter le taux de croissance économique, [qui] pourrait enregistrer 1,5 % de moins en 2011 », avertissait dès janvier Alan Dennis, un économiste de l’institution. La Socié-
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Décryptage ALAIN FAUJAS
Une reprise toute relative
A
ucun doute, le Sénégal va mieux. Au moins en termes macroéconomiques, il se relève de la tourmente de la crise de 2008-2009 qui avait vu son économie fléchir sous l’effet de la hausse des cours du pétrole et du riz notamment. Les touristes sont de retour et les envois d’argent des émigrés aussi (environ 1,2 milliard de dollars en 2010, soit plus de 857,5 millions d’euros, selon la Banque mondiale). L’aide des bailleurs de fonds internationaux ne fait pas défaut à ce pays qui est l’un de leurs chouchous en Afrique. L’agriculture – ou plutôt certains secteurs de l’agriculture – est repartie de l’avant, tirée par les crédits de la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), qui a permis de fournir à meilleur prix et en plus grande quantité des semences, des pesticides et des engrais. Tirons tout de même un coup de chapeau à la météo, laquelle a fait en sorte que ces intrants soient utiles aux belles récoltes qui en ont résulté… Le poisson et les phosphates se vendent mieux. L’éducation progresse. L’autoroute Dakar-Diamniadio et le futur aéroport Blaise-Diagne sont en retard, mais leurs chantiers avancent et leurs financements semblent plus transparents que par le passé, si l’on en croit ceux qui se sont penchés sur les montages sophistiqués dont ils ont été l’objet. Ont été sagement abandonnés quelques « éléphants blancs » chers au président Wade, comme le projet de nouvelle capitale. LES FINANCES PUBLIQUES sont entrées en conva-
lescence, après les excès budgétaires commis pour subventionner le prix de l’énergie (700 millions de dollars depuis cinq ans, toutes mesures confondues) ou de l’alimentation et éviter ainsi des manifestations. Sous l’égide d’Abdoulaye Diop, le ministre des Finances qu’Abdoulaye Wade a laissé faire, l’assainissement a permis de ramener les arriérés de paiement de l’État à une situation presque normale. Après une croissance moyenne du produit intérieur brut de 2,7 % sur les années 2008-2009, la cadence s’est accélérée à 4 % en 2010 et promet de pousser jusqu’à 4,4 % cette année. Dans son rapport annuel sur l’état d’avancement de la stratégie de réduction de la pauvreté, publié en décembre 2010, le Fonds monétaire international (FMI) a délivré grosso modo un satisfecit au gouvernement sénégalais. Le pays est-il pour autant en route pour accéder à la catégorie des États émergents, comme en rêve son J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
président ? Peu probable, tant sa convalescence semble encore peu palpable pour les Sénégalais. En effet, comment améliorer significativement le niveau de vie d’une population dont 60 % vit encore avec moins de 2 dollars par jour quand la croissance économique de 4 % est mangée par un taux d’accroissement démographique de 2,6 % ? En l’occurrence, durant les quinze dernières années, la croissance par tête a été inférieure de deux points de pourcentage à celle des pays non pétroliers les plus performants d’Afrique subsaharienne. COMMENT CRÉER EN NOMBRE appréciable des em-
plois privés, les seuls qui génèrent une richesse durable, quand le Sénégal est 152e sur 183 États analysés par le rapport « Doing Business » 2011 de la Banque mondiale ? Dans ce classement des pays où il fait bon entreprendre ou non, il a encore reculé d’une place. Comment développer une économie lourdement handicapée par l’incurie prolongée qui vaut à ses habitants et à ses entreprises des coupures de courant électrique erratiques et répétées ? Le nouveau ministre de l’Énergie a étonné. On s’attendait à ce que Karim Wade, fils du président et candidat à sa succession, prolonge les palinodies antérieures. Au lieu de cela, il a demandé et publié un rapport sans concessions réalisé par McKinsey (pour le volet comptable et financier) et Électricité de France (pour la partie technique). Ne reste plus qu’à en tirer les conséquences et à prendre les mesures qui s’imposent, toutes fort onéreuses et qui n’auront pas d’effet réel avant 2014, au mieux. On redoute que la marge budgétaire retrouvée de l’État ne serve à quelques mesures cosmétiques pour passer le cap délicat de l’élection présidentielle de 2012. Ce calcul à courte vue ne serait pas seulement du gaspillage de l’argent des usagers et des contribuables, mais de la croissance et du temps perdus, dans un pays où la jeunesse n’en peut plus d’attendre. ■
Quelques « éléphants blancs » chers au président Wade – dont la nouvelle capitale – ont été sagement abandonnés.
VINCENT FOURNIER/JA
LE PLUS 75
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Créée en 2002 par Monsieur Cheikh AMAR, TSE/AFRIQUE est une Société Anonyme (SA) spécialisée dans les équipements agricoles et intrants, dont le siège social est à Dakar (Sénégal). TSE/Afrique (Tracto Service Équipment) participe au Programme de Modernisation de l’Agriculture lancé par le Chef de l’État du Sénégal, et grâce au partenariat public privé et à la confiance placée en son dirigeant, devient un des partenaires privilégiés de l’État à travers plusieurs Programmes et Projets dont : • le Programme National de Modernisation de l’Agriculture avec la fourniture d’un millier de tracteurs équipés, • le Programme National d’Autosuffisance en Riz avec la fourniture de plus de 2 300 pompes et divers équipements d’irrigation, • le programme de valorisation des produits agricoles avec la mise en place de 500 unités environ de
matériels post récolte et de transformation, • Le programme d’allègement des travaux des femmes avec plus de 2 000 Moulins à céréales Inscrite dans la Convention Collective du Commerce au Sénégal, TSE/Afrique est aujourd’hui un des leaders de la sous région dans le domaine des équipements agricoles. Grâce à son dynamisme, TSE/Afrique s’est vue confier en 2005 par l’État du Sénégal, en qualité d’Agence d’exécution, la mise en œuvre d’une ligne de crédit d’un montant global de l’ordre de 150 millions de dollars US destinée aux programmes de : • La modernisation de l’agriculture • Le programme d’autosuffisance alimentaire notamment en riz avec la production d’un million de tonne de riz à l’horizon 2015 • La valorisation de la production agricole par l’amélioration des in-
frastructures de conservation et de transformation • L’allégement des travaux des femmes • Les infrastructures de transport, etc. Poursuivant sa croissance, TSE/Afrique a diversifié ses activités et s’est transformée en 2010 en « Holding » avec plusieurs filiales qui englobent aujourd’hui des secteurs tels : • LES MINES avec un permis minier sur une réserve estimée à environ 100 millions de tonnes de phosphates dans la région de Matam. Le Président Directeur Général de TSE est actionnaire majoritaire de la société d’Exploitation et de Réalisation des Phosphates de Matam (SERPM) et à ce titre occupe la fonction de Président du Conseil d’Administration ; • LES ENGRAIS : TSE/Afrique est aujourd’hui le principal partenaire de l’État dans la fourniture des engrais avec une quantité annuelle de l’ordre d’environ 50 000 tonnes par an, d’une valeur de 17 Milliards de F CFA environ ; • L’IMMOBILIER : Sa filiale TRE (Touba Real Estate) réalise actuellement l’un des plus grands complexes immobiliers du Sénégal, sur une superficie de 29 ha comprenant une cité résidentielle ministérielle avec plus de 51 logements de très grand standing et plus de 400 villas hauts de gamme.
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TSE/Afrique participe au Programme de Modernisation de l’Agriculture lancé par le Chef de l’État du Sénégal, et devient un des partenaires privilégiés de l’État à travers plusieurs Programmes et Projets. Le coût global du projet en cours de réalisation est évalué à 70 milliards de F CFA ;
Général ont reçu plusieurs distinctions et nominations au niveau national et international :
• LE TRANSPORT : avec sa filiale « Amar Logistique », qui dispose d’un parc de 30 camions de 30 tonnes assurant ainsi son autonomie partielle dans l’exécution de projets importants. Récompensés pour ses performances, TSE/Afrique et son Président Directeur
• Cauris d’Or du meilleur Entrepreneur en 2007, décerné par le Mouvement des Entreprises du Sénégal (MDES) • Prix BID (Business Initiative Direction) Edition 2007 dans la catégorie Or pour le Leadership et les résultats d’affaires (Paris)
• SEDAR 2008 de l’Entreprise la plus innovante dans le domaine de l’Agro industrie (Dakar) • Homme de l’Année 2009 au Sénégal (récompense ultime) • Prix BID 2010 dans la prestigieuse catégorie « platine et diamant » (Paris). Tout ceci conforte la crédibilité de TSE/ Afrique et de son Président Directeur Général au niveau national et international.
PROFIL DU PDG MONSIEUR CHEIKH AMAR Monsieur Cheikh AMAR est âgé de 42 ans, marié et Père de 3 enfants. Après des études en France, ce natif de Saint Louis du Sénégal se lance dans le monde des affaires dans l’Import Export. Après 15 années passées en France, il décide de mettre toute son expérience au service de son pays en s’investissant dans l’agriculture après recommandation de son Guide spirituel, le défunt Khalife Général des Mourides, Serigne Saliou MBACKE. Celui-ci jouera un rôle fondamental auprès de Cheikh AMAR, profondément attaché aux valeurs du Mouridisme, en lui confiant la mécanisation des dahras de Khelcom (environ 45 000 ha de superficie, répartis en plusieurs dahras avec divers champs de culture), réalisée à la grande satisfaction du Marabout grâce à 300 tracteurs équipés . Après avoir créé en 2002 TSE/Afrique, et être devenu « l’homme de l’année» en 2008 , Cheikh AMAR se lance de nouveaux défis notamment dans l’ immobilier , en créant en 2008 la Société Touba Real Estates (TRE) qui réalise actuellement au Sénégal l’une des plus grandes cités résidentielles, puis en diversifiant ses activités avec la création d’un Holding en 2010.
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Le Chef de l’État Abdoulaye Wade et Monsieur Cheik Amar.
Aujourd’hui, Cheikh AMAR est devenu un homme d’affaire très respecté, intervenant également beaucoup dans le social et l’humanitaire. Il symbolise aujourd’hui la nouvelle génération, à la tête de plusieurs entreprises dont il est le principal fondateur grâce à son génie créateur, à des années de sacrifice, à son travail sans relâche et à la bénédiction de son guide spirituel, à qui il voue une dévotion sans limite .
email: tseafrique@gmail.com www.tse-afrique.com
78 LE PLUS SÉNÉGAL
ERICK AHOUNOU/APA
Un quart de la population s’entasse sur 0,28 % du territoire national.
URBANISME
Planification capitale Après des années dʼexpansion anarchique de lʼagglomération, la stratégie de développement du Grand Dakar commence à prendre forme.
D
akar étouffe. Dakar refuse du monde. Et Dakar souffre de problèmes environnementaux. Large de seulement 550 km², la « presqu’île-capitale », ceinte par l’océan Atlantique, représente 0,28 % du territoire national, mais abrite désormais 25 % de la population sénégalaise. Les Dakarois étaient 500 000 en 1967, 2,4 millions en 2004 et sont près de 4 millions aujourd’hui. Un prodigieux boom démographique qui ne doit rien au hasard. Il est la conséquence logique de l’exode rural lié à l’abandon des activités agricoles, de l’absence de politique nationale d’aménagement du territoire et de la concentration dans la capitale de l’activité et des revenus (plus de 60 % de l’économie globale). Si la croissance accélérée de sa population était prévisible, l’agglomération dakaroise s’est pourtant laissée dépasser par la situation.
La métropole s’est étendue de façon anarchique, sans plan d’urbanisme ni planification à court, moyen ou long terme. Le non-respect des règles urbanistiques les plus élémentaires a engendré la création de bidonvilles, l’apparition sur des zones de captage de constructions emportées par les flots à chaque hivernage, une pression intenable sur les réseaux (téléphone, électricité, eau courante) et sur l’ensemble des infrastructures…
modernes sur les artères principales, de ponts et d’échangeurs, ou la remise à neuf du réseau d’éclairage public. Le boom de l’immobilier et la création de nouveaux quartiers résidentiels (SacréCœur 3, Liberté 6 Extension, Almadies Zone 7…) ont redoré le blason de la ville, qui a repris sa place historique de phare de l’Afrique de l’Ouest. Ce polissage ne s’est toutefois pas opéré sans problème. Manque de maîtrise de l’espace urbain, spéculation foncière, surpopulation, crise du logement social, dégradation du cadre de vie, développement anarchique d’activités économiques… Face à cette spirale alarmante, l’ONU-Habitat et Cities Alliance (une coalition mondiale
Les Dakarois réclament des espaces verts et des services de base pour tous.
PHARE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
Depuis son accession à la tête de l’État en mars 2000, Abdoulaye Wade a procédé à la mise en œuvre du Programme d’amélioration de la mobilité urbaine (Pamu) conçu par le régime de son prédécesseur, Abdou Diouf. Le paysage urbain s’en est ressenti. Dakar s’est embelli et a rajeuni, avec notamment la construction de routes
de villes et de partenaires de développement pour éradiquer les bidonvilles) ont mis sur les rails un projet de « Stratégie de développement urbain du Grand Dakar ». En amont du projet, il s’agissait d’asseoir un véritable leadership des collectivités locales – dont les prérogatives et ambitions étaient jusqu’à présent floues par rapport à celles de l’État central –
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LE PLUS 79 dans la gouvernance métropolitaine, afin de rationaliser la planification à l’échelle de l’agglomération du Grand Dakar. L’adoption de la stratégie de développement urbain doit donc désormais clairement relever de l’Entente Communauté des agglomérations de Dakar-Communauté des agglomérations de Rufisque (Entente Cadak-Car), présidée par le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. Cette instance regroupe l’ensemble des collectivités locales de la région-capitale : les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque, les communes de Diamniadio, Bargny et Sébikotane, ainsi que les communautés rurales de Sangalkam et de Yène. HANOI POUR MODÈLE
Les 3 et 4 mars 2010, les autorités de toutes ces entités se sont réunies pour élaborer un plan d’actions prioritaires, une évaluation financière, ainsi qu’une stratégie de recherche de financements et de partenaires. À l’horizon 2025, comme le souligne Khalifa Sall, l’objectif est de « rétablir l’équilibre entre croissance économique, respect de l’environnement et équité sociale » dans l’agglomération. Les acteurs du futur Grand Dakar ont en effet pris conscience qu’il était indispensable de se recentrer sur les principes du développement durable et participatif, et la formulation du projet résulte d’une concertation avec la population, organisée à travers des forums communautaires. Parmi les recommandations issues des débats entre habitants et élus locaux, certaines sont
MIRAGE AU BORD DE L’ATLANTIQUE ALORS QUE LES ÉLUS LOCAUX ET LES ACTEURS institutionnels membres du Comité de coordination du projet « Stratégie de développement urbain du Grand Dakar » s’activent, le chef de l’État a un autre fer au feu : la création d’une nouvelle capitale au bord de l’Atlantique. À 120 km au nord-est de Dakar et à 60 km au nord de Thiès, le site a été choisi pour sa beauté naturelle, son climat subcanarien dans le Sahel, la proximité de la mer, les ressources disponibles en eau potable, la distance raisonnable (80 km) par rapport au nouvel aéroport de Diass (lire pp. 80-81)… Sur la fiche du projet, la future cité se veut « un centre administratif, une ville attractive (tourisme, lieux d’échanges commerciaux et culturels), une ville à dimension humaine (taille, hauteur des constructions, densités), une ville verte (espaces verts et ouverts, revitalisation des Niayes), une ville vivante (mixité des fonctions : habitat, travail, loisirs…), une ville moderne (intégration de technologies, systèmes de transport…) », etc. Reste que, si l’idée a été lancée par Abdoulaye Wade et formalisée sur le papier par l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix), elle n’a pour le moment pas connu le moindre début de mise en œuvre. Et ne risque pas d’en connaître à court terme. Mais le rêve, a-t-on coutume de dire, est touC.Y.S. jours permis… ■ récurrentes. Les Dakarois réclament la création de nouveaux espaces verts, la destruction des quartiers précaires bâtis sur les zones de captage, l’installation d’un véritable réseau ferroviaire, la mutation de la banlieue en un tissu de villes-satellites interconnectées, la réalisation d’un nouveau réseau d’assainissement, la mutualisation des moyens pour créer des services publics de transport, de collecte des ordures, de sécurité, etc. Les élus locaux se sont par ailleurs entendus pour prendre la capitale viet-
namienne comme modèle, et c’est donc le « Hanoi Master Plan to 2030 and vision to 2050 » qui inspire désormais la stratégie de développement urbain du Grand Dakar. Sortie meurtrie de décennies de guerre, Hanoi a réussi sa mutation en un temps record. En 2008, des projets immobiliers y ont attiré des investissements de l’ordre de 28 milliards de dollars (environ 20 milliards d’euros) et la superficie de la ville a triplé après avoir absorbé la province du Ha Tay et des communes limitrophes. ■ CHEIKH YÉRIM SECK, à Dakar
80 LE PLUS SÉNÉGAL INFRASTRUCTURES
Petits moyens et grands projets Si la livraison du nouvel aéroport international et de la première autoroute est retardée, les travaux de ces chantiers prioritaires progressent.
DÉCALAGE HORAIRE
L’AIBD est conçu pour ne souffrir aucune comparaison en Afrique subsaharienne. Il répondra aux standards européens et américains, sera doté de deux pistes de 4 000 m sur 45 m, qui pourront accueillir les gros-porteurs d’aujourd’hui comme ceux de la génération à venir, et abritera toutes les fonctions connexes (services commerciaux, maintenance des appareils, stockage et conservation de produits frais, etc.). D’une capacité annuelle initiale de 3 millions de passagers et de 80 000 mouvements d’aéronefs, extensible par modules, le nouveau complexe devrait, selon les estimations, absorber un trafic de 54 000 tonnes de fret en 2020. Comparativement, en 2010, l’AILSS a enregistré un trafic d’un peu plus de 1,7 million de passagers, 24 000 t de
ERICK AHOUNOU/APA
L
e président Abdoulaye Wade veut graver dans la pierre l’empreinte de son passage aux affaires. Ce rêve – qu’il partage avec nombre de ses homologues – se lit dans les grands travaux qu’il a projetés et qui sont, pour les plus importants, en cours d’exécution. La construction d’un nouvel aéroport, à Diass, à 45 km à l’est de Dakar, est l’un des plus grands défis de son second mandat. Complexe moderne à l’architecture futuriste, l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), qui porte le nom du premier député africain à l’Assemblée nationale française, a une emprise de 2600 hectares; une immensité, comparée aux 800 ha de l’aéroport international Léopold-Sédar-Senghor (AILSS), l’infrastructure historique du pays, dont l’activité doit cesser une fois l’AIBD achevé.
Le complexe aéroportuaire sera doté de deux pistes de 4000 m de longueur.
fret et 44000 mouvements d’appareils. L’ouvrage, d’un coût global de 350 millions d’euros, a pour concepteur et constructeur Saudi Bin Ladin Group, pour gestionnaire l’entreprise allemande Fraport AG (qui gère notamment les aéroports de Francfort, du Caire, de New Delhi et de Lima) ; la banque française BNP Paribas et la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE)
Pour le trafic de passagers comme de marchandises, la capacité sera doublée. conduisent la coordination bancaire finançant le projet. Le tout, bien entendu, sous l’égide de l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix). Pour autofinancer partiellement le projet, l’État a créé une nouvelle taxe, la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (RDIA), qu’il perçoit depuis le 1er avril 2005.
Si le financement est officiellement bouclé, et alors que la livraison de l’aéroport était prévue pour la fin de 2011, il ne sera pas opérationnel avant l’échéance présidentielle de février 2012. Et le volontarisme du chef de l’État ne pourra rien y changer. En effet, selon un cadre expatrié du groupement Studi International-Sofreavia-Saci, sélectionné pour assurer la mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage, « l’aéroport ne peut, au mieux, ouvrir ses portes que début 2014. D’ici l’année prochaine, il n’est possible que de terminer le mur de protection (un ouvrage sensible et délicat à ériger), et ce à condition que le chantier fonctionne en continu. Les travaux sur la tour de contrôle et les pistes ne peuvent être achevés avant 2013. Ensuite seulement, conformément aux normes de sécurité qui régissent la navigation aérienne, l’ouvrage accueillera des vols tests pendant un an avant de pouvoir être homologué ». Le nouvel aéroport semble donc parti pour entrer en service dans trois ans. Au moment même où devraient s’achever les travaux de l’autoroute qui y mènera.
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LE PLUS 81 Présentée comme l’un des plus importants « grands projets du chef de l’État », l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio est une vieille idée – des études d’exécution détaillées avaient déjà été élaborées en 1978. Aujourd’hui, alors qu’entrer et sortir de la capitale est devenu un véritable chemin de croix, il était temps d’exhumer une bonne fois pour toutes le projet des cartons. L’objectif est triple. Il s’agit d’assurer un déplacement rapide des personnes et des marchandises vers et depuis Dakar en améliorant la mobilité dans l’agglomération, mais aussi de connecter le centre-ville, le futur aéroport de Diass et la future Cité des affaires (prévue sur le site de l’aéroport actuel). Enfin, l’autoroute aura pour effet de stimuler la mise en œuvre d’une politique de développement urbain à l’extérieur des zones saturées de la presqu’île du cap Vert, dont elle va devenir la colonne vertébrale. SUR LA BONNE VOIE
Les travaux de cette route de deux fois trois voies, d’une longueur de 34 km – dotée de viaducs, ponts et échangeurs –, ont déjà bien avancé. Le premier tronçon (Malick Sy-Pikine, long de 12 km) est ouvert à la circulation depuis août 2009. Celui restant (Pikine-Diamniadio, 22 km) va être achevé en deux phases
UN AXE DE 34 KM POUR DÉSENGORGER LA PRESQU’ÎLE DU CAP VERT KEUR MASSAR PIKINE
DIAMNIADIO
PATTE D'OIE BARGNY Océan Atlantique
MALICK SY Vers l’aéroport international Blaise-Diagne
Autoroute à péage Route nationale
DAKAR
(Diamniadio-Keur Massar puis Keur Massar-Pikine) d’ici fin 2013 – au lieu de 2012. Le coût global, estimé à 380,2 milliards de F CFA (580 millions d’euros), est entièrement mobilisé. L’essentiel du financement (319,2 milliards de F CFA) est fourni par l’État sénégalais et ses partenaires (Banque mondiale, Agence française de développement, Banque africaine de développement…). Le groupe français Eiffage, constructeur et concessionnaire du projet, a apporté quant à lui 61 milliards de F CFA – dont 40 milliards prêtés, entre autres, par la Société financière internationale, la Banque ouest-africaine de développement et la CBAO. En vertu de la concession
BOT (build, operate and transfer) passée avec l’État, il assurera l’exploitation de l’ouvrage pendant trente ans. Si la livraison de l’aéroport et de l’autoroute est quelque peu retardée, leurs chantiers sont bien avancés. Ce qui n’est pas le cas d’autres grands travaux, comme le chemin de fer à écartement standard, censé désenclaver le pays et faciliter les exportations vers les marchés de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui reste à l’état de projet. Ou la Cité des affaires, qui attend l’ouverture de l’aéroport de Diass pour que sa construction sur le site de l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor redevienne d’actualité – ou pas. ■ CHEIKH YÉRIM SECK, à Dakar
AÉRIEN
Sénégal Airlines protège ses arrières La compagnie a pris son envol en janvier et joue des coudes pour évincer ses concurrents sur la desserte de la sous-région à partir de Dakar. Classique...
À
peine a-t-elle décollé que Sénégal Airlines défraie la chronique. Notamment à cause de la stratégie mise en œuvre par Dakar pour l’aider à se faire une place sur le très concurrentiel marché ouestafricain… Un peu plus de deux semaines avant le lancement, le 25 janvier, de la compagnie aérienne, les autorités sénégalaises ont interdit à Brussels Airlines de desservir toute destination sous-régionale en vol direct à partir de Dakar. La compagnie belge ne peut plus opérer que la desserte Bruxelles-Dakar. La Belgique a dénoncé une rupture abusive de l’accord bilatéral liant les deux pays, mais, côté sénégalais, on remet en cause la validité dudit accord, arguant qu’il n’aurait pas été signé par les autorités compétentes, et on assimile toute liaison entre la capitale belge et d’autres destinations africaines via Dakar à « une concurrence déloyale ». J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Certaines compagnies africaines sont aussi victimes de ce « protectionnisme ». Ainsi, Asky Airlines, qui a démarré ses activités en janvier 2010 et avait sollicité un droit de trafic, attend toujours le feu vert des autorités sénégalaises. Mais Sénégal Airlines entend surtout faire la différence par la qualité du service. Si la plupart des compagnies de la sous-région effectuent des dessertes avec plusieurs escales, la direction dit vouloir proposer des vols réguliers et directs en aller-retour au départ de Dakar. Parmi les destinations ciblées: Conakry, Banjul, Abidjan, Nouakchott… La compagnie, qui attend la livraison d’un troisième avion d’ici au mois de juin, prévoit d’accueillir 350000 passagers à son bord cette année. Sa jeune concurrente Asky Airlines, basée au Togo, en a transporté plus de 180 000 pour sa preSTÉPHANE BALLONG mière année d’activité, en 2010. ■
Le Mot du Directeur Général, M. Blaise AHOUANTCHEDE
Le GIM-UEMOA, un bel exemple d’intégration économique et financière L’essor économique des nations s’est toujours accompagné du développement des moyens de paiement électronique. L’UEMOA ne saurait être en reste. La forte utilisation de la monnaie fiduciaire présente des inconvénients majeurs à tous les acteurs de la vie économique notamment des lenteurs et des coûts relativement élevés dans le traitement des transactions financières et des difficultés dans le contrôle de l’activité macro-économique. Véritable levier de croissance, la monétique est à la fois la réponse aux obstacles précédemment cités et un élément important de bancarisation de nos populations. A cet effet, nous saluons l’initiative de la BCEAO et la communauté bancaire de l’UEMOA pour avoir eu la vision de mettre en place dans leur espace monétaire un système monétique interbancaire de retrait et de paiement.. Cette vision s’est accompagnée d’actions soutenues qui ont permis au GIMUEMOA de bâtir un véritable socle d’échanges de flux financiers à savoir l’interopérabilité monétique régionale. Aujourd’hui, parmi les 100 banques membres du GIM-UEMOA, une soixantaine est déjà interconnectée au GIM-UEMOA et offre à leurs porteurs de cartes, des services monétiques indépendamment de leurs banques. A travers son offre, le GIM-UEMOA reste disposé à accompagner aussi bien le secteur public que privé, confronté aux problématiques de recouvrement et toute autre difficulté rencontrée dans la gestion du cash. En effet, le financement des économies locales ne pourra se faire qu’avec la sécurisation des revenus et des ressources. Dans un contexte économique de plus en en difficile, la stratégie du GIM-UEMOA s’inscrit véritablement dans la promotion de
ENTREZ DANS L’UNIVERS DU RESEAU GIM...
... ET BENEFICIEZ • Du plus vaste réseau de retrait GAB et de paiement par carte de l’espace UEMOA • De la sécurité, l’hygiène et la commodité du paiement par carte • De la facilité d’obtention d’une carte bancaire au label “GIM-UEMOA” Pour toute information, contactez votre banque.
l’inclusion financière autour de trois chantiers majeurs pour les prochaines années : La mise en œuvre effective de l’Acquisition Commerçant Unique (ACU) favorisant le déploiement des Terminaux de Paiement Electronique (TPE) partout dans la zone UEMOA auprès des commerces et des Administrations pour le règlement des achats de biens et de services, des impôts et taxes… La mise en place du projet Mobile Banking / Mobile Payment comme principal vecteur de bancarisation de nos populations et d’accès aux services financiers de base Et le développement de Solutions de Paiement sur Internet. Les populations quant à elles peuvent d’ores et déjà contacter leurs banques pour utiliser les services du réseau GIM.
