BUSINESS
DOSSIER AGRICULTURE
à Abidjan
Dans les coulisses du
Spécial 8 pages
CÔTE D’IVOIRE Simone Gbagbo : y a-t-il une vie après la prison ?
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 2986 DU 1ER AU 7 AVRIL 2018
MAROC
Les amis du roi Une pléiade de célébrités étrangères, vedettes de la politique, de la culture, du sport ou du showbiz, entretiennent des relations privilégiées avec Mohammed VI. Enquête sur un réseau éclectique… et parfois surprenant.
ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT
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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 €
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Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mauritanie 1 200 MRO Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 €
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Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 6,50 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285
Dossier Agriculture SUCRE
Coupeurs de canne dans une exploitation de la Compagnie sucrière sénégalaise.
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA
Les producteurs
face à la crise Malgré d’excellents rendements en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, la production de canne souffre d’un marché mondial toujours plus baissier. Les acteurs de la filière cherchent une porte de sortie.
C
«
’est une culture qui pourrait être plus développée au Togo. D’ailleurs, l’État a identifié des zones spécifiques pour la production de canne à sucre et des dispositions fiscales ont été prises pour inciter les investisseurs à venir s’y établir. Malheureusement, cela n’a pas encore eu l’effet escompté. Depuis des opérateurs chinois il y a trente ans, personne n’est venu. » Quand on lui parle de cette plante aux allures de bambou produite dans plus de 110 pays dans le monde, Ayéfoumi Salif Olou-Adara, secrétaire général de la Coordination togolaise des organisations paysannes et de producteurs agricoles (CTOP), n’est pas le plus enthousiaste. Il faut dire que son pays produit à peine une centaine de milliers de tonnes de canne à sucre par an. Une quantité tellement dérisoire qu’elle n’apparaît même pas dans les statistiques de la FAO. « À l’échelle d’un pays, observe Peter De Klerk, économiste en chef à l’Organisation internationale du sucre (ISO), augmenter la production est un
processus assez lent qui nécessite des investissements significatifs dans les plantations comme dans les usines. Sachant que l’un ne va pas sans l’autre puisque la canne à sucre doit forcément être transformée immédiatement, au moins jusqu’au stade de jus concentré ou de sucre brut. » D’après la FAO, sur les dix dernières années, la production de canne à sucre en Afrique de l’Ouest a stagné juste en dessous des 6 millions de tonnes par an, alors qu’elle avait augmenté de 50 % entre 1995 et 2007 – de 4 à 6 millions de tonnes. Preuve que les investissements nécessaires ne sont pas venus.
Gains de productivité
Une atonie à laquelle certains promettent de remédier. L’été dernier, le milliardaire Aliko Dangote signait un protocole d’accord avec l’État de Niger (Nigeria) pour la réalisation d’un complexe de 16000 hectares destiné à produire 160 000 tonnes de sucre brut par an – selon la qualité du processus industriel et la variété de la plante, une tonne de canne à sucre peut donner entre 80 et 150 kg de sucre brut. Un projet dont le coût est estimé à plus de 450 millions de dollars et qui
+4 %
C’est l’augmentation annuelle de la production de sucre que connaîtra d’ici à 2025 le continent, selon les Perspectives agricoles publiées en 2015 par la FAO et l’OCDE.
La chute du cours du sucre roux à la Bourse de New York (en dollars par tonne)
900 800 700 600 500 SOURCE : LES ÉCHOS
JULIEN WAGNER
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ALEXANDRE VILGRAIN
Après avoir succédé en 1995 à son père Jean-Louis Vilgrain, Alexandre, 62 ans, dirige l’entreprise leader du sucre en Afrique centrale. Appartenant à 80 % au groupe français Castel, la Somdiaa et ses onze filiales africaines ont réalisé un chiffre d’affaires proche de 490 millions d’euros en 2016. L’entreprise emploie directement ou indirectement à travers ses sous-traitants 18 992 personnes dans la filière sucre, dont 9 963 planteurs. Sa production de canne s’est établie à 3 612 000 tonnes en 2015.
