CÔTE D’IVOIRE ABIDJAN 3.0
SPÉCIAL 25 PAGES
NO 3106 – NOVEMBRE 2021
MÉMOIRES DE BBY Autoportrait à l’encre verte
GOLFE MBZ, MBS, Tamim : la (nouvelle) guerre des trois
INTERVIEW MOHAMED BAZOUM «Les dirigeants maliens ont tout intérêt à nous écouter »
Les hommes de l’ombre de l’État hébreu en Afrique
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RD CONGO Pour qui votent les religieux ?
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Dans Jeune Afrique et nulle part ailleurs
SOMMAIRE 03
L’édito Marwane Ben Yahmed
PREMIER PLAN 08 12 14 16
18 20 22
24 26 28
L’homme du mois Mohamed Mbougar Sarr Dix choses à savoir sur… Najla Bouden Le match Emmanuel Macron vs Abdelmadjid Tebboune Le jour où… Bozizé a offert un second mandat à Touadéra, par Anicet-Georges Dologuélé L’actu vue par… Cheikh Fall L’œil de Glez D’un vaccin l’autre Le dessous des cartes Chine-Afrique : 40 milliards de dette cachée
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Partis pris Alpha Condé, la grenade et le légionnaire, par François Soudan Dérapages contrôlés, par Joël Té-Léssia Assoko Pédocriminalité : le silence coupable du clergé africain, par Ludovic Lado
86 POLITIQUE LA GRANDE INTERVIEW 30
Mohamed Bazoum Chef de l’État nigérien
60 64 70
ENQUÊTE 44
Sécurité Israël connection
74 80
6
JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Mali Choguel Maïga, même pas peur RD Congo Dieu tout-puissant Côte d’Ivoire Guillaume Soro, l’impossible retour ? Un lieu, une histoire Nkandla, la terre où Zuma est roi Sénégal Le dernier combat des Wade
84
86 94 98
Tribune Sommet Afrique-France : Macron est-il allé trop loin ?, par Mehdi Ba Maroc Makhzen, mode d’emploi Tunisie Kaïs Saïed, francophone réfractaire Golfe MBS, MBZ, Tamim : la guerre des trois
114 OBJECTIF Afrique centrale
CULTURE
102 Des progrès à pas comptés
160 Mémoires de Béchir Ben Yahmed Autoportrait à l’encre verte 168 Littérature Abdulrazak Gurnah, Nobel sans frontières
INTERNATIONAL 114 Espagne-Afrique
ÉCONOMIE 126 FMI Les habits neufs du Fonds 134 Hydrocarbures La galaxie de Claudio Descalzi 136 Transport aérien Heureux comme Air France-KLM dans le ciel africain 138 Industrie Dessine-moi une ZES 141 Mozambique Qui peut sauver le Cabo Delgado? 144 Wave Mobile Money Aux sources d’une déferlante ouest-africaine
DOSSIER 146 Télécoms
PHOTOS COUVERTURE : ISRAEL CONNECTION : NAZARIO GRAZIANO/COLAGÈNE; MOHAMED BAZOUM : VINCENT FOURNIER POUR JA; MAROC : BRAVO-ANA/ONLY WORLD/ONLY FRANCE VIA AFP
Fondateur: Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par Jeune Afrique Media Group Siège social: 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel: redaction@jeuneafrique.com Directeur général: Amir Ben Yahmed Vice-présidents: Danielle Ben Yahmed, François Soudan Directeur de la publication: Marwane Ben Yahmed mby@jeuneafrique.com Directeur de la rédaction: François Soudan f.soudan@jeuneafrique.com La rédaction et l’équipe de Jeune Afrique sont à retrouver sur www.jeuneafrique.com/qui-sommes-nous/ Diffusion et abonnements Ventes: +33 (0)1 44 30 18 23 Abonnements: Service abonnements Jeune Afrique, 235 avenue le Jour se Lève 92100 Boulogne Billancourt Tél.: +33 (0)1 44 70 14 74 Courriel: abonnement-ja@jeuneafrique.com Communication et publicité DIFCOM (Agence internationale pour la diffusion de la communication) S.A. au capital de 1,3 million d’euros Régie publicitaire centrale de Jeune Afrique Media Group 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 08 23 +33 (0)1 44 30 19 86 Courriel: regie@jeuneafrique.com
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JEUNE AFRIQUE & VOUS 223 Le tour de la question 224 Ce jour-là… 226 Post-Scriptum
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Dossier Télécoms INFRASTRUCTURES
Les « towercos » à l’heure de la maturité Les opérateurs accélèrent l’externalisation de leurs équipements pour se concentrer sur leur cœur de métier : les services. Une aubaine pour IHS, Helios, American Tower et Gyro Group, qui ont enfin convaincu les marchés de la rentabilité de leurs activités sur le territoire africain.