8 Etats Bénin Burkina Faso Côte d'Ivoire Guinée Bissau Mali Niger Sénégal Togo
GIM, le réseau interbancaire monétique de l’UEMOA GROUPEMENT INTERBANCAIRE MONETIQUE DE L’UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST AFRICAINE Lot P10, Ouest Foire – Route de l’Aéroport – BP 8853 DAKAR-YOFF – SENEGAL Tél. : +221 33 869 95 95 – Fax : +221 33 820 54 65
Présentation du GIM-UEMOA Le Groupement Interbancaire Monétique de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (GIM-UEMOA), Organisme International est la structure de gouvernance, de tutelle et de traitement de la monétique interbancaire dans la zone UEMOA. Il a été constitué en 2003 par les Banques, Etablissements Financiers et Postaux, Structures de microfinance, Etablissements de monnaie électronique sous l’impulsion de la BCEAO dans le cadre du projet de M o d e r n is at i o n d es S y s t è me s e t Moyens de Paiement. Le GIM-UEMOA regroupe la quasi-totalité des institutions financières de l’UEMOA. Le GIM-UEMOA est chargé principalement de développer l’utilisation de la carte bancaire et de tout autre moyen de paiement électronique dans les 8 Etats de l’UEMOA.
Chiffres clés 8 Etats de l’UEMOA 100 banques membres + de 1 500 GAB + de 1 000 000 de porteurs utilisent le
réseau GIM (au 31 décembre 2010)
+ de 45 millliards de FCFA de flux
financiers monétiques traités en 2010.
Dates clés 2003 : Création du GIM-UEMOA 2004 : Le GIM-UEMOA est devenu Organisme International grâce à l’Accord de Siège signé avec le Gouvernement du Sénégal 2007 : 1er retrait interbancaire entre deux banques de l’UEMOA 2008 : 1ère Edition du Salon Monétique Régional à Abidjan les 02 et 03 juillet 2009 : Adoption du principe d’Acquisition Commerçant Unique (ACU) en décembre conférant au GIM-UEMOA le rôle d’acquéreur unique des transactions cartes sur TPE dans l’espace UEMOA 2010 : Entrée en vigueur de l’acquisition commerçant unique (ACU) le 1er Août 2010 : Cauris d’Or 2010 de l’entreprise la plus innovante, le 01er Mai 2010 : 2ème Edition du Salon Monétique Régional les 17 et 18 décembre 2010 : 1ère Edition du Forum sur la Fraude et la Sécurité Monétique le 18 décembre
www.gim-uemoa.org
LE RESEAU INTERBANCAIRE MONETIQUE GIM VOUS OFFRE : L’accès à tous les GAB (Guichets Automatique de Banque) des banques de l’UEMOA affichant le logo du GIM-UEMOA
Tout détenteur de carte d’une banque connectée au GIMUEMOA peut effectuer des retraits et consulter son solde dans n’importe quel GAB d’une autre banque affichant le logo du GIM-UEMOA. Le coût de la transaction de retrait interbancaire est de 500 F TTC seulement (environ 0,76 € ).
Le paiement par carte dans les commerces affichant le logo du GIM-UEMOA
Le GIM-UEMOA, Acquéreur Commerçant Unique dans l’espace UEMOA (suite aux décisions prises par les banques de l’UEMOA en décembre 2009) permet à tout commerçant de biens ou de services de s’équiper de Terminal de Paiement Electronique (TPE) acceptant les cartes GIM, MasterCard et VISA et offrir ainsi à sa clientèle la possibilité de payer directement par carte.
Une carte bancaire sans compte bancaire : La carte prépayée interbancaire GIM et internationale GIM-MasterCard et GIM-VISA
Une plateforme de gestion des cartes prépayées (non adossées à un compte bancaire) est mise à la disposition des banques de l’UEMOA leur permettant d’offrir à tout client qui le désire une carte interbancaire ayant les fonctions de retrait, paiement, consultation de solde, rechargement et transfert instantané carte à carte, carte à cash, cash à carte sur tout le réseau GIM.
La solution monétique par délégation
C’est la sous-traitance de la partie technique de la monétique. Elle permet à toute banque ou institution financière qui le désire de pouvoir émettre des cartes bancaires pour sa clientèle et d’installer des distributeurs de billets ou guichet automatique de banque fonctionnant 24H/24 et 7/7J.
L’ouverture à d’autres réseaux internationaux tels que MasterCard et VISA
Tout porteur de carte GIM-MasterCard ou GIM-VISA d’une banque de l’espace UEMOA peut effectuer des opérations dans tous les points d’acceptation carte du monde entier affichant le logo du GIM-UEMOA, MasterCard, VISA. Tout porteur de carte MasterCard et VISA peut réaliser des transactions dans tous les points d’acceptation TPE du réseau GIM et au niveau des GAB affichant les logos “GIM-UEMOA, MasterCard et VISA”.
Les services complémentaires
Un centre d’appels monétique régional fonctionnant 24H/24 et 7J/7 pour une assistance aux porteurs, commerçants, banques ; un suivi en temps réel des transactions et une surveillance des infrastructures Une centrale d’achats en équipements monétiques (GAB, cartes, interfaces) Un centre de formation, consulting et de maîtrise d’ouvrage.
Les chantiers 2011 du GIM-UEMOA Le Mobile Banking/Mobile Payment (GIM-Mobile) Le Commerce électronique (GIM-Online) Le Paiement sur Internet (GIM-Online) Le Règlement des impôts et taxes Le Monitoring des GAB L’Acceptation des cartes AMEX et Union Pay sur le réseau GIM
84 LE PLUS SÉNÉGAL TRANSPORT MARITIME
La guerre des mondes Le dubaïote DP World a raflé en 2008 la concession du Port autonome de Dakar à la galaxie Bolloré. Sans avoir, pour lʼheure, convaincu les armateurs.
SOURCES : PAD, ANSD
ÉDOUARD CALIXTE
Q
ue se passe-t-il au Port autonome de Dakar (PAD) ? Selon le directeur général, Bara Sady, tout va bien. « La fréquentation a augmenté, ainsi que les revenus. Mais pas les tarifs. » Le trafic serait passé de 250 000 à plus de 350 000 conteneurs par an. Une performance attribuée à Dubai Port World (DP World), arrivé en 2008 pour vingtcinq ans. Sélectionné à la suite d’un appel d’offres remporté face à Bolloré Africa Logistics – qui régnait sur le PAD depuis vingt ans –, le nouvel opérateur est venu avec un projet ambitieux : plus de 49 milliards de F CFA (environ 75 millions d’euros) d’investissements d’ici à 2012 et un nouveau port, le Port du futur, d’un coût de 250 milliards de F CFA (1,5 km de quai, 15 m de profondeur, 40 ha, 9 portiques). « Aujourd’hui, les engagements ont été tenus, puisque les investissements prévus ont même été dépassés pour atteindre 70 milliards [de F CFA, NDLR] », explique Bara Sady. « Les revenus comme les rendements ont été multipliés par deux », assure-t-il, évacuant du revers de la main la polémique autour de l’éviction de Bolloré :
Depuis 2008,
« Parlons plutôt du déve2010, la tendance semble 70 milliards de F CFA ont été loppement du port ! » s’être améliorée, avec une investis, selon Problème. Les chiffres augmentation de 17,7 % le directeur de l’Agence nationale de la du trafic de marchandises général du PAD. statistique et de la démoet un chiffre d’affaires de graphie sont quelque peu 27 milliards de F CFA. différents. Entre 2008 et 2009, le transit global a chuté de 8,6 %, et le trafic PLEIN TARIF POUR TOUS de marchandises de 10,4 %. Le chiffre Les tarifs du port n’ont peut-être pas d’affaires s’établit en 2009 un peu aubougé, mais ceux appliqués par DP dessus de 25 milliards de F CFA. Depuis World auraient augmenté de manière 2007, il a chuté de plus de 1 milliard, exponentielle. « Certains armateurs malgré des rentrées supplémentaires : n’accostent même plus », confie un « Aujourd’hui, nous touchons des reprofessionnel du secteur. « DP applivenus sur le terre-plein et sur chaque que la vérité des prix, se défend Bara conteneur. Cela représente 2 milliards Sady. L’ancien opérateur [Bolloré, de plus par an », selon Bara Sady. En NDLR] appliquait des remises. Mais les engagements pris par DP World nécessitent cette vérité des prix. L’arÉVOLUTION DU TRAFIC DE MARCHANDISES AU PAD (en millions de tonnes) mateur peut se plaindre de ne pas bénéficier des mêmes facilités qu’avec 12 11,16 +17,7 Bolloré, mais ce dernier n’avait pas les mêmes obligations. » Parmi celles-ci, 10 l’entretien du port, assuré désormais 8,64 +16,7 8,09 par DP World. Les investissements 8 consentis justifieraient en outre cette Trafic total % nouvelle grille tarifaire. 6 Débarquement 5,88 Variations Reste au PAD à être compétitif face 2009/2010 Embarquement à ses concurrents. D’autres ports tirent 4 2,52 +21 2,21 en effet leur épingle du jeu. C’est le 2 cas de Pointe-Noire, en République du 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Congo, où l’activité affiche une belle J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
performance : + 19,55 % entre 2008 et 2009, pour un chiffre d’affaires de presque 30 milliards de F CFA. La crise ivoirienne aurait pu bénéficier aussi au PAD. « L’offre de DP World était peut-être trop ambitieuse, notamment concernant le Port du futur : il n’y a toujours rien de concret », constate un autre acteur, qui rappelle qu’il s’agit pourtant d’un des points de l’offre ayant permis
au groupe dubaïote de remporter la concession. « Le site est localisé et les études de préfaisabilité sont en cours », répond encore le directeur général, quelque peu agacé. Et de rétorquer : « DP World a pris le terminal en janvier 2008 et nous sommes satisfaits de ses prestations, aussi bien sur le plan technique que sur le plan financier. » Fin de la discussion. ■ MICHAEL PAURON
ÉNERGIE
Takkal, pour faire la lumière Face aux délestages, lʼambiance est électrique. En février, lʼÉtat a lancé un plan dʼurgence. Suffira-t-il à rétablir le courant ?
L
e ministre de l’Énergie, Karim Wade, parviendra-t-il à endiguer la crise énergétique qui met la population et les entrepreneurs sur les nerfs? C’est en tout cas ce qu’il promet, sur fond de plan d’urgence. Nom de code : Takkal (« lumière », en wolof). L’audit du cabinet McKinsey, dont les conclusions ont été rendues le 8 février, est sans concession : vétusté des installations, puissance insuffisante du parc, comptes de la Société nationale d’électricité (Senelec) plombés par un déficit de 286 milliards de F CFA (436 millions d’euros)… La crise était d’autant plus prévisible que, compte tenu de l’explosion démographique, du boom immobilier, de la politique de grands travaux énergivores et de l’équipement des foyers en produits électroménagers asiatiques bon marché, la demande en électricité croît en moyenne de 8 % par an alors que l’offre tend à diminuer. OBJECTIF 2015
Un comité de restructuration et un partenariat technique signé en décembre avec le français EDF ont permis de dresser un premier état des lieux et d’esquisser les grandes lignes de l’offensive qui sera menée jusqu’en 2015, année
du retour à la normale, selon Karim Wade. La location de deux centrales, pour une puissance de 150 MW, et leur connexion au réseau par des équipes mixtes EDF-Senelec doivent permettre de résorber une grande partie du déficit dès le mois d’août prochain. En outre, d’ici à deux ans, la Senelec s’équipera de générateurs pour une puissance totale de 130 MW. Passé l’urgence, il s’agira de remettre à niveau les centrales existantes et d’envisager la création de nouvelles infrastructures. APPEL AUX BAILLEURS DE FONDS
Parallèlement, l’État veut généraliser le recours aux ampoules basse consommation et a interdit, par décret, l’importation et la production de lampes à incandescence depuis le 1er mars. Objectif: économiser de 60 MW à 70 MW. Le plan prévoit par ailleurs la création d’un Conseil national de l’énergie supervisé par le président Abdoulaye Wade luimême et d’un Fonds spécial de soutien au secteur de l’énergie dédié aux approvisionnements en carburant. Quant à la restructuration de la Senelec, le ministère prévoit de recapitaliser et de renforcer les fonds propres de la société, notamment en faisant appel à la générosité des bailleurs de fonds comme l’Agence française de développement (AFD) et la Banque mondiale. Une série de réunions ont été organisées début mars afin de déterminer le montant d’une allocation d’urgence, qui, pour la seule AFD, devrait s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros. ■
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M.P.
86 LE PLUS SÉNÉGAL TOURISME
Trop chère Teranga
M
amadou Racine Sy est s at i sf a it . L e PD G du groupe Sénégal Hôtels et du Syndicat patronal de l’industrie hôtelière au Sénégal (Spias) se félicite de l’application, depuis début février, de la baisse de la TVA sur le secteur hôtelier, qui passe de 18 % à 10 %. Il en est sûr, cette réponse du gouvernement à une revendication formulée de longue date par les professionnels va redonner un coup de pouce à l’activité,
en berne depuis 2006. Elle devrait en effet permettre une baisse des prix et faire l’effet d’une vraie bouffée d’oxygène pour le secteur, étouffé par la cherté de la destination. Première coupable : la hausse de la taxe passager, passée de 22 euros en 2004 à 65 euros en 2009 avec l’intégration d’une nouvelle taxe, la Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (RDIA), destinée à financer le nouvel aéroport Blaise-Diagne de
NOMBRE D’ENTRÉES TOURISTIQUES PAR MOTIF DE VOYAGE Affaires
74 917
Conférences 32 329 27 778
102 857 102 776
Loisirs
245 347 226 296
Pélerinage 1 585 1 436 Santé
2008 2009
2 400 2 136
Autres
32 117 33 156
Les plages sénégalaises, comme ici à Mbour, n’attirent plus autant.
Diass (lire pp. 80-81). Elle a été directement répercutée sur le prix du billet d’avion. Résultat, pour les vacanciers qui choisissent encore le Sénégal, « le seul coût du transport équivaut presque à un séjour tout compris au Maroc… » déplore Mamadou Racine Sy. FRÉQUENTATION EN BERNE
65 334
Famille
YOURI LENQUETTE
Entrée en vigueur en février, la baisse de la TVA sur lʼhôtellerie, qui passe de 18 % à 10 %, redonne espoir aux professionnels. Tout nʼest cependant pas gagné pour redorer le blason du pays auprès de la clientèle étrangère.
SOURCE : AGENCE NATIONALE DE LA STATISTIQUE ET DE LA DÉMOGRAPHIE, SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL, DÉC. 2010
Alors que l’Afrique se distingue comme le seul continent où le tourisme a progressé en 2009 (+ 5 %, et même + 6,4 % pour l’Afrique subsaharienne), le Sénégal fait pâle figure. Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), qui se base sur les données aéroportuaires, il n’enregistrait que 458900 arrivées en 2009, 7,5 % de moins qu’en 2008. Le chiffre d’affaires de l’hôtellerie et restauration est en repli de 7,4 %. Même si l’année 2010 a marqué une très légère amélioration (+ 0,6 %), avec plus de 461 000 arrivées, le cap de 1,5 million de visiteurs en 2015 visé par le ministre du Tourisme, Thierno Lô, semble hors d’atteinte. Et les 9,3 millions de touristes enregistrés au Maroc en 2010 plus encore… Il faudra beaucoup d’efforts pour voir le pays de la Teranga (« hospitalité », en wolof) sortir de l’ornière. « D’autres handicaps nous empêchent d’avancer, précise Mamadou Racine Sy, comme les problèmes en Casamance », la région sud du pays, en proie à une rébellion depuis plus de vingt-cinq ans. En outre, le parc hôtelier devient vétuste et, enfin, le pays n’a pas su mobiliser les moyens nécessaires pour communiquer : il ne consacre qu’un petit milliard de F CFA J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
(un peu plus de 1,5 million d’euros) à la promotion de la destination, soit 0,3 % du chiffre d’affaires annuel du secteur. Conséquence : le soleil sénégalais s’éclipse des catalogues de voyages, y compris sur ses principaux marchés émetteurs. Ainsi, le nombre de visiteurs venant de France a diminué de 5,6 % en 2009 (ils représentaient encore 47,2 % de la fréquentation) et celui des touristes africains a chuté de 10,5 % (24,6 % du chiffre total). « Les moyens ne sont pas en adéquation avec les ambitions du pays, conclut le patron des hôteliers. Pourtant, la filière, génératrice d’emplois, de recettes aéroportuaires et de devises, est un pilier de la croissance économique, qui joue un rôle de levier pour les autres secteurs. » DES SIGNES ENCOURAGEANTS
Alors, la baisse de la TVA suffira-t-elle à faire revenir la clientèle ? Du côté des institutions internationales, on reste sceptique : « Nous attendons déjà de voir si cette réduction sera répercutée sur les prix, explique Valeria Fichera, représentante permanente du Fonds monétaire international (FMI) à Dakar. Dans plusieurs pays où l’on a joué avec le taux de TVA, ni les consommateurs ni l’activité du secteur ciblé n’en ont vraiment bénéficié au final. » D’autres signes encourageants redonnent néanmoins espoir à la filière. Le premier Salon international du tourisme de Dakar (TICAA), organisé en mai 2010 – et dont la deuxième édition aura lieu du 27 au 29 mai –, a par exemple été un franc succès, malgré, là encore, une faible communication :
tour-opérateurs européens, américains et même russes ont fait le déplacement, prouvant l’intérêt suscité par le pays et ses 700 km de littoral. L’occasion de présenter quelques nouveaux établissements prometteurs. Mbodiène, à 100 km au sud de la capitale, doit ainsi accueillir un nouveau complexe de 1200 chambres, selon Ousmane Ndoye, de la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal. Le projet, dont la livraison est prévue en 2013, mobilisera 24 milliards de F CFA (près de 37 millions d’euros). Il associe l’État sénégalais, le groupe américain Mother Land ainsi que des promoteurs français, italiens et sénégalais, dont Sipres. En outre, le décollage de Sénégal Airlines en janvier dernier (lire p. 81) pourrait améliorer l’accès depuis la sous-région. Enfin, le budget de l’Agence nationale de promotion touristique devrait sensiblement augmenter : la taxe de promotion touristique, qui lui est destinée, va passer de 600 à 1 000 F CFA la nuitée. « Désormais, ajoute Mamadou Racine Sy, nous devons nous efforcer de créer un système de financement dédié au tourisme, un crédit avec un taux bonifié, car pour le moment il n’existe pas d’outils adaptés au secteur. » Or les besoins en financement vont s’accroître, étant donné que, pour développer et restructurer l’offre, les professionnels et les pouvoirs publics vont devoir aménager de nouveaux sites touristiques et remettre à niveau les infrastructures existantes. ■
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MICHAEL PAURON
Formule prépayée d’Orange,
partout au Sénégal !
88 LE PLUS SÉNÉGAL AGRICULTURE
Les fruits de la Goana
E
ugène Faye, directeur général de la Société d’études et de réalisation des phosphates de Matam, en est un adepte inconditionnel : la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), lancée en 2008 en grande pompe par le président Abdoulaye Wade, lui a permis d’investir dans une usine de granulés phosphatés (utilisés comme engrais) d’une capacité de 25 000 tonnes par an, inaugurée en janvier 2010. Accroître l’utilisation des intrants – dont les engrais – était l’un des objectifs de la Goana. En échange de la prise en charge d’une partie des 2 milliards de F CFA (3 millions d’euros) d’investissements nécessaires pour son usine, Eugène Faye a fourni gratuitement en 2010 l’ensemble de sa production, soit 20 000 t de granulés. Chiffres contestés, annonces hasardeuses (« le pays est autosuffisant », avait lancé le chef de l’État lors du Forum social mondial de Dakar en février)… Où en est la Goana, ambitieux programme de plus de 344 milliards de F CFA – attribution de terres, fourniture d’équipements, subvention des intrants – à destination d’un secteur qui représente 8 % du PIB et 60 % des emplois ? À l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), l’optimisme est de mise. Le centre a planché sur la production de semences prébases améliorées – céréales, riz, arachide. « Nous pensons que l’autosuffisance alimentaire peut être atteinte en 2012 », annonce Alioune Fall, directeur scientifique. Avec une production de riz de 320 000 t, contre 200 000 t deux ans plus tôt, on reste cependant encore loin de l’objectif de couvrir les besoins annuels du pays, qui tournent autour de 800 000 t.
JACOB SILBERBERG/PANOS-REA
Si la Grande Offensive agricole pour la nourriture et lʼabondance produit ses premiers effets, le chemin vers lʼautosuffisance alimentaire est encore long.
Pulvérisation d’insecticide contre les sauterelles.
Si les attributions de terre ont prog ressé, at teig na nt 98 0 0 0 ha exploitables dans la vallée du fleuve Sénégal, dont 2 500 ha viabilisés en 2010, le pays reste loin de son potentiel : 25 0000 ha rien que pour cette zone, qui va bénéficier d’un nouveau programme hydraulique, estimé à 94,9 milliards de F CFA. Le stockage, la transformation (décorticage) et l’acheminement des pro-
ductions restent les points d’achoppement. Pour y remédier, le ministre du Commerce, Amadou Niang, a soutenu la création, en novembre, de la Société de promotion et de commercialisation du riz local (SPCRL), dotée d’un capital de 500 millions de F CFA réparti entre tous les acteurs du secteur, y compris les importateurs. Un moyen d’investir ces derniers, qui voyaient d’un mauvais MICHAEL PAURON œil la Goana. ■
UN SECTEUR QUI PÊCHE... SYMPTÔME D’UN SECTEUR EN SOUFFRANCE, il ne reste que trois conserveries de pêche au Sénégal, après la fermeture d’Interco puis des Pêcheries frigorifiques. Et, alors que 68 entreprises sont encore agréées à l’exportation de poissons frais vers l’Union européenne (principal client du Sénégal), aucune « ne fonctionne à plus de 35 % de sa capacité », estime Ibrahima Badio, directeur de la production des Conserveries de Dakar (Condak). Difficultés d’accès à la ressource, problèmes de financements et d’expertise pour faire émerger des armateurs réellement sénégalais (et non des étrangers opérant sous licence sénégalaise), délivrance de licences et de quotas sans prise en compte des stocks disponibles… La pêche sénégalaise, qui dépend à 89 % du savoir-faire artisanal, ne fait plus recette. La baisse régulière de la production dans la première moitié des années 2000 a toutefois été enrayée. En 2010, les quantités pêchées atteignent un peu moins de 450000 tonnes (+ 2 % par rapport à 2009). L’année écoulée est aussi un bon cru pour le chiffre d’affaires, en hausse de 60 % par rapport à 2008 (grâce à la croissance des ventes de poulpe, un produit à haute valeur ajoutée), à 165 milliards de F CFA (251,5 millions d’euros). ■ M.P. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
PHOSPHATES
Des ICS en cure dʼinvestissements Trois ans après leur recapitalisation, les Industries chimiques du Sénégal sortent la tête de lʼeau. Malgré les créances à rembourser, pas question de lésiner sur les moyens pour rester dans la compétition.
L
e rachat en avril 2008 de 85 % des Industries chimiques du Sénégal (ICS) par leur principal client, le consortium Indian Farmers Fertiliser Cooperative (Iffco), pour 44,5 milliards de F CFA (près de 68 millions d’euros), a permis de remettre à flot le fleuron de l’industrie sénégalaise, qui, après une décennie de déclin, avait quasiment arrêté ses activités et frôlait le dépôt de bilan. Depuis sa reprise en main par l’actionnaire indien, l’entreprise est redevenue bénéficiaire et son chiffre d’affaires est passé de 77 milliards de F C FA e n 2 0 0 9 à 115 milliards en 2010 (en hausse de 49 %). L’a n n é e 2 010 a p a r ailleurs clos une prem iè r e ét ap e da n s le remboursement de la dette des ICS, qui s’élevait à 250 milliards de F CFA. « Depuis mars 2010, la dette commerciale a été honorée, explique Alassane Diallo, le directeur général. Nous avions trois ans pour payer les intérêts de la dette financière [de 2008 à 2010, NDLR], ainsi que les prêts d’autres organismes comme le Fonds africain de garantie et de coopération économique ou le Fonds de solidarité africain. En tout, il nous reste désormais un peu moins de 200 milliards de F CFA à rembourser aux banques et à divers organismes. » Une dette que l’entreprise doit éponger sur douze ans.
leversement, qui doit répondre aux besoins croissants de l’agriculture subsaharienne. Leader du secteur avec plus de 40 % des exportations mondiales, l’Office chérifien des phosphates (OCP) ne cache pas son ambition de conquérir le continent. En février, le groupe marocain a signé un contrat de 8 milliards de F CFA pour la vente de 25 000 tonnes d’engrais phosphatés au Mali. « Nous nous battrons pour conserver et gagner des parts de marché », assure le directeur général des ICS. De mai 2008 à juin 2010, l’entreprise a investi 50 milliards de F CFA,
L’année 2010 a clos une étape dans le règlement de la dette de 250 milliards de F CFA.
UN CRÉNEAU CONCURRENTIEL
Les ICS n’ont pas pour autant bridé les investissements, indispensables – en amont comme en aval – pour se mettre à niveau dans un marché africain des phosphates en plein bou-
essentiellement dans la production d’acide phosphorique (utilisé pour la fabrication d’engrais), qui est passée de 183 000 t en 2008 à 313 000 t en 2010. Loin, cependant, de la pleine capacité (600 000 t) que la société aurait déjà dû atteindre, selon l’objectif fixé en 2008. « Nous pensons parvenir à 550 000 t cette année, indique Alassane Diallo, et atteindre notre pleine capacité en 2012 ou en 2013 », que les partenaires indiens envisagent déjà d’augmenter. En attendant, plus de 32 milliards de F CFA d’investissements sont prévus pour la période 2011-2015, notamment pour réhabiliter les voies de chemin de fer, acquérir des locomotives et des wagons, mais aussi moderniser les installations situées dans l’enceinte du Port autonome de Dakar. ■
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M.P.
92 LE PLUS SÉNÉGAL pour les quelque 60 % de la population sénégalaise – selon le Fonds monétaire international – qui tirent leurs revenus des activités agricoles. « Ce sont de nouveaux clients, qui créent de nouveaux débouchés pour la production », souligne Moustapha Ka, chargé des affaires agricoles à la Chambre de commerce de Dakar.
GEORGES GOBET/AFP
L’EMBALLAGE, UN PLUS
Prèspapayes d’un tiers des PME sénégalaises sont actives dans ce secteur. Des made in Senegal en cours de transformation.
AGROALIMENTAIRE
Consommation dʼorigine contrôlée Longtemps boudés par les Sénégalais, les produits manufacturés locaux ont aujourdʼhui la cote. Et commencent à gagner des marchés à lʼexport.