s’inscrit dans la volonté affichée par Abuja, depuis 2012, de devenir autosuffisant en sucre. Toutefois, en 2017, le Nigeria n’a produit localement que 50 000 des 1,6 million de tonnes consommées dans le pays. Le reste a été importé sous forme de sucre brut et transformé en blanc sur place à travers trois mégaraffineries. En Côte d’Ivoire, le ratio est bien meilleur. La terre d’Éburnie produit près des deux tiers des 300 000 tonnes de sucre qu’elle consomme annuellement. Début février, le Français Alexandre Vilgrain, PDG du groupe Somdiaa, plus gros producteur de canne à sucre en Afrique centrale, a annoncé son intention d’investir 84 milliards de F CFA (128 millions d’euros) en Côte d’Ivoire via sa filiale Sucaf. Le temps dira si l’une ou l’autre de ces annonces se transformera en plantations sur le terrain.
Fin des quotas dans l’UE
Lors de son passage à Abidjan, Alexandre Vilgrain a affirmé que son groupe « croyait à la filière sucrière en Côte d’Ivoire et croyait à la productivité et à la compétitivité du sucre ivoirien. » Contrairement à d’autres filières agricoles sur le continent, la production de cette denrée connaît en effet des rendements a priori compétitifs. Selon François-Régis Goebel, chargé de mission filière canne à sucre au Centre français
LA RECETTE GAGNANTE DE CEVITAL ET DANGOTE Depuis une quinzaine d’années, le continent a réussi à se faire une place dans le raffinage, notamment à travers des conglomérats comme Cevital en Algérie et Dangote Group au Nigeria. Ces deux pays importent du sucre brut pour le transformer en sucre blanc, tout en appliquant des droits
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de douane pour ce dernier. Ce commerce rémunérateur génère un bénéfice communément appelé la « prime de blanc » par les traders. Le système fonctionne si bien que l’Algérie a déjà commencé à réexporter son sucre blanc en Afrique subsaharienne. De son côté, la Tunisie vient d’intégrer le Comesa avec
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l’intention de faire de même. Quant au Maroc, il pourrait bien suivre un chemin similaire en intégrant la Cedeao, même si, contrairement aux exemples précédents, le royaume chérifien est aussi producteur (betterave sucrière) à travers la Cosumar, leader du secteur. J.W.
de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), « en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les rendements dans les plantations irriguées des gros agro-industriels dépassent les 100 tonnes à l’hectare. Soit des performances comparables aux plus gros producteurs mondiaux comme le Brésil et l’Inde. » Pas suffisant cependant pour rendre les acteurs du secteur optimistes. « Malheureusement, regrette Alexandre Vilgrain, les prix mondiaux actuels sont si faibles qu’ils ne sont même pas en phase avec le prix de revient. » Depuis fin septembre 2016, le prix du sucre a dégringolé de 45 % à la Bourse de New York, dont 15 % depuis le début de l’année. De fait, les échanges internationaux ne concernent qu’un gros quart de la production mondiale, la plus grande partie étant consommée localement. Le marché international du sucre est donc un marché de surplus sur lequel les exportateurs écoulent leur marchandise à prix cassés. Cette concurrence extérieure tend à annihiler toute velléité de développement de la filière. Pour ne rien arranger, la suppression des quotas dans l’Union européenne, le 30 septembre 2017, a renforcé cet emballement baissier. « Un changement majeur est en cours, avertit ainsi Peter De Klerk. Au dernier trimestre 2017, on a déjà pu constater une augmentation de 20 % de la production dans l’Union européenne. Dans le même temps, les exportations vers la Mauritanie et le Cameroun ont fortement augmenté. Cette année, l’Europe va passer d’importateur net à exportateur net, avec comme débouché naturel les régions les plus proches, au premier rang desquelles l’Afrique. Ces nouveaux flux vont venir chambouler l’environnement concurrentiel de nombreuses régions du continent. »
Freins à l’investissement