KÉVIN POIREAULT
P
etite révolution dans le monde africain des télécoms. IHS Towers, premier gestionnaire de tours de télécoms (« towerco ») en Afrique, a lancé, depuis son siège nigérian, son introduction à la Bourse de New York le 4 octobre 2021. Avec des objectifs clairs : lever autour de 380 millions de dollars en produit net et atteindre une valorisation de plus de 7 milliards de dollars, dette comprise. Cela en ferait la plus grosse cotation jamais enregistrée pour une société africaine. L’entrée en Bourse d’IHS survient moins de deux ans après celle de son concurrent Helios Towers, coté à la Bourse de Londres depuis octobre 2019. Les deux towercos avaient tenté leur chance une première fois en 2018, avant de renoncer, notamment à cause de l’instabilité des marchés africains sur lesquels ils opéraient. Aujourd’hui, ils ont diversifié leur portefeuille et jouissent d’une belle croissance. IHS possède près de 30 000 tours dans cinq pays d’Afrique (Nigeria,
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JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
Côte d’Ivoire, Cameroun, Zambie et Rwanda) ainsi qu’au Brésil, au Pérou, en Colombie, au Koweït, et cherche à s’installer en Arabie saoudite et en Égypte. Après une année difficile « à cause du Covid-19 », confie un représentant d’IHS à Jeune Afrique, le leader des towercos en Afrique a
Le chiffre d’affaires d’Airtel a grimpé de 19 % en 2020, celui de MTN de 10,9 % et celui de Vodacom de 7,4 %. enregistré une croissance de 21,2 % de son chiffre d’affaires au deuxième trimestre de 2021. Helios, troisième sur le continent, est propriétaire de plus de 8 000 tours en Tanzanie, en RDC, au Ghana, au Congo, en Afrique du Sud, au Sénégal, à Oman, et explore une expansion dans neuf nouveaux pays africains, notamment au Maroc,
en Égypte et à Madagascar. La société a enregistré une croissance de 4 % de son chiffre d’affaires lors du premier semestre de 2021.
Hausse du mobile money
« Le marché africain des télécoms apporte de grandes opportunités de croissance, avec une population importante et en hausse, une adoption des smartphones qui demeure basse mais qui croît à une vitesse record, notamment avec l’usage de services numériques comme le mobile money », indique Dion Bate, spécialiste des télécoms de la zone Afrique et Moyen-Orient chez Moody’s. Cette croissance est indiscutable chez les opérateurs africains : le chiffre d’affaires d’Airtel a grimpé de 19 % en 2020, celui de MTN de 10,9 % et celui de Vodacom de 7,4 %, selon Moody’s. Pourtant, ces bons résultats ne s’appuient plus sur les revenus liés à la voix (VoIP), mais bien à une plus grande pénétration d’internet sur le continent. Les opérateurs africains, encore détenteurs de près de 60 % des
VINCENT FOURNIER POUR JA
Après une année 2020 difficile, les gestionnaires de tours de télécoms (ici à Djibouti) repartent à l’offensive.
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DOSSIER TÉLÉCOMS tours de télécommunications du continent, préfèrent désormais se concentrer sur leur cœur de métier, les services numériques, et tendent à externaliser la gestion de ces infrastructures passives. Cette pratique est largement adoptée aux États-Unis, où 90 % des tours appartiennent à des towercos indépendants, selon le cabinet EY, mais aussi en Amérique latine (55 %) et
en Inde (52 %). « Elle a commencé à être adoptée en Afrique avec l’arrivée de l’indien Bharti Airtel sur le continent il y a dix ans », rappelle Thecla Mbongue, analyste pour le cabinet Omdia. En confiant la gestion des infrastructures de télécoms passives à des sociétés indépendantes, les opérateurs se délestent des coûts de maintenance. Le towerco, de son côté, loue l’accès à sa tour, non plus
au seul opérateur qui la lui a vendue, mais à plusieurs, mutualisant ces mêmes coûts. En théorie, tout le monde y gagne. « On pensait qu’Airtel allait externaliser toutes ses infrastructures », poursuit l’analyste. « Le manque de régulation dans certains pays et la peur de la concurrence » en ont décidé autrement pour la firme indienne, qui gère certaines de
Technologie Pourquoi MTN a opté pour l’OpenRAN L’opérateur sud-africain est l’un des premiers au monde à généraliser l’utilisation des nouvelles fréquences 4G et 5G. Un pari qui devrait lui permettre de faire des économies importantes et de rendre ses infrastructures plus évolutives.