C
onfiture de mangues, sirop de bissap, crème à base de karité ou au miel de Casamance, niébés cuisinés… À Dakar, dans le sillage de La Maison du consommer sénégalais (lire p. 95), les boutiques Panale, magasins de « produits africains normalisés et accessibles pour un développement local et environnemental » mis en place par Oxfam Grande-Bretagne, misent sur la fierté du « consommer local ». Et ça démarre plutôt bien. En 2010, pour leur première année d’exercice, les deux boutiques de la capitale ont réalisé un chiffre d’affaires de 23 millions de F CFA (35 000 euros). Même constat, à une autre échelle, chez Zena Exoticfruits, qui affiche un chiffre d’affaires de 250 millions de F CFA. « Il y a dix ans, les consommateurs étaient persuadés que les produits importés étaient forcément de meilleure qualité que les produits locaux, explique Randa Filfili, la gérante de Zena Exoticfruits. Aujourd’hui, le “Made in Senegal” est devenu une accroche
marketing. » À la fin des années 1980, la PME vendait localement de petites quantités de confiture. Désormais, elle exporte vers l’Europe et les États-Unis une gamme de produits manufacturés à base de fruits du pays et d’Afrique de l’Ouest. Surfant sur cette vague, les Conserveries de Dakar (Condak), spécialisées dans la transformation des produits de la mer et les plats cuisinés locaux, lanceront l’an prochain des conserves de légumes du pays (gombo, aubergine, piment…). Outre le regain d’intérêt des consommateurs pour les produits issus du terroir ouest-africain, leur plébiscite a aussi ses raisons économiques. « Les produits agricoles importés étant de plus en plus chers, les gens se rabattent sur les produits locaux », remarque Ibrahima Diouf, de la direction des PME au ministère des Mines, de l’Industrie, de l’Agro-industrie et des PME. L’essor de ces entreprises est également crucial
Actuellement, 30 % des PME sénégalaises, hors secteur informel, sont actives dans la transformation de produits locaux. L’objectif est qu’elles intègrent les normes internationales dans tous leurs process afin de satisfaire aux exigences des marchés étrangers (en termes de sécurité, de traçabilité, de qualité) et de pouvoir exporter. À cet égard, l’emballage des produits est essentiel. Chez Zena Exoticfruits, les étiquettes des pots de confiture sont soignées. À La Maison du karité, à Dakar, le packaging des savons et des pots de crème est tout aussi léché… Mais, pour beaucoup, le gros problème reste l’accès au financement. L’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Adepme) a lancé un partenariat avec Fumoa, société sénégalaise spécialisée dans le packaging, pour concevoir des emballages conformes aux normes internationales pour les jus et sirops. « Nous organisons aussi des formations au système HACCP [Hazard Analysis Critical Control Point, NDLR] d’hygiène et de qualité, requis par l’Union européenne pour toute importation », souligne Marie Thérèse Diédhiou, directrice générale de l’Adepme. Pour séduire les distributeurs, chaque détail compte. « L’un des grands réseaux pour ces PME, ce sont les supermarchés Casino. Et ils ont des exigen-
Cette activité est cruciale pour les 60 % de la population vivant de l’agriculture. ces fortes en matière de qualité, mais aussi de design, acquiesce Ibrahima Diouf. C’est pourquoi il est nécessaire de former les gens concernant le choix des matières premières, le conditionnement des produits, la régulation des stockages… » ■ AURÉLIE FONTAINE, à Dakar
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LE PLUS 93 ASSURANCES
Des compagnies trop à lʼétroit Le taux de pénétration du secteur, très faible, pourrait progresser rapidement si de nouvelles couvertures de risque deviennent obligatoires.
A
vec un chiffre d’affaires de plus de 16,5 milliards de F CFA (environ 25,3 millions d’euros) pour l’assurance vie et de 64 milliards pour la branche dite incendie, accidents et risques divers (Iard) en 2009, le Sénégal se place au 3e rang sur les 14 pays de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima), derrière la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Malgré un faible taux de pénétration (moins de
2 %), « c’est un petit marché qui progresse doucement, tiré principalement par le réseau bancaire », explique Pascal Plaziat, chargé de la branche vie chez Allianz Sénégal. Imposée lors de la souscription d’un prêt, l’assurance vie a, de 2009 à 2010, bien plus progressé (17 %) que l’assurance dommage (6 %), laquelle, mieux encadrée, pourrait prétendre à une croissance de 15 % à 25 %. Mais la branche Iard est soumise à une plus forte concurrence, avec quinze sociétés (contre six dans la branche vie), certains professionnels se plaignant de ce que toutes ne respectent pas la tarification imposée par l’autorité de tutelle, la Direction des assurances, notamment pour l’assurance automobile, l’une des seules obligatoires (plus d’un tiers du marché). Sans compter les lenteurs pour le recouvrement des dédommage-
ments, qui discréditent la profession… Les assureurs sénégalais plaident donc pour une meilleure autodiscipline des compagnies et une plus grande visibilité de l’autorité de tutelle. Ils explorent aussi de nouvelles pistes pour développer l’activité en matière d’assurance vie. Outre la microassurance, en plein essor, et le créneau des Sénégalais de la diaspora, qui reste à exploiter, une défiscalisation totale ou partielle des produits permettrait de séduire plus de particuliers, les contrats individuels ne représentant que 40 % du marché, contre quelque 60 % de contrats collectifs, souscrits dans le cadre des entreprises. Enfin, dans la branche Iard, des discussions sont en cours pour rendre de nouveaux contrats obligatoires, notamment l’assurance habitation pour les locataires. ■ MICHAEL PAURON
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94 LE PLUS SÉNÉGAL FINANCE
Un pays « bankable »
Y
a-t-il trop de banques au Sénégal? « Non, si l’on compare à la vingtaine de compagnies d’assurances et au millier d’institutions de microcrédit », assure Philippe Kpenou, directeur général de la filiale sénégalaise du groupe malaisien International Commercial Bank (ICB). Avec 19 établissements bancaires agréés en 2010, selon l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), et un chiffre d’affaires (CA) de 2 655 milliards de F CFA (environ 4 milliards d’euros) en 2009, le Sénégal est le deuxième marché de l’UEMOA derrière la Côte d’Ivoire (20 établissements et un CA de 3 055 milliards de F CFA). Un marché sénégalais qui a crû de 8,8 % entre 2008 et 2009, et qui est encore loin d’être saturé. Le faible taux de bancarisation (7 %, contre 12 % en Côte d’Ivoire), le dynamisme de l’immobilier (plus de 10 %
de croissance) et le retour sur investissement alléchant (jusqu’à 70 % sur les crédits immobiliers) esquissent de bonnes perspectives. « Avec l’entrée en vigueur de l’obligation de payer les salaires supérieurs ou égaux à 100000 F CFA par chèque ou virement, nous nous attendons à une progression significative du taux de bancarisation », analyse ainsi Arfang Daffé, directeur général du Crédit agricole du Sénégal et président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers. PLUS D’AGENCES RÉGIONALES
Les agences devraient se multiplier. ICB, qui en compte actuellement deux, entend par exemple en ouvrir cinq nouvelles cette année à Dakar et en posséder une vingtaine d’ici cinq ans. La banque libanaise Crédit international, présente depuis juillet 2010, projette
Google fait son nid Dakar accueille le seul bureau permanent du leader américain en Afrique francophone.
F
Le libanais Crédit international s’est implanté à Dakar en juillet dernier.
d’ouvrir deux agences supplémentaires à Dakar cette année : « Plus il y aura de banques et d’agences, plus les Sénégalais se bancariseront », assure le directeur général, Anwar Abou-Jaoudé. « La Banque centrale, qui possède trois antennes dans le pays – Dakar, Kaolack et Ziguinchor –, doit réfléchir à en ouvrir d’autres pour favoriser l’implantation de guichets [278 en 2009, NDLR], car, par exemple, entre Saint-Louis et Matam, c’est le désert bancaire », relève Arfang Daffé. Tout un territoire à conquérir. ■ MICHAEL PAURON
avec certains de ses dirigeants, comme Carlo d’Asaro Biondo, vice-président des opérations pour l’Europe du Sud, le Moyen-Orient et l’Afrique, mais aussi de découvrir le potentiel de Google Maps ou du système d’exploitation Android.
INTERNET
aut e d ’a v o i r at t e i nt u n e masse critique d’internautes, l’Afrique n’est pas encore un marché mature pour Google. Mais en attendant que l’économie du Net y prospère, la firme de Mountain View veut contribuer à son évolution. Après l’Afrique du Sud et le Kenya, elle a installé une représentation permanente au Sénégal en 2009. Un choix qui s’explique, entre autres, par la qualité des infrastructures de télécoms du pays. L’objectif n’est pas commercial. Quand Tidjane Deme, patron du bureau de Dakar, reçoit des demandes
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Avec dix-neuf établissements, le deuxième marché bancaire de lʼUEMOA est porté par le dynamisme de la construction et un retour sur investissement élevé.
LE FACTEUR FACEBOOK
pour des contrats publicitaires, il renvoie ses interlocuteurs vers les filiales européennes. Sur le continent, Google se positionne plutôt comme un catalyseur, afin d’aider à la conception de programmes et de contenus locaux capables de rendre internet plus attractif. Sa méthode : mettre à disposition des développeurs informatiques, des blogueurs et des médias son savoir-faire et ses applications. Les 21 et 22 février, la compagnie américaine organisait ainsi à Dakar une conférence sur le thème « croissance locale et impact global ». L’opportunité pour les participants d’échanger
Une stratégie de sensibilisation dont les résultats sont encore difficiles à mesurer, comme le regrette Tidjane Deme, contraint de passer une grande partie de son temps entre l’Europe et les États-Unis pour convaincre ses collègues du potentiel de l’Afrique. Cependant, de récentes études apportent enfin la preuve de la montée en puissance du web sur le continent : en 2010, Google a enregistré une hausse de 50 % des requêtes issues d’Afrique subsaharienne sur son moteur de recherche, et, chaque mois, pas moins de 100 000 Sénégalais rejoignent le réseau social Facebook. ■ JULIEN CLÉMENÇOT
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LE PLUS 95 PORTRAITS
Esprits dʼentreprises Enfants du cru ou de la diaspora, patrons de PME ou dirigeants de grands groupes, ils font bouger lʼéconomie sénégalaise.
AÏSSATOU DIAGNE DÉME
Directrice générale de La Maison du consommer sénégalais
UNE PRÉFÉRENCE NATIONALE
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Aïssatou Diagne Déme est depuis dix-sept ans à la tête de La Maison du consommer sénégalais, une entreprise familiale basée à Dakar, qui transforme des produits locaux. De loin, la PME ressemble à une boutique, comme celles, en tôle, qui se trouvent au bord des rues. En fait, il y a là une soixantaine d’employés et plusieurs unités de transformation de céréales. Âgée de 58 ans, la directrice a déjà roulé sa bosse en créant une agence de prestation de services, puis en important des vêtements. « En 1994, après la dévaluation du franc CFA, j’ai pensé à me reconvertir dans les produits locaux, pour ne plus être tributaire de l’extérieur », explique-t-elle. Et c’est donc sur sa terrasse qu’elle a commencé à transformer les aliments du cru. Aujourd’hui, si les ventes n’augmentent plus, c’est que l’entreprise n’est pas assez développée pour satisfaire la demande de ses clients. Car Aïssatou Diagne Déme exporte 80 % de sa production. Destination: l’Europe et la diaspora africaine, friande, notamment, de thiacry (dessert à base de lait caillé et de mil). Son prochain projet: « Monter un supermarché africain à Dakar, avec des produits locaux de qualité. » ■ AURÉLIE FONTAINE
AMETH AMAR
PDG de la Nouvelle Minoterie africaine, NMA « J’ai constitué mon capital de départ, il y a plus de trente ans, en retapant une vieille auto. Sa vente m’a permis de démarrer », se rappelle cet autodidacte de 50 ans. Ameth Amar a bâti un empire agro-industriel de 30 milliards de F CFA (près de 46 millions d’euros) de chiffre d’affaires. Spécialisée dans les farines boulangères et les aliments pour animaux, l’entreprise produit aujourd’hui 200 tonnes de farine de blé par jour. Il est loin, le temps où son PDG était un petit opérateur sur le port de Dakar… Ameth Amar a aujourd’hui de nouvelles ambitions. Lancée il y a un an, sa nouvelle usine de pâtes alimentaires – Pastami –, dotée de machines italiennes, produit déjà 40 t de pâtes par jour, qui ont investi toutes les grandes surfaces de la capitale. Objectif ? Devenir aussi le fabricant de marques de grandes enseignes comme Casino. Où s’arrêtera-t-il ? ■ MICHAEL PAURON J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
ANTOINE TEMPÉ POUR J.A.
DES PÂTES, OUI MAIS DES PASTAMI
96 LE PLUS SÉNÉGAL
ALGOR BOCOUM
Directeur de The Resource Group (TRG) Customer Solutions Sénégal
THIENDIATÉ BOUYO NDAO Directeur général de Suneor
SANS COMPROMIS Saura-t-il restaurer la confiance entre la première société agro-industrielle du pays et les cultivateurs d’arachide? En choisissant Thiendiaté Bouyo Ndao comme nouveau directeur général, l’huilier Suneor entend profiter de l’image de cet enfant du pays, mais aussi de l’expérience acquise par ce diplômé de Sup de Co Rouen (en France). Après une douzaine d’années passées au sein du cabinet de consultants Ernst & Young, ce fils d’un haut fonctionnaire sénégalais se dirige vers les assurances, avant de rejoindre Suneor en 2007 au poste de directeur financier. À 43 ans, « Detchie », dont la nomination a été annoncée en septembre, est le sixième directeur général en cinq ans. On dit de lui qu’il n’est pas un homme de compromis ou d’accointance avec les milieux politiques; il est décrit comme pragmatique, proche des gens et de ses racines. ■ M.P.
ANTOINE TEMPÉ POUR J.A.
À 39 ans, le directeur de la deuxième entreprise de sous-traitance en ressources humaines du Sénégal a déjà une longue expérience dans le secteur. Diplômé en sciences sociales, ce Français d’origine sénégalaise est de retour sur la terre qui a vu naître ses parents, fort de sept années d’expérience au sein de Teleperformance, l’un des plus importants groupes mondiaux de gestion des relations clients et de centres de contacts délocalisés (268 centres dans 50 pays), qui l’emploie de 2002 à 2009 et pour lequel il passera trois ans en Tunisie entre 2003 et 2006… Le temps de lui donner l’envie de continuer à travailler sur le continent. « J’étais à un carrefour de ma carrière, explique-t-il. J’ai surtout senti une véritable opportunité tant pour mon projet professionnel que pour ma qualité de vie. De toute manière, dans notre métier, où le coût des ressources humaines est essentiel, l’avenir ne se trouve plus en Europe. » Et le Sénégal, pour Algor Bocoum, a toutes les qualités requises. ■ MICHAEL PAURON
YOURI LENQUETTE POUR J.A.
RETOUR AUX SOURCES
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ntre mondialisation et régionalisation, les économies africaines sont devenues des acteurs incontournables et convoitées par les grandes puissances anciennes et nouvelles. Entre tradition, marché, grands travaux et innovations technologiques, le temps et l’espace s’accélèrent. Négocier et communiquer de l’Afrique et pour l’Afrique, c’est à la fois un défi et une urgence pour les jeunes générations. Et lorsque l’heure de la sélection de l’école ou de la filière à intégrer après le baccalauréat sonne, trop souvent le premier choix se porte sur les USA, le Canada ou la France. Pourtant, à 18 ans, loin de ses racines et de ses habitudes de vie et de travail, les jeunes étudiants auront beaucoup d’obstacles à franchir pour accéder à la réussite : relations interpersonnelles, climat, gestion des ressources et administrative, rythme académique… Aujourd’hui, il existe des solutions intermédiaires moins onéreuses qui facilitent l’intégration. C’est le cas d’Eticca Dakar.
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Le groupe américain Anadarko, en conflit avec Sonatrach, menace de saisir les actifs à l’étranger du groupe algérien.
ARBITRAGE
LʼAfrique peine à plaider sa cause LE RECOURS À DES TRIBUNAUX INTERNATIONAUX POUR TRANCHER DES LITIGES COMMERCIAUX TOURNE SOUVENT EN DÉFAVEUR
DU CONTINENT.
POUR NE PAS PAYER
DES NOTES TROP SALÉES,
ÉTATS ET ENTREPRISES DOIVENT APPRENDRE
À MIEUX SE DÉFENDRE.
FRÉDÉRIC MAURY
A
nadarko va-t-il saisir les actifs à l’étranger de l’algérien Sonatrach, son ancien a s s o c ié , p ou r u n m on tant de 2 milliards d’euros ? Selon des câbles diplomatiques révélés le 11 mars par le Financial Times, c’est ce qu’envisage le groupe pétrolier américain s’il obtient gain de cause auprès de la Chambre de commerce internationale, à Paris. Saisi il y a deux ans, fonctionnant sous le sceau du secret, ce tribunal arbitral dira en juin prochain si la dé-
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cision d’Alger de créer, en 2006, une taxe sur les superprofits pétroliers – un nouvel impôt qui a coûté 145 millions d’euros au groupe américain l’an passé – viole un contrat vieux de vingt ans signé entre Anadarko et Sonatrach. Selon un télégramme publié par le site internet WikiLeaks en février, Dick Holmes, le patron de la compagnie américaine, a confié que ses avocats « sont sûrs que la décision d’arbitrage sera exécutable, si ce n’est en Algérie, du moins à travers la saisie des biens que détient Sonatrach à l’étranger ».
JEAN-FRANÇOIS ROLLINGER/J.A.
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PAT SULLIVAN/AP/SIPA
MARCHÉS
100 ECOFINANCE Le sujet est technique, mais lourd de conséquences. Car, pour l’Afrique, ce serait une sanction de plus en peu de temps. En mai 2010, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi, qui dépend de la Banque mondiale) a condamné Libreville à débourser 185 millions d’euros, dans le cadre de l’affaire de l’exploitation du Transgabonais, en faveur d’un consortium mené par le belge Transurb. En septembre, Lomé a dû verser 66 millions d’euros au français GDF Suez. En octobre, le burkinabè Planor sortait vaincu d’une procédure initiée par l’émirati Etisalat au sujet du contrôle de l’opérateur télécoms Telecel Faso. Enfin, en décembre, Bangui a perdu dans la procédure l’opposant au pétrolier texan Jack Grynberg ; ce qui pourrait bien l’obliger à devoir payer dans les semaines qui viennent une amende représentant une grande partie de son budget annuel (environ 280 millions d’euros). De quoi s’interroger sur la capacité des Africains, États et entreprises, à se défendre dans le cadre des procédures d’arbitrage… BANNIR LE COPINAGE
« C’est incroyable, mais certains pays subsahariens n’envoient aucun représentant et tardent à transmettre leurs preuves au tribunal, ce qui réduit terriblement leur crédibilité, souligne un avocat. Parfois, ils refusent purement et simplement de présenter leurs arguments. » Parmi les erreurs fréquemment commises, celle de choisir comme conseils des avocats pénalistes, certes bons plaideurs mais piètres connaisseurs des spécificités de l’arbitrage. Pis, certaines parties ne prennent pas de conseils du tout. Benoît Le Bars, avocat français associé au cabinet Lazareff-Le Bars, estime que le caractère crucial du choix
Dix affaires en attente dʼun jugement Pays
Société
Objet de lʼarbitrage
Tunisie
ABCI Investments
Propriété de la Banque franco-tunisienne
Algérie
Maersk Oil
Taxe sur les profits pétroliers exceptionnels
Centrafrique
RSM Petroleum Meerapfel Söhne
Contrat dʼexploration pétrolière Investissement dans le tabac
RD Congo
Famille Abou Lahoud First Quantum
Investissement dans le bois et la construction Concession minière
Sénégal
Millicom
Licence téléphonique
Nigeria
Shell
Concession dʼhydrocarbures
Gambie
Carnegie Minerals
Concession minière
Zimbabwe
Bernhard von Pezold
Propriétés agricoles
de l’arbitre est lui aussi largement sous-estimé. À tort : « C’est 50 % de la décision finale, explique-t-il. L’arbitre doit être compétent techniquement, connaître le secteur d’activité et le terrain. » Un confrère, très actif en Afrique, regrette d’ailleurs la mauvaise compréhension du rôle de l’arbitre : « Je passe mon temps à dire à mes clients qu’arbitrage ne veut pas dire copinage. » Autrement dit, il ne s’agit d’opter ni pour une personne acquise à sa cause, ni, a fortiori, pour un arbitre issu de son propre pays – de toute façon, l’Afrique n’en compte qu’une poignée (lire p. 101). Mieux vaut sélectionner un professionnel respecté, spécialisé et en même temps sensibilisé à certaines réalités africaines. De fait, si nombre d’entreprises du continent se retrouvent en procédure d’arbitrage, c’est souvent pour avoir rejeté des accords qu’elles avaient signés sans avoir été sérieusement
conseillées. Quant aux États, c’est parfois pour avoir dénoncé des concessions défavorables au pays, ou pour avoir éjecté des investisseurs qui tardaient à réaliser les investissements promis, arguant le plus généralement de cas de force majeure (instabilité politique, notamment). MIEUX NÉGOCIER LES CONTRATS
Au Cirdi, où s’affrontent investisseurs privés et États, parmi les seize affaires « africaines » actuellement en cours, plusieurs tournent d’ailleurs autour d’annulations de contrat : le luxembourgeois Millicom contre Dakar, le canadien First Quantum contre Kinshasa, Jack Grynberg contre Bangui… À la Chambre de commerce internationale, qui abrite l’institution d’arbitrage la plus active au monde (800 nouvelles procédures enregistrées en 2010), c’est aussi parfois le cas. La Centrafrique – encore une fois – s’y op-
TRIBUNAUX ARBITRAUX, MODE D’EMPLOI NEUTRALITÉ, RAPIDITÉ, TECHNICITÉ ET CONFIDENTIALITÉ : voilà ce que les entreprises aiment dans les procédures d’arbitrage. Leur principe général est simple : chaque camp se choisit un arbitre et s’accorde avec l’autre pour en nommer un troisième, un examen des faits, des preuves, l’audition des parties et, au final – en moyenne au bout de trois ans –, une sentence qui ne peut pas faire l’objet d’appel et qui s’impose aux parties. La procédure peut se dérouler dans le cadre du Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements (Washington), de la Chambre de commerce internationale (Paris), de la London Court of International Arbitration (Londres) ou de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, Abidjan). Mais elle peut aussi avoir lieu en dehors de toute institution : on parle alors d’arbitrage ad hoc, dont les règles sont fixées par les parties, et qui garantit une parfaite FRÉDÉRIC MAURY confidentialité. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
ECOFINANCE 101 pose par exemple au français Areva, à qui elle reproche notamment de tarder à démarrer l’exploitation d’un vaste gisement d’uranium. Moralement, les États africains n’ont pas toujours tort. Mais devant un tribunal d’arbitrage, ce n’est pas, en soi, décisif. « Dans un arbitrage entre le Congo et une société panaméenne, Brazzaville demandait l’annulation d’un contrat profondément déséquilibré signé sous le président Lissouba, illustre Roland Ziadé, avocat chez Cleary Gottlieb Steen & Hamilton. Le déséquilibre ne pouvant pas être considéré en droit français comme un motif de remise en cause, le contrat a été annulé pour d’autres raisons. » Le bilan est clair : les parties africaines doivent non seulement mieux négocier leurs contrats, mais aussi, dans le même temps, renforcer leurs compétences en matière d’arbitrage. À défaut, les condamnations pourraient s’abattre sur elles au cours des prochaines années. Mis à part l’Angola et la Guinée équatoriale, qui n’ont toujours pas ratifié la convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, tous les autres pays africains (et, du coup, les entreprises de ces pays) se sont engagés à exécuter les décisions des tribunaux internationaux. Une promesse
parfois douloureuse, surtout lorsque les condamnations se révèlent un peu lourdes. « Dans l’ensemble, les parties africaines appliquent les sentences, mais il est vrai qu’elles ont tendance à traîner les pieds », souligne un avocat. Les entreprises ont généralement du mal à surseoir à l’exécution d’un jugement, sauf à bénéficier de protections politiques en haut lieu. Pour les États, en revanche, la donne est différente. « Ils bénéficient notamment d’une immunité d’exécution, en ce sens qu’il est dif-
Les avions, immeubles et comptes à l’étranger peuvent être saisis par la partie lésée. ficile de saisir leurs biens », explique Bertrand Derains, avocat au cabinet Derains & Gharavi. Les parties adverses doivent donc se résoudre à saisir des biens à l’étranger – comme veut le faire Anadarko –, avec l’aide d’avocats bien informés… « Nous avons constitué une base de données des biens détenus par certains États, explique Alain Fénéon, avocat parisien spécialiste de l’Afrique subsaharienne. Nous la tenons à jour car elle peut toujours servir. » Les biens diplomatiques ne peuvent pas être saisis, mais les avions, immeubles, comptes à l’étranger, si.
Et ce n’est pas tout. « Si une licence téléphonique ou une concession minière est accordée à un investisseur étranger, il est possible de demander la saisie d’une partie des sommes dues à l’État par cet investisseur, au titre de la sentence arbitrale », complète un avocat. « Même les comptes auprès de la Banque mondiale peuvent être saisis », ajoute un autre. CHERCHER UN COMPROMIS
Conscients de cela, les États adoptent désormais une stratégie plus subtile. Une fois condamnés, plusieurs d’entre eux négocient à la baisse le prix à payer, plutôt que de surseoir à l’exécution. Cela a été le cas pour Libreville dans l’affaire du Transgabonais. Ce serait également l’option retenue, selon nos informations, par Malabo, condamné en 2009 par la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) à verser 76 millions d’euros à Commercial Bank-Cameroun. D’autres préfèrent trouver une issue au différend avant même que la procédure ne soit officiellement enclenchée. Un phénomène croissant qui a pour buts de garantir la confidentialité des litiges et d’éviter la mauvaise réputation que traînent certains pays comme l’Argentine. Au moment où l’Afrique cherche à se donner une image de terre d’accueil pour les investisseurs privés, l’enjeu est de taille. ■
Le Marocain Azzedine Kettani, avocat d’affaires. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
D.R.
Encore trop peu de ténors locaux HÔTEL RITZ, PLACE VENDÔME À PARIS. Azzedine Kettani est un habitué des lieux. Ce professeur de droit, à la tête d’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires au Maroc, nous reçoit dans l’un des plus prestigieux palaces de la capitale. L’objet de la rencontre ? L’arbitrage international, dont il est l’un des rares représentants africains. Un pied sur le continent, un autre à Paris, Londres ou Washington. Le jeu en vaut la chandelle : un arbitre nommé dans une procédure internationale gagne au minimum 2 000 euros par jour de travail. Et l’addition peut vite monter. Comme Azzedine Kettani, les Tunisiens Fathi Kemicha et Ali Mezghani, également avocats, œuvrent régulièrement à la Chambre de commerce internationale. Une maison que l’Algérien Mohamed Chemloul, ancien secrétaire général de Sonatrach, connaît également très bien. Au sud du Sahara aussi, ils sont quelques-uns à exercer leurs talents d’arbitres à l’international. Parmi eux, le prestigieux magistrat sénégalais Seydou Ba et son compatriote, ancien bâtonnier, Ely Ousmane Sarr. Ou encore l’avocat d’affaires malien Mamadou Ismaila Konaté et le professeur de droit camerounais Gaston Kenfack Douajni, tous deux d’infatigables F.M. promoteurs de l’arbitrage en Afrique. ■
102 L A S E M A I N E D ’ E C O F I N A N C E BOURSE
Geocoton veut revenir GUINÉE
CONTRAINTE DE FERMER SES PORT ES À A BIDJA N pour des raisons de sécurité, redéployée à titre provisoire à Bamako début mars, la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) redémarre péniblement ses activités. « Pour le moment, les volumes de transactions sont faibles. Presque aucune des SGI [sociétés de gestion et d’intermédiation, NDLR] installées en Côte Siège provisoire de la Bourse régionale des valeurs mobilières, dans la capitale malienne. d’Ivoire ne participe au marché », explique Gabriel Fal, patron de CGF Bourse, une SGI basée à Dakar. Ces intermédiaires ivoiriens (près d’une dizaine sur 22 présents à la BRVM) sont en temps normal à l’origine de 60 % des transactions. La séance du 16 mars s’est clôturée sur 28,3 millions de F CFA (environ 43 000 euros) de transactions, contre 87,8 millions la veille. Et les mouvements ont porté sur six sociétés seulement, sur un total de 39 inscrites à la cote. À titre de comparaison, la séance du 31 décembre 2010 avait fait l’objet de transactions sur les titres de quatorze entreprises. Depuis la réouverture à Bamako, après deux semaines de fermeture, figurent parmi les valeurs les plus actives: Ecobank Transnational Incorporated, l’Office national des télécommunications du Burkina Faso (Onatel) et la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel). La fermeture des banques en Côte d’Ivoire – notamment de la Bicici (filiale du français BNP Paribas) et de la SGBCI (Société générale) – pénalise le fonctionnement de la BRVM. « Il faut savoir que lorsque les fonds internationaux s’adressent aux SGI pour l’achat de titres, bien souvent ils demandent que, une fois ceux-ci acquis, ils soient conservés dans les filiales de BNP Paribas et de Société générale », explique Gabriel Fal. De fait, depuis l’arrêt des activités de ces deux établissements, à la mi-février, les investisseurs étrangers adoptent une position attentiste. ■ STÉPHANE BALLONG
E.DAOU BAKARY POUR J.A.
