RD CONGO
Le dilemme de Moïse Katumbi
DOSSIER CÔTE D’IVOIRE ASSURANCES Pascal Affi N’Guessan : « Je tends la main au PDCI » Spécial 6 pages
NOUVELLE FORMULE
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 2979 DU 11 AU 17 FÉVRIER 2018
Avec Alger, Rabat ou Tunis, le nouveau président français veut tout changer. De quelle manière ? Comment est-il perçu par les populations et par leurs dirigeants ? Enquête.
MAGHREB
La tornade
MACRON M 01936 - 2979 - F: 3,80 E
3’:HIKLTD=[UX]UW:?c@j@r@j@k";
ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT
.
. .
.
.
. . . . .
.
.
. . .
France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 €
.
.
.
. .
.
Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mauritanie 1 200 MRO Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 €
.
.
.
.
Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 6,50 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285
En février 2017, le réassureur Cica-Re a fait passer son capital à 50 milliards de F CFA pour absorber la croissance du marché.
LOUIS VINCENT POUR JA
Dossier Assurances
Des réassureurs plus forts Pour s’imposer face aux leaders mondiaux, les acteurs d’Afrique francophone doivent non seulement renforcer leurs fonds propres mais aussi mieux choisir leurs risques. RÉMY DARRAS
A
ujourd’hui, les fonds propres des assureurs africains sont si faibles que de grandes centrales électriques, des ports, des plateformes pétrolières ou des avions de compagnies locales ne pourraient pas être couverts sur le continent. Et si une catastrophe survenait dans les pays francophones, les réassureurs locaux (à qui les assureurs rétrocèdent une partie de leurs risques) n’auraient pas toujours les reins assez solides pour la supporter. Ils se mettraient alors en danger. Mais alors, comment couvrir des risques que l’on n’a pas les moyens d’indemniser? C’est tout le problème. « Les assureurs se réassurent d’autant plus qu’ils ont peu de moyens », fait valoir Denis Chemillier-Gendreau, président du cabinet de conseil Finactu. Jusqu’en avril 2016, ils s’adressaient en grande partie à des réassureurs établis hors du continent. Au sein des quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima), qui régule le secteur, on estimait en 2015 à 66 % le taux de cession à des réassureurs hors zone, et à 34 % le taux de rétention locale.
Mais, depuis cette date, les ministres des Assurances de la zone Cima ont pris les devants sous l’impulsion du Sénégalais Adama Ndiaye, président de la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (Fanaf) et lui-même réassureur. Nom de code de la réforme : article 308. Pour leur faire prendre du poids et leur permettre de capter un maximum de primes, plusieurs mesures ont été prises. Désormais, 100 % des petits risques (accident, maladie, automobile, assurance-vie) doivent être assurés localement. Auparavant, jusqu’à 75 % de ces risques pouvaient être réassurés à l’étranger. Par ailleurs, alors qu’il était possible de réassurer 75 % des risques de pointe (les plateformes pétrolières, par exemple) hors du continent, la limite est à présent de 50 %. Cependant, faute d’un réassureur assez fort pour les éponger sur le continent, les très gros risques (concernant les paquebots, les trains, les avions…) peuvent toujours être réassurés à l’extérieur.
Bénéfices évidents
Malgré cela, même s’il est encore trop tôt pour connaître les répercussions de la réforme sur les résultats des réassureurs francophones, les bénéfices à venir apparaissent évidents. D’après le rapport publié en juillet 2017
PREMIERS EFFETS POSITIFS POUR LE LEADER AFRICA RE Numéro un de la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima) avec 15 % de part de marché – avant la réforme –, le réassureur panafricain Africa Re, dont l’actionnariat est composé de 41 pays, d’institutions comme la BAD, d’Axa et de compagnies d’assurances locales, constate déjà les premiers effets positifs de l’article 308. « Nous souscrivons beaucoup plus de primes dans les branches qui étaient jusque-là en grande partie réassurées à l’étranger, notamment dans le transport maritime des matières premières telles que le café, le cacao, le riz ainsi que les produits manufacturés », explique à Abidjan Olivier Nguessan-Amon, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale d’Africa Re. On estime que l’entreprise pourrait augmenter son chiffre d’affaires de 10 % à 15 % par an. Bénéficiant d’un capital déjà solide de 300 millions de dollars (plus de 240 millions d’euros), Africa Re ne prévoit pas d’augmentation de ce dernier. R.D.