L’
inclusion numérique passe par une volonté politique et par des choix technologiques. MTN l’a bien compris. Le 16 juin 2021, le premier opérateur mobile du continent a annoncé qu’il commencerait le déploiement de son « réseau ouvert d’accès radio » – OpenRAN, en anglais – dans toutes ses filiales africaines d’ici à la fin de 2021. C ette technologie e st un ensemble de spécifications techniques décidées par un organisme de coopération (l’O-RAN Alliance), qui rend interopérables les dispositifs matériels et les logiciels de technologie mobile commercialisés par les différents opérateurs de télécoms – tels Nokia, Ericsson, Samsung ou Huawei – pour une meilleure couverture 4G et 5G. Grâce à l’OpenRAN, au lieu de se fournir entièrement chez un seul équipementier, un opérateur peut acheter chaque élément d’un réseau d’accès radio (RAN) chez un fabricant différent et « ainsi faire jouer la concurrence et baisser les prix », estime Anil Bhandari, vice-président en charge de la gestion de produits chez Altiostar, spécialiste américain d’équipements et logiciels OpenRAN appartenant à l’opérateur japonais Rakuten. Son
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entreprise est partenaire de MTN pour le déploiement de la nouvelle architecture réseau en Afrique, avec les autres américains Mavenir et Parallel Wireless et les indiens Voyage et Tech Mahindra.
Réseaux virtualisés
« L’OpenRAN favorise l’innovation grâce à son architecture plus flexible, couvre mieux les régions les plus reculées en rendant les équipements moins coûteux, et, grâce à sa modularité, s’assure que les réseaux répondent à la croissance de la demande en ajoutant brique par brique les éléments télécoms dont on a besoin », indique Vishal Mathur, responsable du déploiement au sein du Telecom Infra Project (TIP), second organisme mondial de référence sur les technologies OpenRAN. Celui-ci rassemble les acteurs des télécoms pour favoriser le développement de ces architectures ouvertes. L’OpenRAN s’appuie aussi sur des réseaux virtualisés, ou vRAN, qui permettent de transférer certaines fonctions aujourd’hui prises en charge par les équipements matériels vers des logiciels, hébergés dans un cloud. Grâce à cette virtualisation, les opérateurs pourraient réduire de manière conséquente
le temps entre le développement d’une nouvelle offre et sa commercialisation. La virtualisation permet une automatisation inédite des fonctions réseau, ce qui améliore les performances (latences plus faibles, débits plus élevés…) et favorise une réduction des coûts de maintenance pour les opérateurs et de consommation d’énergie.