À Bamako, la BRVM tourne au ralenti
TOUT FINIT BIEN pour Geocoton. L’entreprise attendait un jugement qui aurait pu lui coûter 4,9 millions d’euros de dommages et intérêts et de frais de recouvrement, au profit de l’homme d’affaires Cheick Mohamed Kaba, à propos de reliquats de paiements concernant la construction d’entrepôts dans les années 1980. La cour d’appel de Conakry, dans un arrêt du 8 mars, a finalement condamné l’État guinéen, qui était maître d’ouvrage à l’époque, à verser 4694 euros à Kaba. Geocoton, filiale du français Advens, veut reprendre le développement de la filière coton et propose d’en réaliser un état des lieux.
Obscur contrat chinois RD CONGO
DANS UN RAPPORT intitulé « La Chine et le Congo : des amis dans le besoin », l’ONG Global Witness rouvre le débat sur le contrat « mines contre infrastructures », renégocié en 2009 à la demande du FMI. Sur les 350 millions de dollars (250 millions d’euros) dus par les entreprises chinoises au gouvernement et à la Gécamines, seule la moitié a été versée. Le fait que tout paiement provenant de China Railways puisse être saisi par le fonds vautour américain FG Hemisphere, qui avait racheté en 2004 une dette congolaise de 34 millions de dollars contractée sous Mobutu, explique en partie ce retard.
EN BREF NIGER DU PÉTROLE EN RÉSERVE Niamey annonce que les réserves de pétrole du bloc d’Agadem, exploré par le chinois CNPC, sont désormais estimées à 650 millions de barils, soit deux fois plus que les prévisions initiales.
TCHAD DES CHINOIS SUR LES RAILS CCECC a décroché un contrat de 5,4 milliards d’euros pour construire un chemin de fer de 1344 km devant relier d’une part Abéché au Soudan, et d’autre part Moundou au Cameroun.
MAROC DEUX PRÊTS BIENVENUS Le 15 mars, la Banque mondiale a approuvé deux prêts: 147 millions d’euros pour le plan « Maroc vert » (agriculture et environnement), et 98 millions d’euros pour les transports urbains.
AFRIQUE AUSTRALE BATAILLE MINIÈRE Rio Tinto a relevé de 17 % son offre de rachat de Riversdale (2,8 milliards d’euros), présent au Mozambique et en Afrique du Sud. Le brésilien Vale pourrait se montrer lui aussi intéressé.
MAROC SOFIPROTÉOL VISE LESIEUR Le français Sofiprotéol a annoncé le 14 mars son intérêt pour le rachat du marocain Lesieur Cristal, dont la Société nationale d’investissement doit se désengager en juin 2011.
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À Douala, le 21 février, des épargnants en colère devant le siège de Cofinest.
MICROFINANCE
Un modèle en perte de crédit CRISE DE CROISSANCE OU MANQUE DE SURVEILLANCE ? A LORS QUE PLUSIEURS INSTITUTIONS RENCONTRENT DES DIFFICULTÉS ET QUE LE NOMBRE DE CLIENTS LÉSÉS
GRANDIT, LA FORMULE SUSCITE DE PLUS EN PLUS DE DOUTES.
M
auvaise gestion des risques, insuffisance des fonds propres, gouvernance hasardeuse, incompétence technique… Les reproches se multiplient à l’encontre des institutions de microfinance (IMF), alors que plusieurs d’entre elles connaissent de sérieux déboires. Au Cameroun, la Compagnie financière de l’estuaire (Cofinest) a mis la clé sous la porte le 18 février, provoquant la colère de dizaines de milliers d’épargnants. Au Mali, 60 000 autres courent depuis bientôt deux ans après leurs économies placées auprès de l’Union des caisses mutuelles d’épargne et de crédit Jemeni. Au Togo, Investir dans l’humain (IDH) et le Réseau pour le développement de la masse sans ressource (Redémare) font l’actualité depuis des mois… « Ce sont des cas isolés », tranche Lucas Samo, président de l’Association nationale des établissements de microfinance du Cameroun. Isolés, mais loin d’être anodins: Cofinest et Jemeni figuraient parmi les principales IMF dans leurs pays. De quoi susciter une vive inquiétude, alors que la microfinance connaît un boom depuis une dizaine d’années. Dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les dépôts de quelque 11 millions de clients
auprès des IMF atteignaient 521 milliards de F CFA (794 millions d’euros) en mars 2010, et les crédits 480 milliards. Soit 7 % des dépôts et 8 % des crédits du secteur bancaire, contre moins de 1 % en 1993. Le nombre d’établissements a suivi la même courbe: la zone compterait plus de 3500 IMF actives, sous des formes très variées (coopératives de crédit, associations, ONG, sociétés anonymes), sans compter les caisses illicites… En Afrique centrale francophone, où le phénomène est plus marginal, 700 IMF seraient en activité. Face à cette expansion, la réglementation a certes progressé : les IMF sont
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WWW.MBOA.INFO
ECOFINANCE 103 sous la surveillance conjointe des banques centrales et des ministères des Finances. Mais les retraits d’agrément sont rares. Selon les statistiques de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la moitié des IMF de la sous-région sont vulnérables. Le Nigeria plaisante moins : en septembre dernier, 224 IMF (sur 820), jugées en faillite ou en insolvabilité technique, ont perdu leur licence. RISQUE DE SURENDETTEMENT
« L’autre souci, c’est que les IMF élargissent peu à peu leur champ d’intervention, explique un banquier. Certaines commencent à accorder des crédits à moyen terme, et parfois pour des montants bien supérieurs à ce qu’on peut imaginer être un microcrédit. » Compte à terme, plan d’épargne logement, crédit à la consommation, transfert d’argent, assurance décès… Sans disposer d’un agrément bancaire et sans être supervisées par les autorités prudentielles de l’assurance, un nombre croissant d’IMF proposent un large éventail d’offres avec, au passage, un risque accru de mettre les clients en situation de surendettement. Esquisse de solution, des sociétés de transfert d’argent (Western Union) ou des assureurs (NSIA, Allianz) ont compris leur intérêt à travailler avec les IMF. Les banques sont moins réactives, à l’exception du groupe Banque populaire du Maroc ou d’Afriland First Bank, au Cameroun, qui ont une activité dans ce domaine. Plus récemment, Ecobank s’est allié à Accion, un leader du microcrédit au niveau international. Ils ont créé une filiale commune, EB-Accion, qui opère au Ghana et au Cameroun. Accion apporte son expérience, Ecobank son réseau d’agences. Une alliance FRÉDÉRIC MAURY gagnant-gagnant? ■
BLUE FINANCIAL SERVICES REVIENT DE LOIN UN AN APRÈS AVOIR CONNU DES PERTES DE 100 MILLIONS D’EUROS, le sud-africain Blue Financial Services retrouve des couleurs, mais au prix d’un traitement de cheval: patron fondateur écarté, filiales fermées (au Rwanda et au Cameroun), comptes passés au crible, provisions massives pour couvrir les défauts de remboursement de prêts… Il faut dire que l’IMF, présente dans quatorze pays africains, a concentré tout ce qu’il ne fallait pas faire: une croissance trop rapide des crédits, une mauvaise gouvernance et un contrôle imparfait des risques. Coté en Bourse, Blue Financial Services compte pourtant à son capital des institutions comme la Société financière internationale (filiale de la Banque mondiale) et le fonds d’investissement sud-africain Mayibuye. ■ F.M.
104 ECOFINANCE
INTERVIEW
Mohamed Elmandjra
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE MÉDITEL
« Pour Méditel, lʼintroduction en Bourse est toujours dʼactualité » LE PATRON DU DEUXIÈME OPÉRATEUR MAROCAIN DOIT METTRE SES ÉQUIPES AU DIAPASON DE FRANCE TÉLÉCOM, NOUVEL ACTIONNAIRE MAJORITAIRE, TOUT EN POURSUIVANT LES PROJETS EN COURS. LE POINT APRÈS CENT JOURS DE COHABITATION. JEUNE AFRIQUE : Quel bilan tirezvous de l’année 2010 ? MOHAMED ELMANDJRA : Nous sommes très satisfaits car nous avons atteint des records, aussi bien au niveau du chiffre d’affaires que de la marge Ebitda [revenus avant intérêts, impôts, taxes, dotations et provisions, NDLR]. Les chiffres seront communiqués fin mars [lire encadré p. 105]. Pour 2011, nous continuons à regarder vers la place de leader occupée par Maroc Télécom. Que pensez-vous de la forte percée de votre nouveau challengeur, Inwi, filiale de la Société nationale d’investissement ? Inwi a fait une très bonne entrée sur le marché. On ne peut certainement pas qualifier son lancement de flop.
Votre croissance ne va-t-elle pas ralentir avec la saturation du marché marocain ? Le taux de pénétration a atteint 102 % et cela va avoir une conséquence sur le rythme de croissance de notre volume d’abonnés. Mais il faut garder à l’esprit que cet indicateur est un rapport entre le nombre de cartes SIM et la population. Le marché marocain compte trois opérateurs, et une partie des utilisateurs [de 20 % à 25 %] possèdent trois cartes SIM. Il y a donc encore une marge de progression. Atteindre 120 % à 130 % de taux de pénétration ne me semble pas irréaliste. Mais la saturation du marché rend la concurrence plus rude. Dans ce contexte, Méditel maintientil son revenu par utilisateur [Arpu]?
COULISSES
En bonne intelligence INTERROGÉ EN 2010 après l’annonce de l’entrée d’Orange (groupe France Télécom) dans le capital de Méditel, Mohamed Elmandjra avouait n’avoir reçu aucune assurance concernant son maintien à la tête de l’opérateur. Depuis, le directeur général a semble-t-il obtenu plus de visibilité. Lors de l’entretien donné à Jeune Afrique, il dément une prise de contrôle brutale par France Télécom, assurant que rien n’a véritablement changé: « Tous nos échanges avec Orange ont été excellents. On sent des gens qui sont là pour aider plutôt que pour donner des leçons. » Seul un collaborateur venant de France Télécom aurait rejoint, depuis quelques semaines, le contrôle de gestion de Méditel. Les choses sont claires: Orange ne prendra pas les rênes avant 2015. ■ J.C.
C’est l’une de nos grandes satisfactions. En 2010, nous avons réussi à limiter fortement la chute de notre Arpu et à la compenser par une hausse de notre nombre de clients. L’Arpu [environ 5 euros par client et par mois] n’a baissé que de quelques pour cent, contre 15 % à 17 % ces dernières années. Grâce à la commercialisation d’offres à valeur ajoutée ? Dans une certaine mesure, mais ces services – l’accès à internet par exemple – représentent une part limitée de nos revenus. Le maintien de notre Arpu s’explique davantage par le succès de nos offres promotionnelles sur des services de base, voix et SMS. Notre stratégie vise aussi à conquérir plus de clients à haut potentiel de valeur, nous avons redimensionné nos offres en ce sens. Cela inclut l’accès gratuit à internet, de bons prix sur les communications à l’international et toute une série de services réservés, comme le service après-vente. Vos bons résultats sont-ils aussi liés à une bonne gestion de vos activités ? Tout à fait, mais cette approche n’est pas nouvelle, elle a été initiée dès mon arrivée en 2008. L’amélioration de notre performance est notamment passée par une mise en cohérence des objectifs de chaque collaborateur avec ceux de l’entreprise. Nous avons introduit un système de bonus lié directement aux résultats. Tout le monde est concerné. Cela peut représenter jusqu’à 40 % du revenu annuel pour les postes de direction. Le déploiement du haut débit mobile (3G) figure toujours à votre agenda? Oui, il s’agit de poursuivre les efforts déjà engagés. D’ici à la fin de l’année, nous couvrirons les 50 agglomérations
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ECOFINANCE 105 LE MARCHÉ CHÉRIFIEN
Maroc Télécom 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010, 26 millions de clients Méditel 464 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2009 (366 millions pour les 9 premiers mois de 2010), 10,6 millions de clients Inwi 334 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, 5 millions de clients
Mohamed Elmandjra, 47 ans: « Depuis l’arrivée d’Orange, nous avons entamé une réflexion sur les synergies possibles entre nos deux compagnies. »
les plus importantes du Maroc, soit environ 70 % de la population. Orange détient officiellement 40 % de Méditel depuis le 3 décembre. Qu’est-ce que cela vous apporte ? Depuis l’arrivée d’Orange, nous avons entamé une réflexion sur les synergies possibles entre nos deux compagnies, par exemple en ce qui concerne les achats. Dans tous les domaines, les décisions sont dictées par les besoins de Méditel et de son marché. Et quand notre choix est défini, nous regardons comment Orange peut nous aider à l’optimiser. C’est une question d’opportunité. Cela concerne aussi les retours d’expérience qu’Orange peut nous apporter par rapport à certains programmes ou à certaines offres déjà développées.
S’agit-il, par exemple, de reprendre au Maroc les offres d’Orange en Tunisie, en Égypte ou en Jordanie ? On ne le voit pas comme ça, aucun pays ne peut être copié-collé au Maroc. Nous concevons toujours nos offres par rapport à notre marché, mais ensuite nous regardons quels sont les retours d’expérience dans les pays où Orange a déjà déployé un produit similaire. Par exemple, pour certaines offres, nous allons considérer ce qui a été fait en Roumanie, pour d’autres ce sera au Mali… En janv ier, vous avez lancé un emprunt obligataire. L’entrée de Méditel à la Bourse de Casablanca, prévue en 2012, n’aura-t-elle pas lieu? L’emprunt obligataire, de 1,2 milliard de dirhams [environ 105 000 euros],
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VINCENT FOURNIER/J.A.
sursouscrit presque sept fois, fait figure de test en vue d’une future cotation. Et le signal que nous ont envoyé les investisseurs est clair. Le projet d’introduction en Bourse est donc toujours d’actualité à moyen terme, mais le niveau du capital qui sera mis sur le marché n’est pas encore défini. En 2011, le régulateur étudiera l’intérêt de la technologie 4G (très haut débit mobile) pour le Maroc. Qu’en pensez-vous ? Nous sommes en discussion avec le régulateur et le ministère du Commerce pour que le Maroc reste à l’avant-garde. Méditel n’entend pas traîner les pieds dans le but de faire de la 3G une vache à lait… Mais, sachant que dans cinq ans nous devrons installer des réseaux 4G dans des endroits où nous ne sommes pas encore présents en 3G, devons-nous dès maintenant passer le pas ? La question se pose. L’autre point concerne le retour d’expérience sur la technologie 4G. Peu de pays l’ont adoptée. Peut-être faut-il attendre d’avoir un peu plus de recul. Et puis, pour tirer parti de la 4G, il faut développer les contenus locaux. Que faites-vous dans ce domaine ? Méditel continue d’être pionnier en la matière. Pour ne donner qu’un exemple, en décembre, nous avons clôturé le premier Android Development Challenge du Maroc, un concours qui promeut des applications locales compatibles avec le système d’exploitation créé par Google, auquel 200 personnes ou groupes ont participé. Le premier prix a récompensé un élève ingénieur dont l’application donne accès à 60 titres de journaux marocains, aux horaires des trains et aux programmes télé. ■ Propos recueillis à Casablanca par JULIEN CLÉMENÇOT
106 ECOFINANCE PRINTEMPS ARABE
Les banques font leurs comptes L A MENACE DE CRÉANCES DOUTEUSES PLANE SUR LES GROUPES D’A FRIQUE DU NORD ET DU MOYEN-ORIENT. M ALGRÉ TOUT, L’UNION DES BANQUES ARABES RESTE OPTIMISTE ET MINIMISE L’IMPACT DES SOULÈVEMENTS SUR LE SECTEUR.
E
n Tunisie, en Égypte, sur sa capacité à récupérer ses Top 10 des établissements au Yémen, à Oman, créances, l’inquiétude subsiste. à Bahreïn ou encore D’autres institutions comme la Montant des actifs Banque Pays gérés (en dollars) en Libye, les troubles Banque de Tunisie, Amen Bank qui secouent le monde arabe ou encore Attijari Bank sont Émirats 76,7 milliards Emirates NBD arabes unis auront des conséquences écoaussi concernées. nomiques. Les analyses y préComme les banques tunisienNational Arabie voient une croissance en berne, nes, plusieurs établissements de 68,5 milliards Commercial saoudite au moins en 2011. Le PIB égypla région pourraient se retrouver Bank tien devrait augmenter de 3 % en possession de créances douNational Bank Émirats 53,6 milliards en 2011, contre 5,8 % initialeteuses. D’après Lilia Kamoun, arabes unis of Abu Dhabi ment prévus. En Tunisie, l’acanalyste à Tuninvest, « de nomJordanie 50,6 milliards Arab Bank tivité économique progressera breuses PME, fragilisées par le au mieux de 1,5 % à 2 % selon ralentissement économique, se Saudi Arabie 49,4 milliards American le gouvernement, au lieu des retrouveront dans l’incapacité saoudite Bank 4 % à 5 % attendus. de rembourser leurs dettes visQatar Les banques ne seront pas à-vis des banques ». La situation Qatar 49,2 milliards National Bank épargnées. Fin février, l’agende la Société tunisienne de bance internationale de notation que (STB) pourrait se dégrader, Arabie 47 milliards Riyad Bank saoudite Capital Intelligence a attribué à cet établissement étant exposé à l’Arab Tunisian Bank (ATB) une 50 % au secteur touristique, très Égypte 46,2 milliards Al Ahli Bank perspective « négative » à proaffecté par les troubles. Arabie pos de ses réserves en devises 45,2 milliards Al Rajhi Bank saoudite et de sa solidité financière. Au GEL DES AVOIRS LIBYENS National Bank Koweït même moment, Fitch Ratings En outre, le gel des avoirs à 45 milliards of Kuwait baissait la note d’ATB, de BBB+ l’étranger de la Libye par l’Union à BBB. Et cette filiale à 64 % du européenne et les Nations unies SOURCE : UNION DES BANQUES ARABES groupe jordanien Arab Bank ne laisse planer de grandes incertiserait pas la seule dans cette situation… de la région… Certes, on ressent un tudes sur l’avenir de certaines banques Après avoir bien résisté à la crise malaise, mais rien de plus. » ayant des actionnaires libyens. Le fonds financière de 2008, les banques araPourtant, en Tunisie, quelques chifsouverain Libyan Investment Authority bes seront-elles balayées par la vague fres sont déjà tombés sur le montant des (LIA), qui gère quelque 65 milliards de de révolutions ? À Tunis, un banquier crédits accordés par le système bancaire dollars (environ 47 milliards d’euros), remet en cause la pertinence des notes au clan Ben Ali. Ainsi, sur un total de détiendrait des participations dans une des agences de notation: « Pour l’heure, 2,5 milliards de dinars (1,3 milliard douzaine de banques arabes. il n’y a aucune publication, aucune dond’euros), ATB en détient 180 millions, ce North Africa Commercial Bank, basée née provenant des banques centrales, qui représente 4,8 % de son portefeuille au Liban, est par exemple détenue à qui permettrait de faire une analyse crédits. Les dirigeants de l’établisse99,5 % par la Libye, et la Banque arabe sérieuse sur la santé des établissements ment ont beau se montrer rassurants tuniso-libyenne de développement et de
LES GROUPES ÉMIRATIS DOMINENT CRÉÉE EN 1974, l’Union des banques arabes (UAB) compte 430 membres. Selon les données de l’organisation, le secteur reste dominé par les établissements des Émirats arabes unis : fin 2010, les 51 banques émiraties géraient un total d’actifs estimés à 430 milliards de dollars (325 milliards d’euros). Viennent ensuite l’Arabie saoudite et l’Irak, avec respectivement 367 milliards et 262 milliards de dollars d’actifs gérés.
L’Égypte, premier pays d’Afrique du Nord, vient en quatrième position, avec un secteur bancaire dont le portefeuille d’actifs pèse 223 milliards de dollars, devant Bahreïn (216 milliards), le Qatar (144 milliards) et le Koweït (143 milliards). L’Algérie et le Maroc suivent, avec respectivement 102 milliards et 100 milliards de dollars. ■ S.B. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Après une activité en berne pendant la révolution (ici le 6 février), les banques renouent avec une forte croissance. Les prêts aux ménages égyptiens devraient augmenter de 9 % entre 2012 et 2014.
commerce extérieur à 50 %. Fin 2010, la Banque centrale libyenne a porté à 59,3 % sa participation dans l’Arab Banking Corporation, basée à Bahreïn, et dont le président Mohamed Layas est également patron du LIA… L’éventuel départ de Kaddafi, acculé sur le plan international, remettrait en cause l’actionnariat de tous ces établissements ainsi que leur solidité financière. Toutefois, Adnan Ahmed Yousif, président de l’Union des banques arabes (UAB) et PDG du groupe bahreïni Al Baraka, est formel: « L’impact de ces crises ne sera pas majeur sur les banques arabes. » De passage à Paris où il a présidé le premier Sommet bancaire francophone organisé par l’UAB, le 4 mars, il a assuré que la grande majorité des établissements que compte son organisation ont « des fondamentaux suffisamment solides pour traverser sans grandes difficultés ces troubles ». En 2010, les banques arabes ont réalisé un bénéfice net de 35 milliards de dollars, soit 1 milliard de plus que l’année précédente. Généralement soutenus par leurs États, ces établissements disposent pour la plupart de moyens colossaux. L’année dernière, ils ont réalisé un total de bilan de 3600 milliards de dollars, avec des dépôts estimés à plus de 1800 milliards.
Et ce n’est pas fini. Au pays des pharaons, l’activité bancaire s’annonce radieuse. Le cabinet d’études RNCOS, basé à New Delhi, table sur une hausse de 9 % des prêts aux ménages égyptiens entre 2012 et 2014, soutenus par une forte demande de crédits à la consommation, de crédits auto et de crédits logement, grâce un contexte économique rendu plus favorable par la révolution. Sur les dix premiers mois de 2010, les banques du pays ont géré des actifs combinés de plus de 230 milliards de dollars, avec des dépôts de 163 milliards. Les chiffres de l’UAB indiquent que le secteur bancaire égyptien a enregistré durant la même période une hausse de ses actifs d’environ 22 %, tandis que le capital cumulé de ses établissements a progressé de 20 %, soit l’un des taux les plus élevés du monde arabe.
des banques au profit d’acteurs privés ». Et en Tunisie, où les trois premiers établissements (STB, Banque nationale agricole et Banque de l’habitat) sont détenus par l’État, des opportunités pourraient se présenter rapidement aux investisseurs. Anticipant le phénomène, la Société nationale d’investissement (SNI), conglomérat marocain dont le roi est l’actionnaire majoritaire, a annoncé début mars son intention de céder une partie des 48 % qu’elle détient dans Atti-
La chute de Kaddafi remettrait en cause l’actionnariat de nombreuses institutions.
UNE AUBAINE POUR LE PRIVÉ
Autre motif d’optimisme sur lequel les analyses s’accordent: les révolutions pourraient conduire à un changement du mode de gouvernance des établissements bancaires. Selon Adnan Ahmed Yousif, « les États doivent se désengager
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jariwafa Bank, qui a réalisé un résultat net de 407 millions d’euros en 2010 (+ 3,3 %). La SNI envisage de ramener cette participation entre 15 % et 20 %. Attijariwafa Bank est la première banque du Maghreb et celle qui a la stratégie continentale la plus avancée, avec une présence dans une vingtaine de pays africains. Mais, douzième dans le classement des banques arabes, elle est encore loin d’égaler ses cousines du Golfe. ■ STÉPHANE BALLONG
MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS
ECOFINANCE 107
108 L’ENQUÊTE EAU
INFRASTRUCTURES
Lʼassainissement, EN TERMES D’INSTALLATIONS SANITAIRES, LES INVESTISSEMENTS NÉCESSAIRES POUR ATTEINDRE LES OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT SONT ESTIMÉS À 6 MILLIARDS DE DOLLARS. UNE PRÉOCCUPATION HÉLAS UN PEU TARDIVE.
ISSOUF SANOGO
Si l’accès à l’eau requiert parfois peu de moyens, l’assainissement collectif (tout-à-l’égout, stations d’épuration…) s’avère très onéreux (ici à Niamey).
P
MICHAEL PAURON
riorité depuis plus de dix ans, l’accès à l’eau potable a significativement progressé en Afrique. Même si, globalement, le continent sera le seul à ne pas atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) – qui visent à réduire de moitié, entre 2000 et 2015, la quantité de personnes non raccordées –, les signes sont encourageants. Entre 1990 et 2008, le nombre d’Africains ayant accès à l’eau potable (voir infographie) a augmenté de 6 % et 11 % respectivement au Maghreb et en Afrique subsaharienne, selon l’Organisation mondiale de la santé.
note Nicolas Chomel, du cabinet d’ingénierie et de conseil Safege, filiale de Suez. « C’est une préoccupation nouvelle, c’est vrai, car la situation n’est vraiment pas bonne », rapporte Sering Jallow, manager du département eau et assainissement de la Banque africaine de développement. « Si pour l’accès à l’eau on estime que la moitié des pays du continent atteindront les OMD, seuls dix sont dans ce cas dans le domaine de l’assainissement. » La banque elle-même a revu sa position. Alors qu’elle consacrait en 2003 environ 56 millions d’euros aux projets d’accès à l’eau et à l’assainissement, elle aura financé en 2010 des projets pour un montant de 530 millions, dont 25 % pour l’assainissement. « Mais on estime qu’il faudrait y consacrer au moins 21 milliards de dollars [15 milliards d’euros, NDLR] supplémentaires pour atteindre les OMD, dont 6 milliards pour l’assainissement », conclut Sering Jallow.
Sans que les efforts en termes d’accès à l’eau soient pour autant relâchés, une nouvelle préoccupation est apparue depuis quelque temps. Au cœur de la réunion des instances de l’Association africaine de l’eau (AAE), du 28 février au 4 mars, à Douala, les OMD en matière d’assainissement, parent pauvre de la thématique, apparaissent malheureusement hors de portée. Seuls 31 % des Subsahariens sont aujourd’hui raccordés à des installations sanitaires de base (en progression de 3 % entre 1990 et 2008), contre 89 % en Afrique du Nord (+ 17 %), région où la prise de conscience est intervenue il y a déjà une décennie. « On remarque une attention croissante à ce sujet »,
MANQUE DE MOYENS
Si l’accès à l’eau requiert parfois peu de moyens (forages et bornesfontaines peuvent améliorer rapidement une situation), l’assainissement collectif (tout-à-l’égout, stations d’épuration…) nécessite de lourds investissements. La station d’épuration de Cambérène, au Sénégal, qui retraite une partie des eaux usées de Dakar, a ainsi coûté pas moins de 30 millions d’euros. « Il est difficile de s’occuper d’assainissement quand, déjà, on a peu de moyens sur l’eau », remarque Emmanuel Poilâne, directeur de la Fondation France Libertés. Les villes africaines se retrouvent au pied du mur. La croissance démographique et l’urbanisation galopante et souvent anarchique ont conduit à la constitution de véritables « cloaques » dans lesquels il devient quasi impossible de mettre en place un projet d’assainissement. « De plus, les États hésitent à équiper ces quartiers éri-
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L’ENQUÊTE 109
nouvelle urgence gés de manière illégale », assure JeanFrançois Donzier, directeur général de l’Office international de l’eau.