Interrogé début mars, Alexandre Vilgrain se disait préoccupé. « La période actuelle est très compliquée. Nos résultats sont en baisse. Au
COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERT
Tchad, le sucre rentre de toutes parts. Au Cameroun, certains importateurs fraudent l’État et contournent ses bar rières douanières en prétendant qu’ils destinent le sucre à l’industrie agro alimentaire alors qu’en vérité il est vendu tel quel. Après cela, comment voulez-vous investir ? Nous avons depuis longtemps des projets sucriers au Tchad et au Cameroun mais, dans ces conditions, c’est impossible. » Inlassablement, l’acteur historique en appelle à davantage de protec tionnisme pour sauver la filière et préserver les emplois locaux. « Il faut prendre exemple sur un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a su défendre ses frontières. Ou encore le Congo et le Gabon qui ont totalement interdit les importations de sucre. Là-bas, nous sommes très bien protégés. » Pour les pays producteurs de canne ou ceux qui souhaitent le devenir, la marge de manœuvre semble donc ténue. Lors de la 22e rencontre de l’As sociation française de la canne à sucre (Afcas), qui s’est tenue en décembre à Paris, Olivier Crassard, analyste chez le négociant de matières premières Sucres et denrées (Sucden), esquis sait ce à quoi pourrait ressembler un chemin étroit mais gagnant: « L’idéal pour les producteurs ouest-africains serait de poursuivre leur effort de pro duction mais pas trop, afin de rester légèrement déficitaire et de béné ficier des primes de marché en tant qu’importateurs saisonniers. C’est ainsi que leurs efforts seront le mieux rémunérés. »
Mathieu BERRURIER, Président du Groupe Eyssautier Président du syndicat des courtiers d’Assurances Maritimes et Transport de France
Maitrisez les risques de transport de vos marchandises L’analyse de vos risques : Producteur, importateur, exportateur, réceptionnaire ou trader de matières premières agricoles, chaque opération de transport, chaque rupture de charge fait peser des risques lourds sur vos marchandises. Bien connaitre ces risques, savoir les analyser en fonction des marchandises, de leurs origines et de leurs destinations est le meilleur moyen d’éviter des sinistres graves et couteux pendant le transport. Le placement auprès des meilleurs assureurs : Bien connaitre et respecter les obligations d’assurances propres à chaque pays d’Afrique, rechercher les garanties optimales auprès d’assureurs locaux et internationaux, et bien entendu, négocier le meilleur prix…, telle est aussi la valeur ajoutée du courtier d’assurance spécialisé. Bâtir enfin un partenariat étroit entre les sociétés d’import-export locales, leurs assureurs et le courtier d’assurance est la clé d’un programme d’assurance bien construit.
Un courtier d’assurances spécialisé : quel rôle et quels atouts pour développer le commerce sur le continent Africain ?
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Le fils du fondateur Jacques I Mimran a marqué, il y a plus OL d’un an, son intention de vendre la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS). Lors de la campagne 2016-2017, la CSS a récolté 1 185 000 tonnes de canne pour 126 000 tonnes de sucre produit. Ce total a généré en chiffre d’affaires de 98 milliards de F CFA.
LA R D
JEAN-CLAUDE MIMRAN
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Dossier Agriculture
INTERVIEW
Eklavya Chandra
Directeur général de Phoenix Global DMCC chargé de la division riz
« Le riz est notre porte d’entrée vers les consommateurs africains » Acteur majeur du négoce de produits agricoles, le groupe réalise un tiers de ses revenus sur le continent. Il entend désormais se développer au-delà de l’import-export.
vec des revenus de 2 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) en 2017, l’entreprise installée à Dubaï a doublé ses performances par rapport à 2015. En s’appuyant sur ses importants réseaux de distribution de riz sur le continent, elle projette de se diversifier dans de nouvelles filières, explique son directeur général.
A
Jeune Afrique: Pourquoi avoir choisi initialement de cibler l’Afrique?