jeuneafrique no 2979 du 11 au 17 février 2018
57
Dossier Assurances
Presque deux ans après la mise en œuvre de la réforme, les réassureurs ont pris le train de la croissance. Sur les six ayant leur siège dans la zone, deux ont procédé à une augmentation de leur capital et sont prêts à accompagner le renforcement du secteur. En février 2017, le capital de Cica-Re, réassureur institutionnel basé à Lomé, passait ainsi de 20 à 50 milliards de F CFA quand celui d’Aveni-Re grimpait en 2016 de 10 à 16 milliards de F CFA. Et sa montée en puissance n’est pas terminée, puisque comme l’affirme à JA son PDG Seybatou Aw, « une troisième opération est déjà enclenchée pour le porter à 22 milliards de F CFA au premier semestre de 2018 ». Plus modestement, SCG-Re, propriété du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), annonçait en janvier son intention de doubler son capital de 5 à 10 milliards de F CFA d’ici à 2022. Le défi: « Convaincre les actionnaires qu’ils seront capables de rémunérer le capital supplémentaire », rappelle l’expert. Assistera-t-on à une consolidation du secteur ? « La réforme va accélérer le processus de destruction
58
jeuneafrique no 2979 du 11 au 17 février 2018
Africa Re et Cica-Re en tête des réassureurs locaux
2 % GLOBUS RE
14 % SCG-RE
39 %
7% NCA RE
AFRICA RE
10 % SEN RE 9% AVENI-RE
19 %
SOURCE : ESTIMATION FINACTU
Montée en puissance
“créatrice”. Les meilleurs vont mûrir, les plus faibles vont disparaître. Il faut être gros pour réussir, pour amortir les coûts fixes », estime-t-il. Autre mouvement notable ces derniers temps, l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux ou extérieurs à la zone qui ouvrent des filiales dans l’espace Cima voire des bureaux de représentation, moins lourds et moins coûteux à gérer dans un marché de petite taille. La réforme rend le secteur plus attrayant. Après avoir obtenu son agrément (sésame indispensable) pour la non-vie en novembre 2017, le britannique One Re, spécialisé dans les risques dans le secteur industriel,
CICA-RE En 2015 les réassureurs locaux détenaient 34 % du marché de la Cima, quand les groupes internationaux en contrôlaient 66 %
Un marché en forte hausse grâce à la réforme À présent 100 % des risques de masse et 50 % des risques de pointe doivent être réassurés localement dans la zone Cima Sur les risques de masse*, les primes perçues par les réassureurs locaux devraient passer de 33
93
à
milliards de F CFA
*automobile, maladie… Sur les risques de pointe*, elles 53 devraient passer de *plateformes pétrolières…
à
75
milliards de F CFA
SOURCE : ESTIMATION FINACTU
par Finactu, la réforme du code Cima leur rapporterait 68 milliards de F CFA (103,7 millions d’euros) de cessions supplémentaires. « Soit deux fois le chiffre d’affaires de Cica-Re, quatre fois celui d’Aveni-Re ou cinq fois celui de la Société commerciale gabonaise de réassurance (SCG-Re). S’il était réparti uniquement entre les six réassureurs siégeant dans l’espace Cima, ce montant impliquerait une hausse de 65 % de leur chiffre d’affaires total. Ces 68 milliards représentent plus de 100 % de celui que réalisent ces réassureurs uniquement dans ledit espace », détaille le cabinet. Un train de mesures que certains experts décrivent comme un coup de pouce protectionniste donné par les États. « Il était nécessaire de limiter la fuite des capitaux de la réassurance alors que la balance des paiements de la Cima n’est pas bonne », affirme Denis ChemillierGendreau. Il s’agit aussi de financer les économies locales.