L’Afrique recèle
Accès à l’eau potable*
15
AVEC L’AIDE DU PRIVÉ
La volonté politique est essentielle – cadre législatif adapté, élaboration de contrats d’objectifs et de qualité avec les entreprises publiques ou privées –, alors même que les compétences sont présentes sur le continent. « La Sonede en Tunisie, l’Onep au Maroc ou l’Onea au Burkina Faso sont des exemples de réussite », estime Jean-François Donzier. Pour lui, la gestion de l’eau doit être organisée par la puissance publique nationale ou régionale, qui édicte des règles et des objectifs communs,
%
des ressources en eau de la planète
(pour 13 % de la population mondiale)
Accès à l’assainissement*
Afrique du Nord
Afrique subsaharienne
Afrique du Nord
Afrique subsaharienne
92 %
89 %
* En % de la population
mais, en fonction du pays, les pouvoirs locaux peuvent prendre le relais. « Le privé peut apporter son savoir-faire et parfois les investissements, mais il doit intervenir dans un cadre juridique clair et stable », poursuit-il. Et, pour ceux qui douteraient encore des
60 %
31 %
SOURCES : OMS ET UNESCO
bienfaits de l’assainissement, il rappelle que, pour 1 euro investi, 4 euros sont produits à travers la création d’emplois, une meilleure disponibilité des salariés et la baisse des dépenses de santé, car 80 % des maladies sont véhiculées par l’eau insalubre. ■
RELEVONS ENSEMBLE LES DÉFIS DE L’ACCÈS À L’EAU 45 ANS D’ACTIVITÉS EN AFRIQUE
PARTENAIRE DES SECTEURS PUBLICS ET PRIVÉS
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FILIALES DANS 15 PAYS AFRICAINS Avec ses activités en Afrique, le bureau d’études Gauff Ingenieure s’engage activement, en tant qu’acteur reconnu, au développement de solutions durables et efficaces dans les domaines de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement en milieu urbain.
Gauff Ingenieure H.P. Gauff Ingenieure GmbH & Co. KG -JBGBerner Strasse 45 | 60437 Frankfurt/Main Allemagne
Tél. : +49 69 5 00 08-0 Fax : +49 69 5 00 08-111 e-mail : jbgafrica@gauff.com www.gauff.com
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Gauff THE ENGINEERS WITH THE BROADER VIEW
110 L’ENQUÊTE EAU
Claude Jamati
INTERVIEW
MEMBRE DU COMITÉ DE DIRECTION DE LʼASSOCIATION AFRICAINE DE LʼEAU
« La croissance démographique est un problème majeur »
JEUNE AFRIQUE : Lors de la réunion des instances de l’Association africaine de l’eau, du 28 février au 4 mars à Douala, le thème de l’assainissement était au cœur des préoccupations. Quelle est aujourd’hui la situation ? CLAUDE JAMATI: Elle est très variée. Au Maroc, plus de 80 % des foyers sont raccordés à des installations d’assainissement, quand au Tchad il y aurait moins de 50000 branchements à l’eau. Tout se joue sur la volonté politique : il est de la responsabilité des gouvernements de tout mettre en œuvre pour améliorer un secteur dont les déficiences, à travers l’eau contaminée, sont responsables de 80 % des maladies. Aujourd’hui, moins de 0,5 % des PIB est consacré à l’assainissement. Les Objectifs du millénaire pour le développement ne seront pas
la bonne gouvernance et la stabilité des dirigeants de l’office [aujourd’hui Harouna Yamba Ouibiga] ne sont pas étrangères à ces bonnes performance s. Trop de soc iété s souffrent d’une succession trop rapide de leurs dirigeants et des compétences approximatives de leurs cadres. L’Onea, c’est trois directeurs généraux en vingt ans… Qu’il s’agisse de la gestion ou Claude Jamati est un ancien cadre de la de la stratégie, la société Lyonnaise des eaux de Casablanca (Lydec). est à citer en exemple. La Sénégalaise des eaux est une autre réussite, cette fois-ci dans À ce titre, le Maroc a bien géré le prole privé. Ce sont toutes deux des sociéblème, en recourant à une décentralités qui ont le sens du service, avec des sation pas trop poussée, en fonction des gens motivés. D’autres moyens des collectivités. pays, comme l’Ouganda, progressent, alors Parfois, les relations entre les entreque la situation ailleurs prises privées et les États sont comreste généralement très pliquées. Public et privé doivent-ils difficile, notamment en travailler autrement ? RD Congo. Je ne sépare pas le public du privé: les deux sont indispensables. Il faut juste L’Afrique connaît une démographie qu’ils soient menés par un bon chef et une urbanisation galopantes. d’orchestre, en l’occurrence l’État. Mais Quel est l’impact de ces deux phéprécisons tout de même que les partenanomènes sur le secteur ? riats public-privé ne sont pas la règle en La croissance démographique excepAfrique. Les sociétés publiques demeutionnelle est effectivement un problème rent prépondérantes, mais elles doivent majeur pour le secteur de l’eau. Et la gagner en efficacité. Afin de limiter les situation est extrêmement critique lourdeurs salariales et administratives, pour les villes de taille moyenne, car elles peuvent recourir à des PME locaelles accusent non seulement une forte les. Cela créerait en outre des emplois et croissance de leur population, mais, en dynamiserait tout un secteur. ■ Propos recueillis par MICHAEL PAURON outre, elles n’ont que peu de moyens.
« L’Onea, au Burkina Faso, et la Sénégalaise des eaux sont à citer en exemple. » atteints avant un siècle si les budgets ne sont pas significativement augmentés, entre 3 et 30 fois suivant les pays. Existe-t-il néanmoins des modèles de réussite ? Oui, bien sûr. Au Burkina Faso, par exemple, avec l’Onea [Office national de l’eau et de l’assainissement, NDLR]. Grâce à un programme national, le nombre d’abonnés a été multiplié par trois à Ouagadougou depuis 2006. En outre,
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ANDRÉ RIGAUD
POUR CET EXPERT INTERNATIONAL, LES BUDGETS CONSACRÉS À L’ASSAINISSEMENT DOIVENT ÊTRE ACCRUS. IL S’AGIT NOTAMMENT D’ACCOMPAGNER L’URBANISATION GALOPANTE DU CONTINENT.
112 L’ENQUÊTE EAU TUNISIE
Paris, un allié de poids EN FINANÇANT LE SECTEUR DEPUIS 1998, LA FRANCE, À TRAVERS L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT, RESTE LE PREMIER BAILLEUR DE FONDS DE TUNIS. L ES ENTREPRISES HEXAGONALES, QUANT À ELLES, PIÉTINENT. (financée par l’agence), tandis que le 7 mars, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre française de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, a affirmé à Tunis que des actions de soutien technique seront mises en place. Dans ce cadre, la France s’engage à mettre à disposition du gouvernement tunisien des ingénieurs et des inspecteurs de l’environnement, cela afin d’aider et d’accélérer la mise en œuvre ou la poursuite de certains projets.
MEIGNEUX/SIPA
PLUS DE 1 000 QUARTIERS VISÉS
Le 7 mars, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre française de l’Écologie, visitait la station d’épuration de Sud Méliane, non loin de Tunis.
D
epuis 1995, année qui a vu l’arrivée du groupe Suez dans l’activité de désalinisation de l’eau de mer dans le golfe de Gabès, les entreprises françaises spécialisées dans le secteur de l’eau sont à la peine en Tunisie. Un exemple : en 2008, le groupe Veolia n’a pas su remporter l’appel d’offres pour la réalisation, entre autres, de la station d’épuration d’El Attar II, à Tunis-Ouest (un projet de plus de 66 millions d’euros). Malgré tout, Paris reste un partenaire stratégique pour Tunis dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, notamment à travers l’Agence française de développement (AFD). Il est vrai que le pays, confronté à une forte pression démographique, aurait tort de se priver de cet appui. De fait, la population tunisienne a doublé en moins de trente ans. Parallèlement, un exode rural massif a donné lieu à une concentration urbaine importante sur le littoral tunisien. Les infrastructures, dont l’assainissement (c’est-à-dire la collecte, le transport et le traitement des eaux usées domestiques et industrielles), doivent
s’adapter à cette implosion urbaine. Afin de relever ce défi, l’Office national de l’assainissement (Onas) a prévu, pour la période 2010-2014, un programme d’investissements à hauteur de 440 millions d’euros. À ce titre, de nombreux bailleurs de fonds étrangers se sont mobilisés, dont le groupe bancaire allemand KFW, la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), la Banque africaine de développement (BAD) et l’AFD. Cette dernière, qui apporte un appui au secteur tunisien de l’assainissement depuis 1998, concentre à elle seule 21 % des financements extérieurs dans le secteur, plaçant ainsi la France au rang de premier bailleur étranger. Et les visites officielles françaises, qui se succèdent, témoignent de la volonté de Paris de conserver cette place. En décembre 2010, Dov Zerah, le directeur de l’AFD, est venu visiter la station d’épuration d’El Attar I
En ligne de mire, notamment : les zones défavorisées. Quelque 134 millions d’euros d’investissements mobilisés par l’AFD sont déjà consacrés à l’assainissement des quartiers populaires et des localités rurales, ainsi qu’à la réhabilitation et à l’extension des infrastructures existantes. À terme, ce sont 1 008 quartiers qui auront bénéficié des fonds français pour la mise en place ou la remise en état des installations sanitaires, soit 208 000 logements hébergeant 1,4 million d’habitants. Et la coopération entre l’AFD et l’Onas – unique interlocuteur tunisien de l’institution française – ne s’arrête pas là. Un prêt de 80 millions d’euros
En 2008, Veolia a perdu l’appel d’offres pour la réalisation de la station d’épuration d’El Attar II. vient d’être accordé pour financer les réseaux d’assainissement et le renforcement des capacités. À cela s’ajoute un second prêt souverain de 18,5 millions d’euros, pour la mise à niveau des stations d’épuration. Il ne manque plus que les entreprises hexagonales, qui piaffent de pouvoir profiter de tous ces fonds français. ■ FRIDA DAHMANI, à Tunis
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Nouvelle orientation stratégique du CREPA
Des services durables d’eau et d’assainissement pour 50 millions de nouveaux africains Après vingt deux années de présence en Afrique, le Centre Régional pour l’eau Potable et l’assainissement s’est positionné comme une organisation de référence sur les questions d’eau et d’assainissement sur le continent. Institution africaine, inter-Etat présente dans 17 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, le CREPA s’est donné comme mission de constituer un vivier d’expertises confirmées en développement de solutions innovantes et durables pour l’Hygiène, l’Assainissement et l’Eau Potable. Le CREPA se veut, ainsi, au service des populations les plus vulnérables. L’ambition de l’institution s’appuie sur des valeurs partagées par l’ensemble de son personnel. La politique du CREPA est de veiller à ce que ses activités soient conduites conformément à des standards élevés de professionnalisme, d’intégrité, d’excellence, de transparence et d’esprit d’équipe. Ces valeurs devront permettre de répondre pleinement à la confiance que les partenaires techniques et financiers, les bailleurs de fonds et les Etats membres placent au CREPA. Plan stratégique 2011 2011 – 2015 : Répondre aux nouveaux enjeux du secteur
Promotion de l’accès des populations à l’eau en particulier les femmes
A moins de quatre années de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les défis à relever pour l’accès des populations africaines à l’eau et l’assainissement demeurent importants. Grâce à la forte collaboration avec les partenaires techniques et financiers, le CREPA a certes pu enregistrer des progrès considérables mais il reste beaucoup à faire. Voilà pourquoi, l’organisation s’est résolument engagée vers la recherche et la mise en œuvre de solutions durables pour l’accès des populations à l’eau, l’hygiène et l’assainissement. Forte de son expérience, l’institution a une grande ambition pour le continent à savoir, faire de l’accès à l’eau et l’assainissement pour tous et pour toujours, une réalité pour une Afrique rayonnante. Dans son nouveau plan d’orientation stratégique, le CREPA propose des actions ciblées pour les cinq prochaines années et donne une orientation à long terme. Les changements climatiques, le ciblage des plus pauvres, l’assainissement total, la durabilité des investissements, le renforcement des capacités des acteurs en appui au processus de décentralisation et le plaidoyer pour une meilleure prise en charge de la problématique de l’assainissement sont, entre autres, autant de questions sur lesquelles le CREPA envisage de s’investir. La mise en œuvre de ce nouveau plan stratégique passe nécessairement par la création de partenariats solides et dynamiques entre le CREPA, les Etats, les organisations régionales et sous régionales et les partenaires intervenant dans le secteur. Ces partenariats s’exprimeront principalement à travers le positionnement de l’institution comme agence d’appui à la formulation et à l’exécution des proLa promotion de l’hygiène en milieu scolaire grammes et stratégies eau, hygiène et assainissement. Tel : +226 50 36 62 10 / + 226 50 36 62 11- Email : doucoure.idrissa@reseaucrepa.org; www.reseaucrepa.org Pays membres : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo, Cote d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, RCA, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo
CAMWATER
114 L’ENQUÊTE EAU
L’usine de Yato, mise en service en juin 2010, produit 50000 m3 d’eau par jour.
CAMEROUN
Deux partenaires sur la brèche
DES CHANTIERS D’ENVERGURE
À CAMWATER, SOCIÉTÉ PUBLIQUE, LA CHARGE DE TROUVER DES FONDS. À LA C AMEROUNAISE DES EAUX, PRIVÉE, CELLE DE RÉALISER LES PROJETS. L’OBJECTIF DE CETTE ALLIANCE ? PORTER À 60 % LE TAUX D’ACCÈS À L’EAU POTABLE.
P
eut-on parler de partenariat exemplaire entre public et privé ? En tout cas, lors de la réunion des instances de l’Association africaine de l’eau (AAE), du 28 février au 4 mars, à Douala, Basile Atangana Kouna, directeur général de la société publique Cameroon Water Utilities (Camwater), a estimé que la « franche collaboration » entamée avec l’entreprise privée Camerounaise des eaux (CDE, plus de 2 000 employés, 48,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2009) avait permis une « mobilisation plus aisée des investissements auprès des bailleurs de fonds ». C’est d’ailleurs main dans la main que les deux sociétés ont organisé la réunion de l’AAE. « Les rôles sont désormais bien répartis, analyse l’expert Claude Jamati (lire notre interview p. 110). Mais il est encore un peu tôt pour tirer un bilan. » Sans doute la ratification des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), en 2000, a-t-elle agi comme un électrochoc. Le taux d’accès à l’eau potable du pays restait alors extrême-
Camwater a mis sur pied un ambitieux programme d’investissements, évalué à plus de 400 milliards de F CFA (610 millions d’euros), dont plus de la moitié a déjà été dépensée. Et, deux ans plus tard, force est de constater que les projets se sont multipliés. La construction et la mise en service, au mois de juin 2010, de l’usine de traitement d’eau potable de Yato, au bord du fleuve Moungo (région du Littoral), a ainsi permis d’approvisionner Douala de 50 000 m 3 supplémentaires d’eau potable chaque jour. La deuxième phase de ce projet, financée par un crédit de 44,6 milliards de F CFA accordé à Camwater en 2009 par la banque de développement China Eximbank, accroîtra de 100000 m3 supplémentaires par jour la production d’eau potable à Douala.
ment faible, à peine 30 %. Manque de moyens, cadre inadéquat, déficit de suivi et d’expertise… Atteindre les 60 % afin de respecter les OMD semblait une gageure. Créé en décembre 2005 sur les cendres de la Société nationale des eaux du Cameroun (Snec), Camwater, fort d’une centaines d’agents, s’est attribué une mission de recherche et de suivi des investissements, de gestion du patrimoine et de contrôle des activités de la société d’exploitation chargée de la mise en œuvre des projets. Sur ce dernier point, c’est la CDE, coentreprise entre les marocains Onep, Delta Holding et Caisse de dépôt et de gestion, qui a été sélectionnée à la suite d’un appel à la concurrence. En mai 2008, les deux sociétés ont enfin commencé à travailler ensemble. À l’entreprise publique la charge de trouver les fonds, à la société privée celle de mener à bien les objectifs définis dans le contrat : accès, qualité et recouvrement.
Il y a un an, Camwater a lancé officiellement les travaux de réhabilitation et de renforcement des systèmes d’adduction d’eau potable dans 52 centres. Basile Atangana Kouna affirme que « ce projet, financé à hauteur de 39,4 milliards de F CFA par la Coopération belge, va permettre de doter une cinquantaine de villes et localités camerounaises d’un système complet d’adduction d’eau potable ». D’autres chantiers d’envergure sont annoncés, comme la construction d’une usine d’eau potable sur la rivière Mefou, d’une capacité de 50 000 m3/jour. Elle permettra de faire passer l’approvisionnement de la ville de Yaoundé de 100 000 à 150 000 m3/jour. Son coût est évalué à 72,2 milliards de F CFA. Enfin, de nombreuses réhabilitations concernent plusieurs villes du pays, comme Limbé, Yaoundé, Meyomes-
Depuis 2008, plus de 300 millions d’euros ont été investis dans différents projets. sala, Tokombéré, Tonga, Buéa, Bikok, Ngomedzap, Nanga-Eboko… Les travaux débuteront au cours du deuxième trimestre 2011 et s’étaleront sur une période de trois ans. Aujourd’hui, Basile Atangana Kouna est confiant : les OMD en termes d’accès à l’eau seront atteints. ■ MICHAEL PAURON,
avec DOROTHÉE NDOUMBÈ, à Douala
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FORMATION
Un master pour les managers
ROYAUME DU MAROC
L’OFFICE NATIONAL DE L’EAU POTABLE
L’ÉCOLE FRANÇAISE AGROPARISTECH PROPOSE UN CYCLE E AU POUR TOUS, DESTINÉ AUX CADRES DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT. UN PARTENARIAT EST EN DISCUSSION AVEC L’INSTITUT 2IE, À OUAGADOUGOU.
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MICHAEL PAURON J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
Le droit à l’eau pour tous Producteur national de l’eau potable : Il assure 80% de la production nationale (861 millions m3) 1er distributeur en milieu urbain : Avec plus de 1.4 million de clients Fournisseur d’eau potable en milieu rural : Le taux d’accès à l’eau potable a atteint plus de 89% Intervenant actif dans l’assainissement liquide : Il assure la gestion du service de l’assainissement dans plus de 70 localités %" (#),$ !&"*. ()("+%$-)* $)$%+. !. (+"' !. 2.5 millions d’habitants.
0'%,( 2.+$!".# *( #1&.) /!+.-#( Direction de la Coopération et de la Communication Station de Traitement du Bouregreg, Avenue Mohamed Belhassan El Ouazani, Rabat Tél. : 05 37 75 84 38 / Fax : 05 37 75 31 28 E-mail : communication@onep.org.ma
www.onep.ma
DIFCOM/F.C. - © PHOTOS : D.R.
ace aux défis de l’eau, l’école AgroParisTech de Montpellier (France) a lancé en juin 2009 un master professionnel Eau pour tous (OPT, en partenariat avec la fondation Suez Environnement), à destination des gestionnaires des services urbains d’eau potable et d’assainissement des pays en développement ou émergents. « L’élément central de la formation est la mission de conduite du changement confiée à chaque auditeur par sa direction », explique Claire Joliet, assistante de la chaire OPT. Cela comprend l’analyse diagnostique du service d’eau et/ou d’assainissement, la rédaction d’un plan stratégique à moyen et long terme pour améliorer et développer le service, puis l’élaboration d’un plan d’action opérationnel qui pourra être mis en œuvre par l’entreprise au retour de l’étudiant. La première promotion (septembre 2009-septembre 2010) a accueilli six cadres africains et deux haïtiens, quand la deuxième (2010-2011, parrainée par Nadia Abdou, PDG d’Alexandria Water Company) compte dans ses rangs neuf Africains sur douze auditeurs. La formation, en anglais une année sur deux, est ponctuée de deux retours en entreprise de deux à trois mois, durant lesquels les étudiants peuvent mettre en œuvre la théorie, avant de présenter leur plan d’action à leur direction et à un jury du master, en fin d’année. « Chaque auditeur est accompagné d’un tuteur, manager ou ancien manager lui-même », précise Claire Joliet. De niveau bac + 5 ou bénéficiant d’une expérience professionnelle suffisante, les étudiants sont financés par leur entreprise, et soutenus par une bourse d’AgroParisTech et des bailleurs de fonds tels que la Banque africaine de développement et l’Agence française de développement. Parmi les premiers diplômés, Yénizanga Koné, promu à l’issue de sa formation directeur d’exploitation au sein d’Énergie du Mali SA, gère pas moins de 120 personnes. « J’ai pu renforcer mes compétences aussi bien dans la gestion de clientèle que dans la finance ou dans la stratégie », assure-t-il aujourd’hui. La troisième promotion (2011-2012) pourrait bénéficier d’une évolution majeure. En effet, un partenariat avec l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2IE), à Ouagadougou, est en discussion. En fin de formation, certains modules seraient ainsi délocalisés sur le continent. ■
116 LIRE, ÉCOUTER, VOIR
Musique
LES PAPYS FONT DE LA RÉSISTANCE Après deux décennies de silence, le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo, mythique groupe béninois des années 1970, fait son grand retour. Et sillonne les scènes du monde entier avec un funk vaudou toujours aussi énergique.
C
MALIKA GROGA-BADA
otonou Club. Un titre qui, à lui seul, évoque les salles enfumées des bars-dancings, les robes à volants et les cols pelles à tarte. Un titre qui convient parfaitement au nouvel album du Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo, mythique groupe béninois des années 1970. Après deux décennies de silence, le groupe signe un retour en
force. Un label, Sound’ailleurs, taillé sur mesure par leur manager et productrice, Élodie Maillot ; une distribution assurée par Universal. Un disque de onze titres – avec des inédits et des reprises – disponible en version simple, de luxe ou en vinyles pour les nostalgiques de la bonne vieille galette. Des featurings prestigieux avec Angélique Kidjo (« Gbéti Madjro ») ou Fatoumata Diawara (« Mariage / C’est lui ou
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À Bangui, en 2010.
c’est moi »). En pleine tournée promotionnelle, le Poly-Rythmo n’a plus une minute de répit : la Cigale à Paris le 20 avril, quatre jours plus tard, le Printemps de Bourges, puis Amsterdam, Bruxelles, Francfort… Dire que, en 1970, on trouvait sa musique non exportable… Quarante ans plus tard, son timbre tantôt funky, tantôt afro fait le tour du monde, et le public vibre au rythme de ses mélodies teintées de vaudou. Paris, Londres, New York, Rio de Janeiro, les producteurs s’arrachent les papys qui déménagent depuis leur première prestation sur une scène occidentale au festival Jazz à la Villette (Paris)… en 2009. MARXISME-LÉNINISME
Entre deux dates, le chef d’orchestre Clément Mélomé et sa bande regagnent leur fief, Cotonou, capitale économique du Bénin, où ils ont définitivement acquis un statut de légendes vivantes. « J’étais persuadé qu’ils étaient morts jusqu’à ce que j’apprenne
YOURI LENQUETTE/JERRYCOM
LIRE, ÉCOUTER, VOIR 117 coproducteur de l’émission L’Afrique qu’ils étaient en tournée en Europe », enchantée sur France Inter. « Il y avait raconte Prosper, chauffeur de zémiune telle énergie qui se dégageait de djan, les célèbres motos-taxis. Parce leur musique ! » poursuit-il. Une énerqu’il y a seulement trois ans, les memgie qui a touché, de Lagos à Niamey bres du groupe vivaient encore d’exen passant par Abidjan ou Luanda, pédients. Certains couraient le cachet, des fans hystériques qui reprennent d’autres subsistaient de petits comen chœur la chanson. Avec Mathieu merces. Ils se retrouvaient, parfois, le Kérékou à la tête du Bénin (de 1972 à temps d’un mariage, d’une cérémonie 1990), le Poly-Rythmo est quasiment funéraire ou d’une manifestation offi« l’orchestre officiel » du gouvernement cielle. Comme celle du 1er août 2007, révolutionnaire. Il est de tous les galas jour de leur rencontre avec Élodie et ira jusqu’à adapter certaines de ses Maillot. La jeune journaliste française chansons à l’idéologie du pouvoir en s’était lancée à la recherche du grouplace, le marxisme-léninisme. pe qu’elle avait découvert au hasard d’une compilation. Lorsqu’elle apprit SOIF D’AUTHENTICITÉ qu’il se produisait pour la fête de l’inLorsque, en 1982, Bernard Zoundédépendance à Abomey, à 145 km au gnon, surnommé Papillon, le guitariste nord de Cotonou, elle n’hésita pas à du groupe, décède, c’est le début de sauter dans un taxi. « À ce moment, la chute. Ses riffs de guitare l’avaient je n’imaginais pas que je me transforrendu essentiel et, surtout, « c’était un mais en manager, se souvient-elle en membre de la famille qui nous quitriant. Pendant toute leur prestation, tait », témoigne Vincent Ahehehinnou, les gens chantaient, dansaient, c’était les yeux perdus dans le vague. Sans l’euphorie. Et, sur scène, le groupe compter que, dans les cabarets, les avait toujours la pêche ! » orchestres sont peu à peu remplacés La même que celle de 1968, lorsque, par des cassettes audio. sur les cendres du Sunny Black’s Band, Il leur faudra attendre 2006, qu’un Clément Mélomé décide de rassembler label allemand, A nalog A frica de quelques amis pour remonter un grouSamy Ben Redjeb, à la recherche de pe. Si le gros du contingent est vite nouveaux sons, découvre de vieux trouvé, ce n’est pas le cas du chanteur. vinyles du Poly-Rythmo et en fasse Mélomé sillonnera les bars-dancings une compilation. Pourquoi maintede Cotonou jusqu’à ce qu’il repère Vinnant ? « Parce que les cent Ahehehinnou, lead méloma nes occ idenvocal du groupe, dont taux sont fatigués des les cris à la James Brown produit s ma rket i ng font sensation. « Avec qu’on leur vend, anaEskill Lohento [décédé lyse Soro Solo. Ils ont en 2006, NDLR], nous soif d’authenticité. Et étions les deux ambianun groupe comme Polyceurs du groupe », se Rythmo, que l’on trousouvient le chanteur. vait trop brut pour les Très vite, le Tout-Puisdélicates oreilles occisa nt Orc hest re PolyCotonou Club, dentales de l’époque, Rythmo accompagne les du Tout-Puissant représente aujourd’hui stars de la musique de Orchestre Poly-Rythmo la pureté du son. » Et l’époque : les Béninois (Sound’ailleurs/Universal), cette recette, le groupe Stan Tohon ou Blucky sortie le 4 avril. la réutilise pour le plus D’Almeida, la Togolaise grand bonheur de ses fans : cuivres Bella Bellow ou les Congolaises Tshatonitruants, riffs de guitare nerveux la Muana et M’Pongo Love… Mais la et ce fond de musique yorouba qui ont bande veut plus, beaucoup plus. Et fait son succès. enregistre son premier disque. Ce L’enthousiasme qu’ils suscitent n’a ne sera pas « Angélina », la chanson pas l’air d’émouvoir ces vieux routards phare qui retiendra l’attention, mais de la musique africaine qui se contencelle de la face B, « Gbéti Madjro », tent de « rendre grâce à Dieu » pour le en 1969. Roger-Guy Folly, animateur succès international tardif. « Nous ne vedette de La Voix de l’Amérique passe sommes pas devenus musiciens pour le morceau en boucle. « Le son était la gloire, mais parce qu’on aime ça », nouveau, créatif, il prenait au corps », se plaisent-ils à rappeler. ■ se souvient Soro Solo, journaliste et
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Exposition Made in Africa Avec 250 œuvres dʼune centaine dʼartistes, le musée des Arts et du Design de New York se penche sur lʼinfluence du continent dans la création contemporaine.