EklavyaChandra: Établis au départ à Bangkok, nous étions bien placés: 90 % du riz vendu sur les marchés internationaux provient d’Asie, et notamment de Thaïlande, l’un des plus gros producteurs mondiaux pour l’exportation. Quant à l’Afrique, la demande y était forte et était parfois laissée de côté par la concurrence. Le Kenya a été notre premier marché africain, puis nous nous sommes diversifiés géographiquement, tant sur l’origine du riz que sur sa destination. Nous approvisionnons nos clients avec du riz non plus seulement thaïlandais mais aussi vietnamien, indien, pakistanais et même aujourd’hui chinois. Et nos principaux marchés se sont progressivement étendus à l’est. Nous sommes bien implantés au Kenya, bien sûr, mais aussi à Madagascar, en Afrique du Sud et au Mozambique, où nous
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venons de nous lancer. À l’ouest, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana, le Togo et le Sénégal constituent des marchés importants pour nous. Vous vous êtes ensuite attaqués à d’autres filières que le riz…
En déménageant notre siège à Dubaï début 2015, nous avons pu élargir nos zones d’action sur l’axe Asie-Afrique. Désormais, nous commercialisons aussi des denrées agricoles originaires d’autres régions que
l’Asie, en particulier du sucre brésilien, du soja sud-américain, des céréales et des haricots d’ex-URSS – du « grenier à grains » constitué par l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan –, mais aussi des semences agricoles. Certains produits tels que le sucre sont distribués via les mêmes réseaux que ceux constitués pour le riz, notamment en Afrique, ce qui nous a permis un gain logistique et commercial majeur. Mais que pèse l’Afrique après cette diversification géographique et commerciale tous azimuts?
Le continent, qui représentait l’essentiel de notre activité à notre démarrage, reste toujours important : environ un tiers de notre chiffre d’affaires est aujourd’hui africain, quasi exclusivement au sud du Sahara. Notre marque de riz Happy Family y touche près de 200 millions de consommateurs. DespaystelsqueMadagascarou la Guinée, terresde riz par excellence,n’ont-ilspaslesmoyensde relancer leur production et de subvenir au moins aux besoins locaux?
Sur un effectif de 2500 salariés, Phoenix Global emploie environ 300 personnes en Afrique.
PHOENIX GLOBAL DMCC
Propos recueillis à Dubaï par CHRISTOPHE LE BEC
La production africaine progresse mais reste insuffisante car, dans le même temps, la consommation du continent croît encore plus rapidement, ce qui fait que l’écart à combler augmente chaque année. Entre 10 et 15 millions de tonnes de riz sont produites sur le continent chaque année, mais la
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Dossier Agriculture INTERVIEW
consommation y a été de 26 millions de tonnes en 2017 du fait de la croissance importante de la population. Le déficit en riz atteint donc 12 à 14 millions de tonnes chaque année, ce qui représente une facture de 5 milliards de dollars aux prix actuels. C’est considérable! C’est pourquoi, au-delà de nos filières d’import-export, nous essayons d’appliquer en Afrique ce que nous avons réussi en ex-URSS ou en Inde, à savoir conduire des projets agricoles d’envergure. Toutefois, à la différence de ce que nous faisons au Kazakhstan ou en Ukraine, la totalité de notre production locale africaine restera dans le pays d’origine pour combler le déficit. Au Mozambique par exemple, un pays qui exportait jadis sa production de riz, nous venons de signer avec le gouvernement la reprise d’anciennes plantations rizicoles qui ont été laissées en friche pendant plus de vingt ans en raison de la guerre civile.
L’ASIE, TREMPLIN VERS L’AFRIQUE
Phoenix Global DMCC a été fondé en 2000 à Bangkok par un groupe de cadres indiens déjà actifs dans le négoce de produits alimentaires mais désireux de voler de leurs propres ailes. Avant de rejoindre Phoenix en 2002, Eklavya Chandra a travaillé chez Olam, naviguant entre son siège à Singapour et le continent africain pendant près de quatre ans, en Ouganda puis au Gabon. Quelssontlesautresprojetsmenéssur le continent par Phoenix Global?