Son défi est son adoption
Le principal défi de l’OpenRAN, c’est son adoption. À ce jour, seul Rakuten a déployé un réseau OpenRAN à large échelle, au Japon. Depuis quelques mois, cette nouvelle architecture ouverte gagne des partisans, comme Samsung. Les plus gros opérateurs européens (Orange, Deutsche Telekom, Vodafone et Telefónica) ont tous des projets d’OpenRAN – et poussent l’Union européenne à soutenir l’initiative. « Nous avons plus de 50 expérimentations de l’OpenRAN et 13 laboratoires dans le monde », précise Vishal Mathur, avant de conclure, confiant : « Notre industrie a besoin de transformer sa vision dictée par les fabricants à une vision portée par les opérateurs, et cela passera par le déploiement de l’OpenRAN. » Kévin Poireault
Huawei Northern Africa, ce sont des milliers de connexions africaines Plus de 100 000 km de fibres optiques déployés dans la région Northern Africa
5 millions de ménages desservis en haut débit dans la région Northern Africa
Plus de 1 000 villages et 2 millions de personnes reliés dans les zones rurales africaines grâce à la solution RuralStar
ses infrastructures africaines en interne. Pour Thecla Mbongue, l’externalisation des infrastructures télécoms a stagné un temps en Afrique, avant de gagner un nouvel élan ces trois dernières années. MTN a joué un rôle majeur dans cette dernière accélération : l’opérateur revend actuellement ses infrastructures télécoms à tour de bras, notamment en Afrique du Sud. Il compte aussi profiter de l’entrée en Bourse d’IHS pour réduire ses parts dans l’entreprise, de l’ordre de 29 %, pour les réinvestir dans les services numériques. Orange, Airtel, Millicom, Vodacom, et d’autres lui emboîtent le pas. Parfois, cette externalisation prend la forme de consortiums constitués d’un towerco et d’un ou plusieurs opérateurs. IHS vient de signer un accord de ce type avec Egypt Telecom, le 6 octobre 2021, donnant naissance à IHS Telecom Egypt. D’autres encore décident, non pas de confier la gestion de leurs infrastructures à une autre société, mais de créer une filiale dédiée. C’est le cas du sud-africain Telkom avec Gyro Group. Cette stratégie pourrait aussi être celle de Vodacom, qui imiterait ainsi sa maison mère Vodafone, qui a créé Vantage Towers en 2019 à cet effet, selon le site TowerXchange.
Accélérer la transition énergétique
En échange de cette délégation des tâches, et toujours dans une optique de moderniser les réseaux, les opérateurs africains réclament aux towercos des économies d’échelle. D’autant plus qu’ils subissent « une pression
NYSE
DOSSIER TÉLÉCOMS
Managers et actionnaires célébrant l’introduction d’IHS à la Bourse de New York, le 14 octobre 2021.
accrue des gouvernements à développer des réseaux dans des zones reculées, souvent jugées comme non rentables », ajoute Thecla Mbongue. Ainsi, le marché des towercos tend à se concentrer sur trois acteurs : IHS, pionnier sur le continent, American Tower, qui a racheté le panafricain Eaton Towers en 2019, et Helios Towers, qui a acquis le sud-africain SA Towers la même année. Le reste des towercos africains est constitué d’Africa Mobile Networks, Pan African Towers, Infratel, l’américain SBA Communications, qui a racheté Atlas Towers, acteur majeur en Afrique du Sud, et une poignée de towercos nationaux. « Cette concentration du marché a toutes les chances de s’accélérer à l’avenir car elle est favorisée par
l’adoption de la 4G et, à plus long terme, de la 5G. Cette dernière devrait demander aux towercos de densifier leur parc, tout en installant de plus en plus de small cells [petites infrastructures radio pour une meilleure couverture des réseaux de dernière génération]. Par ailleurs les opérateurs demandent d’accélérer la transition énergétique des towercos vers des énergies plus vertes », juge Sola Lawson, directeur d’African Infrastructure Investment Managers (AIIM), actionnaire d’IHS Towers. Avant de conclure : « La pandémie que nous venons de vivre a prouvé la résilience des infrastructures télécoms. » À charge pour IHS, Helios et consorts, de transformer l’essai et de prouver que leur modèle permet à l’Afrique de rattraper son retard de connectivité.
Cet entrepreneur américain, qui a grandi à Beyrouth durant la guerre du Liban, a travaillé chez Libancell, avant de rejoindre le Nigeria comme directeur adjoint de Motophone, le premier opérateur mobile du pays, à la fin des années
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1990. En 2001, alors que le gouvernement nigérian prévoit de privatiser son secteur des télécoms, il fonde IHS Nigeria.« IHS est passée d’entreprise nigériane à société ouest-africaine, puis panafricaine, et c’est aujourd’hui une
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multinationale présente sur trois continents », indique Sola Lawson, directeur d’African Infrastructure Investment Managers (AIIM), actionnaire d’IHS Towers et admiratif de son expansion. Kévin Poireault
IHS
SAM DARWISH L’HOMME QUI A TRANSFORMÉ IHS NIGERIA EN MULTINATIONALE
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DOSSIER TÉLÉCOMS
STRATÉGIE
Abidjan-Dakar, le moteur à deux temps d’Orange Du juridique au marketing, en passant par les ressources humaines et les infrastructures, le géant français optimise ses performances en s’appuyant sur ses deux centres de décision, qui pèsent conjointement 54 % de ses revenus sur le continent et au Moyen-Orient.