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’Afrique est partout, elle est en c hac un d’ent re nous », assure l’artiste africain-américain Hank Willis Thomas. Une vision que partage « The Global Africa Project », l’exposition très ambitieuse qui se tient jusqu’au 15 mai au musée des Arts et du Design de New York. Son concept : montrer, à travers 250 pièces de 107 artistes, l’influence de l’Afrique sur les expressions artistiques contemporaines les plus diverses tout en déjouant le piège d’un « label » esthétique africain. Comment tenir une telle gageure ? En rassemblant les œuvres d’artistes aux parcours très divers. La plupart ne sont pas nés sur le continent, mais dans les Caraïbes, en Europe ou aux États-Unis. Certains, comme le photographe italien Daniele Tamagni, n’ont même pas d’ascendance africaine. Mais tous inscrivent leur travail au sein d’un espace physique et psychique africain. « Je suis une artiste africaine, résume, depuis Londres, la plasticienne Taslim Martin, née d’un père nigérian et d’une mère originaire de SainteLucie (Caraïbes). Pour autant, cela ne veut pas dire que mon travail est africain. » « L’Afrique existe partout où vivent ces artistes nomades, indique Lowery Stokes Sims, la commissaire
de l’exposition. Ce que nous pensons traditionnellement de l’Afrique n’a pas de frontières et peut être trouvé dans le monde entier. » Mode, céramique, tapisserie, textile, peinture, design, bijouterie, photographie, le parti pris – réussi – de cette exposition est d’abolir les frontières entre les arts, l’artisanat et le design. Résultat ? « The Global Africa Project » est une corne d’abondance, au contenu livré brut. L’exposition poursuit aussi un objectif très concret : démontrer la capacité de l’art, du design et de l’artisanat africain à s’imposer sur le marché mondial. RENOUVELER LES FORMES
« L’Afrique doit participer de la marche du monde. Ne reniant en rien son savoir-faire antique, elle doit utiliser les ressources de son artisanat traditionnel et, à la lumière d’une créativité renouvelée, se hisser au niveau du
York, propose, quant à lui, une ligne de tables et de tabourets confectionnés à partir de plastique recyclé qui rappellent les très populaires « carreaux cassés » de Dakar. Le designer sénégalais Ousmane M’Baye a lui aussi puisé dans la récup en proposant un bureau réalisé à partir de bidons d’essence usagés. « Si mon travail est ancré en Afrique, il est aussi universel et contemporain », plaidet-i l, re f u sa nt u ne « essentialisation » af ricaine, forcément réductrice. La mode africaine est le domaine le plus mis en valeur par « The Global A frica Project ». Démontrant, là encore, richesse et esprit conquérant. Duro Olowu, né d’un père nigérian et d’une mère jamaïcaine à Lagos, avocat à Londres avant d’être couturier, en est le meilleur exemple. Il mélange avec allégresse motifs à pois, imprimés floraux, cachemire, plumes, et ses robes sont une cacophonie réussie, savamment orchestrée. Sa célèbre Duro Dress greffe des motifs picturaux yoruba sur une silhouette empire, cintrée, « à la française ». « J’ai tâché de réinventer la liberté et la joie de vivre de la mode africaine dans
« Si mon travail est ancré en Afrique, il est aussi universel et contemporain. » OUSMANE M’BAYE, designer design mondial contemporain », estime le designer togolais Kossi Assou, qui présente Slim Bed, un lit spartiate et épuré de fer et de bois fabriqué avec des produits locaux. « J’essaye de renouveler la forme du mobilier à partir d’une réflexion sur la manière de v iv re a f r ica i ne », com mentet-il. L’exemple à suivre pourrait être celui du designer surdoué Kossi Aguessy, togolais par son père et brésilien par sa mère, qui, avec ses objets fabuleux (notamment son Useless Tool, une chaise digne d’un patriarche et d’un futurisme renversant), s’est fait un nom. Bibi Seck, né à Paris dans une famille sénégalaise, installé aujourd’hui à New
des vêtements qui puissent se porter », détaille-t-il. Le couturier camerounais Anggy Haif promeut dans ses créations (robes de noix de coco, de calebasse et de corde) une autre idée puisée de son héritage africain : la préservation de l’harmonie fondamentale entre l’homme et la nature. « Chaque vêtement s’inscrit dans une mode internationale, mais est ancré dans la tradit ion a f r ica i ne », précise-t-il, ajoutant qu’il s’emploie à utili-
LIRE, ÉCOUTER, VOIR 119 nent sur le régime de l’apartheid, à l’instar de l’installation de K im Schmahmann, Sud-Africain blanc, dont le dernier volet contient des extraits des passeports que les Noirs devaient posséder à l’époque pour se rendre dans les zones blanches. Le Trône de l’espoir, siège imposant de l’artiste mozambicain Gonçalo Mabunda, a été réalisé avec des armes de la
du tissage de paniers de Mary Jackson. « Ma grand-mère me parlait de cet art de fabriquer des paniers, venu d’Afrique et poursuivi dans les plantations, commente cette Noire américaine d’une soixantaine d’années. Les gens ont conservé cette tradition comme preuve vivante de leurs origines. » Basé à Harlem, Algernon Miller a, quant à lui, fait travailler des fem-
« Vient-on de là où l’on est né ou de là où l’on a grandi ? » SERGE MOUANGUE, designer guerre civile qui déchira le Mozambique de 1975 à 1991. La sculpture de bidons en plastique du Béninois Romuald Hazoumé, Tchin Tchin BP, inspirée de la marée noire dans le golfe du Mexique, fait écho au pillage des ressources, passé et présent, du continent. « Pour les habitants du Delta du Niger, le s dé sa st r e s pétroliers sont un mode de vie quotidien », rappelle Hazoumé. QUÊTE DES ORIGINES
À New York, ce sont toutes ces Afrique qui se sont donné rendez-vous, y compris celle, perdue puis partiellement retrouvée, des Africains-Américains. Le parcours de la commissaire d’exposition n’y est pas étranger. « Ayant grandi dans les années 1960 et 1970, durant le mouvement Black Power qui a coïncidé avec les indépendances africaines, je fais partie de ces générations d’Africains-Américains qui ont essayé de retrouver leurs racines africaines », explique Lowery Stokes Sims. Propos qui trouvent une résonance particulière dans les affiches provocatrices de Hank Willis T homas ou dans l’ar t YUJI ZENDOU/MAD
ser des matériaux africains comme la soie, le raphia, ou encore des racines et des lianes. La mode africaine est également au cœur des clichés que Daniele Tamagni a consacrés aux sapeurs congolais. L’histoire de l’A frique n’est pas non plus occultée. Irrésistible, elle s’incarne dans nombre des œuvres présentées. Beaucoup rev ien-
Wafrica, de Serge Mouangue (coton, soie et wax).
mes ougandaises pour confectionner une tapisserie de perles à partir des programmes politiques du candidat Obama. « Les Noirs américains pensent souvent qu’ils n’avaient pas de culture avant leur arrivée en Amérique. Ils en ont une, immense, que je n’ai, à titre personnel, pas fini de parcourir », avoue-t-il. Enfin, dernier angle de l’exposition « The Global Africa Projet »: l’influence esthétique de l’Afrique dans le métissage mondial actuel. Pour preuve, les « anarchies vestimentaires » du Nigérian Iké Udé, autoportraits majestueux en pied, où l’artiste mélange coiffe traditionnelle nigériane, chemise de boyscout britannique et manteau afghan. Ou encore, les kimonos aux motifs picturaux africains du Camerounais Serge Mouangue qui, après avoir vécu en France et en Australie, a posé ses valises au Japon. « Vient-on de là où l’on est né ou de là où l’on a grandi ? interroge-t-il. Mes créations tentent de réaliser ce qui n’était pas possible avant : transcender les cultures. » D’une grande richesse, forcément inégale, « The Global Africa Project » est une réussite marquante. Militante aussi. Réfutant un art africain comme il a pu y avoir un art noir, elle reflète la complexité d’un continent et du monde. Malheureusement, l’exclusion du Maghreb bat en brèche cette unité esthétique « africaine », sans contours arrêtés, mais irrésistible. Défaut somme toute mineur au regard des percées conceptuelle et esthétique d’un projet en mouvement (plutôt qu’une exposition, mot bien trop figé) et d’artistes qui n’ont pas fini de faire parler d’eux. ■ JEAN-ÉRIC BOULIN, à New York
« The Global Africa Project », jusqu’au 15 mai au Museum of Art and Design, à New York.
Le nouveau bâtiment, sécurisé pour éviter tout nouvel accident.
Mémoire (quasi) retrouvée Un an et demi après lʼinondation de 2009, la précieuse cinémathèque de Ouagadougou a été rénovée. En attendant que les films soient de nouveau accessibles.
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événement était annoncé pour début mars comme l’un des clous du Fespaco. Un an et demi après l’inondation catastrophique de septembre 2009, la précieuse cinémathèque africaine de Ouagadougou, entièrement rénovée et modernisée, devait être inaugurée en grande pompe. L’inauguration a bien eu lieu à la date prévue mais a laissé une grande partie de ceux qui y ont assisté quelque peu perplexes. Le bâtiment est flambant neuf et sécurisé pour éviter tout nouvel accident : entouré d’une ceinture de béton qui renforce ses assises, il abrite des salles de conservation du patrimoine
À L’AFFICHE
cinématographique africain. Celles-ci ont été rehaussées et sont à l’abri des inondations ou de tout autre cataclysme. Mais à l’intérieur, les locaux, ce jour-là, étaient vides ! En fait, les autorités burkinabè ont voulu que cette cérémonie puisse avoir lieu à l’occasion de la tenue du plus grand festival de cinéma africain. Et ce n’est que maintenant, au lendemain du Fespaco – qui s’est achevé le 5 mars –, que commence vraiment le processus de renaissance de cette cinémathèque unique en son genre. « D’ici à un mois, les films vont commencer à revenir », assure Ardiouma Soma, le directeur de l’institution. Conservés depuis la catas-
trophe dans le bâtiment des Archives nationales, tous les documents audiovisuels qui ont pu être sauvés retrouveront petit à petit leurs étagères. Mais, avant qu’ils puissent être à nouveau consultés, sans doute à la fin de l’année, il faudra mener à bien leur inventaire. Sur les 2 000 films possédés par la cinémathèque, 500 seraient irrécupérables. L’essentiel des pertes concerne les archives les plus anciennes, en particulier celles qui contenaient les actualités filmées de la télévision burkinabè des années 1960. Pour les courts et longs-métrages d’auteur, grâce à l’aide d’institutions comme le Centre national du cinéma français, qui en possède un certain nombre, et à l’appui des réalisateurs détenteurs de copies de leurs œuvres, peu de films devraient manquer à l’appel. ■ RENAUD DE ROCHEBRUNE, envoyé spécial
par Renaud de Rochebrune
SI TU MEURS, JE TE TUE de Hiner Saleem (en salle le 23 mars)
Hiner Saleem est l’auteur de nombreux films traitant de la condition des Kurdes en Irak, son pays d’origine. Tournée à Paris, où elle raconte le destin absurde d’un Kurde venu en France pour exécuter un criminel irakien, cette tragicomédie lui permet de traiter beaucoup – trop ? – de sujets : l’immigration, le code de l’honneur, l’oppression des femmes…
PRECIOUS LIFE, de Shlomi Eldar (en salle le 23 mars) Un documentaire sur le combat de médecins israéliens et d’un journaliste pour sauver la vie d’un enfant de Gaza atteint d’une maladie génétique rare. Le film est hélas trop bien-pensant. Mais il montre toute la complexité de la situation des Palestiniens. Par exemple quand la mère de l’enfant en passe d’être sauvé explique au réalisateur… qu’elle serait prête à sacrifier son fils comme kamikaze ! J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
NYABA OUEDRAOGO POUR J.A.
Cinéma
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LIRE, ÉCOUTER, VOIR 121 « Trop noire, trop grosse, des cheveux trop courts… Quand j’ai voulu me lancer dans ce métier, on m’a conseillé de faire plutôt de la radio », raconte Naho dans un sourire qui dissimule mal une sensibilité à fleur de peau. Architecte de formation, cette battante née il y a quarante et un ans d’un père brésilien et d’une mère béninoise est montée sur les planches un peu par hasard. Elle dit devoir beaucoup à Imane Ayissi : « C’était la grande époque des top-modèles. Dans les magazines, dans la rue, les filles devaient être maigres. J’ai écrit un texte sur la mode qu’Imane m’a invitée à venir jouer en ouverture de son défilé auquel j’ai participé en présentant sa robe de mariée. » Le styliste camerounais l’encourage à poursuivre dans cette voie.
L’humoriste d’origine béninoise Naho.
Théâtre Fou rire au féminin
À lʼaffiche avec Follement folle, Naho dessine une galerie de portraits pittoresques de femmes. De la concierge raciste à la tantie qui débarque à Paris. Décapant.
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ne fleur collée à son crâne rasé, de fau x c i ls qui r e h au s s e nt s on r eg a r d pétillant et un bustier rose qui chahute sa généreuse poitrine… Naho Da Piedade fait une entrée remarquée au Folie’s Café où elle nous a donné rendez-vous. La fringante humoriste présente non loin de là, au théâtre parisien Les Feux de la Rampe,
Follement folle (jusqu’au 20 mai). Un spectacle énergique dans lequel elle dessine une galerie de portraits pittoresques de femmes. De la concierge raciste à la « travailleuse du sexe », de la tantie qui débarque à Château d’eau (le quartier africain de Paris) à la quinquagénaire que la vie a plongée dans la folie… Naho joue avec le public et avec ses rondeurs.
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BRUNO LEVY POUR J.A.
FANTASQUE ET SOLITAIRE
Naho se lance. Elle parcourt l’Hexagone de cafés-théâtres en scènes ouvertes. « Ce que je fais n’est pas à proprement parler du stand-up – je n’aime pas l’idée de me moquer du public – ni un one-woman-show au sens strict, car le décor, les intermèdes dansés sont importants. Je me vois plutôt comme une performeuse, à la manière dont l’entendent les Américains ; ce qui laisse une grande place à l’improvisation », précise Naho, qui se dépense sans compter et conclut son spectacle par un vibrant hommage à Nina Simone. « Je donne tout ce que j’ai pour que les spectateurs puissent repartir en se disant que tout est permis », affirme la jeune femme. La belle est de mauvaise humeur et n’a pas envie de parler ? Qu’à cela ne tienne. Fantasque, elle enfile une perruque (brune, blonde, rose, voire façon Marie-Antoinette), et ses amis, ses voisins, qui connaissent le code, gardent leurs distances. Une excentricité qui lui vient de sa mère. « Elle est blonde avec des tatouages. Elle m’a toujours encouragée et invitée à faire ce qui me plaisait », avoue-t-elle. De nature plutôt solitaire, Naho n’en oublie pourtant pas les autres. Elle a ouvert un centre de santé à Allada, au Bénin, « son pays ». « J’aime m’y rendre le plus souvent possible. J’ai déjà eu l’occasion de jouer des sketchs dans une émission télé. Mais je voudrais pouvoir y aller présenter Follement folle… », se plaît à rêver celle qui affirme que « tout est possible ». ■ SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX
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Livres
Comptine pour l’enfant-soldat, de Chris Abani, Albin Michel, 208 pages, 18 euros.
Enfants de troupe Le Nigérian Chris Abani retrace, avec une certaine tendresse et intimité, le parcours bouleversant dʼun gosse enrôlé dans une guerre fratricide.
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n long sanglot silencieux, comme un dernier souffle mélancolique, Comptine pour l’enfant-soldat est le récit de My Luck, 15 ans, « privé d’espoir et de presque toute humanité ». Ce jeune Nigérian a été enrôlé de force dans une guerre fratricide. Ses cordes vocales lui ont été tranchées, sans anesthésie. Une manière de le réduire au silence pour que son cri, s’il venait à sauter sur une mine, ne déconcentre pas les démineurs. Égaré, il déambule à travers la forêt à la recherche de son peloton. Une errance qui le conduit à retracer trois années de combats et à décrire un
quotidien coincé entre rêves et cauchemars (parfois bien réels), souvenirs et visions. My Luck raconte l’assassinat de son père, un Igbo « imam et circonciseur » en terre chrétienne, et celui de sa mère. Sa fuite quand les pogroms anti-Igbos se sont multipliés. Les meurtres et les combats, les viols auxquels le major Essien le force à participer. La joie si singulière, proche de l’orgasme, lorsque l’on apprend à aimer tuer. La honte, parfois. La culpabilité, souvent. Les yeux qui implorent et ceux qui s’évadent dans la folie. « J’avais 13 ans, j’étais armé et perdu dans une guerre, et j’avais le goût du viol », résume My Luck. Mais sa rencontre avec la douce Ijeoma, enrôlée dans son bataillon, le sauvera du délire.
Pour ne pas oublier ses proches morts et ceux qu’il a été contraint d’assassiner, My Luck s’est tailladé vingt et une petites croix sur l’avantbras gauche, et six sur le droit pour les personnes qu’il a eu « plaisir à tuer ». « Mon cimetière en braille, expliquet-il, est une carte de ma conscience, quelque chose qui m’éloigne des sombres limites de la folie de la guerre. Je n’ai jamais été un petit garçon. Cela m’a été volé, et je ne serai jamais un homme. Pas de cette façon-là. Je suis une sorte de chimère qui ne connaît que la terrible intimité du meurtre », constate, lucide, l’enfant-soldat. Écrit dans une langue riche, colorée d’une tendre poésie de laquelle se dégage une douceur qui contraste avec le récit macabre de My Luck, Comptine pour l’enfant-soldat est le troisième roman de l’écrivain nigérian Chris Abani (prix Pen-Hemingway pour Graceland) à être traduit en français. ■ SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX
ENRICO BARTOLUCCI/EPPGHV
CORPS À CORPS CONGOLAIS COMME MY LUCK, Serge Amisi n’a que 12 ans, en 1997, lorsque sa vie bascule. Kidnappé, enrôlé de force par les rebelles de Kabila qui marchent sur Kinshasa pour destituer Mobutu, drogué, obligé à tuer son oncle… C’est son terrible destin de « kadogo » qu’il raconte dans Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain. Carnets d’un enfant de la guerre (Vents d’ailleurs, 256 pages, 21 euros). « J’ai écrit mon histoire en lingala, je l’ai traduite dans le français que je parlais à ce moment-là, explique-t-il. Ce n’était pas un français d’école, c’était le français que j’avais attrapé comme ça. » Une langue qui dessert parfois le récit, mais que les gestes remplacent dans Congo My Body. Avec Yaoundé Mulamba, ex-enfant-soldat comme lui, et Djodjo Kazadi (qui a travaillé avec Faustin Linyekula), Serge Amisi danse le chaos et la guerre, leur guerre, celle qui a marqué leur corps et leur mémoire. ■ S.K.-G.
Congo My Body, compagnie Kazyadance, le 30 mars à Caen dans le cadre du festival Danse d’ailleurs, et du 6 au 9 avril au WIP (Parc de la Villette), à Paris. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
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Iradj Pezechkzad « Les Iraniens veulent la démocratie »
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est une histoire singulière. Celle d’un livre et d’un auteur à la fois incompris et portés aux nues. Iradj Pezechkzad a publié Mon oncle Napoléon en 1973. Une satire sociale qui s’attache au personnage exubérant d’un aristocrate mythomane dans le Téhéran des années 1940. La langue est colorée et décomplexée, on y parle d’amour, de sexe et même d’adultère, on y boit moult alcool… Le livre connaît un rapide succès avant d’être interdit en 1979. Il se vend encore aujourd’hui sous le manteau. Né dans une famille bourgeoise et francophile, Iradj Pezechkzad, 82 ans, vit en France depuis l’arrivée des mollahs au pouvoir. Ancien magistrat et fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, il a été diplomate pendant vingt-sept ans. Et il commence l’interview à votre place : « Comment avez-vous trouvé le livre ? » s’empresse-t-il de demander à peine a-t-on franchi le seuil de son appartement. « Excusez-moi, mais j’ai été privé de critique depuis la parution du livre jusqu’à aujourd’hui… »
seule ligne de critique dans les journaux, en dépit de son succès incroyable. Il a connu réimpression sur réimpression et a été adapté en série télévisée. Quand les mollahs sont arrivés au pouvoir, le feuilleton a été interdit et tous les exemplaires du livre brûlés. Après ça, plus personne n’a osé en parler.
YANN RABANIER
Le grand succès de lʼécrivain iranien, aujourdʼhui exilé à Paris, paraît en français alors quʼil est interdit dans son pays depuis 1979.
Comment expliquez-vous son succès ? Le personnage de l’oncle Napoléon a touché tout le monde. L’idée principale du roman, c’est l’opposition entre deux générations et deux classes sociales au début du XXe siècle. Il y a les anciens, de riches propriétaires terriens qui ne travaillent pas et possèdent 90 % de la richesse du pays, et une classe moyenne émergente qui a été à l’université et évolue dans la société grâce au savoir, à l’énergie, au travail. Les anciens ne veulent pas que les nouveaux prennent leur place.
En 1979, votre liv re est Mon oncle JEUNE AFRIQUE : Pourinterdit en Iran, est-ce à Napoléon, d’Iradj quoi votre livre a-t-il été cause de cela que vous Pezechkzad, Actes privé de critique ? quittez le pays pour vous Sud, 550 pages, IRADJ PEZECHKZAD : installer en France ? 25 euros. En 1973, à l’époque du Oui, j’étais en danger, à Chah, l’opposition dénonçait la cencause du livre mais aussi à cause des sure que subissaient la presse et l’édiarticles que j’avais publiés, dans lestion. Le Premier ministre de l’époque quels je parlais de démocratie et critis’est servi de la publication de mon quais l’action des mollahs. Je suis parti livre pour prouver qu’il y avait bien avant de me faire arrêter et, une fois des livres qui sortaient en Iran, et de en France, j’ai commencé à être très première qualité ! C’en était fini… Mon actif dans l’opposition. Je ne peux touroman n’a jamais pu bénéficier d’une jours pas retourner en Iran.
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Quel regard portez-vous sur l’Iran contemporain ? Je ne reconnais plus mon pays. Ça me fait mal d’y penser. La population iranienne veut la démocratie. Depuis les élections de 2009, le pouvoir tue les jeunes dans la rue. Chaque jour, de nouvelles victimes… Et l’Iran est le deuxième pays qui exécute, après la Chine. Heureusement, il y a eu ce mouvement en faveur de Sakineh et contre la lapidation. Depuis le mouvement de juin 2009, je pense que le régime a compris qu’il n’avait plus l’assurance de rester en place. Vous suivez ce qui se passe sur le plan littéraire ? Il n’y a pas grand-chose. Les livres édités sont des romans aux sujets naïfs et fades. S’il y a un peu d’amour, c’est immédiatement censuré. La seule chose intéressante, ce sont les femmes, qui écrivent de plus en plus, parlent de leur vie… Mais voyez comment les artistes sont traités : Jafar Panahi condamné à la prison et à vingt ans d’interdiction de créer, c’est comme s’il était déjà mort… ■ Propos recueillis par OLIVIA MARSAUD
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La saga du manuscrit retrouvé de Rabearivelo Le CNRS et Présence africaine publient le premier tome des Œuvres complètes du poète. Notamment son journal intime, longtemps resté enfermé dans les malles de la famille du fondateur de la littérature malgache.
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t j’en suis bien aise – malgré la certitude que j’ai qu’on s’intéressera, plus tard, terriblement à moi – ne serait-ce que parce que j’aurais été un fameux précurseur ! » Ainsi parlait le Malgache Jean-Joseph Rabearivelo de son avenir posthume, trois ans avant son suicide tragique, en 1937. Sa prophétie s’est réalisée quelque soixantedix ans plus tard grâce à la publication de ses Œuvres complètes, qui viennent rappeler les grandeurs et décadences de ce précurseur des lettres francophones, trop tôt disparu. Fondateur de la littérature malgache moderne, Jean-Joseph Rabearivelo
est mort à l’âge de 34 ans. L’homme a la réputation d’un poète maudit, à la manière d’un Rimbaud ou d’un Baudelaire. Fasciné toute sa vie par la langue et la littérature françaises tout en étant profondément imprégné de sa culture malgache, il a laissé derrière lui une œuvre riche, inventive, au carrefour des différentes traditions littéraires. Homme aux multiples talents, il fut poète, romancier, dramaturge, essayiste, traducteur, critique littéraire. Rabearivelo a également tenu un journal intime, Les Calepins bleus, publié pour la première fois dans ses Œuvres complètes, dont le second volume (à paraître dans l’année) compren-
dra l’œuvre littéraire du poète à proprement parler. La publication des Calepins bleus, qui occupent plus de 900 pages, était très attendue. Beaucoup de lettrés malgaches connaissaient l’existence de ce journal à la réputation sulfureuse en raison du récit qu’il comporte des amours et des libertinages de son époque. Ils savaient que l’auteur prétendait en avoir brûlé les cinq premiers tomes. Les quatre derniers sont restés longtemps enfermés dans une malle, dans la maison familiale du poète. Il a fallu attendre près de soixante-quinze ans pour que ce trésor de l’histoire littéraire francophone soit enfin accessible dans son intégralité. C’est aussi un témoignage précieux sur la condition de l’intellectuel colonisé dans l’Afrique sous domination française. Ces pages révèlent une tentative poignante de l’écrivain de mettre en scène les moindres événements de sa vie, organisés en écho à la vie des romanciers et
3 QUESTIONS À…
CLAIRE RIFFARD D.R.
Coresponsable de Manuscrit francophone (CNRS)
JEUNE AFRIQUE : Qu’est-ce que Manuscrit francophone? CLAIRE RIFFARD : C’est une équipe de recherche qui fait partie du laboratoire Institut des textes et manuscrits modernes (Item/CNRS). Nos missions prioritaires concernent la préservation et la valorisation des manuscrits des écrivains francophones. L’objectif est de sauver de la dégradation des textes littéraires menacés par l’usure du temps. Ce travail implique la collecte des manuscrits, leur sécurisation, leur dépouillement et leur archivage numérique. Le second axe de notre mission consiste à réaliser pour les « grands auteurs » du champ francophone une édition de référence des œuvres complètes, selon les principes d’une approche critique à orientation génétique.
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C’est-à-dire? L’analyse génétique sert à établir les différentes éta-
pes de l’élaboration d’un texte, avec les ratures, les corrections, les ajouts. C’est un travail minutieux qui aide à comprendre le processus de création. Il a été très intéressant de faire ce travail sur les brouillons de la poésie de Rabearivelo, car il a permis de montrer comment ce poète a travaillé à l’interférence de deux langues, le malgache et le français. Quels sont les prochains ouvrages en cours d’élaboration? Les Œuvres complètes de Césaire, coordonnées par le spécialiste américain Albert James Arnold, à paraître en 2013. Celles de Sony Labou Tansi sont en préparation, mais il faut d’abord terminer la sécurisation des archives, qui sont actuellement stockées d’une manière très précaire dans un garage à Brazzaville. Nous travaillons aussi sur deux gros projets, l’un consacré à Kourouma et l’autre à Albert propos recueillis par T.C. Memmi. ■
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J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
LIRE, ÉCOUTER, VOIR 125 Œuvres complètes, de Jean-Joseph Rabearivelo, tome I, éditions CNRS-Présence Africaine, 1 273 pages, 35 euros.
D.R.
