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MARS 2022
NO 3110 – MARS 2022
NGOZI OKONJOIWEALA « L’essor de l’Afrique ? Ce n’est pas un mythe » MAROC Akhannouch va-t-il enfin passer à l’action ? 14 PAGES
MALI-RUSSIE L’armée des ombres
Alors que le débat sur l’immigration est imposé par certains dans la campagne pour la présidentielle d’avril, notre dossier spécial dresse un état des lieux inédit. Quelle est la réelle représentativité de la diaspora africaine? La situation s’améliore-t-elle?Commentlescandidatss’adressent-ilsàcepotentielélectorat? Spécial 20 pages
Édition FRANCE
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UNE HYPOCRISIE FRANÇAISE
M 01936 - 3110 - F: 7,90 E - RD
JEUNE AFRIQUE N O 3 1 1 0
DIVERSITÉ
Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada 12,99 $CAN Espagne 9 € • France 7,90 € • DOM 9 € • Italie 9 € Maroc 50 MAD • Mauritanie 200 MRU • Pays-Bas 9,20 € Portugal 9 € • RD Congo 10 USD • Suisse 15 CHF Tunisie 8 TDN • TOM 1 000 XPF • Zone CFA 4 800 F CFA ISSN 1950-1285
RD CONGO KABILA La vie après le pouvoir
ENQUÊTE
DIVERSITÉ
Une hypocrisie française Contrairement aux fantasmes de la nouvelle doxa populiste, non seulement la part des étrangers et des citoyens issus de l’immigration dans la population de l’Hexagone est loin d’être élevée, mais leur représentativité est hélas loin de correspondre à leur poids réel. Démonstration.
R MARWANE BEN YAHMED
R arement campagne électorale aura offert une telle tribune et une telle place à l’extrême droite et aux chantres de la xénophobie. À quelques semaines seulement de la prochaine présidentielle, et en plein débat nauséabond sur le « grand remplacement » annoncé par le Nosferatu populiste Éric Zemmour ou sur la « déferlante migratoire » chère à sa collègue Marine Le Pen, la problématique liée à la diversité de la société française revêt un intérêt majeur. Même si le vote des Français d’origine africaine, cette fameuse
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diaspora sur laquelle veut s’appuyer Emmanuel Macron et qui devrait pourtant constituer un réel enjeu électoral puisqu’elle représente environ 5 millions d’électeurs potentiels, ne semble guère intéresser les candidats, à l’exception, donc, du chef de l’État et de son adversaire d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon. Épée de Damoclès ou repoussoir pour les uns, véritable chance pour les autres, cette diversité fait pourtant figure de Triangle des Bermudes démographique. Tout le monde en parle, mais personne, en dehors
MONTAGE JA
ENQUÊTE de quelques universitaires ou chercheurs qui se comptent sur les doigts des deux mains, notamment au sein de l’Institut national d’études démographiques (Ined), n’est en mesure de l’appréhender avec précision et rigueur. Et pour cause, les statistiques ethniques sont interdites. Seule certitude : on est bien loin des fantasmes zemmouriens. La France ne compte que 12,7 % de personnes nées en dehors de ses frontières et environ 7 % d’immigrés. Mesurer la réalité de cette diversité française est une chose, s’intéresser à sa perception, à sa représentativité et à son « statut » au sein de la société en est une autre. En la matière, le constat dressé par l’ancien secrétaire d’État de François Mitterrand Kofi Yamgnane et la ministre d’Emmanuel Macron Elisabeth Moreno, dans la passionnante interview croisée que nous avons recueillie et dans laquelle ils comparent leurs expériences à trente ans d’intervalle, est sans appel : la représentativité des Français originaires d’ailleurs, et plus spécifiquement d’Afrique, ne correspond pas à leur poids réel. Dans la classe politique et la haute fonction publique bien sûr, et c’est sans doute le plus désespérant, mais également dans la magistrature, la police, les grandes écoles, les universités ou dans le monde de l’entreprise. Certes, les choses changent et des progrès ont été réalisés. Mais à un rythme de tortue luth… C’est sans doute là que se situe le plus grand malaise : comment les dirigeants politiques ou économiques français peuvent-ils s’adresser utilement à une population qui ne se sent pas représentée et qui n’a que peu de role models parmi l’élite auxquels se comparer ? N’en déplaise aux Cassandre populistes, la diversité est bel et bien une chance pour la France, un formidable catalyseur d’énergie, de talent et de créativité. À condition de briser le plafond de verre et de ne pas laisser de côté tout un pan de la population qui aspire pourtant à apporter son écot à l’avenir du pays.
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BRUNO LEVY
Tortue luth
ENTRETIEN CROISÉ
Élisabeth Moreno et Kofi Yamgnane « Nous n’avons pas choisi la France par masochisme » OLIVIER MARBOT
BRUNO LEVY POUR JA; BRUNO LEVY
ENQUÊTE
Kofi Yamgnane à Paris rue Cognac Jay© Bruno Levy pour JA L’ancien maire d’origine togolaise du village breton de Saint-Coulitz et la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.
L’un a été secrétaire d’État sous François Mitterrand, l’autre est ministre d’Emmanuel Macron. À trente ans d’intervalle, tous deux symbolisent une certaine forme de réussite républicaine et d’intégration à la française. Avec complicité, ils comparent leurs expériences.
N
é au Togo en 1945, Kofi Yamgnane est arrivé en France en 1969 pour y poursuivre ses études. Il s’y est marié, a milité, a été élu maire de son village breton mais aussi conseiller général, régional, puis député. Quant à sa cadette, Élisabeth Moreno, elle a vu le jour au Cap-Vert en 1970. Sa famille a rejoint la France en 1977, et, après des études de droit, elle a créé son entreprise avant de prendre la tête des filiales de grands groupes informatiques. Leur point commun : ils font partie des rares Français originaires d’Afrique subsaharienne à avoir occupé un poste ministériel. C’était en 1991 pour M. Yamgnane, lorsqu’il a été nommé
secrétaire d’État chargé de l’Intégration. Mme Moreno est, elle, ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances depuis 2020. Jeune Afrique les a réunis pour évoquer leur parcours et leur expérience ministérielle, à trente ans d’intervalle. Éloignement géographique et mesures sanitaires obligent, la conversation s’est déroulée en visioconférence, la ministre siégeant dans son bureau parisien tandis que l’ex-maire de Saint-Coulitz – que Mme Moreno appelle « grand frère » – se connectait depuis sa maison bretonne. Dans son bureau, un magnifique masque bassar est fixé au mur, et Kofi JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
Jeune Afrique : Vous êtes tous les deux nés en Afrique subsaharienne, et avez tous les deux été ministres à trente ans d’intervalle. Quel regard chacun portet-il sur le parcours de l’autre ? Kofi Yamgnane : J’admire Élisabeth Moreno, que je connaissais en tant que grande entrepreneuse. Moi, je n’ai pas eu tout à fait ce parcours-là : j’étais juste un petit fonctionnaire et un militant politique. À la demande des paysans de mon village du Finistère, j’ai eu l’occasion d’en devenir le maire à la fin des années 1980. Mais je ne m’attendais pas du tout à entrer un jour au gouvernement de la République française. Tandis qu’Élisabeth est plutôt issue de la société civile pure. Elle est arrivée par la « force des bras », c’est-à-dire par le mérite. Élisabeth Moreno : Quand Kofi a été élu, j’avais 26 ans. À l’époque, les personnalités noires arrivées aux plus hauts postes de l’État qui pouvaient me servir de modèles étaient rares. Rien à part quelques hauts fonctionnaires, et la plupart d’entre eux étaient antillais. Avec Kofi – un peu comme Barack Obama quand il a été élu –, les parents immigrés ont enfin pu dire à leurs enfants : si tu travailles bien à l’école, un jour tu pourras devenir président de la France. Même ceux qui ne sont pas nés dans ce pays peuvent y occuper les plus grandes responsabilités. Ce que Kofi faisait, en plus avec cette majesté que les sages africains peuvent avoir sur le continent. Donc pour moi, oui, c’est véritablement un modèle, et c’est la raison pour laquelle il est l’une des premières personnes que j’ai appelées pour me conseiller lorsque je suis arrivée dans mon ministère. Aviez-vous déjà des ambitions politiques à cette époque ?