Nous préparons aussi un projet rizicole en Ouganda et un autre de maraîchage au Bénin. Nous regardons d’autres opportunités en Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal et au Ghana, et
d’abord dans la filière riz, dans laquelle nous souhaitons aller le plus loin possibleen matière d’intégrationverticale. Le riz est le premier produit agricole consommé en Afrique, c’est donc une excellente porte d’entrée dans les cuisines africaines pour y distribuer d’autres produits. Nous regardons aussi les projets agricoles où les pays producteurs peuvent être compétitifs, comme dans les cultures d’avocat, de noix de macadamia, de noix de cajou, de coriandre et d’ail. Dans d’autres filières, notamment celle du sucre, nous ne souhaitons pas devenir des producteurs car les coûts de transformation sont trop importants: construire une sucrerie nécessite a minima un investissement de 100 millions de dollars. En revanche, nous sommes en pole position pour distribuer du sucre sur le continent, car nous sommes déjà bien introduits dans les réseaux de commercialisation avec notre riz.
COMMUNIQUÉ
1. Séverine LAURATET,
AVIS D’EXPERTS
Avocat Directeur Associé FIDAL Département Afrique
2. Olivier KIET,
Avocat Directeur Associé FIDAL Département Prix de Transfert 1
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Se préparer aux nouvelles règles de fiscalité internationale qui vont impacter l’industrie agroalimentaire en Afrique francophone. Les législations africaines évoluent
Lors de l’adoption des recommandations du projet de lutte contre l’érosion de la base imposable et du transfert de bénéfices (« BEPS »), le G20 a invité l’OCDE à définir un cadre inclusif impliquant tous les pays, y compris les pays en développement. À ce jour, 20 états africains y ont adhéré. Même si ces derniers n’ont pas attendu le cadre inclusif, l’expansion des législations en Afrique pour lutter contre le phénomène BEPS est particulièrement notable et impactent considérablement le monde de l’industrie L’expansion des agroalimentaire. législations en
Afrique pour lutter contre le phénomène BEPS (...) impactent considérablement le monde de l’industrie agroalimentaire.
Dans cette industrie, les états africains abritent généralement les sites de production et de première transformation agricole tandis que la transformation finale et les sociétés de « trading », maillon essentiel dans la chaine de valeur, sont localisées hors Afrique afin d’être notamment plus proche du marché.
Les législations africaines tendent maintenant à limiter la déductibilité des paiements effectués par les entités africaines au bénéfice de sociétés de « trading » ou à les imposer plus lourdement par voie de retenue à la source lorsque ces dernières sont situées dans des Etats dits à fiscalité privilégiée ou non coopératifs et ce sans prévoir de clause de sauvegarde permettant aux groupes de démontrer l’effectivité de l’activité exercée par la société de trading.
le rôle majeur de la société de trading
Outre l’effectivité de l’activité, le rôle majeur de la société de trading est aussi minimisé voire même dénié, par les administrations fiscales africaines, dans la manière d’appréhender les prix de transfert (flux intragroupes
transfrontaliers au sein d’une même multinationale) entre l’entité locale et la société de trading, en prenant souvent le séduisant raccourci de se référer aux prix des cours observés sur les marchés internationaux pour déterminer le prix à appliquer entre ces deux filiales. Or, il est fondamental de prendre toute la mesure de l’ensemble des fonctions exercées, risques assumés et actifs corporels et incorporels utilisés par la société de trading, véritable pivot du groupe. Utiliser les cours des marchés comme prix de transfert, tend à réduire son rôle à néant. Schématiquement, la société de trading se situe au carrefour du marché physique (rôle d’acheteur et de vendeur) et du marché financier à terme du fait des positions de couverture à prendre pour couvrir les aléas de fluctuation des cours. En ce sens, une composante essentielle de son rôle complexe vise à effectuer des arbitrages sur les marchés qui nécessitent un degré de planification et de budgétisation poussé pour maîtriser au mieux les risques sur les prix et les quantités. Ainsi, il est indispensable d’attribuer à cette entité une rémunération en adéquation avec son rôle stratégique et prépondérant dans la chaine de valeur. Dans ce nouveau contexte fiscal en Afrique, les groupes doivent être à même de démontrer la substance, l’effectivité de l’activité et l’importance du rôle de chaque entité du groupe, tout particulièrement celui de la société de trading.