L’écrivain dans les années 1920.
poètes occidentaux qu’il admire. On pourrait parler d’autofiction avant la lettre, voire de légende de soi, « grossie à grands coups d’érudition ». OCCASIONS RATÉES
L’édition des Calepins bleus par l’équipe de Manuscrit francophone, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de France, relève d’une histoire d’occasions ratées et d’érudition sans frontières. À la mort de Rabearivelo, le manuscrit de son journal est confié à ses amis français qui, ayant échoué à le publier, le rendent à sa famille. Des Allemands proposent de l’éditer, mais ils n’ont pas plus de
succès. C’est le fils du poète qui fait alors parvenir le manuscrit à la directrice de Présence africaine, Christiane Diop. L’année suivante, celle-ci se rend à Madagascar et signe un contrat de publication avec la famille. Le projet tarde pourtant à voir le jour pour des questions financières. Claire Riffard, coordinatrice des Œuvres complètes (avec Serge Meitinger et Liliane Ramarosoa), raconte la suite de l’aventure : « Parallèlement au projet de publication des Calepins bleus par Présence africaine, le CNRS a proposé de publier une édition des Œuvres complètes de Rabearivelo. Les manuscrits qui se trouvaient dans une
cantine en métal chez les enfants du poète étaient en voie de dégradation. Il était urgent de les sécuriser. En 2008, avec l’accord de la famille, les malles ont été déposées au Centre culturel français d’Antananarivo, avant de commencer le dépouillement, la numérisation et la saisie de tous les documents. Les conditions de la publication des Œuvres complètes ont été réunies lorsque Mme Diop s’est associée à ce projet, en 2010, renonçant à une publication séparée des Calepins bleus sous l’égide de sa maison d’édition. » Outre le journal, ce premier volume compte d’autres textes autobiographiques du poète et ses correspondances. Des lettres qui reliaient Rabearivelo au monde entier (des îles australes à la métropole, en passant par la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Afrique du Nord, le Mexique…) révèlent un écrivain boulimique, capable de rédiger soixante-treize courriers en deux jours! Ne pouvant quitter l’île, c’est par ses lettres que Rabearivelo a tenté de s’inscrire au cœur d’un réseau intellectuel mondial qui lui permettait de mieux conjurer cette solitude à laquelle le condamnait sa condition d’érudit dans un pays dominé. Ses amis ont écrit que ses lettres étaient autant d’appels de détresse jetés aux quatre vents. Cette détresse, liée à ses contradictions de l’homme déchiré entre l’ici et l’ailleurs, fait de Rabearivelo un précurseur, un contemporain des générations d’écrivains africains actuels caractérisés par l’« insécurité culturelle » propre à notre ère mal mondialisée. ■ TIRTHANKAR CHANDA
TOU T E S L E S M U S IQU E S D’A F R IQU E
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Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 – Fax : 01 44 30 18 77 – f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique - 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris –France
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REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Projet de développement des Marchés d’Electricité pour la consommation Domestique et à l’Export (PMEDE) - Don IDA n° H296-DRC - Programme de base AOI n o. 295/PMEDE/SNEL/BCECO/DPM/GK/2011/MF Acquisition de matériel roulant pour la Coordination des Projets de la Société Nationale d’Electricité (CDP/SNEL)
AVIS D’APPEL D’OFFRES
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Directeur des Opérations / Arabie Saoudite / CDI - 100K€ Rattaché(e) au Directeur Zone Middle East,vous êtes en charge d’établir le business plan en relationaveclesobjectifsstratégiquesduGroupeet d’enassurerlamiseenœuvre. Vous identifiez les opportunités commerciales et développez le portefeuille clients, supervisez la préparation des budgets annuels et fournissez des rapports d’activité réguliers. Vous justifiez de 10 ans d’expérience minimum sur un poste similaire dont 5 ans au sein de pays émergents.Vos atouts sont : aptitude à gérer des contrats multiples, à maximiser la rentabilité et accroître le business ;excellentes qualités relationnelles et rédactionnelles ; expérience confirmée en management multiculturel ; maîtrise de l’anglais. Réf. : FADS015270 Postulez par email : fads@fedafrica.com
JEUNE AFRIQUE N° 2619 – DU 20 AU 26 MARS 2011
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Appel d’offres - Recrutement
1. Le présent avis d’appel d’offres fait suite à l’Avis général de passation des marchés du projet PMEDE paru le 12 avril 2007 dans Dg Market et dans la presse locale ainsi que le 14 septembre 2008 dans Jeune Afrique, dans Dg Market et dans les journaux locaux. 2. La République Démocratique du Congo a obtenu un don de l’Association Internationale de Développement (IDA) pour financer le Projet de Développement des Marchés d’Electricité pour la consommation Domestique et à l’Export (PMEDE). Elle se propose d’utiliser une partie du montant de ce don pour effectuer les paiements autorisés au titre du marché intitulé : Acquisition de matériel roulant pour la Coordination des Projets de la Société Nationale d’Electricité (CDP/SNEL). 3. Le Bureau Central de Coordination (BCECO), pour le compte de la Société Nationale d’Electricité (SNEL), invite les candidats admis à concourir à soumettre leurs offres sous pli scellé pour la fourniture de matériel roulant pour la Coordination des Projets de la Société Nationale d’Electricité (CDP/SNEL). Les fournitures concernées par le marché sont reparties comme suit en deux lots distincts : • Lot 1 : 10 Pick-up 4x4 double cabine • Lot 2 : 6 Jeeps 4x4 • Lot 3 : 9 canopy Les soumissionnaires intéressés peuvent soumissionner à leur choix pour un ou plusieurs lots. 4. La passation du Marché sera conduite par Appel d‘offres international (AOI) tel que défini dans les « Directives : passation des marchés financés par les Prêts de la BIRD et les Crédits de l‘IDA » (Edition mai 2004, révisée en octobre 2006), et ouvert à tous les soumissionnaires de pays éligibles tels que definis dans les Directives. 5. Les soumissionnaires éligibles et intéressés par cet appel d’offres peuvent obtenir tout renseignement complémentaire auprès du Bureau Central de Coordination (BCECO), et prendre connaissance des documents d’appel d’offres à l’adresse reprise ci-dessous, de 9h à 16h (heures locales, TU+1). 6. Les critères de qualification des candidats sont les suivants : • Le Soumissionnaire doit fournir la preuve écrite que les fournitures qu’il propose sont conformes aux spécifications techniques indiquées dans la section VI du dossier d’appel d’offres et qu’il a déjà fourni des véhicules similaires qui sont opérationnels dans des pays aux conditions climatiques et aux infrastructures routières semblables à celles de la RDC. • Le Soumissionnaire doit indiquer la nature et la qualité du service après vente. Il devra de même garantir de fournir le service après vente pendant au moins une année. • Le Soumissionnaire qui ne fabrique ou ne produit pas les Fournitures qu’il offre, soumettra une attestation établissant qu’il est représentant autorisé pour la commercialisation de la marque proposée. • Une documentation (prospectus), en langue française, fournissant tous les détails nécessaires pour porter un jugement sur la qualité et la fiabilité des fournitures offertes par le Soumissionnaire. 7. Un jeu complet du Dossier d’appel d’offres en Français peut être acheté par tout candidat intéressé sur présentation d’une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-dessous et sur paiement d’un montant non remboursable de cent dollars américains (100 $US). Le paiement sera effectué par versement d’espèces au compte n° « 0240001145502 », intitulé PROJET BCECO auprès de la STANBIC BANK / Kinshasa, code SWIFT : SBICCDKX. Le Dossier d’appel d’offres sera envoyé aux soumissionnaires, contre présentation de la preuve de paiement, par courrier. Les frais d’envoi des dossiers aux acheteurs sont en sus et à charge de ces derniers. 8. Les offres doivent être remises à l’adresse ci-dessous au plus tard le jeudi 28 avril 2011 à 15H00’. Les dépôts électroniques ne seront pas admis. Les soumissions présentées hors délais seront rejetées. Toutes les offres doivent être assorties d’une garantie de l’offre de 5.000 USD (cinq mille dollars américains) pour le lot 1, 5.000 USD (cinq mille dollars américains) pour le lot 2 et 500 USD (cinq cent dollars américains) pour le lot 3. La garantie de soumission sera une garantie bancaire. Cette garantie de soumission demeurera valide pendant vingt-huit (28) jours au-delà de la date limite initiale de validité des offres, ou de toute nouvelle date limite de validité demandée par l'Acheteur et acceptée par le Soumissionnaire, conformément aux dispositions de la Clause 20.2 des IS. La période de validité initiale des offres est de cent-vingt (120) jours. Les plis seront ouverts en présence des représentants des soumissionnaires qui décident d’assister à la séance d’ouverture qui aura lieu le jeudi 28 avril 2011, à 15H30’ à l’adresse ci-dessous : Bureau Central de Coordination (BCECO) - Avenue Colonel Mondjiba, n° 372, Concession Utexafrica - Kinshasa-Ngaliema (RDC) - Local 301 E-mail : bceco@bceco.cd, dpm@bceco.cd, bcecobceco@yahoo.fr, dpmbceco@yahoo.fr Tél : (+243) 81 51 36 729 – (+243) 81 99 99 180 MATONDO MBUNGU Directeur Général a.i.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN
REPUBLIC OF CAMEROON
MINISTERE DES TRAVAUX PUBLICS
MINISTRY OF PUBLIC WORKS
Peace - Work - Fatherland
Paix - Travail - Patrie
Appel d'Offres International Restreint aux Pays Membres de la Banque Islamique de Développement et du Fonds de l’OPEP N° 003/AOIR/PM/MINTP/CPM-TN/2011 DU 25 janvier 2011
Appel d’offres
Lancé par le Gouvernement de la République du Cameroun pour l’exécution des travaux de construction de la route FOUMBAN – MANKI (RN6) d’une longueur totale de 40 km, Région de l’Ouest, Département du Noun 1. OBJET DE L’APPEL D’OFFRES Le Ministre des Travaux Publics (MINTP), Maître d’Ouvrage, lance pour le compte du Gouvernement Camerounais un Appel d’Offres International Ouvert en vue de l’exécution des travaux de construction de la route FOUMBAN – MANKI (RN6) d’une longueur totale de 40 km, située dans la Région de l’Ouest, Département du Noun. 2. FINANCEMENT Les travaux seront exécutés pour le compte du Ministère des Travaux Publics. Ils sont financés pour la part Hors TVA par : la Banque Islamique de Développement (BID), le Fonds de l’OPEP pour le Développement International et la République du Cameroun et pour la part TVA par : la République du Cameroun. 3. CONDITIONS DE PARTICIPATION L’appel d’offres international, objet de la sélection, est adressé exclusivement aux entreprises des pays membres de la BID et du Fonds de l’OPEP. En effet, à part la clause du boycott en vertu des Règles de Boycott de l’Organisation de la Conférence Islamique, de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine, est qualifiée comme entreprise d’un Pays Membre de la BID ou du Fonds de l’OPEP, toute entreprise dont : a) l’immatriculation ou la constitution légale a eu lieu dans un Pays Membre de la BID ou du Fonds de l’OPEP ; b) l’aire principale d’activité est située dans un Pays Membre de la BID ou du Fonds de l’OPEP ; c) le capital social appartient à plus de 50% à une ou plusieurs firmes dans un ou plusieurs Pays Membres de la BID et du Fonds de l’OPEP (lesquelles firmes devant justifier de leur nationalité) et/ou à des ressortissants de ces Pays Membres ; d) le personnel chargé d’assurer les services dans le cadre du contrat est constitué à plus de 80% de nationaux de Pays Membres de la BID ou du Fonds de l’OPEP, qu’il s’agisse d’un personnel employé directement ou employé par un sous traitant ; e) la majorité des cadres dirigeants et professionnels est constitué de nationaux de Pays Membres de la BID ou du Fonds de l’OPEP ou d’autres Pays Membres. En plus des conditions sus citées, est exclue de la présente consultation toute entreprise tombant sous le coup des dispositions ci-après : - entreprises ayant des liens avec la société engagée comme Maître d’œuvre, - entreprises se trouvant sous le coup de la suspension suite à la résiliation d’un marché, en application de l’article 102 du Code des marchés publics, - entreprises publiques qui ne sont pas juridiquement et financièrement autonomes, qui ne sont pas administrées selon les règles du droit commercial. 4. DÉLAI D’EXÉCUTION Le délai maximum pour la réalisation des travaux est fixé à dix huit (18) mois incluant les saisons de pluies. 5. CONSISTANCE DES TRAVAUX Le présent appel d’Offres a pour but l’exécution des travaux de construction de la route FOUMBAN – MANKI (RN6) d’une longueur totale de 40 km, y compris la construction des ouvrages d’assainissement, située dans la Région de l’Ouest, Département du Noun. Les travaux comprennent : • L’installation de chantier ; • Les études d’exécution ; • Les travaux préparatoires (expropriations, exhumations-inhumation, libération d’emprise) ; • Les terrassements ; • L’exécution d’une chaussée de 7,4 mètres en rase campagne et de 9 m en agglomérations, avec deux accotements de 1,3 m de large chacun en rase campagne et de 2,3 m dans les agglomérations. Le corps de chaussée comprend : - La couche de fondation en graveleux latéritique de trente (30) cm d’épaisseur du PK 0 au PK 23 et en béton de sol de trente (30) cm d’épaisseur du pk 23 jusqu'à la fin du projet. - La couche de base en grave concassée O/31,5 de vingt (20) cm d’épaisseur ; - Le revêtement en béton bitumineux de cinq (5) cm d’épaisseur sur la chaussée et en enduit superficiel bicouche sur les accotements et sur les aires de stationnement. • La construction des ouvrages d’assainissement (buses en béton, dalots, fossés …) • La réalisation des équipements et de la signalisation verticale et horizontale ; • La construction d’un ouvrage d’art sur la rivière N’chi de type pont à poutres en béton armé de 40m de portée soit deux (02) travées de 20 m.
• La construction d’une station de pesage automatique. Les travaux seront exécutés selon les règles de l'art et conformément aux plans et dessins d'exécution à consulter sur place à la Sous-direction des Investissements Routiers du MINTP. 6. CONSULTATION DU DOSSIER D’APPEL D’OFFRES Le dossier d’appel d’offres peut être consulté à l’adresse suivante : Ministère des Travaux Publics - Direction des Affaires Générales Sous-Direction des Marchés (Service d’Appui aux commissions des Marchés) Sis en face du lac municipal de Yaoundé - YAOUNDE Tel : (237) 22 22 21 40/22 22 44 78 7. ACQUISITION DU DOSSIER D’APPEL D’OFFRES Le dossier d'Appel d'Offres peut être obtenu auprès des services du Maître d’Ouvrage au Ministère des Travaux Publics, Sous Direction des Marchés, Service d’Appui aux Commissions des Marchés sis en face du lac Municipal à Yaoundé, sur présentation d’un reçu de versement au Trésor Public d’une somme non remboursable de UN MILLION (1 000 000) FCFA Ce reçu devra identifier le payeur comme représentant de l’Entreprise ou « Groupement » d’Entreprises désireuses de participer à l’Appel d’Offres. 8. CAUTIONNEMENT PROVISOIRE Les offres seront accompagnées d’une caution de soumission conforme au modèle du dossier d’Appel d’Offres. Le montant de cette caution est fixé à Trois cent cinquante millions (350 000 000) de Francs CFA. La caution de soumission sera établie par un établissement bancaire reconnu par le Ministère en charge des finances. Une caution de soumission émise par une banque non installée au Cameroun ne sera acceptable que si une banque locale reconnue par le Ministère en charge des finances est désignée comme correspondante afin de permettre de rendre le cautionnement exécutoire. Elle devra rester valable cent cinquante (150) jours à compter de la date de remise des offres. L’absence ou la non-conformité de cette caution au modèle joint au dossier d’appel d’offres entraînera l’élimination de la soumission correspondante. 9. REMISE DES OFFRES Chaque offre rédigée en langue française ou anglaise, en six (06) exemplaires (un original et cinq (05) copies marquées comme tel), devra être déposée contre récépissé à la Sous-Direction des Marchés (Service d’Appui aux Commissions des Marchés) de la Direction des Affaires Générales du Ministère des Travaux Publics au plus tard le 28 Mars 2011 à 10 heures précises (heure locale) et devra porter la mention : « Appel d'Offres International Restreint aux Pays Membres de la Banque Islamique de Développement et du Fonds de l’OPEP N° 003AOIR/PM/MINTP/CPM-TN/2011 DU 25 jANVIER 2011 Lancé par le Gouvernement de la République du Cameroun pour l’exécution des travaux de construction de la route FOUMBAN – MANKI (RN6) d’une longueur totale de 40 km, Région de l’Ouest, Département du Noun, à n’ouvrir qu’en séance de dépouillement » 10. DURÉE DE VALIDITÉ DES OFFRES Les soumissionnaires resteront engagés par leurs offres pendant cent vingt (120) jours à partir de la date limite fixée pour la remise des offres. 11. OUVERTURE DES PLIS L'ouverture des plis se fera en un temps : l’ouverture de l’enveloppe 1 contenant les pièces administratives (volume 1) puis les offres techniques (volume 2), et enfin les offres financières (Volume 3) sera effectuée le 28 Mars 2011 à 11 heures précises, heure locale, dans la Salle des Réunions de la Délégation Régionale des Travaux Publics du centre, par la Commission de Passation des Marchés de Travaux Neufs du Ministère des Travaux Publics. Chaque soumissionnaire qui le désire, ou son représentant dûment mandaté et ayant une parfaite connaissance des offres dont il a la charge, pourra être mandaté à cette séance. Une seule personne par offre remise, seule ou en groupement, sera admise. Fait à Yaoundé, le 25 Janvier 2011 Le Ministre des Travaux Publics, Maître d’Ouvrage N.B. : La date de remise des offres et d’ouverture des plis initialement prévue le 28 mars 2011 est reportée au 12 avril 2011 dans les mêmes lieux et aux mêmes heures.
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Limited International Invitation to tender No 003/AOIR/MINTP/CPM-TN/2011 of 25 january 2011
addressed to member countries of the Islamic Development Bank and OPEP Fund for the execution of construction works of the Foumban – Manki (RN6) road (40 km) West Region, Noun Division 1. SUBJECT On behalf of the Government of the Republic of Cameroon, the Minister for Public Works (MINTP), Project Owner, hereby issues a Limited International Invitation to Tender for the execution of construction works of the Foumban – Manki road (40 km) situated in the West Region, Noun Division
• Construction of a 40 m span reinforced concrete beam bridge ( i.e two 20 m span) type engineering structure over river N’chi; • Construction of an automatic weighing station. The works shall be executed by the rule book in keeping with the execution plans and drawings to be consulted on the spot at the MINTP Sub-Department of Road Investments.
2. FINANCING The works shall be executed on behalf of the Ministry of Public Works. The tax-free part shall be financed by the Islamic Development Bank (IDB), the OPEP Fund for International Development and the Republic of Cameroon, and the part inclusive of taxes shall be financed by the Republic of Cameoon.
6. CONSULTATION OF TENDER DOCUMENTS The tender documents may be consulted at the following address: Ministry of Public Works - Department of General Affairs Sub-Department of Contracts (Tenders Board Support Service) by the Yaounde Municipal Lake - YAOUNDE Tel: (237) 22 22 21 40 / 22 22 44 78
4. TIMEFRAME The maximum execution timeframe shall be eighteen (18) months, including the rainy periods. 5. SCOPE OF WORK The tender concerns the execution of construction works of the Foumban – Manki road (RN6) (4 km), including the construction of drainage structures situated in the West Region, Noun Division. The works shall comprise the following tasks: • Site installation; • Execution studies; • Preparatory works (expropriation, exhumation-inhumation, liberation of the right of way); • Earthworks; • Construction of a 7.4 meter carriageway in the open country and 9 m in build-up areas, with two 1.3 m wide shoulders each in the open country and 2.3 m in build-up areas. The road layer shall comprise the following: - Thirty (30) cm thick laterite gravel sub-base from km 0 to km 23 and thirty (30) cm thick sub-base of natural laterite gravel with crushed stones from km 23 to the end of the project; - Twenty (20) cm thick 0/31.5 crushed aggregate foundation; - Five (5) cm thick bituminous concrete surfacing on the carriageway and double surface dressing on the shoulders and on the parking spaces. • Construction of drainage structures (concrete ring and pipe culverts, box culverts, ditches, etc.) • Realisation of equipment and road signing and marking;
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7. AQUISITION OF TENDER DOCUMENTS The tender documents may be obtained at the MINTP Sub-Department of Contracts, Tenders Board Support Service, by the Yaounde Municipal Lake, upon presentation of a receipt of payment into the public treasury of a non-refundable fee of one million (1 000 000) CFA F. Such a receipt shall identify the payer as representing a contractor or “joint-venture” willing to participate in the tender. 8. BID SECURITY Tenders shall include a provisional guarantee, issued in keeping with the tender model by a banking institution approved by the ministry in charge of finance. It shall stand at three hundred and fifty million (350 000 000) CFA F and be valid for a period of one hundred and fifty (150) days with effect from the tender-submission deadline. A provisional guarantee issued by a non Cameroon-based banking institution shall be accepted only if a local bank approved by the ministry in charge of finance has been designated as its correspondent to make the guarantee operative. The absence or non-compliance of the provisional guarantee with the tender model shall lead to rejection of the corresponding offer. 9. SUBMISSION OF TENDER Drafted in English or French and in sextuplicate (6) including one (1) original and five (5) copies, labelled as such, tenders shall be submitted against a receipt at the MINTP Department of General Affairs, Sub-Department of Contracts, Tenders Board Support Service, no later than 28 march 2011 at 10 a.m (local time). They shall bear the following: “Limited International Invitation to tender No 003/AOIR/MINTP/CPM-TN/2011 of 25 january 2011 addressed to member countries of the Islamic Development Bank and OPEP Fund for the execution of construction works of the Foumban – Manki (RN6) road (40 km) West Region, Noun Division To be opened only at the tender-evaluation session”. 10. TENDER VALIDITY Tenderers shall be bound by their tenders for a period of one hundred and twenty (120) days with effect from the tender-submission deadline. 11. OPENING OF TENDERS Tenders shall be opened in one stage: Enveloppe 1 containing the administrative documents (volume 1), the technical proposals (volume 2) and the financial offers (volume 3) shall be opened by the MINTP New Projects Tenders Board on 28 march 2011 at 11 a.m, local time, in the meeting room of the Centre Regional Delegation of Public Works. Interested tenderers may attend this session or each have themselves represented by one duly mandated person of their choice with sound knowledge of their file. Yaounde , the 25 junuary 2011 The Minister for Public Works, Project Owner N.B: The date of submission and opening of tenders initially scheduled on the 28th of march 2011 has been postponed to the 12th of april 2011 at the same venue and time.
Appel d’offres
3. ELLIGIBILITY Participation in this invitation to tender shall be open exclusively to contractors of the Islamic Development Bank (IDB) and OPEP Fund Member Countries. Besides the clause on boycott as per the Islamic Conference Organisation, the Arab League and the African Union Regulations, shall be qualified as contractor of the IDB or OPEP Member Country any contractor that meets the following conditions: a) Registration or legal constitution in an IDB or OPEP Member Country; b) Main area of activity in an IDB or OPEP Fund Member Country; c) More than 50% of the social capital is owned by one or many enterprises in one or many IDB or OPEP Fund Member Countries and/or by nationals of such Member Countries; d) The staff charged with the execution of the works is composed of more than 80% of nationals of IDB or OPEP Fund Member Countries, irrespective of whether he is employed directly or by a sub-contractor. e) The majority of the supervisory and professional staff is composed of nationals of IDB or OPEP Fund Member Country or of other Member Countries; In addition to the above conditions, shall be excluded from the tender, any Contractor that falls under the following provisions: - Enterprises related to the contractor selected as the Project Manager, - Enterprises under suspension because of the resiliation of a contract, in keeping with article 102 of the Public Contract Code, - Non-legally and financially autonomous public enterprises which are not managed in keeping with commercial law rules.
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Projet d’électrification périurbaine intensive dans les états membres de la CEMAC EuropeAid/ 128649/D/WKS/RCE
Recrutement - Appel d’offres
Avis d’appels d’offres Dans le cadre de son contrat de subvention 9 ACP RPR 139/14, la Commission de la CEMAC BP 969 Bangui (République Centrafricaine), a délégué la maîtrise d’ouvrage de cinq volets d’électrification périurbaine intensive aux cinq sociétés d’électricité nationales AES-SONEL (Cameroun), ENERCA (République Centrafricaine), SEEG (Gabon), SNE (Congo) et STEE (Tchad). Sur les 57.000 branchements et réseaux moyenne et basse tension associés, ENERCA envisage d’attribuer dans la phase démultiplication un marché de travaux pour l’électrification intensive de quartiers périurbains à Bangui (9.000 Branchements). L’appel d’offre porte sur deux lots : un lot « Fourniture et pose des réseaux moyenne et basse tension et réalisation des branchements » et un lot « branchements des abonnés ». Les travaux seront réalisés à Bangui dans les quartiers de Boeing 2, Bégoua, Ouatala, Yapélé, Kpata, Lipia, Boy Rabé, Gavé, et Fondo. Les dossiers d’appel d’offres peuvent être obtenus (version papier et électronique), au coût de 200.000 FCFA, à partir du 02 Mai 2011 aux adresses suivantes : Direction Générale de l’ENERCA, Avenue de l’Indépendance BP 880 Bangui tél. (236) 21612022 Les dossiers d’appel d’offres peuvent être obtenus dans les mêmes conditions à la Cellule Facilité Energie de la CEMAC qui assure la coordination générale et technique du projet régional. CFE-CEMAC BP 10 065 Douala - Cameroun - Immeuble Les Berges du Wouri (derrière la Mairie de Douala Ier) Tél: + 237 33 42 17 20 Toute question concernant le présent « Avis d’appel d’offres » et les « Dossiers d’appel d’offres » doit être adressée au responsable du projet d’Électrification périurbaine CEMAC à l’ENERCA, BENDIMA Thierry-Patient (tpbendima@yahoo.fr) et en copie à la CFE CEMAC Hugo Yvanoff (h.Yvanoff@ied-sa.fr) et Pierre Um (umpierre2009gmail.com) La date limite de remise des offres est fixée à 15h00 le 15 Juillet 2011
Le Centre du commerce international (ITC), une organisation internationale basée à Genève et financée conjointement par l’ONU et l’OMC, cherche un
Chef, Bureau pour l’Afrique Dynamique et tourné vers le monde des affaires, pour gérer ses activités de coopération technique en Afrique sub-saharienne. Le Chef, bilingue anglais/français, et doté d’une longue expérience du conseil aux entreprises en Afrique sera à la tête d’une petite équipe de spécialistes de la conception et de la mise en œuvre de projets de promotion des échanges commerciaux. Pour plus de détails sur le profil du poste et la procédure de présentation des candidatures, consulter http://www.intracen.org/aboutitc/vacancies.htm Date limite pour l’envoi des candidatures : 20 avril 2011. L’ITC aide les pays en développement et en transition à renforcer leurs capacités pour améliorer la compétitivité des entreprises à l’échelle mondiale.
JEUNE AFRIQUE N° 2619 – DU 20 AU 26 MARS 2011
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VACANCY ANNOUNCEMENT
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Publication of vacancies for the CDE Regional office of West Africa Operations Officer The Regional representation of an International Institution based in Dakar, Sénégal, wishes to have the position of Operations Officer filled by a citizen of one of the Region’s countries (Benin, Burkina Faso, Cap Vert, Cote d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo). Key responsibilities Under the supervision of the Manager of the Regional Field Office, the Operations Officer will be responsible for: - Identifying, preparing and handling the projects and programs in line with the Institution’s regulations. - Collecting pertinent information on other stakeholders active in the same field of activities in the region. - Providing assistance in the preparation of programmes and other development initiatives. - Executing other related duties as assigned by the Manager of the Regional Office. Qualification and Experience Mature and self-driven person of high integrity with: - University Degree: Masters in Banking, Economics, Finance, Business Administration or allied degrees. - Minimum 5 years of relevant experience acquired in the Private sector (enterprise or consultancy firm) or International institution. - Proven experience with banking, project financing and/or enterprise development; in particular experience with SME. - Skills and experience in design, monitoring, evaluating and/or auditing of technical assistance projects; - Good IT skills (Internet, Word, Excel, PowerPoint); - Fluency in English (oral and written) is a requirement; - Good knowledge of French (oral and written) would be an advantage; - Good knowledge of the EC procedures of procurement would be an advantage. Package: An attractive remuneration package will be offered to the successful candidate.