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E.M. : Pas du tout ! C’est en entrant dans la vie politique que j’ai découvert que j’en faisais depuis quarante ans sans le savoir. Parce que j’ai toujours été très engagée dans la vie associative, j’ai toujours milité pour les droits des femmes, pour l’intégration des enfants d’immigrés, pour l’intégration des jeunes défavorisés. J’aidais les gamins des quartiers populaires à faire leur CV, à prendre une bonne posture lors des entretiens d’embauche, etc. Mais à cet âge-là, en tant que femme noire, je n’imaginais pas du tout qu’un jour je pourrais entrer en politique, et encore moins y réussir. K.Y. : Mon itinéraire est différent. Je m’intéressais à la politique parce que je suis né au moment où les pays africains conquéraient leur indépendance. J’étais en classe de première quand Mandela a été jeté en prison, et j’étais conscient des problèmes que nous avions par rapport à nos colonisateurs. Si je suis venu en France, c’était pour mes études supérieures.
crève-cœur pour moi, car je continue à penser que l’Afrique aurait besoin d’être encouragée, d’être tirée vers le haut. Concrètement, comment se retrouve-t-on ministre ? E.M. : Au départ, je voulais être avocate pour défendre la veuve et l’orphelin. Mais finalement, les hasards de la vie et les difficultés m’ont poussée à laisser ce rêve de côté. Et comme je voulais véritablement aider ma famille, la mettre à l’abri financièrement, j’ai créé ma société. Puis je suis entrée dans de grands groupes et j’ai déroulé ma carrière comme ça, en me disant que je la finirais dans le monde de l’entreprise. Lorsque Jean Castex m’a contactée pour me charger des questions d’égalité entre les femmes et les hommes, de diversité et d’égalité des chances, je n’ai évidemment pas pu refuser. Parce que c’est un pays que j’aime, qui a permis à ma famille de couler une existence différente, probablement meilleure que ce qu’elle aurait été si nous étions restés sur le continent. Est-ce que mon genre, mon origine sociale ou ma couleur de peau sont entrés en ligne de compte dans ma nomination ? Je l’ignore complètement. Et, à la limite, je m’en fiche, parce que je crois qu’on est tous choisis pour quelque chose. Mon grand frère disait que je me suis faite à la force du poignet, et c’est vrai… On parle souvent d’ascenseur
« J’étais réservé sur la discrimination positive. Mais force est de constater qu’il n’y aurait jamais eu autant de femmes en politique sans la loi sur la parité. » Mon but était de rentrer au Togo pour y faire de la politique. Je trouvais qu’on utilisait mal nos moyens, que le Blanc avait certes quitté notre sol mais qu’entre nous, les Noirs, on ne se débrouillait pas si bien que ça. J’étais surtout persuadé que j’avais mon mot à dire. Mais, finalement, c’est en France que je me suis lancé en politique, et non au Togo. C’est un
social. Pour ma part, j’ai surtout pris des escaliers parce que personne ne croyait en moi, personne n’aurait misé sur moi. J’ai donc dû travailler dur pour en arriver là. Quant à vous, M. Yamgnane, vous avez souvent dit que le président Mitterrand avait clairement voulu faire de vous un symbole…
BRUNO LEVY POUR JA
Yamgnane a tenu à nous en expliquer la signification. « On l’appelle “le masque du vainqueur”, et on n’a le droit de le porter que quand on a tué un ennemi. Moi, je n’ai jamais tué personne, mais j’ai eu le droit d’en avoir un parce que j’ai vaincu le Blanc chez lui. »
ENQUÊTE
Trente ans plus tard, estimez-vous que les progrès accomplis en matière de représentation des minorités dans la classe politique française ont été importants? K.Y. : On ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, mais elle est bien meilleure que de mon temps… Quand j’étais député, j’étais le seul élu issu de l’Afrique postcoloniale à l’Assemblée nationale, sur 577 personnes ! Aujourd’hui, grâce à la volonté d’Emmanuel Macron – et sans doute grâce au travail de personnalités comme Élisabeth –, il y a beaucoup plus de députés issus de la diversité. C’est mieux, mais ce n’est pas encore assez. La France compte 7 % d’immigrés. Une proportion que l’on ne retrouve pas chez les députés ou les sénateurs…
E.M. : Pendant longtemps, la vie politique française a été structurée autour de partis ayant des modes de désignation très spécifiques. Les personnes d’origine africaine avaient moins de réseaux et n’étaient donc pas en capacité d’obtenir les soutiens nécessaires pour être élues ni même de devenir candidates. Et quand ces personnes ont intégré le gouvernement – qu’il s’agisse de Kofi, mais aussi de Rama Yade ou de Rachida Dati sous Nicolas Sarkozy –, ça a été la volonté d’un homme qui a voulu les utiliser comme des symboles. Je crois que, depuis 2017, la situation est
me suis rendu compte qu’elle a fonctionné. On n’aurait jamais vu autant de femmes en politique si cette loi n’avait pas existé, je suis bien obligé de le constater.
« Il est éminemment important pour notre pays de recourir à tous ses talents. Mettre de côté 7 % de la population est mortifère. » devenue fondamentalement différente grâce à Emmanuel Macron. Et, dans une moindre mesure, à JeanLuc Mélenchon. Des mouvements politiques nouveaux se sont mis en place, qui ont tout balayé et ont cassé les codes des partis traditionnels. Ces mouvements sont allés chercher des personnes de la société civile qui avaient la volonté de participer mais n’auraient eu aucune chance d’émerger auparavant, en raison du plafond de verre. Personnellement, je ne l’ai pas vécu, mais j’ai entendu beaucoup de personnes l’évoquer, qu’elles soient d’origine antillaise ou africaine. Or il est éminemment important pour notre pays de recourir à ces talents. Mettre de côté 7 % de la population est mortifère. Êtes-vous favorables à une forme de discrimination positive pour résoudre cette problématique du plafond de verre ? K.Y. : Quand l’obligation de parité hommes-femmes sur les listes électorales a été votée, j’étais député. À cette époque – et je l’avais dit à Jospin –, j’avais trouvé cette mesure assez dérisoire. Mais, par la suite, je
BRUNO LEVY
K.Y. : Absolument. J’ai été élu maire de Saint-Coulitz en 1989, c’est-à-dire l’année non pas du bicentenaire de la Révolution française, mais de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Quand les journaux ont titré « Voilà la France que nous aimons », cela n’a pas échappé à Mitterrand, qui était très fort en matière d’utilisation, de manipulation des symboles. Puis j’ai créé le conseil des sages, dans le but de faire participer les personnes les plus âgées à la vie communale, et les journaux s’en sont de nouveau emparés… C’est alors que Mme Mitterrand m’a appelé pour me demander si elle pouvait venir assister à un de ces conseils. Ce à quoi j’ai répondu : « Bien sûr, vous en avez l’âge, vous pouvez venir. » J’imagine qu’elle en a parlé à son mari, qui m’a téléphoné quelques jours après pour me dire : « J’ai cru comprendre que vous faisiez des choses intéressantes dans votre petit village breton. Je vous demande de venir le faire au niveau national et vous nomme ministre de la République. » Un échange qui a duré deux minutes! Je n’ai eu à dire ni oui ni non, il avait raccroché. Mais c’était très valorisant pour moi, comme ça l’était pour la France et pour Saint-Coulitz. Certains de mes électeurs m’ont certes reproché d’être parti à Paris, mais ils s’en sont expliqués avec le président : une délégation est allée le voir, et je crois qu’il les a convaincus…
E.M. : Je suis entièrement d’accord avec Kofi, et en même temps je m’interroge : en France, on est effectivement passé de 9 % à 45 % de femmes dans les conseils d’administration à la suite de la loi Coppé-Zimmermann – et cela, en dix ans. Je l’ai expérimenté ! Les chefs d’entreprise me disaient : « Bien sûr on est ouvert à la diversité, mais, tu comprends, c’est un sujet très sensible. On ne sait pas comment la porter sans choquer nos collaborateurs. On veut des femmes, mais on n’en trouve pas… » Et tout à coup, avec la loi, on finit par en trouver… Donc je pense qu’effectivement les quotas peuvent faire avancer les choses. Mais cela ne me semble pas suffisant. J’ai récemment rencontré une jeune femme qui a fait Sciences Po, brillante, qui a parfaitement réussi et qui m’a dit : « Mme la ministre, je vois tout ce que vous faites pour pousser les questions de diversité dans le monde de l’entreprise. Mais moi, je suis une femme noire et je ne veux pas être recrutée parce que je suis une femme noire. Je veux être recrutée parce que je suis compétente. Je n’ai pas envie qu’on me dise : “Oui mais toi, tu es le quota.” » C’est humiliant pour une JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE personne de penser que c’est son seul moyen d’être recrutée. Certaines personnes issues de l’immigration avouent aussi qu’elles n’osent pas se présenter à certains postes, en vertu de l’autodépréciation. Cela vous parle-t-il? E.M. : C’est une réalité que j’ai expérimentée toute ma vie. Enfin, plus maintenant, mais le syndrome de l’autocensure et celui de l’imposture m’ont poursuivie jusqu’à l’âge d’environ 35 ans, quand j’ai commencé à réussir au-delà de mes propres attentes. Je viens d’un milieu très modeste, où l’on vous explique qu’il ne faut pas rêver trop grand, qu’il faut déjà s’estimer heureux de s’en sortir, d’avoir trouvé sa place, de pouvoir nourrir ses enfants… En plus, je suis une fille, et l’Afrique est un continent très patriarcal. Ma mère m’a élevée pour que je sois une bonne épouse, une bonne mère de famille, une bonne fille, une bonne belle-fille, certainement pas pour que je prenne la tête d’une entreprise, et encore moins pour que j’aie des aspirations politiques. Donc oui, j’ai longtemps été dans l’autocensure, mais ce n’est pas uniquement le lot des personnes issues de l’immigration. Les jeunes filles qui grandissent dans une zone rurale ont également l’impression que certaines choses ne sont pas faites pour elles. Or, lorsque l’on souffre du syndrome de l’imposteur ou que l’on est confronté plus que de moyenne aux discriminations, la réussite nous fait un peu culpabiliser… J’aime beaucoup la citation de Toni Morrison qui dit, en substance, que si vous avez envie de voler, il faut poser les bagages qui vous empêchent de vous élever. Or je considère que nous, les personnes issues de l’immigration, nous portons beaucoup de bagages. Et c’est pour cela que je crois beaucoup aux role models comme Kofi, qui nous montrent qu’atteindre nos rêves est possible. K.Y. : Bien entendu, cette question me parle. Nous concernant, il y a en plus le fait que nous sommes issus de peuples dominés. Et que nous vivons aujourd’hui chez l’ancien dominateur. On nous le fait sentir. On m’a