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Dossier Agriculture
FRUITS ROUGES Exploitation de fraises dans la région du Gharb-Loukkos.
marché en fin de saison. Des règles qui ne semblent pas trop contrarier les agriculteurs marocains: « La consommation de fruits rouges augmente de manière constante dans le monde. Nous n’arrivons pas à couvrir tous les besoins », assure Abdeslam Acharki.
DR
Marchés asiatiques
Le Maroc suscite l’appétit des grands producteurs mondiaux Grâce à l’implantation d’unités de conditionnement, le royaume est en passe de devenir l’un des principaux pourvoyeurs du marché européen. EL MEHDI BERRADA, à Casablanca
e Maroc n’est certainement pas réputé pour être une terre de fruits rouges. Actuellement, ses variétés de fraises, myrtilles, framboises et mûres s’étendent sur 7 100 hectares, répartis entre le Loukkos et le Gharb (au nord-ouest) et le Souss-Massa (au sud-est). Avec une production de 169 000 tonnes lors de la campagne 2016-2017, la filière a pourtant généré un chiffre d’affaires à l’export de 3,4 milliards de dirhams (299 millions d’euros), contre 2,3 milliards de dirhams en 2015-2016. Des montants en forte progression depuis quelques années, stimulés par l’arrivée de plusieurs multinationales, à l’image du géant californien Driscoll’s, premier producteur mondial de fraises, de l’espagnol Roy Agri, du néerlandais Messem ou encore du belge Dirafrost. Ces groupes sont « attirés par la forte rentabilité des fruits rouges, mais aussi par leur besoin de sécuriser un
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approvisionnement pour le marché européen tout au long de l’année », explique Abdeslam Acharki, directeur exécutif de la toute nouvelle Fédération interprofessionnelle marocaine des fruits rouges. Ces fruits sont produits de novembre à juin dans le royaume. « Une importante fenêtre est à saisir de décembre à mai car la production européenne est basse durant cette période », estime le directeur de la Fédération. Plus de 60 % de la production du Maroc, soit plus de 100 000 tonnes, est exportée chaque année, à 90 % vers l’Europe. Les 23 unités de conditionnement du pays, à l’instar de celle installée par Driscoll’s à proximité de la ville de Larache, ont noué des partenariats avec des agriculteurs. Ces derniers signent des contrats avec les exportateurs, qui leur fournissent en retour des plants et leur imposent parfois une pondération entre les variétés. Les conditionneurs s’engagent aussi à acheter la production. Les prix sont négociés selon les conditions du
Les acteurs de la filière ne paraissent pas non plus trop s’inquiéter des barrières douanières imposées chaque année, à partir du mois d’avril, par l’Union européenne. Les productions de fruits rouges des pays européens commencent en effet à arriver sur le marché à cette date. Pour échapper à ces droits de douane, les unités de conditionnement marocaines exportent une partie de la production annuelle en surgelé. Pour la fraise, par exemple, sur les 72 707 tonnes exportées l’année dernière, seules 28 % l’étaient à l’état frais. Cette contrainte ne s’applique pas aux autres variétés de fruits rouges comme la myrtille, qui pèse 40 % des revenus à l’export, ou la framboise, dont la proportion représente 23 %, selon la fédération. Mais le Maroc ne cible pas que les consommateurs du Vieux Continent. Le pays espère désormais convaincre les marchés asiatiques de la douceur de ses fruits rouges pour y exporter une partie de sa production.