Chef de service (D-1), Bureau des services de contrôle interne
carrières Nations Unies
Vous possédez d’excellentes aptitudes à la gestion et à l’encadrement? Vous vous investissez dans le changement et le progrès sans vous cantonner dans le statu quo? Le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l’Organisation des Nations Unies cherche une personne expérimentée pour diriger son service d’audit de New York (au Siège). Le BSCI est un bureau indépendant chargé d’assurer le contrôle interne des ressources en menant des activités de contrôle, des audits internes, des inspections, des évaluations et des enquêtes. Le bureau cherche un chef dynamique pour contrôler l’exécution des programmes de travail des sections chargées de procéder aux audits du Siège, des missions, de la Caisse commune des pensions et du plan-cadre d’équipement. Le Chef de service sera chargé d’établir et de coordonner les plans d’audit et d’aider à établir les directives opérationnelles. En plus la personne sera chargée d'établir les manuels d’audit interne, à définir les structures hiérarchiques et à communiquer des rapports. Formation Diplôme universitaire du niveau de la maîtrise dans le domaine de l'audit, de la finance, de l’administration des affaires, de la comptabilité ou dans une discipline étroitement apparentée. Une certification professionnelle dans le domaine de la comptabilité ou de l’audit est fortement souhaitable. Expérience professionnelle Au moins quinze années d’expérience professionnelle, à des niveaux de responsabilité de plus en plus élevés, dans le domaine de l’audit, dont sept au moins à des postes de direction. Une expérience de la gestion et de l’encadrement technique en matière d’audit est indispensable. Les femmes sont fortement encouragées à présenter leur candidature.
Pour tout complément d’information concernant cette position, connectez-vous sur
careers.un.org/jobopenings.
JEUNE AFRIQUE N° 2619 – DU 20 AU 26 MARS 2011
Recrutement
Please send your application to: Mr. Jean Gaston BAGANZICAHA Head of Regional Field Office of CDE, Lot 90 Sotrac Mermoz – BP. 16 160 Dakar Senegal Closure of application: at the latest Tuesday, May 17 Th, 2011 (date as postmark)
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AC APPEL A CANDIDATURE INTERNATIONAL AU POSTE DE SECRÉTAIRE EXÉCUTIF PERMANENT DE LA CADDEL Le Président de la Conférence Africaine de la Décentralisation et du Développement Local (CADDEL), Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, porte à la connaissance des ressortissants des Etats membres de l’Union Africaine, qu’il est ouvert au Siège de la CADDEL à Yaoundé, République du Cameroun, un poste de Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL. Les candidatures à ce poste, qui devront se conformer aux termes de références ci-après, sont attendues au siège de la CADDEL jusqu’au 20 avril 2011, délai de rigueur.
Appel à candidature
TERMES DE REFERENCE POUR LE RECRUTEMENT DU SECRETAIRE EXECUTIF PERMANENT DE LA CONFERENCE AFRICAINE DE LA DECENTRALISATION ET DU DEVELOPPEMENT LOCAL (CADDEL) Contexte La CADDEL est née de l’initiative des Ministres africains en charge de la décentralisation, réunis en marge des Africités de 2000 à Windhoek/Namibie. L’Assemblée constitutive de la CADDEL s’est tenue à Yaoundé en République du Cameroun en décembre 2003. Le processus de son arrimage aux structures de l´Union Africaine tire sa légitimité de la décision N° Assembly /AU/ Dec 158 (VIII) des Chefs d´Etats africains, réunis en Sommet à Addis Abeba en janvier 2007. La CADDEL a pour mission essentielle de favoriser, dans un cadre formel, les échanges entre pays africains dans le domaine de la décentralisation et du développement local. Lors de la Session extraordinaire de la CADDEL tenue le 30 septembre 2010 à Yaoundé, ses statuts ont été amendés. Une des innovations fondamentales réside dans l’institution d’un Secrétariat Exécutif Permanent aux côtés des deux autres organes initialement prévus, à savoir, la Conférence des Ministres et le Comité des Directeurs. Il s’est agi de doter la CADDEL d’un nouvel outil d´exécution administrative et technique garant, par sa permanence, de la continuité et de la gestion quotidienne des affaires de la CADDEL; et disposant d’une expertise à même de faciliter la bonne exécution de son plan d’action. Par Résolution N°04/RES/CADDEL/SE1/09.10 prise au cours de ladite session extraordinaire, Le 30 Septembre 2010, la Conférence des Ministres a donné mandat au Président de la CADDEL, avec l’assistance du Comité des Directeurs, de procéder, par voie d´appel à candidatures international ouvert aux seuls ressortissants des Etats membres de l’Union Africaine, au recrutement d’un Secrétaire Exécutif Permanent. En exécution de ce mandat, un appel à candidature est lancé pour le recrutement du Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL dont les principales missions et qualifications ainsi que les modalités de recrutement se présentent comme suit : I. Description du poste Titre du poste : Secrétaire Exécutif Permanent Lieu de travail : Yaoundé, Cameroun Supérieur direct : Président de la CADDEL II. Tâches principales et responsabilités Le Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL accomplira les tâches suivantes : - Assurer, sans voix délibérative, le secrétariat des réunions de la Conférence des Ministres et du Comité des Directeurs, sauf sur les points à l’ordre du jour concernant son statut, son salaire et ses intérêts ; - dresser un rapport périodique sur l’état de la décentralisation en Afrique ; - faciliter la liaison entre la CADDEL, ses partenaires et les autres institutions similaires ; - coordonner la mise en œuvre des programmes de la CADDEL avec ceux de l’Union Africaine, des Communautés Economiques Régionales et des agences des Nations Unies en Afrique, ainsi qu’avec les programmes et activités entrepris par des organisations gouvernementales et non gouvernementales ; - entretenir des relations étroites avec les organisations partenaires ; - identifier les préoccupations et enjeux de la décentralisation, de la bonne gouvernance et du développement au niveau local ; - promouvoir la coopération entre les pays africains conformément aux programmes de la CADDEL ; - promouvoir la coopération avec d’autres conférences ministérielles ; - s’assurer de l’établissement de lignes directrices et de normes pour l’exécution des diverses composantes du programme de la CADDEL ; - développer des méthodologies et des stratégies pour la formulation de programmes effectifs de la CADDEL aux niveaux continental, régional et sous-régional, ainsi que leur intégration dans les plans nationaux des Gouvernements africains et les documents de stratégie nationale ; - formuler toutes propositions en vue du bon fonctionnement des organes de la CADDEL et de l’atteinte optimale des objectifs ; - développer des programmes, des stratégies et rédiger des règles et directives à soumettre à l’approbation des Ministres de la CADDEL ; - planifier et évaluer le travail mené par le Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL en terme d’objectifs organisationnels et de programmes ; - élaborer le projet de plan d’action et de budget annuel de la CADDEL ; - élaborer le projet de règlement intérieur de la CADDEL ; - tenir et conserver la documentation et les archives de la CADDEL ; - présenter le compte annuel de gestion ; - administrer et gérer les ressources mises à la disposition du Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL sous le contrôle du Comité des Directeurs. Les attributions du Secrétaire Exécutif Permanent se rapportant aux affaires financières sont régies par les dispositions spéciales adoptées à cet effet ; JEUNE AFRIQUE N° 2619 – DU 20 AU 26 MARS 2011
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AC - développer et soumettre à l’approbation du Comité des Directeurs un projet de programme de travail (élaboré à partir du plan d’action stratégique) accompagné d’un projet de budget ; - mettre en œuvre le programme de la CADDEL et gérer son budget sous la direction et le contrôle du Comité des Directeurs ; - organiser le contrôle, l’évaluation et le suivi des programmes et activités de la CADDEL ; - s’assurer de la mise en œuvre des décisions prises par la Conférence des Ministres ; - développer une stratégie de mobilisation de ressources de la CADDEL et en assurer la mise en œuvre ; - veiller à la bonne exécution des arrangements contractuels conclus entre les partenaires techniques et financiers et la CADDEL ; - coordonner toutes les activités du Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL ; - assurer la responsabilité de l’administration du Secrétariat Exécutif Permanent ; - servir de porte-parole de la Conférence des Ministres lorsque mandaté par le Président de la CADDEL ; - exécuter toutes directives et instructions données par la Conférence des Ministres ou le Président de la CADDEL. III. Niveau d’étude Les candidat(e)s doivent avoir une formation universitaire supérieure de niveau master au moins en Droit, Administration, Management, Sciences Economiques, Gestion des projets ou dans un domaine connexe. IV. Expérience professionnelle - avoir une expérience professionnelle d’au moins 10 ans ; - une expérience en management des organisations d’envergure internationale, à des niveaux institutionnels reconnus (direction de département ou équivalent) ; - une expérience dans la gestion des relations avec des responsables institutionnels de haut niveau dans les organismes panafricains, internationaux, et les gouvernements nationaux.
VI. Langues La maîtrise d’au moins deux (02) langues de l’Union Africaine sont indispensables. En outre, une bonne connaissance d’une autre langue de l’Union Africaine constitue un atout. VII. Age requis Les candidat(e)s doivent être âgé(e)s d’au moins 35 ans et d’au plus 65 ans. VIII. Durée du contrat Le recrutement s´effectuera sur la base d´un contrat à durée déterminée pour une période de cinq (05) ans, renouvelable une fois, sous réserve de résultats satisfaisants. IX. Prise en compte du genre Les candidatures féminines sont fortement encouragées. X. Composition du dossier de candidature Les dossiers de candidature comprennent : - Les photocopies des originaux des diplômes universitaires et des certificats obtenus ; - un curriculum vitae détaillé et signé du/de la postulant(e) ; - et une lettre de motivation adressée au Président de la CADDEL, indiquant le désir et les raisons du candidat de postuler au poste de Secrétaire Exécutif Permanent. XI. Rémunération La rémunération se fera sur une base compétitive pour les postes similaires au niveau panafricain. XII. Date limite de réception des dossiers de candidature Les candidat(e)s intéressé(e)s doivent adresser leur dossier de candidature à Monsieur le Président de la CADDEL par voie postale, le cachet de poste faisant foi, et par courrier électronique au plus tard le 20 avril 2011 aux adresses suivantes : Monsieur le Président de la Conférence Africaine de la Décentralisation et du Développement Local (CADDEL), Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, MINATD, BP 330 Yaoundé - République du Cameroun - Courriel : info@amcod.info Le Président de la CADDEL, Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, MARAFA HAMIDOU YAYA.
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Appel à candidature
V. Autres compétences requises - une bonne maîtrise des enjeux de la décentralisation et du développement local en Afrique ; - une bonne connaissance et une expérience avérée dans le domaine de la décentralisation et du développement local en Afrique ; - une parfaite maîtrise de l’articulation actuelle du dispositif opérationnel africain en matière de décentralisation/développement local et de ses évolutions (acteurs, financements, etc.) ; - une expérience dans la gestion des projets continentaux et sous-régionaux (appel d’offres, préparation et gestion des contrats, conventions et partenariats, recherche des financements, gestion et évaluation des équipes, budgétisation des projets, etc.).
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AC Appel d’offre pour une évaluation externe des activités – 2011
Divers
WaterNet est un réseau régional pour le développement et le renforcement des capacités en Gestion Integrée des ressources en Eau (GIRE) en Afrique Australe par l’enseignement, la recherche et la formation. WaterNet Trust sollicite des appels d’offres scellés pour une évaluation externe du programme de WaterNet, phase 2. Les termes de références sont disponibles à : http://www.waternetonline.org/ExternalReview2011/ExternalReviewToR.pdf. La date limite pour la soumission des appels d’offre est fixée au 21 Mars 2011 (17h, Temps de L’Afrique Centrale).
Bâtiments industriels
www.frisomat.com/africa - T: +32 3 353 33 99
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AC Veolia Eau en Afrique
Solutions pour la gestion des cycles de l’eau ALIMENTATION EN EAU POTABLE ET ASSAINISSEMENT, COLLECTIVITÉS LOCALES ET INDUSTRIES > Études d’aménagement > Construction > Exploitation et maintenance > Formation et transfert de technologie
Veolia Water Solutions & Technologies Africa Headquarters “Les Docks” - Atrium 10.3, 10 Place de la Joliette BP 73315, 13567 Marseille Cedex 02, France Tél. +33 4 96 17 33 40 | Fax +33 4 91 31 92 83
PRIX ABDOULAYE FADIGA POUR LA PROMOTION DE LA RECHERCHE ECONOMIQUE La Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lance un appel à candidatures pour l'édition 2012 du « Prix Abdoulaye FADIGA pour la promotion de la recherche économique », dénommé « Spécial Cinquantenaire de la BCEAO ». D'une valeur de quinze (15) millions de FCFA pour l'édition 2012, ce Prix s'adresse aux chercheurs ressortissants de l'un des huit (08) Etats membres de l'UEMOA (Bénin, Burkina, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), résidant ou non sur le territoire de l'Union et âgés de quarante-cinq (45) ans au plus au 31 décembre 2012. Le travail de recherche à soumettre doit être présenté sous forme d'article publiable. Il peut être l'œuvre d'une personne ou d'une équipe. Pour cette édition du Prix, les thèmes de recherche doivent s'inscrire dans les problématiques ci-après : • l'objectif de stabilité des prix dans les pays de l'UEMOA ; • le développement du secteur financier dans l'UEMOA ; • et l'accélération de la croissance économique dans les pays membres de l'UEMOA. Le Règlement du Prix et la fiche de candidature peuvent être téléchargés sur le site Internet de la BCEAO : http://www.bceao.int, rubrique « Prix Abdoulaye FADIGA ». Ils peuvent également être obtenus au Siège de la BCEAO, auprès de la Direction des Affaires Juridiques, dans les Agences Principales de la BCEAO, ou à la Représentation de la BCEAO auprès des Institutions Européennes de Coopération à Paris. Le délai de soumission des dossiers de candidature est fixé au 31 décembre 2011. Le dossier de candidature devra comporter tous les éléments requis pour son éligibilité et être transmis à l'adresse électronique : courrier.daj@bceao.int. Pour toutes informations complémentaires, écrire à cette adresse électronique. Toutes les formalités liées à la candidature à ce Prix sont gratuites. JEUNE AFRIQUE N° 2619 – DU 20 AU 26 MARS 2011
Divers
www.veoliawaterst.com
136 VOUS & NOUS
COURRIER DES LECTEURS Quel « danger » pour la Côte dʼIvoire ?
■ En réponse au « Ce que je crois » du 12 mars, intitulé « Il y a urgence ! », je pense pour ma part que c’est Alassane Ouattara qui est un « danger » pour l’Afrique et pour la Côte d’Ivoire. Pour rappel, quand le coup d’État manqué de 2002 a eu lieu, le président Gbagbo n’était au pouvoir que depuis deux ans, et les raisons avancées par la rébellion étaient infondées, car il n’était pas l’auteur du concept d’« ivoirité ». Ce n’est pas Laurent Gbagbo qui a « attiré le malheur sur son pays » ; ce sont au contraire les forces coalisées qui ont décidé d’y installer le chaos en voulant affamer la population et la laisser mourir, en fermant les banques ou en ne vendant pas les médicaments, et en utilisant la force armée. Comment, selon vous, Monsieur Béchir Ben Yahmed, les Forces nouvelles ont-elles pu se procurer des armes sophistiquées alors qu’elles ne constituent pas une armée nationale ? D’où vient cet argent ? Les élections de 2010 n’ont pas été claires, que vous le reconnaissiez ou non. Je pense sincèrement que le président Gbagbo serait prêt à laisser le pouvoir s’il était démontré clairement à tous que les fraudes massives dans le nord du pays n’ont jamais existé, or ce sujet est soigneusement évité par ses adversaires. Là est pourtant « l’urgence » pour l’Union africaine et l’ONU : démontrer que les allégations du camp Gbagbo sont infondées et que le Conseil constitutionnel a outrepassé le droit. Sans cela, le monde entier retiendra que, contre son gré, le peuple ivoirien a été floué et que ce coup d’État électoral était préparé d’avance. JEAN DE DIEU MOSSINGUE, E-MAIL
Non à la voie des armes !
PRINTEMPS ARABE ET L’ALGÉRIE ?
■ Malgré tout le respect et l’admiration que j’ai pour Jeune Afrique, je me permets de vous signifier mon indignation quant à votre traitement de l’actualité ivoirienne. CÔTE D’IVOIRE Vous devez pourtant sans Le mystère doute savoir que, lorsqu’il Mangou y a un différend, la raison n’est jamais à 100 % d’un seul côté. Or, aucune chaîne ou aucun média o J.A. n 2618 du 13 mars 2011 international acquis à la cause de M. Ouattara n’a jamais fait état des crimes et des violences causés par les rebelles et affiliés, comme si un seul camp disposait de machettes, de fusils et de munitions ! Intox ? Et, surtout, pourquoi, dans le dernier numéro de Jeune Afrique, semblez-vous privilégier la voie des armes, dans une incitation voilée à Philippe Mangou, chef d’état-major des armées, à prendre de manière transitoire le pouvoir et à le passer par la suite à M. Ouattara ? THIERRY OVONO ETHO, E-MAIL HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2618•du 13 au 19 mars 2011
Réponse de la rédaction : La ligne éditoriale de Jeune Afrique est assez claire sur la Côte d’Ivoire : comme la Commission électorale indépendante, comme la Convention de la société civile ivoirienne, qui avait une mission d’observation de l’élection, comme la grande majorité des observateurs internationaux et comme les Nations unies, nous reconnaissons la victoire de Ouattara à la présidentielle. Il existe, comme vous le dites, un différend avec le camp de Gbagbo, qui a instrumentalisé le Conseil constitutionnel pour se maintenir au pouvoir dans la plus grande illégalité. Partisans et forces fidèles s’affrontent à Abidjan et dans l’ouest du pays, ce que nous avons souligné dans notre dernier numéro. À aucun moment, dans notre article consacré au général Mangou, nous n’appelons, même de manière voilée, le général Philippe Mangou à prendre le pouvoir pour le redonner à Alassane Ouattara. Nous nous sommes contentés de faire un portrait en situation d’un personnage clé dans la crise post-électorale ivoirienne, en expliquant son parcours ainsi que les pressions et luttes d’influence dont il fait l’objet.
MISE AU POINT
Le général ivoirien à la retraite Abdoulaye Coulibaly, mentionné dans notre enquête sur « le mystère Mangou » (J.A. no 2618), apporte cette précision : « C’est avec surprise que j’ai lu, dans un article consacré au général Philippe Mangou, que je l’avais démarché afin qu’il rejoigne le président Ouattara. Je tiens à apporter un démenti formel à cette allégation mensongère. Depuis le 28 novembre 2010, je n’ai parlé qu’une seule fois avec le général Mangou. C’était le 13 décembre, pour lui demander d’ordonner la restitution de mes téléphones portables confisqués lors d’un contrôle de routine. J’ai fini ma carrière et j’aspire à vivre tranquillement. »
www.jeuneafrique.com
BAD KABERUKA: « NOUS DEVONS ACCOMPAGNER LES TRANSITIONS » RD CONGO FACE À KABILA, L’OPPOSITION RÊVE D’UNION LIBYE KADDAFI CONNECTION
Le chef d’état-major de l’armée, resté fidèle à Laurent Gbagbo, est l’un des personnages clés de la crise. Qui est-il vraiment ?
ÉDITION AFRIQUE SUBSAHARIENNE
France 3,50 € • Algérie 170 DA • Allemagne 4,50 € • Autriche 4,50 € • Belgique 3,50 € • Canada 5,95 $ CAN • Danemark 35 DKK • DOM 4 € Espagne 4 € • Éthiopie 65 Birr • Finlande 4,50 € • Grèce 4,50 € • Italie 4 € • Maroc 23 DH • Mauritanie 1100 MRO • Norvège 41 NK • Pays-Bas 4 € Portugal cont. 4 € • RD Congo 5,50 $ US • Royaume-Uni 3,50 £ • Suisse 5,90 FS • Tunisie 3,30 DT • USA 6,50 $ US • Zone CFA 1700 F CFA • ISSN 1950-1285
Retourne-toi Houphouët
■ Les événements en Côte d’Ivoire me font beaucoup de peine depuis 2002. En 2003, déjà, j’avais écrit un poème appelant Houphouët-Boigny à la rescousse. Je l’avais rangé par la suite, voyant les protagonistes revenir à de meilleurs sentiments. Mais voilà que les choses se gâtent à nouveau… Je ressors donc mon texte pour le partager avec vos lecteurs. Retourne-toi Houphouët / Reviens avec un fouet / Toi la sagesse / Toi la largesse / Peut-être sous ta menace / Tes enfants au cœur de glace / Tendront-ils à nouveau la main / Vers ton Afrique de demain / Plurielle et accueillante / Douce et souriante. Retourne-toi Houphouët / Vois les démons de la haine / Fondre comme des mouettes / Sur des âmes en perte d’haleine / Naguère vivant dans la fraternité / Aujourd’hui accablées par l’ivoirité. Retourne-toi Houphouët / Tes éléphants se tournent le dos / Vois la paix mise en lambeaux / Par des armes J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 19 • D U 2 0 A U 2 6 M A R S 2 0 11
VOUS & NOUS 137 brandies telles des jouets / Tirant des salves de morts / Annihilant maints espoirs / Ton joyeux pays, telle une poire / Est divisé sans remords / Par la suffisance / Et l’intolérance. BONAVENTURE K ASSA-MIHINDOU, LIBREVILLE, GABON
Que reprochez-vous à Kaddafi ?
■ Grand lecteur de Jeune Afrique depuis des années, je vous écris aujourd’hui pour vous demander ce qu’il y a entre l’hebdomadaire et le « Guide » libyen, car je ne comprends pas votre haine viscérale à son encontre, même si vous apportez quelques informations à ce sujet dans le no 2617 du 6 au 12 mars. Mais, que je sache, Kaddafi n’est pas le seul à avoir interdit Jeune Afrique dans son pays ! Si j’ai bonne souvenance, HouphouëtBoigny en son temps avait fait de même. Dites-moi honnêtement ce que vous reprochez au « Guide ». Vous n’êtes pas sans savoir que, juste avant le début des événements en Libye, le Fonds monétaire international l’avait félicité pour ses performances. Sachez aussi que la Libye occupe la première place en Afrique, selon l’indice de développement humain. Toujours en me référant à Jeune Afrique, ce que la Libye a investi sur le continent ces dix dernières années dépasse de loin ce qu’ont fait la Banque mondiale, le FMI, la coopération bilatérale ou multilatérale. Je ne suis pas un pro-Kaddafi, je suis un
Africain qui se soucie du devenir de son continent et de l’avenir de sa jeunesse. Que reproche-t-on à Kaddafi ? En matière de liberté, il n’y a pas de comparaison possible entre la Chine et la Libye. Les Libyens vivent bien, ils sont éduqués, soignés. SOULEYMANE DIAKITÉ, E-MAIL Réponse de la rédaction : Face à la violence exercée par Kaddafi contre son propre peuple, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté en faveur d’un recours à la force contre le « Guide » libyen. Cette décision nous conforte dans notre position : condamner sans relâche cet homme au pouvoir depuis quarante et un ans.
Pour une Afrique éduquée
■ Depuis l’indépendance, les pays africains sont toujours restés sans aucun plan directeur digne de ce nom pour leur développement. Chaque nouveau venu au pouvoir à toujours eu sa politique, son idéologie, sa doctrine personnelle. La dictature, la haine, la corruption, le mensonge et la trahison ont été monnaie courante. Pour remédier à cela, l’Afrique a besoin de l’aide la plus importante qui soit, celle qui touche à l’éducation. Comme le disait Nelson Mandela, « un peuple qui lit est un peuple qui gagne ». Un peuple éduqué n’accepte pas n’importe quoi. ABDOULAYE BAGNA MAIGA, BAMAKO, MALI
POST-SCRIPTUM
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL
P O L I T I Q U E , É C O N O M I E , C U LT U R E Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51 e année)
Édité par SIFIJA
Visa Balladur, c’est « kwassa » ? AVEZ-VOUS DÉJÀ ENTENDU PARLER DE MAMOUDZOU ? Pas souvent, n’estce pas ? Mamoudzou est le chef-lieu de Mayotte, sur l’île de Grande-Terre. Et Mayotte ? C’est un archipel de l’océan Indien, lui-même dans l’archipel des Comores… Et les habitants de Mamoudzou ? Des Mamoudzous ! Une fois le décor planté, il faut vite dire que Mayotte a l’insigne TSHITENGE honneur de devenir, le 31 mars, le 101e déLUBABU M.K. partement français. Il y a deux ans, lors d’un référendum, les Mahorais – c’est-à-dire les habitants de Mayotte – se sont en effet prononcés à 95,2 % pour ce changement de statut au sein de la République française. À Mamoudzou, les gens aiment bien descendre dans la rue. Pour un oui, pour un non, manifestations, contre-manifestations. Vous vous demanderez sans doute, vu ce qui se passe sur certaines terres musulmanes, si une nouvelle révolution – de coprah ? – est en gestation. Que nenni ! Il s’agit d’autre chose. Des associations ont organisé, le 23 février, une « marche à la mémoire des victimes en mer ». Pour les non-initiés, il s’agit de ces malheureux Comoriens qui, oubliant qu’ils ont choisi, eux, l’indépendance en 1975, viennent à Mayotte à bord d’embarcations de fortune appelées kwassas. Beaucoup finissent dans le ventre sans fond de l’océan ou, pour les plus chanceux, dans les bras musclés de la gendarmerie. Plus de 10 000 ont déjà péri, selon les associations. Indignés par cet hommage à des personnes qui osent venir clandestinement chez eux, les membres du Comité pour les intérêts de Mayotte ont vu rouge. À leur tour, ils ont battu le pavé le 8 mars, brandissant des écriteaux « Mayotte appartient aux Mahorais. Respectez notre choix ». Et ils ont demandé aux autorités de renforcer le « visa Balladur », instauré en 1995 par Paris afin de restreindre la circulation des personnes entre Mayotte et les Comores. Pourtant, l’appartenance de Mayotte à la France n’est reconnue ni par les Comores, ni par l’Union africaine, ni par l’ONU. Mais les Mahorais n’en ont cure. Ils refusent de partager avec les Comoriens le bonheur d’être français. Même si, quand ils se tapent dessus, ils utilisent une même langue : le comorien. À l’inverse, pour ceux qui tentent au péril de leur vie de gagner Mayotte, cette île n’est pas une terre étrangère. Ils y ont un cousin, un oncle, une tante, un frère, ils y sont chez eux, indépendamment du visa Balladur. Mais parce qu’ils sont maltraités, suspectés, traqués, arrêtés, expulsés, que doivent faire ces Comoriens ? Rester dans leur archipel et éteindre les lumières d’Anjouan que les Mahorais admirent le soir. Au bout d’un moment les Mahorais, se languissant de leurs « frères », iront les chercher, leur disant : « Pardonnez-nous nos offenses. Pardonnez-nous surtout d’avoir oublié que lorsqu’il y en a pour un, il y en a pour dix mille. » Les Comoriens répondront alors en chœur : « Arrière, faux frères, arrière ! Nous ne voulons pas de votre visa Balladur. Nous avons construit des kwassas géants qui vont nous conduire à Marseille ! » Ébranlés, les Mahorais n’auront plus qu’à se lamenter du sort de leurs cousins : « Ô Lampedusa, ô désespoir ! » ■
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