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dit et on m’a écrit : « Sale gros singe, retourne dans ton arbre ! » Alors, si on me dit ça à moi, malgré ce que je suis – un ingénieur diplômé de l’École des mines, maire, conseiller général, député, ministre… –, vous imaginez ce qu’expérimentent les petits jeunes qui sont derrière ! Quand j’ai été élu en 1989, j’ai pensé que ça allait être très beau. Je me disais : « En 1995, renouvellement des conseillers municipaux, on va voir beaucoup d’hommes et de femmes issus de l’immigration devenir maires en France. » Personne… En 2001, rebelote : personne. En 2008, toujours personne. Puis en 2014, un élu en Aveyron. En 2020, l’homme est réélu, et il y a une jeune fille dans l’Oise, d’origine mauritanienne je crois. Ces résultats ne sont pas encourageants ! J’avais cru que beaucoup de gens allaient me suivre, mais cela n’a pas été le cas. Ce qui m’amène à me dire : « Kofi, tu as échoué. » E.M. : Non Kofi, tu n’as pas échoué. Ce que tu ne vois pas, ce sont toutes ces personnes à qui tu as donné de l’espoir et à qui tu as montré que ce plafond de verre pouvait être brisé. Moi aussi, je reçois beaucoup de courriers racistes, les réseaux sociaux facilitent cela. Mais je reçois beaucoup plus de messages d’amour et d’encouragement. Rarement campagne électorale aura offert autant de place à l’extrême droite et aux messages xénophobes ou racistes que celle de2022.N’est-cepascontradictoire avec le sentiment que la situation s’améliore, que la diversité est mieux acceptée et mieux représentée qu’avant? K.Y. : C’est vrai qu’il y a contradiction, mais il ne faut pas exagérer le phénomène. La famille de Mme Le Pen est bretonne et, en Bretagne, ni le Front national ni le Rassemblement national n’ont bonne presse. C’est sans doute la région où les gens se laissent le moins tromper. Quant à Zemmour, il a un problème personnel important. Il n’est pas encore sorti de la guerre d’Algérie. Il est frustré parce que ses parents se sont fait virer du pays. C’est ça qui le tient, c’est un revanchard. Mais il faut mettre en
garde les Français : imaginons que, devenu président de la République, il renvoie tous les immigrés chez eux… Qui fera le travail qu’ils accomplissent ici ? Et, quand ils vont rentrer chez eux, que vont-ils faire ? Ils vont chasser les Français. Lorsque la situation s’est gâtée en Côte d’Ivoire en 2004, à la suite du bombardement de Bouaké, on a vu des milliers de Français arriver à Roissy qui ne savaient plus où ils en étaient. Ils vivaient comme des nababs dans le pays et, une fois revenus ici, ils se sont retrouvés au RMI. Zemmour et Le Pen ne savent pas dans quel engrenage ils mettent le doigt. E.M. : Je pense que si Zemmour aimait la France il ne proposerait pas un centième de ce qu’il est en train de proposer. Parce qu’il n’attaque pas que les immigrés : il veut aussi renvoyer les femmes à la maison, que les enfants en situation de handicap aillent dans des écoles spécialisées, lutter contre le « lobby LGBT »… En fait, Zemmour est en train de couper le pays de la moitié de ses habitants. Cette folie est évidemment liée à son histoire personnelle, chacun de nous a la sienne… Mais un juif qui cherche à réhabiliter Pétain ? Qui remet en question l’histoire de Dreyfus ? C’est d’une absurdité sans nom. Reste que, malgré ces débats nauséabonds, une pléthore de sondages montre que la question de l’immigration n’est pas la première préoccupation des Français. Ce qui les intéresse, c’est leur pouvoir d’achat, l’éducation de leurs enfants, comment leurs aînés vont vieillir, la sécurité… Certaines personnes ont juste tellement soif de pouvoir qu’elles sont prêtes à mettre l’Hexagone à feu et à sang pour montrer qu’elles existent. Ces gens-là imaginent un pays non seulement qui n’a jamais existé, mais qui n’existera jamais. Vous avez devant vous deux personnes qui ont choisi la France, et ce n’est pas par masochisme. Je suis fatiguée d’entendre en permanence que ce pays est raciste. Ne le limitons pas aux tweets ravageurs d’Éric Zemmour ou aux phrases haineuses de Mme Le Pen. Est-ce qu’il y a des personnes racistes en France? Oui. Est-ce que la France est raciste? Non.
COMMUNIQUÉ
Le Tchad renforce ses relations à l’international En même temps que le Conseil militaire de transition crée les conditions propices au retour de l’ordre constitutionnel, à travers la tenue d’un Dialogue national, le président, Mahamat Idriss Déby Itno, multiplie les voyages à l’extérieur pour asseoir les relations internationales du Tchad, en tant notamment que président du G5 Sahel. Mahamat Idriss Déby Itno, président de la république Tchadienne
Mahamat Idriss Déby Itno est ensuite passé en décembre par la Guinée équatoriale afin d’évoquer l’agenda à venir de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), avant de se rendre le mois suivant au Caire, à l’invitation du président Abdel Fattah El-Sissi, pour revenir sur les tensions qui secouent le Soudan ainsi que l’Éthiopie.
À la tête du G5 Sahel
Du Congo à l’Égypte, en passant par le Soudan
Après avoir rencontré le Président Mohamed Bazoum, il s’est rendu à Téra, dans la zone des trois frontières, où est basé le contingent tchadien de cette force conjointe composée également de troupes maliennes, burkinabè et mauritaniennes et dont la mission est d’assurer la sécurité régionale. Mahamat Idriss Déby Itno a été dans la foulée au Nigéria voisin, pour s’entretenir avec le président Muhammadu Buhari de la situation sécuritaire autour du lac Tchad.
Après s’être rendu au Soudan à la fin du mois d’août, le président du CMT a voyagé en septembre en Angola pour prendre part à la conférence sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), consacrée à la Centrafrique. Il a ensuite rendu visite, dix jours plus tard, à un ami du Tchad, en la personne du président congolais Denis Sassou Nguesso. L’occasion pour les deux hommes de partager leurs préoccupations communes vis-à-vis de la situation de crise chez le voisin centrafricain.
France, Qatar : sécurité et Dialogue national au cœur des discussions Le chef de l’État tchadien a également voyagé hors d’Afrique. Il s’est ainsi rendu en juillet dernier pour la première fois en France, partenaire majeur du Tchad, pour une réunion de travail avec le président Emmanuel Macron qui a essentiellement portée sur la coopération bilatérale et la lutte contre le terrorisme. Mahamat Idriss Déby Itno est ensuite retourné à Paris en novembre, pour prendre part cette fois aux assises de la Conférence internationale sur la Libye.
© PRÉSIDENCE DU TCHAD
Le président du CMT s’est aussi rendu en septembre au Qatar, un autre partenaire majeur du Tchad, où se tiennent les négociations avec les différentes composantes politico-militaires de l’opposition, avant le Dialogue national prévu pour le 10 mai. Mahamat Idriss Déby Itno a ensuite répondu à l’invitation du président Recep Tayyip Erdogan pour raffermir les relations entre la Turquie et son pays.
Le président Tchadien et son homologue Égyptien Abdel-Fattah Al-Sissi au Caire le 5 janvier 2022.
Mahamat Idriss Déby Itno est aujourd’hui considéré par ses pairs comme un acteur majeur des processus de paix et de sécurité en cours dans la zone soudano-sahélienne comme en Afrique centrale ou dans la Corne. Son activisme diplomatique a permis de replacer le Tchad à la place qui est la sienne : au centre des grands équilibres géostratégiques du continent.
JAMG - © VINCENT FOURNIER POUR JA SAUF MENTION
L
Le 26 juillet, Mahamat Idriss Déby Itno s’est envolé vers la Mauritanie, pour rendre visite au président Mohamed Ould Ghazouani. Ils ont insisté ensemble sur la nécessité de concrétiser la montée en puissance du G5 Sahel pour en faire une force autonome. Ils ont également réitéré leur appel conjoint pour que les Nations Unies examinent la question de son financement.
e président du Conseil militaire de transition (PCMT) a effectué son premier voyage officiel le 10 mai 2021 au Niger, partenaire essentiel dans la lutte contre le djihadisme dans le Sahel. Une visite d’autant plus importante que Mahamat Idriss Déby Itno a hérité, suite au décès d’Idriss Déby Itno en avril, de la présidence tournante du G5 Sahel jusqu’en février 2022.