dans celui de l’immobilier commercial et dans les projets de génie civil majeurs, s’est implanté à Libreville. Disposant déjà d’un bureau de représentation à Abidjan, la Société centrale de réassurance (SCR), filiale de la Caisse de dépôt et de gestion marocaine, a obtenu le sien en janvier 2018. Objectif: accompagner les entreprises du royaume dans la zone. De son côté, Kenya-Re entend ouvrir une filiale en Côte d’Ivoire. Jusqu’ici présent de manière anecdotique au sud du Sahara et ne disposant que d’une filiale en Afrique du Sud, l’allemand Hannover Re, troisième réassureur mondial, a ouvert un bureau en décembre à Abidjan pour couvrir les risques liés à la vie et à la santé « qui ne sont pas cessibles à des réassureurs non implantés dans la zone Cima », explique Marthe Ekani Combet, directrice du bureau d’Abidjan. Si ses activités sont actuellement en phase de démarrage, l’objectif de Hannover Re est « d’être présent auprès d’assureurs locaux. Le soutien apporté aux compagnies stimulera l’activité vie », selon la responsable. Mais alors que les réassureurs étrangers qui s’installent disposent déjà de systèmes d’information performants et des outils de mesure des risques, les acteurs locaux doivent s’adapter à ces standards internationaux, faire preuve de plus de technicité pour mieux connaître et identifier les clients. « Il leur faut apprendre à sélectionner les risques. Les réassureurs africains prennent souvent le tout-venant, cherchant seulement à acquérir des parts de marché. Ils doivent intégrer que tous les risques ne se valent pas, que tout le monde n’a pas la même probabilité d’avoir un accident », commente Denis ChemillierGendreau. Ce qui implique aussi, rappelle Seybatou Aw, de disposer de ressources humaines hautement qualifiées – lesquelles font défaut. Histoire de prendre de l’ampleur pour un secteur qui ne représente en comparaison que 1,2 % et 1,4 % du chiffre d’affaires de Munich Re et de Swiss Re, les deux premiers réassureurs mondiaux, sur un continent où les risques ne cessent de s’accroître.
Dossier Assurances
INTERVIEW
Nadia Fettah
N’est-il pas plus difficile de gérer plusieurs petits marchés à la fois?
Chacun de nos marchés peut être en effet considéré comme petit. Aucune de nos filiales n’a les moyens de se payer les expertises et les infrastructures dont elle a besoin. Et nous n’avons pas toutes les compétences nécessaires. Le manque de formations spécialisées dans les métiers de l’assurance nous préoccupe. Cependant, le continent offre un potentiel important qui nous permet de croire en la possibilité de créer un grand groupe panafricain. Pour pouvoir construire un ensemble fort, nous devons consolider notre réseau. Nous ne savons pas encore avec combien d’implantations. Nous regrettons vivement de ne pas être plus présents en Afrique du Nord. L’occasion ne s’est toujours pas présentée, mais nous restons attentifs.
Directrice générale de Saham Assurance
« Nous n’avons pas les moyens de mener la guerre des prix » La dirigeante de l’assureur marocain expose sa stratégie de fidélisation des clients pour résister à la concurrence. Propos recueillis à Casablanca par EL MEHDI BERRADA
résent dans 26 pays à travers le continent, le marocain Saham Assurance – chiffre d’affaires de 4,39 milliards de dirhams (410 millions d’euros) en 2016 – a connu une évolution importante ces dernières années. Mais avec 34 compagnies dans son giron, son expansion a été jugée trop rapide par certains. Un an après sa nomination à la tête du conseil d’administration de l’assureur, Nadia Fettah reconnaît que la gestion de plusieurs marchés n’est pas si simple, car le secteur souffre du faible pouvoir d’achat des clients et du manque de ressources humaines hautement qualifiées. Le groupe a aussi dû faire face à la crise dans des pays producteurs de pétrole (Angola, Ghana, Gabon, Nigeria…).
P
JEUNE AFRIQUE : Dans un marché subsaharienconcurrentiel,quelssont vos relais de croissance? NADIA FETTAH : Notre groupe est
tourné vers le service à la personne. Nous voulons donc développer tout ce qui est vente au détail, notamment dans les secteurs de l’automobile, de la santé et de la vie. Dans un marché aussi concurrentiel, le plus important, c’est de garder le client. Cela coûte
HOC POUR JA
En juillet 2017, vous entriez au capital de Sunu (en en prenant 21 %) sans l’aval préalable de ses actionnaires. Ne pensez-vous pas que cela a entaché votre image au sud du Sahara?
tellement cher de gagner un client que nous devons tout faire pour le garder. D’autant que pour mener une guerre des prix, il faut mobiliser beaucoup de moyens, et ce n’est pas dans notre stratégie. Des assureurs ont importé, dans le passé, une industrie sous sa forme la plus vieillissante dans un continent très jeune. Or le client africain n’a pas les mêmes besoins que le client européen. Le consommateur doit être convaincu de l’utilité de l’assurance, sinon il n’ira pas en souscrire une. Il est vrai aussi qu’il y a eu beaucoup d’arnaques à l’assurance, et le faible pouvoir d’achat constitue un frein.