QUENTIN VELLUET
A
u début de juin à Dakar, le torchon brûle entre Wave, un nouveau venu du mobile money, et Sonatel, leader du marché des télécoms et filiale d’Orange. Le premier, qui secoue la position confortable de l’opérateur avec une offre ultra-concurrentielle, vient d’entamer un recours auprès du régulateur des télécoms. Avec comme objectif que Sonatel lui permette à nouveau de distribuer du crédit Orange à travers son application mobile, et qu’il pratique la même politique tarifaire qu’avec ses autres partenaires. Le conflit qui a agité les médias et les réseaux sociaux pendant une dizaine de jours s’est conclu par une décision temporaire du régulateur en faveur de Wave. Même période, à Abidjan, Wave lance en grande pompe cette même offre de mobile money appliquant une commission unique de 1 % sur les transactions. Et, pourtant, pas de conflit médiatisé ou de guerre d’influence dans les couloirs du régulateur. Si Orange Côte d’Ivoire (OCI), premier opérateur du pays, n’a pas encore lancé d’offensive contre le nouveau venu sur les bords de la lagune Ebrié, c’est d’abord parce que Mamadou Bamba, son directeur, dispose du retour d’expérience de son homologue sénégalais, Sékou Dramé. Et prend le temps de se préparer à un potentiel bras de fer. Vu les ambitions sous-régionales de la start-up américaine, qui a levé 200 millions de dollars au début
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JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
de septembre pour soutenir son développement, nul doute que l’ensemble des filiales ouest-africaines d’Orange se coordonnent à l’heure où sont écrites ces lignes pour proposer une offre concurrentielle et pour se défendre sur le terrain réglementaire.
Deux socles prospères
Supervisé par la direction d’Orange Afrique et Moyen-Orient (Omea), à Casablanca, qui réunit chaque semaine les directeurs généraux de filiales, ce travail en réseau est l’une des principales forces du groupe français. La présence de l’opérateur dans huit des seize pays d’Afrique de l’Ouest est gérée à travers ses deux centres de décision. À Dakar avec Sonatel, qui gère les filiales au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau, en Sierra Leone, et abrite le siège d’Orange International Networks Infrastructures. Et à Abidjan avec OCI, qui pilote le Burkina Faso, le Liberia, et héberge Orange Bank Africa, les services de maintenance et compliance d’Orange Money ainsi que Mowali, la société d’interopérabilité détenue à 50 % avec MTN. Avant d’inspirer les synergies actuelles, cette structuration a historiquement été motivée par des considérations financières. « Il y a un intérêt politique à ce que ces sociétés soient contrôlées par des acteurs locaux, mais la création d’OCI a surtout été une stratégie financière très rentable qui a permis à Orange de répartir ses risques et d’éviter une double fiscalité
(taxes locales et impôts sur les dividendes rapatriés) en facilitant le réinvestissement des bénéfices dans les filiales », explique une source bien informée au sein du groupe. Ensemble, ces deux socles prospères représentent 54 % du chiffre d’affaires d’Omea, soit 3,1 milliards d’euros, des revenus en croissance de 7 % par rapport à 2019. Ils donnent à Ramon Fernandez, directeur financier du groupe et président du comité d’investissement d’Orange SA, plus de latitude lors des opérations de croissance externe sur le continent.
Au Burkina Faso, Mamadou Bamba, directeur d’OCI, prend le temps de se préparer à un potentiel bras de fer. Quand, par le passé, Sonatel prenait automatiquement en charge la gestion des nouveaux marchés de la sous-région, le comité peut maintenant trancher entre qui de Dakar ou d’Abidjan doit gérer la filiale, à partir de différents critères. « Outre les réseaux professionnels des dirigeants locaux qui parfois facilitent les processus d’appel d’offres ou l’attraction de coactionnaires, d’autres données sont prises en compte comme la
DOSSIER TÉLÉCOMS
UN MANAGEMENT AFRICAIN À TROIS TÊTES
TUNISIE MAROC
Hub de Casablanca • Siège social d’Orange Afrique et Moyen-Orient(Omea) • Bureau régional Afrique du Nord et Moyen-Orient • Centre d'ingénierie réseau • Centre de sécurité
MALI
ÉGYPTE
SÉNÉGAL GUINÉE BISSAU
GUINÉE
SIERRA LEONE LIBERIA
BURKINA FASO CÔTE D'IVOIRE CAMEROUN
Hub de Dakar
• Siège social de Sonatel • Centre de services financiers partagés • Siège social de Djoliba (réseau panafricain de fibre optique) • Centre de supervision du réseau
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Hub d’Abidjan
• Siège social d'Orange Côte d'Ivoire • Siège d'Orange Bank Africa • Siège social de Mowali (système de paiement et transfert d'argent sur mobile) • Centres de conformité et de services partagés Orange Money
MADAGASCAR BOTSWANA
Filiales Orange 1 000 km
capacité de financement ou encore le management disponible », indique à Jeune Afrique un expert de l’IFC (groupe de la Banque mondiale) qui connaît bien le secteur.