ENQUÊTE
Tribune Mohamed Tozy Professeur à Sciences Po Aix
Zemmour, le symptôme de notre défaite intellectuelle
L
a campagne présidentielle française offre une belle opportunité pour esquisser une sorte de radioscopie du champ politique et de l’évolution de la société. Elle permet non seulement de faire état des offres de projet de société en compétition, mais aussi des conditions de production et de réception des idées qui les portent. Les élections de 2017, marquées par le retrait du président en exercice et l’irruption peu surprenante d’un enfant du sérail, n’ont pas donné lieu à un duel autour des visions de la société. La faiblesse de la challengeuse et l’explosion de la droite traditionnelle après le scandale Fillon, quelques semaines à peine avant l’échéance, ont débouché sur un scrutin sans surprise. La campagne de 2022 est autrement plus intéressante. Elle donne à voir un champ politique en mutation. L’arrivée de Zemmour, la quasi-disparition du Parti socialiste, l’effritement de la droite traditionnelle, l’incapacité de la gauche à se renouveler ont déplacé les lignes et brouillé les repères. Le paysage politique a rarement été aussi fracturé, et les Français n’ont jamais été aussi incertains quant à leur vote : 30 % des électeurs ont déjà changé d’avis au cours des deux derniers mois, note une étude du Cevipof. Sans compter le taux d’abstention, qui pourrait continuer à monter.
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L’une des attractions de ces élections est l’arrivée du candidat Zemmour. L’homme qu’il est par ses origines et sa trajectoire, les idées qu’il porte, les caractéristiques sociologiques de ses clientèles, le feuilleton de sa mise en orbite, qui associe média populaire et maison d’édition, sont pleins d’enseignements. Ils sont les symptômes d’une crise profonde de la société française et au-delà. Il est presque inutile de s’arrêter sur les outrances, les approximations et les provocations du candidat Zemmour, sur la vacuité
Qu’avons-nous fait pour fournir aux masses le peu de savoir sans lequel aucune rationalité n’est possible ? de ses idées en matière d’économie, sur les contre-vérités historiques, de Clovis à Pétain, assénées avec aplomb et dénoncées en son temps par un collectif d’historiens dans une publication aux allures de tract érudit publié chez Gallimard. Sans être exhaustif, la question importante me semble être la suivante : de quoi la personne de Zemmour est-elle le symptôme ?
La banalisation de certaines idées procède d’une stratégie toute gramscienne, avec en son cœur le concept d’hégémonie intellectuelle : il s’agit de conquérir les esprits avant les urnes. Cette banalisation s’appuie aussi sur l’expérience trumpienne de mobilisation des complotistes en tout genre et de leur quête de vérités alternatives. Les idées d’extrême droite sont chaque jour plus présentes à la télévision, sur la Toile ou dans la presse, jusqu’à dominer le débat public et s’imposer au sein de la droite, et parfois même au-delà. C’est l’aboutissement d’une stratégie pensée de longue date.
Crise du présidentialisme
Le phénomène Zemmour nous dit aussi beaucoup sur la crise institutionnelle du système politique, au-delà des problèmes que connaissent aujourd’hui les démocraties libérales. Il est le signe de l’essoufflement d’une forme dégradée du présidentialisme à la française, régime exceptionnel dans le paysage européen et dont la légitimité ne provenait que de son incarnation par des présidents d’exception. Le raccourcissement des mandats et la concomitance des élections présidentielle et législatives ont accentué le présidentialisme, déjà raffermi par le suffrage universel direct, mettant en panne les articles 19 et 20 sur le rôle du
MAGALI COHEN/HANS LUCAS VIA AFP
ENQUÊTE
Un partisan du candidat de Reconquête ! à Toulon, le 17 septembre 2021.
Premier ministre et du Parlement, et ont, par conséquent, renforcé les effets d’une tentation monarchiste dénoncée en son temps par Maurice Duverger. Zemmour est peut-être surtout le symptôme de notre défaite intellectuelle, de l’incapacité d’une génération à retrouver les bases du raisonnement cartésien et de l’appétence pour la complexité qui fait la spécificité de notre héritage intellectuel. L’état de nos débats entre de façon étonnante – et inquiétante – en résonance avec les propos lumineux et sans concession de Marc Bloch dans L’Étrange défaite, quand il écrit : « Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or ce peuple à qui on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements
La naturalisation de certaines idées du sens commun par les médias participe de l’impression de déclin et de déclassement. nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel le pire crime de nos prétendus démocrates*. » Quand la présidentielle s’accompagne de soupçons à l’encontre des sciences sociales supposées « engagées » et « contaminées » par des idées venues « du monde anglo-saxon », le syndrome du village gaulois n’est pas loin, et notre universalisme prend les allures d’un provincialisme rétrograde. Les siècles obscurs de la Grèce antique nous rappellent que les sociétés peuvent désapprendre et que les acquis ne sont pas
éternels. Les catastrophes arrivent quand on ne se rend pas compte de son ignorance. Les indicateurs de notre défaite intellectuelle sont nombreux. Ils s’incarnent dans l’incapacité à maintenir des principes obtenus de haute lutte, comme la liberté de publier et d’informer face aux ambitions politiques et aux intérêts économiques relayés par des groupes de presse hégémoniques qui donnent un crédit aux déclarations outrageuses d’un Zemmour. Ils s’incarnent également dans l’incapacité des diplomates à reconduire le savoir-faire des virtuoses d’un orientalisme éclairé à la française ou à dénouer des crises avec des pays qui nous sont acquis. Se faire expulser d’Alger ou de Bamako, être ostracisé à Rabat ou à Beyrouth nous dit que l’arrogance s’est substituée à la connaissance chez une partie de la classe politique, qui banalise les propos indignes d’un Zemmour sur le Maghreb ou l’Afrique subsaharienne.
État d’ignorance généralisée
Quand Zemmour entretient l’amalgame entre islam et islamisme, prépare la guerre des races et dénonce le grand remplacement, met au centre des débats les questions sécuritaires et identitaires, il ne fait que dire très haut ce que pensent une partie des élites politiques et intellectuelles et rendre compte d’un état d’ignorance généralisée qui touche en premier les faiseurs d’opinion. La naturalisation de certaines idées du sens commun par les médias, mais aussi par une partie de la recherche en sciences sociales qui n’est plus maîtresse de ses énoncés et dont le cahier des charges est défini par des donneurs d’ordre non scientifiques, est loin d’être un facteur marginal qui participe à cette impression de déclin et de déclassement. * Marc Bloch, L’Étrange défaite, p. 91, Société des éditions FrancTireur, Paris, 1946.
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ENQUÊTE
DÉCRYPTAGE
La République des paradoxes Patrie des droits de l’homme, de l’égalité et de la fraternité, la France semble pourtant bien en peine de développer un discours apaisé, sinon positif, sur la diversité de ses citoyens. Anatomie d’un malaise. OLIVIER MARBOT ET RAHABI KA
P
aru au début de cette année d’élection présidentielle, Premier président noir de France, le dernier roman de l’écrivain camerounais Patrice Nganang, met en scène Thibault Pierre Kabongo, premier candidat noir – originaire d’Afrique, qui plus est – à accéder à l’Élysée. L’intrigue se déroule dans un futur proche. Dans le texte de présentation de l’ouvrage, l’auteur et son éditeur admettent que le pays n’est sans doute pas encore prêt à une telle « révolution », mais insistent : « C’est une évidence, une question de temps. » Mais de combien de temps parlet-on ? Certes, les chiffres et les études le montrent : l’intégration à la société française des populations immigrées est une réalité. L’enquête « Trajectoires et origines » de l’Institut national d’études démographiques (Ined), en particulier, régulièrement mise à jour, indique clairement que le niveau d’études atteint par les personnes d’origine étrangère augmente à chaque génération. Mieux : si l’on compare des populations appartenant à des catégories sociales équivalentes, les enfants d’immigrés réussissent aussi bien que les rejetons de la « population majoritaire », et même mieux dans le cas des filles. Dès la deuxième génération, poursuivent les démographes, les descendants d’immigrés « adhèrent massivement à l’identité française ». Quant à la population hexagonale dans son ensemble, elle considère, selon un sondage réalisé en 2019, la diversité
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comme « une bonne chose » dans une proportion de 81 %. Un sentiment qui semble se retrouver dans la classe politique : en 2017, le futur président Emmanuel Macron n’avait-il pas fait campagne en déclarant : « Qu’ils s’appellent Jean ou Malika, c’est ça l’identité française »? Il faisait ainsi en quelque sorte écho à Jacques Chirac, qui, opposé en 2002 au candidat du Front national, avait martelé avec fougue que « la France est un pays qui trouve sa grandeur dans sa diversité et son refus des communautarismes. »
Une tonalité violente
La tonalité de la campagne électorale qui se déroule aujourd’hui en France n’en paraît, par contraste, que plus violente. À Marine Le Pen, candidate traditionnelle et quasi héréditaire d’une extrême droite hostile à l’immigration, est venu s’ajouter cette année le polémiste Éric Zemmour, qui semble décidé à la doubler sur sa droite, avec un discours construit tout entier sur l’idée que les étrangers ne rêvent que de venir prendre la place des Français, profiter des avantages sociaux et imposer la loi islamique. Faisant presque passer sa rivale du Rassemblement national pour une partisane du multiculturalisme, le candidat populiste déroule son programme : arrêt total de l’immigration, fin du regroupement familial, « chasse féroce aux trafiquants de clandestins et aux associations qui [les] défendent », suppression du droit du sol, de la couverture maladie pour les étrangers, naturalisations réduites
J.SAGET/AFP - SISPEO/SIPA - E.AUDRAS/GETTYIMAGES - F.GRIVELET POUR JA - M.BARZILAI/CHALLENGES/REA - GETTYIMAGES - Z.HUANSONG/XINHUA/REA - V.FOURNIER JA - C.MILLERAND POUR JA - I.HARSIN/SIPA
ENQUÊTE à « presque rien », expulsion des chômeurs étrangers sans travail depuis plus de six mois, etc. Des propositions évidemment caricaturales. Mais Mme Le Pen comme M. Zemmour flirtent tous deux avec les 15 % d’intentions de vote dans les sondages, et ce succès semble avoir donné des idées à d’autres. On a ainsi vu la primaire visant à désigner le candidat de la droite républicaine donner lieu à des débats tournant autour de la sécurité et de l’identité, mais aussi le socialiste Arnaud Montebourg proposer, avant de se rétracter, d’empêcher les transferts d’argent privé vers les pays du Maghreb si ceux-ci refusaient de rapatrier leurs ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français.