Pas du tout. Nous sommes des compétiteurs et nous aimons gagner. Mais nous avons aussi une éthique des affaires. Notre investissement dans Sunu est strictement financier. Des porteurs d’actions voulaient nous vendre leurs participations dans cette compagnie. Convaincus de la rentabilité de cet investissement, nous avons effectué ces acquisitions. Notre portefeuille comprend des participations dans d’autres compagnies d’assurances. Je ne pense pas que nous ayons dérangé Sunu dans ses affaires. Mais si un jour cette compagnie était à vendre nous pourrions réfléchir au fait d’aller plus loin. De toute façon, si nous continuons d’exister, c’est bien qu’il y a eu des opportunités sur le marché.
Dossier Assurances
MARCHÉS
Le Lloyd’s à l’offensive pour capter les gros risques en Afrique de l’Ouest L’opérateur a obtenu son agrément au Maroc en septembre 2017.
JASON ALDEN/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
Alors que les pays francophones constituent une part croissante de ses activités, l’institution s’installe à Casablanca. PIERRE-OLIVIER ROUAUD
’est un bout d’histoire de la City qui va s’exporter en Afrique. Institution londonienne remontant à 1688, le Lloyd’s va notamment lancer une offensive dans la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima). En septembre 2017, il a annoncé la mise sur pied d’un bureau à Casablanca. L’opérateur y a obtenu le statut de Casablanca Finance City (CFC). Celui-ci comprend – pour les opérations réalisées hors Maroc – un cadre fiscal attractif, des facilités de visa pour les expatriés et, surtout, le libre rapatriement des capitaux et devises pour les entreprises financières, les holdings ou les sièges. Avant d’opter pour la capitale économique du royaume, le groupe s’est assuré qu’il pourrait transférer ses primes vers Londres, selon nos informations. Vieux routier du secteur, le Marocain Salah El-Kadiri va piloter cette implantation avec une vision continentale. Sa mission : promouvoir le Lloyd’s en Afrique francophone. Le CFC permettant en particulier de déléguer la couverture de risques à des intermédiaires établis au Maroc. Vincent Vandendael, directeur commercial du Lloyd’s, entend « renforcer les relations d’affaires avec les marchés d’assurances »
C
62
jeuneafrique no 2979 du 11 au 17 février 2018
en Afrique. Place de marché réservée à ses membres, le Lloyd’s est une entité à part. Plusieurs types d’opérateurs s’y activent : des personnes fortunées ou des entreprises d’assurances. Tous sont réunis en syndicates, où ils assurent des risques conjointement. À cela s’ajoutent des courtiers et des mandataires (coverholders).
Cap sur la Cima
DR
DR
Le gros de l’activité africaine du Lloyd’s s’effectue dans la nation Arc-en-Ciel, où il bénéficie d’une licence. Il y génère environ 200 millions d’euros de primes par an dans les transports, la responsabilité ou l’immobilier. Et ailleurs ? Ces dernières années, selon la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaine, le Lloyd’s a récolté en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest de 110 à 200 millions d’euros de primes annuelles, pour moitié au Nigeria. Le reste ayant été réalisé dans une dizaine de pays dont l’Algérie, le Ghana, le Maroc ou la
Côte d’Ivoire. L’essentiel est concentré dans les secteurs énergétique, maritime, aérien et autres domaines pour des clients ou des projets internationaux. Au Maroc, GCube, l’un des mandataires du Lloyd’s, a ainsi couvert une part du projet de centrale solaire Noor à Ouarzazate. En dépit des limitations de la Cima, certains de ses membres s’intéressent de plus en plus à la zone, tout comme au continent. Avant d’être nommé délégué du Lloyd’s à Casablanca, Salah El-Kadiri y représentait Lockton. Courtier privé le plus important du monde, Lockton avait obtenu le statut CFC en avril 2016, avec l’Afrique subsaharienne en vue. Autre membre du Lloyd’s: Chaucer, filiale de l’américain Hanover, s’est associé en 2016 à Axa pour lancer Axa Africa Specialty Risks (ASR), basée à Maurice et qui compte des bureaux au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Maroc et en Afrique du Sud. L’offre d’Axa ASR couvre les risques politiques, le terrorisme, l’énergie, les infrastructures, l’aérien, le maritime et la responsabilité. Son patron, Mikir Shah, veut étoffer ses équipes africaines « dans un proche avenir ».