Jeu de chaises musicales
À l’image de Sonatel, qui a dû définir une ambitieuse politique de recrutement et de formation de ses cadres au tournant des années 2000 pour accompagner son expansion géographique, la holding ivoirienne est à son tour devenue une pépinière de talents. Ces derniers quittent Abidjan pour parfaire
leurs compétences dans les filiales libérienne ou burkinabè. Jean Marius Yao, actuel directeur général d’Orange au Liberia, a par exemple fait ses armes au sein du service marketing d’OCI. Dans le sens inverse, Fanta Sidibé, actuelle directrice de l’expérience client chez Orange Côte d’Ivoire, a fait ses classes au cœur du département communication de Sonatel. Ce jeu de chaises musicales est une des synergies apportées par le maillage d’Orange en Afrique de l’Ouest. Tout comme la mise en commun de ses infrastructures, dont
Djoliba est le parfait exemple. Mis en service en décembre 2020, le réseau de fibre optique de 10 000 kilomètres parcourt huit pays (dont six marchés d’Orange) et représente « quelques centaines de millions d’euros » d’investissements selon Alioune Ndiaye, PDG d’Omea. Cette somme a été répartie depuis plusieurs années entre les filiales, qui investissent chaque année 15 % de leurs revenus dans les aménagements de réseau. Mais elles se partagent désormais les bénéfices – pour le moment inconnus – de cette infrastructure commune. JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
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DOSSIER TÉLÉCOMS
INFOGRAPHIE INTERNET MOBILE
Dans quels pays la data est-elle le moins cher ?
TOGO
8,64
Prix de 1 gigaoctet de données mobiles en dollars en 2020
Afrique de l’Ouest
Afrique du Nord
À 5 dollars le gigaoctet en moyenne, SIERRA LEONE GAMBIE LIBERIA le coût de la connexion a baissé NIGER GUINÉE SÉNÉGAL CÔTE de 28 % entre 2018 et 2020, D’IVOIRE MALI GUINÉEALGÉRIE CAP-VERT BISSAU mais reste élevé sur NIGERIA GABON BURKINA FASO 6 TUNISIE le continent. Tout le 7,78 ÉGYPTE MAROC COMORES BÉNIN GHANA 4 monde n’est pas 2 TCHAD KENYA ÉTHIOPIE logé à la même 8,64 MADAGASCAR 0 SOUDAN enseigne : les RDC MAURICE RWANDA CAMEROUN différences restent 8 Afrique SOMALIE ZAMBIE très importantes, centrale BURUNDI MOZAMBIQUE Afrique OUGAND A CONGO ANGOLA même entre pays de l’Est 8,47 TANZANIE voisins. LESOTHO
GUINÉE ÉQUATORIALE
34,57
S
i la fracture numérique se réduit sur le continent, le coût de l’internet mobile reste élevé par rapport aux revenus. En 2020, le prix médian de 1 giga de données mobiles en Afrique s’élevait à plus de 5 dollars, contre près de 7 dollars en 2018, soit une baisse de 28 %, explique Alliance for Affordable Internet (A4AI) dans son dernier rapport. À titre de comparaison, il fallait compter 3,50 dollars pour un giga au sein de l’Union européenne en 2020. D’un pays à l’autre, les écarts de coûts demeurent très importants. Ainsi, en Guinée équatoriale, il fallait débourser en 2020 plus de 35 dollars pour obtenir 1 giga de données mobiles, soit, selon A4AI, le tarif le plus élevé du monde. Le pays
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JEUNE AFRIQUE – N° 3106 – NOVEMBRE 2021
NAMIBIE
6,62
SOURCE : A4AI
AFRIQUE DU SUD
Afrique australe
est relié à trois câbles sous-marins de fibre optique, mais est pénalisé par une population peu nombreuse et le manque de concurrence. Les choses s’améliorent en RDC, mais il fallait encore payer 8 dollars pour 1 giga de données mobiles en 2020 (10,70 dollars l’année précédente, soit une baisse de 25 %), addition salée due notamment à la difficulté d’installer et d’entretenir des réseaux dans des régions reculées et pauvres. À l’inverse, parmi les pays africains où le prix de l’internet mobile est le plus faible, on retrouve le Soudan, l’Égypte et le Maroc. Dans le royaume chérifien, le prix du giga est passé de 5 dollars en 2019 à 2 dollars en 2020, résultat de la stratégie Maroc Digital 2020, centrée