Signaux contradictoires
Quant au président Emmanuel Macron, il semble multiplier les signaux contradictoires. Au début de février, une partie de ses proches annonçait le lancement d’un mouvement citoyen, Pluriel, censé œuvrer pour l’« inclusion et l’émancipation sociale » et faire barrage à la « banalisation des idées d’extrême droite ». Une façon de renouer avec l’élan de 2017, année où, rappelle l’universitaire Béligh Nabli, « l’arrivée d’Emmanuel Macron s’est accompagnée d’une nouvelle vague à l’Assemblée, avec de nouveaux visages issus des minorités ». Mais, poursuit-il, « on a constaté les limites de ces avancées, qui n’ont pas été accompagnées d’une réflexion approfondie sur la lutte contre les discriminations ». Et si le chef de l’État a qualifié de « remarquable » l’attitude de l’Allemagne accueillant des centaines de milliers de réfugiés, s’il a multiplié les gestes de bonne volonté à l’égard de l’Afrique et de la diaspora, on a aussi vu, au cours de son quinquennat, la France refuser l’accès de ses ports au navire de sauvetage Aquarius, démanteler brutalement des campements de migrants à Paris et dans ses environs, voter une loi réprimant le « séparatisme », et annoncer que le nombre de visas accordés aux Algériens, aux Marocains et aux Tunisiens allait être divisé par deux. « La société française n’a jamais été aussi diverse, note Béligh JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
LEWIS JOLY/SIPA
Démantèlement d’un campement de migrants, à la porte d’Aubervilliers, à Paris, le 10 mars 2019.
Nabli, pourtant le terme “diversité” n’est pas aussi mobilisé, voire célébré, que dans les campagnes présidentielles précédentes. » À droite comme dans une partie de la gauche, où la notion d’universalisme est brandie pour contrer les dérives supposées du « wokisme », l’universitaire détecte les mêmes ressorts : « Sur ces sujets, on est en phase de régression, bien que l’on ne puisse pas dire que le pays ait véritablement connu un âge d’or. Même la nomination par Nicolas Sarkozy de femmes ministres issues de la diversité – Fadela Amara, Rachida Dati et Rama Yade – relevait d’une stratégie de communication et n’a pas eu de suites politiques en matière de lutte contre les discriminations. » Contradiction ? Surenchère à visée électoraliste qui ne reposerait sur rien de concret ? La France, en tout cas, semble avoir du mal à développer un discours apaisé, sinon positif, sur la diversité des origines de ses citoyens. Selon les juristes, l’explication est pour partie historique. Depuis la révolution de 1789, la République est une et indivisible. Cela se traduit, explique le constitutionnaliste Michel Verpeaux, de l’université Panthéon-Sorbonne, par l’inscription de ces notions dans la Loi fondamentale. Le peuple français est un car la nation française est une. Reconnaître qu’il existe des différences au sein de la population reviendrait à revenir sur ces principes fondamentaux, et c’est pour cela que,
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en 1991, le Conseil constitutionnel a censuré un texte de loi pour la seule raison qu’il faisait mention d’un « peuple corse ». Il a fallu attendre 2003 et une forme de pression exercée par l’Union européenne pour qu’un nouveau texte reconnaisse « une certaine diversité historique, géographique et culturelle » aux populations d’outremer. Mais à elles seules.
Les intentions et les faits
À cette très légère exception près, la population française reste considérée comme homogène et indivisible. Hors de question, comme aux ÉtatsUnis en particulier, de recenser les citoyens en fonction de leurs origines ethniques et d’établir des statistiques sur cette base. Qu’il ait acquis la nationalité par sa naissance ou plus tard dans sa vie, un citoyen français est avant tout français. L’intention est louable. Malheureusement, elle se heurte parfois aux faits. Tout Français qu’il soit, un citoyen d’origine maghrébine ou subsaharienne a, selon les chiffres de l’Ined, de trois à cinq fois moins de chances
Selon l’Ined, les descendants d’immigrés adhèrent massivement à l’identité française.
d’être convoqué à un entretien d’embauche. Le risque pour lui de connaître le chômage est aussi, selon ses origines, son âge et ses diplômes, de 20 % à 50 % plus élevé que pour un membre de la « population majoritaire ». Et, lorsqu’on les interroge, les Français d’origine étrangère n’ont aucun mal à faire la liste des critères en fonction desquels ils se sentent discriminés. Ils citent ainsi leur patronyme, leur lieu de résidence, leur religion, leur accent et – par-dessus tout – leur couleur de peau. S elon le s démographe s, ce contraste entre les principes posés et la réalité tient à un phénomène qu’ils qualifient d’« intégration à sens unique ». Les immigrés et leurs descendants sont clairement invités à s’assimiler, et l’immense majorité d’entre eux se plient à ces injonctions, adoptent le mode de vie de leurs concitoyens et disent eux-mêmes se sentir français. En revanche, nombre d’entre eux, même après plusieurs générations, affirment ne pas se sentir considérés comme français. La discrimination est alors d’autant plus grave qu’elle se perpétue, et même s’amplifie : selon les études de l’Ined, les enfants ou petits-enfants des premières générations d’immigrés sont ainsi plus nombreux à se déclarer victimes de discriminations, voire à porter plainte. Pour les chercheurs, cela s’explique par le fait que les membres des deuxième, troisième ou quatrième
ENQUÊTE générations – plus éduqués, mieux intégrés – sont aussi plus sensibles aux manifestations hostiles ou racistes, savent mieux les détecter et s’y opposer que leurs parents ou grands-parents qui, pour certains, préféraient baisser la tête et se résigner à leur sort. L’Hexagone aurait-il, malgré tous ses beaux discours, un problème avec sa diversité ? Camouflerait-il, sous une avalanche de lois et d’instances chargées de dénicher les cas de discrimination et d’en punir les auteurs, un racisme ordinaire solidement ancré ? La sociologue Milena Doytcheva a travaillé sur la question pendant plusieurs années, rencontrant aussi bien des personnes d’origine étrangère que des bénévoles et des travailleurs sociaux chargés de les assister ou des responsables de grandes entreprises du nord du pays. Selon elle, il faut d’abord souligner l’évolution du vocabulaire utilisé, qui illustre à elle seule la difficulté qu’a la France à se saisir de la notion de diversité. Dans les années 1980 est d’abord apparue, portée par la deuxième génération d’immigrés, l’idée de « droit à la différence ». Terme vite remplacé par celui de « multiculturalisme » dans les années 1990, puis par un autre, bien plus négatif, le « communautarisme ». L’idée, néanmoins, restait que les personnes issues de populations « visiblement différentes » de la majorité des Français (Noirs, Maghrébins, Asiatiques) étaient les premières victimes de discriminations, et qu’il fallait trouver un moyen d’y remédier. Tout a changé, estime la chercheuse, au début des années 2000.
En particulier en 2004, lorsque, sous l’impulsion de la majorité politique de l’époque, les grandes entreprises françaises ont fait élaborer une première « charte de la diversité » qui a, depuis, connu plusieurs évolutions. Le débat s’est alors déplacé sur un terrain managérial, économique, entrepreneurial. Discriminer une partie de la
En élargissant la diversité à toutes les minorités, on a voulu relativiser la spécificité des discriminations « ethno-raciales ». population revenait à se priver de certains talents, à renvoyer une mauvaise image de son entreprise. Faire la « promotion de la diversité », à l’inverse, permettait de profiter de la richesse qui naît toujours de la confrontation de points de vue différents, d’avoir un personnel reflétant plus fidèlement la réalité de la population – et donc de la clientèle. L’idée était de repérer les talents, d’en faire des exemples afin de montrer aux autres que tout est possible. De valoriser la notion d’effort individuel, de « méritocratie républicaine ». Ce glissement de la sphère politique à la sphère économique implique une démarche différente, fondée sur d’autres valeurs. Mais, après tout, si les résultats sont au rendez-vous,
ADIL BENAYACHE/SIPA
Affiches électorales de Marine Le Pen, à Avignon, dans le Vaucluse, en février.
les motivations sont-elles vraiment importantes ? Milena Doytcheva voit deux problèmes liés à cette évolution de l’idée de diversité. D’abord, souligne-t-elle, les chartes et autres labels censés assurer la représentation de toutes les « minorités » dans le monde du travail sont en général purement incitatifs et relèvent, pour les entreprises ou autres instances qui les ratifient, surtout de l’engagement moral.