DE GRANDES AMBITIONS
Dans le cadre du Plan Maroc vert, l’État a signé un contrat-programme avec les professionnels du secteur pour la période 20142020. Celui-ci vise à augmenter la superficie cultivée, et donc la production. Pour la fraise, il est prévu 5000 hectares de terre pour une récolte, à terme, de plus de 200000 tonnes. La framboise, qui sera cultivée sur 3000 hectares, donnera lieu à une production de 30000 tonnes, soit 500 de moins que ce qui est prévu pour la myrtille.
Dossier Agriculture
CAFÉ LE BAROMÈTRE DE…
Edward George Directeur de la recherche d’Ecobank
ECOBANK
« Il faut miser sur la particularité de certaines fèves africaines »
Marginalisés ces dernières années, les cafés du continent doivent capitaliser sur les marchés de niche où ils sont solidements implantés.
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La piste du robusta De moins bonne qualité et souvent utilisé pour le café en poudre, le robusta ivoirien possède En perte de vitesse (part de marché en %)
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Brésil
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Vietnam
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Pays africains
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Éthiopie
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Ouganda
3 800
Côte d’Ivoire Tanzanie
2 000 800
Kenya
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Cameroun
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RD Congo
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Rwanda
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Burundi
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Guinée
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Production de café par pays
(2017, en milliers de sacs)
SOURCE : ORGANISATION INTERNATIONALE DU CAFÉ
Croissance rapide des productions africaines Le continent progresse, mais moins vite que le marché mondial. Même si les chiffres de production et d’exportation peuvent être ponctuellement favorables, les pays africains ne sont pas en mesure de jouer la carte du volume. Je doute qu’ils puissent s’aligner sur les échelles atteintes et les coûts de production de leurs concurrents asiatiques et sud-américains. La seule option est de parier sur des flux commerciaux de niche ou sur la particularité de certaines fèves africaines. Par exemple : le Yirgacheffe, l’un des plus anciens cafés éthiopiens,
des débouchés sur le pourtour méditerranéen, au Maghreb et en Europe. Mais les filières africaines du café ont peu de marge de manœuvre au niveau des exportations. Elles doivent chercher des relais sur leur propre marché par le biais de la consommation nationale. En particulier en Afrique de l’Ouest, où le potentiel est important.
65 / 19 66 70 19 /71 75 19 /76 80 19 /81 85 19 /86 90 19 /91 95 20 /96 00 20 /01 05 20 /06 10 20 /11 15 /1 6
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elon l’Organisation internationale du café (OIC), les principaux producteurs africains connaissent une embellie avec des productions annuelles en nette hausse. De quoi enrayer des décennies de recul sur les marchés mondiaux. Plusieurs pays africains ont longtemps compté parmi les plus gros producteurs mondiaux de café. Ce n’est plus le cas (voir graphique ci-contre). Le Vietnam et le Brésil pour le robusta, la Colombie et le Brésil pour l’arabica sont devenus les producteurs prédominants de fèves pour le marché mondial.
s’exporte quasi intégralement vers l’Arabie saoudite. En Ouganda, l’autre producteur africain de grande échelle, le robusta a ses marchés d’exportation : le Soudan et l’Égypte sur le continent, ainsi que l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne en Europe.
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Propos recueillis par BENJAMIN POLLE
Privilégier le haut de gamme De nombreux autres pays africains affichent une production plus modeste d’arabica ou de robusta. Ces pays doivent privilégier le marché de spécialité [haut de gamme], sur lequel le Kenya et la Tanzanie peuvent atteindre des parts d’exportation très significatives. Une anecdote est éloquente : avec 500 000 sacs de robusta, la production annuelle camerounaise est marginale comparée aux quelque 29 millions de sacs vietnamiens. En visite dans un entrepôt de stockage de fèves du pays, je demande à qui elles seront vendues. On me répond “Nestlé”. Pourtant, il s’agissait de fèves de café, pas de cacao. Le fin mot de l’histoire est que la multinationale suisse se porte acquéreur de telles fèves pour la couleur rouge et la texture qu’elles donnent au chocolat. C’est ce genre de niche que les fèves africaines doivent rechercher.»