sur la réduction de la fracture numérique. 8,06 Pour les Nations unies, l’accès à internet est abordable lorsque le coût de 1 giga est inférieur à 2 % du revenu mensuel brut. Or, sur le continent, ce ratio est de 5,7 %, contre 2,7 % en Amérique du Sud et 1,6 % en zone Asie-Pacifique. « Seulement 14 des 48 pays africains participant au classement ont un accès à internet abordable », estime l’A4AI. En Centrafrique, 1 giga représentait 24,4 % du revenu mensuel moyen en 2020, en RDC, 20,6 %. En revanche, il équivalait à seulement 0,5 % du revenu mensuel à Maurice, 0,8 % en Algérie et 1,3 % au Gabon. Solène Benhaddou, Christophe Le Bec BOTSWANA
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11,38
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DOSSIER TÉLÉCOMS
RD CONGO
Au cœur de la bataille pour la fibre optique À la faveur d’une relative accalmie politique à Kinshasa, des installateurs d’infrastructures, comme Benya Capital ou Liquid Intelligent Technologies, se lancent dans la course au câblage du deuxième plus grand pays d’Afrique. QUENTIN VELLUET
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ous sommes une place to be, comme diraient les Anglais. » Après deux années d’incertitudes politiques liées à la collaboration laborieuse entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, puis à la quête de l’Union sacrée de l’actuel président de la République, Augustin Kibassa Maliba ne cache ni son soulagement ni sa détermination. À 49 ans, le ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de RDC peut enfin entamer l’une des missions qu’on lui a confiées le 26 août 2019 : attirer des investisseurs capables de câbler rapidement son pays, décrié pour son environnement incertain des affaires, sa topographie difficile et la faiblesse de son internet mobile. La RDC fait effectivement partie des pays africains les moins équipés en infrastructures de réseau. La faible densité de son maillage a des conséquences importantes à l’apparition de la moindre panne. La dernière en date est intervenue à la mi-juillet, à la suite d’une coupure sur une ligne de fibre optique terrestre connectant Muanda, sur la côte Atlantique, à la capitale, Kinshasa (environ 360 km à vol d’oiseau). L’incident a causé un net ralentissement du trafic au cours de l’après-midi du 16 juillet pour des millions d’abonnés d’Orange et de Vodacom.
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Le DG de la Société congolaise des postes et télécommunications, Didier Musete Lekan (à g.), avec Ahmed Mekky, patron de l’équipementier Benya Capital, le 28 juin 2021, au Caire.
Doté, en matière numérique, d’un cadre réglementaire très ancien – le texte le plus récent date de 1987 –, le deuxième plus vaste pays du continent, qui, par sa localisation, pourrait devenir un carrefour d’interconnexion pour l’Afrique, enregistre paradoxalement une faible pénétration de l’internet mobile, de 25 % (+ 5 points en quatre ans). Publiée en 2017, la dernière édition de l’indice de développement des technologies de l’information et de la communication de l’Union internationale des télécoms (UIT) plaçait la RDC au 171e rang sur 175 États en matière d’équipement. Du fait de ces lacunes, le coût de la donnée mobile est élevé. Qu’ils vivent
à Kinshasa, Goma, Lubumbashi ou dans des zones bien moins couvertes, les utilisateurs congolais doivent débourser en moyenne 8 dollars pour s’offrir un gigaoctet de data (voir p. 154). Figurant au nombre des pays africains où le coût de la donnée est le plus élevé, la RDC fait là encore figure de mauvais élève.