L’assimilation, sinon rien
Ensuite, et surtout, la promotion de la diversité ainsi conçue va bien au-delà de la question des personnes discriminées en raison de leurs origines ou de leur religion. Elle englobe également l’égalité hommes-femmes, l’intégration des personnes handicapées, celle des jeunes et des seniors, des LGBT… Qui peut le plus peut le moins, et la cause reste légitime. Mais pour la sociologue, en mêlant toutes ces catégories, on a surtout voulu relativiser la spécificité des discriminations « ethno-raciales », que l’on peine d’ailleurs toujours à nommer. Sous couvert d’intégration, conclut-elle, on a trouvé un moyen d’éluder les concepts de racisme ou d’ethnicité, tout en évitant de valoriser les expériences différentes et en ne proposant pour solution unique à toutes les discriminations que l’assimilation. Une « difficulté toute française » à appréhender le phénomène. L’Hexagone aura-t-il un jour une personne issue de la diversité à sa tête ? Autant l’avouer : si une candidate noire est bien sur les rangs pour la présidentielle de 2022 – Christiane Taubira, qui s’était déjà présentée en 2002 –, il y a fort peu de chances que l’élection d’un « premier président noir de France » telle que décrite par Patrice Nganang soit pour cette année. L’écrivain veut toutefois croire que tout reste possible et, toujours provocateur, fait dire à son personnage principal qu’il existe deux types d’individus dans la population noire de France : « Ceux qui ont de l’ambition et ceux qui veulent être validés. » Les seconds, écrit-il, se contenteront de briller dans le sport, les médias ou la culture. Mais les premiers veulent le pouvoir, le vrai pouvoir, celui qui siège à l’Élysée. Et, parie le romancier, ils finiront par s’y hisser. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
Immigration Les clichés à l’épreuve des faits
«
F
ardeau », « vague », « invasion », « bérézina migratoire », « danger de mort de la civilisation européenne »… En France, la question migratoire est l’objet de toutes les surenchères sémantiques dans les harangues d’une partie des candidats à la présidentielle. Entre alarmisme, théorie du complot et amalgames, par populisme ou par électoralisme, la thématique est devenue centrale. Pis, le fantasme du « grand remplacement », une théorie raciste née dans le giron de l’extrême droite la plus décomplexée, s’est imposé dans le débat. Cette thèse, popularisée par l’écrivain français Renaud Camus au début des années 2010, prétend que l’accroissement des flux migratoires va participer au déclin démographique de l’Occident. En France, la population blanche et chrétienne serait ainsi appelée à disparaître pour laisser place à une population d’origine africaine et de religion musulmane. Une forme de « colonisation » qui serait en outre favorisée au niveau mondial par un supposé « plan » mis à exécution par les élites… Argument quasi unique de la campagne menée par Éric Zemmour, candidat de Reconquête !, le terme fait florès. La thèse conspirationniste semble se banaliser, trouvant même désormais sa place dans les discours de candidats supposés républicains. Les enquêtes d’opinion le prouvent, cette idée n’a pas (encore) convaincu une majorité de Français. Mais elles montrent aussi que les préjugés sur l’immigration ont la peau dure dans l’inconscient collectif politique de l’Hexagone. Y a-t-il trop d’étrangers en France? Les migrants viennent-ils en Europe pour « toucher les allocations »? Dans le contexte de la campagne, confronter ces questions à la réalité s’imposait. Marie Toulemonde
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Il y a trop d’étrangers en France L’immigration est en hausse depuis un siècle, mais elle n’est pas « massive »
Part d’immigrés
et d’étrangers
dans la population française 10,1 %
6,8 M d’immigrés
10 %
2,5 M ont acquis la nationalité française
5%
4,3 M sont de nationalité étrangère
0%
1921 1931 1946 1954 1962 1975 1982 1990 1999 2010 2020
Elle est également moins forte que chez ses voisins européens Pourcentage de population née à l’étranger, en 2020
Italie
10,4
Espagne
France
13,3 %
12,7 %
RU 13,7 %
30 %
Allemagne Belgique 16,2 %
Suisse
17,3 %
%
Le regroupement familial, c’est la porte ouverte à l’immigration massive Le regroupement familial ne concerne qu’une petite partie de l’immigration familiale, la moitié concerne des Français qui font venir leur famille. De plus, cette catégorie représente autant que les étudiants. Titre de séjour selon le motif, en 2021 + XX % Variation entre 2016 et 2021 Familial 32 % -1 %
271 k Divers 7 %
Études 31 %
+ 18 %
+ 26 %
+16 %
Économique 13 %
Humanitaire 16 %
+59 %
+45 %
La France est bien trop accueillante La France est certes le 2e pays de l’Union européenne en nombre de primo-demandes d’asile (89 000 en 2021 à l’Ofpra), mais le taux d’admission est aussi l’un des plus faibles des 27 pays de l’UE.
Taux d’approbation des demandes d’asile en 2020 Grèce Allemagne
55 % 48 %
Espagne Italie
41 % 28 %
France (24e)
23 %
ENQUÊTE
Ce sont surtout les Africains qui migrent, et principalement vers l’Europe Flux migratoires mondiaux en 2020 2,9
Amérique du Nord
4,3 1,1
25,5
114,9
Europe
11,3
1,1
23,2
1,1
42,9
Océanie
1,9
6,9
Amérique du Sud et centrale
44,2
5,4
3,3
8%
11
4,7 12 %
40,6
20,9 52 %
À l’échelle mondiale, seuls 27 % des flux migratoires africains sont en direction de l’Europe, la majorité se déplaçant en Afrique. Ils s’inscrivent dans une dynamique de mobilité mondiale...
Origine de l’immigration en France 47,5 % Afrique (dont Maghreb, 60 %)
Il n’existe pas de chiffres publics sur les montants des aides versées aux étrangers. Les estimations varient de 6 à 10 milliards d’euros. Mais, selon l’OCDE, l’impact budgétaire de l’immigration est quasi neutre. Car même si les immigrés ont un taux de chômage plus élevé, ces chiffres sont compensés par la structure d’âge des intéressés, qui sont souvent dans la population active et donc cotisent beaucoup.
En % du PIB 1,56 France 1,02
Structure d’âge des immigrés en France, en 2015 Age 100 ans
0
Les personnes qui émigrent sont généralement diplômées, et les Africains ont un niveau comparable à celui des Européens.
Niveau de diplôme des immigrés en 2020 Bac+3 ou plus
Bac+2 CAP-BEP
Brevet, CEP, aucun diplôme Immigrés
Population active
75 ans
100 %
50 ans
OCDE
Nos cerveaux s’en vont et on récupère des bac-5
Femmes
de l’Union européenne
d’Afrique Non-immigrés
80 % 60 %
25 ans 0
14,4 % Asie 5,9 % Autres
32,2 % Europe
Bac, brevet professionnel Hommes
14,5 %
Du fait de son histoire et de sa position géographique, la France accueille de nombreux Africains, mais cette proportion reste stable depuis 15 ans et relative en regard des Européens.
Ils viennent pour toucher les allocations
Contribution nette des personnnes nées à l’étranger
Afrique
Monde 280,6 1,2
27 %
Flux extra-continental Flux intra-continental
12,6
69,5
Afrique
Nombre total de migrants
Autres
Asie
7,2
63,3
1,4
En millions de personnes, en 2020
4
17,5
SOURCES : INSEE, UNDESA, OCDE, OFPRA, OFII, CAF, INED, MINISTÈRE DE L’INTERIEUR FRANÇAIS.
1,3
40 % 50
25
25 50 0 En milliers de personnes
20 % 0% JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
INTERVIEW
Maboula Soumahoro « Il ne suffit pas de se déclarer universaliste » Docteure en civilisations du monde anglophone, cette spécialiste de la diaspora noire africaine estime que le modèle fièrement brandi par les Français ne suffit pas à favoriser l’intégration, tant s’en faut.
CLARISSE JUOMPAN-YAKAM
Jeune Afrique : Les Français d’origine africaine font-ils partie intégrante de la société française ? Maboula Soumahoro : Il y a une intégration de fait des Français d’origine africaine dans l’Hexagone : ils y vivent et y accèdent à des emplois… Mais il n’existe toujours pas de réelle volonté politique de promouvoir ou de valoriser cette diversité. En effet, en dépit des avancées enregistrées au cours des trente dernières années – où on a pu instaurer dans le débat public les questions de discriminations, de diversité ou de racisme –, les modalités et les termes de ce débat sont toujours aussi tronqués tant ces sujets demeurent sensibles. Résultat : les seules mesures adoptées en faveur des Français issus de la diversité sont purement symboliques, comme les nominations et les promotions de quelques personnalités isolées. Vous parlez de racisme. Y a-t-il un lien entre le racisme et ce plafond de verre auquel les Français d’origine africaine peuvent se trouver confrontés dans leur parcours professionnel? Le plafond de verre existe et s’explique par la structure raciste de la société. On peut y être confronté en raison de son genre, de son orientation sexuelle, de son handicap, de sa couleur de peau. En France, on voudrait pouvoir parler du racisme au
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passé, et de manière très simpliste. Hélas, ce n’est pas un chapitre ancien de notre histoire. Il reste très présent, très actuel. C’est de la discrimination. C’est, au quotidien, le non-accès de certaines personnes, souvent noires, aux biens rares. Malheureusement, lorsqu’on exige la correction de ces inégalités, on est tout de suite accusé d’être dans une idéologie victimaire. Cette résistance à l’amélioration potentielle de notre société montre bien qu’il y a un intérêt pour certains à maintenir ce statu quo. S’il n’y avait aucun enjeu caché, on pourrait en discuter. Pour expliquer la faible représentativité des Français-Africains à des postes élevés, certains mettent en avant le syndrome de l’imposteur. C’est une bonne excuse. Le syndrome de l’imposteur est d’abord une question individuelle, intime. Mais d’un point de vue structurel, les Français-Africains ont-ils toujours
« Lorsqu’on exige la correction de certaines inégalités, on est accusé d’être dans une idéologie victimaire.»
les moyens et les prérequis pour prétendre aux fonctions les plus prestigieuses? Si on est entravé par l’échec scolaire, si on est issu d’un milieu où, de toutes les façons, cet échec, renforcé par la carte scolaire, ne permet pas de faire de longues études, on est d’office tenu à l’écart, parce qu’on n’a obtenu ni son bac ni sa licence, parce qu’on n’a pas fait une grande école. Cela n’a-t-il pas davantage à voir avec la méritocratie qu’avec le racisme? La question de la méritocratie est remise sur la table chaque fois qu’on ose dénoncer l’absence flagrante de diversité. L’idéologie de l’universalisme, de l’individualisme et de la méritocratie développe un discours selon lequel tout le monde a les mêmes chances, les différences n’étant dues qu’au mérite et au travail. Les personnes qui n’accèdent pas à des parcours prestigieux sont des individus défavorablement racialisées, souvent pauvres. C’est cela le racisme structurel. Le plus pernicieux, c’est que nul n’est en mesure d’accuser qui que ce soit d’interdire l’accès des Noirs – ou de tout autre groupe minoritaire – à telle ou telle fonction : techniquement, ils ne justifient pas des prérequis exigés. Or le minimum serait de leur fournir les clés pour y arriver, à commencer par l’information.
ENQUÊTE
DR
traduction de l’affirmative action anglo-saxonne. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’affirmative action implique plusieurs étapes. La première, fondamentale, est celle de la reconnaissance du tort causé, de la prise en compte et de l’évaluation de la situation : qui est discriminé, comment, pourquoi, depuis combien de temps. Il faut passer par cette étape de la reconnaissance pleine et entière du préjudice causé pour pouvoir ensuite réparer. L’affirmative action est donc la reconnaissance d’un tort ancien alimenté par l’État, lequel se donne les moyens d’y remédier d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas de l’aumône.
PATRICIA KHAN
Maître de conférences à l’université de Tours, elle a publié son autobiographie en 2020.
Existe-t-il des pays modèles en matière d’intégration ou de promotion des citoyens d’ascendance africaine? Chaque pays a ses spécificités et ses problèmes. La question n’est pas seulement celle de l’intégration, puisqu’il ne s’agit pas exclusivement de Français issus de l’immigration. Il est aussi question de personnes citoyennes françaises de naissance pour lesquelles la question de l’intégration ne devrait pas se poser. On entend régulièrement de nombreux Français issus de la diversité dire leur frustration de devoir s’exiler pour trouver un poste à la hauteur de leurs ambitions, fatigués de se cogner contre un plafond de verre, certes invisible, mais parfaitement réel. La plupart réclament simplement l’indifférence à leur couleur de peau. Comment corriger ces inégalités? Je suis une rêveuse et une penseuse. Il faudrait au moins être en accord avec les valeurs prônées. Soit on admet qu’on est une société
« Il faut passer par cette étape de la reconnaissance du préjudice subi pour pouvoir réparer.» raciste et on s’accommode de son fonctionnement inégalitaire, fortement hiérarchisé, qui se soucie peu du sort des personnes immigrées et des citoyens de couleur. Soit on essaie de donner corps aux valeurs qu’on brandit. Croit-on à l’égalité, la désire-t-on vraiment ? Quels efforts est-on prêt à consentir ? Il faut s’inscrire dans un combat plus général pour la démocratisation de l’espace social. Le choix de la discrimination positive serait-elle la preuve d’une politique volontariste? Je n’utiliserais pas ce terme : une discrimination ne saurait être positive. C’est une mauvaise
Faut-il instaurer une politique des quotas ? Les quotas ne sont qu’une possibilité parmi d’autres. Il y aurait aussi la refonte des programmes scolaires, la remise en cause du capitalisme… Quand on ressort inlassablement cette idée d’une France universaliste, aveugle à la race et à tout, cela complique la discussion, rend impossible toute évaluation et, au bout, toute réparation. Il ne suffit pas de se déclarer universaliste. Le thème de la diversité reste absent de la campagne présidentielle. On est loin de celle qui avait conduit à l’élection de Nicolas Sarkozy, où Rama Yade montait à la tribune pour figurer la France issue de l’immigration. C’était une instrumentalisation et d’ailleurs Rama Yade en est revenue. C’était surtout un pied de nez au parti socialiste, qui n’a jamais été à la hauteur en matière de promotion de la diversité. En tout état de cause, si on parle de diversité en mettant en avant des personnalités qui défendent des valeurs auxquelles je n’adhère pas, cela ne m’intéresse pas. La diversité qui compte est égalitaire, inclusive, transforme les choses et met à mal toutes les hiérarchies ; elle produit de la justice et de l’égalité pour tous. Que le ministre de l’Intérieur ait un grand-père arabe ne change rien à la vie des citoyens français issus de la diversité. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
ITINÉRAIRES
Retour aux sources
Découragés par les discriminations, anxieux face à la montée de l’extrême droite, de nombreux Français d’origine africaine ont décidé de prendre un aller simple pour le continent. Et tous s’en félicitent.
MARIÈME SOUMARÉ
I
l y a Ina, à qui l’on a refusé la location d’un appartement parce que son dossier était « trop beau pour être vrai », selon la propriétaire, qui a cru bon d’ajouter : « On connaît les arnaques des Africains. » Ou encore Aminata, qui garde un souvenir douloureux des nombreux contrôles de police auxquels elle assistait, enfant, quand elle se promenait dans les rues de Paris avec son père. Chacune des personnes rencontrées raconte ce type d’anecdotes, ces « petites » remarques prétendument bienveillantes, ces actes de racisme ordinaire qui finissent par peser. Nées en France ou dans leur pays d’origine, ces Françaises noires ont fini par être lassées d’être toujours « l’autre » dans l’Hexagone. Animées par un désir d’entreprendre, de changer les choses, de renouer avec leur famille ou avec leurs racines, elles ont fait le choix de (re)venir s’installer sur le continent. Une décision parfois mal vécue ou mal comprise par leurs parents, qui avaient tout quitté pour leur offrir une chance de réussir. Toutes confient aussi le choc culturel qui les a surprises dans leur nouveau pays, qu’elles ont parfois rejoint avec un peu de naïveté. Pourtant, elles n’envisagent pour rien au monde de retourner dans l’Hexagone. Rencontre avec ces ex-Afropéennes qui ont fait le choix du retour.
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JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
Ina, 36 ans, à Bamako depuis 2015 « Nos parents sont partis pour réussir, on revient pour les mêmes raisons » C’est à la naissance de mon premier enfant que j’ai eu envie de partir. Petite, les microagressions racistes m’ont beaucoup marquée, je ne voulais pas que mes enfants grandissent dans le même contexte. Je refuse qu’ils se disent que les Noirs sont inférieurs aux Blancs. Quand on est jeune, on a juste envie de se fondre dans le moule. Or le
« On se croyait maliens, mais en arrivant ici on comprend que l’on est bien français ! » racisme et l’islamophobie ne cessent d’empirer en France. Mon mari est très pratiquant, et je sais qu’il serait passé pour un islamiste si on n’était pas partis. Enseigner l’islam à ses enfants, c’est prendre le risque d’être taxé de sectarisme, de communautarisme. Pratiquer sa religion en France quand on est musulman, avoir une barbe, aller à la mosquée, c’est prendre le risque d’être fiché S. Voilà qui fait peur. Mes parents sont arrivés très jeunes ici, et ma mère n’a pas compris que l’on veuille
rentrer. Elle m’a dit : « J’ai fait ma carrière ici, j’ai surmonté les discriminations, vous pouvez le faire aussi. » Mais nous n’avons plus la même mentalité. Aujourd’hui, nous voulons nous affirmer en tant qu’individus, et non être sans cesse renvoyés à notre couleur de peau. Nos parents sont partis pour réussir, et nous revenons pour les mêmes raisons. Nombreux sont les jeunes très qualifiés qui veulent entreprendre, contribuer au développement de leur pays d’origine, et qui savent qu’ils y auront de meilleures conditions de vie. C’est triste par rapport au projet de nos parents. Est-ce pour autant une forme de fuite en avant ? Peut-être… Mais je suis persuadée que c’est ce qu’il y a de mieux pour mes enfants.