Rattraper le retard technologique
« Il faut reconnaître que nous avons pris du retard, ce n’est pas une honte », confesse Augustin Kibassa Maliba. Ce natif du Katanga, au fait des objectifs définis par le Plan national du numérique publié en septembre 2019, estime que son pays a besoin d’au moins 50 000 km
DOSSIER TÉLÉCOMS À son tour, la société britannique LMS Holdings a signé, à la fin de juillet, un contrat dit build, operate, transfer avec la SCPT. Il prévoit la construction et la gestion d’un câble de 640 km reliant Kasindi à Bukavu, puis un transfert de compétences, la rénovation des équipements de la station d’atterrissement du câble West Africa Cable System (Wacs), à Muanda, ainsi qu’une meilleure informatisation de l’entreprise publique. Le contrat est estimé à 35 millions de dollars. « L’idée est de stimuler les investissements privés, mais aussi les partenariats publicprivé », commente Augustin Kibassa Maliba. L’ensemble de ces projets booste la confiance des investisseurs étrangers. IFC et deux sociétés de capital-investissement, Adenia Partners et African Infrastructure Investment Managers (AIIM), ont injecté 130 millions de dollars dans Eastcastle Infrastructure, un gestionnaire de tours de télécoms qui prévoit d’en implanter de nouvelles en RDC.
Confiance des investisseurs
Quelques jours plus tard, Facebook et Liquid Intelligent Technologies (ex-Liquid Telecom) – qui dispose déjà de 2 500 km de fibre dans le pays – ont annoncé un partenariat pour la construction et l’exploitation d’un câble parcourant 2 000 km, à vol d’oiseau, du centre du pays au point d’atterrissement du câble 2Africa, à Muanda. Le groupe, contrôlé par le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa, avait annoncé quelques mois plus tôt un autre projet conçu avec Orange, qui prévoit, lui, un câble de 4000 km entre la ville de Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga, et Inga, dans le Bas-Congo. Le coût de l’opération est estimé à 20 millions de dollars.
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La RDC veut couvrir 50 % à 70 % de son territoire d’ici à trois ans.
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De son côté, Africell, quatrième opérateur du pays, a bien l’intention d’investir une part des 205 millions de dollars qu’il est parvenu à lever auprès de la coopération américaine et de plusieurs banques dans l’extension
Ces dernières semaines, les annonces concernant la signature de projets de pose de fibre optique ont commencé à pleuvoir. de son réseau et le développement de nouveaux services dans le pays. « Notre objectif est de couvrir 50 % à 70 % du territoire d’ici à trois ans », assure le ministre. Cet ambitieux engagement dépendra beaucoup de la façon dont les pouvoirs publics encadreront et accompagneront ces projets. Si le secteur privé se structure avec le soutien des institutions concernées, il faut encore que l’administration se coordonne afin de définir une gouvernance claire. Pour l’instant, difficile de distinguer les prérogatives respectives d’Augustin Kibassa Maliba et de Désiré Cashmir Eberande Kolonge, le nouveau ministre du Numérique. « Des projets plutôt transversaux sont déjà attribués à mon collègue, indique le ministre des Télécoms, mais nous attendons encore l’ordonnance d’attribution des missions pour chaque ministère », indique-t-il à Jeune Afrique. Une troisième personne est censée intervenir dans les TIC : Dominique Migisha, conseiller spécial du chef de l’État chargé du Numérique. Créé en mars 2019, ce poste semble néanmoins être plus stratégique qu’opérationnel, autour de la définition du plan national du numérique. VINCENT FOURNIER/JA
de fibre optique pour rattraper son retard technologique. Il n’hésite donc pas à revêtir un costume de VRP en télécoms afin d’attirer les investisseurs. À la mi-juin, il s’est rendu à Paris sur le stand de la délégation congolaise au salon Vivatech. Quelques semaines plus tard, il découvrait le Mobile World Congress de Barcelone, raout mondial des télécoms, où il a pu observer les stands de Huawei et d’Orange et échanger avec ses homologues du continent sur la nécessaire harmonisation des différents cadres juridiques. À Kinshasa, le travail porte ses fruits. Ces dernières semaines, les annonces concernant la signature de projets de pose de fibre optique ont commencé à pleuvoir. Le 28 juin, l’équipementier égyptien Benya Capital a ouvert le bal en signant un contrat avec la Société congolaise des postes et télécommunications (SCPT) – opérateur historique et gestionnaire des infrastructures de télécoms du pays – pour la pose et l’exploitation de 16 000 kilomètres de fibre optique.
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