Deux cultures
J’ai créé une association de Franco-Maliens : on les aide à s’installer, on les encourage à s’investir dans les élections consulaires. Garder ce lien avec la France me paraît important. Lorsque l’on vivait là-bas, on se croyait maliens. Mais en arrivant ici on comprend que l’on est bien français ! Il faut savoir trouver son équilibre entre les deux cultures. Si nous devions quitter le Mali – pour des raisons sécuritaires par exemple –, nous irions ailleurs : nous ne retournerions pas en France.
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA
ENQUÊTE
Awa, directrice de la communication d’une multinationale.
Awa, 44 ans, rentrée au Sénégal il y a six ans « Au lendemain des attentats de novembre 2015, l’ambiance islamophobe m’a paru insupportable » Je suis née au Sénégal, et j’ai quitté le pays avec mes parents à l’âge de 2 ans. J’ai grandi entre le Val-de-Marne, au sud-est de Paris, et le 11e arrondissement. J’ai fait de bonnes études, j’avais un travail qui me plaisait, un bel appartement à Bastille, je gagnais bien ma vie. Pourtant, au fond de moi, j’ai toujours su que je rejoindrais le pays de mes parents. Au lendemain des attentats de novembre 2015, l’ambiance islamophobe qui a saisi la France m’a paru insupportable. Et j’avais envie que mes enfants s’imprègnent de la « vraie Afrique », pas de celle qu’ils
verraient à la télévision française. J’ai quitté mon boulot du jour au lendemain, j’ai vendu ma voiture, et je suis partie.
Pionniers
À mon arrivée, j’ai créé « Le club des nouveaux blédards », car je me suis rendu compte qu’il n’existait pas d’espace ici pour les gens comme moi. Le Sénégal de nos vacances et celui où on s’installe sont deux pays différents ! S’adapter aux us et coutumes, apprendre à décrypter les gens, ça prend du temps. Je retourne souvent en France : c’est là-bas que je me ressource à présent ! Et puis
il y a là-bas des choses très bien, un certain cadre, la carte Vitale… Mais je ne pense pas y retourner. La campagne présidentielle me semble affligeante et délirante. Rien de cela ne va arranger les problèmes que le pays ne veut pas affronter. Ce mouvement de retour prend énormément d’ampleur, on se sent un peu comme des pionniers à l’époque de la conquête de l’Ouest. On veut contribuer à construire l’Afrique de nos rêves. Malgré les problèmes, on est portés par une énergie qui n’existe pas en France. On sent que c’est ici que les choses se passent, et maintenant. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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ENQUÊTE
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA
Aminata, 30 ans, à Dakar depuis juin 2019 « Ici, je me sens comme à la maison »
Anouk, gestionnaire des affaires gouvernementales chez Microsoft.
Anouk, 27 ans, installée au Sénégal depuis 2017 « La France n’a plus grand-chose à m’offrir » C’est progressivement que je me suis ouverte à mon africanité. Née au Congo et adoptée par des Français, j’ai toujours éprouvé de la curiosité pour l’endroit d’où je venais. Et à travers la rencontre avec celle qui est devenue ma meilleure amie, une Gabonaise, j’ai commencé à militer au sein d’un collectif afroféministe. C’est alors que j’ai pu mettre des mots sur les micro-agressions dont j’étais victime, ce qui m’a permis de me sentir moins seule. Mes parents avaient tendance à minimiser ce qui m’arrivait. Or aujourd’hui c’est de plus en plus flagrant : même les Blancs ne peuvent plus nier qu’il y a beaucoup de racisme en France. Quand, étudiante, j’ai commencé à chercher du travail, sans succès, je me suis demandé s’il existait un marché pour moi. En 2017, j’ai donc pris un aller simple pour Dakar afin d’y retrouver ma meilleure amie. Je me disais alors : « Ça ne sert à rien d’essayer en France. » Toutes ces années d’études pour qu’on jette mon CV à la poubelle, non merci. Ici, j’ai trouvé
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JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
mon premier emploi en quelques semaines. Une rapidité étonnante! Et puis, au Sénégal, je ne suis plus « la seule » Noire. Cela rend mon quotidien moins violent. Ne plus avoir à
« Ce racisme décomplexé que l’on voit s’exprimer sur les plateaux télévisés me met très mal à l’aise.» se poser certaines questions est un véritable soulagement. Depuis la dernière présidentielle [de 2017], je me sens également moins concernée par ce qui se passe dans l’Hexagone. Ce racisme décomplexé que l’on voit s’exprimer sur les plateaux télévisés est déprimant et me met profondément mal à l’aise. Rentrer en France, pour quoi faire ? Ce pays n’a plus grand-chose à m’offrir.
Ma première confrontation avec le racisme remonte à mon enfance, alors que mon père, un Sénégalo-BissauGuinéen, subissait les contrôles au faciès de la police. Il est arrivé en France très jeune, en tant que réfugié guinéen, et nous a toujours raconté les difficultés qu’il avait rencontrées. Il s’est tellement battu pour pouvoir émigrer et pour s’assimiler qu’au départ il était choqué que je veuille émigrer. Aujourd’hui, il est content : ça doit lui faire du bien que je sois fière de mes origines. Finalement, je suis partie parce que je sentais que c’était le moment. Ma place n’était plus en France. Je n’avais alors jamais mis les pieds au Sénégal, et pourtant, ici, je me sens comme à la maison. J’ai créé ma propre entreprise de cosmétiques, pour magnifier les cheveux texturés. Le cheveu est le reflet de notre identité : il faut pouvoir prendre conscience de sa valeur. Je conseille régulièrement à mes amis de faire comme moi. Pas parce que certains Français nous le demandent, mais parce qu’il faut savoir partir quand on n’est pas bien quelque part.
ENQUÊTE
GRANDES ÉCOLES
Un plafond de verre à peine fissuré Accusés de reproduire les inégalités sociales, les établissements d’excellence tentent depuis des années d’accueillir davantage de Français issus de la diversité. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
À
27 ans, Ousmane Galokho est déjà haut fonctionnaire au ministère de la Transition écologique. Fait rare dans les hautes sphères de la fonction publique, il est fils d’immigrés venus d’Afrique subsaharienne. « Dans les ministères, les Noirs ou les descendants d’immigrés occupent davantage des postes de sécurité ou de restauration », explique cet ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), dissoute en 2021. La prestigieuse école créée en 1945 était accusée de reproduire une élite française peu diversifiée socialement. Par son mode de sélection mais aussi par l’absence d’information offerte aux lycéens et aux étudiants venus de province ou des banlieues. « Les écoles d’excellence pensent qu’elles n’ont pas besoin de communiquer. Alors que les personnes qui vivent hors de la capitale ont besoin que l’information leur parvienne », explique Grâce Loubassou, 30 ans, responsable des relations avec les institutions chez Canal Plus International et ancienne présidente de l’Association de Sciences Po pour l’Afrique (Aspa). Elle a grandi en Normandie, au sein d’une famille congolaise. Lorsqu’elle évoque son parcours, il est aussi question d’autocensure. « Malgré mon bac avec mention très bien, je voulais faire un DUT. Et mes professeurs ou les conseillers d’orientation trouvaient que c’était très bien. » C’est par le biais des Conventions d’éducation prioritaire (CEP), inaugurées par Sciences Po Paris en 2001 au profit
Inauguration de l’INSP, ex-ENA, par sa directrice, Maryvonne Le Brignonen, en janvier 2022.
de lycéens issus de zones défavorisées, que Grâce a pu intégrer le prestigieux institut d'études politiques. Les CEP regroupent aujourd’hui 166 établissements en zones d’éducation prioritaire dans lesquels sont animés des ateliers d’orientation et d’informations sur les opportunités d’études à Sciences Po. « En vingt ans, le dispositif a permis à plus de 2 400 lycéens d’intégrer les formations de l’institution », explique Myriam Dubois-Monkachi, directrice de la scolarité et de la réussite étudiante. Difficile de savoir combien sont descendants d’immigrés originaires d’Afrique, les statistiques « ethniques » étant interdites en France. Très peu ont toutefois réussi à franchir les portes de l’ENA, demeurée très sélective. Un plafond de verre que veut briser l’Institut national de service public (l’INSP), la nouvelle ENA, en instituant un concours spécifique réservé exclusivement aux étudiants
FREDERICK FLORIN/AFP
MAWUNYO HERMANN BOKO
La nouvelle ENA propose un concours réservé aux boursiers des classes préparatoires. boursiers issus des classes préparatoires « Talents du service public ». L’INSP pense ainsi recruter des profils moins favorisés socialement, sans cibler principalement les Français issus de l’immigration africaine. « Les critères liés à la diversité sociale et à l’origine géographique permettent déjà de prendre en compte ces populations étrangères puisque les études montrent qu’elles sont surreprésentées dans les catégories socioprofessionnelles moins aisées », affirme Maryvonne Le Brignonen, la directrice de l’INSP. Mais, pour Ousmane Galokho, « les inégalités sociales apparaissent bien en amont des grandes écoles, dans les collèges. C’est à ce niveau qu’il faut intensifier les efforts. » JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022
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